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09/10/2014 | CEDH | N°001-146777

CEDH | CEDH, AFFAIRE H.H. c. GRÈCE, 2014, 001-146777


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE H.H. c. GRÈCE

(Requête no 63493/11)

ARRÊT

STRASBOURG

9 octobre 2014

DÉFINITIF

09/01/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire H.H. c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto

de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conse...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE H.H. c. GRÈCE

(Requête no 63493/11)

ARRÊT

STRASBOURG

9 octobre 2014

DÉFINITIF

09/01/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire H.H. c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 septembre 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 63493/11) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant iranien, M. H.H. (« le requérant »), a saisi la Cour le 7 octobre 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La présidente de la section a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 4 du règlement de la Cour – « le règlement »).

2. Le requérant a été représenté par Mes I.-M. Tzeferakou et A. Tsapopoulou, avocates à Athènes, ainsi que par Me E. Velivasaki, avocate en Crète. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, M. D. Kalogiros, assesseur auprès du Conseil juridique de l’État, et Mme K. Karavasili, auditrice auprès du Conseil juridique de l’État.

3. Le requérant allègue en particulier une violation des articles 3, 5 §§ 1 et 4 et 13 de la Convention.

4. Le 6 mars 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1985 et réside actuellement en Norvège.

A. L’arrestation et la détention du requérant en vue de son expulsion

6. Le 17 octobre 2010, le requérant, qui déclare avoir fui l’Iran car il y aurait été arrêté et détenu pour avoir participé à des manifestations contre le régime, arriva en Grèce où il fut appréhendé par les autorités de police. Il ne disposait pas de documents de voyage.

Il affirme que, lors de son arrestation, il a demandé à déposer une demande d’asile mais que celle-ci n’a pas été enregistrée par les autorités.

7. Par une décision du 19 octobre 2010, le directeur de la direction de la police d’Alexandroupoli, estimant que le requérant risquait de fuir, ordonna sa détention provisoire pendant trois jours jusqu’à l’émission d’une décision d’expulsion à son encontre. Cette décision, qui précisait que le requérant pouvait formuler des objections contre elle dans un délai de 48 heures, lui fut signifiée le même jour. Il ressort du récépissé de la signification de la décision, signé par le requérant lui-même, que celle-ci lui a été traduite en anglais par un interprète dont la signature figure également sur le récépissé.

8. Le requérant fut détenu au poste-frontière de Soufli.

9. Le 22 octobre 2010, le même directeur ordonna l’expulsion du requérant et son maintien en détention pour une période ne pouvant dépasser six mois. La décision précisait que le requérant risquait de fuir. Elle indiquait aussi que le requérant avait été informé dans une langue qu’il comprenait – à savoir l’anglais – des motifs de sa détention et de ses droits, notamment de la possibilité d’exercer un recours hiérarchique devant le directeur de la direction de la police de la région de la Macédoine de l’Est et de Thrace dans un délai de cinq jours. Il ressort du récépissé de la signification de la décision, signé par le requérant lui-même, que celle-ci lui a été traduite par un interprète dont la signature figure également sur le récépissé.

10. Le 29 octobre 2010, la direction de la police d’Alexandroupoli demanda à la direction de la police hellénique de prendre les mesures nécessaires afin que le requérant soit livré aux autorités turques dans le cadre du Protocole de réadmission signé entre la Grèce et la Turquie. La direction de la police hellénique accueillit cette demande.

11. Le 29 novembre 2010, le requérant, de même que trois autres détenus, cousit ses lèvres et refusa de s’alimenter afin de se plaindre de ses conditions de détention et du refus allégué par lui de le laisser déposer une demande d’asile.

12. Le 30 novembre 2010, le requérant fut transféré à l’hôpital d’Alexandroupoli où, le 4 décembre 2010, il se fit enlever les sutures.

