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10/10/2013 | CEDH | N°001-145103

CEDH | CEDH, AFFAIRE DELFI AS c. ESTONIE, 2013, 001-145103


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE DELFI AS c. ESTONIE

(Requête no 64569/09)

ARRÊT

STRASBOURG

10 octobre 2013

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE

16/06/2015

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Delfi AS c. Estonie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
J

ulia Laffranque,
Ksenija Turković,
Dmitry Dedov, juges,
et de André Wampach, greffier de section adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du c...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE DELFI AS c. ESTONIE

(Requête no 64569/09)

ARRÊT

STRASBOURG

10 octobre 2013

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE

16/06/2015

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Delfi AS c. Estonie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Ksenija Turković,
Dmitry Dedov, juges,
et de André Wampach, greffier de section adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 septembre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 64569/09) dirigée contre la République d’Estonie et dont Delfi AS, une société anonyme de droit estonien (« la société requérante »), a saisi la Cour le 4 décembre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La société requérante est représentée par Me V. Otsmann, avocat à Tallinn. Le gouvernement estonien (« le Gouvernement ») est représenté par son agente, Mme M. Kuurberg, du ministère des Affaires étrangères.

3. La société requérante s’estime victime d’une violation du droit à la liberté d’expression.

4. Le 11 février 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement. Il a en outre été décidé d’en examiner conjointement la recevabilité et le fond (article 29 § 1 de la Convention).

5. Des observations écrites ont été reçues de la Fondation Helsinki pour les droits de l’homme de Varsovie, que le président avait autorisée à intervenir dans la procédure en qualité de tierce partie (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 2 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. La société requérante est une société anonyme (aktsiaselts) de droit estonien.

A. La genèse de l’affaire

7. La société requérante est propriétaire du portail d’actualités sur internet « Delfi », qui publie jusqu’à 330 articles par jour. Delfi est l’un des plus grands portails d’actualités sur internet d’Estonie. Il publie en Estonie des actualités en estonien et en russe et couvre aussi la Lettonie et la Lituanie.

8. Au moment des faits, il y avait à la fin de chaque article la mention « Laissez un commentaire » ainsi que des champs pour le commentaire, le nom du commentateur et son adresse électronique (ce dernier champ étant optionnel). Sous ces champs se trouvaient deux boutons : « Publier le commentaire » et « Lire les commentaires ». Le bouton « Lire les commentaires » permettait d’accéder aux commentaires laissés par les autres internautes, qui se trouvaient dans une zone distincte de l’article. Les commentaires des internautes étaient mis en ligne automatiquement sans édition ni modération de la part de la société requérante. Les articles recevaient environ 10 000 commentaires par jour, que les internautes publiaient pour la plupart sous un pseudonyme.

9. Il y avait néanmoins un système de retrait sur notification : tout internaute pouvait marquer un commentaire comme leim (mot désignant en estonien un message injurieux ou humiliant ou un message incitant à la haine sur internet), auquel cas le commentaire était supprimé promptement. De plus, il y avait aussi un système de suppression automatique des commentaires contenant certaines chaînes de caractères permettant de reconnaître des mots obscènes. Enfin, les personnes s’estimant victimes d’un commentaire diffamatoire pouvaient avertir directement la société requérante, qui supprimait alors immédiatement le commentaire.

10. La société requérante avait pris des mesures pour avertir les internautes que les commentaires diffusés sur le site ne reflétaient pas nécessairement sa propre opinion et que les auteurs des commentaires étaient responsables de leur contenu. Elle avait en outre publié sur le site Delfi une « Charte des commentaires », où l’on pouvait lire ceci :

« Le forum Delfi est un moyen technique qui permet aux internautes de publier des commentaires. Delfi ne modifie pas les commentaires. Chacun est responsable de ses propres commentaires. Veuillez noter qu’il est déjà arrivé que les tribunaux estoniens sanctionnent des internautes à raison de la teneur de leur commentaire (...)

Delfi interdit les commentaires contraires aux bonnes pratiques, à savoir les commentaires qui :

. contiennent des menaces ;

. contiennent des insultes ;

. incitent à l’hostilité et à la violence ;

. incitent à commettre des actes illégaux (...)

. contiennent des obscénités ou des grossièretés (...)

Delfi se réserve le droit de retirer ces commentaires et de restreindre la possibilité pour leurs auteurs de publier d’autres commentaires (...) »

La charte expliquait aussi le fonctionnement du système de retrait sur notification.

11. Par ailleurs, le Gouvernement affirme qu’en Estonie, Delfi est connu pour publier des commentaires diffamatoires et dégradants. Ainsi, le 22 septembre 2005, le comité de rédaction de l’hebdomadaire Eesti Ekspress aurait publié une lettre ouverte au ministre de la Justice, à l’Avocat général et au Chancelier de justice dans laquelle il aurait exprimé des préoccupations relatives aux humiliations incessantes infligées sur les sites web publics en Estonie. Dans cette lettre, Delfi aurait été mentionné en tant que source de railleries brutales et arrogantes.

B. L’article et les commentaires publiés sur le portail d’actualités sur internet

12. Le 24 janvier 2006, la société requérante publia sur le portail Delfi un article intitulé « SLK brise une route de glace en formation ». Les routes de glace sont des routes ouvertes en hiver sur la mer gelée en Estonie entre le continent et certaines îles. L’abréviation SLK désigne l’entreprise Saaremaa Laevakompanii SA (compagnie de navigation Saaremaa, une société par actions). Cette entreprise offre un service de transport maritime entre le continent et certaines îles. Au moment des faits, elle avait pour actionnaire unique ou majoritaire un dénommé L., qui était également membre de son conseil de surveillance.

13. Les 24 et 25 janvier 2006, l’article recueillit 185 commentaires. Une vingtaine d’entre eux contenaient des menaces personnelles et des insultes dirigées contre L.

14. Le 9 mars 2006, les avocats de L. demandèrent à la société requérante de retirer les commentaires injurieux et de verser à leur client la somme de 500 000 couronnes estoniennes (EEK), soit environ 32 000 euros (EUR), à titre d’indemnisation pour dommage moral. La demande concernait les vingt commentaires suivants :

« 1.1/ il y a des courants dans la [V]äinameri
2/ les eaux libres sont plus proches des endroits dont vous parlez et la glace est plus fine. Proposition : il n’y a qu’à faire comme en 1905, aller à [K]uressaare avec des bâtons et mettre [L.] et [Le.] dans un sac

2.connards d’enfoirés...
ils se vautrent déjà dans l’argent grâce à leur monopole et aux subventions publiques et maintenant ils commencent à avoir peur qu’on puisse aller pendant quelques jours dans les îles en voiture sans remplir leur porte-monnaie. brûle avec ton bateau, sale juif !

3.heureusement, les p’tits gars du web qui n’ont pas peur de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas sont toujours là malgré le projet de [La.]. allez, les gars, [L.] au four !

4.[petit L.] va te noyer

5.aha... [ça] m’étonnerait que ce [soit] un accident... bandes de cons fdp

6.vaurien !!! [en russe]

7.Pas la peine de pleurnicher, y a qu’à se le faire une bonne fois pour toutes, ce salaud, comme ça les autres (...) sauront ce qu’ils risquent, même eux n’ont qu’une seule toute petite vie.

8.(...) a [sacrément] raison. Se faire lyncher, ce serait un avertissement pour les autres [insulaires] et pour ceux qui se prennent pour des hommes. Comme ça, ça n’arrivera plus ! De toute façon, [L.] le mérite bien, pas vrai ?

9.« un homme bien vit [longtemps,] un gros nul [vit un jour ou deux] »

10.S’il y avait une route de glace, [on] pourrait économiser facilement 500 [EEK] pour une voiture pleine, fdp de [L.] t’as qu’à les payer, pourquoi tes ferries mettent 3 [heures] s’ils brisent si bien la glace, va plutôt briser la glace du port de Pärnu (...) espèce de macaque, je passerai [le détroit] de toute façon et si je me noie, ce sera ta faute

11.et personne ne peut remettre ces connards à leur place ?

12.[habitants des îles de Saaremaa et Hiiumaa], occupez-vous de cet abruti.

13.je me demande si [L.] ne va pas s’en prendre plein la figure à Saaremaa ? arnaquer son monde comme ça !

14.Ça va faire du bruit sur internet pendant quelques jours, mais ces escrocs (et les planqués que nous avons nous-mêmes élus pour nous représenter) n’en ont rien à faire de ce qu’on dit ici, ils empochent l’argent et c’est tout – tout le monde s’en fout.
[M.] et d’autres grands escrocs faisaient aussi leur loi avant, mais ils ont été rattrapés par leur cupidité (†). C’est aussi ce qui arrivera à ces escrocs-ci tôt ou tard. Ils récolteront ce qu’ils ont semé, mais il faut quand même les arrêter (et faire justice nous-mêmes, car l’[É]tat ne peut rien contre eux – c’est eux qui gouvernent en fait), parce qu’ils ne vivent que dans le présent. Après eux, le déluge.

15.un de ces jours, je m’en vais entarter [V.].
bon sang, dès qu’on met un chaudron sur le feu et que la fumée sort de la cheminée du sauna, les corbeaux de Saaremaa arrivent – ils croient (...) qu’on va égorger un porc. eh ben non

16.salopards!!!! l’Ofelia aussi a une certif glace, alors ça n’explique pas pourquoi on avait besoin du Ola!!!

