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10/04/2014 | CEDH | N°001-142308

CEDH | CEDH, AFFAIRE TEREBUS c. PORTUGAL, 2014, 001-142308


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE TEREBUS c. PORTUGAL

(Requête no 5238/10)

ARRÊT

STRASBOURG

10 avril 2014

DÉFINITIF

10/07/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Terebus c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Pau

lo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chamb...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE TEREBUS c. PORTUGAL

(Requête no 5238/10)

ARRÊT

STRASBOURG

10 avril 2014

DÉFINITIF

10/07/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Terebus c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 mars 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 5238/10) dirigée contre la République portugaise et dont un ressortissant ukrainien, M. Andriy Terebus (« le requérant »), a saisi la Cour le 18 janvier 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me P. J. da Silva, avocat à Murça (Portugal). Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme M. F. Graça de Carvalho, procureur général adjoint. Le gouvernement ukrainien, qui a reçu communication de la requête (articles 36 § 1 de la Convention et 44 § 1 a) du règlement), a indiqué qu’il n’entendait pas se prévaloir de son droit d’intervenir dans la procédure.

3. Le requérant dénonce essentiellement l’impossibilité d’obtenir l’exécution d’une créance.

4. Le 23 août 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1979 et réside à Labruge (Portugal).

6. Par un jugement, devenu définitif, du 23 mai 2008, le tribunal du travail de Porto condamna la société R., ancien employeur du requérant, à verser à ce dernier 21 291,75 euros au titre d’arriérés de salaires et pour licenciement abusif.

7. La société ne s’étant pas conformée au jugement, le 4 septembre 2008, le requérant saisit à nouveau le tribunal du travail de Porto en vue d’obtenir l’exécution forcée du jugement.

8. Le 10 septembre 2008, un huissier de justice (solicitador de execução, aujourd’hui, agente de execução) fut nommé par le tribunal pour entreprendre les démarches nécessaires à l’exécution du jugement du 23 mai 2008.

9. Le 30 septembre 2008, l’huissier pria le tribunal du travail d’ordonner la saisie de tous les comptes bancaires de la société R. Le même jour, le tribunal rendit une ordonnance faisant droit à cette demande.

10. À une date non précisée, l’huissier de justice demanda au tribunal si l’assistance judiciaire dont l’intéressé avait bénéficié devant le tribunal du travail couvrait également la procédure d’exécution. La délégation de Porto de la sécurité sociale le confirma le 24 mars 2009.

11. Le 8 mai 2009, l’huissier informa le tribunal que la société R. avait été dissoute et qu’elle n’était plus immatriculée au registre des entreprises au Portugal.

12. Le 21 mai 2009, cette information fut portée à la connaissance du requérant.

13. Le tribunal demanda au requérant s’il souhaitait poursuivre l’instance même si l’exécution s’annonçait difficile compte tenu que les associés étaient de nationalité espagnole et n’étaient pas domiciliés au Portugal.

14. Le 8 juin 2009, le requérant confirma vouloir continuer la procédure. Il demanda au tribunal du travail d’émettre un certificat constatant la force exécutoire du jugement du 23 mai 2008, conformément au Règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, dit « Bruxelles I ». Relevant que la société R. ne semblait disposer d’aucun bien au Portugal, il estimait qu’il fallait saisir les juridictions espagnoles d’une procédure d’exécution contre l’associé principal de la société, M. R., un ressortissant espagnol demeurant à Badajoz (Espagne).

15. Le 16 juin 2009, le tribunal délivra le titre exécutoire demandé par le requérant et l’envoya au requérant le 14 juillet 2009.

16. Le 17 juillet 2009, le requérant transmit ladite déclaration à l’huissier de justice, le priant de poursuivre l’exécution en Espagne.

17. Par télécopie du 13 octobre 2009, l’avocat d’office du requérant demanda à l’huissier des renseignements sur l’état de la procédure.

18. Par une lettre du 29 octobre 2009, adressée à l’avocat d’office du requérant, se référant au Règlement (CE) no 805/2004 du Parlement européen et du Conseil, l’huissier estima ne pas avoir de compétence pour introduire l’exécution en cause auprès des tribunaux espagnols.

