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14/11/2013 | CEDH | N°001-138488

CEDH | CEDH, AFFAIRE BLOKHIN c. RUSSIE, 2013, 001-138488


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE BLOKHIN c. RUSSIE

(Requête no 47152/06)

ARRÊT

STRASBOURG

14 novembre 2013

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 23/03/2016

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Blokhin c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Erik Møse,


Ksenija Turković,
Dmitry Dedov, juges
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 octobre ...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE BLOKHIN c. RUSSIE

(Requête no 47152/06)

ARRÊT

STRASBOURG

14 novembre 2013

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 23/03/2016

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Blokhin c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Erik Møse,
Ksenija Turković,
Dmitry Dedov, juges
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 octobre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 47152/06) dirigée contre la Fédération de Russie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Ivan Borisovich Blokhin (« le requérant »), a saisi la Cour le 1er novembre 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Devant la Cour, le requérant a été représenté par Me I.V. Novikov, avocat à Novossibirsk. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par M. G. Matyushkin, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

3. Le requérant alléguait notamment qu’il avait été détenu illégalement dans un centre pour mineurs délinquants, dans des conditions inhumaines, et que son procès n’avait pas été équitable.

4. Le 29 septembre 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1992 et réside à Novossibirsk.

A. Antécédents et état de santé du requérant

6. Après que les parents du requérant eurent été déchus de leur autorité parentale, celui-ci fut placé sous la tutelle de son grand-père, qui l’éleva.

7. À l’époque des faits, le requérant était âgé de douze ans et souffrait d’hyperactivité avec déficit de l’attention (trouble mental et neurocomportemental caractérisé par de graves difficultés de concentration ou par un comportement hyperactif ou impulsif, ou encore par une combinaison de ces deux éléments) et d’énurésie (incontinence urinaire).

8. Le 27 décembre 2004 et le 19 janvier 2005, il fut examiné par un neurologue et par un psychiatre. On lui prescrivit un traitement pharmacologique, un suivi neurologique et psychiatrique ainsi qu’un accompagnement psychologique.

B. L’enquête préliminaire dirigée contre le requérant

9. Le 3 janvier 2005, le requérant fut arrêté au domicile de S., l’un de ses voisins, âgé de neuf ans. Il fut conduit au commissariat du district de Sovetski (Novossibirsk) sans avoir été informé des raisons de son interpellation.

10. Le requérant affirme avoir été placé dans une cellule sans fenêtres dont l’éclairage avait été éteint, et avoir dû attendre près d’une heure dans l’obscurité avant d’être interrogé par un agent de police. Celui-ci lui aurait indiqué que S. l’avait accusé de lui avoir extorqué de l’argent, et lui aurait ordonné de passer aux aveux pour pouvoir être libéré sur-le-champ, le menaçant de le placer en détention s’il n’obtempérait pas. L’intéressé aurait signé des aveux. Le policier aurait alors téléphoné immédiatement au grand-père du requérant, l’informant que celui-ci était au commissariat et qu’il pouvait venir le chercher. À l’arrivée du grand-père du requérant au commissariat, l’intéressé se serait rétracté et aurait protesté de son innocence.

11. Le Gouvernement conteste la version des faits exposée par le requérant. Selon lui, l’intéressé avait été invité à s’« expliquer » sans pour autant subir un interrogatoire stricto sensu. L’entretien aurait été mené par un agent de police ayant reçu une formation en psychologie et l’intéressé aurait été informé de son droit de garder le silence. Le requérant n’aurait pas subi de pression ou d’intimidation, et son grand-père aurait été présent au cours de l’entretien.

12. Le même jour, le grand-père de l’intéressé rédigea une déposition, qu’il signa. Il y décrivait le comportement et le mode de vie de son petit-fils, précisant qu’il l’avait surpris deux jours plus tôt en possession d’une somme d’argent et que, à la question de savoir d’où elle provenait, le requérant lui avait répondu qu’elle lui avait été donnée par son père.

13. Le 12 janvier 2005, la direction de l’Intérieur du district Sovetski de Novossibirsk considéra qu’il n’y avait pas lieu d’engager des poursuites contre le requérant et classa l’affaire. Au vu des aveux de l’intéressé, de la déposition de S. et de celle de la mère de ce dernier, elle jugea établi que le requérant avait extorqué de l’argent à S. le 27 décembre 2004 et le 3 janvier 2005. Elle en déduisit que l’élément matériel de l’infraction d’extorsion de fonds réprimée par l’article 163 du code pénal était constitué. Toutefois, après avoir relevé que l’intéressé n’avait pas atteint l’âge légal de la responsabilité pénale, elle conclut qu’il ne pouvait être poursuivi.

14. Le 13 février 2005, le grand-père du requérant saisit le parquet du district Sovetski de Novossibirsk, affirmant que son petit-fils, mineur et atteint de troubles mentaux, avait subi des intimidations avant d’être interrogé hors la présence de son tuteur, et qu’il avait signé des aveux sous la contrainte. Il demanda que ces aveux fussent retranchés du dossier de l’affaire et que l’enquête fût classée sans suite pour absence de preuve et non pour cause de minorité pénale.

15. Le 8 juin 2005, le parquet du district Sovetski de Novossibirsk annula la décision du12 janvier 2005, estimant que l’enquête préliminaire était incomplète. Il ordonna l’ouverture d’une nouvelle enquête préliminaire.

16. Le 6 juillet 2005, la direction de l’Intérieur du district Sovetski de Novossibirsk refusa derechef d’engager des poursuites contre le requérant, pour les mêmes raisons que précédemment.

17. Les mois suivants, le grand-père du requérant adressa plusieurs plaintes à des parquets de différents degrés et demanda le réexamen de l’affaire de son petit-fils. Dans ses plaintes, il alléguait que l’intéressé avait passé des aveux parce que la police avait usé d’intimidation à son égard, notamment en le faisant attendre une heure dans une cellule obscure avant de l’interroger hors la présence de son tuteur, d’un psychologue ou d’un enseignant. Il affirmait en outre que le policier ayant interrogé son petit-fils l’avait forcé à signer des aveux sans lui donner la possibilité de consulter un avocat, et qu’il avait ensuite refusé d’engager des poursuites au motif que l’intéressé n’avait pas atteint l’âge légal de la responsabilité pénale tout en jugeant avéré que celui-ci s’était livré à une extorsion de fonds.

18. Par des lettres des 4 août, 9 novembre et 16 décembre 2005, les parquets du district Sovetski de Novossibirsk et de la région de Novossibirsk répondirent au grand-père du requérant que, compte tenu de la minorité pénale de son petit-fils, aucune poursuite n’avait été engagée contre celui-ci, de sorte qu’il n’était ni suspect ni prévenu dans la procédure. Ils précisèrent que l’intéressé n’avait pas été interrogé par la police mais seulement invité à fournir des « explications » et qu’une telle procédure n’exigeait pas la présence d’un avocat, d’un psychologue ou d’un enseignant. Ils ajoutèrent qu’il n’était pas établi que le requérant eût été maintenu dans une cellule obscure avant cet entretien, mais que la déposition de S., celle de la mère de ce dernier et les aveux passés par l’intéressé lui-même au cours de l’entretien du 3 janvier 2005 prouvaient qu’il s’était rendu coupable d’extorsion de fonds.

C. L’ordonnance de placement en détention

19. Le 10 février 2005, la direction de l’Intérieur du district Sovetski de Novossibirsk demanda au tribunal du même district d’ordonner l’internement du requérant dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants. Elle souligna que l’intéressé avait déjà commis des infractions par le passé, notamment des troubles à l’ordre public et des extorsions entre 2002 et 2004, qu’il avait été placé dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants en septembre 2004, que ses parents avaient été déchus de leur autorité parentale, qu’il vivait avec son grand-père et sous la tutelle de celui-ci, et qu’il passait l’essentiel de son temps dans la rue à commettre des infractions, ou dans un club informatique. Elle précisa que le requérant s’était de nouveau livré à une extorsion de fonds le 27 septembre 2004, mais qu’il n’avait pas été poursuivi parce qu’il n’avait pas atteint l’âge légal de la responsabilité pénale. Au vu de ces éléments, elle estima qu’il était dans l’intérêt du requérant de subir un internement de trente jours dans un centre de détention pour éviter toute récidive de sa part et pour qu’il puisse bénéficier d’une « rééducation comportementale ».

20. Le 21 février 2005, le tribunal du district Sovetski tint une audience à laquelle le requérant et son grand-père participèrent. Ceux-ci invitèrent le tribunal à rejeter la requête présentée par la direction de l’Intérieur et produisirent des attestations médicales certifiant que l’intéressé souffrait de troubles mentaux et d’énurésie. Un avocat commis d’office était également présent à l’audience mais, selon le requérant, il n’intervint à aucun moment de la procédure.

21. Le même jour, le tribunal ordonna l’internement du requérant pendant trente jours dans un centre de détention temporaire pour mineurs délinquants. Les passages pertinents de sa décision – fondée sur l’article 22 § 2 4) de la loi sur les mineurs (paragraphe 58 ci-dessous) – se lisent ainsi :

« Après avoir entendu les parties et examiné les pièces produites par elles, le tribunal accueille la requête, pour les motifs suivants : [le requérant] est fiché [à la brigade des mineurs], il a déjà été interné dans [un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants] en vue d’une rééducation comportementale mais il n’en a pas tiré les conclusions qui s’imposaient et il a récidivé, les mesures préventives mises en place par l’Inspection [des mineurs] et le tuteur de l’intéressé n’ont débouché sur aucun résultat, ce qui prouve que [le requérant] n’a rien appris. [Le requérant] doit être interné pendant trente jours dans [un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants] en vue d’une rééducation comportementale (...) ».

S’appuyant sur la déposition rédigée par la mère de S. et les aveux passés par le requérant, le tribunal jugea établi que celui-ci avait commis des infractions le 27 décembre 2004 et le 3 janvier 2005. En conséquence, il estima que les dénégations du grand-père du requérant quant aux infractions reprochées à son petit-fils n’étaient pas convaincantes.

D. La détention du requérant dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants

22. Le 21 février 2005, le requérant fut interné dans le centre de détention provisoire pour mineurs délinquants de Novossibirsk. Il y fut maintenu en détention jusqu’au 23 mars 2005.

1. La description faite par le requérant de ses conditions de détention dans le centre

23. Le requérant affirme qu’il partageait avec sept autres détenus un dortoir où la lumière restait allumée toute la nuit.

24. Il indique que les détenus n’étaient pas autorisés à occuper ce dortoir et à s’étendre sur leur lit pendant la journée, qu’ils étaient contraints de passer toute la journée dans une vaste pièce vide, non meublée et dépourvue d’équipements sportifs, qu’ils se voyaient parfois distribuer des jeux d’échec et d’autres jeux de société, et qu’ils n’avaient été autorisés à se promener dans la cour que deux fois au cours de ses trente jours de détention dans le centre.

25. Il souligne que les détenus suivaient des cours de mathématiques et de russe uniquement, à raison de trois heures deux fois par semaine, que les autres matières du programme officiel de l’enseignement secondaire ne leur étaient pas enseignées, et que les classes se composaient d’une vingtaine élèves d’âges et de niveaux scolaires différents.

26. Il affirme que les surveillants appliquaient des punitions collectives aux détenus, et que si l’un de ces derniers enfreignait la stricte discipline imposée dans le centre, tous devaient s’aligner contre un mur avec interdiction de bouger, de parler et de s’assoir. Il précise que cette punition leur était infligée tous les jours, souvent des heures durant, les détenus psychologiquement instables et indisciplinés issus de milieux sociaux défavorisés étant nombreux dans le centre.

27. Il assure que les détenus n’étaient pas autorisés à quitter le local où ils étaient rassemblés et que, pour aller aux toilettes, ils devaient s’adresser aux surveillants, qui ne les y accompagnaient que par groupes de trois, de sorte qu’ils étaient obligés d’attendre d’être suffisamment nombreux pour pouvoir s’y rendre. Rappelant qu’il souffre d’énurésie, le requérant affirme que l’impossibilité de se rendre aux toilettes aussi souvent que nécessaire lui causait des douleurs à la vessie ainsi que des souffrances psychiques, et que les surveillants le punissaient en lui imposant des corvées de nettoyage particulièrement ardues lorsqu’il demandait trop fréquemment l’autorisation d’aller aux toilettes.

28. Enfin, il se plaint de n’avoir bénéficié d’aucun traitement médical, bien que son grand-père eût informé le personnel du centre qu’il souffrait d’énurésie et d’hyperactivité.

2. La description faite par le Gouvernement des conditions de détention du requérant dans le centre

29. Le Gouvernement affirme que les dortoirs du centre mesurent chacun 17 m2, qu’ils sont équipés de quatre lits, et que l’accès aux salles de bains et aux toilettes situées à chaque étage n’est pas limité.

30. Il indique que le centre dispose d’un réfectoire servant des repas cinq fois par jour, d’une salle de jeux et d’une salle de sport, et que les détenus ont accès à des équipements audiovisuels, à des jeux éducatifs et à des œuvres de fiction.

31. Il ajoute que les surveillants mènent auprès de chaque détenu des « actions préventives » qui les autorisent à leur appliquer des mesures incitatives ou punitives sous forme de remontrances orales, que les châtiments corporels sont proscrits et que les détenus mineurs ne sont jamais astreints à effectuer des travaux pénibles ou salissants.

32. Il assure que l’unité médicale du centre dispose de tous les équipements et médicaments nécessaires, et fait observer que la liste du personnel du centre qu’il a produite devant la Cour comprend un pédiatre, deux infirmières et un psychologue. Il précise que chaque détenu est examiné par le pédiatre le jour de son arrivée au centre, puis quotidiennement, que des traitements sont prescrits en tant que de besoin et que le dossier médical du requérant prouve que celui-ci n’avait pas informé le médecin de son énurésie.

33. Il affirme que le dossier individuel du requérant, où figuraient notamment des informations sur son état de santé au moment de son internement ainsi que des notes sur les actions préventives et les punitions dont il avait fait l’objet, a été détruit à l’expiration du délai légal de conservation des documents de ce type, conformément au décret no 215 pris par le ministère de l’Intérieur le 2 avril 2004 (paragraphe 65 ci-dessous). À cet égard, il produit une attestation non datée de l’administration du centre certifiant que le dossier du requérant et d’autres dossiers de 2005 avaient été incinérés.

34. Il explique que le dossier médical de l’intéressé a été détruit pour les mêmes raisons à l’expiration de la durée légale de conservation des dossiers médicaux, fixée à trois ans par le décret no 340 du 12 mai 2006 du ministère de l’Intérieur.

35. Il produit une déposition en date du 23 décembre 2010 rédigée par une surveillante du centre. Celle-ci y confirme la description des conditions de détention dans le centre faite par le Gouvernement, ajoutant qu’un surveillant est toujours présent dans les locaux où les détenus sont réunis afin d’assurer la continuité du processus éducatif. Elle précise que des enseignants de l’école voisine se rendent régulièrement au centre pour que les détenus puissent suivre le programme de l’enseignement secondaire, et que ceux-ci se voient délivrer un relevé de leurs résultats scolaires à leur départ du centre. Elle indique ne pas se souvenir du requérant mais affirme n’avoir jamais reçu de demandes ou de plaintes de sa part, ni de la part d’aucun autre détenu.

36. Le Gouvernement produit en outre une copie d’une convention passée le 1er septembre 2004 entre le centre de détention et l’école secondaire no 15, aux termes de laquelle cette école s’engage à dispenser des cours d’enseignement secondaire au centre conformément au programme d’études établi par celui-ci, ainsi qu’une copie d’un programme de cours non daté couvrant une période de deux semaines. Le programme en question comprend quatre cours par jour les mardis, jeudis et vendredis.

3. L’état de santé du requérant après la libération de celui-ci du centre de détention

37. Le 23 mars 2005, le requérant put quitter le centre de détention.

38. Le 24 mars 2005, il fut conduit à l’hôpital pour y recevoir un traitement contre sa névrose et son trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention.

39. Le 31 août 2005, il fut placé dans un orphelinat. Le 1er novembre 2005, il fut transféré dans un hôpital psychiatrique, où il demeura interné jusqu’au 27 décembre 2005.

40. Le 4 octobre 2005, le grand-père de l’intéressé porta plainte auprès du parquet général, alléguant que son petit-fils, qui était atteint d’un trouble mental, n’avait jamais reçu de traitement médical au centre de détention pour mineurs délinquants, que cette situation avait provoqué une dégradation de son état de santé, et qu’aucun enseignement ne lui avait été dispensé. Cette plainte resta lettre morte.

E. Les recours exercés contre l’ordonnance de placement en détention

41. Entre-temps, le grand-père du requérant avait fait appel de l’ordonnance de placement en détention délivrée le 21 février 2005. Dans son recours, il avait allégué, en premier lieu, que la détention de son petit-fils était illégale, la loi sur les mineurs n’autorisant pas selon lui l’internement en vue d’une « rééducation comportementale ». En second lieu, il avait soutenu que, faute d’avoir été informé de la décision de classement sans suite prise le 12 janvier 2005, il n’avait pas pu la contester. Il avait avancé, en troisième lieu, que le tribunal avait conclu que son petit-fils avait commis une infraction au vu de la déposition de S., de celle de la mère de celui-ci et des aveux de l’intéressé, alors même que ceux-ci avaient été passés par le requérant hors la présence de son tuteur ou d’un enseignant et que S. avait lui-même été interrogé hors la présence d’un enseignant, ce qui devait conduire selon lui au retranchement des aveux et de la déposition en question. En quatrième lieu, il avait signalé que S. et sa mère n’avaient pas pris part à l’audience et n’avaient pas été entendus par le tribunal, lequel n’avait pas vérifié l’alibi de l’intéressé. Enfin, il avait reproché au tribunal de ne pas avoir tenu compte de la santé fragile de son petit-fils et de ne pas avoir recherché si celle-ci était compatible avec une détention.