17.Bien sûr, l’[É]tat estonien, dirigé par des raclures [et] financé par des raclures, ne fait rien pour empêcher ou sanctionner les agissements antisociaux des raclures. Mais bon, il y a une Saint-Michel pour chaque [L.]... et pour eux, ce n’est pas comme pour les béliers. Vraiment désolé pour [L.] – c’est quand même un être humain... :D :D :D

18.(...) si après ça [L.] était tout d’un coup en arrêt [de] maladie, et encore la prochaine fois qu’une route de glace sera détruite... est-ce qu’il [oserait] se comporter comme un sagouin une troisième fois ? :)

19.quel enfoiré, ce [L.]... j’aurais pu rentrer chez moi avec ma petite puce bientôt... de toutes façons sa compagnie n’assure même pas un service de ferry normal et c’est tellement cher... ça fait peur... on se demande quelles poches et quelles bouches il remplit pour continuer ses conneries d’année en année

20.on ne fait pas du pain avec de la merde ; les journaux et internet laissent tout passer ; moi, juste pour le plaisir (en vérité, l’[É]tat et [L.] n’en ont rien à faire de ce que pensent les gens)... juste pour le plaisir, pas pour l’argent – [L.], je lui pisse dans l’oreille et je lui chie sur la tête. :) »

15. Le jour même, la société requérante retira les commentaires injurieux.

16. Le 23 mars 2006, en réponse à la demande des avocats de L., elle informa celui-ci que les commentaires avaient été retirés en vertu de l’obligation de retrait sur notification mais qu’elle refusait de l’indemniser.

C. La procédure civile dirigée contre la société requérante

17. Le 13 avril 2006, L. engagea une action civile contre la société requérante devant le tribunal départemental de Harju.

18. À l’audience du 28 mai 2007, les représentants de la société arguèrent notamment que dans des cas tels que celui de l’affaire de la « Nuit de bronze » (des troubles publics liés au déplacement du monument du Soldat de bronze en avril 2007), Delfi avait retiré de cinq à dix mille commentaires par jour, dont certains de sa propre initiative.

19. Par un jugement du 25 juin 2007, le tribunal départemental rejeta l’action de L. Il jugea qu’en vertu de la loi sur les services de la société de l’information (Infoühiskonna teenuse seadus), qui reposait sur la directive sur le commerce électronique (directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur), la responsabilité de la société requérante ne pouvait être engagée. Il considéra qu’il fallait distinguer la zone de commentaires de la zone journalistique du portail d’actualités de la société requérante et que, la société faisant de la zone de commentaires une administration essentiellement de nature mécanique et passive, elle ne pouvait être considérée comme la publicatrice des commentaires et n’avait pas l’obligation de les surveiller.

20. L. contesta ce jugement devant la cour d’appel de Tallinn, qui statua en sa faveur le 22 octobre 2007, considérant que c’était à tort que le tribunal départemental avait jugé que la responsabilité de la société requérante était exclue en vertu de la loi sur les services de la société de l’information. La cour d’appel annula le jugement du tribunal départemental et renvoya l’affaire.

21. La société requérante contesta l’arrêt de la cour d’appel devant la Cour suprême, qui refusa d’examiner l’affaire le 21 janvier 2008.

22. Le 27 juin 2008, après avoir réexaminé l’affaire, le tribunal départemental de Harju statua en faveur de L. Conformément aux instructions de la cour d’appel, il appliqua la loi sur les obligations (Võlaõigusseadus) et déclara la loi sur les services de la société de l’information inapplicable. Il observa que la société requérante avait affiché sur son site internet une note avertissant que les commentaires n’étaient pas édités, qu’il était interdit de déposer des commentaires contraires aux bonnes pratiques et qu’elle se réservait le droit de retirer pareils commentaires. Il nota également qu’elle appliquait un système permettant aux internautes de l’avertir de la présence de commentaires inappropriés. Il considéra toutefois que ces mesures étaient insuffisantes et ne permettaient pas de protéger de manière suffisante les droits de la personnalité d’autrui. Il conclut que la société requérante devait être considérée comme la publicatrice des commentaires et qu’elle ne pouvait dégager sa responsabilité en publiant un avertissement indiquant qu’elle n’était pas responsable de leur contenu.

23. Le tribunal départemental estima que l’article publié sur le portail d’actualités Delfi était en lui-même objectif, mais qu’un certain nombre de commentaires étaient grossiers, humiliants et diffamatoires et portaient atteinte à l’honneur de L., à sa dignité et à sa réputation. Il jugea que ces commentaires dépassaient les limites de la critique justifiée et constituaient purement et simplement des injures, et il conclut qu’ils n’étaient donc pas protégés par la liberté d’expression et qu’il y avait eu violation des droits de la personnalité de L., à qui il octroya des dommages et intérêts d’un montant de 5 000 EEK (320 EUR) pour préjudice moral.

24. Le 16 décembre 2008, la cour d’appel de Tallinn confirma le jugement du tribunal départemental. Elle précisa que la société requérante n’avait pas l’obligation de contrôler en amont les commentaires publiés sur son portail d’actualités mais que, puisqu’elle avait choisi de ne pas le faire, elle aurait dû mettre en place un autre système garantissant en pratique le retrait rapide des commentaires qui y étaient publiés s’ils étaient illicites. Elle considéra que les mesures prises par la société requérante n’étaient pas suffisantes et qu’il était contraire au principe de la bonne foi de faire reposer la charge de la surveillance des commentaires sur leurs victimes potentielles.

25. La cour d’appel rejeta l’argument de la société requérante consistant à dire qu’en vertu de la loi sur les services de la société de l’information, sa responsabilité ne pouvait être engagée. Elle jugea en effet que Delfi n’était pas un simple intermédiaire technique dans la publication des commentaires et que son activité n’était pas purement technique, automatique et passive, car le site invitait les internautes à commenter les articles. Elle conclut donc que la société requérante était un prestataire de services de contenu et non de services techniques.

26. La société requérante contesta cet arrêt devant la Cour suprême, qui la débouta le 10 juin 2009. La haute juridiction confirma l’arrêt de la cour d’appel quant au fond, mais en réforma en partie le raisonnement.

27. Elle approuva l’interprétation de la loi sur les services de la société de l’information faite par les juridictions du fond, et elle rappela que les prestataires de services de la société de l’information visés par cette loi et par la directive sur le commerce électronique ne connaissaient ni ne contrôlaient les informations transmises ou stockées, tandis que ceux qui contrôlaient les informations stockées étaient considérés comme des prestataires de services de contenu. Elle observa qu’en l’espèce, la société requérante avait intégré la zone de commentaires dans son portail d’actualités et invité les internautes à laisser des commentaires. Elle nota que le nombre de commentaires publiés avait une incidence sur le nombre de visites que recevait le portail et ainsi sur les revenus que la société requérante tirait des publicités qu’elle y publiait, de sorte que les commentaires représentaient un intérêt économique pour la société requérante. Le fait que celle-ci ne les rédige pas elle‑même n’impliquait pas, de l’avis de la Cour suprême, qu’elle n’ait pas de contrôle dessus : elle avait en effet adopté des règles auxquelles ces commentaires étaient soumis et elle retirait ceux qui enfreignaient ces règles. À l’inverse, les internautes ne pouvaient pas modifier ou supprimer les commentaires qu’ils avaient publiés ; ils pouvaient seulement signaler les commentaires obscènes. De plus, la société requérante pouvait choisir quels commentaires étaient publiés et lesquels ne l’étaient pas. Le fait qu’elle n’ait pas fait usage de cette possibilité, concluait la Cour suprême, ne signifiait pas qu’elle n’ait pas de contrôle sur la publication des commentaires.

28. La Cour suprême considéra en outre qu’en l’espèce, tant la société requérante que les auteurs des commentaires devaient être considérés comme les publicateurs de ces commentaires. À cet égard, elle estima que l’intérêt économique des administrateurs de portails internet faisait d’eux de véritables éditeurs professionnels, au même titre que les éditeurs de publications imprimées. Elle nota que le demandeur était libre de choisir la partie contre laquelle il souhaitait diriger son action, et qu’en l’espèce, L. avait choisi de poursuivre la société requérante.

29. La haute juridiction jugea qu’étant donné qu’elle avait l’obligation juridique d’éviter de causer un préjudice à autrui, la société requérante aurait dû empêcher la publication des commentaires manifestement illicites. Elle releva en outre que, après la publication des commentaires, la société requérante ne les avait pas retirés de sa propre initiative, alors qu’elle aurait dû être consciente de leur caractère illicite. Elle conclut que c’était à bon droit que les juridictions inférieures avaient jugé cette inertie fautive.

D. Les événements ultérieurs

30. Le 1er octobre 2009, Delfi annonça sur son portail internet que les personnes qui avaient laissé des commentaires injurieux ne pourraient pas déposer de nouveaux commentaires avant d’avoir lu et accepté la Charte des commentaires, et que la direction avait mis en place une équipe de modérateurs qui pratiquait une modération a posteriori des commentaires publiés sur le portail. Ces modérateurs passaient en revue toutes les notifications d’internautes signalant des commentaires inappropriés. Ils contrôlaient également le respect de la Charte des commentaires. Selon les informations publiées sur le site, en août 2009, les internautes y avaient déposé 190 000 commentaires ; les modérateurs en avaient retiré 15 000 (environ 8 %), principalement des spams ou des commentaires sans pertinence ; et moins de 0,5 % du nombre total de commentaires laissés étaient diffamatoires.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

31. La Constitution de la République d’Estonie (Eesti Vabariigi põhiseadus) prévoit ceci :

Article 17

« Nul ne doit subir d’atteinte diffamatoire à son honneur et à sa réputation. »

Article 19

« 1) Chacun a le droit de se réaliser librement.