19. Par une ordonnance du 2 décembre 2009, le tribunal sollicita du requérant des informations sur les démarches qu’il avait entreprises devant les juridictions espagnoles.

20. Le 16 décembre 2009, l’avocat d’office du requérant demanda au juge d’indiquer qui, de lui-même ou de l’huissier, devait introduire la procédure d’exécution en Espagne.

21. Par une ordonnance du 4 janvier 2010, le juge décida qu’il appartenait à l’huissier d’entamer la procédure d’exécution devant les juridictions espagnoles. Le jour suivant, cette ordonnance fut portée à la connaissance du requérant et de l’huissier.

22. En février et en mars 2010, le tribunal demanda à l’huissier des renseignements sur l’état de la procédure.

23. Le 31 mars 2010, l’huissier informa le tribunal qu’il avait transmis, le 18 février, le titre exécutoire aux juridictions espagnoles et qu’il attendait leur retour.

24. Le 17 mai 2010, le tribunal de première instance (juzgado de primera instancia) d’Almendralejo, en Espagne, indiqua au tribunal du travail de Porto que le juge espagnol de paix de Cortegana avait été saisi de l’affaire. Cette information fut portée à la connaissance de l’huissier le 25 mai suivant.

25. Le 18 juin 2010, le tribunal demanda à l’huissier quelles avaient été les démarches qu’il avait entreprises.

26. Le 17 août 2010, l’huissier déclara que, selon les informations qu’il avait reçues des juridictions espagnoles, la signification du jugement du tribunal du travail de Porto avait été remise à la belle-sœur de l’associé principal de la société.

27. Par une ordonnance du 16 septembre 2010, le tribunal ordonna à l’huissier de poursuivre les démarches en vue d’obtenir le paiement de la créance du requérant.

28. Par des ordonnances du 21 octobre et du 20 novembre 2010, le tribunal demanda à l’huissier des informations sur l’état de la procédure.

29. Le 8 décembre 2010, l’huissier demanda la levée du secret concernant les données relatives au patrimoine de l’associé principal de la société. Le 15 décembre, le tribunal fit droit à cette demande.

30. Le 31 janvier 2011, l’huissier saisit l’administration fiscale d’Elvas afin d’obtenir des renseignements sur le patrimoine et les revenus dudit associé. La réponse de l’administration fiscale fut jointe au dossier de la procédure le 6 avril 2011 et portée à la connaissance du requérant le 13 avril.

31. Le 3 mai 2011, le requérant informa le tribunal qu’il avait demandé à l’huissier de poursuivre l’exécution en Espagne étant donné que les associés ne disposaient pas de biens au Portugal.

32. Par une ordonnance du 5 mai 2011, le juge demanda à l’huissier des informations sur l’état de la procédure. Il renouvela cette demande le 1er septembre. Le 19 septembre suivant, il indiqua à l’huissier qu’un défaut de réponse serait sanctionné par une amende.

33. Aux dernières informations reçues, lesquelles remontent au 23 octobre 2013, la procédure était toujours pendante.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET EUROPÉENS PERTINENTS

A. Le droit de l’Union européenne

34. Le Règlement (CE) no 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, dit « Bruxelles I », détermine la compétence des tribunaux en matière civile et commerciale. Il stipule que les décisions rendues dans un État membre de l’Union européenne sont reconnues dans les autres États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure sauf en cas de contestation. Une déclaration relative à la force exécutoire d’une décision doit être délivrée après un simple contrôle formel des documents fournis, sans que la juridiction puisse soulever d’office un des motifs de non-exécution prévus par le règlement. Concernant la compétence territoriale des tribunaux, l’article 20 du Règlement dispose :

« Sont seuls compétents, sans considération de domicile :

(...)

5. en matière d’exécution des décisions, les tribunaux de l’État membre du lieu de l’exécution. »

35. Le Règlement (CE) no 805/2004 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 a créé un titre exécutoire européen pour les créances incontestées. Il établit des normes minimales afin d’assurer que les décisions, transactions judiciaires et actes authentiques portant sur des créances incontestées puissent circuler librement.