13. Le 21 décembre 2010, le requérant, par l’intermédiaire de son avocat (membre du Conseil hellénique pour les réfugiés), ayant la conviction que la demande d’asile avait été enregistrée, s’adressa au directeur de la police d’Alexandroupoli afin de se voir offrir un hébergement, sur le fondement du décret no 220/2007, en tant que demandeur d’asile impécunieux. Les autorités du poste-frontière de Soufli, auprès desquelles la demande du requérant était passée, transmirent celle-ci au directeur de la police d’Alexandroupoli en précisant que l’intéressé n’avait pas déposé de demande d’asile.

14. Le 13 janvier 2011, le requérant déposa auprès de la direction de la police d’Alexandroupoli une attestation sur l’honneur, par laquelle il affirmait qu’il avait participé à des manifestations contre le régime de son pays, qu’il avait été emprisonné pendant deux mois et dix jours et qu’une fois mis en liberté il avait continué à participer à de telles manifestations. Il affirmait aussi que, s’il était renvoyé dans son pays, il risquait d’être emprisonné ou tué.

15. Le même jour, les autorités enregistrèrent la demande d’asile du requérant. Un récépissé de l’enregistrement et une brochure informative à l’attention des demandeurs d’asile rédigés en farsi lui furent aussitôt signifiés.

16. Le 17 janvier 2011, le requérant formula des objections contre sa détention devant le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli. Il dénonçait ses conditions de détention qu’il qualifiait de dégradantes et une impossibilité de faire examiner sa demande d’asile dans le délai prévu de trois mois à compter de la mise en détention. Il invoquait une violation de l’article 5 de la Convention et de l’article 13 du décret présidentiel no 114/2010.

17. Le 21 janvier 2011, le président du tribunal administratif rejeta les objections ainsi formulées au motif que la détention du requérant était légale car il fallait procéder à la vérification de son identité et des conditions de son entrée en Grèce. Dans sa décision, il relevait, en outre, que le requérant n’avait pas d’adresse connue en Grèce où il pourrait résider de manière stable et qu’il fallait assurer le déroulement rapide et efficace de la procédure d’asile.

18. S’agissant des allégations relatives à de mauvaises conditions de détention, ladite décision précisait que la détention cesserait d’être légale seulement s’il était avéré que les autorités refusaient d’offrir au requérant, dans la mesure du possible, un lieu de détention avec de l’air pur, de la lumière naturelle, du chauffage, de l’eau potable et la possibilité de faire de l’exercice physique et de communiquer avec l’extérieur. Elle relevait que, en l’occurrence, les autorités n’avaient pas opposé au requérant un tel refus, puisque celui-ci pouvait être transféré au poste-frontière de Fylakio qui offrait de meilleures conditions de détention, et que les autorités n’avaient pas non plus refusé d’effectuer un tel transfert.

19. Le 22 février 2011, le directeur de la direction de la police d’Orestiada rejeta la demande d’asile du requérant. Le 22 mars 2011, le requérant introduisit un recours contre cette décision devant la commission des recours de second degré, qui est encore pendant.

20. Entre-temps, le 21 mars 2011, le requérant avait introduit une demande de révocation de la décision du 21 janvier 2011 portant rejet de ses objections devant le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli, sur le fondement de l’article 76 § 5 de la loi no 3386/2005. Il s’appuyait, à titre d’éléments nouveaux, sur les arguments suivants : il avait passé cinq mois en détention et, selon lui, la procédure de vérification de son identité était terminée. Il affirmait que la procédure relative à sa demande d’asile n’était pas encore définitivement réglée. Il soutenait que les conditions de détention au poste-frontière de Soufli et au poste-frontière de Feres avaient empiré et qu’il n’avait pu sortir ou voir la lumière du jour pendant plusieurs mois.