2) Chacun doit faire preuve de respect et de considération pour les droits et libertés d’autrui et respecter la loi lorsqu’il exerce ses droits et libertés et accomplit ses obligations. »

Article 45

« 1) Toute personne a le droit de diffuser librement des idées, des opinions, des convictions et des informations oralement, par écrit, par des images ou par tout autre moyen. Ce droit peut faire l’objet de restrictions prévues par la loi afin de protéger l’ordre public, la morale, ainsi que les droits et libertés, la santé, l’honneur et la réputation d’autrui. En outre, l’exercice de ce droit par les agents nationaux ou territoriaux de l’État peut faire l’objet de restrictions prévues par la loi afin de protéger les secrets d’État et les secrets industriels ainsi que les informations communiquées à titre confidentiel dont ces agents ont connaissance du fait de leurs fonctions, afin de protéger la vie privée et familiale d’autrui, ou dans l’intérêt de la justice.

2) Il ne peut y avoir de censure. »

32. L’article 138 de la loi sur les principes généraux du code civil (Tsiviilseadustiku üldosa seadus) dispose que les droits sont exercés et les obligations accomplies de bonne foi. Un droit ne peut être exercé de manière illégitime ou dans le but de causer un préjudice à autrui.

33. Le paragraphe 2 de l’article 134 de la loi sur les obligations (Võlaõigusseadus) est ainsi libellé :

« Lorsque naît l’obligation de réparer un préjudice découlant de (...) la violation d’un droit de la personnalité, notamment d’un acte de diffamation, la personne à laquelle incombe l’obligation ne verse à la personne lésée une indemnisation pour préjudice moral que si cela est justifié par la gravité de la violation, notamment si la personne lésée a subi une douleur physique ou morale. »

34. L’article 1043 de la loi sur les obligations dispose que celui (l’auteur du dommage) qui cause d’une manière illicite un dommage à autrui (la victime) est tenu de le réparer si, légalement, ce dommage découle de sa responsabilité pour faute (süü) ou de sa responsabilité simple (vastutus).

35. En vertu de l’article 1045 de la loi sur les obligations, un dommage est causé de manière illicite notamment s’il résulte de la violation d’un droit de la personnalité de la victime.

36. La loi sur les obligations prévoit encore ceci :

Article 1046 – Illicéité de l’atteinte aux droits de la personnalité

« 1) Commet un acte illicite, sauf disposition contraire de la loi, toute personne qui diffame un tiers, notamment en exprimant sur lui un jugement indu, en utilisant de manière injustifiée son nom ou son image ou en portant atteinte à son égard à l’inviolabilité de la vie privée ou d’un autre droit de la personnalité. Pour établir l’illicéité, on tient compte de la nature de l’atteinte portée, de sa raison et de son motif, et de sa gravité relativement au but poursuivi par son auteur.

2) L’atteinte à un droit de la personnalité n’est pas illicite si elle est justifiée au regard d’autres droits protégés par la loi et des droits des tiers ou de l’intérêt public. En pareil cas, on procède pour établir l’illicéité à une appréciation comparative des différents droits et intérêts protégés par la loi. »

Article 1047 – Illicéité de la propagation d’informations inexactes

« 1) Commet un acte illicite toute personne qui porte atteinte aux droits de la personnalité d’un tiers ou interfère dans ses activités économiques ou professionnelles en propageant [avaldamine] des informations inexactes, incomplètes ou trompeuses le concernant ou concernant ses activités, à moins qu’elle ne prouve que, au moment où elle a tenu les propos en question, elle ne savait pas et n’était pas censée savoir que les informations qu’elle propageait étaient inexactes ou incomplètes.

2) Est présumée commettre un acte illicite toute personne qui profère des propos qui portent atteinte à la réputation d’un tiers ou qui risquent de nuire à sa situation économique, à moins qu’elle ne prouve la véracité de ses déclarations.

3) Nonobstant les dispositions des paragraphes 1) et 2) du présent article, la conduite visée à ces paragraphes n’est pas considérée comme illicite si l’émetteur ou le destinataire des informations ou des propos a un intérêt légitime à en donner ou à en prendre connaissance, et si l’émetteur en a vérifié la véracité avec un soin qui correspond à la gravité de l’atteinte potentielle [aux droits ou intérêts du tiers].

4) En cas de propagation d’informations inexactes, la victime peut exiger que l’auteur de la propagation démente ses propos ou publie un rectificatif à ses frais, que la propagation ait été illicite ou non. »

Article 1055 – Interdiction des actes dommageables

« 1) Si une personne cause un dommage illicite de manière continue ou menace de causer un dommage illicite, la victime ou la personne menacée a le droit d’exiger la cessation de la conduite qui cause le dommage ou de la menace d’une telle conduite. En cas de préjudice corporel, d’atteinte à la santé ou d’atteinte à l’inviolabilité de la vie privée ou à d’autres droits de la personnalité, il peut être exigé notamment qu’il soit interdit à l’auteur du dommage de s’approcher de certaines personnes (ordonnance restrictive), que l’usage d’un logement ou de communications soit encadré ou que d’autres mesures semblables soient appliquées.

2) Le droit d’exiger la cessation de la conduite qui cause le dommage énoncé au paragraphe 1) du présent article ne s’applique pas si l’on peut raisonnablement considérer que cette conduite relève d’un comportement tolérable dans les relations humaines ou si elle répond à un intérêt public important. En pareils cas, la victime a le droit de demander une indemnisation pour les dommages causés de manière illicite (...) »

37. La loi sur les services de la société de l’information (Infoühiskonna teenuse seadus) prévoit ceci :

Article 8 – Responsabilité limitée en cas de simple transmission d’informations ou de simple fourniture d’accès à un réseau de communication de données public

« 1) En cas de fourniture d’un service consistant seulement à transmettre sur un réseau de communication de données public des informations fournies par le destinataire du service, ou à fournir un accès à un réseau de communication de données public, le prestataire de services n’est pas responsable des informations transmises, à condition qu’il :

1) ne soit pas à l’origine de la transmission ;

2) ne sélectionne pas le destinataire de la transmission ;

3) ne sélectionne et ne modifie pas les informations faisant l’objet de la transmission.

2) Les activités de transmission et de fourniture d’accès visées au paragraphe 1 du présent article englobent le stockage automatique, intermédiaire et transitoire des informations transmises, pour autant que ce stockage serve exclusivement à l’exécution de la transmission sur le réseau de communication et que sa durée n’excède pas le temps raisonnablement nécessaire à la transmission. »

Article 9 – Responsabilité limitée en cas de stockage temporaire d’informations dans la mémoire en cache

« 1) En cas de fourniture d’un service consistant à transmettre sur un réseau de communication de données public des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire n’est pas responsable au titre du stockage automatique, intermédiaire et temporaire de ces informations si la méthode de transmission concernée nécessite de stocker les informations dans la mémoire en cache pour des raisons techniques et que le seul but de cette procédure est de rendre plus efficace la transmission ultérieure des informations à la demande d’autres destinataires du service, à condition que :

1) le prestataire ne modifie pas l’information ;

2) le prestataire se conforme aux conditions d’accès à l’information ;

3) le prestataire se conforme aux règles concernant la mise à jour de l’information, indiquées d’une manière largement reconnue et utilisées par les entreprises ;

4) le prestataire n’entrave pas l’utilisation licite de la technologie, largement reconnue et utilisée par l’industrie, dans le but d’obtenir des données sur l’utilisation de l’information ;

5) le prestataire agisse promptement pour retirer l’information qu’il a stockée ou pour en rendre l’accès impossible dès qu’il a effectivement connaissance du fait que l’information à l’origine de la transmission a été retirée du réseau, que l’accès à cette information a été rendu impossible, ou que ce retrait a été ordonné par un tribunal, par la police ou par une autorité administrative. »

Article 10 – Responsabilité limitée en cas de fourniture d’un service de stockage de l’information

« 1) En cas de fourniture d’un service consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire n’est pas responsable des informations stockées à la demande d’un destinataire du service à condition que :

1) le prestataire n’ait pas effectivement connaissance de la teneur de l’information et, en ce qui concerne une demande en dommages et intérêts, n’ait pas connaissance de faits ou de circonstances faisant apparaître le caractère illicite de l’information ou des activités auxquelles elle correspond ;

2) le prestataire, dès le moment où il a connaissance de faits visés au point 1) du présent paragraphe, agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible.

2) Le paragraphe 1 du présent article ne s’applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l’autorité ou le contrôle du prestataire.

Article 11 – Absence d’obligation de contrôle

« 1) Les prestataires de services visés aux articles 8 à 10 de la présente loi ne sont pas tenus de contrôler les informations dont ils n’assurent que la transmission, auxquelles ils donnent simplement accès, qu’ils stockent temporairement dans la mémoire en cache ou qu’ils stockent à la demande du destinataire du service. Ils ne sont pas non plus tenus de rechercher activement des informations ou des circonstances indiquant la présence d’une activité illicite.

2) Les dispositions du paragraphe 1 du présent article ne restreignent pas le droit des agents de contrôle de demander au prestataire de services la divulgation de ces informations.