B. Le droit et la pratique internes

36. La procédure d’exécution au Portugal a été modifiée de manière substantielle par les décrets-lois no 38/2003, du 8 mars 2003, et no 226/2008, du 20 novembre 2008 et la dernière réforme du code de la procédure civile apportée par la loi no 41/2013 du 26 juin 2013.

37. Avant le décret-loi no 226/2008, il incombait à l’huissier de justice (solicitador de execução ou agente de execução depuis le décret-loi no 226/2008) d’effectuer, sous le contrôle du juge chargé de l’exécution, toutes les démarches inhérentes à la procédure d’exécution et notamment les citations à comparaître, les assignations et les publications. Collaborateur de la procédure, sous contrôle de la chambre des huissiers (Câmara dos Solicitadores) et dans un lien de dépendance à l’égard du juge chargé de l’exécution, l’huissier de justice exerçait ses compétences spécifiques d’agent de l’exécution et les autres tâches qui lui étaient attribuées par la loi.

38. Au moment où l’action en exécution a été introduite au niveau interne (c’est-à-dire avant le décret-loi no 226/2008), l’article 808 du code de procédure civile disposait dans ses parties pertinentes :

« 1. Il appartient à l’huissier de justice (...) d’effectuer toutes les démarches de la procédure d’exécution (...), sous le contrôle du juge (...).

(...)

4. L’huissier de justice désigné ne peut être relevé de ses fonctions que par une décision du juge de l’exécution, d’office ou à la demande du demandeur, pour malveillance ou négligence dans l’activité procédurale ou pour violation grave des devoirs qui lui sont imposés (...).

(...). »

39. Depuis le décret-loi no 226/2008 du 20 novembre 2008, applicable aux procédures introduites après son entrée en vigueur (articles 22 et 23 du décret-loi), le demandeur peut choisir et librement dessaisir l’huissier de justice. Les huissiers peuvent aussi être relevés de leurs fonctions par l’organe disciplinaire compétent, la Commission pour l’Efficacité des Exécutions, en cas de conduite fautive avec dol ou négligence ou pour violation grave de leurs devoirs, après une investigation sommaire des faits. Ceci n’a pas été modifié par la dernière réforme du code de procédure civile apportée par la loi no 41/2013 du 26 juin 2013.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

40. Le requérant se plaint de la durée excessive de la procédure et de l’impossibilité d’obtenir l’exécution du jugement rendu en sa faveur par le tribunal du travail de Porto.

41. La Cour considère qu’en l’occurrence, le requérant dénonce essentiellement le manque de diligence des autorités pour l’assister dans le recouvrement de sa créance. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I), la Cour estime que les griefs du requérant doivent être examinés sous l’angle plus général du droit d’accès à un tribunal (Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 61, CEDH 1999‑V) garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, lequel se lit ainsi dans sa partie pertinente :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

42. Le Gouvernement soulève une exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Il fait valoir que le requérant aurait pu demander au tribunal de relever l’huissier de ses fonctions conformément à l’article 808 § 4 du code de procédure civile.

43. En l’espèce, la Cour estime toutefois que l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes est étroitement liée au bien-fondé du grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention. La Cour reprendra donc ci-après son examen sur ce point dans le cadre de l’examen du fond de l’affaire.

44. La Cour constate en outre que les griefs du requérant ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

B. Sur le fond

45. Le requérant dénonce le retard et le manque de diligence de l’huissier de justice pour l’assister dans l’exécution du jugement du tribunal du travail de Porto du 23 mai 2008. Selon lui, il incombait à ce dernier de réaliser tous les actes et démarches nécessaires dans le cadre de la procédure d’exécution, que ce soit au Portugal ou dans n’importe quel pays de l’Union européenne.