42. Le 21 mars 2005, la cour régionale de Novossibirsk avait annulé en appel l’ordonnance de placement en détention de l’intéressé délivrée le 21 février 2005. Pour se prononcer ainsi, elle avait relevé que la rééducation comportementale ne figurait pas au nombre des motifs pour lesquels l’article 22 § 2 4) de la loi sur les mineurs autorisait l’internement d’un mineur dans un centre de détention pour mineurs et elle avait conclu à l’absence de base légale d’un internement fondé sur ce motif. Elle avait ajouté que le tribunal de district n’avait pas exposé les raisons pour lesquelles la détention du requérant lui avait paru nécessaire, et elle avait estimé que la commission par celui-ci d’une infraction pour laquelle il ne pouvait être poursuivi à cause de son âge ne justifiait pas à elle seule son placement en détention. Elle avait précisé que, pour être valable, une détention de ce type devait satisfaire à l’une des autres conditions énumérées par l’article 22 § 2 4) de la loi sur les mineurs (paragraphe 58 ci‑dessous). Elle avait renvoyé l’affaire pour réexamen au tribunal de district.

43. Le 11 avril 2005, le tribunal du district Sovetski avait rendu une ordonnance de classement sans suite après que la direction de l’Intérieur eut retiré sa requête tendant à l’internement du requérant dans un centre de détention pour mineurs délinquants. Ni l’intéressé ni son grand-père n’avaient été informés de la date de l’audience.

44. Le 22 mars 2006, le grand-père du requérant exerça un recours en révision de l’ordonnance du 11 avril 2005. Dans son recours, il alléguait que le classement de l’affaire avait empêché le requérant de prouver son innocence quant à l’infraction pour laquelle il avait déjà purgé une peine de détention illégale dans un centre de détention temporaire pour mineurs.

45. Le 3 avril 2006, le président de la cour régionale de Novossibirsk annula l’ordonnance du 11 avril 2005. Pour se prononcer ainsi, il releva en premier lieu que, conformément à l’article 31.2 § 3 de la loi sur les mineurs, un juge saisi d’une demande de placement en détention d’un mineur dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants pouvait y faire droit ou au contraire la rejeter, mais qu’il ne pouvait classer l’affaire. Il observa en second lieu que, faute d’avoir été informés de la date de l’audience, l’intéressé et le tuteur de celui-ci avaient été privés de la possibilité de formuler des observations sur la question du classement de l’affaire.

46. Le 17 avril 2006, le procureur de la région de Novossibirsk forma un recours en révision contre la décision rendue par la cour régionale le 21 mars 2005.

47. Le 12 mai 2006, le présidium de la cour régionale de Novossibirsk annula la décision du 21 mars 2005 au motif que celle-ci avait été rendue par une chambre irrégulièrement composée. Il ordonna un nouvel examen de l’affaire en appel.

48. Le 29 mai 2006, le président de la cour régionale de Novossibirsk tint une nouvelle audience d’appel. Il confirma la décision de placement en détention du requérant dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants. Il constata que l’intéressé avait commis l’infraction réprimée par l’article 163 du code pénal, mais qu’il n’avait pas été poursuivi parce qu’il n’avait pas atteint l’âge légal de la responsabilité pénale. Il estima que le requérant appartenait à une « famille à problèmes », précisant que les parents de celui-ci avaient été déchus de leur autorité parentale et qu’il était élevé par son grand-père. Il ajouta que l’intéressé faisait l’école buissonnière et qu’il passait l’essentiel de son temps dans un club informatique. En conséquence, il jugea que la détention du requérant pendant trente jours dans un centre de détention pour mineurs délinquants était nécessaire, aux fins de l’article 22 § 2 4) de la loi sur les mineurs, pour prévenir tout risque de récidive de la part de l’intéressé. Il considéra que la nécessité d’une « rééducation comportementale » du requérant invoquée par le tribunal de district pour justifier l’internement litigieux ne rendait pas illégale l’ordonnance de placement en détention du 21 février 2005, la détention de l’intéressé se justifiant par d’autres motifs. Enfin, il considéra que la fragilité de la santé du requérant ne pouvait conduire à l’annulation de l’ordonnance litigieuse, celle-ci ayant reçu exécution en mars 2005.

II. Le droit interne et les textes internationaux pertinents

A. Le droit interne pertinent

1. La Constitution de la Fédération de Russie

49. L’article 48 § 2 de la Constitution de la Fédération de Russie reconnaît à toute personne arrêtée, détenue ou accusée d’une infraction pénale le droit à une assistance juridique dès le moment de son arrestation, de son placement en détention ou de son inculpation.

2. Le code pénal

50. Le code pénal fixe l’âge de la responsabilité pénale à 16 ans. L’âge de la responsabilité pénale est ramené à 14 ans pour certaines infractions, notamment l’extorsion de fonds (article 20).

3. Le code de procédure pénale

51. Tout suspect ou accusé a droit à une assistance juridique dès le moment de son arrestation (articles 46 § 4 3), 47 § 4 8) et 49 § 3 du code de procédure pénale de la Fédération de Russie).

52. L’article 51 du même texte rend obligatoire le ministère d’avocat lorsque le suspect ou l’accusé est un mineur. Le policier, l’enquêteur, le procureur ou le juge sont tenus de désigner d’office un avocat lorsque le mineur ou le tuteur de celui-ci n’a pas fait appel à un défenseur de son choix (article 51 §§ 1 et 3).

53. La présence de l’avocat d’un suspect mineur est obligatoire lors de chaque interrogatoire. Si le suspect a moins de seize ans, un psychologue ou un enseignant doit également assister aux interrogatoires. Le policier, l’enquêteur ou le procureur chargé de l’interrogatoire doit alors s’assurer de la présence d’un psychologue ou d’un enseignant à chaque interrogatoire (article 425 §§ 2 à 4).

54. Le tuteur d’un suspect mineur peut prendre part à tous les actes d’enquête consécutifs au premier interrogatoire (article 426 §§ 1 et 2 3)).

55. Les témoins doivent être entendus par la juridiction de jugement elle-même (article 278). Les dépositions faites par des victimes ou des témoins au cours de l’enquête préliminaire peuvent être lues à l’audience, si les parties y consentent, et i) s’il existe une importante divergence entre les dépositions en question et les témoignages faits à l’audience ou ii) si les victimes ou les témoins concernés ne sont pas présents à l’audience (article 281).

4. La loi sur les mineurs

56. Selon l’article 1 de la loi fédérale no 120-FZ du 24 juin 1999 sur les mesures de base en matière de prévention de la négligence envers les mineurs et de la délinquance des mineurs (« la loi sur les mineurs »), est mineure toute personne âgée de moins de 18 ans.

57. Selon l’article 15 §§ 4-7 du même texte, les mineurs qui ont des besoins particuliers en matière éducative et qui ont commis une infraction avant d’avoir atteint l’âge légal de la responsabilité pénale peuvent être placés dans un « centre éducatif fermé » pour une durée maximale de trois ans. Les centres éducatifs fermés ont vocation à :

i. accueillir, scolariser et éduquer des mineurs âgés de 8 à 18 ans ayant des besoins particuliers en matière éducative ;

ii. rééduquer les mineurs concernés du point de vue psychologique, thérapeutique et pédagogique, et mener auprès d’eux des actions préventives ;

iii. protéger les droits et intérêts légitimes des mineurs concernés, administrer aux intéressés des soins médicaux et leur dispenser un enseignement secondaire et professionnel ;

iv. fournir une assistance sociale, psychologique et pédagogique aux mineurs ayant des problèmes de santé, de comportement ou connaissant des difficultés scolaires ;

v. animer des clubs ou groupements sportifs ou scientifiques et inciter les mineurs concernés à y participer ;

vi. mettre en œuvre des programmes et des mesures visant à susciter chez les mineurs concernés un comportement respectueux de la loi (article 15 § 2).

58. Un mineur ne peut être placé en détention dans un centre de détention temporaire pour mineurs délinquants que pendant la durée strictement nécessaire à la recherche d’un lieu d’accueil approprié, laquelle ne peut excéder trente jours (article 22 § 6), et seulement :

a) s’il s’agit d’un mineur dont le placement en établissement éducatif fermé a été ordonné par un tribunal, auquel cas ce mineur peut être placé dans un centre de détention temporaire pour mineurs délinquants pendant la durée nécessaire à la préparation de son transfert dans l’établissement en question (articles 22 § 1 3), 22 § 2 1) et 31 § 1)) ;

b) s’il s’agit d’un mineur faisant l’objet d’une demande de placement en établissement éducatif fermé pendante devant un tribunal, auquel cas ce mineur peut être placé dans un centre de détention temporaire pour mineurs délinquants pendant une durée maximale de trente jours si une telle mesure est nécessaire pour protéger sa vie ou sa santé, ou prévenir une récidive de sa part, ou s’il n’a pas de domicile fixe, ou s’il a fugué, ou s’il est resté plus de deux fois en défaut de se présenter à une audience judiciaire ou à un examen médical sans raison valable (articles 22 § 2 2) et 26 § 6)) ;

c) s’il s’agit d’un mineur qui s’est enfui d’un établissement éducatif fermé, auquel cas ce mineur peut être placé dans un centre de détention temporaire pour mineurs délinquants pendant la durée nécessaire à la recherche d’un lieu d’accueil approprié (article 22 § 2 3)) ;

d) s’il s’agit d’un mineur qui a commis une infraction avant d’avoir atteint l’âge légal de la responsabilité pénale, auquel cas ce mineur peut être placé dans un centre de détention temporaire pour mineurs délinquants si une telle mesure est nécessaire pour protéger sa vie ou sa santé ou l’empêcher de récidiver, ou si son identité est inconnue, ou s’il n’a pas de domicile fixe, ou s’il réside dans une autre région que celle où l’infraction a été commise, ou s’il ne peut être remis immédiatement à ses parents ou à ses tuteurs en raison de l’éloignement de leur domicile (article 22 § 2 4) à 6)).

59. Les principaux objectifs assignés aux centres de détention provisoire pour mineurs délinquants sont :

– la détention temporaire de mineurs délinquants en vue de protéger leur vie et leur santé et de les empêcher de récidiver ;

– la conduite, auprès des mineurs concernés, d’actions préventives individuelles visant à déterminer s’ils ont pris part à la commission d’actes de délinquance, à identifier les raisons et les circonstances favorisant la perpétration de tels actes, et à en informer les autorités répressives compétentes ;

– le transfert des mineurs concernés dans des établissements éducatifs fermés et la mise en œuvre de mesures destinées à trouver un lieu d’accueil pour les mineurs temporairement placés sous leur garde (article 22 § 1).

60. Le placement d’un mineur dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants est ordonné par un juge (article 22 § 3 2)), à la demande d’une direction locale du ministère de l’Intérieur. Celle-ci doit fournir les éléments suivants à l’appui de sa demande : la preuve de la commission par le mineur concerné d’un acte de délinquance, des renseignements sur les buts et les motifs de l’internement du mineur en centre de détention provisoire pour mineurs délinquants et des éléments établissant que l’internement est nécessaire pour protéger la vie ou la santé du mineur ou pour l’empêcher de récidiver (article 31.1). Ces éléments sont communiqués au mineur et à ses parents ou tuteurs pour qu’ils puissent en prendre connaissance, puis ils sont examinés par un juge unique lors d’une audience à laquelle prennent part le mineur, ses parents ou tuteurs, leur avocat, un procureur ainsi que des représentants de la direction locale du ministère de l’Intérieur et du centre de détention provisoire pour mineurs délinquants. Le juge accueille la demande de placement ou la rejette par une décision motivée (article 31.2). Le mineur, ses parents ou tuteurs et leur avocat peuvent interjeter appel de cette décision devant une juridiction supérieure dans un délai de dix jours (article 31.3).

5. La circulaire sur la détention provisoire des mineurs délinquants

61. Dans sa version en vigueur à l’époque pertinente, la circulaire sur l’organisation des activités des centres de détention provisoire pour mineurs délinquants adoptée par le ministère de l’Intérieur le 2 avril 2004 (décret no 215) plaçait les centres en question sous l’administration des directions locales du ministère de l’Intérieur (§ 4).

62. Lors de leur admission dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants, les mineurs subissent une fouille, de même que leurs effets personnels. Les articles interdits sont confisqués. L’argent, les objets de valeur et les autres biens trouvés en possession des mineurs sont remis à l’agent comptable du centre (§§ 14 et 15).

63. Les centres de détention sont entourés par une enceinte dotée d’un système d’alarme et d’un poste de contrôle d’entrée (§ 19). La discipline y est assurée par des équipes de surveillants (§ 22).

64. Les directeurs des centres de détention provisoire pour mineurs délinquants sont responsables des mesures de sécurité de leur établissement, qui doivent permettre une surveillance permanente des détenus, y compris pendant leur sommeil, et interdire toute tentative de sortie non autorisée de leur part (§ 39).

65. Chaque détenu mineur fait l’objet d’un dossier individuel où figurent les documents justifiant son internement, le rapport établi après la fouille, les actions préventives menées auprès de lui, les récompenses et les punitions reçues par lui, les certificats médicaux attestant de son état de santé au moment de son internement, et tout autre document pertinent (§ 18). Les dossiers individuels sont conservés pendant deux ans. Passé ce délai, ils sont détruits (annexe no 5).

66. Le cas échéant, des actions préventives peuvent être menées auprès d’un mineur en fonction de son âge, de son comportement, de la gravité des actes de délinquance commis par lui et d’autres facteurs (§ 24). Des récompenses ou des punitions peuvent lui être appliquées pour renforcer l’efficacité des actions en question (§ 25).

67. En vue de prévenir la récidive des mineurs, et dans le cadre des actions préventives dont ils sont chargés, les agents des centres de détention provisoire pour mineurs délinquants peuvent :

a) rechercher quelles sont les conditions de vie et d’éducation de la famille du mineur, les qualités personnelles et les centres d’intérêt de celui-ci, les raisons de ses fugues ou de l’abandon de sa scolarité, les circonstances de sa participation à la commission d’actes de délinquance, les conditions dans lesquelles ceux-ci ont été commis, notamment les complicités dont le mineur a pu bénéficier et, le cas échéant, l’utilisation qui a été faite de biens volés ;

b) communiquer aux autorités répressives des renseignements sur les personnes impliquées dans des actes de délinquance et des informations susceptibles de faciliter la conduite d’une enquête sur les actes en question ;

c) mettre en œuvre des mesures éducatives individuelles visant en particulier à développer les qualités et les centres d’intérêts positifs du mineur dans le but de maîtriser ses déviances comportementales et de l’inciter à étudier et à travailler (§ 26).

6. Jurisprudence sur l’internement des mineurs en centre de détention provisoire pour mineurs délinquants

68. Dans deux arrêts rendus les 7 et 14 juillet 2009 respectivement, la Cour suprême de la République d’Udmurtia a conclu que le juge saisi d’une demande de placement d’un mineur dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants n’était pas compétent pour fixer la durée de cet internement. Elle a rappelé que, selon l’article 22 § 6 de la loi sur les mineurs, un mineur ne pouvait être maintenu dans un centre de détention temporaire pour mineurs délinquants que pendant la durée strictement nécessaire à la recherche d’un lieu d’accueil approprié, laquelle ne pouvait excéder trente jours. Elle a jugé que la fixation de la durée de l’internement par le juge priverait cette disposition de sa substance et empêcherait l’administration du centre de détention de remettre un mineur en liberté avant le terme de la période de détention fixée par le juge, alors même que le mineur doit être libéré dès qu’un lieu d’accueil lui est assigné et que les actions préventives nécessaires ont été accomplies.

69. Le 6 mars 2009, le présidium de la cour régionale de Perm publia un rapport de jurisprudence passant en revue l’application de la loi sur les mineurs par les tribunaux de la région de Perm. Dans ce rapport, il indiqua que le juge ordonnant l’internement d’un mineur dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants n’avait pas compétence pour fixer la durée de la détention, et qu’il appartenait à l’administration du centre de décider au cas par cas si les mineur concernés pouvaient être remis en liberté ou transférés dans un autre établissement. Il signala que les mineurs ne pouvaient en aucun cas être maintenus en détention au-delà de la durée maximum légale, à savoir trente jours.

70. Par ailleurs, le présidium précisa que si le droit interne n’imposait pas au juge d’entendre les témoins éventuels de l’infraction imputée à un mineur avant d’ordonner l’internement de celui-ci dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants, le juge pouvait procéder à leur audition s’il l’estimait nécessaire. Il observa que le fait pour un mineur de ne pas avoir eu accès au dossier de son affaire ne pouvait justifier le rejet de la demande d’internement qui le visait, mais déclara que le mineur devait pouvoir accéder à son dossier s’il le demandait. Enfin, il souligna que la décision de placement en détention ne pouvait être mise à exécution qu’après avoir été confirmée en appel, sauf dans le cas où elle était motivée par la nécessité de protéger la vie ou la santé du mineur.

7. Délais de conservation des documents médicaux

71. Les textes applicables à l’époque des faits, à savoir, d’une part, l’article 400 du décret no 493 adopté le 30 mai 1974 par le ministère de la Santé de l’URSS, relatif aux documents en la possession de ce ministère et des organismes, institutions, organisations ou agences sanitaires ainsi qu’à la durée de conservation de ces documents et, d’autre part, l’article 40 du décret no 1030 pris le 4 octobre 1980 par ce même ministère, relatif à l’approbation des formulaires officiels applicables aux documents médicaux des services sanitaires fixaient à dix ans la durée obligatoire de conservation des dossiers médicaux des mineurs.

B. Textes internationaux pertinents

1. Textes de l’Organisation des Nations unies

72. Les passages pertinents de l’article 37 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE) se lisent ainsi :

« Les États parties veillent à ce que :

(...)

d) Les enfants privés de liberté aient le droit d’avoir rapidement accès à l’assistance juridique ou à toute autre assistance appropriée, ainsi que le droit de contester la légalité de leur privation de liberté devant un tribunal ou une autre autorité compétente, indépendante et impartiale, et à ce qu’une décision rapide soit prise en la matière. »

73. En ce qui concerne le droit des mineurs détenus par la police à une assistance juridique, l’observation générale no 10 adoptée le 25 avril 2007 par le Comité des droits de l’enfant (CRC/C/GC/10) énonce notamment que :

« 49. L’enfant doit bénéficier d’une assistance juridique ou de toute autre assistance appropriée pour la préparation et la présentation de sa défense. La Convention exige que l’enfant bénéficie d’une assistance qui, si elle n’est pas forcément juridique, doit être appropriée. Les modalités de fourniture de l’assistance sont laissées à l’appréciation des États parties mais, en tout état de cause, l’assistance doit être gratuite. (...)