21. Le même jour, le président du tribunal administratif avait rejeté la demande de révocation au motif qu’il n’y avait pas d’éléments nouveaux. Il jugeait que la détention était légale car l’identité, les conditions d’entrée et les origines du requérant n’avaient pas encore été vérifiées. S’agissant des conditions de détention, le président relevait que le requérant ne prouvait pas par des arguments suffisants que les autorités avaient refusé de faire face à ce problème mais que, au contraire, la pratique administrative démontrait la volonté de celles-ci d’améliorer ces conditions.

22. Le 8 avril 2011, le Conseil hellénique pour les réfugiés demanda l’intervention du ministère de la Protection du citoyen pour obtenir la levée de la détention du requérant.

23. Par une lettre du 15 avril 2011, le ministère de la Santé et de la Solidarité informa la direction de la police d’Alexandroupoli qu’une place était disponible pour le requérant au centre de résidence provisoire pour demandeurs d’asile de Lavrio.

24. Le 18 avril 2011, le requérant fut mis en liberté par une décision du directeur de la direction de la police de la région de la Macédoine de l’Est et de Thrace. Cette décision constatait que la procédure d’expulsion devait être suspendue car l’expulsion ne pouvait pas être effectuée et que le requérant disposait d’un délai d’un mois pour quitter le territoire. Le requérant reçut une carte de demandeur d’asile valable jusqu’au 17 juillet 2011.

25. Le requérant déclara qu’il allait résider au 35, rue Menandrou, à Athènes, et il prit l’obligation de se rendre après dix jours à la direction de la police des étrangers d’Attique afin de s’enregistrer.

26. Le 14 novembre 2012, le requérant n’ayant pas procédé au renouvellement de sa carte de demandeur d’asile et étant considéré comme s’étant tacitement désisté de son recours contre la décision de rejet de la demande d’asile, la direction de la police d’Orestiada décida d’interrompre l’examen du recours et de classer son dossier.

27. Il ressort du dossier que le requérant a été détenu dans différents lieux : du 17 octobre au 22 novembre 2010 au poste-frontière de Soufli ; du 22 novembre au 24 novembre 2010 au poste-frontière de Feres ; du 24 novembre au 29 novembre 2010 au poste-frontière de Soufli ; du 29 novembre au 4 décembre 2010 au commissariat de Soufli ; du 4 décembre 2010 au 18 avril 2011 au poste-frontière de Soufli.

28. À la date d’introduction de sa requête devant la Cour, le requérant résidait en Norvège où il avait déposé une demande d’asile.

B. Les conditions de détention selon la version du requérant

29. Le requérant indique avoir été détenu dans une cellule du poste-frontière de Soufli à compter de son arrestation et pendant plusieurs périodes entrecoupées de quelques brefs séjours passés au poste-frontière de Feres et au commissariat de Soufli, lequel se trouve à quelques mètres des locaux du poste-frontière de Soufli. Il déclare que, pendant toute la durée de sa détention, il ne pouvait ni sortir à l’extérieur de ces locaux, ni marcher, ni faire de l’exercice. Il affirme qu’il était détenu dans des dortoirs ou dans des cellules disciplinaires destinées à des détenus de droit commun. La détention prolongée lui aurait causé des sentiments de peur, d’infériorité, de détresse et de stress, et ces sentiments l’auraient amené à se coudre la bouche, comme forme ultime de protestation, et à tenter de se suicider.

30. Le requérant affirme que les locaux du poste-frontière de Soufli accueillaient entre 100 et 200 détenus dans un espace ayant une capacité de 25 personnes, que les détenus dormaient dans les eaux sales des toilettes ou même assis. Il ajoute que la même situation régnait au poste-frontière de Feres, que plus de 100 personnes étaient détenues dans ces locaux et qu’il y dormait à même le sol dans un espace ayant une odeur insoutenable.

31. Le requérant déclare aussi que l’accès au téléphone était très limité et que la délivrance d’une carte téléphonique dépendait du bon vouloir des gardiens.

32. Il indique qu’il n’a reçu aucun produit d’hygiène corporelle, que les couvertures étaient très sales, que la nourriture était d’une qualité nutritionnelle très basse et que les détenus devaient acheter eux-mêmes de l’eau potable.

