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28/05/2014 | CEDH | N°001-144148

CEDH | CEDH, AFFAIRE TSOKAS ET AUTRES c. GRÈCE, 2014, 001-144148


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE TSOKAS ET AUTRES c. GRÈCE

(Requête no 41513/12)

ARRÊT

STRASBOURG

28 mai 2014

DÉFINITIF

28/08/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Tsokas et autres c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffran

que,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
Ksenija Turković, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chamb...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE TSOKAS ET AUTRES c. GRÈCE

(Requête no 41513/12)

ARRÊT

STRASBOURG

28 mai 2014

DÉFINITIF

28/08/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Tsokas et autres c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
Ksenija Turković, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 mai 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 41513/12) dirigée contre la République hellénique et dont six ressortissants de cet Etat, dont les noms figurent en annexe (« les requérants »), ont saisi la Cour le 28 juin 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par Me E.-L. Koutra, avocate à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, M. V. Kyriazopoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l’Etat, et Mme M. Yermani, auditrice auprès du Conseil juridique de l’Etat.

3. Les requérants se plaignent en particulier d’une violation de l’article 3 de la Convention en raison des conditions de leur détention.

4. Le 22 novembre 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérants, condamnés à des peines de réclusion de plusieurs années pour des crimes à caractère sexuel, ont été détenus ou purgent toujours leur peine à la prison de Tripoli (Péloponnèse). Cette prison accueille uniquement des prévenus ou des condamnés pour des infractions liées aux mœurs. Tous les requérants ont travaillé à la prison de Tripoli pendant un certain nombre de jours, ce qui leur donnait à tous droit à des remises de peine.

A. Le cas individuel des requérants

1. M. Kallios Katratzopoulos-Katratzis

6. Le requérant, alors en bonne santé, commença à purger sa peine le 30 avril 2008 à la prison de Tripoli (dortoir no 5). Le 19 janvier 2011, il fut transféré, à la suite de ses demandes répétées, à l’hôpital public de Tripoli où les médecins diagnostiquèrent un cancer de l’hypoglosse (cavité buccale). Toutefois, aucun traitement ni aucune opération ne furent prescrits.

7. Le 22 mars 2012, le requérant fut transféré de la prison de Tripoli au dispensaire de la prison de Korydallos (Aghios Pavlos) à Athènes. À ses dires, pendant son hospitalisation au dispensaire, il avait seulement été soumis à une radiographie et un électrocardiogramme, alors qu’il y aurait été transféré en urgence en raison de son cancer.

8. Le 8 mai 2012, il fut transféré à l’hôpital oncologique Aghios Savvas, à Athènes, où les médecins constatèrent que le cancer avait atteint le niveau 4 et qu’il avait métastasé vers le pharynx. Il fut soumis à une chimiothérapie.

9. Le 6 juin 2012, il fut transféré au dispensaire de la prison de Korydallos. Selon l’avocate du requérant, la cause de ce transfert était un projet de rénovation de la chambre dans laquelle il était hospitalisé.

10. Le 18 juin 2012, il fut transféré à l’hôpital Aghios Savvas pour une nouvelle chimiothérapie et, le 13 juillet 2012, il fut renvoyé au dispensaire de la prison.

11. Le 18 juillet 2012, il fut de nouveau admis à l’hôpital Aghios Savvas pour un traitement par radiothérapie qui devait durer de quatre à six mois.

12. Dans un rapport établi le 18 octobre 2012 par le directeur du service radiologique de l’hôpital Aghios Savvas, il est souligné que l’état de santé de ce patient s’était détérioré les jours précédents, que son transfert était désormais impossible et qu’il avait été décidé d’arrêter le traitement.

13. Le 19 octobre 2012, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel rejeta une demande de mise en liberté du requérant, fondée sur l’article 565 du code de procédure pénale (doute quant à la nature ou la durée de la peine), au motif qu’une telle mesure n’avait jamais été prise auparavant.

14. Le 2 novembre 2012, le requérant demanda sa mise en liberté conditionnelle.

15. Le requérant décéda à la prison de Korydallos le 8 novembre 2012, aux dires de son avocate dans une cellule surpeuplée.

16. Pendant sa détention, le requérant avait travaillé 531 jours. En outre, selon ses affirmations, son frère lui aurait versé à plusieurs reprises certaines sommes – 50.000 euros – pour améliorer ses conditions de détention.

2. M. Panagiotis Athanasopoulos

17. Le requérant fut placé en détention le 25 juin 2008 à la prison de Tripoli (dortoir no 3). Avant son incarcération, il avait été opéré du cœur (triple pontage). Il était diabétique, mais, en dépit de ses demandes réitérées et de celles de son épouse, il ne bénéficia pas en prison d’un régime alimentaire adapté. Il souffrait également d’hypertension artérielle, pour laquelle il était traité. La proposition de son épouse de fournir elle-même les repas du requérant fut rejetée « pour raisons de sécurité ».

18. Le 8 septembre 2011, le requérant fut transféré à l’hôpital public de Tripoli puis, le 9 septembre 2011, à l’hôpital public Gennimatas, à Athènes, où l’on diagnostiqua un adénocarcinome au gros intestin avec des métastases aux ganglions lymphatiques. Le 21 septembre 2011, il fut opéré dans cet hôpital et commença une chimiothérapie qui prit fin en mai 2012. Le requérant soutient s’être plaint pendant deux mois de douleurs et d’hémorragies au côlon avant d’obtenir l’autorisation des autorités de la prison d’être transféré à l’hôpital de Tripoli.

19. Alors qu’il avait été placé au dispensaire de la prison de Korydallos, il fut retransféré à la prison de Tripoli du 27 juin au 12 juillet 2012 et du 25 juillet au 23 août 2012.

20. Le 17 septembre 2012, à la suite d’un iléus, il fut transféré à nouveau à l’hôpital Gennimatas. Il y subit une nouvelle opération qui révéla qu’il était atteint d’un cancer généralisé dans la région ventrale. Le chirurgien attesta que, à la suite de l’opération, le requérant « se trouv[ait] dans un état général critique et a[vait] besoin d’être assisté 24 heures sur 24 ».

21. Le 18 novembre 2012, le requérant fut transféré à l’hôpital public Tzaneio du Pirée car ses reins ne fonctionnaient plus depuis quelques jours. Selon les affirmations de l’avocate de l’intéressé, les médecins informèrent la famille de son client que s’il n’avait pas été transféré à l’hôpital il serait mort en l’espace de quelques heures. Les médecins auraient aussi affirmé qu’il ne restait au requérant que quelques jours à vivre.

22. D’après l’épouse du requérant, le transfert de celui-ci à l’hôpital public susmentionné aurait eu lieu à la suite de ses interventions répétées et pressantes auprès des autorités de la prison de Korydallos.

23. Le 18 novembre 2012, le requérant saisit le tribunal correctionnel d’une demande tendant à sa mise en liberté sur le fondement de l’article 565 du code de procédure pénale (le tribunal correctionnel statue sur toute objection exprimée quant à l’exécution de l’arrêt de condamnation, la nature et la durée de la peine). Le requérant se prévalait, entre autres, de la décision de la Cour d’appliquer l’article 39 à son codétenu, M. Katratzopoulos-Katratzis, qui se trouvait aussi à un stade terminal de la maladie. Le 25 novembre 2012 le tribunal rejeta la demande du requérant et, à l’avocate de celui-ci qui demandait à entendre les motifs du rejet, le tribunal répondit : « Vous les lirez quand la décision sera prête. » L’avocate insista et le tribunal lui répondit que la demande était rejetée car elle n’était pas fondée sur l’article 110A du code pénal (mise en liberté conditionnelle en cas de maladie grave) ou sur l’article 557 du code de procédure pénale (suspension de l’exécution de la peine).

