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27/05/2014 | CEDH | N°001-144588

CEDH | CEDH, AFFAIRE BUCHS c. SUISSE – [Traduction française] par O. Bleicker, 2014, 001-144588


Traduction non officielle par O. Bleicker

Deuxième section

Affaire Buchs c. Suisse

(Requête no 9929/12)

Arrêt

Strasbourg
27 mai 2014

DÉFINITIF

27/08/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Buchs c. Suisse,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président, Işıl Karakaş, Nebojša Vučinić, Helen Keller, Paul Lemm

ens, Egidijus Kūris, Robert Spano, juges, et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 avril 201...

Traduction non officielle par O. Bleicker

Deuxième section

Affaire Buchs c. Suisse

(Requête no 9929/12)

Arrêt

Strasbourg
27 mai 2014

DÉFINITIF

27/08/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Buchs c. Suisse,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président, Işıl Karakaş, Nebojša Vučinić, Helen Keller, Paul Lemmens, Egidijus Kūris, Robert Spano, juges, et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 avril 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 9929/12) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant de cet État, Mr S. B. (« le requérant »), a saisi la Cour le 3 février 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Mr N. Perret, avocat à Nyon. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mr F. Schürmann, de l’Office fédéral de la Justice.

3. Le requérant affirme que les tribunaux nationaux ont méconnu son droit au respect de sa vie familiale et qu’il a été victime de discrimination, en sa qualité de père, en raison de son sexe.

4. Le 7 septembre 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

5. Le 1er février 2014, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La deuxième section a continué à traiter cette affaire (art. 52 § 1).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Le requérant est né en 1960 et réside à Cully (canton de Vaud).

7. Le requérant est père de trois enfants. Sa fille aînée, née en 1986, est issue d’une relation antérieure et vit avec lui. En 1995, le requérant épousa son (actuelle) ex-femme, avec qui il eut deux enfants, nés en 1996 et 1999.

8. Le requérant et son épouse se sont séparés en 2002. La séparation a été prononcée le 16 mai 2002 par le Tribunal civil de l’arrondissement de l’Est Vaudois (« le Tribunal civil ») et la mère a obtenu la garde de leurs deux enfants communs en raison, notamment, de leur jeune âge (le plus jeune avait trois ans au moment de la décision). Pour sa part, le requérant obtint un large droit de visite, s’exerçant librement d’entente avec son épouse. Depuis lors, il confirma que ses enfants séjournèrent régulièrement chez lui le jeudi de la sortie de l’école au vendredi matin à la reprise de l’école et, une semaine sur deux, du vendredi à la sortie de l’école au lundi matin à la reprise de l’école. Ils passèrent de plus la moitié de leurs vacances scolaires – environ sept semaines par année – avec lui. Il a estimé que cela représentait environ 42 % de leur temps. Sa fille aînée, issue d’une relation antérieure, réside chez lui.

9. Le 11 janvier 2005, le requérant a déposé une demande unilatérale en divorce devant le Tribunal civil. Après que son épouse y répondit le 8 mars 2005, le couple présenta une requête commune en divorce le 17 janvier 2006. En sus, les deux parties requirent l’octroi de l’autorité parentale exclusive et la garde des enfants.

10. Afin de décider à qui attribuer l’autorité parentale, le Tribunal civil confia l’exécution d’une expertise à un médecin du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du canton de Vaud. Le rapport de l’expert, qui repose sur plusieurs entretiens avec les parents et les enfants, a été établi le 18 juillet 2006. Il en ressort que les deux enfants se trouvaient dans un conflit de loyauté à l’égard de leurs parents, qui connaissaient de profondes dissensions, et qu’il en est résulté une volonté de partager leur temps équitablement entre eux. De plus, alors que le requérant souhaitait obtenir l’autorité parentale conjointe, son épouse s’y opposait. Elle expliquait son opposition par la circonstance que le requérant avait essayé d’exercer des pressions sur elle et qu’il avait fait d’incessantes demandes concernant les enfants. Elle craignait qu’il utilise l’autorité parentale conjointe pour augmenter son influence sur les enfants et les éloigner d’elle. À cet égard, elle a également relevé qu’il a utilisé des stratégies inappropriées pour obtenir la garde de sa fille aînée, qui vivait avec lui, et l’a influencée négativement contre sa mère. Toutefois, l’épouse du requérant était largement en faveur de la poursuite d’un contact entre les enfants et leur père et favorisait son droit de visite étendu. S’agissant du requérant, l’expert observa que, bien qu’il était conscient qu’il entretenait un contact régulier avec ses enfants, il exprimait néanmoins le sentiment qu’il n’était pas accepté comme l’autre parent et qu’il avait été relégué à un rôle de père payeur (« paying father »). L’expert releva également que le couple n’était pas d’accord sur de nombreuses questions relatives aux enfants, ce qui avait un impact négatif sur eux. Au regard de la circonstance que l’épouse du requérant était une bonne mère et a montré de la bonne volonté pour coopérer avec le requérant, l’expert recommanda de lui attribuer l’autorité parentale et d’accorder au requérant un droit de visite étendu. En outre, le plus jeune des enfants a exprimé le souhait de rester proche de sa mère et les enfants étaient socialement bien intégrés au domicile de leur mère et dans leur école.