52. (...) si les décisions doivent être adoptées avec diligence, elles doivent résulter d’un processus durant lequel les droits fondamentaux de l’enfant et les garanties légales en sa faveur sont pleinement respectés. Une assistance juridique ou toute autre assistance appropriée doit aussi être fournie, non seulement à l’audience de jugement devant un tribunal ou tout autre organe judiciaire, mais à tous les stades du processus, à commencer par l’interrogatoire de l’enfant par la police. »

74. Les passages pertinents de l’Ensemble de règles minima des Nations unies concernant l’administration de la justice pour mineurs, adopté par l’Assemblée générale le 29 novembre 1985 (A/RES/40/33 – « les Règles de Beijing »), sont ainsi libellés :

« 4. Âge de la responsabilité pénale

4.1 Dans les systèmes juridiques qui reconnaissent la notion de seuil de responsabilité pénale, celui-ci ne doit pas être fixé trop bas eu égard aux problèmes de maturité affective, psychologique et intellectuelle.

5. Objectif de la justice pour mineurs

5.1 Le système de la justice pour mineurs recherche le bien-être du mineur et fait en sorte que les réactions vis-à-vis des délinquants juvéniles soient toujours proportionnées aux circonstances propres aux délinquants et aux délits.

(...)

7. Droits des mineurs

7.1 Les garanties fondamentales de la procédure telles que la présomption d’innocence, le droit à être informé des charges, le droit de garder le silence, le droit à l’assistance d’un conseil, le droit à la présence d’un parent ou tuteur, le droit d’interroger et de confronter les témoins et le droit à un double degré de juridiction sont assurées à tous les stades de la procédure.

10. Premier contact

10.1 Dès qu’un mineur est appréhendé, ses parents ou son tuteur sont informés immédiatement ou, si ce n’est pas possible, dans les plus brefs délais.

(...)

10.3 Les contacts entre les services de répression et le jeune délinquant sont établis de manière à respecter le statut juridique du mineur, à favoriser son bien-être et à éviter de lui nuire, compte dûment tenu des circonstances de l’affaire.

Commentaire

L’article 10.3 traite d’aspects fondamentaux relatifs aux procédures et au comportement des policiers ou autres agents des services de répression dans les cas de délinquance juvénile. L’expression « éviter de [lui] nuire » est assurément vague et recouvre maints aspects de l’interaction possible (paroles, violence physique, risques dus au milieu). Avoir affaire à la justice pour mineurs peut en soi être « nocif » pour les jeunes, il faut donc interpréter l’expression « éviter de [lui] nuire » comme signifiant tout d’abord qu’il faut faire le moins de mal possible aux mineurs et éviter tout tort supplémentaire ou indu. Cela est particulièrement important dans le premier contact avec les services de répression, car ce contact peut influencer profondément l’attitude du mineur à l’égard de l’État et de la société. En outre, le succès de toute autre intervention dépend largement de ces premiers contacts. Bienveillance et fermeté sont essentielles en pareilles situations.

17. Principes directeurs régissant le jugement et la décision

17.1 La décision de l’autorité compétente doit s’inspirer des principes suivants :

a) La décision doit toujours être proportionnée non seulement aux circonstances et à la gravité du délit, mais aussi aux circonstances et aux besoins du délinquant ainsi qu’aux besoins de la société ;

b) II n’est apporté de restrictions à la liberté personnelle du mineur – et ce en les limitant au minimum – qu’après un examen minutieux ;

c) La privation de liberté individuelle n’est infligée que si le mineur est jugé coupable d’un délit avec voies de fait à l’encontre d’une autre personne, ou pour récidive, et s’il n’y a pas d’autre solution qui convienne ;

d) Le bien-être du mineur doit être le critère déterminant dans l’examen de son cas.

17.3 Les mineurs ne sont pas soumis à des châtiments corporels.

17.4 L’autorité compétente a le pouvoir d’interrompre la procédure à tout moment.

Commentaire

L’alinéa b de l’article 17.1 affirme que des solutions strictement punitives ne conviennent pas. Alors que s’agissant d’adultes et peut-être aussi dans les cas de délits graves commis par des jeunes les notions de peine méritée et de sanctions adaptées à la gravité du délit peuvent se justifier relativement, dans les affaires de mineurs, l’intérêt et l’avenir du mineur doivent toujours l’emporter sur des considérations de ce genre.

Conformément à la résolution 8 du sixième Congrès des Nations Unies, l’alinéa b de l’article 17.1 encourage le recours, dans toute la mesure possible, à des solutions autres que le placement en institution, en gardant à l’esprit le souci de répondre aux besoins spécifiques des jeunes. Ainsi, il faut faire pleinement appel à tout l’éventail existant des sanctions de rechange et mettre au point de nouveaux types de sanctions, tout en gardant à l’esprit la notion de sécurité publique. Il faut faire appliquer le régime de la probation dans toute la mesure possible, au moyen de sursis, de peines conditionnelles, de décisions de commissions ou toutes autres dispositions.

L’alinéa c de l’article 17.1 correspond à l’un des principes directeurs figurant dans la résolution 4 du sixième Congrès, qui vise à éviter l’incarcération dans le cas des jeunes délinquants à moins qu’il n’existe pas d’autre moyen approprié d’assurer la sécurité publique.

(...)

19. Recours minimal au placement en institution

19.1 Le placement d’un mineur dans une institution est toujours une mesure de dernier ressort et la durée doit en être aussi brève que possible.

Commentaire

La criminologie progressiste recommande le traitement en milieu ouvert de préférence au placement dans une institution. On n’a constaté pratiquement aucune différence entre le succès des deux méthodes. Les nombreuses influences négatives qui s’exercent sur l’individu et qui semblent inévitables en milieu institutionnel ne peuvent évidemment pas être contrebalancées par des efforts dans le domaine du traitement. Cela s’applique particulièrement aux jeunes délinquants, dont la vulnérabilité est plus grande. En outre, les conséquences négatives qu’entraînent non seulement la perte de liberté mais encore la séparation du milieu social habituel sont certainement plus graves chez les mineurs en raison de leur manque de maturité.

L’article 19 vise à restreindre le placement dans une institution à deux égards : fréquence (« mesure de dernier ressort ») et durée (« aussi brève que possible »). Il reprend un des principes fondamentaux de la résolution 4 du sixième Congrès des Nations Unies, à savoir qu’aucun jeune délinquant ne devrait être incarcéré dans un établissement pénitentiaire, à moins qu’il n’existe aucun autre moyen approprié. L’article demande donc que, si un jeune délinquant doit être placé dans une institution, la privation de liberté soit limitée le plus possible, que des arrangements spéciaux soient prévus dans l’institution pour sa détention et qu’il soit tenu compte des différentes sortes de délinquants, de délits et d’institutions. En fait, il faudrait donner la priorité aux institutions « ouvertes » sur les institutions « fermées ». En outre, tous les établissements devraient être de type correctif ou éducatif plutôt que carcéral.

(...)

26. Objectifs du traitement en institution

26.1 La formation et le traitement des mineurs placés en institution ont pour objet de leur assurer assistance, protection, éducation et compétences professionnelles, afin de les aider à jouer un rôle constructif et productif dans la société.

26.2 Les jeunes placés en institution recevront l’aide, la protection et toute l’assistance – sur le plan social, éducatif, professionnel, psychologique, médical et physique – qui peuvent leur être nécessaires eu égard à leur âge, à leur sexe et à leur personnalité et dans l’intérêt de leur développement harmonieux.

26.3 Les mineurs placés en institution doivent être séparés des adultes et détenus dans un établissement distinct ou dans une partie distincte d’un établissement qui abrite aussi des adultes.

(...)

26.5 Les parents ou le tuteur du mineur placé en institution ont le droit de visite dans son intérêt et pour son bien-être.

26.6 On favorisera la coopération entre les ministères et les services en vue d’assurer une formation scolaire ou, s’il y a lieu, professionnelle adéquate aux mineurs placés en institution, pour qu’ils ne soient pas désavantagés dans leurs études en quittant cette institution.

(...)

29. Régimes de semi-détention

29.1 On s’efforcera de créer des régimes de semi-détention notamment dans des établissements tels que les centres d’accueil intermédiaires, les foyers socio-éducatifs, les externats de formation professionnelle et autres établissements appropriés propres à favoriser la réinsertion sociale des mineurs.

75. Les passages pertinents des Règles des Nations unies pour la protection des mineurs privés de liberté (Résolution no 45/113 adoptée par l’Assemblée générale le 14 décembre 1990) se lisent ainsi :

« I. Perspectives fondamentales

(...)

2. Les mineurs ne peuvent être privés de leur liberté que conformément aux principes et procédures énoncés dans les présentes Règles et dans l’Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing). La privation de liberté d’un mineur doit être une mesure prise en dernier recours et pour le minimum de temps nécessaire et être limitée à des cas exceptionnels. La durée de détention doit être définie par les autorités judiciaires, sans que soit écartée la possibilité d’une libération anticipée.

II. Portée et application des règles

(...)

12. La privation de liberté doit avoir lieu dans des conditions et des circonstances garantissant le respect des droits de l’homme des mineurs. Les mineurs détenus doivent pouvoir exercer une activité intéressante et suivre des programmes qui maintiennent et renforcent leur santé et leur respect de soi, favorisent leur sens des responsabilités et les encouragent à adopter des attitudes et à acquérir des connaissances qui les aideront à s’épanouir comme membres de la société.

IV. L’administration des établissements pour mineurs

(...)

B. Admission, immatriculation, transfèrement et transfert

21. Dans tout lieu où des mineurs sont détenus, il doit être tenu un registre où sont consignés de manière exhaustive et fidèle, pour chaque mineur admis :

(...)

e) Des indications détaillées sur les problèmes de santé physique et mentale, y compris l’abus de drogues et d’alcool (...)

C. Classement et placement

27. Aussitôt que possible après son admission, chaque mineur doit être interrogé, et un rapport psychologique et social indiquant les facteurs pertinents quant au type de traitement et de programme d’éducation et de formation requis doit être établi. Ce rapport ainsi que le rapport établi par le médecin qui a examiné le mineur lors de son admission doivent être communiqués au directeur afin qu’il décide de l’affectation la plus appropriée pour l’intéressé dans l’établissement et du type de traitement et de programme de formation requis. Si un traitement rééducatif est nécessaire, et si la durée de séjour dans l’établissement le permet, un personnel qualifié de cet établissement devrait établir par écrit un plan de traitement individualisé qui spécifie les objectifs du traitement, leur échelonnement dans le temps et les moyens, étapes et phases par lesquels les atteindre.

28. Les mineurs doivent être détenus dans des conditions tenant dûment compte de leur statut et de leurs besoins particuliers en fonction de leur âge, de leur personnalité et de leur sexe, du type de délit ainsi que de leur état physique et mental, et qui les protègent des influences néfastes et des situations à risque. Le principal critère pour le classement des mineurs privés de liberté dans les différentes catégories doit être la nécessité de fournir aux intéressés le type de traitement le mieux adapté à leurs besoins et de protéger leur intégrité physique, morale et mentale ainsi que leur bien-être.

(...)

D. Environnement physique et logement

31. Les mineurs détenus doivent être logés dans des locaux répondant à toutes les exigences de l’hygiène et de la dignité humaine.

32. La conception des établissements pour mineurs et l’environnement physique doivent être conformes à l’objectif de réadaptation assigné au traitement des mineurs détenus, compte dûment tenu du besoin d’intimité des mineurs et de leur besoin de stimulants sensoriels, tout en leur offrant des possibilités d’association avec leurs semblables et en leur permettant de se livrer à des activités sportives, d’exercice physique et de loisirs (...).

33. Normalement, les mineurs doivent dormir dans de petits dortoirs ou des chambres individuelles, tout en tenant compte des normes locales. Les locaux où dorment les détenus – chambres individuelles ou dortoirs – doivent être soumis, la nuit, à une surveillance régulière et discrète, afin d’assurer la protection de chacun des mineurs. Chaque mineur doit disposer, en conformité avec les usages locaux ou nationaux, d’une literie individuelle suffisante qui doit être propre au moment où elle est délivrée, entretenue convenablement et renouvelée de façon à en assurer la propreté.

34. Les installations sanitaires doivent se trouver à des emplacements convenablement choisis et répondre à des normes suffisantes pour permettre à tout mineur de satisfaire les besoins naturels au moment voulu, d’une manière propre et décente.

35. La possession d’effets personnels est un élément fondamental du droit à la vie privée et est essentielle au bien-être psychologique du mineur. En conséquence, doivent être pleinement reconnus et respectés le droit du mineur de conserver en sa possession ses effets personnels et celui d’avoir la possibilité d’entreposer ces effets dans des conditions satisfaisantes.

(...)

E. Éducation, formation professionnelle et travail

38. Tout mineur d’âge scolaire a le droit de recevoir une éducation adaptée à ses besoins et aptitudes, et propre à préparer son retour dans la société. Cette éducation doit autant que possible être dispensée hors de l’établissement pénitentiaire dans des écoles communautaires et, en tout état de cause, par des enseignants qualifiés dans le cadre de programmes intégrés au système éducatif du pays afin que les mineurs puissent poursuivre sans difficulté leurs études après leur libération (...).

(...)

41. Chaque établissement doit mettre à disposition une bibliothèque suffisamment pourvue de livres instructifs et récréatifs adaptés aux mineurs ; ceux-ci doivent être encouragés à l’utiliser le plus possible et mis à même de le faire.

42. Tout mineur doit avoir le droit de recevoir une formation professionnelle susceptible de le préparer à la vie active.

43. Dans les limites compatibles avec une sélection professionnelle appropriée et avec les nécessités de l’administration et de la discipline des établissements, les mineurs doivent être en mesure de choisir le type de travail qu’ils désirent accomplir

(...)

F. Loisirs

47. Tout mineur doit avoir droit à un nombre d’heures approprié d’exercice libre par jour, en plein air si le temps le permet, au cours desquelles il reçoit normalement une éducation physique et récréative. Le terrain, les installations et l’équipement nécessaires doivent être prévus pour ces activités. Tout mineur doit disposer chaque jour d’un nombre d’heures additionnel pour ses loisirs, dont une partie sera consacrée, si le mineur le souhaite, à la formation à une activité artistique ou artisanale. L’établissement doit veiller à ce que le mineur soit physiquement apte à participer aux programmes d’éducation physique qui lui sont offerts. Une éducation physique et une thérapie correctives doivent être dispensées, sous surveillance médicale, aux mineurs qui en ont besoin.

(...)

H. Soins médicaux

49. Tout mineur a le droit de recevoir des soins médicaux, tant préventifs que curatifs, y compris des soins dentaires, ophtalmologiques et psychiatriques, ainsi que celui d’obtenir les médicaments et de suivre le régime alimentaire que le médecin peut lui prescrire. Tous ces soins médicaux doivent, dans la mesure du possible, être dispensés aux mineurs en détention par les services de santé appropriés de la communauté où est situé l’établissement, afin d’empêcher toute stigmatisation du mineur et de favoriser le respect de soi et l’intégration dans la communauté.

50. Dès son admission dans un établissement pour mineurs, chaque mineur a le droit d’être examiné par un médecin afin que celui-ci constate toute trace éventuelle de mauvais traitement et décèle tout état physique ou mental justifiant des soins médicaux.

51. Les services médicaux offerts aux mineurs doivent viser à déceler et traiter toute affection ou maladie physique, mentale ou autre, ou abus de certaines substances qui pourrait entraver l’insertion du mineur dans la société. Tout établissement pour mineur doit pouvoir accéder immédiatement à des moyens et équipements médicaux adaptés au nombre et aux besoins de ses résidents et être doté d’un personnel formé aux soins de médecine préventive et au traitement des urgences médicales. Tout mineur qui est ou se dit malade, ou qui présente des symptômes de troubles physiques ou mentaux doit être examiné sans délai par un médecin.

52. Tout médecin qui a des motifs de croire que la santé physique ou mentale d’un mineur est ou sera affectée par une détention prolongée, une grève de la faim ou une modalité quelconque de la détention doit en informer immédiatement le directeur de l’établissement ainsi que l’autorité indépendante chargée de la protection du mineur.

53. Tout mineur atteint d’une maladie mentale doit être traité dans un établissement spécialisé doté d’une direction médicale indépendante. Des mesures doivent être prises, aux termes d’un arrangement avec les organismes appropriés, pour assurer, le cas échéant, la poursuite du traitement psychiatrique après la libération.

(...)

J. Contacts avec l’extérieur

59. Tout doit être mis en œuvre pour que les mineurs aient suffisamment de contacts avec le monde extérieur car ceci fait partie intégrante du droit d’être traité humainement et est indispensable pour préparer les mineurs au retour dans la société. Les mineurs doivent être autorisés à communiquer avec leur famille, ainsi qu’avec des membres ou représentants d’organisations extérieures de bonne réputation, à sortir de l’établissement pour se rendre dans leurs foyers et leur famille et à obtenir des autorisations de sortie spéciales pour des motifs importants d’ordre éducatif, professionnel ou autre (...).

(...)

K. Mesures de contrainte physique et recours à la force

63. L’emploi d’instruments de contrainte, quelle qu’en soit la raison, est interdit, sauf dans les cas visés à la règle 64 ci-dessous.

64. Les moyens et instruments de contrainte ne peuvent être utilisés que dans des cas exceptionnels et lorsque les autres moyens de contrôle ont été inopérants et s’ils sont expressément autorisés et définis par les lois et règlements ; ils ne doivent pas être humiliants et ne peuvent être utilisés que pour la durée la plus brève possible et sur ordre du directeur, si les autres moyens de maîtriser le mineur ont échoué, afin d’empêcher le mineur de causer des dommages corporels à lui-même ou à autrui, ou de graves dommages matériels. En pareil cas, le directeur doit consulter d’urgence le médecin et faire rapport à l’autorité administrative supérieure.