24. Un certificat médical établi le 13 décembre 2012 par le dispensaire de la prison de Korydallos attestait que l’état du requérant s’était beaucoup dégradé et que le pronostic vital était engagé, mais qu’il n’était pas possible de dire quand la mort pourrait survenir.

25. Le 14 décembre 2012, l’avocate du requérant informa la Cour que les tumeurs du requérant s’étaient étendues et qu’elles faisaient pression sur ses reins, au point de causer une anurie nécessitant la pose d’une sonde.

26. Le requérant décéda à la prison de Korydallos le 21 décembre 2012.

27. Pendant sa détention, le requérant avait travaillé 533 jours.

3. M. Nikolaos Tsokas

28. Le requérant est incarcéré à la prison de Tripoli depuis le 27 octobre 2009 (dortoir no 3). Une demande d’autorisation de sortie, initialement rejetée par le conseil de la prison, fut accueillie à la suite d’un recours du requérant devant le tribunal correctionnel.

29. Pendant sa détention, le requérant a travaillé 298 jours.

4. M. Andreas Bilias

30. Condamné à une peine de réclusion de dix-huit ans, le requérant est incarcéré à la prison de Tripoli (dortoir no 6) depuis le 29 septembre 2010. Il dit souffrir de dépression.

31. Pendant sa détention, le requérant a travaillé 68 jours.

5. M. Fotios Sgardelis

32. Le requérant est incarcéré depuis le 1er juillet 2008 (dortoir no 3). Il dit souffrir de dépression.

33. Un an après son incarcération et alors qu’il travaillait en prison, il fut victime d’un accident du travail et perdit son pouce. Cet accident l’empêchera d’exécuter, après sa libération, les tâches inhérentes à son métier d’agriculteur pêcheur.

34. Il se vit rejeter six demandes d’autorisation de sortie.

35. Il sollicita par écrit auprès de l’administration de la prison l’obtention de l’assistance judiciaire en vue d’introduire des actions contre l’Etat, mais il ne reçut aucune réponse.

36. Pendant sa détention, le requérant a travaillé 590 jours.

6. M. Ioannis Zafiropoulos

37. Accusé en juin 2001, le requérant fut condamné en première instance en 2008 à une peine d’emprisonnement de dix-huit ans, réduite en appel en 2011 à douze ans. Il est incarcéré à la prison de Tripoli depuis le 1er juillet 2008 (dortoir no 3).

38. Souffrant d’une hernie discale, il a subi en 2005 une opération qui avait contribué à faire disparaître les symptômes. En 2007, il ressentit à nouveau des symptômes de cette pathologie après avoir soulevé un objet pesant. Il fournit un certificat médical, établi le 2 juin 2009 par le chirurgien qui le suivait avant son incarcération, qui atteste de la récidive de la pathologie et de l’apparition de douleurs dorsales.

39. Pendant son incarcération, et en raison de l’effet non suspensif de l’appel qu’il avait formé contre sa condamnation, le requérant saisit plusieurs fois les tribunaux d’une action en suspension de l’exécution de la sentence, invoquant les conséquences néfastes qu’aurait cet effet non suspensif sur sa situation patrimoniale et familiale et soutenant que ses problèmes de santé ne pouvaient pas être traités en prison. La cour d’appel d’Athènes, par ses décisions nos 2693/2008, 2377/2009 et 2472/2010, et la cour d’assises d’Athènes, par ses décisions nos 408 et 409/2010, rejetèrent les actions du requérant au motif que les problèmes de santé et les symptômes décrits pouvaient être traités de manière adéquate au sein de la prison.

40. Le requérant travaille en prison (il a déjà travaillé 595 jours donnant droit à une remise de peine) et, selon les médecins, il est préférable pour l’intéressé de travailler et d’être ainsi en position assise pendant la journée plutôt que de rester couché sur un lit, comme il le serait s’il ne travaillait pas. Une demande d’autorisation de sortie, initialement rejetée par le conseil de la prison, fut accordée à la suite d’un recours formé par le requérant devant le tribunal correctionnel.

B. Les conditions de détention à la prison de Tripoli

1. La version des requérants

41. Les requérants s’accordent pour décrire comme suit les conditions de détention à la prison de Tripoli.

La prison a une capacité d’accueil de 65 détenus environ, la majorité d’entre eux étant accusés d’avoir commis ou condamnés pour avoir commis des infractions à caractère sexuel. Elle est composée de 4 dortoirs de 48 m² ayant chacun 17 lits doubles et accueillant 34 détenus, et d’un autre de 45 m² (le dortoir no 3) contenant 16 lits et accueillant 36 détenus à la date du dépôt des observations des requérants. Un espace de 40 à 50 cm sépare les lits qui sont superposés (deux ou trois étages) et accolés par deux. Enfin, un couloir de 50 m² (sans fenêtres ni ventilation) a été transformé en dortoir (no 6). Les détenus du dortoir no 3 (36 détenus) et ceux qui sont placés dans le couloir (30 détenus) partagent les 2 WC du dortoir no 3. Les dortoirs nos 1, 3, 4 et 5 disposent de 2 WC et le dortoir no 2 de 3 WC.

42. Les requérants fournissent un tableau établi par le ministère de la Justice qui confirme que la capacité officielle de la prison de Tripoli est de 65 détenus et que, le 1er janvier 2009, celle-ci en accueillait 177 (soit un taux d’occupation de 272,31 %).

43. La prison accueillait près de 185 détenus à la date de l’introduction de la requête et 215 détenus à la date du dépôt des observations des requérants. Chaque détenu dispose de 1,40 m². Dans les périodes où la prison accueille 200 détenus environ, certains d’entre eux dorment dans des cagibis au-dessus des toilettes.

44. Neuf douches sont situées dans la cour de la prison, de sorte que les détenus doivent sortir pour s’y rendre même si les températures sont hivernales.

45. Les dortoirs sont chauffés par six poêles à mazout qui fonctionnent quelques heures par jour mais ne chauffent pas suffisamment. Il n’y a ni climatisation ni ventilateurs pour l’été. Chaque dortoir est équipé d’un téléviseur et d’un réfrigérateur.

46. La cour a une superficie de 900 m² environ, ce qui est insuffisant lorsque la prison accueille 200 détenus. Cette superficie comprend aussi 3 WC dans un état « lamentable », les douches, le parloir et l’espace de récréation. Il n’y a ni chaises ni bancs où les détenus pourraient s’asseoir. Il n’y a pas d’espace couvert permettant de faire de l’exercice.

47. Il n’y a pas d’assistante sociale et la seule psychiatre, qui a comme tâche d’émettre des recommandations relativement aux demandes d’autorisation de sortie des détenus, a contribué, de par ses nombreux avis négatifs, à créer un climat peu propice aux interventions à visée thérapeutique.

48. L’espace réservé au parloir, inférieur à 13 m², peut accueillir quatre personnes. Les détenus se plaignent de ne pouvoir s’entretenir de manière confidentielle avec leurs avocats en raison de la proximité des gardiens.

49. L’espace de récréation, non chauffé en hiver, a une superficie de 40 m² et ne dispose que d’une table de ping-pong.

50. L’espace de distribution de la nourriture n’est pas abrité. Les repas ne comprennent pas de viande autre que sous forme de « viande hachée ». Du poisson est servi une fois tous les trois mois et il n’y a ni fruits ni desserts en raison d’une réduction du budget. La nourriture est de très mauvaise qualité. Il est interdit aux détenus de commander des fruits à l’extérieur (sauf des oranges et des clémentines) et aux familles de leur apporter de la nourriture.

51. Il n’y a ni réfectoire ni chaises et les détenus mangent par terre, debout ou sur les lits. La cour n’a pas d’abri de sorte que, quand il pleut, ils doivent rester à l’intérieur car il leur est interdit d’avoir des parapluies.