11. Le requérant a contesté cette expertise et le Tribunal civil a accepté d’en ordonner une deuxième. Le 31 mars 2008, le deuxième expert, également spécialisé dans les soins psychiatriques et psychologiques des enfants et adolescents, est arrivé à la même conclusion que le premier expert. Il a appuyé ses conclusions sur les nombreux documents remis par le Tribunal civil et les parents, ainsi que sur les entretiens qu’il a conduits avec tous les membres de la famille. En préambule, il observa que, malgré l’écoulement d’un délai de deux ans entre l’élaboration des deux rapports d’expertise, le requérant et son épouse étaient toujours en conflit et n’ont pas été en mesure de trouver une base commune pour s’entendre sur les questions relatives aux enfants. En outre, ils avaient tous les deux des difficultés pour reconnaître les capacités parentales de l’autre. Cela étant, l’expert reconnut que les deux parents avaient de bonnes capacités parentales et qu’ils étaient en mesure de créer un environnement adéquat pour leurs enfants. Sur le vu de la persistance des tensions entre les deux parents, l’expert estima qu’il n’y avait cependant pas une entente suffisante pour une autorité parentale et une garde conjointes et que cela ne serait de surcroît pas dans l’intérêt des enfants, lesquels étaient encore pris dans un conflit de loyauté envers leurs parents. L’expert recommanda que le requérant ne se voit en outre pas attribuer l’autorité parentale exclusive. À son avis, le requérant était encore apparu très affecté par la procédure en divorce. Il a critiqué les capacités parentales de son épouse à différentes occasions et il a exprimé des difficultés à distinguer ses sentiments à son égard de ceux ressentis en raison de la séparation d’avec ses enfants. Bien qu’il a exercé un droit de visite étendu avec le soutien sans réserve de son épouse, il se plaignait toujours d’avoir parfois le sentiment d’être relégué au rôle de parent payeur. Dans ce contexte, l’expert a également mentionné les moyens inappropriés qu’il a mis en œuvre pour obtenir la garde de sa fille aînée. L’expert a conclu qu’il était dans l’intérêt des enfants que le Tribunal accorde l’autorité parentale à leur mère et maintienne le droit de visite élargi du requérant. Cette solution permettrait en outre d’assurer la continuité pour les enfants.

12. À la suite de l’expertise, le requérant informa le Tribunal civil par courrier du 27 mai 2008 qu’il renonçait à sa conclusion en attribution de l’autorité parentale et de la garde. Lors de l’audience subséquente, le Tribunal civil a entendu plusieurs témoins qui ont certifié que le requérant exerçait pleinement son droit de visite et qu’il entreprenait de nombreuses activités avec ses enfants. Ils ont aussi rapporté que la relation entre les parents demeurait conflictuelle et que le requérant présentait de l’animosité à l’égard de son ex-femme, beaucoup moins à l’inverse. Par jugement du 15 décembre 2009, le Tribunal civil a prononcé le divorce des parties et a attribué l’autorité parentale et la garde des enfants à la mère, tout en maintenant le large droit de visite du requérant.

13. Les 9 janvier et 2 février 2010, le requérant a formé un « recours partiel » contre le jugement du Tribunal civil devant la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois (ci-après : la Chambre des recours). Il soutint que l’octroi de l’autorité parentale à son ex-épouse par le Tribunal civil n’était pas conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme dans l’affaire Zaunegger c. Allemagne (no. 22028/04, 3 décembre 2009). Il a fait valoir que l’autorité parentale ne saurait être retirée à un père qui a amplement prouvé ses capacités parentales depuis la séparation conjugale intervenue en 2002. Il dénonça divers comportements inadéquats que son ex-femme aurait manifestés à l’égard des enfants et affirma qu’ils étaient le fondement de son refus de permettre à son ex-épouse d’exercer seule l’autorité parentale sur leurs enfants. Enfin, il ajouta qu’il n’avait plus les moyens financiers pour être assisté par un avocat.

14. La Chambre des recours a rejeté le recours du requérant par jugement du 9 février 2010, jugeant que l’art. 133 al. 1 du Code civil suisse (ci‑après : le Code civil – voir infra, paragraphe 20) impose, en cas de divorce, de n’attribuer l’autorité parentale qu’à un seul des deux parents. Le maintien de l’autorité parentale conjointe nécessitait, en vertu de l’art. 133 al. 3 du Code civil (voir infra, paragraphe 20), une requête commune des deux parents, et elle ne pouvait être imposée au parent qui s’y opposait (soit la mère dans la présente affaire). La Chambre des recours a également considéré que, malgré les critiques du requérant portant sur les capacités parentales de son épouse, il n’y avait pas motif à modifier l’attribution de l’autorité parentale. Une telle solution irait par ailleurs à l’encontre des conclusions de l’expert. Conformément à l’art. 133 al. 2 du Code civil (voir infra, paragraphe 20), le principe fondamental qui doit guider le juge lorsqu’il attribue l’autorité parentale est le bien de l’enfant. Toutes les circonstances importantes doivent être prises en compte, y compris une éventuelle requête commune des parents tendant à l’exercice conjoint de l’autorité parentale et, autant que possible, l’avis de l’enfant. Dans les affaires comme la présente, où des experts ont reconnu que les deux parents avaient de bonnes capacités parentales, la volonté d’un parent de coopérer avec l’autre parent dans le respect de l’intérêt de l’enfant était déterminante. Or il ressort des différentes expertises menées devant le Tribunal civil que c’est la mère qui a présenté le moins de difficultés à coopérer avec le père. La Chambre des recours confirma dès lors le jugement du Tribunal civil.

15. Dans son recours au Tribunal suprême de la Confédération (ci‑après : le Tribunal fédéral), le requérant fit valoir que, en vertu de l’art. 133 al. 1 du Code civil suisse (voir infra, paragraphe 20) et du refus de son épouse de déposer une requête conjointe, il n’a pas eu l’opportunité de requérir devant les tribunaux nationaux l’octroi de l’autorité parentale conjointe.

Se référant à l’affaire Zaunegger précitée, il affirma que tout père devrait pouvoir saisir la justice de son pays pour qu’elle statue sur l’attribution de l’autorité parentale, même si la mère s’y oppose, et cela dans l’intérêt de l’enfant.