65. Le port et l’usage d’armes par le personnel doivent être interdits dans tout établissement accueillant des mineurs.

L. Procédures disciplinaires

66. Toute mesure ou procédure disciplinaire doit assurer le maintien de la sécurité et le bon ordre de la vie communautaire et être compatible avec le respect de la dignité inhérente du mineur et l’objectif fondamental du traitement en établissement, à savoir inculquer le sens de la justice, le respect de soi-même et le respect des droits fondamentaux de chacun.

67. Toutes les mesures disciplinaires qui constituent un traitement cruel, inhumain ou dégradant, telles que les châtiments corporels, la réclusion dans une cellule obscure, dans un cachot ou en isolement, et toute punition qui peut être préjudiciable à la santé physique ou mentale d’un mineur doivent être interdites. La réduction de nourriture et les restrictions ou l’interdiction des contacts avec la famille doivent être exclues, quelle qu’en soit la raison. Le travail doit toujours être considéré comme un instrument d’éducation et un moyen d’inculquer au mineur le respect de soi-même pour le préparer au retour dans sa communauté, et ne doit pas être imposé comme une sanction disciplinaire. Aucun mineur ne peut être puni plus d’une fois pour la même infraction à la discipline. Les sanctions collectives doivent être interdites.

(...) »

76. Les passages pertinents des Principes directeurs des Nations unies pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad, Résolution no 45/112 adoptée par l’Assemblée générale le 14 décembre 1990) énoncent ce qui suit :

5. II faudrait reconnaître la nécessité et l’importance d’adopter des politiques de prévention de la délinquance nouvelles ainsi que d’étudier systématiquement et d’élaborer des mesures qui évitent de criminaliser et de pénaliser un comportement qui ne cause pas de dommages graves à l’évolution de l’enfant et ne porte pas préjudice à autrui. Ces politiques et mesures devraient comporter les éléments suivants :

a) Dispositions, en particulier en matière d’éducation, permettant de faire face aux divers besoins des jeunes et de constituer un cadre de soutien assurant le développement personnel de tous les jeunes et particulièrement de ceux qui sont à l’évidence « en danger » ou en état de « risque social » et ont besoin d’une attention et d’une protection spéciales ;

(...)

21. Outre leur mission d’enseignement et de formation professionnelle, les systèmes éducatifs doivent s’attacher particulièrement :

a) À enseigner à l’enfant les valeurs fondamentales et le respect de l’identité et des traditions culturelles qui sont les siennes, des valeurs du pays dans lequel il vit, des civilisations différentes de la sienne et des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

b) À promouvoir le plein épanouissement de la personnalité, des talents et des aptitudes mentales et physiques des jeunes ;

c) À amener les jeunes à participer de manière active et constructive au processus éducatif, au lieu de se borner à le subir ;

d) À soutenir les activités qui favorisent chez les jeunes un sentiment d’identification et d’appartenance à l’école et à la communauté ;

e) À favoriser chez les jeunes la compréhension et le respect des divers points de vue et opinions, ainsi que des différences culturelles et autres ;

f) À fournir aux jeunes des renseignements et des conseils en matière de formation professionnelle, de possibilités d’emploi et de perspectives de carrière ;

g) À apporter aux jeunes un soutien moral et à éviter de leur infliger des mauvais traitements d’ordre psychologique ;

h) À éviter les mesures disciplinaires dures, spécialement les châtiments corporels

(...)

46. Le placement des jeunes en institutions devrait n’intervenir qu’en dernier ressort et ne durer que le temps absolument indispensable, l’intérêt de l’enfant étant la considération essentielle. II faudrait définir strictement les critères de recours aux interventions officielles de ce type, qui devraient être limitées normalement aux situations suivantes : a) l’enfant ou l’adolescent a enduré des souffrances infligées par ses parents ou tuteurs ; b) l’enfant ou l’adolescent a subi des violences sexuelles, physiques ou affectives de la part des parents ou tuteurs ; c) l’enfant ou l’adolescent a été négligé, abandonné ou exploité par ses parents ou tuteurs ; d) l’enfant est menacé physiquement ou moralement par le comportement de ses parents ou tuteurs ; et e) l’enfant ou l’adolescent est exposé à un grave danger physique ou psychologique du fait de son propre comportement et ni lui, ni ses parents ou tuteurs, ni les services communautaires hors institution ne peuvent parer ce danger par des moyens autres que le placement en institution.

(...) »

2. Textes du Conseil de l’Europe

77. La Résolution no 77 (62) sur la délinquance juvénile et la transformation sociale, adoptée par le Comité des Ministres le 29 novembre 1978, recommande aux États membres de :

« a) veiller à la sauvegarde des droits fondamentaux des jeunes par leur participation aux interventions judiciaires et administratives qui les concernent ;

b) revoir les sanctions et les mesures imposées aux jeunes et renforcer leur caractère éducatif et socialisant ;

c) limiter, dans la mesure du possible, les sanctions et les mesures privatives de liberté et développer les moyens de traitement en liberté ;

d) faire en sorte que les grandes institutions ségrégatives soient supprimées et que leur soient substitués des établissements plus petits soutenus par la collectivité ;

e) attacher une importance particulière à l’assistance des jeunes au cours du traitement institutionnel et notamment au cours de la période de transition du traitement institutionnel à la liberté ;

f) revoir la législation relative aux mineurs afin de mieux permettre l’assistance aux jeunes en danger tout en évitant leur marginalisation ;

(...) »

78. Les passages pertinents de la Recommandation R (87) 20 sur les réactions sociales à la délinquance juvénile, adoptée par le Comité des Ministres le 17 septembre 1987, sont ainsi libellés :

« (...) Considérant que les jeunes sont des êtres en devenir et que, par conséquent, toutes les mesures prises à leur égard devraient avoir un caractère éducatif ;

Considérant que les réactions sociales à la délinquance juvénile doivent tenir compte de la personnalité et des besoins spécifiques des mineurs et que ceux-ci nécessitent des interventions et, s’il y a lieu, des traitements spécialisés s’inspirant notamment des principes contenus dans la Déclaration des droits de l’enfant des Nations Unies ;

Convaincu que le système pénal des mineurs doit continuer à se caractériser par son objectif d’éducation et d’insertion sociale et qu’en conséquence, il doit, autant que possible, supprimer l’emprisonnement des mineurs ;

Considérant que l’intervention auprès des mineurs doit avoir lieu, de préférence, dans leur milieu naturel de vie et engager la collectivité, notamment au niveau local ;

Convaincu qu’il faut reconnaitre aux mineurs les mêmes garanties procédurales que celles reconnues aux adultes ;

(...)

Recommande aux gouvernements des États membres de revoir, si nécessaire, leur législation et leur pratique en vue :

(...)

II. Déjudiciarisation (diversion) – médiation

2. d’encourager le développement de procédures de déjudiciarisation et de médiation au niveau de l’organe de poursuite (classement sans suite) ou au niveau de la police, dans les pays où celle-ci a des fonctions de poursuite, afin d’éviter aux mineurs la prise en charge par le système de justice pénale et les conséquences qui en découlent ; d’associer les services ou commissions de protection de l’enfance à l’application de ces procédures ;

3. de prendre les mesures nécessaires afin qu’au cours de ces procédures :

– soient assurées l’acceptation par le mineur des mesures éventuelles conditionnant la déjudiciarisation et, si nécessaire, la collaboration de sa famille ;

– une attention adéquate soit accordée aussi bien aux droits et aux intérêts de la victime qu’à ceux du mineur ;

III. Justice des mineurs

4. d’assurer une justice des mineurs plus rapide, évitant des délais excessifs, afin qu’elle puisse avoir une action éducative efficace ;

5. d’éviter le renvoi des mineurs vers la juridiction des adultes, quand des juridictions des mineurs existent ;

6. d’éviter, autant que possible, la garde à vue des mineurs et, en tout cas, d’inciter les autorités compétentes à contrôler les conditions dans lesquelles elle se déroule ;

(...)

8. de renforcer la position légale des mineurs tout au long de la procédure y compris au stade policier en reconnaissant, entre autres :

– la présomption d’innocence ;

– le droit à l’assistance d’un défenseur, éventuellement commis d’office et rémunéré par l’État ;

– le droit à la présence des parents ou d’un autre représentant légal qui doivent être informés dès le début de la procédure ;

– le droit pour les mineurs de faire appel à des témoins, de les interroger et de les confronter ;

– la possibilité pour les mineurs de demander une contre-expertise ou toute autre mesure équivalente d’investigation ;

– le droit des mineurs de prendre la parole ainsi que, le cas échéant, de se prononcer sur les mesures envisagées à leur égard ;

– le droit de recours ;

– le droit de demander la révision des mesures ordonnées ;

– le droit des jeunes au respect de leur vie privée ;

(...)

IV. Interventions

11. de s’assurer que les interventions à l’égard des jeunes délinquants soient situées de préférence dans le milieu naturel de vie de ceux-ci et qu’elles respectent leur droit à l’éducation et leur personnalité et favorisent leur épanouissement ;

(...)

14. dans la perspective d’éliminer progressivement le recours à l’enfermement et de multiplier les mesures de substitution à l’emprisonnement : de donner la préférence à celles qui favorisent les possibilités d’insertion sociale tant au niveau de la formation scolaire et professionnelle que dans l’utilisation des loisirs et d’activités diverses ;

15. parmi ces mesures, d’accorder une attention particulière à celles qui ;

– comportent une surveillance et une assistance probatoires ;

– visent à faire face à la persistance du comportement délinquant du mineur par l’amélioration de ses aptitudes sociales au moyen d’une action éducative intensive (entre autres, « traitement intermédiaire intensif ») ;

– comportent la réparation du dommage causé par l’activité délictueuse du mineur ;

– prévoient un travail pour la communauté adapté à l’âge et aux finalités éducatives ;

16. pour les cas où une peine privative de liberté ne peut être évitée, selon la législation nationale :

– de mettre en place une échelle des peines adaptée à la condition des mineurs, et de prévoir des modalités d’exécution et d’application de peines plus favorables que celles prévues pour les adultes, notamment pour les mesures de semi-liberté et de libération anticipée, d’octroi et de révocation du sursis ;

– d’exiger la motivation des peines privatives de liberté par le juge ;

– d’éviter l’incarcération des mineurs avec des adultes ou, quand, dans des cas exceptionnels, l’intégration est jugée préférable pour des raisons de traitement, de protéger les mineurs de l’influence pernicieuse des adultes ;

– d’assurer la formation tant scolaire que professionnelle des mineurs détenus, de préférence en liaison avec la collectivité, ou toute autre mesure favorisant la réinsertion sociale ;

– d’assurer un soutien éducatif après la fin de l’incarcération et éventuellement un appui à la réinsertion sociale des mineurs ;

(...) »

79. Le passage pertinent de la Recommandation du Comité des Ministres aux États membres du Conseil de l’Europe concernant les nouveaux modes de traitement de la délinquance juvénile et le rôle de la justice des mineurs (Rec (2003) 20), adoptée le 24 septembre 2003 lors de la 853e réunion des Délégués des Ministres), se lit ainsi :

« 15. Lorsque des mineurs sont placés en garde à vue, il conviendrait de prendre en compte leur statut de mineur, leur âge, leur vulnérabilité et leur niveau de maturité. Ils devraient être informés dans les plus brefs délais, d’une manière qui leur soit pleinement intelligible, des droits et des garanties dont ils bénéficient. Lorsqu’ils sont interrogés par la police, ils devraient, en principe, être accompagnés d’un de leurs parents/leur tuteur légal ou d’un autre adulte approprié. Ils devraient aussi avoir le droit d’accès à un avocat et à un médecin (...) »

80. Les passages pertinents de la Recommandation CM/Rec (2008) 11 sur les Règles européennes pour les délinquants mineurs faisant l’objet de sanctions ou de mesures, adoptée par le Comité des Ministres le 5 novembre 2008, sont ainsi libellés :

« Partie I – Principes fondamentaux, champ d’application et définitions

(...)

2. Toute sanction ou mesure pouvant être imposée à un mineur, ainsi que la manière dont elle est exécutée, doit être prévue par la loi et fondée sur les principes de l’intégration sociale, de l’éducation et de la prévention de la récidive.

(...)

4. L’âge minimal pour le prononcé de sanctions ou de mesures en réponse à une infraction ne doit pas être trop bas et doit être fixé par la loi.

5. Le prononcé et l’exécution de sanctions ou de mesures doivent se fonder sur l’intérêt supérieur du mineur, doivent être limités par la gravité de l’infraction commise (principe de proportionnalité) et doivent tenir compte de l’âge, de la santé physique et mentale, du développement, des facultés et de la situation personnelle (principe d’individualisation), tels qu’établis, le cas échéant, par des rapports psychologiques, psychiatriques ou d’enquête sociale.

(...)

7. Les sanctions ou mesures ne doivent pas être humiliantes ni dégradantes pour les mineurs qui en font l’objet.

8. Aucune sanction ou mesure ne doit être appliquée d’une manière qui en aggrave le caractère afflictif ou qui représente un risque excessif de nuire physiquement ou mentalement.

(...)

10. La privation de liberté d’un mineur ne doit être prononcée et exécutée qu’en dernier recours et pour la période la plus courte possible. Des efforts particuliers doivent être faits pour éviter la détention provisoire.

(...)

12. La médiation et les autres mesures réparatrices doivent être encouragées à toutes les étapes des procédures impliquant des mineurs.

13. Tout système judiciaire traitant d’affaires impliquant des mineurs doit assurer leur participation effective aux procédures relatives au prononcé et à l’exécution de sanctions ou de mesures. Les mineurs ne doivent pas bénéficier de droits et de garanties juridiques inférieurs à ceux que la procédure pénale reconnaît aux délinquants adultes.

14. Tout système judiciaire traitant d’affaires impliquant des mineurs doit prendre dûment en compte les droits et responsabilités des parents ou tuteurs légaux et doit, dans la mesure du possible, impliquer ceux-ci dans les procédures et dans l’exécution des sanctions ou mesures, hormis dans les cas où ce n’est pas dans l’intérêt supérieur du mineur.

(...)

21. Au sens des présentes règles, on entend par :

(...)

21.4. « sanctions ou mesures appliquées dans la communauté » toute sanction ou mesure, autre qu’une mesure de détention, qui maintient le mineur dans la communauté et qui implique une certaine restriction de sa liberté par l’imposition de conditions et/ou d’obligations, et qui est mise à exécution par des organismes prévus par la loi dans ce but. Le terme désigne toute sanction décidée par une autorité judiciaire ou administrative, toute mesure prise avant la décision imposant la sanction ou à la place d’une telle décision, et les modalités d’exécution d’une peine d’emprisonnement hors d’un établissement pénitentiaire ;

21.5. « privation de liberté » toute forme de placement, sur ordre d’une autorité judiciaire ou administrative, dans une institution que le mineur n’est pas autorisé à quitter à sa guise ;

(...)

Partie II – Sanctions et mesures appliquées dans la communauté

(...)

23.1. Une vaste gamme de sanctions et de mesures appliquées dans la communauté, adaptées aux différents stades de développement des mineurs, doit être prévue à toutes les étapes de la procédure.

23.2. La priorité doit être donnée aux sanctions et mesures susceptibles d’avoir un effet éducatif et de constituer une réparation des infractions commises par les mineurs.

(...)

Partie III – Privation de liberté

(...)

49.1. La privation de liberté doit être appliquée uniquement aux fins pour lesquelles elle est prononcée et d’une manière qui n’aggrave pas les souffrances qui en résultent.

(...)

50.1. Les mineurs privés de liberté doivent avoir accès à un éventail d’activités et d’interventions significatives suivant un plan individuel global, qui favorise leur progression vers des régimes moins contraignants, ainsi que leur préparation à la sortie et leur réinsertion dans la société. De telles activités et interventions doivent leur permettre de promouvoir leur santé physique et mentale, de développer le respect de soi et le sens des responsabilités, ainsi que des attitudes et des compétences qui les aideront à éviter de récidiver.

50.2. Les mineurs doivent être encouragés à participer à de telles interventions et activités.

(...)

53.2. Ces institutions doivent disposer des équipements de sécurité et de contrôle les moins restrictifs possible, nécessaires pour empêcher les mineurs de se nuire à eux-mêmes ou de faire du tort au personnel, aux autres ou à la société en général.

53.3. La vie en institution doit être alignée aussi étroitement que possible sur les aspects positifs de la vie dans la collectivité.

53.4. Le nombre de mineurs par institution doit être suffisamment réduit pour permettre une prise en charge personnalisée. Les institutions doivent être organisées en unités de vie de petite taille.

(...)

56. Les mineurs privés de liberté doivent être placés dans des institutions offrant un niveau de surveillance le moins restrictif possible nécessaire pour les héberger en toute sécurité.

57. Les mineurs souffrant d’une maladie mentale mais devant être privés de liberté doivent être placés dans des institutions de santé mentale.

(...)

62.2. Au moment de l’admission, les informations suivantes concernant chaque mineur doivent être immédiatement consignées :

(...)

g. sous réserve des impératifs du secret médical, toute information sur les risques d’automutilation et l’état de santé, dont il y a lieu de tenir compte pour son bien-être physique et mental, et celui d’autrui.

(...)

62.5. Dès que possible après son admission, le mineur doit être soumis à un examen médical, un dossier médical doit être ouvert et le traitement de toute maladie ou blessure doit être engagé.

62.6. Dès que possible après l’admission :

a. le mineur doit être interrogé en vue d’établir un premier rapport psychologique, éducatif et social permettant de définir précisément le type et le niveau de prise en charge et d’intervention dont il a besoin ;

b. le niveau de sécurité adéquat doit être déterminé et, le cas échéant, le placement initial doit être modifié ;

c. hormis dans les cas où la période de privation de liberté est très brève, un plan global des programmes d’éducation et de formation correspondant aux caractéristiques personnelles de chaque mineur doit être établi et sa mise en œuvre entamée ; et

d. l’avis du mineur doit être pris en compte, dans la mesure du possible, quand de tels programmes sont conçus.

(...)

63.2. Les mineurs doivent en principe être logés pendant la nuit dans des chambres individuelles, sauf lorsqu’il apparaît préférable pour eux qu’ils partagent des pièces communes. Les logements ne doivent être partagés que s’ils sont adaptés à un usage collectif et doivent être occupés par des mineurs reconnus aptes à cohabiter ensemble. Les mineurs doivent être consultés avant d’être contraints de partager des locaux pendant la nuit et doivent pouvoir indiquer avec quelle personne ils souhaitent cohabiter.