46. Le Gouvernement affirme que la procédure présente une certaine complexité compte tenu du fait que la société débitrice a été dissoute et que ses associés sont de nationalité espagnole et ne résident pas au Portugal. Il soutient que le tribunal a procédé conformément à la loi et que l’huissier n’est pas resté inactif et qu’il a entrepris toutes les démarches nécessaires en vue d’identifier des biens au Portugal pouvant faire l’objet d’une saisie. Il relève que le tribunal a délivré le titre exécutoire, visant l’introduction de la procédure en Espagne, immédiatement après la demande du requérant et qu’il s’est toujours enquis auprès de l’huissier sur le progrès des démarches entreprises pour obtenir l’exécution du jugement.

47. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l’article 6 § 1 garantit à chacun le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil ; il consacre de la sorte le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir un tribunal en matière civile, constitue un aspect (Philis c. Grèce (no 1), 27 août 1991, § 59, série A no 209). Ce droit serait illusoire si l’ordre juridique interne d’un État contractant permettait qu’une décision judicaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d’une partie. En effet, on ne comprendrait pas que l’article 6 § 1 décrive en détail les garanties de procédure – équité, publicité et célérité – accordées aux parties et qu’il ne protège pas la mise en œuvre des décisions judiciaires ; si cet article devait passer pour concerner exclusivement l’accès au juge et le déroulement de l’instance, cela risquerait de créer des situations incompatibles avec le principe de la prééminence du droit que les États contractants se sont engagés à respecter en ratifiant la Convention. L’exécution d’un jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit donc être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l’article 6 (voir, entre autres, Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997, § 40, Recueil des arrêts et décisions 1997‑II, Papuc c. Roumanie, no 44476/04, § 35, 27 mai 2010, et Sanglier c. France, no 50342/99, § 39, 27 mai 2003).

48. Dans la présente affaire, il s’agissait d’exécuter un jugement rendu par le tribunal du travail de Porto imposant une obligation de paiement à une société privée.

49. Bien que leur responsabilité ne puisse être engagée du fait du défaut de paiement d’une créance exécutoire dû à l’insolvabilité d’un débiteur « privé » (voir, mutatis mutandis, Sanglier, précité, § 39, Ciprova c. République tchèque (déc.), no 33273/03, 22 mars 2005, et Cubănit c. Roumanie (déc.), no 31510/02, 4 janvier 2007), les États ont l’obligation positive de mettre en place un système qui soit effectif en pratique comme en droit et qui assure l’exécution des décisions judiciaires définitives entre personnes privées (Fouklev c. Ukraine, no 71186/01, § 84, 7 juin 2005). La responsabilité des États concernant l’exécution d’un jugement par une personne de droit privé peut dès lors se trouver engagée si les autorités publiques impliquées dans les procédures d’exécution manquent de la diligence requise ou encore empêchent l’exécution (Fouklev, précité, § 67).

50. La Cour rappelle également qu’un retard dans l’exécution d’un jugement peut se justifier dans des circonstances particulières, mais il ne peut avoir pour conséquence une atteinte à la substance même du droit protégé par l’article 6 § 1 (Bourdov c. Russie, no 59498/00, § 35, CEDH 2002-III ; Immobiliare Saffi c. Italie, précité, § 74).

51. En l’espèce, avant tout, la Cour note qu’au cours de la procédure d’exécution, il est apparu que la société défenderesse avait été dissoute et que, de nationalité espagnole, ses associés ne résidaient pas au Portugal.

52. Selon l’article 20 alinéa 5 du Règlement (CE) 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, en matière d’exécution, la compétence appartient aux tribunaux du lieu de l’exécution. La requête n’ayant été introduite que contre le Portugal, la Cour n’examinera donc que les actes et démarches de la responsabilité des juridictions portugaises. Aussi, en l’espèce, la question qui se pose est celle de savoir si celles-ci ont failli à leur obligation d’assister le requérant dans l’exécution du jugement rendu en sa faveur le 23 mai 2008 par le tribunal du travail de Porto.

53. La Cour relève que le requérant a introduit l’action en exécution le 4 septembre 2008 et que la procédure était toujours pendante au 23 octobre 2013 (voir ci-dessus paragraphe 33).