3) Les prestataires de services sont tenus d’informer promptement les autorités de contrôle compétentes des allégations selon lesquelles des destinataires de leurs services visés aux articles 8 à 10 de la présente loi exerceraient des activités ou publieraient des contenus illicites, et de communiquer aux autorités compétentes les informations permettant d’identifier les destinataires de leurs services avec lesquels ils ont conclu un accord d’hébergement. »

38. Dans un arrêt du 21 décembre 2005 (affaire no 3-2-1-95-05), la Cour suprême a jugé que, aux fins de l’article 1047 de la loi sur les obligations, on devait entendre par propagation [avaldamine] la communication d’informations à des tiers, et que, dès lors, quand un éditeur de médias [meediaväljaanne] publiait un article rapportant des informations que lui avait communiquées une tierce partie, celle-ci pouvait être qualifiée de propagatrice [avaldaja] même elle n’était pas la publicatrice de l’article [ajaleheartikli avaldaja]. La haute juridiction a confirmé cette position dans ses arrêts ultérieurs, par exemple dans un arrêt du 21 décembre 2010 (affaire no 3‑2‑1-67-10).

39. Dans plusieurs affaires internes de diffamation, les actions ont été engagées contre plusieurs parties, par exemple contre l’éditeur du journal et l’auteur de l’article (arrêt de la Cour suprême du 7 mai 1998, affaire no 3‑2‑1-61-98), contre l’éditeur du journal et la personne dont le journal rapportait les propos (arrêt de la Cour suprême du 1er décembre 1997, affaire no 3-2-1-99-97). Dans d’autres, elles étaient dirigées contre l’éditeur du journal seulement (arrêt de la Cour suprême du 30 octobre 1997, affaire no 3-2-1-123-97, et arrêt du 10 octobre 2007, affaire no 3-2-1-53-07).

III. LES NORMES INTERNATIONALES PERTINENTES

A. Conseil de l’Europe

40. Le 28 mai 2003, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté, à la 840e réunion des Délégués des Ministres, la Déclaration sur la liberté de la communication sur l’Internet. En ses parties pertinentes, cette déclaration se lit ainsi :

« Les États membres du Conseil de l’Europe,

(...)

Convaincus également qu’il est nécessaire de limiter la responsabilité des fournisseurs de services qui font office de simples transporteurs ou, de bonne foi, donnent accès aux contenus émanant de tiers ou les hébergent ;

Rappelant à ce sujet la Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique ») ;

Soulignant que la liberté de communication sur l’Internet ne devrait pas porter atteinte à la dignité humaine, aux droits de l’homme ni aux libertés fondamentales d’autrui, tout particulièrement des mineurs ;

Considérant qu’un équilibre doit être trouvé entre le respect de la volonté des usagers de l’Internet de ne pas divulguer leur identité et la nécessité pour les autorités chargées de l’application de la loi de retrouver la trace des responsables d’actes délictueux ;

(...)

Déclarent qu’ils cherchent à se conformer aux principes suivants dans le domaine de la communication sur l’Internet :

Principe 1 : Règles à l’égard des contenus sur l’Internet

Les États membres ne devraient pas soumettre les contenus diffusés sur l’Internet à des restrictions allant au-delà de celles qui s’appliquent à d’autres moyens de diffusion de contenus.

(...)

Principe 3 : Absence de contrôle préalable de l’État

Les autorités publiques ne devraient pas, au moyen de mesures générales de blocage ou de filtrage, refuser l’accès du public à l’information et autres communications sur l’Internet, sans considération de frontières. Cela n’empêche pas l’installation de filtres pour la protection des mineurs, notamment dans des endroits accessibles aux mineurs tels que les écoles ou les bibliothèques.

À condition que les garanties de l’article 10, paragraphe 2, de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales soient respectées, des mesures peuvent être prises pour supprimer un contenu Internet clairement identifiable ou, alternativement, faire en sorte de bloquer son accès si les autorités nationales compétentes ont pris une décision provisoire ou définitive sur son caractère illicite.

(...)

Principe 6 : Responsabilité limitée des fournisseurs de services pour les contenus diffusés sur l’Internet

Les États membres ne devraient pas imposer aux fournisseurs de services l’obligation générale de surveiller les contenus diffusés sur l’Internet auxquels ils donnent accès, qu’ils transmettent ou qu’ils stockent, ni celle de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites.

Les États membres devraient veiller à ce que les fournisseurs de services ne soient pas tenus responsables des contenus diffusés sur l’Internet lorsque leur fonction se limite, selon la législation nationale, à transmettre des informations ou à donner accès à l’Internet.

Si les fonctions des fournisseurs de services sont plus larges et qu’ils stockent des contenus émanant d’autres parties, les États membres peuvent les tenir pour coresponsables dans l’hypothèse où ils ne prennent pas rapidement des mesures pour supprimer ou pour bloquer l’accès aux informations ou aux services dès qu’ils ont connaissance, comme cela est défini par le droit national, de leur caractère illicite ou, en cas de plainte pour préjudice, de faits ou de circonstances révélant la nature illicite de l’activité ou de l’information.

En définissant, dans le droit national, les obligations des fournisseurs de services telles qu’énoncées au paragraphe précédent, une attention particulière doit être portée au respect de la liberté d’expression de ceux qui sont à l’origine de la mise à disposition des informations, ainsi que du droit correspondant des usagers à l’information.

Dans tous les cas, les limitations de responsabilité susmentionnées ne devraient pas affecter la possibilité d’adresser des injonctions lorsque les fournisseurs de services sont requis de mettre fin à ou d’empêcher, dans la mesure du possible, une violation de la loi.

Principe 7 : Anonymat

Afin d’assurer une protection contre les surveillances en ligne et de favoriser l’expression libre d’informations et d’idées, les États membres devraient respecter la volonté des usagers de l’Internet de ne pas révéler leur identité. Cela n’empêche pas les États membres de prendre des mesures et de coopérer pour retrouver la trace de ceux qui sont responsables d’actes délictueux, conformément à la législation nationale, à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales et aux autres traités internationaux dans le domaine de la justice et de la police. »

B. Union européenne

1. La directive 2000/31/CE

41. La directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (la directive sur le commerce électronique) prévoit ceci :

« (...) (9) Dans bien des cas, la libre circulation des services de la société de l’information peut refléter spécifiquement, dans la législation communautaire, un principe plus général, à savoir la liberté d’expression, consacrée par l’article 10, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui a été ratifiée par tous les États membres. Pour cette raison, les directives couvrant la fourniture de services de la société de l’information doivent assurer que cette activité peut être exercée librement en vertu de l’article précité, sous réserve uniquement des restrictions prévues au paragraphe 2 du même article et à l’article 46, paragraphe 1, du traité. La présente directive n’entend pas porter atteinte aux règles et principes fondamentaux nationaux en matière de liberté d’expression. (...)

(42) Les dérogations en matière de responsabilité prévues par la présente directive ne couvrent que les cas où l’activité du prestataire de services dans le cadre de la société de l’information est limitée au processus technique d’exploitation et de fourniture d’un accès à un réseau de communication sur lequel les informations fournies par des tiers sont transmises ou stockées temporairement, dans le seul but d’améliorer l’efficacité de la transmission. Cette activité revêt un caractère purement technique, automatique et passif, qui implique que le prestataire de services de la société de l’information n’a pas la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées.

(43) Un prestataire de services peut bénéficier de dérogations pour le « simple transport » et pour la forme de stockage dite « caching » lorsqu’il n’est impliqué en aucune manière dans l’information transmise. Cela suppose, entre autres, qu’il ne modifie pas l’information qu’il transmet. Cette exigence ne couvre pas les manipulations à caractère technique qui ont lieu au cours de la transmission, car ces dernières n’altèrent pas l’intégrité de l’information contenue dans la transmission.

(44) Un prestataire de services qui collabore délibérément avec l’un des destinataires de son service afin de se livrer à des activités illégales va au-delà des activités de « simple transport » ou de « caching » et, dès lors, il ne peut pas bénéficier des dérogations en matière de responsabilité prévues pour ce type d’activité.

(45) Les limitations de responsabilité des prestataires de services intermédiaires prévues dans la présente directive sont sans préjudice de la possibilité d’actions en cessation de différents types. Ces actions en cessation peuvent notamment revêtir la forme de décisions de tribunaux ou d’autorités administratives exigeant qu’il soit mis un terme à toute violation ou que l’on prévienne toute violation, y compris en retirant les informations illicites ou en rendant l’accès à ces dernières impossible.

(46) Afin de bénéficier d’une limitation de responsabilité, le prestataire d’un service de la société de l’information consistant dans le stockage d’informations doit, dès qu’il prend effectivement connaissance ou conscience du caractère illicite des activités, agir promptement pour retirer les informations concernées ou rendre l’accès à celles-ci impossible. Il y a lieu de procéder à leur retrait ou de rendre leur accès impossible dans le respect du principe de la liberté d’expression et des procédures établies à cet effet au niveau national. La présente directive n’affecte pas la possibilité qu’ont les États membres de définir des exigences spécifiques auxquelles il doit être satisfait promptement avant de retirer des informations ou d’en rendre l’accès impossible.

(47) L’interdiction pour les États membres d’imposer aux prestataires de services une obligation de surveillance ne vaut que pour les obligations à caractère général. Elle ne concerne pas les obligations de surveillance applicables à un cas spécifique et, notamment, elle ne fait pas obstacle aux décisions des autorités nationales prises conformément à la législation nationale.