16. Le tribunal fédéral rejeta le recours du requérant le 11 août 2011. Il releva qu’il était douteux que le requérant ait respecté les exigences de motivation de son recours. Pour autant que l’on admette que tel soit le cas, son affaire différait sensiblement de Zaunegger (affaire précitée). Premièrement, le requérant est un père divorcé, tandis que, dans la cause Zaunegger, les parents n’étaient pas mariés. Deuxièmement, le droit suisse prévoit non seulement que le requérant peut prétendre à l’attribution de l’autorité parentale, comme son ex-femme, mais les deux époux sont placés sur pied d’égalité. Contrairement à ce que prévoit le droit allemand pour les parents d’enfants nés hors mariage, ainsi qu’il en était question dans l’affaire Zaunegger, l’art. 133 al. 1 du Code civil suisse (voir infra, paragraphe 20) n’octroie aucun privilège à l’un des parents sur la base de son sexe, et la mère ne dispose d’aucun droit de veto sur la requête du père en attribution de l’autorité parentale. En vertu de l’art. 133 al. 3 du Code civil suisse (voir infra, paragraphe 20), la décision est basée exclusivement sur l’intérêt de l’enfant. Le Tribunal fédéral a conclu que l’affaire du requérant ne pouvait être comparée à Zaunegger parce qu’il n’y avait pas d’argument en faveur de la thèse selon laquelle le requérant aurait été traité différemment de la mère de ses enfants lors de l’attribution de l’autorité parentale.

17. Le 21 juin 2013, le Parlement suisse a adopté de nouvelles dispositions du Code civil régissant l’autorité parentale conjointe, qui sera dès lors la règle sans égard à la situation des parents. Ces dispositions entreront en vigueur le 1er juillet 2014. Une requête conjointe ne sera plus nécessaire pour continuer à bénéficier de l’autorité parentale conjointe après le divorce. Toutefois, en s’appuyant sur l’intérêt de l’enfant, le juge pourra toujours attribuer l’autorité parentale à l’un seulement des parents. Les dispositions transitoires prévoient en outre que les affaires jugées sur la base de l’ (ancien) art. 133 du Code civil (voir infra, paragraphe 20) et dans lesquelles l’autorité parentale a été accordée à l’un seulement des parents, le parent concerné ou les deux parents pourront s’adresser à l’autorité de protection de l’enfant pour lui demander de prononcer l’autorité parentale conjointe. Plus encore, le parent auquel l’autorité parentale a été retirée lors d’un divorce pourra s’adresser seul au Tribunal compétent si le divorce a été prononcé après le 1er juillet 2009.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. Le droit interne pertinent

18. Les dispositions légales régissant les droits de garde et de visite figurent dans le Code civil suisse.

19. L’autorité parentale (Art. 296 du Code civil) comprend l’éducation, la scolarisation et la représentation légale des enfants à l’égard des tiers (Art. 301 à 306 du Code civil). Elle inclut également l’administration des biens de l’enfant (Art. 318 du Code civil). L’enfant sous autorité parentale partage le domicile de ses parents ou, en l’absence de domicile commun des père et mère, le domicile de celui de ses parents qui a le droit de garde (Art. 25 du Code civil).

20. Pendant le mariage, les père et mère exercent l’autorité parentale en commun sur leur enfant mineur (Art. 297 al. 1 du Code civil). Lorsque le divorce des parents est prononcé, le juge attribue l’autorité parentale à l’un des parents et fixe, d’après les dispositions régissant les effets de la filiation, les relations personnelles entre l’enfant et l’autre parent ainsi que la contribution d’entretien due par ce dernier (Art. 133 al. 1 du Code civil). Lorsqu’il attribue l’autorité parentale et règle les relations personnelles, le juge tient compte de toutes les circonstances importantes pour le bien de l’enfant. Il prend en considération une éventuelle requête commune des parents et, autant que possible, l’avis de l’enfant (Art. 133 al. 2 du Code civil). Sur requête conjointe des père et mère, le juge maintient l’exercice en commun de l’autorité parentale, pour autant que cela soit compatible avec le bien de l’enfant et que les parents soumettent à sa ratification une convention qui détermine leur participation à la prise en charge de l’enfant et la répartition des frais d’entretien de celui-ci (Art. 133 al. 3 du Code civil).

21. Le parent qui ne détient pas l’autorité parentale ou la garde ainsi que l’enfant mineur ont réciproquement le droit d’entretenir les relations personnelles indiquées par les circonstances (Art. 273 al. 1 du Code civil). Le parent qui ne détient pas l’autorité parentale sera informé des événements particuliers survenant dans la vie de l’enfant et entendu avant la prise de décisions importantes pour le développement de celui-ci (Art. 275a al. 1 du Code civil). Il peut également, tout comme le détenteur de l’autorité parentale, recueillir auprès de tiers qui participent à la prise en charge de l’enfant, notamment auprès de ses enseignants ou de son médecin, des renseignements sur son état et son développement (Art. 275a al. 2 du Code civil).

B. Éléments pertinents de droit comparé

22. La Cour a examiné la législation nationale d’une sélection de vingt-neuf États membres du Conseil de l’Europe autre que la Suisse. Il ressort de cette étude comparative que les vingt-neuf États membres attribuent l’autorité parentale conjointe aux parents divorcés qui en font conjointement la demande ou si les tribunaux nationaux en décident ainsi.

23. À cela s’ajoute que des dispositions comparables à celles en vigueur en Suisse au moment du prononcé des décisions prises par les autorités nationales (voir supra, paragraphe 20) existent dans seize des vingt-neuf États membres. Les différents tribunaux nationaux y encouragent le partage de l’autorité parentale lorsque les parents déposent une requête conjointe (ce qui peut être le résultat d’une médiation) dans la procédure en divorce.