(...)

65.1. Tous les locaux d’une institution doivent être maintenus en état et propres en tout temps.

65.2. Les mineurs doivent accéder facilement à des installations sanitaires hygiéniques et respectant leur intimité.

(...)

69.2. La santé des mineurs privés de liberté doit être protégée conformément aux normes médicales reconnues applicables à l’ensemble des mineurs dans la collectivité.

(...)

73. Une attention particulière doit être accordée aux besoins :

d. des mineurs souffrant de problèmes de santé physique et mentale ;

(...)

77. Les activités faisant partie du régime doivent viser à remplir des fonctions d’éducation, de développement personnel et social, de formation professionnelle, de réinsertion et de préparation à la remise en liberté. Elles peuvent inclure notamment :

a. l’enseignement scolaire ;

b. la formation professionnelle ;

c. le travail et l’ergothérapie ;

d. la formation à la citoyenneté ;

e. l’apprentissage et le développement de compétences sociales ;

f. la prévention des agressions ;

g. le traitement des dépendances ;

h. les thérapies individuelles et de groupe ;

i. l’éducation physique et le sport ;

j. l’enseignement supérieur et la formation continue ;

k. le traitement de l’endettement ;

l. les programmes de justice réparatrice et de dédommagement pour les infractions ;

m. les activités créatrices et de loisir ;

n. des activités hors institution, au sein de la collectivité, des permissions journalières et d’autres formes de permission de sortie ; et

o. la préparation à la remise en liberté et à la réinsertion.

78.1. L’enseignement scolaire, la formation professionnelle et, le cas échéant, les programmes de traitement doivent avoir priorité sur le travail.

78.2. Dans la mesure du possible, des dispositions doivent être prises afin que les mineurs fréquentent les écoles et les centres de formation locaux, ainsi que d’autres activités organisées par la collectivité.

78.3. Si les mineurs ne peuvent pas fréquenter une école locale ou un centre de formation en dehors de l’institution, leur enseignement et leur formation professionnelle doivent être organisés à l’intérieur de l’institution, sous les auspices d’organismes éducatifs et de formation externes.

(...)

78.5. Les mineurs détenus doivent être intégrés dans le système national d’éducation et de formation professionnelle afin qu’ils puissent poursuivre leur scolarité ou leur formation professionnelle sans difficulté après leur sortie.

79.1. Un plan individualisé doit être établi à partir des activités visées à la règle 77, recensant celles auxquelles le mineur doit participer.

79.2. Ce plan doit être destiné à permettre aux mineurs d’exploiter leur temps au mieux, dès le début de leur séjour, et d’acquérir et de développer les comportements et les compétences nécessaires à leur réinsertion dans la société.

(...)

81. Tous les mineurs privés de liberté doivent être autorisés à faire régulièrement de l’exercice au moins deux heures par jour, dont au moins une heure en plein air, si les conditions météorologiques le permettent.

(...)

90.1. Le personnel ne doit pas utiliser la force contre les mineurs, sauf, en dernier recours, en cas de légitime défense, de tentative d’évasion ou de résistance physique à un ordre licite, en cas de risque immédiat d’automutilation, de préjudice à autrui ou de sérieux dégâts matériels.

(...)

94.1. Des procédures disciplinaires ne peuvent être utilisées qu’en dernier recours. Les modes de résolution de conflit éducative ou réparatrice, ayant pour but de promouvoir la norme, doivent être préférées aux audiences disciplinaires formelles et aux punitions.

94.2. Seul un comportement susceptible de faire peser une menace au bon ordre, à la sûreté et la sécurité peut être défini comme une infraction disciplinaire.

(...)

95.1. Les sanctions disciplinaires doivent être choisies, dans la mesure du possible, en fonction de leur impact pédagogique. Elles ne doivent pas être plus lourdes que ne le justifie la gravité de l’infraction.

95.2. Les sanctions collectives, les peines corporelles, le placement dans une cellule obscure, et toute autre forme de sanction inhumaine ou dégradante doivent être interdits.

(...)

Partie IV – Conseil et assistance juridiques

120.1. Les mineurs et leurs parents ou tuteurs légaux ont droit à des conseils et à une assistance juridiques pour les questions concernant le prononcé et l’exécution de sanctions ou de mesures.

120.2. Les autorités compétentes doivent raisonnablement aider le mineur à avoir un accès effectif et confidentiel à de tels conseils et assistance, y compris à des visites illimitées et non surveillées avec son avocat.

120.3. L’État doit assurer une assistance judiciaire gratuite aux mineurs, à leurs parents ou à leurs représentants légaux quand les intérêts de la justice l’exigent.

(...) »

81. Les passages pertinents des Lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur une justice adaptée aux enfants, adoptées par le Comité des Ministres le 17 novembre 2010, se lisent ainsi :

« II. Définitions

Aux fins des présentes lignes directrices sur une justice adaptée aux enfants (ci‑après « les lignes directrices ») :

(...)

c. par « justice adaptée aux enfants » il faut entendre des systèmes judiciaires garantissant le respect et la mise en œuvre effective de tous les droits de l’enfant au niveau le plus élevé possible, compte tenu des principes énoncés ci-après et en prenant dûment en considération le niveau de maturité et de compréhension de l’enfant, et les circonstances de l’espèce. Il s’agit, en particulier, d’une justice accessible, convenant à l’âge de l’enfant, rapide, diligente, adaptée aux besoins et aux droits de l’enfant, et axée sur ceux-ci, et respectueuse des droits de l’enfant, notamment du droit à des garanties procédurales, du droit de participer à la procédure et de la comprendre, du droit au respect de la vie privée et familiale, ainsi que du droit à l’intégrité et à la dignité.

III. Principes fondamentaux

(...)

E. Primauté du droit

1. Le principe de la primauté du droit devrait s’appliquer pleinement aux enfants, tout comme il s’applique aux adultes.

2. Tous les éléments des garanties procédurales, tels que les principes de légalité et de proportionnalité, la présomption d’innocence, le droit à un procès équitable, le droit à un conseil juridique, le droit d’accès aux tribunaux et le droit de recours, devraient être garantis aux enfants tout comme ils le sont aux adultes et ne devraient pas être minimisés ou refusés sous prétexte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Cela s’applique à toutes les procédures judiciaires, non judiciaires et administratives.

(...)

IV. Une justice adaptée aux enfants avant, pendant et après la procédure judiciaire

(...)

6. Privation de liberté

19. Toute forme de privation de liberté des enfants devrait être une mesure de dernier ressort et d’une durée aussi courte que possible.

(...)

21. Compte tenu de la vulnérabilité des enfants privés de liberté, de l’importance des liens familiaux et de la promotion de la réintégration dans la société après la remise en liberté, les autorités compétentes devraient garantir le respect et soutenir activement la jouissance des droits de l’enfant tels qu’ils sont énoncés dans les instruments universels et européens. En plus de leurs autres droits, les enfants devraient avoir, en particulier, le droit :

(...)

b. de recevoir une éducation appropriée, une orientation et une formation professionnelles, une assistance médicale, et de jouir de la liberté de pensée, de conscience et de religion, et de l’accès aux loisirs, y compris l’éducation physique et le sport ;

c. d’accéder à des programmes préparant à l’avance le retour des enfants dans leurs communautés, une attention toute particulière étant portée à leurs besoins physiques et émotionnels, leurs relations familiales, leur logement, leurs possibilités de scolarité et d’emploi, et leur statut socio-économique.

(...)

B. Une justice adaptée aux enfants avant la procédure judiciaire

(...)

24. Les solutions de remplacement aux procédures judiciaires telles que la médiation, la déjudiciarisation et les modes alternatifs de règlement des litiges devraient être encouragées dès lors qu’elles peuvent servir au mieux l’intérêt supérieur de l’enfant. Le recours préalable à ces solutions de remplacement ne devrait pas être utilisé pour faire obstacle à l’accès de l’enfant à la justice.

(...)

26. Les solutions de remplacement aux procédures judiciaires devraient offrir un niveau équivalent de garanties juridiques. Le respect des droits de l’enfant, tel que décrit dans les présentes lignes directrices et dans l’ensemble des instruments juridiques pertinents relatifs aux droits de l’enfant, devrait être garanti dans la même mesure dans les procédures judiciaires et non judiciaires.

C. Enfants et police

27. La police devrait respecter les droits individuels et la dignité de tous les enfants, et prendre en considération leur vulnérabilité, c’est-à-dire tenir compte de leur âge et de leur maturité, ainsi que des besoins particuliers des enfants ayant un handicap physique ou mental, ou des difficultés de communication.

28. Lorsqu’un enfant est arrêté par la police, il devrait être informé d’une manière et dans un langage adapté à son âge et à son niveau de compréhension des raisons pour lesquelles il a été placé en garde à vue. Les enfants devraient avoir accès à un avocat et avoir la possibilité de contacter leurs parents ou une personne en qui ils ont confiance.

29. Sauf dans des circonstances exceptionnelles, le(s) parent(s) devrai(en)t être informé(s) de la présence de l’enfant au poste de police ainsi que des détails de la raison du placement en garde à vue de l’enfant, et être prié de se rendre au poste de police.

30. Un enfant placé en garde à vue ne devrait pas être interrogé sur un acte délictueux ou tenu de faire ou de signer une déclaration portant sur son implication, sauf en présence d’un avocat ou d’un des parents de l’enfant ou, si aucun parent n’est disponible, d’un autre adulte en qui l’enfant a confiance.

(...)

32. Les autorités devraient s’assurer que les enfants placés en garde à vue le sont dans des conditions sûres et appropriées à leurs besoins.

(...)

E. Une justice adaptée aux enfants après la procédure judiciaire

(...)

82. Les mesures et les sanctions prises à l’égard des enfants en conflit avec la loi devraient toujours constituer des réponses constructives et personnalisées aux actes commis, en gardant à l’esprit le principe de proportionnalité, l’âge de l’enfant, son bien-être et son développement physiques et psychiques, et les circonstances de l’espèce. Les droits à l’éducation, à la formation professionnelle, à l’emploi, à la réhabilitation et à la réinsertion devraient être garantis.

(...) »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 de la Convention

82. Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant se plaint de ne pas avoir reçu un traitement médical adéquat au centre de détention pour mineurs délinquants de Novossibirsk où il fut interné du 21 février au 23 mars 2005. En outre, il allègue que ses conditions de détention étaient inhumaines. L’article 3 de la Convention se lit ainsi :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

83. La Cour constate que le grief formulé par le requérant n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. En conséquence, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

84. Le Gouvernement avance que la destruction du dossier médical du requérant s’explique par l’expiration de la durée obligatoire de conservation de ce document. Cependant, il indique que l’intéressé avait été examiné par un médecin lors de son admission dans le centre, qu’il avait fait l’objet d’un suivi médical quotidien par la suite, qu’il n’avait pas informé le personnel soignant de ses problèmes de santé et qu’il aurait bénéficié immédiatement d’une assistance médicale s’il les avait signalés.

85. Par ailleurs, le Gouvernement soutient que les conditions de détention dans le centre de détention provisoire pour mineurs étaient satisfaisantes. Il indique que l’accès aux toilettes n’était pas restreint, que l’établissement répondait aux exigences sanitaires et aux normes d’hygiène, que les détenus recevaient cinq repas par jour, qu’ils avaient accès à des équipements audiovisuels, à des jeux éducatifs et à des œuvres littéraires. Il assure qu’ils n’étaient jamais astreints à effectuer des travaux pénibles ou salissants et que les seules mesures punitives qu’ils pouvaient se voir appliquer étaient des remontrances orales. En conséquence, il estime que les conditions de détention litigieuses étaient conformes à l’article 3.

86. Pour sa part, le requérant signale une contradiction dans les propos du Gouvernement. En effet, celui-ci affirme que le dossier médical de l’intéressé a été détruit tout en faisant état de ce document à l’appui de son allégation selon laquelle le requérant n’avait pas signalé ses problèmes de santé au personnel du centre de détention provisoire pour mineurs délinquants. Le requérant affirme au contraire que son grand-père avait informé le personnel soignant de son trouble de déficit de l’attention avec hyperactivité et de son énurésie, et qu’il avait demandé des soins à cet égard. L’intéressé assure qu’il n’a toutefois pas bénéficié d’une assistance médicale adaptée à sa situation.

87. Par ailleurs, le requérant avance que ses conditions de détention dans le centre de détention provisoire pour mineurs délinquants étaient inhumaines. À cet égard, il expose que les détenus étaient confinés toute la journée dans une vaste pièce vide, qu’ils ne disposaient pas de jeux de société et qu’ils n’avaient été autorisés à en sortir que deux ou trois fois pendant son séjour dans cet établissement, qui avait duré un mois. Il ajoute que les détenus se voyaient infliger des punitions collectives, les surveillants les contraignant à s’aligner contre un mur avec interdiction de bouger pendant des heures. Il soutient que l’accès aux toilettes était restreint et que, en raison de son énurésie, cette situation lui causait des douleurs à la vessie et était pour lui une source d’humiliation.

2. Appréciation de la Cour

88. La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention impose à l’État de protéger l’intégrité physique des personnes privées de liberté, notamment par l’administration des soins médicaux requis (Khoudobine c. Russie, no 59696/00, § 93, CEDH 2006-XII) Mouisel c. France, no 67263/01, § 40, CEDH 2002-IX, et Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000‑XI). Elle a jugé à de nombreuses reprises que le manque de soins médicaux appropriés peut constituer un traitement contraire à l’article 3 (voir, par exemple, Wenerski c. Pologne, no 44369/02, §§ 56 à 65, 20 janvier 2009, Popov c. Russie, no 26853/04, §§ 210 à 213 et 231 à 237, 13 juillet 2006, et Nevmerjitski c. Ukraine, no 54825/00, §§ 100-106, CEDH 2005-II).

89. Il est constant que, au moment de son internement dans le centre de détention provisoire pour mineurs délinquants, le requérant présentait un souffrait d’hyperactivité avec déficit de l’attention et d’énurésie, et que son état de santé nécessitait un traitement médical régulier ainsi qu’un suivi neurologique et psychiatrique (paragraphes 7 et 8 ci-dessus).

90. La Cour constate que, bien qu’elle l’eût invité à lui communiquer copie du dossier médical de l’intéressé, le Gouvernement ne l’a pas fait, au motif allégué que ce dossier avait été détruit à l’expiration du délai de conservation de trois ans fixé par le décret no 340 pris par le ministère de l’Intérieur le 12 mai 2006. Toutefois, le Gouvernement n’a pas fourni à la Cour copie du décret en question, qui n’a jamais été publié et qui n’est pas accessible au public. En outre, les circulaires officielles et publiées du ministère de l’Intérieur indiquent que la durée obligatoire de conservation des dossiers médicaux est de dix ans (paragraphe 71 ci-dessus). De plus, il importe de relever que le Gouvernement n’a pas produit de certificat officiel de destruction du dossier médical de l’intéressé. De surcroît, le Gouvernement mentionne ce dossier à l’appui de son allégation selon laquelle le requérant n’avait pas informé le personnel soignant du centre de détention provisoire pour mineurs délinquants de ses problèmes de santé, bien qu’il n’ait pas communiqué copie de ce dossier à la Cour (paragraphe 32 ci-dessus).

91. Au vu de ce qui précède, la Cour juge que les explications avancées par le Gouvernement pour justifier la non-production des documents demandés sont insuffisantes et elle estime, eu égard aux éléments de preuve produits par le requérant à l’appui de ses allégations, qu’elle peut inférer des conclusions de la conduite du Gouvernement (voir, pour un raisonnement analogue, Maksim Petrov c. Russie, no 23185/03, §§ 92-94, 6 novembre 2012).

92. La Cour observe que le grand-père du requérant a signalé à plusieurs reprises aux autorités que son petit-fils présentait des troubles de santé, et qu’il les jugeait incompatibles avec une détention (paragraphes 20, 40 et 41 ci-dessus). Dans ces conditions, et en l’absence de pièces corroborant les allégations contraires du Gouvernement, la Cour n’aperçoit aucune raison de douter que le personnel soignant du centre de détention connaissait les problèmes de santé du requérant, comme celui-ci l’affirme.

93. Par ailleurs, la Cour observe que le Gouvernement n’a produit aucun document de nature à réfuter l’affirmation du requérant selon laquelle il n’avait pas reçu, pendant son internement dans le centre de détention provisoire pour mineurs délinquants, l’assistance et les soins médicaux que son état de santé nécessitait. Elle relève que le personnel du service médical de ce centre se composait d’un pédiatre, de plusieurs infirmières et d’un psychologue qui n’était pas médecin. Force est donc à la Cour de constater que, pendant sa détention, le requérant a été suivi par un pédiatre qui n’était pas un expert du traitement du trouble mental dont il est atteint. En outre, rien ne prouve que l’intéressé ait été examiné par un neurologue ou un psychiatre, bien qu’on lui eût conseillé à plusieurs reprises des consultations régulières auprès de tels spécialistes, ni que les médicaments prescrits par un psychiatre avant son internement lui aient été administrés pendant sa détention.

94. La Cour estime que cette absence d’assistance médicale spécialisée est inacceptable compte tenu de l’état de santé du requérant. Elle note avec préoccupation que la santé du requérant s’est dégradée pendant son internement au point qu’il a dû être hospitalisé pour une névrose le lendemain de sa sortie du centre de détention (paragraphe 38 ci-dessus).

95. En résumé, la Cour considère que le Gouvernement ne lui a pas fourni suffisamment d’éléments pour lui permettre de conclure que le requérant avait reçu des soins médicaux appropriés pour son trouble de déficit de l’attention avec hyperactivité et son énurésie pendant sa détention dans le centre de détention provisoire pour mineurs délinquants de Novossibirsk. Elle juge que l’absence de traitement médical approprié s’analyse en un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention. Eu égard à cette conclusion, elle estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner les autres griefs formulés par le requérant sur le terrain de cette disposition.