52. Le nettoyage des dortoirs et l’achat des produits d’entretien sont assurés par les détenus eux-mêmes. Les autorités de la prison effectuent une désinfection une fois par an. Faute de machines à laver, les vêtements et le linge de lit sont lavés à la main dans de grandes bassines.

2. La version du Gouvernement

53. Le Gouvernement décrit la prison de Tripoli comme suit. La surface totale de la prison est de 1 150 m² dont une partie de 310 m² environ est occupée par les 6 dortoirs (dortoirs nos 1, 3, 4 et 5 : 50 m² chacun, dortoirs nos 2 et 6 : 55 m² chacun, le dernier accueillant 30 détenus environ), le restant étant l’espace réservé à la promenade des détenus. Chaque dortoir est équipé de deux WC, à l’exception du dortoir no 3 qui en a trois. Chaque dortoir a quatre fenêtres et est chauffé. Il y a de l’eau chaude 24 heures sur 24. Chaque détenu dispose d’un lit et d’une table de nuit.

54. La propreté des dortoirs est suffisante et relève de la responsabilité des détenus qui sont affectés à cette tâche (au total 23 détenus).

55. L’espace réservé à la promenade est lui aussi équipé de toilettes.

56. Le parloir a une surface de 13 m² et l’espace de récréation de 70 m².

57. La capacité totale de la prison est de 110 détenus environ. Pendant la détention des requérants, le nombre des détenus était compris entre 180 et 190.

58. La nourriture est suffisante en quantité et les menus sont programmés sur une base hebdomadaire. Le requérant Athanasopoulos suivait un régime spécial sur les conseils du médecin de la prison.

59. Enfin, la prison est équipée d’une infirmerie où sont présents quotidiennement un médecin généraliste, un psychologue et un infirmier.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. La loi no 2776/1999 (code pénitentiaire)

60. Aux termes de l’article 6 de la loi no 2776/1999 :

« 1. En cas d’acte ou d’ordre illégaux à leur encontre, les détenus ont le droit de se référer par écrit et à une fréquence raisonnable au conseil de la prison lorsque les dispositions du présent code ne prévoient pas d’autre recours. En cas de manquement de l’administration à prendre une décision, les détenus ont le droit de saisir le tribunal de l’exécution des peines dans un délai de quinze jours ou d’un mois respectivement à compter de la notification d’une décision de rejet ou de l’introduction de leur demande. Si ce tribunal accueille la requête quant au fond, il ordonne les mesures susceptibles d’effacer les conséquences de l’action ou de l’ordre illégaux.

(...) »

61. L’article 21 de la même loi traite de l’espace de vie des détenus. Il précise ce qui suit :

« 1. Chaque maison d’arrêt (...) est divisée en plusieurs secteurs, sans possibilité de communication entre les détenus qui y sont placés. Ces secteurs peuvent inclure des cellules et, de manière exceptionnelle, des dortoirs d’une capacité maximale de six personnes de préférence.

(...)

4. Les dortoirs doivent être d’une superficie d’au moins 6 m2 pour chaque détenu et être équipés de lits, d’armoires et de tables d’une surface suffisante ainsi que de chaises en nombre suffisant.

5. Les cellules individuelles et les dortoirs ont leurs propres installations de chauffage et d’hygiène (lavabos, toilettes). Chaque installation sanitaire doit servir au plus à trois détenus. L’existence d’une douche dans les cellules et dans les dortoirs n’est pas nécessaire s’il y a un nombre suffisant d’installations communes, avec eau froide et chaude, pour l’hygiène individuelle et la propreté de chaque détenu.

(...) »

B. Le Règlement intérieur des établissements pénitentiaires

62. La décision ministérielle no 58819 du 7 avril 2003 portant Règlement intérieur des établissements pénitentiaires prévoit :

Article 7

Supervision par le procureur

« 2. Le procureur superviseur ou son adjoint exercent des compétences juridictionnelles, disciplinaires et de contrôle. En particulier, le procureur superviseur :

– veille à l’application des dispositions en vigueur concernant le traitement des détenus (...) ;

– entend à leur demande les détenus, leurs proches ou leurs avocats ;

– examine les questions de protection juridictionnelle des détenus en indiquant aux intéressés les démarches à suivre et transmet aux autorités compétentes les demandes d’aide juridictionnelle des détenus qui sont dans l’impossibilité financière de saisir la justice (...) ;

– veille à la réalisation d’un contrôle sanitaire de l’établissement à des intervalles réguliers (...) et exceptionnellement lorsqu’il estime un tel contrôle nécessaire (...) »

Article 31

Droits des détenus

« (...)

Plus particulièrement, les détenus ont le droit :

(...)

3. de saisir par écrit toute autorité publique, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’établissement, et de demander leur protection légale aux tribunaux. A cet égard, ils ont le droit de s’adresser par écrit au conseil de la prison lorsqu’un acte illégal a été commis à leur encontre (...). Ils peuvent saisir la chambre d’accusation du tribunal correctionnel du lieu de l’exécution de la peine si leur demande a été rejetée par le conseil de la prison (...). En cas de recours devant la chambre d’accusation, ils peuvent déposer des observations et, si la chambre le demande, comparaître personnellement ou être représentés par un avocat.

(...) »

C. Le code de procédure pénale

63. Les dispositions pertinentes en l’espèce du code de procédure pénale sont ainsi libellées :

Article 497

« (...)

7. Lorsque l’accusé a été condamné par un jugement d’une juridiction de première instance à une peine privative de liberté et qu’il a formé un appel n’ayant pas d’effet suspensif, le procureur ou l’accusé lui-même peuvent demander qu’il soit sursis à l’exécution de la peine imposée jusqu’au prononcé de l’arrêt de la juridiction de deuxième instance.

(...) »

Article 557

« 1. L’exécution d’une peine privative de liberté peut être suspendue dans les cas prévus par les articles 429 § 3 et 556, alinéas a, b et c, ainsi que par les paragraphes 2 et 7 du présent article.

2. Dans le cas où le détenu est hospitalisé, conformément aux dispositions pertinentes, et s’il souffre d’une maladie tellement grave que le maintien de son hospitalisation dans tout hôpital ne permet pas de prévenir la dégradation irréversible de son état de santé ou présente un danger pour sa vie, celui-ci peut demander son admission dans un autre établissement spécifiquement mentionné pour poursuivre son traitement à ses propres frais. Le traitement médical à domicile est exclu.

3. Le tribunal compétent se prononce sur cette demande en motivant sa décision de manière spécifique et circonstanciée. Cette décision est rendue après la production de a) l’avis de deux médecins légistes ou, à défaut, de deux médecins engagés par un établissement public sur la nécessité de transférer le demandeur au centre hospitalier proposé par lui-même, b) l’avis de l’établissement où l’intéressé est hospitalisé et c) l’avis du centre hospitalier vers lequel l’intéressé sollicite son transfert.

4. Si le tribunal fait droit à la demande du requérant, il ordonne le sursis à exécution de la peine de l’intéressé pour une période maximale de cinq mois. L’intéressé ou le procureur peuvent soumettre au tribunal une nouvelle demande avant l’expiration dudit délai en vue de voir proroger le sursis à exécution de la peine par périodes de cinq mois au maximum, s’il y a lieu.

(...)

7. Dans des cas exceptionnels, le tribunal peut, à la demande du détenu, ordonner son élargissement si le sursis à exécution de la peine ne peut empêcher un dommage irréversible à la santé de l’intéressé ou si son pronostic vital est engagé. Le traitement médical du patient à domicile doit véritablement empêcher la détérioration irréversible de son état de santé.

(...) »

64. La jurisprudence de la Cour de cassation admet qu’il ressort des articles 370, 504 et 506 combinés du code de procédure pénale que la décision de la cour d’appel sur la demande – formée en vertu de l’article 557 du code de procédure pénale – de suspension de l’exécution de la peine infligée n’est pas susceptible de pourvoi (arrêt de la Cour de cassation no 749/2005).