24. Plus encore, comme en Suisse au moment du prononcé des décisions en cause, dix-sept États membres sondés reconnaissent la possibilité pour le juge d’accorder l’autorité parentale à l’un seulement des parents s’il se fonde sur l’intérêt de l’enfant. L’autre parent se voit alors octroyer un droit de visite et le droit d’être informé avant la prise de décisions importantes pour le développement de l’enfant.

EN DROIT

I. Application de l’article 37 § 1 b) de la Convention

A. Thèses des parties

25. Par courrier du 21 janvier 2014, le Gouvernement invite la Cour à rayer la cause de son rôle en application de l’art. 37 § 1 b) de la Convention. Le Gouvernement se fonde sur la circonstance que la modification des dispositions légales en cause régissant l’octroi de l’autorité parentale conjointe va entrer en vigueur le 1er juillet 2014 et que, en vertu des dispositions transitoires, le requérant pourra, dans le délai d’une année, s’adresser à l’autorité compétente pour lui demander de prononcer l’autorité parentale conjointe (voir supra, paragraphe 17). Dans la mesure où les prétentions du requérant en attribution de l’autorité parentale conjointe pourront être derechef examinées par les autorités nationales, le Gouvernement estime que la présente affaire a été résolue.

26. Le requérant a renoncé à se déterminer sur les conséquences de l’art. 37 § 1 b) sur sa requête.

B. Appréciation de la Cour

27. Pour déterminer s’il y a lieu de faire application de l’art. 37 § 1 b), invoqué par le Gouvernement, la Cour doit répondre à deux questions successives : elle doit se demander, en premier lieu, si les circonstances directement incriminées par le requérant subsistent toujours, et, en second lieu, si les effets d’une possible violation de la Convention à raison de ces circonstances ont été redressés (voir Syssoyeva et Autres c. Lettonie (radiation) [Grande Chambre GC], no. 60654/00, § 97, CEDH 2007-I, et, plus récemment, Melnītis c. Lettonie, no. 30779/05, § 33, 28 février 2012).

28. En l’occurrence, la Cour retient que le requérant a formulé deux griefs distincts. D’une part, le requérant fait valoir que les autorités nationales ont porté atteinte à son droit au respect de sa vie familiale, garanti par l’article 8 de la Convention, en refusant de lui attribuer l’autorité parentale conjointe. D’autre part, sur le terrain de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention, le requérant soutient que l’art. 133 du Code civil opère une discrimination injustifiée des pères divorcés fondée sur leur sexe lors de l’attribution de l’autorité parentale.

29. Il faut donc examiner si les décisions prises par les autorités nationales relatives à l’attribution de l’autorité parentale, et portant sur ces deux griefs, vont continuer à produire des effets après le 1er juillet 2014, date de l’entrée en vigueur des modifications du Code civil. La Cour doit ainsi examiner si les mesures envisagées par les autorités nationales permettent de redresser les conséquences de la situation dont le requérant se plaint. Dans ce contexte, la Cour doit déterminer si les griefs du requérant ont été redressés par les autorités d’une manière adéquate et suffisante (voir Syssoyeva et Autres c. Lettonie (radiation), affaire précitée, § 102 et El Majjaoui et Stichting Touba Moskee c. Pays-Bas (radiation) [GC], no. 25525/03, § 33, 20 décembre 2007).

30. Il est manifeste que la situation dénoncée par le requérant n’a pas cessé d’exister. S’il est vrai que les modifications des dispositions du Code civil ayant trait à l’autorité parentale conjointe et leurs dispositions transitoires peuvent être déterminantes pour examiner l’application de l’article 8 et de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention pour la période postérieure au 1er juillet 2014, la Cour considère qu’elles n’ont pas d’incidence au regard de l’article 37 § 1 b) de la Convention. Elles ne modifient en effet pas le refus d’attribuer l’autorité parentale au requérant. Il doit en effet encore entamer une procédure pour voir cette question être réexaminée par les autorités nationales et l’issue de celle-ci est incertaine.

31. De plus, la Cour observe que les modifications législatives vont entrer en vigueur le 1er juillet 2014. On ne saurait dès lors retenir que ces mesures sont aptes à offrir un moyen adéquat de redresser les effets d’une possible violation de l’article 8 et de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention durant le laps de temps écoulé entre la décision nationale finale et le 1er juillet 2014. De surcroît, un des enfants du requérant est maintenant âgé de plus de dix-huit ans et le deuxième enfant a presque quinze ans. Les modifications législatives en question ne vont dès lors pas avoir un effet juridique au moins en ce qui concerne la relation du requérant et de son premier enfant.

32. Il s’ensuit que les conditions posées par l’article 37 § 1 b) de la Convention, en tant que la requête relative à l’article 8 et à l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention est concernée, ne sont pas réalisées.

33. À la lumière de ce qui précède, le litige n’est pas encore résolu et la Cour n’a aucune raison de poursuivre plus avant son examen de l’article 37 § 1 b) de la Convention. Dès lors, la Cour rejette la demande du Gouvernement tendant à la radiation du rôle de la requête.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

34. Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant allègue que les décisions nationales par lesquelles il s’est vu refuser l’exercice conjoint de l’autorité parentale portent atteinte à son droit au respect de sa vie familiale.

L’article 8 prévoit :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Recevabilité

35. Le gouvernement soutient que le requérant n’a pas épuisé toutes les voies de recours internes disponibles pour se plaindre d’une violation de l’article 8 de la Convention, considérée isolément. Il relève que le requérant n’a pas invoqué le moindre article de la Convention à l’occasion de son recours devant le Tribunal fédéral. Il a simplement affirmé, se référant à l’affaire Zaunegger précitée, que tout père doit pouvoir saisir la justice de son pays pour qu’elle statue sur l’attribution de l’autorité parentale, même si la mère s’y oppose, et cela dans l’intérêt de l’enfant. Or le Tribunal fédéral a limité l’examen du recours portant sur le jugement de la Chambre des recours à la violation alléguée de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention ; comme l’avait fait par ailleurs la Cour dans son arrêt Zaunegger. Comme la Cour n’avait pas examiné l’article 8 de la Convention, isolément, et que le requérant ne l’avait pas invoqué, le Tribunal fédéral n’a pas étendu son examen à cette disposition.