(48) La présente directive n’affecte en rien la possibilité qu’ont les États membres d’exiger des prestataires de services qui stockent des informations fournies par des destinataires de leurs services qu’ils agissent avec les précautions que l’on peut raisonnablement attendre d’eux et qui sont définies dans la législation nationale, et ce afin de détecter et d’empêcher certains types d’activités illicites.

(...)

Article premier – Objectif et champ d’application

1. La présente directive a pour objectif de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur en assurant la libre circulation des services de la société de l’information entre les États membres.

(...)

Article 2 – Définitions

Aux fins de la présente directive, on entend par :

a) « services de la société de l’information » : les services au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 98/34/CE, telle que modifiée par la directive 98/48/CE ;

b) « prestataire » : toute personne physique ou morale qui fournit un service de la société de l’information ;

c) « prestataire établi » : prestataire qui exerce d’une manière effective une activité économique au moyen d’une installation stable pour une durée indéterminée. La présence et l’utilisation des moyens techniques et des technologies requis pour fournir le service ne constituent pas en tant que telles un établissement du prestataire ;

(...)

Section 4 : Responsabilité des prestataires intermédiaires

Article 12 – Simple transport (« Mere conduit »)

1. Les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d’un service de la société de l’information consistant à transmettre, sur un réseau de communication, des informations fournies par le destinataire du service ou à fournir un accès au réseau de communication, le prestataire de services ne soit pas responsable des informations transmises, à condition que le prestataire :

a) ne soit pas à l’origine de la transmission ;

b) ne sélectionne pas le destinataire de la transmission

et

c) ne sélectionne et ne modifie pas les informations faisant l’objet de la transmission.

2. Les activités de transmission et de fourniture d’accès visées au paragraphe 1 englobent le stockage automatique, intermédiaire et transitoire des informations transmises, pour autant que ce stockage serve exclusivement à l’exécution de la transmission sur le réseau de communication et que sa durée n’excède pas le temps raisonnablement nécessaire à la transmission.

3. Le présent article n’affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité administrative, conformément aux systèmes juridiques des États membres, d’exiger du prestataire qu’il mette fin à une violation ou qu’il prévienne une violation.

Article 13 – Forme de stockage dite « caching »

1. Les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d’un service de la société de l’information consistant à transmettre, sur un réseau de communication, des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire ne soit pas responsable au titre du stockage automatique, intermédiaire et temporaire de cette information fait dans le seul but de rendre plus efficace la transmission ultérieure de l’information à la demande d’autres destinataires du service, à condition que :

a) le prestataire ne modifie pas l’information ;

b) le prestataire se conforme aux conditions d’accès à l’information ;

c) le prestataire se conforme aux règles concernant la mise à jour de l’information, indiquées d’une manière largement reconnue et utilisées par les entreprises ;

d) le prestataire n’entrave pas l’utilisation licite de la technologie, largement reconnue et utilisée par l’industrie, dans le but d’obtenir des données sur l’utilisation de l’information

et

e) le prestataire agisse promptement pour retirer l’information qu’il a stockée ou pour en rendre l’accès impossible dès qu’il a effectivement connaissance du fait que l’information à l’origine de la transmission a été retirée du réseau ou du fait que l’accès à l’information a été rendu impossible, ou du fait qu’un tribunal ou une autorité administrative a ordonné de retirer l’information ou d’en rendre l’accès impossible.

2. Le présent article n’affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité administrative, conformément aux systèmes juridiques des États membres, d’exiger du prestataire qu’il mette fin à une violation ou qu’il prévienne une violation.

Article 14 – Hébergement

1. Les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d’un service de la société de l’information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire ne soit pas responsable des informations stockées à la demande d’un destinataire du service à condition que :

a) le prestataire n’ait pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites et, en ce qui concerne une demande en dommages et intérêts, n’ait pas connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente

ou

b) le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible.

2. Le paragraphe 1 ne s’applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l’autorité ou le contrôle du prestataire.

3. Le présent article n’affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité administrative, conformément aux systèmes juridiques des États membres, d’exiger du prestataire qu’il mette un terme à une violation ou qu’il prévienne une violation et n’affecte pas non plus la possibilité, pour les États membres, d’instaurer des procédures régissant le retrait de ces informations ou les actions pour en rendre l’accès impossible.

Article 15 – Absence d’obligation générale en matière de surveillance

1. Les États membres ne doivent pas imposer aux prestataires, pour la fourniture des services visée aux articles 12, 13 et 14, une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites.

2. Les États membres peuvent instaurer, pour les prestataires de services de la société de l’information, l’obligation d’informer promptement les autorités publiques compétentes d’activités illicites alléguées qu’exerceraient les destinataires de leurs services ou d’informations illicites alléguées que ces derniers fourniraient ou de communiquer aux autorités compétentes, à leur demande, les informations permettant d’identifier les destinataires de leurs services avec lesquels ils ont conclu un accord d’hébergement. »

2. La directive 98/34/CE telle que modifiée par la directive 98/48/CE

42. La directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information, telle que modifiée par la directive 98/48/CE, est ainsi libellée :

« Article premier

Au sens de la présente directive, on entend par (...)

2. « service » : tout service de la société de l’information, c’est-à-dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services.

Aux fins de la présente définition, on entend par :

— les termes « à distance » : un service fourni sans que les parties soient simultanément présentes,

— « par voie électronique » : un service envoyé à l’origine et reçu à destination au moyen d’équipements électroniques de traitement (y compris la compression numérique) et de stockage de données, et qui est entièrement transmis, acheminé et reçu par fils, par radio, par moyens optiques ou par d’autres moyens électromagnétiques,

— « à la demande individuelle d’un destinataire de services » : un service fourni par transmission de données sur demande individuelle.

Une liste indicative des services non visés par cette définition figure à l’annexe V.

La présente directive n’est pas applicable :

— aux services de radiodiffusion sonore,

— aux services de radiodiffusion télévisuelle visés à l’article 1er, point a), de la directive 89/552/CEE. »

3. La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne

43. Dans un arrêt du 23 mars 2010 (affaires jointes C‑236/08 à C‑238/08 Google France et Google, Rec. 2010 p. I-2417), la Cour de justice de l’Union européenne a dit que, pour vérifier si la responsabilité du prestataire d’un service de référencement pouvait être limitée au titre de l’article 14 de la directive 2000/31, il convenait d’examiner si le rôle exercé par ledit prestataire était neutre, en ce que son comportement était purement technique, automatique et passif, impliquant l’absence de connaissance ou de contrôle des données qu’il stockait. Elle a jugé que l’article 14 de la directive sur le commerce électronique devait être interprété en ce sens que la règle y énoncée s’applique au prestataire d’un service de référencement sur internet lorsque ce prestataire n’a pas joué un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données stockées et que, dans ce cas, le prestataire ne peut être tenu responsable pour les données qu’il a stockées à la demande d’un annonceur à moins que, ayant pris connaissance du caractère illicite de ces données ou d’activités de cet annonceur, il n’ait pas promptement retiré ou rendu inaccessibles lesdites données.

44. Dans un arrêt du 12 juillet 2011 (affaire C-324/09, L’Oréal e.a., Rec. 2011 p. I-6011), la Cour de justice a jugé que l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE devait être interprété en ce sens qu’il s’applique à l’exploitant d’une place de marché en ligne lorsque celui‑ci n’a pas joué un rôle actif qui lui permette d’avoir une connaissance ou un contrôle des données stockées, et que ledit exploitant joue un tel rôle quand il prête une assistance qui consiste notamment à optimiser la présentation des offres à la vente en cause ou à les promouvoir. Elle a précisé que, néanmoins, lorsque l’exploitant de la place de marché en ligne n’a pas joué un tel rôle actif et que sa prestation de service relève, par conséquent, du champ d’application de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31, il ne peut se prévaloir de l’exonération de responsabilité prévue à cette disposition dans une affaire susceptible de donner lieu à une condamnation au paiement de dommages et intérêts s’il a eu connaissance de faits ou de circonstances sur la base desquels un opérateur économique diligent aurait dû constater l’illicéité des offres à la vente en cause et, dans l’hypothèse d’une telle connaissance, n’a pas promptement agi conformément au paragraphe 1, sous b), dudit article 14.

45. Enfin, dans un arrêt du 24 novembre 2011 (affaire C-70/10 Scarlet Extended, Rec. 2011 p. I-11959), la Cour de justice a jugé qu’il ne pouvait être fait à un fournisseur d’accès à internet une injonction de mettre en place un système de filtrage de toutes les communications électroniques transitant par ses services, notamment par l’emploi de logiciels « peer-to-peer », qui s’applique indistinctement à l’égard de toute sa clientèle, à titre préventif, à ses frais exclusifs et sans limitation dans le temps, capable d’identifier sur le réseau de ce fournisseur la circulation de fichiers électroniques contenant une œuvre musicale, cinématographique ou audiovisuelle sur laquelle le demandeur prétend détenir des droits de propriété intellectuelle, en vue de bloquer le transfert de fichiers dont l’échange porte atteinte au droit d’auteur.