96. En conséquence, la Cour conclut à la violation de l’article 3 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

97. Le requérant allègue avoir été détenu dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants au mépris de l’article 5 § 1 de la Convention. Cette disposition se lit ainsi :

« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;

b) s’il a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ;

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

d) s’il s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité compétente ;

e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »

A. Sur la recevabilité

98. La Cour constate que le grief formulé par le requérant n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. En conséquence, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

99. Le Gouvernement soutient que le placement du requérant dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants, ordonné en application de l’article 22 § 2 4) de la loi sur les mineurs (paragraphe 58 ci‑dessus), se justifiait par le fait que l’intéressé avait commis des infractions, qu’il n’avait pas atteint l’âge légal de la responsabilité pénale, et qu’il fallait empêcher toute récidive de sa part. Il précise que cette décision a été prise au motif que le requérant avait commis des actes analogues par le passé, que ses parents avaient été déchus de leur autorité parentale et que son tuteur s’était montré incapable de contrôler son comportement. En conséquence, il estime que l’internement de l’intéressé dans un centre de détention provisoire était régulier et légitime.

100. Il avance par ailleurs que, en droit russe, l’internement en centre de détention provisoire pour mineurs délinquants ne constitue pas une privation de liberté. Il précise que les centres en question ont pour principale vocation d’accueillir des mineurs délinquants dans le but de protéger leur vie et leur santé, de les empêcher de récidiver et de mener auprès d’eux des actions préventives individuelles. Il ajoute que l’internement en centre de détention provisoire pour mineurs délinquants ne revêt en aucun cas un caractère punitif. Il souligne que le requérant a été interné pour bénéficier d’une rééducation comportementale se traduisant en pratique par des actions préventives individuelles destinées à combattre sa propension à la délinquance, et précise que l’intéressé a suivi le programme de l’éducation secondaire. En conséquence, il estime que la détention litigieuse satisfaisait aux exigences de l’article 5 § 1 d).

101. Le requérant soutient au contraire que son placement en centre de détention provisoire pour mineurs délinquants s’analyse en une privation de liberté. Il en veut pour preuve que le centre où il était interné était fermé et gardé, et que les détenus ne pouvaient en sortir que sous escorte. Il précise que ces derniers se voyaient confisquer tous leurs effets personnels et qu’ils étaient soumis à une discipline stricte dont le respect était assuré par des surveillants.

102. Il avance que son internement en vue d’une rééducation comportementale n’avait pas de base légale en droit interne. Selon lui, la rééducation comportementale ne figure pas au nombre des motifs justifiant la détention d’un mineur. En outre, les centres de détention provisoire pour mineurs délinquants ne seraient pas conçus pour assurer une éducation surveillée au sens de l’article 5 § 1 d), fonction assignée aux établissements éducatifs fermés. Les centres de détention provisoire seraient destinés à accueillir temporairement des mineurs pendant la durée strictement nécessaire à leur retour dans leur famille ou à l’organisation de leur transfert dans un établissement éducatif fermé. Il ressortirait de la jurisprudence constante des juridictions russes que le juge n’a pas compétence pour fixer la durée de la détention et que les mineurs doivent être remis en liberté dès qu’un lieu d’accueil approprié leur est assigné et que les actions préventives nécessaires ont été menées à bien (paragraphes 68 et 69 ci-dessus).

103. Par ailleurs, l’affirmation du Gouvernement selon laquelle les mineurs détenus dans le centre y suivent le programme de l’enseignement secondaire serait inexacte. En réalité, l’enseignement dispensé se résumerait à des cours de mathématiques et de langue russe de trois heures donnés deux fois par semaine, et aucun autre enseignement figurant au programme du secondaire ne serait proposé aux détenus. Les classes seraient composées d’élèves d’âges et de niveaux scolaires différents, et aucune action préventive individuelle ne serait menée auprès des détenus. En raison du caractère lacunaire et sommaire de l’enseignement dispensé dans le centre, le requérant aurait eu des difficultés à suivre le programme enseigné dans les écoles ordinaires et aurait obtenu des notes insuffisantes dans de nombreuses matières.

104. Enfin, le requérant aurait été interné deux mois après la commission de l’infraction qui lui était reprochée, alors qu’il n’avait pas commis d’acte de délinquance entre-temps et qu’il n’existait donc aucun élément donnant à penser qu’il aurait pu récidiver au cours des trente jours suivant l’infraction en question. Dans ces conditions, force serait de conclure que son placement en détention visait à l’évidence à le punir pour cette infraction et non à assurer son éducation surveillée ou à l’empêcher de récidiver.

2. Appréciation de la Cour

105. La Cour note d’emblée que la question de savoir si l’internement du requérant dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants doit ou non être qualifié de privation de liberté prête à controverse entre les parties. En conséquence, il lui faut d’abord rechercher si l’intéressé a été « privé de sa liberté » au sens de l’article 5 de la Convention.

106. La Cour rappelle que, pour savoir si une personne a été privée de sa liberté, il faut partir de sa situation concrète et prendre en compte un ensemble de critères propres à son cas particulier comme le genre, la durée, les effets et les modalités d’exécution de la mesure considérée. La distinction à établir entre privation et restriction de liberté n’est que de degré ou d’intensité, non de nature ou d’essence. Le classement dans l’une ou l’autre de ces catégories se révèle parfois ardu, car dans certains cas marginaux il s’agit d’une pure affaire d’appréciation, mais la Cour ne saurait éluder un choix dont dépendent l’applicabilité ou l’inapplicabilité de l’article 5 (voir Guzzardi c. Italie, 6 novembre 1980, §§ 92-93, série A no 39, et H.L. c. Royaume-Uni, no 45508/99, § 89, CEDH 2004-IX).

107. En l’espèce, la Cour observe que le requérant a été interné dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants pendant trente jours. Elle retient, à titre principal, que ce centre est fermé et gardé, de manière à interdire toute sortie non autorisée. Il est équipé d’un poste de contrôle d’entrée et d’un système d’alarme pour empêcher les détenus de s’évader, et ceux-ci sont soumis à une surveillance stricte et quasi-permanente. Il convient également d’observer qu’ils sont systématiquement fouillés lors de leur admission et que tous leurs effets personnels leur sont confisqués. Enfin, la Cour relève que les détenus sont soumis à un régime disciplinaire. À cet égard, il importe de relever que le respect de la discipline imposée aux détenus est assuré par des équipes de surveillants et que toute infraction au règlement est passible de sanctions disciplinaires (paragraphes 62-64 ci-dessus). Aux yeux de la Cour, ces éléments traduisent clairement une privation de liberté. Dans ces conditions, la Cour estime que le requérant a été privé sa liberté au sens de l’article 5 § 1.

108. La Cour recherchera ensuite si la privation de liberté subie par le requérant satisfaisait aux exigences de l’article 5 § 1. À cet égard, elle rappelle que la liste des exceptions au droit à la liberté figurant à l’article 5 § 1 revêt un caractère exhaustif et que seule une interprétation étroite cadre avec le but de cette disposition : assurer que nul ne soit arbitrairement privé de sa liberté (voir, parmi beaucoup d’autres, Giulia Manzoni c. Italie, 1er juillet 1997, § 25, Recueil des arrêts et décisions 1997‑IV).

a) Article 5 § 1 d)

109. Bien que le Gouvernement avance que la privation de liberté subie par le requérant relevait du champ d’application de l’article 5 § 1 d), la Cour estime que l’internement de l’intéressé dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants ne visait manifestement pas à traduire ce dernier devant l’autorité compétente au sens de l’article 5 § 1 d). Si le requérant a bien été arrêté le 3 janvier 2005 pour être traduit « devant l’autorité compétente », son grief ne porte pas sur son arrestation ou sur la période de quelques heures pendant laquelle il a été privé de liberté après cette arrestation. Il se plaint uniquement de la détention qu’il a subie du 21 février au 23 mars 2005 dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants en application d’une décision adoptée par un tribunal à l’issue d’une procédure dirigée contre lui.

110. Le Gouvernement avance que le requérant avait été placé en détention en vue de son « éducation surveillée ». La Cour rappelle que, dans le cadre de la détention de mineurs, les termes d’« éducation surveillée » ne doivent pas être assimilés systématiquement à la notion d’enseignement en salle de classe : lorsqu’une jeune personne est placée sous la protection de l’autorité locale compétente, l’éducation surveillée doit englober de nombreux aspects de l’exercice, par cette autorité locale, de droits parentaux au bénéfice et pour la protection de l’intéressé (voir Koniarska c. Royaume-Uni, (déc.), no 33670/96, 12 octobre 2000, D.G. c. Irlande, no 39474/98, § 80, CEDH 2002‑III, et P. et S. c. Pologne, no 57375/08, § 147, 30 octobre 2012).

111. En outre, conformément à l’article 5 § 1 d), la détention régulière d’un mineur décidée pour son éducation surveillée doit se dérouler dans un établissement adapté disposant de ressources répondant aux objectifs pédagogiques requis et aux impératifs de sécurité. Toutefois, il peut ne pas s’agir d’un placement immédiat. L’alinéa d) de l’article 5 § 1 n’empêche pas une mesure provisoire de garde qui serve de préliminaire à un régime d’éducation surveillée sans en revêtir elle-même le caractère. Encore faut-il, dans cette hypothèse, que la mesure de garde provisoire débouche à bref délai sur l’application effective d’un tel régime dans un milieu spécialisé – ouvert ou fermé – qui jouisse de ressources suffisantes correspondant à sa finalité (voir Bouamar c. Belgique, 29 février 1988, §§ 50 et 52, série A no 129, et D.G., précité, § 78).

112. La Cour relève que, contrairement aux établissements éducatifs fermés, qui sont destinés à accueillir et à éduquer des mineurs ayant des besoins particuliers en matière éducative (paragraphe 57 ci-dessus), les centres de détention provisoire pour mineurs délinquants ont vocation à accueillir temporairement des mineurs pendant le temps nécessaire à leur transfert vers un lieu d’accueil plus adapté. Elle observe en particulier que les autorités peuvent interner dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants un mineur visé par une demande de placement en établissement éducatif fermé pendante devant un juge, ou un mineur qui attend son transfert dans un tel établissement en vertu d’une décision de justice, ou encore un mineur qui s’est enfui d’un tel établissement. Les autorités peuvent également y interner les mineurs qui ont commis une infraction avant d’avoir atteint l’âge légal de la responsabilité pénale, en vue de protéger leur vie ou leur santé ou de les empêcher de récidiver, ou lorsqu’une raison quelconque s’oppose à ce qu’ils soient immédiatement remis à leurs parents ou tuteurs (paragraphe 58 ci-dessus). Il importe de relever que les centres de détention provisoire pour mineurs délinquants sont conçus pour des détentions de courte durée (trente jours au maximum). Ces structures offrent donc une solution temporaire aux mineurs laissés à eux-mêmes ou perturbés, en attendant qu’une solution durable puisse leur être proposée, c’est-à-dire un retour dans leur foyer ou un placement dans un établissement éducatif placé sous le contrôle des autorités.

113. Au vu de ce qui précède, il apparaît clairement que les centres de détention provisoire pour mineurs délinquants n’ont pas vocation à assurer une éducation surveillée au sens de l’article 5 § 1 d). D’ailleurs, la législation pertinente ne prévoit pas l’organisation d’activités pédagogiques dans les centres en question. Si elle fait état des « actions préventives » à mener auprès des détenus, elle ne les rend pas obligatoires et les actions en question paraissent centrées sur la collecte de renseignements se rapportant à la participation éventuelle de mineurs à des infractions et sur la communication de ces informations aux autorités répressives compétentes (voir les paragraphes 59,66 et 67 et, pour un raisonnement analogue, Ichin et autres c. Ukraine, nos 28189/04 et 28192/04, § 39, 21 décembre 2010).

114. La Cour relève que les autorités ont maintenu le requérant en détention dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants pendant trente jours pour lui imposer une « rééducation comportementale » et l’empêcher de récidiver (paragraphe 21 ci-dessus). La détention de l’intéressé n’était pas une mesure provisoire de prise en charge préalable à son placement dans un établissement éducatif fermé ou à une mesure d’éducation surveillée permise par l’article 5 § 1 d) (voir la jurisprudence citée au paragraphe 111 ci-dessus). En outre, le requérant n’a pas bénéficié d’un encadrement pédagogique régulier et systématique pendant la durée de sa détention. La Cour observe que le Gouvernement allègue que les enseignants d’une école voisine se rendaient au centre pour y donner aux détenus des cours prévus par le programme de l’enseignement secondaire, tandis que l’intéressé soutient que l’enseignement était dispensé de manière irrégulière, fragmentée et lacunaire, et que les classes étaient composés d’élèves d’âges et de niveaux différents. Le Gouvernement n’a produit aucun document – tel qu’une copie du programme des enseignements dispensés pendant la détention du requérant – propre à réfuter les allégations de l’intéressé. Dans ces conditions, il n’est pas établi que ce dernier ait pu suivre une formation scolaire ou professionnelle autre qu’un enseignement irrégulier et lacunaire de certaines matières figurant au programme de l’enseignement secondaire.

115. En tout état de cause, il est clair que la détention du requérant dans le centre n’avait pas été « décidée pour son éducation surveillée », et que l’enseignement qui lui a été dispensé était tout à fait secondaire par rapport à l’objectif principal que la procédure interne avait assigné à cette détention, à savoir la prévention de la récidive.

116. En conséquence, la Cour estime que la détention du requérant dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants n’entrait pas dans le champ d’application de l’alinéa d) du 1er paragraphe de l’article 5. Elle doit maintenant rechercher si cette détention relevait de l’article 5 § 1 b) ou c).

b) Article 5 § 1 b) et c)

117. La Cour relève que le tribunal compétent avait ordonné le placement du requérant dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants dans le but principal de l’empêcher de récidiver (paragraphes 21 et 48 ci-dessus). En conséquence, elle recherchera si l’internement de l’intéressé dans ce centre se justifiait par « des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction » au sens de l’article 5 § 1 c).

118. À cet égard, elle rappelle que le motif de détention prévu à l’article 5 § 1 c) ne se prête pas à une politique de prévention générale dirigée contre une personne ou catégorie de personnes que les autorités estiment – à tort ou à raison – dangereuses par leur propension à la délinquance. Ce motif de détention ménage seulement aux Etats contractants le moyen d’empêcher une infraction concrète et déterminée, notamment en ce qui concerne le lieu et le temps de sa commission et les victimes potentielles (voir Guzzardi, précité, § 102, Shimovolos c. Russie, no 30194/09, § 54, 21 juin 2011, M. c. Allemagne, no 19359/04, §§ 89 et 102, CEDH 2009, et Ostendorf c. Allemagne, no 15598/08, § 66, 7 mars 2013). Il ressort clairement des décisions internes prises à l’égard du requérant que la propension de celui-ci à la délinquance a été appréciée au regard de l’indiscipline caractérisant son mode de vie, de l’absence de contrôle parental, et des infractions qu’il avait commises par le passé. Les autorités internes et le Gouvernement n’ont pas fait état d’indices concrets et précis donnant à penser que le requérant se préparait à perpétrer une infraction dont il fallait empêcher la commission.

119. En outre, pour être régulière au regard de l’article 5 § 1 c), la détention d’une personne en vue de l’empêcher de commettre une infraction doit être décidée « afin de la traduire devant l’autorité compétente », et l’article 5 § 3 dispose que cette personne a « le droit d’être jugée dans un délai raisonnable ». Autrement dit, le second volet de l’article 5 § 1 c) ne couvre que les détentions provisoires qui ont été imposées dans le cadre de procédures pénales dirigées contre des personnes ayant déjà commis des actes répréhensibles préparatoires à la commission d’une infraction et qui visent à les empêcher de commettre l’infraction en question. Ces personnes doivent ensuite être traduites devant un juge pour y répondre des actes répréhensibles préparatoires à l’infraction (voir Ostendorf, précité, §§ 67, 68, 82, 85 et 86, ainsi que les références qui s’y trouvent citées). Or la Cour a conclu en l’espèce que l’internement du requérant en détention dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants ne visait pas à le « traduire devant l’autorité compétente » (paragraphe 109 ci-dessus).

120. La Cour conclut que la détention du requérant n’était pas fondée sur des « motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction » au sens de l’article 5 § 1 c). Elle doit maintenant rechercher si la détention litigieuse relevait de l’article 5 § 1 b).

121. Elle rappelle que le second volet de l’article 5 § 1 b) autorise la détention d’une personne « en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ». Cette disposition concerne les cas où la loi autorise à détenir quelqu’un pour le forcer à exécuter une obligation spécifique et réelle qui lui incombe déjà et qu’il a jusque-là négligé de remplir. Pour relever du champ d’application de cet article, l’arrestation et la détention doivent en outre viser à assurer l’exécution de l’obligation en question ou y contribuer directement, et ne doivent pas revêtir un caractère punitif. Dès que l’obligation a été exécutée, la détention devient infondée au regard de l’article 5 § 1 b). Enfin, il faut ménager un équilibre entre l’importance qu’il y a dans une société démocratique à assurer l’exécution immédiate de l’obligation dont il s’agit et l’importance du droit à la liberté (voir, parmi beaucoup d’autres, Schwabe et M.G. c. Allemagne, nos 8080/08 et 8577/08, § 73, CEDH 2011 (extraits), et Ostendorf, précité, §§ 69-71, 97, 99 et 101).

122. La Cour rappelle avoir déjà jugé que l’obligation générale de ne pas commettre une infraction pénale dans un futur imminent ne peut être considérée comme suffisamment concrète et spécifique pour relever des cas de détention autorisés par l’article 5 § 1 b), tout au moins tant qu’il n’a pas été ordonné de mesures précises qui n’ont pas été respectées (Schwabe et M.G., précité, § 82). L’obligation de ne pas commettre d’infraction ne peut passer pour suffisamment « concrète et spécifique » aux fins de l’alinéa b) de l’article 5 § 1 que si le lieu ainsi que le moment de la commission imminente de l’infraction et les victimes potentielles de celle-ci sont suffisamment déterminés, si la personne concernée a connaissance de l’acte dont elle doit s’abstenir, et si elle refuse de s’en abstenir (Ostendorf, §§ 93 et 94).