Article 565

« Tout doute ou objection quant à l’exécution du jugement ainsi qu’à la nature ou la durée de la peine est levé par le tribunal correctionnel du lieu de l’exécution de la peine. Le procureur et le condamné peuvent se pourvoir en cassation contre cette décision. »

Article 572

« 1. Le procureur près le tribunal correctionnel du lieu où la peine est purgée exerce les compétences prévues par le code [de procédure pénale] concernant le traitement des détenus et contrôle l’exécution des peines et l’application des mesures de sécurité, conformément aux dispositions du présent code, du code pénal et des lois y afférentes.

2. En vue d’exercer les fonctions susmentionnées, le procureur près le tribunal correctionnel se rend à la prison au moins une fois par semaine. Lors de ces visites, il entend les détenus qui ont préalablement sollicité une audition.

(...) »

D. Le code pénal

65. L’article 110A du code pénal dispose :

« 1. La libération conditionnelle est accordée indépendamment de la réalisation des conditions visées aux articles 105 et 106 si le condamné souffre du syndrome d’immunodéficience acquise, d’insuffisance rénale chronique imposant une hémodialyse régulière ou de tuberculose tenace, s’il est tétraplégique, s’il est atteint d’une cirrhose du foie ayant entraîné une invalidité de plus de 67 %, s’il souffre de démence sénile et qu’il a dépassé l’âge de quatre-vingts ans révolus, ou s’il est atteint de néoplasmes malins en phase terminale.

2. La vérification des conditions du premier paragraphe est faite, à la demande du condamné, par la chambre d’accusation du tribunal correctionnel compétent, qui ordonne une expertise spéciale dont le déroulement est fixé par une décision commune des ministres de la Justice et de la Santé, de la Prévoyance et de la Sécurité sociale.

3. La libération conditionnelle décidée en vertu du premier paragraphe du présent article est inscrite au casier judiciaire et est accordée une seule fois. »

66. Une décision ministérielle du 25 janvier 2010 fixe la procédure relative à l’expertise qui permet d’établir si les conditions de l’article 110A § 1 se trouvent réunies. Un expert nommé par la chambre d’accusation du tribunal correctionnel soumet au directeur de l’établissement pénitentiaire une demande de transfert immédiat du détenu vers un hôpital public ayant les moyens de diagnostiquer la maladie dont il s’agit, lorsque ce diagnostic ne peut pas être fait par le dispensaire de la prison de Korydallos. Lors de son séjour à l’hôpital public, le détenu subit le contrôle clinique décidé par le directeur de l’hôpital, lequel rédige son diagnostic. Le directeur de l’établissement pénitentiaire ou le directeur du dispensaire de la prison de Korydallos transmet immédiatement le dossier du détenu à l’expert, lequel dresse son rapport.

EN DROIT

I. SUR LA QUALITÉ DES HÉRITIERS DES DEUX PREMIERS REQUÉRANTS POUR AGIR AU NOM DE CEUX-CI

67. Les deux premiers requérants, M. K. Katratzopoulos-Katratzis et M. P. Athanasopoulos, sont décédés respectivement le 8 novembre 2012 et le 21 décembre 2012. Par deux lettres du 23 novembre et du 18 janvier 2013, l’avocate des requérants a informé la Cour que le frère du premier requérant, M. Vassilios Katratzopoulos, ainsi que la veuve, Mme Roïdoula Karayanni, et les deux enfants du second, M. Vassilios Athanasopoulos et M. Ioannis Athanasopoulos, souhaitaient poursuivre la procédure devant elle.

68. Le Gouvernement invite la Cour à radier l’affaire du rôle en ce qui concerne les deux requérants susmentionnés, au motif qu’à ses yeux les personnes qui ont déclaré souhaiter poursuivre la procédure ne démontrent qu’ils ont la qualité de victime. Il indique que, en premier lieu, elles n’ont produit aucun certificat prouvant leur lien de parenté avec feu les requérants ou leur qualité d’héritiers et qu’elles n’ont pas non plus démontré l’existence de liens affectifs avec leurs proches pendant l’incarcération de ceux-ci. Il indique, en deuxième lieu, que le droit protégé par l’article 3 n’est pas transférable et renvoie à cet égard à la décision Sanles Sanles c. Espagne ((déc.), no 48335/99, CEDH 2000-XI). Il indique, en troisième lieu, que le but réel des proches des requérants est d’obtenir réparation d’un dommage (direct ou indirect) subi personnellement. Or, selon le Gouvernement, le droit interne grec permet aux proches des détenus décédés d’introduire soit des actions en dommages-intérêts (le Gouvernement renvoie aux articles 932 du code civil et 105 de la loi d’accompagnement du code civil) contre l’administration pénitentiaire qui n’a pas fourni les soins appropriés, soit une action pénale pour homicide par omission.

69. La Cour rappelle que, dans plusieurs affaires où un requérant était décédé pendant la procédure, elle a pris en compte la volonté de poursuivre celle-ci exprimée par des héritiers ou parents proches (Deweer c. Belgique, 27 février 1980, §§ 37-38, série A no 35, X c. Royaume-Uni, 5 novembre 1981, § 32, série A no 46, Vocaturo c. Italie, 24 mai 1991, § 2, série A no 206-C, G. c. Italie, 27 février 1992, § 2, série A no 228-F, Pandolfelli et Palumbo c. Italie, 27 février 1992, § 2, série A no 231-B, X c. France, 31 mars 1992, § 26, série A no 234-C, et Raimondo c. Italie, 22 février 1994, § 2, série A no 281-A), ou l’existence d’un intérêt légitime revendiqué par une personne désireuse de maintenir la requête (Malhous c. République tchèque (déc.) [GC], no 33071/96, CEDH 2000-XII).

70. En fait, le successeur d’un requérant décédé peut poursuivre autre chose que des intérêts matériels en déclarant vouloir maintenir la requête. Les affaires portées devant la Cour présentent généralement aussi une dimension morale, et les proches d’un requérant peuvent donc avoir un intérêt légitime à veiller à ce que justice soit rendue, même après le décès du requérant (Malhous précité). Tel est, a fortiori, le cas en l’espèce, compte tenu du fait que l’objet de la requête – le manque allégué des soins médicaux adéquats en prison, est lié au décès des deux des requérants, et entraîne l’application d’une disposition appartenant au noyau dur de la Convention (Hristozov et autres c. Bulgarie, no 47039/11 et 358/12, § 73, CEDH 2012-...).

71. La Cour rappelle aussi que, dans l’affaire Sanles Sanles (précitée), elle a jugé que la requérante, belle-sœur d’une personne qui était décédée volontairement, pouvait certes prétendre avoir été touchée de près par les circonstances ayant entouré ce décès, mais que les droits qu’elle réclamait au titre des articles 2, 3, 5, 8, 9 et 14 de la Convention appartenaient à la catégorie des droits non transférables.

72. La Cour estime cependant que l’affaire Sanles Sanles se différencie de la présente affaire, dans la mesure où la victime directe y était décédée avant la saisine de la Cour (Raimondo c. Italie, arrêt du 22 février 1994, série A no 281-A, § 2, et Stojkovic c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, no 14818/02, § 25, 8 novembre 2007). En l’espèce, les requérants MM. Katratzopoulos-Katratzis et Athanasopoulos avaient saisi eux-mêmes la Cour en même temps que les autres requérants.