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

46. La requérante soutient que le fait de la tenir responsable des commentaires publiés par les visiteurs de son portail d’actualités sur internet emporte violation à son égard du droit à la liberté d’expression protégé par l’article 10 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

47. Le Gouvernement conteste cet argument.

A. Sur la recevabilité

48. Le Gouvernement note que la société requérante soutient n’être ni l’auteur ni la propagatrice des commentaires diffamatoires. Il estime que si la Cour partage ce point de vue, alors elle doit juger la requête incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, la liberté d’expression que celle-ci protège étant nécessairement, selon lui, celle des auteurs ou des propagateurs : dès lors, à son avis, la société requérante ne pourrait se prétendre victime d’une violation de la liberté d’expression si elle n’était ni l’auteur ni la propagatrice des commentaires, puisque ce ne serait alors pas sa propre liberté d’expression qui serait en cause, mais celle des personnes dont elle a supprimé les commentaires. Le Gouvernement considère cependant que la société requérante est bel et bien la propagatrice des commentaires diffamatoires.

49. La société requérante s’oppose à cet argument. Elle soutient que l’obligation qui lui est faite de restreindre l’exercice de la liberté d’expression de tiers en appliquant une politique de censure préventive porte aussi atteinte à sa propre liberté d’expression, celle de communiquer des informations créées et communiquées par des tiers.

50. La Cour note que lorsque la société requérante a été poursuivie pour diffamation en raison des commentaires publiés sur son portail internet, elle a été considérée comme la propagatrice de ces commentaires (ou leur publicatrice – les mots estoniens avaldama/avaldaja signifiant à la fois propager/propagateur et publier/publicateur, voir par exemple les paragraphes 36 et 38 ci-dessus), au même titre que leurs auteurs, et sa responsabilité a été engagée au motif qu’elle n’avait pas empêché la publication des commentaires illicites et ne les avait pas retirés de sa propre initiative. Les juridictions internes l’ont condamnée à indemniser le demandeur pour le préjudice moral qu’il avait subi. Les décisions de ces juridictions ont donc eu sur elle une incidence directe. La Cour considère que son grief concerne la liberté d’expression et relève de la portée de l’article 10 de la Convention. L’exception soulevée par le Gouvernement doit donc être rejetée.

51. Enfin, la Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention, et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle la déclare donc recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) La requérante

52. La société requérante soutient que les juridictions internes ont porté atteinte à sa liberté d’expression (droit de communiquer des informations). Elle se plaint d’avoir été contrainte de modifier complètement son modèle d’affaires et de devoir contrôler tous les commentaires publiés sur son portail d’actualités – qui pourraient s’élever à 10 000 par jour. Même si certaines procédures techniques et manuelles étaient déjà appliquées avant l’arrêt de la Cour suprême, celui-ci aurait eu pour effet une modification profonde de l’ampleur de cette activité et de ses implications juridiques.

53. La société requérante argue que l’ingérence portée dans l’exercice de sa liberté d’expression n’était pas « prévue par la loi ». Les dispositions du droit civil sur lesquelles s’est appuyée la Cour suprême correspondraient à l’obligation négative de ne pas publier de propos diffamatoires. La société requérante estime que le droit interne ne lui fait pas obligation de contrôler en amont tout le contenu publié par des tiers, et que l’interprétation qu’ont faite les juridictions internes de la législation en vigueur en la matière n’a pas répondu à l’exigence de prévisibilité. Elle ajoute que la responsabilité des prestataires de services du fait de la publication de contenu à la demande d’un tiers est limitée en vertu de la directive de l’Union européenne sur le commerce électronique, transposée dans l’ordre juridique estonien par la loi sur les services de la société de l’information.

54. La société requérante admet que la réputation et les droits de L. étaient en cause en l’espèce. Elle considère cependant que ce sont les auteurs des commentaires qui doivent être tenus responsables des éventuelles atteintes aux droits de L., et qu’en la tenant elle-même responsable de leurs propos, l’État ne poursuivait pas de but légitime.

55. La société requérante estime donc que la restriction imposée à sa liberté d’expression n’était pas nécessaire dans une société démocratique. Elle affirme que l’article qu’elle a publié était objectif, et que les commentaires créés et publiés par les internautes n’ont donc pas été provoqués ou déclenchés par ses propres agissements. Elle considère qu’il est suffisant que les droits de la personnalité des individus soient protégés par un système à deux niveaux prévoyant premièrement l’application par le prestataire de services du retrait sur notification et deuxièmement la possibilité d’engager une action contre les auteurs des commentaires.

56. S’appuyant sur les affaires Google France et Google et L’Oréal et autres de la Cour de justice de l’Union européenne, la société requérante soutient qu’elle n’a pas joué un « rôle actif » mais qu’elle a simplement stocké des commentaires sur son serveur, fixé les conditions de son service et été (indirectement) rémunérée pour ce service, et qu’elle a fourni des informations générales à ses utilisateurs (lecteurs, commentateurs).

57. Invoquant la Déclaration sur la liberté de la communication sur l’Internet et l’article 15 de la directive sur le commerce électronique, la société requérante argue que les hébergeurs ne sont pas tenus de faire des recherches ou des vérifications dans le contenu qu’ils hébergent. Elle estime qu’une telle obligation ferait peser sur les hébergeurs une charge démesurée et serait contraire à la liberté d’expression et d’information. Selon elle, le fait qu’elle ait agi avec diligence et mis en place différentes procédures techniques et manuelles pour réduire le nombre de commentaires illicites dans la zone de commentaires de son portail ne devrait pas impliquer qu’elle doit être tenue responsable du contenu illicite qu’y ont publié des tiers : à son avis, une telle approche consisterait à encourager les hébergeurs qui ne prennent absolument aucune mesure pour éliminer les contenus illicites et à punir les hébergeurs diligents.

58. En conclusion, la société requérante soutient qu’elle n’a joué qu’un rôle passif d’hébergement des commentaires illicites, qu’elle n’en avait pas connaissance, qu’elle ne savait pas et n’était pas censée savoir qu’ils se trouvaient sur le site avant la notification que lui a adressée L. à ce sujet, et que dès qu’elle a reçu cette notification, elle a supprimé les commentaires en question. Elle aurait donc agi conformément aux normes que doit respecter un opérateur économique diligent, et sa liberté de publier les propos de tiers dans la zone de commentaires de son portail d’actualités aurait fait l’objet d’une ingérence disproportionnée.

b) Le Gouvernement

59. Le Gouvernement affirme que Delfi demeure l’un des plus grands portails internet d’Estonie et que ses articles font l’objet de nombreux commentaires, que les internautes peuvent publier sans s’identifier. Il récuse donc l’argument de la société requérante consistant à dire qu’elle a dû changer son modèle d’affaires. Il ajoute que la société requérante a elle‑même reconnu qu’elle avait contrôlé les commentaires de sa propre initiative en quelques occasions avant même la procédure faisant l’objet de la requête examinée en l’espèce.

60. Le Gouvernement argue que l’obligation d’éviter de causer un préjudice à autrui a une base légale claire et qu’elle est confirmée par toute une jurisprudence (paragraphes 31 à 39 ci-dessus). Les éditeurs de médias seraient normalement responsables de leurs publications, et ils ne pourraient se soustraire à leur responsabilité par un avertissement de déni de responsabilité tel que celui publié par la société requérante, car en vertu de la loi sur les obligations, un accord excluant ou limitant la responsabilité pour un dommage causé de manière illicite serait nul et de non effet. En droit interne, les auteurs et les propriétaires de publications médiatiques seraient solidairement responsables.

61. Le Gouvernement soutient que puisque la publication des commentaires était sous le contrôle de la société requérante et qu’en pratique celle-ci exerçait aussi un contrôle partiel sur les commentaires, elle était tenue de protéger l’honneur des tiers, et la restriction litigieuse poursuivait donc un but légitime.

62. Il argue que la restriction était nécessaire dans une société démocratique. Les jugements de valeur grossiers, injurieux et dégradants contenus dans les commentaires en l’espèce n’auraient pas eu de base factuelle raisonnable. Il n’y aurait donc rien eu dans ces commentaires qui eût nécessité que l’administrateur du portail fasse le moindre travail de vérification de leur véracité. Ainsi, Delfi ne les ayant pas retirés de sa propre initiative alors qu’il aurait dû savoir qu’ils étaient illicites, ce serait à bon droit que les juridictions estoniennes ont jugé son inaction coupable. Le déni de responsabilité indiquant que les commentaires ne reflétaient pas l’opinion de la société requérante et que leurs auteurs en étaient seuls responsables ne dégagerait pas la société requérante de sa responsabilité.

63. Le Gouvernement estime qu’aucun motif pertinent et suffisant ne justifie que l’on fasse reposer sur les victimes potentielles l’obligation de contrôler les commentaires et de signaler à l’administrateur du portail ceux qui sont injurieux. Selon lui, un tel système n’assure pas une protection suffisante des droits des tiers, comme le prouveraient les circonstances de la présente affaire. Les contenus publiés sur internet se propageraient tellement rapidement qu’entre la publication des commentaires inappropriés et leur suppression, l’intérêt du public pour l’actualité concernée et pour les commentaires serait passé. Dans ces conditions, des mesures prises pour protéger l’honneur de la personne concernée plusieurs semaines ou même plusieurs jours après la publication du commentaire ne seraient plus suffisantes, car les commentaires injurieux ou illicites auraient à ce stade déjà atteint le public et produit leurs dommages. Une personne ordinaire ne pouvant à elle seule surveiller tout ce qui est publié sur internet, ceux qui contrôlent un portail auraient l’obligation de prendre des mesures lorsque cela serait nécessaire pour empêcher la violation des droits de la personnalité d’autrui.