123. En l’espèce, comme la Cour l’a dit ci-dessus, ni les autorités internes ni le Gouvernement n’ont signalé qu’une infraction allait être perpétrée à un moment et à un lieu précis contre des personnes déterminées, et qu’il fallait empêcher le requérant de la commettre (paragraphe 118 ci-dessus). En conséquence, l’obligation de ne pas commettre une infraction invoquée par le Gouvernement ne saurait être considérée comme suffisamment concrète et précise pour relever de l’article 5 § 1 b).

c) Article 5 § 1 a)

124. La Cour relève que l’internement du requérant dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants avait été ordonné par un magistrat qui avait jugé que l’intéressé s’était livré à une extorsion de fonds (paragraphes 21 et 48 ci-dessus). Le libellé des décisions internes donne à penser que la mesure de détention dont le requérant a fait l’objet revêtait un caractère préventif et dissuasif, mais aussi punitif (...). Dans ces conditions, l’internement de l’intéressé ressemblait à une détention autorisée par l’article 5 § 1 a).

125. À cet égard, la Cour rappelle que, par « condamnation » au sens de l’article 5 § 1 a), il faut entendre à la fois une déclaration de culpabilité, consécutive à l’établissement légal d’une infraction, et l’infliction d’une peine ou autre mesure privative de liberté (voir, parmi beaucoup d’autres, James, Wells et Lee c. Royaume-Uni, nos 25119/09, 57715/09 et 57877/09, § 189, 18 septembre 2012, et les références qui s’y trouvent citées).

126. En l’espèce, faute d’avoir atteint l’âge légal de la responsabilité pénale, le requérant n’a jamais été reconnu coupable d’une infraction au droit russe. Les termes « régulièrement » et « selon les voies légales » qui figurent à l’article 5 § 1 renvoyant pour l’essentiel à la législation nationale (Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, § 67, CEDH 2008), l’internement du requérant dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants ne saurait passer pour une « détention régulière après condamnation par un tribunal compétent » au sens de l’article 5 § 1 a). Partant, la détention litigieuse ne relevait pas du champ d’application de cette clause.

d) Conclusion

127. La Cour conclut que la détention du requérant ne relevait pas de l’alinéa a), b), c) ou d) de l’article 5 § 1. Les alinéas e) et f) de cette disposition sont manifestement inapplicables en l’espèce.

128. Il s’ensuit que l’internement du requérant dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants ne poursuivait aucun des buts légitimes autorisés par l’article 5 § 1. En conséquence, il était arbitraire. Partant, il y a eu violation de cette disposition.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

129. En outre, le requérant allègue que, faute pour lui d’avoir été informé de l’audience du 11 avril 2005 relative à l’examen de la régularité de son placement en centre de détention pour mineurs délinquants, il s’est trouvé dans l’impossibilité d’y participer.

130. La Cour examinera le grief du requérant sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention. Cette disposition est ainsi libellée :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

131. Le Gouvernement soutient que la décision du 11 avril 2005 a été annulée à l’issue d’un recours en révision en raison précisément de l’absence du requérant à l’audience. En conséquence, il estime que l’intéressé ne peut plus se prétendre victime d’une violation de l’article 5 § 4.

132. Le requérant maintient ses allégations.

133. La Cour rappelle qu’une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir, par exemple, Amuur c. France, 25 juin 1996, § 36, Recueil 1996‑III, Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999‑VI, et Sakhnovski c. Russie [GC], no 21272/03, § 67, 2 novembre 2010).

134. En l’espèce, la Cour observe que, lorsqu’il a annulé la décision du 11 avril 2005, le président de la cour régionale de Novossibirsk a expressément reconnu que le droit du requérant de prendre part à l’audience avait été violé (paragraphe 45 ci-dessus). Elle observe également que l’intéressé et son tuteur ont été informés de toutes les audiences ultérieures concernant la régularité de la détention litigieuse, et qu’ils y ont participé. Eu égard au contenu de la décision adoptée par le président de la cour régionale le 3 avril 2006 et à la manière dont les procédures consécutives à la révision ont été conduites, la Cour estime que les autorités nationales ont reconnu la violation alléguée et qu’elles y ont remédié.

135. Il s’ensuit que le requérant ne peut plus se prétendre « victime » de la violation alléguée de l’article 5 § 4 de la Convention au sens de l’article 34 de la Convention et que son grief doit être rejeté, conformément aux articles 34 et 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

136. Le requérant allègue en outre que la procédure ayant abouti à son internement en centre de détention provisoire pour mineurs délinquants pour extorsion de fonds a été inéquitable. À cet égard, il se plaint notamment d’avoir été interrogé par un policier hors la présence de son tuteur, d’un avocat ou d’un enseignant. Par ailleurs, il allègue qu’il n’a pas pu interroger les témoins à charge. Il invoque les paragraphes 1 et 3 de l’article 6, ainsi libellés :

Article 6 § 1

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. »

Article 6 § 3

« Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »

A. Sur la recevabilité

137. Le Gouvernement explique que, faute pour le requérant d’avoir fait l’objet d’une procédure pénale, celui-ci ne pouvait bénéficier des garanties procédurales offertes par le code de procédure pénale.

138. La Cour estime que les explications du Gouvernement doivent être interprétées comme une exception d’inapplicabilité du volet pénal de l’article 6 à la procédure dirigée contre le requérant.

139. La Cour réaffirme l’autonomie de la notion d’« accusation en matière pénale » telle que la conçoit l’article 6 § 1. Selon sa jurisprudence constante, l’existence ou non d’une « accusation en matière pénale » doit s’apprécier sur la base de trois critères, couramment dénommés « critères Engel » (Engel et autres c. Pays‑Bas, 8 juin 1976, § 82, série A no 22). Le premier est la qualification juridique de l’infraction en droit interne, le second la nature même de l’infraction et le troisième le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé. Les deuxième et troisième critères sont alternatifs et pas nécessairement cumulatifs. Cela n’empêche pas l’adoption d’une approche cumulative si l’analyse séparée de chaque critère ne permet pas d’aboutir à une conclusion claire quant à l’existence d’une accusation en matière pénale (voir, entre autres, Jussila c. Finlande [GC], no 73053/01, §§ 30-31, CEDH 2006-XIV, et Ezeh et Connors c. Royaume-Uni [GC], nos 39665/98 et 40086/98, § 82, CEDH 2003-X).

140. En l’espèce, la Cour relève que, après avoir établi que les actes reprochés au requérant comportaient des éléments constitutifs de l’infraction d’extorsion de fonds, les autorités ont classé l’affaire au motif que l’intéressé n’avait pas atteint l’âge de la majorité pénale (paragraphe 13 ci‑dessus). Par la suite, dans le cadre d’une procédure distincte, un tribunal a ordonné l’internement du requérant pendant trente jours en centre de détention provisoire pour mineurs délinquants au motif qu’il avait commis un acte de délinquance – une extorsion – et qu’il était en conséquence nécessaire de lui imposer une « rééducation comportementale » et de l’empêcher de récidiver (paragraphe 21 ci‑dessus).

141. Le Gouvernement indique que, selon le droit interne, la procédure dirigée contre le requérant ne relève pas de la matière pénale. La Cour a déjà jugé que, dans l’accomplissement de leur rôle de gardiens de l’intérêt public, les États peuvent établir ou maintenir une distinction entre différents types d’infractions définis par le droit interne et fixer le tracé entre celles qui ressortissent au droit pénal et celles qui n’en relèvent pas. Le législateur qui soustrait certains comportements à la catégorie des infractions pénales du droit interne peut servir à la fois les impératifs d’une bonne administration de la justice et l’intérêt de l’individu, comme l’a fait le législateur russe en exonérant les mineurs en dessous d’un certain âge de la responsabilité pénale selon le degré de développement de leurs capacités mentales et intellectuelles. Cependant, la qualification juridique de la procédure en droit interne ne saurait être le seul critère pertinent pour l’applicabilité de l’article 6. S’il en était autrement, l’application de cette disposition se trouverait subordonnée à l’appréciation des États contractants, ce qui risquerait de conduire à des résultats incompatibles avec l’objet et le but de la Convention (Őztürk c. Allemagne, 21 février 1984, § 49, série A no 73, Campbell et Fell c. Royaume-Uni, 28 juin 1984, § 68, série A no 80, Ezeh et Connors, précité, § 83, et Matyjek c. Pologne (déc.), no 38184/03, § 45, 30 mai 2006). En conséquence, le fait que la procédure dirigée contre le requérant ne revête pas un caractère pénal en droit russe n’a qu’une valeur formelle et relative ; « la nature même de l’infraction représente un élément d’appréciation d’un plus grand poids » (Ezeh et Connors, précité, § 91).

142. Il ne prête pas à controverse que l’acte de délinquance reproché à l’intéressé est une infraction selon le droit pénal ordinaire. D’ailleurs, la décision de classement sans suite indique que « les faits reprochés [au requérant] (...) comportent des éléments constitutifs de l’infraction d’extorsion de fonds réprimée par l’article 163 du code pénal » (paragraphe 13 ci-dessus). Toutefois, la Cour ne perd pas de vue le fait que l’intéressé n’a pas été poursuivi, faute pour lui d’avoir atteint l’âge de la majorité pénale. Cela étant, elle ne juge pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si, malgré le caractère indiscutablement pénal de l’infraction reprochée à l’intéressé, le fait que celui-ci bénéficiait de l’immunité de poursuites en raison de son âge soustrayait la procédure dirigée contre lui du champ d’application du volet pénal de l’article 6. En conséquence, la Cour se bornera à examiner le troisième critère applicable, à savoir la nature et le degré de sévérité de la sanction encourue par le requérant.

143. La Cour observe que, selon le droit russe, les mineurs ayant commis une infraction avant d’avoir atteint l’âge légal de la responsabilité pénale peuvent être internés dans un centre éducatif fermé pour une durée maximale de trois ans, ou dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants pour une durée maximale de trente jours (paragraphes 57 et 58 ci-dessus). En l’espèce, dans le mois qui a suivi la décision de ne pas poursuivre le requérant, la direction locale de l’Intérieur a demandé à un tribunal d’ordonner l’internement de l’intéressé dans un tel centre au motif qu’il avait commis une infraction dont il ne pouvait être tenu pour pénalement responsable en raison de son âge. Au regard de l’indiscipline qui caractérisait la vie du requérant et ses actes de délinquance passés, la direction locale de l’Intérieur avait estimé que le placement du requérant en détention s’imposait pour le soumettre à une « rééducation comportementale » et pour éviter toute récidive de sa part (paragraphe 19 ci-dessus). Le tribunal de district a ordonné l’internement du requérant dans un centre de détention provisoire pour mineurs pendant trente jours en vue d’une « rééducation comportementale » au motif que celui-ci n’avait pas « tiré les conclusions qui s’imposaient » de ses précédents séjours dans de tels centres et qu’il avait récidivé (paragraphe 21 ci‑dessus). La cour régionale a confirmé cette décision en appel, signalant que le requérant avait commis une infraction réprimée par le code pénal et faisant état de sa situation familiale ainsi que de ses difficultés scolaires. Elle a jugé que l’internement de l’intéressé dans un centre était nécessaire pour l’empêcher de récidiver (paragraphe 48 ci-dessus).

144. La Cour ne perd pas de vue que la décision d’internement du requérant en centre de détention provisoire pour mineurs délinquants a été prise à l’issue d’une procédure parallèle qui, formellement, était étrangère à l’enquête préliminaire dirigée contre l’intéressé. Toutefois, elle relève que, pour décider de cet internement, les juridictions internes ont principalement retenu que l’intéressé avait commis une infraction et qu’elles ont amplement fait état, dans leur décision, des pièces recueillies dans le cadre de l’enquête préliminaire et des constats opérés à cette occasion. Dans ces conditions, la Cour estime qu’il existe un lien étroit, tant juridique que factuel, entre l’enquête préliminaire et la procédure d’internement. D’ailleurs, il ressort clairement du libellé des dispositions juridiques pertinentes et des décisions de justice citées au paragraphe 143 ci-dessus que le placement du requérant dans un centre de détention provisoire était directement lié au fait que la direction locale de l’Intérieur avait conclu que les actes reprochés à l’intéressé comportaient des éléments constitutifs du délit d’extorsion de fonds.

145. La Cour a déjà conclu que l’internement du requérant dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants s’analysait en une privation de liberté (paragraphe 107 ci-dessus). Il convient dès lors de présumer que la procédure dirigée contre le requérant revêtait un caractère « pénal » au sens de l’article 6, et cette présomption ne peut être réfutée qu’à titre tout à fait exceptionnel et seulement s’il est impossible de considérer que cette privation de liberté entraîne un « préjudice important », eu égard à sa nature, à sa durée ou à ses modalités d’exécution (Ezeh et Connors, précité, § 126).

146. Comme indiqué ci-dessus, la décision de placement de l’intéressé dans un centre de détention pour mineurs délinquants n’a pas été prise en vue de son éducation surveillée (paragraphes 109 à 116 ci-dessus). L’objectif déclaré de l’internement de l’intéressé était de corriger son comportement et l’empêcher de récidiver, et non de lui infliger une sanction. Toutefois, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’il peut falloir, par-delà les apparences et le vocabulaire employé, s’attacher à cerner la réalité (Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, § 64, CEDH 2002‑IV, et Ezeh et Connors, précité, § 123).

147. La Cour relève que le requérant a été maintenu pendant trente jours dans un centre de détention pour mineurs délinquants, non dans un établissement éducatif. Comme indiqué ci-dessus, ce centre était fermé et gardé, de manière à interdire toute tentative de sortie non autorisée. En outre, les détenus étaient soumis à une surveillance permanente et à une discipline stricte (paragraphe 107 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour estime que la détention imposée au requérant après que ses agissements eurent été considérés comme constitutifs de l’infraction d’extorsion de fonds, détention qu’il a purgée dans un centre de détention pour mineurs délinquants sous un régime quasi pénitentiaire dans les conditions décrites ci‑dessus, contenait des éléments de répression ainsi que des éléments de prévention et de dissuasion. La Cour éprouve quelques difficultés à distinguer entre les objectifs de répression et les objectifs de dissuasion de la mesure litigieuse, ces objectifs ne s’excluant pas mutuellement et étant tenus pour caractéristiques des sanctions pénales. D’ailleurs, la jurisprudence de la Cour admet généralement que les sanctions pénales ont un double objectif de répression et de dissuasion (Őztürk, précité, § 53, Bendenoun c. France, 24 février 1994, § 47, série A no 284, Lauko c. Slovaquie, 2 septembre 1998, § 58, Recueil 1998‑VI, et Ezeh et Connors, précité, §§ 102 et 105).

148. Eu égard à la nature, à la durée et aux modalités d’exécution de la privation de liberté dont le requérant était passible et qu’il s’est vu infliger, la Cour ne décèle aucune circonstance exceptionnelle susceptible de renverser la présomption selon laquelle la procédure pénale dirigée contre lui était « pénale » au sens de l’article 6.

149. Au vu de ce qui précède, et compte tenu de la nature de l’infraction ainsi que de la nature et de la sévérité de la sanction prononcée, la Cour conclut que la procédure dirigée contre le requérant revêtait un caractère pénal au sens de l’article 6 de la Convention. En conséquence, cette disposition est applicable à la procédure en question.

150. Par ailleurs, la Cour constate que le grief tiré de l’article 6 n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. En conséquence, elle le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

151. Le Gouvernement avance que le requérant n’a jamais fait l’objet d’une procédure pénale. Il soutient que l’intéressé ne pouvait donc pas se prévaloir du statut de suspect ou d’accusé tel défini par le code de procédure pénale dans le cadre de l’enquête préliminaire qui le visait, et que les garanties procédurales accordées par ce code aux suspects et aux accusés ne lui étaient pas applicables, notamment le droit à une assistance juridique et le droit d’interroger les témoins.

152. S’agissant des aveux passés le 3 janvier 2005, le Gouvernement affirme que, loin d’avoir fait ce jour-là l’objet d’un interrogatoire officiel au sens du code de procédure pénale, le requérant avait été invité à fournir des « explications » et qu’une telle procédure n’exigeait pas la présence d’un avocat de la défense, ajoutant que l’entretien avait été mené par un policier ayant reçu une formation en pédagogie, que l’intéressé avait été informé de son droit de garder le silence et qu’il n’avait pas subi de pression ou d’intimidation. Enfin, le Gouvernement indique que le grand-père de l’intéressé avait assisté à cet entretien, en voulant pour preuve que le dossier de l’affaire contient une déclaration rédigée par le grand-père de ce dernier le 3 janvier 2005.

153. En ce qui concerne les témoins, le Gouvernement concède que le requérant n’a pu être confronté à S. ou à la mère de celui-ci, mais il indique que l’intéressé a eu accès à leurs dépositions et qu’il a été autorisé à formuler des observations à leur propos.

154. Pour sa part, le requérant indique avoir été interrogé par la police le 3 janvier 2005 hors la présence de son tuteur, d’un avocat ou d’un enseignant, ajoutant que cet interrogatoire s’était déroulé dans une atmosphère intimidante et qu’il avait été précédé d’une détention d’une heure dans une cellule plongée dans une obscurité complète. Il avance que l’allégation du Gouvernement selon laquelle son grand-père était présent lors de l’interrogatoire n’est corroborée par aucune preuve, que les aveux signés ce jour-là ne mentionnent pas la présence de son grand-père, et qu’ils n’ont pas été contresignés par celui-ci. Le requérant affirme que son grand-père n’a été convoqué au commissariat qu’après qu’il eut lui-même signé les aveux sous la pression, et qu’il les a rétractés dès que son grand-père lui eut expliqué la nature des charges retenues contre lui et ses droits procéduraux, à son arrivée au commissariat.