73. La Cour estime, en outre, que le caractère transférable ou non du droit découlant de l’article 3 ne saurait être déterminant en l’espèce car la dimension morale de l’affaire et l’implication des héritiers des requérants pendant l’incarcération de ces derniers suffisent à faire naître à leur profit un intérêt légitime à veiller à ce que justice soit rendue. Ainsi, la Cour relève que la veuve de M. Athanasopoulos était intervenue auprès des autorités de la prison de Korydallos pour que son mari fût transféré aux hôpitaux publics Gennimatas et Tzaneio et qu’elle avait proposé de préparer et d’apporter des repas adaptés au diabète et à l’hypertension dont son époux souffrait. Elle note aussi, s’agissant du frère du défunt M. Katratzopoulos-Katratzis, que celui-ci a versé à plusieurs reprises au détenu certaines sommes – 50 000 euros selon lui – pour améliorer ses conditions de détention, mais aussi pour qu’il puisse mener autant que possible une vie normale lorsqu’il aurait retrouvé la liberté.

74. La Cour considère dès lors qu’en l’espèce les conditions permettant de rayer une affaire du rôle, telles que définies à l’article 37 § 1 de la Convention, ne sont pas remplies en ce qui concerne les héritiers du premier et du deuxième requérant et que ceux-ci ont un intérêt de poursuivre la requête aux lieu et place des deux victimes directes.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

75. Invoquant l’article 3 de la Convention, les requérants se plaignent des conditions de leur détention à la prison de Tripoli, et certains d’entre eux de l’absence de soins appropriés à leur état de santé. Cette disposition est ainsi libellée :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

76. Le Gouvernement excipe en premier lieu du non-épuisement des voies de recours internes. Il soutient que les requérants ont omis de saisir le conseil de la prison ou de demander audience auprès du procureur superviseur, comme le permettraient les dispositions du Règlement intérieur des établissements pénitentiaires et l’article 572 du code de procédure pénale, pour réclamer une amélioration de leurs conditions de détention. Il considère qu’il ressort de l’arrêt Vaden c. Grèce (no 35115/03, 29 mars 2007) et de la décision Gehre c. Grèce (no 5294/02, 5 juillet 2007) que la Cour a considéré comme effectifs et suffisants les recours prévus à l’article 6 du code pénitentiaire et à l’article 572 du code de procédure pénale.

77. Les requérants soutiennent que les recours susmentionnés ne peuvent pas être considérés comme « des voies de recours » au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, surtout s’agissant de la prison de Tripoli. Ils soutiennent que les recours prévus à l’article 6 du code pénitentiaire et à l’article 572 du code de procédure pénale ne conduisent pas à un examen effectif des conditions de détention dans la prison de Tripoli, qui souffre d’après eux d’un problème systémique de surpopulation, ni à l’adoption des mesures qui s’imposent. Quant aux demandes d’audition par le procureur superviseur ou le directeur de la prison, elles ne seraient pas enregistrées et, de toute manière, elles n’entraîneraient aucune amélioration des conditions, bien au contraire. Les détenus auteurs de telles demandes seraient stigmatisés comme provocateurs, et ce sans espoir de transfert vers une autre prison, car seule la prison de Tripoli serait à même d’accueillir des condamnés pour des crimes à caractère sexuel. Enfin, ils soulignent que toutes les démarches effectuées par les trois requérants atteints de graves problèmes de santé auprès du procureur superviseur et des tribunaux en vue de leur mise en liberté conditionnelle ont échoué.

78. La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention impose à la personne désireuse d’intenter une action devant elle l’obligation d’utiliser auparavant les recours qui sont normalement disponibles dans le système juridique du pays concerné et suffisants pour lui permettre d’obtenir le redressement des violations qu’elle allègue. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues. L’article 35 § 1 impose aussi de soulever devant l’organe interne adéquat, au moins en substance et dans les formes et délais prescrits par le droit interne, les griefs que l’on entend formuler par la suite, mais il n’impose pas d’user de recours qui sont inadéquats ou ineffectifs (Aksoy c. Turquie, 18 décembre 1996, §§ 51-52, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, et Issaïeva et autres c. Russie, nos 57947/00, 57948/00 et 57949/00, § 144, 24 février 2005).

79. En l’espèce, la Cour note que les griefs des requérants ont trait, d’une part, aux conditions de détention résultant de la surpopulation qui règne dans la prison de Tripoli et, d’autre part, à la détérioration alléguée de l’état de santé de certains d’entre eux qui serait due à l’insuffisance de soins médicaux.

80. En ce qui concerne la première branche du grief, la Cour rappelle que la surpopulation carcérale – qui engendre d’autres problèmes en ce qui concerne les conditions de détention –, l’état général de la prison et la qualité de la nourriture s’apparentent à un phénomène structurel et ne concernent pas exclusivement le cas particulier des requérants. Elle considère qu’il n’a pas été démontré que les recours indiqués par le Gouvernement eussent à eux seuls suffi à remédier à la situation se trouvant à l’origine de cet aspect des griefs des requérants tirés de l’article 3 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Nisiotis c. Grèce, no 34704/08, § 29, 10 février 2011, et Nieciecki c. Grèce, no 11677/11, § 41, 4 décembre 2012).

81. Quant à la deuxième branche du grief, la Cour relève que les requérants aux prises avec des problèmes de santé ont saisi, d’une part, les instances de la prison aux fins de leur transfert à l’hôpital de la prison ou à l’hôpital public et, d’autre part, les instances judiciaires compétentes afin de demander leur mise en liberté conditionnelle. Toutefois, celles-ci ont rejeté les recours de mise en liberté et de suspension d’exécution de la peine des requérants : les 19 octobre et 25 novembre 2012, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel d’Athènes les recours de MM. Katratzopoulos-Katratzis et Athanasopoulos respectivement ; la cour d’appel d’Athènes et la cour d’assises d’Athènes par leurs décisions no 2472/2010 et nos 408 et 409/2010 les recours de M. Zafiropoulos.

82. La Cour estime donc devoir rejeter l’exception du Gouvernement. Constatant, par ailleurs, que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, elle le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Les arguments des parties

a) Le Gouvernement

83. Le Gouvernement se réfère à sa description des conditions de détention dans la prison de Tripoli (paragraphes 53-59 ci-dessus). Il soutient que le seuil de gravité requis par l’article 3 pour pouvoir affirmer que les conditions de détention des requérants constituaient un traitement inhumain et dégradant n’a pas été franchi en l’espèce. Il estime, de manière générale, qu’en examinant les conditions de détention dans les prisons la Cour ne se fonde pas uniquement sur le critère de l’espace attribué à chaque détenu, mais qu’elle prend en compte d’autres critères, tels que la possibilité d’utiliser des toilettes privatives, l’aération, la lumière naturelle, le chauffage central, le respect des règles d’hygiène, la possibilité de promenade, la durée de la détention ainsi que l’état physique et mental du détenu (Sulejmanovic c. Italie, no 22635/02, 16 juillet 2009 ; Vlassov c. Russie, no 78146/01, 12 juin 2008 ; Babouchkine c. Russie, no 67253/01, 18 octobre 2007, et Trepachkine c. Russie, no 36898/03, 19 juillet 2007).

84. Enfin, aux dires du Gouvernement, la Cour a conclu à la non-violation de l’article 3 de la Convention dans les arrêts Valasinas c. Lituanie (no 44558/98, 24 juillet 2001, et Labzov c. Russie (no 62208/00, 16 juin 2005), et ce en dépit d’un espace personnel des requérants de 2,70 à 3,30 m² et de 1 m².

b) Les requérants

85. Les requérants rétorquent que la description faite par le Gouvernement contient plusieurs inexactitudes, notamment en ce qui concerne la superficie de la cour, l’accès à l’eau chaude, le chauffage, l’hygiène et l’alimentation des détenus et plus particulièrement de certains des requérants, et que le Gouvernement a évité de prendre position sur certains aspects du grief, notamment la qualité de la nourriture.