64. Le Gouvernement indique par ailleurs que, même si l’Estonie a choisi d’appliquer dans les affaires de diffamation une responsabilité civile, moins restrictive que la responsabilité pénale, il est extrêmement difficile, quand bien même la juridiction civile serait en mesure de déterminer l’adresse IP de l’ordinateur et l’adresse physique où il se trouve, d’établir l’identité de la personne qui a effectivement écrit le commentaire. Ainsi, les internautes n’ayant pas besoin de s’identifier pour publier des commentaires sur Delfi, le Gouvernement estime qu’il serait trop difficile pour la personne lésée de se retourner devant les juridictions civiles contre les auteurs des commentaires, ceux-ci demeurant anonymes. De plus, il considère que ce serait porter une atteinte excessive aux libertés publiques que d’adopter des règles rendant obligatoire l’identification des internautes souhaitant publier des commentaires sur les portails internet. Il est donc plus adapté et proportionné au but poursuivi, à son avis, de faire reposer d’abord dans les procédures civiles la responsabilité (solidaire) pour diffamation sur les détenteurs de portail qui fournissent des services de contenu. Le Gouvernement souligne dans ce contexte que Delfi est une société à but lucratif qui invite les visiteurs de son portail à commenter les articles qu’il publie sans les contraindre à s’identifier. Or les revenus du portail seraient fonction des publicités qui y sont publiées, lesquelles dépendraient du nombre de commentaires. Le Gouvernement renvoie à cet égard aux conclusions des juridictions internes selon lesquelles Delfi, n’ayant pas pris les mesures qui auraient paré au risque de violation des droits d’autrui, n’a pas agi avec la diligence requise dans le commerce. Il souligne également que les juges estoniens n’ont pas dicté à a société requérante la manière dont elle devait s’acquitter de ses obligations, mais lui ont laissé le soin de trancher cette question, considérant qu’il y avait différentes manières de le faire.

65. Le Gouvernement considère que lorsqu’elle publie les commentaires relatifs aux articles de Delfi, la société requérante n’agit pas en tant que prestataire de services d’hébergement au sens de la loi sur les services de la société de l’information. Selon lui, la prestation de services d’hébergement consiste seulement à stocker des données, et dans ce cadre, l’insertion, le retrait et le contenu desdites données demeurent sous le contrôle des internautes, qui peuvent notamment les retirer ou les modifier. Or, sur le portail Delfi, les internautes perdraient le contrôle de leurs commentaires dès qu’ils les auraient soumis ; ils ne pourraient ni les modifier ni les supprimer. Delfi ne serait donc pas en ce qui concerne ces commentaires un intermédiaire technique mais un prestataire de services de contenu. Au besoin, il supprimerait ou modifierait les commentaires – il l’aurait d’ailleurs déjà fait avant l’arrêt de la Cour suprême, jouant ainsi un rôle actif de nature à lui conférer la connaissance ou le contrôle des commentaires concernant ses articles. Le fait qu’il ait pris des mesures pour réduire les commentaires injurieux, notamment au moyen d’un filtrage, démontrerait qu’il avait bel et bien conscience de sa responsabilité.

66. Le Gouvernement souligne aussi que les commentaires en question n’étaient pas dirigés contre la société anonyme concernée, mais visaient personnellement un membre de son conseil de surveillance. On ne peut donc pas, selon lui, considérer qu’ils se justifient par l’exercice du rôle de « chien de garde » de la presse : ils auraient été rédigés en des termes injurieux et dénués de toute mesure et auraient dépassé les limites généralement acceptables de l’exagération ou de la provocation. On ne pourrait donc pas dire qu’ils alimentaient un débat public raisonnable.

67. Enfin, le Gouvernement estime que la somme que la société requérante a été condamnée à verser à L. à titre d’indemnisation du dommage moral subi par celui-ci (un montant équivalant à 320 EUR) n’a pas eu d’« effet dissuasif » sur l’exercice de la liberté d’expression.

2. Thèses des tiers intervenants

68. La Fondation Helsinki pour les droits de l’homme de Varsovie a communiqué une analyse du droit polonais relatif à la responsabilité découlant de la publication de contenu sur internet. Elle note que la jurisprudence polonaise en la matière n’est pas uniforme : dans certaines affaires, des commentaires publiés par les internautes n’ont pas engagé la responsabilité du portail d’actualités ; dans d’autres, ils ont engagé celle de détenteurs de blogs ou d’administrateurs de forums. La Fondation Helsinki rappelle que le contrôle préalable est une mesure particulièrement restrictive. Elle mentionne par ailleurs différents problèmes liés à la procédure de retrait sur notification, qui devrait selon elle être plus précisément encadrée.

3. Appréciation de la Cour

a) Sur l’existence d’une ingérence

69. La Cour note que les thèses des parties divergent en ce qui concerne le rôle joué par la société requérante en l’espèce. Le Gouvernement est d’avis qu’elle doit être considérée comme la publicatrice des commentaires diffamatoires, tandis qu’elle-même considère qu’il s’agit de commentaires publiés par des tiers et qu’il y a eu atteinte à sa propre liberté de communiquer des informations (paragraphes 48 et 49 ci-dessus). Indépendamment du rôle exact à lui attribuer à cet égard, il n’est pas contesté, en substance, que les décisions rendues par les juridictions internes en l’espèce ont constitué une ingérence dans l’exercice qu’elle souhaitait faire de la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention ; et la Cour ne voit pas de raison de conclure autrement (voir aussi le paragraphe 50 ci‑dessus).

70. Toute ingérence dans le droit à la liberté d’expression doit être « prévue par la loi », poursuivre un ou plusieurs buts légitimes au sens du paragraphe 2 de l’article 10, et être « nécessaire dans une société démocratique ».

b) Sur la base légale de l’ingérence

71. La Cour rappelle que l’on ne peut considérer comme une « loi » au sens de l’article 10 § 2 qu’une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite ; en s’entourant au besoin de conseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé. Elles n’ont pas besoin d’être prévisibles avec une certitude absolue. La certitude, bien que souhaitable, s’accompagne parfois d’une rigidité excessive ; or le droit doit pouvoir s’adapter aux changements de situation. Aussi beaucoup de lois se servent-elles, par la force des choses, de formules plus ou moins vagues dont l’interprétation et l’application dépendent de la pratique (voir, par exemple, Lindon, Otchakovsky-Laurens et July c. France [GC], nos 21279/02 et 36448/02, § 41, CEDH 2007‑IV)

72. La Cour rappelle également que la portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires. La prévisibilité de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé. Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier ; aussi peut-on attendre d’eux qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte (Lindon, Otchakovsky-Laurens et July c. France, précité, avec les références à Cantoni c. France, 15 novembre 1996, § 35, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, et Chauvy et autres c. France, no 64915/01, §§ 43-45, CEDH 2004‑VI).

73. La Cour note qu’en l’espèce, les parties ne s’entendent pas sur le point de savoir si l’ingérence faite dans l’exercice par la société requérante de sa liberté d’expression était « prévue par la loi ». La société requérante soutient que le droit interne ne prévoyait pas d’obligation positive d’exercer un contrôle en amont sur les commentaires laissés par les internautes et que sa responsabilité était limitée en vertu de la directive de l’Union européenne sur le commerce électronique. Le Gouvernement renvoie aux dispositions pertinentes du droit civil et à la jurisprudence nationale, en vertu desquelles les éditeurs de médias sont solidairement responsables avec les auteurs de leurs publications.

74. En ce qui concerne l’argument de la société requérante consistant à dire que sa responsabilité était limitée en vertu de la directive de l’Union européenne sur le commerce électronique et de la loi sur les services de la société de l’information, la Cour note que les juridictions internes ont conclu que ses activités ne relevaient pas de la portée de ces textes. À cet égard, elle rappelle qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne. Le rôle de la Cour se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation (voir, notamment, Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne, 28 octobre 1998, § 43, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VIII).

75. La Cour note également qu’en vertu des dispositions pertinentes de la Constitution, de la loi sur les principes généraux du code civil et de la loi sur les obligations (paragraphes 31 à 36 ci-dessus) telles qu’interprétées et appliquées par les juridictions internes, la société requérante était présumée responsable de la publication des commentaires diffamatoires. Même si ces dispositions sont assez générales et peu détaillées par rapport, par exemple, à celles de la loi sur les services de la société de l’information (paragraphe 37 ci-dessus), la Cour estime établi que, combinées à la jurisprudence pertinente, elles prévoyaient clairement que les éditeurs de médias sont responsables des commentaires diffamatoires faits dans leurs publications. Le fait qu’en l’espèce la publication d’articles et de commentaires sur un portail internet ait aussi été jugée constitutive d’une activité journalistique et que l’administrateur du portail, qui l’exploitait à titre professionnel, ait été considéré comme un éditeur peut, de l’avis de la Cour, être considéré comme l’application de la législation existante en matière de responsabilité délictuelle à un domaine nouveau, celui des nouvelles technologies (comparer, par exemple, Bernh Larsen Holding AS et autres c. Norvège, no 24117/08, § 126, 14 mars 2013, où la Cour a estimé qu’il n’y avait pas de raison de remettre en question l’interprétation faite par la juridiction interne, en vertu de laquelle des dispositions conçues à l’origine pour les versions papier de documents devaient aussi s’appliquer aux documents en version électronique). Dans ces conditions, on ne peut pas dire que les dispositions en question du droit civil ne constituaient pas une base légale suffisamment claire pour engager la responsabilité de la société requérante, ni que la précision progressive des règles de droit était juridiquement exclue (comparer, mutatis mutandis, Radio France et autres c. France, no 53984/00, §§ 20 et 30, CEDH 2004‑II). En effet, des dispositions légales générales peuvent parfois permettre une meilleure adaptation à des circonstances en évolution que des tentatives de rédaction de règles détaillées (voir, à titre de comparaison, Times Newspapers Ltd c. Royaume-Uni (nos 1 et 2), nos 3002/03 et 23676/03, §§ 20, 21 et 38, CEDH 2009, où la « règle relative à la publication sur internet » reposait sur une règle qui datait de l’année 1849, et Comité de rédaction de Pravoye Delo et Shtekel c. Ukraine, no 33014/05, §§ 60-68, CEDH 2011 (extraits), où l’absence de référence aux publications sur internet dans une loi sur les médias par ailleurs très détaillée soulevait la question de la base légale de l’ingérence au regard de l’article 10 de la Convention).