36. Le requérant n’a pas déposé d’observations sur la recevabilité de sa requête.

37. La Cour souligne qu’elle doit appliquer la règle de l’épuisement des voies de recours internes en tenant compte non seulement des recours prévus en théorie dans le système juridique en cause, mais également en tenant dûment compte du contexte de l’affaire (voir Akdivar et Autres c. Turquie, 16 septembre 1996 § 69, Recueil 1996-IV).

Il doit y avoir une certaine souplesse dans l’application de la règle. Il n’est pas nécessaire de démontrer que les griefs ont été invoqués dans les mêmes termes que ceux employés devant la Cour. Il suffit qu’ils aient été soulevés devant les autorités nationales, au moins en substance, et dans les conditions et délais prescrits par le droit interne (voir, par exemple, Fressoz et Roire c. France [GC], no. 29183/95, § 37, CEDH 1999-I; Vučković et Autres c. Serbie [GC], no. 17153/11, § 72, 25 mars 2014).

38. La Cour retient que le requérant, qui n’était pas représenté par un avocat devant le Tribunal fédéral, s’est référé à la cause Zaunegger parce qu’elle portait également sur une question relative à l’autorité parentale conjointe. En profane, il n’a pas invoqué un article particulier de la Convention. Cela étant, la Cour estime, contrairement aux observations du Gouvernement, que le requérant n’a pas seulement invoqué être l’objet d’une discrimination fondée sur l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention lorsqu’il a mis en avant, en substance, que tout père doit pouvoir requérir l’octroi de l’autorité parentale conjointe, même si la mère s’y oppose. Il a également invoqué son droit au respect de sa vie familiale, pris isolément. La Cour considère par conséquent que, au regard de l’article 8 de la Convention, il a satisfait aux conditions de l’article 35 § 1 et rejette pour ce motif l’exception préliminaire soulevée par le Gouvernement.

39. La Cour relève que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle doit donc être déclarée recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

(1) Le requérant

40. Le requérant affirme que, conformément à la jurisprudence Zaunegger précitée de la Cour, chaque père, indépendamment de son statut conjugal, doit être en mesure de requérir devant un tribunal l’autorité parentale conjointe, même si la mère s’y oppose. Il affirme que cet examen doit porter sur l’intérêt de l’enfant. Il n’a pas produit d’autres observations.

(b) Le Gouvernement

41. Le Gouvernement ne conteste pas que le retrait de l’autorité parentale constitue une atteinte à son droit au respect de la vie familiale. Cependant, il affirme que, conformément à l’article 8 § 2 de la Convention, l’atteinte en cause est prévue par la loi et proportionnée au but légitime poursuivi.

42. Le Gouvernement souligne que, en application de l’art. 133 du Code civil (voir supra, paragraphe 20), le juge doit tenir compte de toutes les circonstances importantes pour déterminer l’intérêt de l’enfant lors de l’attribution de l’autorité parentale à l’un des parents. Il doit également respecter la législation relative à l’autorité parentale conjointe. Le juge maintient l’exercice en commun de l’autorité parentale seulement en présence d’une requête conjointe des parents, pour autant que cela soit compatible avec le bien de l’enfant et que les parents soumettent à sa ratification une convention qui détermine leur participation à la prise en charge de l’enfant et la répartition des frais d’entretien de celui-ci. Cela étant, l’autorité parentale conjointe est exclue lorsque seul un des parents la souhaite.

43. Dans ce contexte, le Gouvernement souligne que le requérant pourra requérir derechef l’autorité parentale conjointe après l’entrée en vigueur des modifications du Code civil (voir paragraphe 17).

44. Se référant au but légitime de l’atteinte au droit au respect de la vie familiale du requérant, le Gouvernement affirme qu’il peut être déduit du Message du Conseil fédéral concernant la révision du Code civil suisse du 15 novembre 1995 qu’il a été considéré dans l’intérêt de l’enfant de permettre aux seuls parents qui ont soumis une requête conjointe de partager l’autorité parentale. Cette mesure a pour but de protéger la « santé ou la moralité » et les « droits et libertés » de l’enfant. En cela, elle poursuit un but légitime au sens du paragraphe 2 de l’article 8.

45. Enfin, au regard de la nécessité de l’atteinte au droit au respect de la vie familiale du requérant, le Gouvernement souligne que les tribunaux nationaux ont confié la réalisation de deux expertises et entendu de nombreux témoins pour déterminer la solution la mieux appropriée pour les enfants. A ces occasions, le requérant a également été entendu. C’est uniquement après avoir évalué minutieusement toutes les circonstances déterminantes que les tribuanx nationaux ont attribué l’autorité parentale à la mère, tandis que le requérant s’est vu accorder un large droit de visite. Cette décision correspond entièrement aux recommandations des experts relatives à l’intérêt des enfants. De plus, en vertu de l’art. 275a al. 1 du Code civil (voir supra, paragraphe 21), le requérant sera informé des événements particuliers survenant dans la vie des enfants et sera entendu avant la prise de décisions importantes pour le développement de ceux-ci. Même dans l’hypothèse où la législation nationale aurait rendu cette mesure automatique après le divorce, le Gouvernement doute néanmoins que le requérant se serait vu attribuer l’autorité parentale conjointe. Le deuxième expert a en effet expressément déconseillé d’attribuer au requérant et à son ex-femme l’autorité parentale conjointe car cela n’aurait pas été dans l’intérêt des enfants.