54. Elle constate qu’un huissier de justice a été nommé par le tribunal, immédiatement après l’introduction de l’action en exécution, en vue d’entreprendre les démarches nécessaires à l’exécution du jugement. Selon l’article 808 du code de procédure civile, dans la rédaction qui était en vigueur au moment où la procédure litigieuse a été introduite, les huissiers de justice exercent leurs fonctions sous le contrôle du juge en charge de l’exécution, les manques ou les retards survenus, par leur faute, au cours de la procédure tombent donc sous la responsabilité des juridictions portugaises (voir ci-dessus paragraphe 38).

55. La Cour relève qu’entre septembre 2008 et mai 2009, l’huissier de justice entreprit de saisir les comptes bancaires de la société défenderesse mais se confronta à la dissolution de cette dernière.

56. En vue de poursuivre l’action en Espagne, la Cour note que, le 8 juin 2009, le requérant demanda au tribunal de lui délivrer un certificat attestant la force exécutoire du jugement. Établie le 16 juin, la déclaration fut envoyée au requérant le 14 juillet 2009.

57. La Cour constate que ce n’est que le 18 février 2010, soit sept mois plus tard, consécutivement à l’ordonnance du tribunal du 4 janvier 2010 (voir ci-dessus paragraphe 23), que l’huissier la transmit aux juridictions espagnoles.

58. Ensuite, ce n’est que le 31 janvier 2011 qu’il entreprit des nouvelles démarches au Portugal en saisissant l’administration fiscale dans le but de déterminer le patrimoine et les revenus au Portugal de l’associé principal de la société.

59. Il appartenait à l’huissier de justice, à défaut de pouvoir entreprendre des actes et démarches matérielles en Espagne, de se tenir informé du progrès de la procédure sur ce territoire et d’informer opportunément le tribunal et le requérant. Or, la Cour constate qu’en raison du silence de l’huissier, le tribunal a été contraint de le saisir en février, mars, juin, septembre, octobre et novembre 2010 puis en mai et septembre 2011 pour lui demander l’état de la procédure.

60. Au vu des observations qui précèdent, la Cour estime que l’huissier a manqué de diligence dans le cadre de la procédure, ayant par conséquent omis de donner une assistance adéquate au requérant afin d’assurer avec célérité l’exécution du jugement rendu par le tribunal du travail de Porto.

61. Certes, le tribunal a contrôlé de façon régulière les actions de l’huissier et l’avancement de l’exécution. Néanmoins, vu l’inaction de l’huissier, la Cour considère qu’il lui était loisible de relever ce dernier de ses fonctions conformément à l’article 808 du code de procédure civile, dans la rédaction applicable au cas d’espèce. Elle constate à cet égard que seul le tribunal avait, à l’époque, compétence pour prendre une telle décision (voir paragraphe 38 ci-dessus).

62. Au vu des considérations qui précèdent, la Cour estime qu’en l’espèce, les autorités nationales n’ont pas assisté le requérant de manière effective dans les démarches, relevant de leurs compétences, pour obtenir l’exécution du jugement du 23 mai 2008.

63. Par conséquent, la Cour rejette l’exception préliminaire du Gouvernement et conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

64. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

65. Le requérant n’a présenté aucune demande de satisfaction équitable bien que dans la lettre qui lui avait été adressée le 3 janvier 2012, son attention fût attirée sur l’article 60 du règlement de la Cour qui dispose que toute demande de satisfaction équitable au titre de l’article 41 de la Convention doit être exposée dans le délai imparti pour la présentation des observations écrites sur le fond conjointement ou dans un document séparé.

66. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’octroyer de somme au titre de l’article 41 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Joint au fond l’exception préliminaire du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes et la rejette ;

2. Déclare la requête recevable ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 avril 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenIsabelle Berro-Lefèvre
GreffierPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-142308
Date de la décision : 10/04/2014
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure d'exécution;Article 6-1 - Accès à un tribunal)

Parties
Demandeurs : TEREBUS
Défendeurs : PORTUGAL

Composition du Tribunal
Avocat(s) : DA SILVA P.J.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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