86. Plus particulièrement, en ce qui concerne la surpopulation, les requérants indiquent que le nombre des détenus est passé de 185 à 215 depuis l’introduction de la requête et que le nombre de détenus installés dans le couloir de la prison (baptisé dortoir no 6 par le Gouvernement) est passé de 16 à 30. De plus, quatre détenus vivraient en permanence dans une cellule disciplinaire de 5 m² ne disposant ni de fenêtre ni de chauffage. En outre, trois détenus dans le dortoir no 3 et trois autres dans le dortoir no 5 dormiraient dans des cagibis au-dessus des toilettes.

87. Enfin, pour trois requérants ayant connu des problèmes de santé, les autorités pénitentiaires et judiciaires n’auraient pas pris les mesures qui s’imposaient pour éviter la détérioration de leur état.

88. Ainsi, M. Katratzopoulos-Katratzis dénonçait les faits suivants. Le 19 janvier 2011 les médecins de l’hôpital de Tripoli, où il a été transféré suite à ses demandes insistantes, lui ont diagnostiqué un cancer de l’hypoglosse. Toutefois, pendant plus d’un an, il n’a fait l’objet d’aucune opération et aucune mesure thérapeutique et a dû rester incarcéré dans des conditions difficiles dans la prison de Tripoli. Ce n’est qu’en mars 2012 qu’il a été transféré à l’hôpital Aghios Pavlos de la prison de Korydallos où il est resté pendant six semaines, mais il a subi comme seul examen un examen radiologique et un électrocardiogramme. Lorsqu’il a été hospitalisé à l’hôpital Aghios Savvas en mai 2012, on lui a diagnostiqué des métastases au pharynx et une aggravation générale de la maladie.

89. M. Athanasopoulos se plaignait que : les autorités pénitentiaires aient attendu deux mois avant de le transférer à l’hôpital public de Tripoli, alors qu’il aurait souffert d’une hémorragie du côlon ; qu’il ait été réincarcéré après sa chimiothérapie, et ce malgré la fragilisation de son système immunitaire ; qu’il ait subi plusieurs allers-retours inutiles à ses yeux entre l’hôpital et la prison ; que les autorités aient refusé de le libérer alors qu’il se serait trouvé en phase finale de sa maladie pour lui permettre de mourir « dans la dignité » et que la procédure prévue par l’article 110A du code pénal à cet égard soit trop longue.

90. M. Zafiropoulos se plaint : d’un refus des autorités pénitentiaires de l’autoriser à avoir un matelas spécial ; des conditions de vie dans la prison, d’un manque d’exercice et d’une impossibilité de bénéficier de séances de kinésithérapie dans la prison, ce qui a, d’après lui, contribué à la dégradation de sa santé ; des rejets par les autorités judiciaires de ses demandes visant à la suspension d’exécution de sa peine.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

91. D’une part, en ce qui concerne les conditions matérielles de détention et notamment la surpopulation dans les prisons, la Cour renvoie aux principes ressortant de sa jurisprudence tels que récemment rappelés dans les arrêts Ananyev et autres c. Russie (nos 42525/07 et 60800/08, §§ 139 à 159, 10 janvier 2012) et Tzamalis et autres c. Grèce (no 15894/09, §§ 38 à 40, 4 décembre 2012).

92. D’autre part, s’agissant des personnes privées de liberté, elle rappelle que l’article 3 de la Convention impose à l’Etat l’obligation d’organiser son système pénitentiaire de façon à assurer aux détenus le respect de leur dignité humaine (Soukhovoy c. Russie, no 63955/00, § 31, 27 mars 2008, et Benediktov c. Russie, no 106/02, § 37, 10 mai 2007). Cette obligation positive requiert que les modalités d’exécution des mesures prises ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier soient assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis (Mouisel c. France, no 67263/01, § 40, CEDH 2002-IX).

93. En outre, la Cour rappelle que, en principe, le manque de soins médicaux appropriés peut constituer un traitement contraire à l’article 3 (İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 87, CEDH 2000-VII, et Gennadiy Naoumenko c. Ukraine, no 42023/98, § 112, 10 février 2004). A cet égard, elle examine tout d’abord si le malade a bénéficié d’une assistance médicale adéquate et si les soins médicaux dispensés étaient adaptés à sa situation particulière (Khatayev c. Russie, no 56994/09, § 84, 11 octobre 2011). L’efficacité du traitement dispensé présuppose ainsi que les autorités pénitentiaires administrent au détenu les soins médicaux prescrits par des médecins compétents (Soysal c. Turquie, no 50091/99, § 50, 3 mai 2007, et Gorodnitchev c. Russie, no 52058/99, § 91, 24 mai 2007). De plus, la diligence et la fréquence avec lesquelles les soins médicaux sont dispensés à l’intéressé sont deux éléments à prendre en compte pour mesurer la compatibilité de son traitement avec les exigences de l’article 3. La Cour n’évalue pas ces deux facteurs en des termes absolus, mais en tenant compte chaque fois de l’état de santé particulier du détenu (Serifis c. Grèce, no 27695/03, § 35, 2 novembre 2006 ; Rohde c. Danemark, no 69332/01, § 106, 21 juillet 2005 ; Iorgov c. Bulgarie, no 40653/98, § 85, 11 mars 2004, et Sediri c. France (déc.), no 4310/05, 10 avril 2007). En général, la dégradation de la santé du détenu ne joue pas en soi un rôle déterminant quant au respect de l’article 3 de la Convention. La Cour examinera à chaque fois si une telle altération était imputable à des lacunes dans les soins médicaux dispensés (Kotsaftis c. Grèce, no 39780/06, § 53, 12 juin 2008).

b) Application des principes à la présente espèce

i. En ce qui concerne les conditions matérielles de détention dans la prison de Tripoli

94. La Cour rappelle à titre liminaire que les requérants ont été condamnés à de longues peines et qu’ils ont été incarcérés à la prison de Tripoli à différentes dates en 2008, 2009 et 2010. Ils ont été (M. Athanasopoulos) ou sont placés dans le « dortoir » no 3 de cette prison, à l’exception de M. Bilias, placé dans le « dortoir » no 6 et de M. Katratzopoulos-Katratzis, placé dans le « dortoir » no 5.

95. La Cour relève que les requérants ont fourni un tableau établi par le ministère de la Justice qui indique que la capacité officielle de la prison de Tripoli est de 65 détenus et que, le 1er janvier 2009, celle-ci en accueillait 177 (soit un taux d’occupation de 272,31 %). Les intéressés fournissent aussi des croquis des « dortoirs » avec la disposition des lits et des autres meubles qui démontrent l’exiguïté des lieux. Ce tableau et ces croquis n’ont pas fait l’objet de commentaires de la part du Gouvernement.

96. La Cour note que le Gouvernement ne conteste pas non plus le nombre total des détenus indiqué par les requérants, soit 185 à la date de l’introduction de la requête, le 28 juin 2012, et 215 à celle du dépôt de leurs observations, le 18 février 2013, ni celui annoncé dans les « dortoirs » no 3 et no 6, soit 36 et 30 respectivement.

97. La seule divergence entre les requérants et le Gouvernement porte sur la superficie de ces « dortoirs » : 45 m² et 50 m² selon les requérants, 50 m² et 55 m² selon le Gouvernement. Quelle que soit la superficie exacte, la Cour note que, dans tous les cas, l’espace attribué aux requérants était inférieur à celui qui, selon sa jurisprudence rappelée dans l’arrêt Ananyev et autres (précité, § 145), suffit à conclure à la violation de l’article 3 sur cette seule base, soit 3 m².

98. La Cour note de surcroît que le Gouvernement ne conteste pas l’argument des requérants selon lequel l’absence de réfectoire dans la prison oblige les détenus à manger sur leurs lits. Elle relève que le Gouvernement déclare en plus ne pas être en mesure d’indiquer le nombre quotidien d’heures de travail effectuées par les requérants. Elle ne peut donc évaluer le temps que les requérants étaient autorisés à passer dans un environnement non surpeuplé.