46. Enfin, le Gouvernement considère que les décisions des tribunaux nationaux satisfont entièrement aux prescriptions de l’article 8 de la Convention et rentrent dans la marge d’appréciation reconnue par la Cour aux Etats membres dans de telles affaires (voir Glaser c. Royaume-Uni, no. 32346/96, § 64, 19 septembre 2000).

2. Appréciation de la Cour

47. La Cour observe, tout d’abord, que le Gouvernement ne conteste pas que le retrait de l’autorité parentale interfère avec le droit du requérant au respect de la vie familiale au titre de l’article 8 de la Convention. Se référant à sa jurisprudence, la Cour partage cette appréciation. Toute ingérence de ce type méconnaît l’article 8 à moins qu’elle ne soit « prévue par la loi », ne vise un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 de cette disposition et ne puisse passer pour une mesure « nécessaire dans une société démocratique ».

48. La Cour admet que les décisions en cause sont prévues par la loi, soit l’article 133 du Code civil (voir supra, paragraphe 20), et qu’elles avaient pour but de protéger l’intérêt supérieur des deux enfants du requérant. Un tel but est légitime au regard du paragraphe 2 de l’article 8 (voir Keegan c. Ireland, arrêt du 26 mai 1994, § 44, Series A no. 290, et Görgülü c. Allemagne, no. 74969/01, § 37, 26 février 2004). Il reste à déterminer si la mesure adoptée était « nécessaire dans une société démocratique ».

(a) Principes généraux

49. La Cour a pour tâche de déterminer si, à la lumière de l’affaire dans son ensemble, les motifs invoqués pour justifier les mesures étaient « pertinents et suffisants » et si la procédure s’est déroulée de manière équitable et dans le respect des droits du requérant au regard de l’article 8 de la Convention. Sans doute est-il d’une importance cruciale, dans ce type d’affaires, d’examiner ce qui sert au mieux l’intérêt de l’enfant. Il faut de plus garder à l’esprit que les autorités nationales bénéficient de rapports directs avec tous les intéressés. La Cour n’a donc point pour tâche de se substituer aux autorités internes pour ce qui est des modalités de garde et de visite, mais d’apprécier sous l’angle de la Convention les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (voir T.P. et K. M. c. Royaume-Uni [GC], no. 28945/95, § 71, CEDH 2001-V; Sahin c. Allemagne [GC], no. 30943/96, § 64, CEDH 2003-VIII; Sommerfeld c. Allemagne [GC], no. 31871/96, § 62, CEDH 2003-VIII (extraits); Görgülü c. Allemagne, no. 74969/01, § 41, 26 février 2004; et Wildgruber c. Allemagne (déc.), no. 32817/02, 16 octobre 2006).

50. La marge d’appréciation laissée aux autorités nationales compétentes varie selon la nature des questions en litige et l’importance des intérêts en jeu. En particulier, la Cour reconnaît que les autorités jouissent d’une grande latitude pour apprécier le droit de garde (voir, parmi d’autres, Glaser, affaire précitée, § 64).

51. La cour souligne qu’il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’enfant et de ses parents et qu’il faut attacher une importance dans cet examen à l’intérêt supérieur de l’enfant, qui, selon sa nature et sa gravité, peut l’emporter sur celui du parent (voir Hoppe c. Allemagne, no. 28422/95, § 49, 5 décembre 2002). En particulier, l’article 8 de la Convention ne saurait autoriser le parent à prendre des mesures préjudiciables à la santé et au développement de l’enfant (voir Elsholz c. Allemagne, no. 25735/94, § 50, CEDH 2000-VIII, et T.P. et K.M., affaire précitée, § 71).

(b) L’application de ces principes en l’espèce

52. En l’occurence, la Cour estime que les tribunaux nationaux ont consciencieusement examiné les questions portant sur l’autorité parentale et le droit de visite. Ils ont confirmé qu’en principe, pour leur développement harmonieux, les enfants doivent entretenir des contacts avec leurs deux parents, pour autant que cela soit en adéquation avec leur intérêt. À cet égard, les tribunaux nationaux ont considéré que lorsqu’il existe, comme en l’espèce, un conflit entre les parents, il n’est pas conforme à l’intérêt des enfants de partager l’autorité parentale. Ils n’ont pas seulement pris en considération la circonstance que la mère des enfants s’y opposait, mais également les difficultés du requérant à accepter la séparation conjugale, son insistance dans la revendication de ses droits et ses tentatives de mettre sous pression la mère des enfants. Ils ont également pris en compte la volonté de la mère de favoriser l’exercice du droit de visite étendu du requérant et ils ont porté une attention particulière au conflit de loyauté auquel était confronté les enfants envers leurs parents. Le Tribunal civil s’est fondé sur les conclusions de deux expertises et les moyens de preuve fournis par les parents et les témoins lors de l’audience (voir supra, 10 – 12). Ce jugement a été confirmé par la Chambre des recours et le Tribunal fédéral (voir supra, paragraphes 14 et 16).

53. Si l’article 8 de la Convention ne renferme aucune condition explicite de procédure, il faut que le processus décisionnel débouchant sur des mesures d’ingérence soit équitable et respecte comme il se doit les intérêts protégés par cette disposition. Il échet à la Cour de déterminer, en fonction des circonstances de chaque espèce et notamment de la gravité des mesures à prendre, si le requérant a pu jouer dans le processus décisionnel, considéré comme un tout, un rôle assez grand pour lui accorder la protection requise de ses intérêts (voir W. c. Royaume-Uni, arrêt du 8 juillet 1987, § 64, Series A no. 121; Elsholz, affaire précitée, § 52; et T.P. et K.M. c. Royaume-Uni, affaire précitée, § 72).