155. En outre, le requérant soutient qu’il n’a pu interroger S. et la mère de celui-ci, les seuls témoins à charge. Il indique que les autorités se sont servies des dépositions de ces témoins pour conclure qu’il avait commis une infraction et qu’il devait pour cette raison être interné pendant trente jours en centre de détention provisoire pour mineurs délinquants. C’est pourquoi il estime ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

156. Les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 s’analysant en des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1, il arrive fréquemment à la Cour d’examiner les griefs des requérants sous l’angle de ces deux textes combinés (voir, parmi beaucoup d’autres, Poitrimol c. France, 23 novembre 1993, § 29, série A no 277‑A, Lala c. Pays-Bas, 22 septembre 1994, § 26, série A no 297‑A, Krombach c. France, no 29731/96, § 82, CEDH 2001‑II, et Lucà c. Italie, no 33354/96, § 37, CEDH 2001‑II). Si un requérant se plaint de nombreux vices procéduraux, il est loisible à la Cour d’étudier successivement les différents griefs présentés devant elle pour rechercher si la procédure litigieuse, considérée dans son ensemble, a revêtu un caractère équitable (Barberà, Messegué et Jabardo c. Espagne, 6 décembre 1988, §§ 67 et suiv., série A no 146, Mirilachvili c. Russie, no 6293/04, §§ 164 et suiv., 11 décembre 2008, et Insanov c. Azerbaïdjan, no 16133/08, §§ 159 et suiv., 14 mars 2013).

157. En ce qui concerne les accusés mineurs, la Cour a jugé que la procédure pénale doit être organisée de manière à respecter le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il est essentiel de traiter un enfant accusé d’une infraction d’une manière qui tienne pleinement compte de son âge, de sa maturité et de ses capacités sur le plan intellectuel et émotionnel, et de prendre des mesures de nature à favoriser sa compréhension de la procédure et sa participation à celle-ci (V. c. Royaume-Uni [GC], no 24888/94, § 86, CEDH 1999‑IX, T. c. Royaume-Uni [GC], no 24724/94, § 84, 16 décembre 1999, Panovits c. Chypre, no 4268/04, § 67, 11 décembre 2008, et Adamkiewicz c. Pologne, no 54729/00, § 70, 2 mars 2010). Le droit pour un prévenu mineur de prendre effectivement part à son procès pénal exige que l’intéressé soit traité en tenant dûment compte de sa vulnérabilité et de ses capacités dès les premiers stades de sa participation à une enquête pénale et en particulier dès que la police le soumet à un quelconque interrogatoire. Les autorités sont tenues de prendre des mesures afin que le mineur se sente le moins possible intimidé et inhibé et de veiller à ce qu’il comprenne globalement la nature et l’enjeu pour lui du procès, notamment la portée de toute peine susceptible de lui être infligée ainsi que ses droits, dont celui de ne rien dire (Panovits, précité, § 67, S.C. c. Royaume-Uni, no 60958/00, § 29, CEDH 2004‑IV, Martin c. Estonie, no 35985/09, § 92, 30 mai 2013).

i. Droit à l’assistance d’un défenseur

158. La Cour rappelle que, quoique non absolu, le droit reconnu par l’article 6 § 3 c) à tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d’office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable (Poitrimol, précité, § 34).

159. En ce qui concerne la phase de la procédure antérieure au procès, la Cour a jugé que la vulnérabilité particulière dans laquelle se trouve l’accusé lors des premiers stades des interrogatoires de police ne peut être compensée de manière adéquate que par l’assistance d’un avocat, dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s’incriminer lui-même. Ce droit présuppose que, dans une affaire pénale, l’accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou des pressions, au mépris de la volonté de l’accusé. Dans ces conditions, la Cour estime que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 demeure suffisamment « concret et effectif », il faut, en règle générale, que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit. Même lorsque des raisons impérieuses peuvent exceptionnellement justifier le refus de l’accès à un avocat, pareille restriction – quelle que soit sa justification – ne doit pas indûment préjudicier aux droits découlant pour l’accusé de l’article 6. Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation (Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, §§ 50-55, CEDH 2008, et Panovits, précité, §§ 64-66 et 83).

160. Compte tenu de la vulnérabilité particulière des mineurs, de leur degré de maturité et de leurs capacités sur les plans intellectuel et émotionnel, la Cour souligne l’importance fondamentale de la possibilité pour tout mineur placé en garde à vue d’avoir accès à un avocat pendant cette détention (voir Salduz, précité, § 60, et la jurisprudence citée au paragraphe 157 ci-dessus).

ii. Droit d’obtenir la comparution et l’interrogation de témoins

161. La Cour rappelle que l’article 6 § 3 d) consacre le principe selon lequel, avant qu’un accusé puisse être déclaré coupable, tous les éléments à charge doivent en principe être produits devant lui en audience publique, en vue d’un débat contradictoire. Ce principe ne va pas sans exceptions, mais on ne peut les accepter que sous réserve des droits de la défense ; en règle générale, ceux-ci commandent de donner à l’accusé une possibilité adéquate et suffisante de contester les témoignages à charge et d’en interroger les auteurs, soit au moment de leur déposition, soit à un stade ultérieur (Lucà c. Italie, précité, §§ 39-40).

162. Il en résulte que, lorsqu’une condamnation se fonde uniquement ou dans une mesure déterminante sur des dépositions faites par une personne que l’accusé n’a pu interroger ou faire interroger ni au stade de l’instruction ni pendant les débats, les droits de la défense peuvent se trouver restreints d’une manière incompatible avec les garanties de l’article 6 (Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni [GC], nos 26766/05 et 22228/06, § 119, CEDH 2011).

163. Cela étant, l’admission à titre de preuve d’un témoignage par ouï-dire constituant l’élément à charge unique ou déterminant n’emporte pas automatiquement violation de l’article 6 § 1. Toutefois, lorsqu’une condamnation repose exclusivement ou dans une mesure déterminante sur les dépositions de témoins absents, la Cour doit soumettre la procédure à l’examen le plus rigoureux. Dans chaque affaire, il s’agit de savoir s’il existe des éléments suffisamment compensateurs des inconvénients liés à l’admission d’une telle preuve pour permettre une appréciation correcte et équitable de la fiabilité de celle-ci (Al-Khawaja et Tahery, précité, § 147).

b) Application en l’espèce des principes susmentionnés

i. Droit à l’assistance d’un défenseur

164. La Cour relève que le requérant, qui était âgé de douze ans à l’époque des faits, fut arrêté et conduit dans un commissariat où il fut interrogé par un policier, à qui il avoua avoir commis une extorsion de fonds. Elle observe que l’intéressé n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat au cours de cet interrogatoire, et que la question de savoir si le tuteur du requérant était présent au moment des aveux en question prête à controverse entre les parties.

165. L’affirmation du Gouvernement selon laquelle le grand-père et tuteur du requérant avait assisté à l’interrogatoire de son petit-fils ne convainc pas la Cour, cette affirmation n’étant corroborée par aucune preuve. D’ailleurs, les aveux de l’intéressé ne font pas état de la présence de son grand-père et n’ont pas été contresignés par ce dernier. Le fait que celui‑ci ait signé une déclaration écrite le même jour (paragraphe 12 ci‑dessus) ne prouve pas qu’il se trouvait au commissariat au moment où le requérant est passé aux aveux. Il se peut qu’il ait signé cette déclaration dans les circonstances décrites par le requérant, c’est-à-dire au moment où il est venu chercher l’intéressé au commissariat après y avoir été convoqué et après que celui-ci eut avoué être l’auteur des faits qui lui étaient reprochés (paragraphe 10 ci-dessus).

166. Aux yeux de la Cour, il est constant que le requérant a été privé de toute possibilité de contacter sa famille et de se faire assister par un avocat à partir du moment où il est arrivé au commissariat. Eu égard au très jeune âge de l’intéressé, la Cour ne doute pas que celui-ci se soit senti vulnérable et intimidé lorsqu’il a dû faire face seul aux agents présents dans le commissariat. Elle estime que les circonstances dans lesquelles l’interrogatoire du requérant s’est déroulé relevaient de la coercition psychologique et qu’elles étaient de nature à briser la résolution éventuelle du requérant de garder le silence. Eu égard à ces considérations, la Cour estime que, du point de vue de l’équité de la procédure, le requérant aurait dû avoir accès à un avocat dès les premiers stades de l’interrogatoire, ce pour contrebalancer l’atmosphère intimidante destinée à vaincre sa volonté et à le faire passer aux aveux devant les personnes qui l’interrogeaient (voir, pour un raisonnement similaire, Adamkiewicz, précité, § 89, et Süzer c. Turquie, no 13885/05, §§ 78-79, 23 avril 2013 ; voir aussi Magee c. Royaume-Uni, no 28135/95, § 43, CEDH 2000‑VI).

167. Le Gouvernement avance que le requérant n’avait pas été autorisé à se faire assister par un avocat parce que la législation ne prévoyait pas ce droit en cas d’interrogatoire par la police d’un mineur n’ayant pas atteint l’âge de la responsabilité pénale (paragraphe 151 ci-dessus). Or la Cour a déjà jugé qu’une restriction systématique au droit d’accès à un avocat sur la base de dispositions légales suffit par elle-même à justifier le constat d’une violation de l’article 6 (Dayanan c. Turquie, no 7377/03, § 33, 13 octobre 2009).

168. Enfin, il est indubitable que le requérant a été affecté par les restrictions mises à la possibilité pour lui d’avoir accès à un avocat, sa déclaration à la police ayant été utilisée contre lui dans le cadre de la procédure subséquente. D’ailleurs, il ressort clairement de la décision rendue par la direction locale de l’Intérieur le 12 janvier 2005 et des décisions judiciaires en date du 21 février 2005 et du 29 mai 2006 que, pour juger que les actes reprochés au requérant étaient constitutifs d’un délit d’extorsion de fonds justifiant l’internement de l’intéressé en centre de détention pour mineurs délinquants, les autorités s’étaient fondées sur les aveux passés par le requérant hors la présence d’un avocat (paragraphes 13, 21 et 48). Dans ces conditions, indépendamment de la question de savoir si le requérant a eu l’occasion de contester les preuves à charge lors de son procès, l’absence d’un avocat pendant sa garde à vue a irrémédiablement nui à ses droits de la défense (Salduz, précité, §§ 58 et 62, Panovits, précité, §§ 75-77 et 84-86, et Pavlenko c. Russie, no 42371/02, § 119, 1er avril 2010).

169. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que l’absence d’avocat pendant l’interrogatoire du requérant par la police a irrémédiablement nui aux droits de la défense de celui-ci et à l’équité de la procédure dans son ensemble.

170. Eu égard à la conclusion à laquelle la Cour est parvenue ci-dessus, il n’y a en principe pas lieu d’examiner séparément l’autre manquement à l’équité de la procédure dénoncé par le requérant et tiré du refus de l’autoriser à interroger les témoins à charge (voir, par exemple, Pishchalnikov c. Russie, no 7025/04, § 93, 24 septembre 2009, et, mutatis mutandis, Salduz, précité, § 58, ainsi que Panovits, précité, § 75). Toutefois, il s’agit là de la première affaire dans laquelle la Cour est appelée à étudier les procédures spéciales applicables en Russie aux mineurs ayant commis une infraction avant d’avoir atteint l’âge de la responsabilité pénale. En conséquence, la Cour estime nécessaire d’analyser les autres aspects des procédures en question et d’examiner séparément la violation alléguée du droit de contester les témoignages à charge et d’interroger les témoins.

ii. Droit d’obtenir la convocation et l’interrogatoire des témoins

171. La Cour observe que, pour conclure que les agissements reprochés au requérant étaient constitutifs de l’infraction d’extorsion de fonds (paragraphes 13, 21 et 48), les autorités internes se sont appuyées sur les aveux de l’intéressé ainsi que sur les dépositions de S. et de la mère de celui-ci. Il importe de relever que les dépositions de ces deux témoins étaient les seules preuves à charge contre le requérant, abstraction faite des aveux que celui-ci avait passés sans avoir pu bénéficier de l’assistance d’un avocat. Les dépositions en question étaient donc, sinon les preuves uniques, du moins les preuves déterminantes contre le requérant.

172. La Cour constate en outre que les autorités n’ont rien fait pour assurer la présence des témoins à charge à l’audience. À cet égard, le Gouvernement a expliqué que la législation ne prévoyait pas de droit au contre-interrogatoire des témoins dans les procédures dirigées contre des mineurs n’ayant pas atteint l’âge de la majorité pénale (paragraphe 15 ci‑dessus).

173. Enfin, la Cour relève que l’impossibilité faite au requérant d’interroger S. et la mère de celui-ci à un stade quelconque de la procédure et les difficultés que l’admission comme preuves de leurs dépositions non discutées a causées à la défense n’ont donné lieu à aucune compensation (comparer avec Al-Khawaja et Tahery, précité, §§ 156-58 et 161-65). L’intéressé n’a pas eu la possibilité de vérifier l’interrogatoire des témoins réalisé par les autorités d’enquête et n’a pu leur poser de questions ni au moment de la réalisation de cet interrogatoire ni plus tard. En outre, les déclarations formulées par les témoins devant les autorités d’enquête n’ayant pas fait l’objet d’un enregistrement vidéo, ni le requérant ni ses juges n’ont pu observer le comportement des témoins pendant leur interrogatoire et se faire une opinion quant à leur fiabilité (voir, pour un raisonnement similaire, Makeïev c. Russie, no 13769/04, § 42, 5 février 2009).

174. Relevant que le requérant n’a pas pu interroger S. et la mère de celui-ci – dont les dépositions revêtaient une importance décisive pour déterminer si les actes de l’intéressé étaient ou non constitutifs du délit d’extorsion de fonds et s’il fallait ordonner son internement en centre de détention pour mineurs délinquants – et que les autorités n’ont pas déployé des efforts raisonnables pour s’assurer de la comparution des témoins ou compenser les difficultés que l’admission comme preuves de leurs dépositions avait causées à la défense, la Cour conclut que les droits de la défense du requérant – en particulier celui de contester les témoignages et d’interroger les témoins – ont été restreints d’une manière incompatible avec les garanties consacrées par l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.

iii. Conclusions

175. La Cour a conclu que les droits de la défense du requérant avaient été restreints d’une manière incompatible avec les garanties offertes par l’article 6 au motif que l’intéressé n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lors de son interrogatoire par la police et qu’il lui avait été impossible d’interroger les témoins dont les dépositions à charge avaient été décisives.

176. La Cour observe que les restrictions susmentionnées aux droits de la défense du requérant découlaient du régime juridique particulier dont il relevait à l’époque pertinente faute pour lui d’avoir atteint l’âge de la responsabilité pénale. D’ailleurs, le Gouvernement a lui-même indiqué que les garanties procédurales prévues par le code de procédure pénale – telles que le droit à l’assistance d’un avocat dès le premier interrogatoire ainsi que celui d’interroger les témoins – et les droits spécifiques reconnus aux mineurs délinquants, notamment la présence à chaque interrogatoire d’un tuteur, d’un psychologue ou d’un enseignant (paragraphes 51 à 55 ci‑dessus), ne s’appliquaient pas à la procédure dirigée contre l’intéressé. La loi sur les mineurs qui régissait la procédure en question apportait d’importantes limitations aux garanties du procès équitable – refusant par exemple au prévenu l’assistance d’un avocat avant le renvoi de l’affaire devant une juridiction de jugement – et ne garantissait aucunement des droits essentiels tels que le droit d’interroger les témoins, le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit à la présomption d’innocence (paragraphe 60 ci-dessus).

177. Eu égard à ce qui précède, le requérant ne saurait passer pour avoir bénéficié d’un procès équitable. En conséquence, il y a eu violation de l’article 6 § 1 combiné avec l’article 6 § 3 c) et d) de la Convention.

V. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE LA CONVENTION

178. Enfin, la Cour a examiné les autres griefs dont elle était saisie. Eu égard à l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle était compétente pour connaître des griefs en question, elle n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés énoncés dans la Convention ou ses Protocoles. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement, conformément à l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

VI. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

179. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

180. Le requérant réclame 144 000 euros (EUR) au titre du dommage moral et du manque à gagner qu’il dit avoir subis. Reprochant aux autorités de ne pas lui avoir administré un traitement médical adéquat, il avance notamment que ses revenus futurs seront moins élevés que ceux qu’il aurait dû percevoir si ses troubles mentaux avaient été correctement soignés. Par ailleurs, l’intéressé demande 1 014 960 EUR au titre des soins qu’il indique avoir reçus en Allemagne.

181. Le Gouvernement soutient qu’il n’existe pas de lien de causalité entre les griefs formulés par le requérant et le dommage matériel que celui‑ci prétend avoir subi. En outre, le Gouvernement avance que les sommes réclamées par le requérant ne sont corroborées par aucun document et que, s’agissant du dommage moral allégué, la réalité des souffrances prétendument causées à l’intéressé par les autorités n’a pas été démontrée.

182. La Cour constate que le requérant n’a produit aucune pièce susceptible d’étayer les prétentions qu’il a formulées au titre du dommage matériel. En conséquence, elle les rejette pour défaut de fondement.

183. En ce qui concerne le préjudice moral allégué, la Cour rappelle avoir constaté l’existence de plusieurs violations de la Convention dans la présente affaire. Statuant en équité, elle accorde au requérant 7 500 EUR au titre du dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

184. Le requérant réclame 1 652 EUR au titre des honoraires de son avocat et de divers débours (photocopies, traduction et frais postaux).

185. Le Gouvernement soutient que seule une partie de ces frais est étayée par des justificatifs. À cet égard, il indique que l’intéressé a produit des documents d’où il ressort que celui-ci a effectivement versé 50 000 roubles russes à son avocat, mais qu’il n’a pas communiqué à la Cour la convention d’honoraires y afférente. Par ailleurs, le Gouvernement avance que les factures correspondant aux frais de traduction ne permettent pas de savoir précisément quels documents ont été traduits et si ceux-ci avaient ou non un rapport avec la présente affaire. Enfin, il fait valoir que le requérant n’a fourni aucune facture correspondant aux frais de photocopie et aux frais postaux dont il sollicite le remboursement.

186. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, eu égard aux documents en sa possession et aux critères ci-dessus, la Cour juge raisonnable d’accorder au requérant la somme de 1 493 EUR au titre des honoraires d’avocat et des frais de traduction, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

C. Intérêts moratoires

187. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’absence de soins médicaux, des conditions de détention inhumaines, de l’irrégularité de la détention et du manque d’équité de la procédure, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) et d) de la Convention ;

5. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. 7 500 EUR (sept mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 1 493 EUR (mille quatre cent quatre-vingt-treize euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 14 novembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenIsabelle Berro-Lefèvre
GreffierPrésidente


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