99. Eu égard à tout ce qui précède, la Cour considère que l’effet cumulé de la promiscuité et des autres manquements relevés ont provoqué chez les requérants des sentiments de désespoir et d’infériorité propres à les humilier et à les rabaisser. Dès lors, elle estime que pareilles conditions de détention s’analysent en un traitement dégradant au sens de l’article 3 de la Convention. Partant, il y a eu violation de cette disposition.

ii. En ce qui concerne la qualité de l’assistance médicale et des soins fournis aux requérants MM. Athanasopoulos et Zafiropoulos

100. Dans leurs observations devant la Cour, les deux requérants focalisent leur argumentation sur la qualité des soins médicaux administrés tout au long de leur détention. Partant, la Cour examinera la pertinence du traitement médical dispensé aux intéressés eu égard à leurs pathologies.

101. Elle note que le premier requérant critique le retard, injustifié selon lui, pris par les autorités compétentes dans le traitement de sa pathologie et dans son transfert vers un hôpital spécialisé, et qu’il met en doute l’opportunité de le maintenir en détention pendant la phase finale de sa maladie. Elle relève que les autorités pénitentiaires ont prouvé leur volonté de dispenser au requérant un traitement médicalement encadré : le 8 septembre 2011, l’intéressé a été transféré à l’hôpital public de Tripoli et, le lendemain, à l’hôpital Gennimatas, à Athènes, où il a subi une opération et une chimiothérapie. Le 17 septembre 2012, il a été retransféré à ce dernier hôpital pour y être une nouvelle fois opéré, puis, le 18 novembre 2012, il a été conduit à l’hôpital Tzaneio car ses reins ne fonctionnaient plus. En l’absence de tout document médical sur la compatibilité de l’état du requérant avec la détention, la Cour n’est pas en mesure de déterminer si le retard allégué de la décision des autorités de le faire hospitaliser avait ou non un caractère primordial dans le contexte de l’aggravation de sa maladie, ni de prendre position sur l’opportunité des allers retours entre l’hôpital et la prison aux mois de juillet et d’août 2012.

102. En outre, la Cour n’aperçoit pas pour quelle raison le requérant a attendu le 18 novembre 2012, soit une date aussi tardive par rapport à son état de santé, pour saisir le tribunal correctionnel d’une demande de mise en liberté. Elle estime que, compte tenu de la détérioration de son état, qui était visible depuis la fin de 2011, l’intéressé aurait pu introduire un recours fondé soit sur l’article 557 du code de procédure pénale soit sur l’article 110A du code pénal, après s’être conformé aux conditions posées par ces articles, qui ne semblent pas déraisonnables (paragraphes 63 et 65-66 ci-dessus).

103. Dans ces circonstances, la Cour estime qu’on ne saurait reprocher aux autorités pénitentiaires de ne pas avoir fait ce que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles à l’égard de la pathologie du premier requérant et d’avoir failli à dispenser à l’intéressé l’assistance médicale qu’il était en droit de recevoir.

104. Quant au deuxième requérant, qui souffre d’une hernie discale, la Cour note qu’il a subi en 2005 une opération qui a contribué à faire disparaître les symptômes. Toutefois, à partir de 2007, le requérant a ressenti à nouveau les symptômes de cette pathologie, ce qui a été attesté par écrit en 2009 par le chirurgien qui le soignait avant son incarcération. Condamné en 2008, le requérant a formé contre cette condamnation un appel dont l’effet n’était pas suspensif. Il a alors saisi à plusieurs reprises les juridictions internes de recours tendant à la suspension de l’exécution de sa peine en invoquant, entre autres, son état de santé. Les juridictions internes ont rejeté ses demandes au motif que l’intéressé était particulièrement dangereux et qu’il risquait de prendre la fuite, et que ses symptômes pouvaient être traités efficacement au sein de la prison.

105. Or la Cour constate que, depuis ces décisions, dont les dernières datent de 2010, le requérant ne s’est jamais plaint auprès des autorités pénitentiaires de son état de santé et qu’il n’a jamais demandé à bénéficier d’un traitement ou à être transféré à l’hôpital que ce soit avant ou après l’introduction de la présente requête, le 28 juin 2012. En revanche, elle note qu’il travaille dans la prison et que, selon les médecins, il est préférable pour lui de travailler et d’être ainsi en position assise pendant la journée plutôt que de rester en position couchée, ce qui serait le cas s’il ne travaillait pas.

106. Par conséquent, on ne saurait reprocher ni aux autorités pénitentiaires de ne pas avoir mis en place un traitement spécifique ou de ne pas avoir pris des mesures permettant de rendre moins éprouvante la pathologie du second requérant, ni aux autorités judiciaires d’avoir rejeté les demandes visant à la suspension de l’exécution de la peine de celui-ci. Il n’y a donc pas eu non plus violation de l’article 3 s’agissant de l’assistance médicale que le second requérant était en droit d’attendre.

iii. En ce qui concerne la qualité de l’assistance médicale et des soins fournis au requérant M. Katratzopoulos-Katratzis

107. La Cour note que le 19 janvier 2011 les médecins de l’hôpital de Tripoli, où le requérant a été transféré suite à ses demandes insistantes, lui ont diagnostiqué un cancer de l’hypoglosse. En dépit de la gravité de la maladie diagnostiquée, aucun traitement n’a été prescrit. Ce n’est que le 22 mars 2012 que le requérant a été transféré au dispensaire de la prison de Korydallos où il n’aurait subi qu’un examen radiologique et un électrocardiogramme. Lorsqu’il a été transféré, le 8 mai 2012, à l’hôpital Aghios Savvas, spécialisé dans le traitement du cancer, les médecins ont constaté que le cancer avait atteint le niveau 4 et métastasé vers le pharynx. Ce n’est qu’en ce moment que le requérant a reçu sa première chimiothérapie. Le 6 juin 2012, il a été renvoyé au dispensaire de la prison de Korydallos. A partir de cette date, le requérant a fait l’objet de plusieurs transferts vers l’hôpital Aghios Savvas pour les besoins de la chimiothérapie.

108. La Cour relève qu’en dépit du diagnostic d’une maladie aussi grave que le cancer, les autorités carcérales n’ont pris aucune mesure spéciale afin d’y faire face pendant une période d’environ seize mois. Diagnostiqué cancéreux le 19 janvier 2011, le requérant n’a reçu sa première chimiothérapie que le 8 mai 2012. Même le court séjour au dispensaire de la prison de Korydallos entre le 22 mars et le 8 mai n’a pas donné lieu à des soins appropriés à l’exception d’un examen de routine sans rapport direct avec un traitement adapté à ce type de maladie. Il apparaît donc que, pendant une longue période, les autorités ont manqué à leur obligation de prodiguer des soins adéquats dans un cas de maladie aussi grave et le Gouvernement ne fournit pas d’explication sur cette absence de diligence.

109. La Cour considère que le requérant, pendant sa détention, n’a pas bénéficié de la surveillance médicale nécessaire et des soins médicaux appropriés. Il y a donc eu violation de l’article 3 sur ce point en ce qui concerne le requérant M. Katratzopoulos-Katratzis.

III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

110. Les requérants invoquent d’autres griefs sous l’angle des articles 2, 5, 6, 8 et 10 de la Convention.

111. Invoquant l’article 2 de la Convention (volets substantiel et procédural), les trois requérants malades se plaignent que les autorités de la prison les aient maintenus en détention, n’aient pas pris des mesures rapides, adéquates et adaptées à leur état de santé ni mené aucune enquête pour vérifier si leur détention était compatible avec leur état, et que, ce faisant, elles aient mis et mettent leur vie en danger.