54. La Cour observe que, en particulier à l’occasion de la procédure de première instance, le requérant a été entendu par des experts à différentes occasions. Assisté par un avocat, il a de plus eu l’opportunité de présenter ses conclusions par écrit et oralement devant le Tribunal civil. Au regard des règles de procédure entourant son recours, la Cour relève que le requérant a eu également l’occasion de présenter par écrit devant la Chambre des recours l’ensemble des arguments qu’il a estimé important pour l’issue de sa procédure.

55. Compte tenu de ce qui précède et au regard de l’évaluation détaillée de l’intérêt de l’enfant réalisée par les tribunaux nationaux, la Cour a la conviction que les décisions litigieuses reposent sur des motifs non seulement pertinents, mais également suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8. La Cour retient que les exigences procédurales inhérentes à l’article 8 de la Convention ont été également respectées et que le requérant a pu jouer dans le processus décisionnel un rôle assez grand pour lui accorder la protection requise de ses intérêts. Pour ces motifs, la Cour considère que, en attribuant à la mère l’autorité parentale sur les enfants et au père un large droit de visite, les autorités nationales ont agi dans le cadre de la marge d’appréciation qui leur est reconnue dans ce domaine. La Cour considère en outre que l’exclusion du partage de l’autorité parentale lorsque l’un des parents s’y oppose relève de cette marge d’appréciation, étant rappelé l’absence d’un consensus à ce sujet, le fait que les experts ont estimé que cela ne serait pas souhaitable dans les circonstances de l’espèce et le fait que le requérant dispose d’un droit de visite étendu.

56. En conséquence, il n’y a pas eu une violation de l’article 8 de la Convention dans la présente affaire.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 8

57. Invoquant l’article 14 combiné avec l’article 8, le requérant soutient que l’article 133 du Code civil (voir supra, paragraphe 20) opère entre les pères une discrimination fondée sur leur sexe lors de l’attribution de l’autorité parentale conjointe.

L’article 14 est ainsi libellé:

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

A. Sur la recevabilité

58. La Cour estime que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il doit par conséquent être déclaré recevable.

B. Sur le fond

1. Thèse des parties

(a) Le requérant

59. Le requérant maintient que, conformément à la jurisprudence Zaunegger précitée de la Cour, chaque père, indépendamment de son statut conjugal, doit être en mesure de requérir devant un tribunal l’autorité parentale conjointe, même si la mère s’y oppose (voir supra, paragraphe 40). Il affirme que cet examen doit porter sur l’intérêt de l’enfant.

(b) Le Gouvernement

60. En préambule, le Gouvernement souligne que, contrairement aux affaires de la Cour Zaunegger et Sporer c. Autriche (no. 35637/03, 3 février 2011), il n’existe pas dans la législation suisse la possibilité de requérir l’attribution de l’autorité parentale conjointe sans le consentement de la mère des enfants ; pour le requérant ou pour tout autre père dans une situation comparable. Il n’existe par conséquent pas d’inégalité de traitement dans le droit suisse au sens de la jurisprudence de la Cour.

61. En l’état actuel de la législation suisse, l’autorité parentale est attribuée en principe à l’un seulement des parents. Le maintien de l’autorité parentale conjointe après le divorce est une exception. En vertu de l’article 133 du Code civil, l’autorité parentale conjointe ne peut être accordée que si les parents ont soumis une requête conjointe et sont désireux et aptes à coopérer sur les questions relatives aux enfants. Le législateur n’a pas entendu accorder un droit de veto à l’un des parents, mais bien obliger les deux parents à montrer leur détermination à exercer l’autorité parentale en commun.

62. Aucun des parents n’est privilégié lors de l’attribution de l’autorité parentale. En particulier, la mère ne dispose pas d’un droit de priorité à obtenir l’autorité parentale. L’élément fondamental lors de l’attribution de l’autorité parentale est l’intérêt de l’enfant. En l’espèce, le requérant et son ex-femme ont été en mesure de requérir devant les tribunaux l’attribution de l’autorité parentale. Sur la base de leurs conclusions opposées, les capacités parentales des deux parents et toutes les autres circonstances importantes ont fait l’objet d’une évaluation approfondie. La législation nationale n’établit à cet égard pas une distinction entre le requérant, en tant que père, et son ex-femme, en tant que mère. Le requérant n’a de plus pas a été traité différemment des pères d’enfants nés hors mariage.

63. Le Gouvernement souligne de plus que, même si les tribunaux nationaux étaient entrés en matière sur l’attribution d’une autorité parentale conjointe en dépit de l’absence de requête commune, il était très peu vraisemblable qu’ils lui aient accordé une telle mesure. Il ressort en effet des expertises qu’une telle mesure ne se fonderait pas sur l’intérêt des enfants. Selon le Gouvernement, l’absence en l’espèce d’une requête commune reflète précisément la situation envisagée par la loi, soit que les parents ne sont ici pas prêts à exercer en commun l’autorité parentale. Le bien des enfants commande que l’autorité parentale soit alors attribuée à un seul des parents.

2. Appréciation de la Cour

(a) Principes généraux

64. La Cour souligne que l’article 14 complète les autres clauses normatives de la Convention et de ses Protocoles. Il n’a pas d’existence indépendante puisqu’il vaut uniquement pour la « jouissance des droits et libertés » qu’elles garantissent. L’application de l’article 14 de la Convention ne présuppose pas nécessairement la violation de l’un des droits matériels garantis par la Convention. Il faut, mais il suffit, que les faits de la cause tombent « sous l’empire » de l’un au moins des articles de la Convention (voir, pour un arrêt récent, Burden c. Royaume-Uni [GC], no. 13378/05, § 58, CEDH 2008).