33. Il affirme également que les cellules ne disposaient ni de chaises, ni de tables, ni d’armoires. Il ajoute qu’il n’y avait pas de chauffage en hiver malgré la rudesse de cette saison dans la région d’Evros.

34. Selon le requérant, sur ces lieux de détention, il n’y avait ni interprète ni assistance juridique et, par conséquent, les détenus n’étaient pas informés de leurs droits et de la procédure d’asile.

C. Les conditions de détention selon la version du Gouvernement

35. Le Gouvernement décrit les différents postes-frontières comme suit.

La capacité du poste-frontière de Soufli s’élevait à 25 personnes. La nourriture des détenus était excellente et était fournie trois fois par jour par la préfecture d’Evros qui recourait aux services d’une société privée de restauration. Des soins médicaux et des médicaments étaient dispensés par des médecins de l’administration sanitaire de la région. Pour les cas qui ne pouvaient être traités sur place, les détenus étaient transférés dans les centres de santé régionaux ou à l’hôpital universitaire d’Alexandroupoli. Un téléphone public à cartes fonctionnait au sein du poste-frontière de Soufli et la communication des détenus avec les avocats était effectuée sans entraves. Des organisations non gouvernementales se rendaient régulièrement au poste-frontière de Soufli pour informer les détenus de leurs droits.

36. Le poste-frontière de Feres avait une capacité de 76 personnes et était destiné à des séjours de courte durée. Les détenus recevaient des produits d’hygiène et sortaient de leurs cellules en fonction des possibilités du service. Des repas étaient distribués trois fois par jour et il était tenu compte des convictions religieuses des détenus. Des soins médicaux et des médicaments étaient fournis par des médecins de l’administration sanitaire de la région. Pour les cas qui ne pouvaient être traités sur place, les détenus étaient transférés dans les centres de santé régionaux ou à l’hôpital universitaire d’Alexandroupoli.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

37. Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont exposés dans les arrêts C.D. et autres c. Grèce (nos 33441/10, 33468/10 et 33476/10, §§ 27-33, 19 décembre 2013) et Barjamaj c. Grèce (no 36657/11, §§ 17-23, 2 mai 2013).

EN DROIT

I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 5 § 1 ET 5 § 4 DE LA CONVENTION

38. Invoquant l’article 5 § 1, le requérant se plaint d’une illégalité de sa détention car, selon lui, celle-ci était contraire aux dispositions de l’article 13 du décret 114/2010. Il reproche aux autorités d’avoir décidé de sa mise en détention alors qu’elles auraient refusé d’enregistrer sa demande d’asile, d’avoir maintenu sa détention alors que l’expulsion n’aurait pas été immédiatement exécutoire et d’avoir exécuté cette détention dans des conditions contraires à l’article 3 de la Convention.

39. Le requérant se plaint, en outre, sous l’angle de l’article 5 § 4, de ne pas avoir eu accès, dès le début de sa détention, aux voies de recours offertes par le droit grec. Il dénonce aussi la formulation d’objections contre la détention en ce qu’elle ne constituerait pas un recours effectif. Il se plaint également de ne pas avoir été informé dans une langue qu’il comprenait des motifs de sa détention et des voies de recours offertes par le droit grec.

40. Le délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 vise à assurer la sécurité juridique en garantissant que les affaires qui soulèvent des questions au regard de la Convention puissent être examinées dans un délai raisonnable et que les décisions passées ne soient pas indéfiniment susceptibles d’être remises en cause. Cette règle marque la limite temporelle du contrôle effectué par les organes de la Convention et indique aux particuliers comme aux autorités la période au-delà de laquelle ce contrôle ne peut plus s’exercer. En règle générale, le délai de six mois commence à courir à la date de la décision définitive intervenue dans le cadre du processus d’épuisement des voies de recours internes (Varnava et autres c. Turquie [GC], nos 16064/90, 16065/90, 16066/90, 16068/90, 16069/90, 16070/90, 16071/90, 16072/90 et 16073/90, §§ 156-157, CEDH 2009-).