112. Invoquant ensuite l’article 8 de la Convention, les requérants se plaignent de l’absence dans la prison d’un espace privé où ils pourraient se retrouver avec leurs compagnes ainsi que de l’absence d’un traitement psychiatrique adapté aux troubles qui les auraient conduits à commettre des infractions à caractère sexuel.

113. Invoquant en outre l’article 10 de la Convention, ils se plaignent de l’absence de journaux, de magazines, d’accès à internet et d’un espace propice aux conversations confidentielles avec leurs avocats.

114. La Cour note que ces griefs se confondent pour l’essentiel avec ceux relatifs aux conditions de détention tirés de l’article 3 de la Convention et les déclare donc recevables. Cependant, compte tenu de sa conclusion quant à cette disposition, elle estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément ces griefs.

115. Invoquant de surcroît l’article 5 de la Convention et renvoyant à l’arrêt De Donder et De Clippel c. Belgique (no 8595/06, 6 décembre 2011), les requérants soutiennent que leur détention n’est pas « légale », au sens de cet article, arguant que, étant tous condamnés pour des infractions à caractère sexuel, ils ne sont pas détenus dans des établissements où ils pourraient bénéficier de soins médicaux adaptés aux problèmes psychiatriques qui les auraient conduits à commettre ce type d’infraction.

116. Invoquant enfin l’article 6 § 1 de la Convention, ils se plaignent que le conseil de la prison ne rende pas de décision motivée lorsqu’il rejette leurs demandes d’autorisation de sortie.

117. La Cour note quant à ces griefs que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes, faute de les avoir soumis devant les juridictions internes. Elle conclut donc que cette partie de la requête doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

118. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

119. Les requérants réclament des sommes pour préjudice matériel et préjudice moral. M. Katratzopoulos-Katratzis : respectivement 55 000 euros (EUR), dont 50 000 EUR pour rembourser sa dette envers son frère qui avait assumé tous les frais relatifs à son incarcération et 620 000 EUR, dont 20 000 EUR pour son frère qui n’a pas pu être près de lui lors de ses derniers moments en raison du fait que le Gouvernement ne s’est pas conformé à la mesure provisoire ordonnée par la Cour ; M. Athanasopoulos : respectivement 6 000 EUR et 300 000 EUR ; M. Tsokas : respectivement 168 422,30 EUR et 124 500 EUR ; M. Bilias : respectivement 11 400 EUR et 136 500 EUR ; M. Sgardelis : respectivement 209 000 EUR et 373 500 EUR ; M. Zafiropoulos : respectivement 26 800 EUR et 373 500 EUR. Le dommage matériel correspondrait à des frais engagés au sein de la prison pour de la nourriture ou des produits d’hygiène et à des salaires non perçus en raison de leur détention. Le dommage moral couvrirait les conditions de détention mais aussi, s’agissant de M. Sgardelis, la perte d’un doigt consécutif à un accident de travail en prison et, s’agissant de M. Zafiropoulos, l’aggravation de sa hernie discale.

120. En ce qui concerne le préjudice matériel, le Gouvernement soutient que l’existence de frais qui auraient été exposés au sein de la prison n’est pas démontrée et que la perte des salaires, à ses yeux conséquence normale de l’emprisonnement, n’est pas concernée par le constat de violation de l’article 3. Plus particulièrement, en ce qui concerne M. Katratzopoulos-Katratzis, le Gouvernement souligne que même si ce requérant avait guéri de son cancer ou était mis en liberté, on ne saurait spéculer s’il aurait les ressources suffisantes pour rembourser son frère. Quant au préjudice moral, le Gouvernement considère que les sommes demandées sont excessives et que le constat de violation auquel est parvenue la Cour constitue en soi une satisfaction équitable suffisante.

121. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et les dommages matériels allégués et rejette les demandes faites à ce titre. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer pour préjudice moral les sommes suivantes : 18 800 EUR à M. Tsokas, 15 300 EUR à M. Bilias, 23 400 EUR à M. Sgardelis et 23 400 EUR à M. Zafiropoulos, ainsi que 26 200 EUR au frère de M. Katratzopoulos-Katratzis et 20 200 EUR à la veuve de M. Athanasopoulos. Concernant les deux enfants de M. Athanasopoulos, la Cour estime que le présent arrêt constitue par lui-même une satisfaction équitable suffisante quant au tort moral allégué (voir, mutatis mutandis, Nencheva et autres c. Bulgarie, no 48609/06, §§ 162 et 164, 18 juin 2013).

B. Frais et dépens

122. Les requérants demandent chacun la somme de 6 000 EUR, à verser directement à leur avocate, pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Cette somme a été fixée par un accord conclu avec leur avocate, selon lequel elle ne serait due qu’en cas d’issue favorable de la requête. La veuve de M. Athanasopoulos réclame en plus la somme de 229 EUR, augmentée de la TVA, pour l’action engagée devant le tribunal correctionnel tendant à la mise en liberté du requérant avant son décès. Enfin, M. Zafiropoulos réclame la somme de 2 400 EUR qu’il dit avoir engagée devant les juridictions internes pour ses demandes visant à la suspension d’exécution de sa peine.

123. Le Gouvernement considère que les sommes demandées sont excessives.

124. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En outre, les accords conclus entre les avocats et les requérants ne font naître des obligations qu’entre eux et ne sauraient lier la Cour, qui doit évaluer le niveau des frais et dépens à rembourser non seulement par rapport à la réalité des frais allégués, mais aussi par rapport à leur caractère raisonnable (Iatridis c. Grèce (article 41) [GC], no 31107/96, § 55, 19 octobre 2000). En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’accorder conjointement aux requérants la somme de 6 000 EUR tous frais confondus.

C. Intérêts moratoires

125. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 2, 3, 8 et 10 de la Convention à l’égard de tous les requérants et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne les conditions matérielles de détention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne la qualité de l’assistance et des soins fournis au requérant M. Katratzopoulos-Katratzis ;

4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne la qualité de l’assistance et des soins fournis aux requérants MM. Athanasopoulos et Zafiropoulos ;

5. Dit qu’il n’est pas nécessaire de statuer sur les griefs tirés des articles 2, 8 et 10 de la Convention ;

6. Dit que le constat de la violation constitue une satisfaction équitable pour le dommage moral subi par les deux enfants de M. Athanasopoulos ;

7. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i) 18 800 EUR (dix-huit mille huit cents euros) à M. Tsokas, 15 300 EUR (quinze mille trois cents euros) à M. Bilias, 23 400 EUR (vingt-trois mille quatre cents euros) à M. Sgardelis et 23 400 EUR (vingt-trois mille quatre cents euros) à M. Zafiropoulos, ainsi que 20 200 EUR (vingt mille deux cents euros) à la veuve de M. Athanasopoulos et 26 200 EUR (vingt-six mille deux cents euros) au frère de M. Katratzopoulos-Katratzis, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 6 000 EUR (six mille euros), conjointement à MM. Tsokas, Bilias, Sgardelis et Zafiropoulos, ainsi qu’à la veuve de M. Athanasopoulos et le frère de M. Katratzopoulos-Katratzis, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par ces personnes, pour frais et dépens, à verser sur le compte bancaire de leur représentant ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

8. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 mai 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenIsabelle Berro-Lefèvre
GreffierPrésidente

ANNEXE

1. Kallios KATRATZOPOULOS-KATRATZIS, né le 5 janvier 1951 ;
2. Panagiotis ATHANASOPOULOS, né le 6 mai 1976 ;
3. Nikolaos TSOKAS, né le 15 mai 1963 ;
4. Andreas BILIAS, né le 23 novembre 1952 ;
5. Fotios SGARDELIS (date de naissance non précisée) ;
6. Ioannis ZAFIROPOULOS, né le 21 juillet 1973.


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