65. Selon la jurisprudence constante de la Cour, pour qu’une question se pose au regard de l’article 14, il doit y avoir une différenciation dans le traitement de personnes placées dans des situations comparables. Une telle différenciation est discriminatoire si elle ne repose pas sur une justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement (voir Burden, affaire précitée, § 60).

66. L’étendue de la marge d’appréciation varie selon les circonstances, les domaines et le contexte ; la présence ou l’absence d’un dénominateur commun aux systèmes juridiques des États contractants peut constituer un facteur pertinent à cet égard (voir Petrovic c. Autriche, 27 mars 1998, § 38, Recueil 1998-II, et Zaunegger, affaire précitée, § 50).

67. Toutefois, seules des considérations très fortes peuvent amener à estimer compatible avec la Convention une différence de traitement fondée sur le sexe ou sur la naissance. Cela vaut également pour une différence de traitement entre le père d’un enfant né d’une relation où les parents vivaient ensemble sans être mariés et le père d’un enfant né de parents mariés (voir Zaunegger, affaire précitée, § 51, et réf. cit.).

(b) Application au cas concret

68. La Cour relève que le requérant soutient avoir été traité différemment de la mère de ses enfants, en violation des articles 8 et 14 de la Convention, en ce sens qu’il n’a pas eu l’occasion d’obtenir l’autorité parentale conjointe dans la procédure en divorce sans son consentement.

69. La Cour observe que le requérant ne prétend pas avoir été traité différemment des pères d’enfants nés hors mariage. Comme établi par le Gouvernement (voir supra, paragraphe 61), en vertu de la législation suisse applicable, aucun père, qu’il soit marié ou non, n’a la possibilité de requérir l’autorité parentale conjointe si la mère des enfants s’y oppose. La Cour retient que le requérant n’a par conséquent pas motivé suffisamment la différence de traitement qu’il invoque à l’égard d’autres pères dans des situations comparables. La Cour examinera par conséquent la présente affaire uniquement sous l’angle d’un traitement différencié basé sur le sexe, en application de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention.

70. Dans ce contexte, la cour considère que l’énoncé de la disposition légale applicable du droit suisse ne prévoit pas des standards différents selon que la requête en autorité parentale est déposée par la mère ou le père. En vertu de l’article 133 al. 1 du Code civil (voir supra, paragraphe 20), les deux parents peuvent prétendre à l’attribution de l’autorité parentale. S’il le font, comme cela a été le cas dans la présente affaire, les tribunaux nationaux prennent en considération toutes les circonstances déterminantes et les capacités parentales des parties afin de trouver la solution la plus appropriée à l’intérêt de l’enfant.

71. Comme invoqué par le requérant, en vertu des dispositions légales en vigueur, il était toutefois impossible pour les tribunaux nationaux de lui attribuer l’autorité parentale conjointe, car la mère des enfants s’y opposait. Contrairement à l’affaire Zaunegger précitée, qui concernait le père d’un enfant né hors mariage, ce n’est toutefois pas la mère qui, en l’absence d’une requête conjointe, détient l’autorité parentale et un droit de veto à ce sujet. En l’absence d’une requête conjointe, les deux parents détiennent en effet l’autorité parentale, au moins pour la durée de la procédure en divorce, et ont le droit de requérir l’autorité parentale exclusive devant les tribunaux nationaux (voir supra, paragraphe 9).

72. La Cour considère que le Gouvernement a établi de manière convaincante que les motifs sur lesquels reposent la nécessité de présenter une requête conjointe étaient d’obliger les parents à montrer leur bonne disposition à coopérer aux affaires relatives aux enfants même après le divorce. Les deux parents sont ainsi placés sur un pied d’égalité et ce n’est pas seulement la mère – mais bien les deux parents – qui a le droit de s’opposer à l’attribution de l’autorité parentale conjointe. La Cour a ainsi la conviction que l’obligation de déposer une requête conjointe ne repose pas sur une distinction basée sur le sexe des parents. Il n’existe par conséquent aucune différence de traitement dans la loi ou dans les décisions d’application.

73. Il n’y a en conséquence aucune violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 dans la présente affaire.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 du protocole no 7 de la Convention

74. Le requérant fait valoir, sur le fondement de l’article 5 du Protocole no 7 de la Convention, qu’il n’a pas jouit des mêmes droits que son ex-femme lors de l’attribution de l’autorité parentale durant la procédure en divorce.

L’article 5 du Protocole no 7 est ainsi libellé :

« Les époux jouissent de l’égalité de droits et de responsabilités de caractère civil entre eux et dans leurs relations avec leurs enfants au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution. Le présent article n’empêche pas les Etats de prendre les mesures nécessaires dans l’intérêt des enfants. »

75. Au regard du recours formé par le requérant devant le Tribunal fédéral (voir supra, paragraphe 15), le Gouvernement objecte qu’il n’a pas épuisé les voies de recours internes pour le grief fondé sur l’article 5 du Protocole no 7 de la Convention. Selon le Gouvernement, il n’a jamais prétendu que la législation suisse l’a traité d’une manière différente de son épouse lors de l’attribution de l’autorité parentale.

76. Le requérant n’a pas déposé d’observations sur la recevabilité de sa requête.

77. La Cour partage l’avis exprimé par le Gouvernement selon lequel il n’a pas fourni aux juridictions internes l’occasion de remédier à la violation alléguée de l’article 5 du Protocole no 7 de la Convention, étant rappelé que les différents recours déposés, tout comme la requête présentée devant la Cour, n’ont pas été très bien étayés et qu’il n’a pas invoqué des articles de la Convention devant les autorités nationales (voir supra, paragraphe 22).

78. Il s’ensuit que ce grief est irrecevable au titre de l’article 35 § 1 et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 8 et de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention ;

2. Déclare, à la majorité, le reste de la requête irrecevable ;

3. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention ;

4. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 27 mai 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stanley Naismith Guido Raimondi

Greffier Président


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