41. En l’espèce, la Cour note que le requérant a fait usage de la voie de recours que constitue la formulation d’objections et la demande de révocation, en application des paragraphes 3 et 5 de l’article 76 de la loi no 3386/2005. Le 21 janvier 2011, puis le 21 mars 2011, le président du tribunal administratif a rejeté respectivement les objections et la demande de révocation présentées par le requérant et par lesquelles celui-ci contestait la légalité de sa détention. Or, le requérant n’a saisi la Cour que le 7 octobre 2011, soit plus de six mois après les décisions susmentionnées.

42. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour non-respect du délai de six mois, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 3 ET 13 DE LA CONVENTION

43. Le requérant se plaint de ses conditions de détention dans les postes- frontières de Soufli et de Feres et de l’absence d’un recours effectif pour se plaindre de ces conditions. Il allègue une violation des articles 3 et 13 de la Convention, qui sont ainsi libellés :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Sur la recevabilité

44. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes car, n’ayant pas procédé au renouvellement de sa carte de demandeur d’asile, il n’aurait pas donné aux autorités grecques, et notamment à la commission des recours de second degré, l’occasion de se prononcer de manière définitive sur la demande d’asile.

45. Le requérant rétorque qu’il s’est plaint de ses conditions de détention à deux reprises devant le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli mais que celles-ci n’ont pas connu d’amélioration. Il affirme aussi que les conditions de détention dans les centres de rétention de la région d’Evros constituent un problème systémique connu des autorités.

46. S’agissant de son grief sur le terrain de l’article 13 de la Convention, le requérant soutient que l’article 76 de la loi no 3386/2055, même dans sa version amendée, ne constitue pas un recours effectif en matière de conditions de détention car, à ses yeux, cette disposition ne prévoit pas un examen réel et individualisé par le président du tribunal administratif des griefs de l’étranger concerné et ne donne pas à ce juge le pouvoir de mettre fin à la détention ou d’ordonner l’amélioration des conditions y relatives.

47. En l’espèce, la Cour considère que même si les arguments du Gouvernement sont formulés en relation avec l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3, ils concernent en réalité non pas les conditions de détention du requérant en tant que telles, mais plutôt des aspects liés à la légalité de la détention, conformément au paragraphe 1 de l’article 5, et au contrôle de celle-ci au titre du paragraphe 4 de la même disposition. En effet, l’exception de non-épuisement que le Gouvernement soulève sous l’angle de l’article 13 combiné avec l’article 3, est intimement liée à la procédure relative à la demande d’asile du requérant et la détention y afférente. Or, cet aspect de la requête a été examiné par la Cour au regard de l’article 5 et rejeté comme irrecevable.

48. En ce qui concerne le grief du requérant tiré de l’article 13, la Cour constate qu’il porte pour l’essentiel sur l’effectivité du contrôle exercé par le président du tribunal administratif à travers les objections formulées au titre de l’article 76 de la loi no 3386/2005. Or, dans les circonstances de l’espèce, la Cour a considéré, dans le cadre de l’examen de la violation alléguée de l’article 5 de la Convention, que le requérant avait saisi la Cour plus de six mois après les décisions du président du tribunal administratif dont il se plaint. Par conséquent, le grief susmentionné doit aussi être rejeté pour non-respect de ce délai.

49. Constatant, en revanche, que le grief relatif à l’article 3 n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité (soulevé quant à lui dans le délai de six mois), la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

50. Le Gouvernement soutient que le requérant soulève des griefs de caractère général et n’indique pas de faits précis permettant d’établir une violation de l’article 3 de la Convention à son encontre. Se basant sur les conditions de détention existant dans les postes-frontières telles que décrites par lui, il estime que le requérant n’a pas subi de pression physique ou psychologique ou de détresse émotionnelle telles qu’on pourrait les qualifier de traitement dégradant.

51. Le requérant réitère sa version des faits selon laquelle il a été détenu dans des cellules surpeuplées, et ce sans voir le soleil pendant six mois et sans avoir la possibilité de pratiquer une quelconque activité physique à l’extérieur. Il réaffirme que l’impact de ses conditions de détention a été tel qu’il a été poussé à se coudre les lèvres et à faire une grève de la faim.

52. La Cour rappelle que, pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de l’espèce, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, parmi d’autres, Van der Ven c. Pays‑Bas, no 50901/99, § 47, CEDH 2003‑II). La Cour a ainsi jugé qu’un traitement était « dégradant » en ce qu’il était de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier et à les avilir (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 92, CEDH 2000‑XI).

53. La Cour rappelle également que les mesures privatives de liberté s’accompagnent inévitablement de souffrance et d’humiliation. Il s’agit là d’un état de fait inéluctable qui, en tant que tel et à lui seul n’emporte pas violation de l’article 3 de la Convention. Cette disposition impose néanmoins à l’État de s’assurer que toute personne est détenue dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités de sa détention ne la soumettent pas à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à une telle mesure et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, sa santé et son bien-être sont assurés de manière adéquate (Kudła, précité, §§ 92-94, et Ramirez Sanchez c. France [GC], no 59450/00, § 119, CEDH 2006‑IX).

54. En l’occurrence, la Cour souligne qu’elle a déjà conclu à la violation de l’article 3 de la Convention, à plusieurs reprises, dans des affaires relatives aux conditions de détention d’étrangers dans des postes-frontières grecs, et notamment dans ceux de Feres et Soufli (S.D. c. Grèce, no 53541/07, 11 juin 2009, M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, 21 janvier 2011, R.U. c. Grèce, no 2237/08, 7 juin 2011, A.F. c. Grèce, no 53709/11, 13 juin 2013, B.M. c. Grèce, no 53608/11, 19 décembre 2013).

55. La Cour relève en l’espèce que, sur une période totale de six mois, le requérant a été détenu la plus grande partie du temps au poste-frontière de Soufli (à l’exception de deux courtes périodes, à savoir deux jours et cinq jours pendant lesquels il a été détenu respectivement au poste-frontière de Feres et au commissariat de Soufli). La Cour a pris note des constats concernant ce poste-frontière effectués par le CPT (dans son rapport du 10 janvier 2012), le représentant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (à la suite de la visite effectuée du 29 septembre au 1er octobre 2010), la Commission nationale pour les droits de l’homme et le médiateur de la République (à la suite de leur visite effectuée du 18 au 20 mars 2011) et cités dans l’arrêt B.M. c. Grèce précité. Il en ressort que rien n’avait changé, lors du séjour du requérant à Soufli, par rapport à la situation relevée dans les arrêts précités.

56. Dans ces circonstances, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument susceptible de contredire ces constats et pouvant mener dans la présente espèce à une conclusion différente de celle à laquelle elle est parvenue dans les affaires précitées.

57. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 3 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

58. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

59. Le requérant réclame 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il dit avoir subi.

60. Le Gouvernement soutient que la somme réclamée est excessive et estime que le constat d’une violation constituerait une satisfaction équitable suffisante.

61. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 6 500 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

62. Le requérant, qui a bénéficié de l’assistance judiciaire, ne présente pas de demande au titre des frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

63. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable en ce qui concerne le grief tiré de l’article 3 et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à raison des conditions de détention du requérant dans le centre de rétention de Soufli ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 6 500 EUR (six mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 octobre 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenIsabelle Berro-Lefèvre
GreffierPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-146777
Date de la décision : 09/10/2014
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant;Traitement inhumain) (Volet matériel)

Parties
Demandeurs : H.H.
Défendeurs : GRÈCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : TZEFERAKOU I.-M. ; TSAPOPOULOU A. ; VELIVASAKI E.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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