76. La Cour conclut donc que, en tant qu’éditeur professionnel, la société requérante devait au moins avoir connaissance de la législation et de la jurisprudence, et qu’elle aurait pu aussi solliciter un avis juridique. Elle observe dans ce contexte que le portail d’actualités Delfi est l’un des plus grands d’Estonie, et que sa notoriété est en partie due aux commentaires publiés dans la zone du site réservée à cet effet. Elle considère en conséquence que la société requérante était en situation d’apprécier les risques relatifs à ses activités et qu’elle aurait dû être à même de prévoir, à un degré raisonnable, les conséquences que celles-ci pouvaient avoir. L’ingérence litigieuse était donc « prévue par la loi » au sens du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention.

c) Sur l’existence d’un but légitime

77. La Cour juge que la restriction apportée à la liberté d’expression de la société requérante poursuivait le but légitime consistant à protéger la réputation et les droits d’autrui. Elle a noté l’argument de la société requérante relatif à la responsabilité des auteurs des commentaires. Toutefois, elle estime que le fait que les auteurs soient aussi responsables en principe ne supprime pas le but légitime de la mesure consistant à tenir la société requérante responsable de toute atteinte à la réputation ou aux droits d’autrui. Trancher la question de savoir si, en l’espèce, le fait que la société requérante ait été jugée responsable de commentaires écrits par des tiers a constitué une restriction excessive de ses droits au regard de l’article 10 revient à vérifier le caractère « nécessaire dans une société démocratique » de cette restriction.

d) Sur la nécessité dans une société démocratique

i) Principes généraux

78. Les principes fondamentaux en ce qui concerne le caractère « nécessaire dans une société démocratique » d’une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression sont bien établis dans la jurisprudence de la Cour et se résument comme suit (voir, parmi d’autres arrêts, Hertel c. Suisse, 25 août 1998, § 46, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VI, Steel et Morris c. Royaume-Uni, no 68416/01, § 87, CEDH 2005‑II, Mouvement raëlien suisse c. Suisse [GC], no 16354/06, § 48, CEDH 2012 (extraits), et Animal Defenders International c. Royaume-Uni [GC], no 48876/08, § 100, 22 avril 2013) :

« i. La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10, elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique ». Telle que la consacre l’article 10, elle est assortie d’exceptions qui appellent toutefois une interprétation étroite, et le besoin de la restreindre doit se trouver établi de manière convaincante.

ii. L’adjectif « nécessaire », au sens de l’article 10 § 2, implique un « besoin social impérieux ». Les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence d’un tel besoin, mais elle se double d’un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, même quand elles émanent d’une juridiction indépendante. La Cour a donc compétence pour statuer en dernier lieu sur le point de savoir si une « restriction » se concilie avec la liberté d’expression que protège l’article 10.

iii. La Cour n’a point pour tâche, lorsqu’elle exerce son contrôle, de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais de vérifier sous l’angle de l’article 10 les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Il ne s’ensuit pas qu’elle doive se borner à rechercher si l’État défendeur a usé de ce pouvoir de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable : il lui faut considérer l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire pour déterminer si elle était « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants » (...) Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés à l’article 10 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents (...) »

79. La Cour rappelle également que la presse joue un rôle éminent dans une société démocratique : si elle ne doit pas franchir certaines limites, tenant notamment à la protection de la réputation et aux droits d’autrui ainsi qu’à la nécessité d’empêcher la divulgation d’informations confidentielles, il lui incombe néanmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d’intérêt général (Jersild c. Danemark, 23 septembre 1994, § 31, Série A no 298 ; De Haes et Gijsels c. Belgique, 24 février 1997, § 37, Recueil des arrêts et décisions 1997‑I ; Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/93, § 58, CEDH 1999‑III). Par ailleurs, la Cour est consciente de ce que la liberté journalistique comprend aussi le recours possible à une certaine dose d’exagération, voire même de provocation (Prager et Oberschlick c. Autriche, 26 avril 1995, § 38, Série A no 313, et Bladet Tromsø et Stensaas, précité, § 59) ; et les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard du gouvernement ou d’une personnalité politique que d’un simple particulier (voir, par exemple, Castells c. Espagne, 23 avril 1992, § 46, Série A no 236, Incal c. Turquie, 9 juin 1998, § 54, Recueil des arrêts et décisions 1998‑IV, et Tammer c. Estonie, no 41205/98, § 62, CEDH 2001‑I).

80. La Cour rappelle aussi que le droit à la protection de la réputation est un droit qui relève, en tant qu’élément de la vie privée, de l’article 8 de la Convention (Chauvy et autres, précité, § 70 ; Pfeifer c. Autriche, no 12556/03, § 35, 15 novembre 2007 ; Polanco Torres et Movilla Polanco c. Espagne, no 34147/06, § 40, 21 septembre 2010). Cependant, pour que l’article 8 trouve à s’appliquer, l’atteinte à la réputation doit franchir un certain seuil de gravité et être portée de manière à nuire à la jouissance personnelle du droit au respect de la vie privée (A. c. Norvège, no 28070/06, § 64, 9 avril 2009, et Axel Springer AG c. Allemagne [GC], no 39954/08, § 83, 7 février 2012).

81. Lorsqu’elle examine la nécessité dans une société démocratique d’une restriction apportée à la liberté d’expression en vue de la « protection de la réputation ou des droits d’autrui », la Cour peut être amenée à vérifier si les autorités nationales ont ménagé un juste équilibre dans la protection de deux valeurs garanties par la Convention et qui peuvent apparaître en conflit dans certaines affaires, à savoir, d’une part, la liberté d’expression telle que protégée par l’article 10 et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée tel que garanti par les dispositions de l’article 8 (Hachette Filipacchi Associés c. France, no 71111/01, § 43, 14 juin 2007 ; MGN Limited c. Royaume-Uni, no 39401/04, § 142, 18 janvier 2011 ; Axel Springer AG, précité, § 84).

82. Dans des affaires comme celle examinée en espèce, la Cour considère que, les droits garantis respectivement par l’article 8 et par l’article 10 méritant a priori un égal respect, l’issue de la requête ne saurait en principe varier selon qu’elle a été portée devant elle, sous l’angle de l’article 10 de la Convention, par l’éditeur qui a publié l’article litigieux, ou, sous l’angle de l’article 8 de la Convention, par la personne faisant l’objet de cet article. Dès lors, la marge d’appréciation devrait en principe être la même dans les deux cas (Axel Springer AG, précité, § 87, et Von Hannover c. Allemagne (no 2) [GC], nos 40660/08 et 60641/08, § 106, CEDH 2012, avec les références aux affaires Hachette Filipacchi Associés (Ici Paris), précitée, § 41, Timciuc c. Roumanie (déc.), no 28999/03, § 144, 12 octobre 2010, et Mosley c. Royaume-Uni, no 48009/08, § 111, 10 mai 2011).

83. Selon la jurisprudence de la Cour, les critères pertinents aux fins de la mise en balance du droit à la liberté d’expression et du droit au respect de la vie privée sont les suivants : la contribution à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée et l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne, le mode d’obtention des informations et leur véracité, le contenu, la forme et les répercussions de la publication, et la gravité de la sanction imposée (Axel Springer AG, précité, §§ 89-95, et Von Hannover (no 2), précité, §§ 108‑113).

ii) Application de ces principes en l’espèce

84. En l’espèce, la Cour note d’emblée qu’il n’est pas contesté que les commentaires laissés par les lecteurs en réaction à l’article publié sur le portail d’actualités sur internet Delfi étaient de nature diffamatoire. La société requérante les a d’ailleurs promptement retirés sur notification de la partie lésée, et elle les a qualifiés devant la Cour d’abusifs et d’illicites. Les thèses des parties divergent en revanche quant au point de savoir si le fait d’avoir jugé la société requérante civilement responsable de ces commentaires diffamatoires est constitutif d’une ingérence disproportionnée dans l’exercice par l’intéressée de sa liberté d’expression. En d’autres termes, la question qui se pose est celle de la conformité aux garanties énoncées à l’article 10 de la Convention de l’obligation pour la société requérante, telle qu’établie par les autorités judiciaires internes, de faire en sorte que les commentaires publiés sur son portail internet ne portent pas atteinte aux droits de la personnalité de tiers.

85. Pour répondre à cette question, la Cour analysera tour à tour plusieurs facteurs, qu’elle estime importants dans les circonstances de la présente affaire. Elle examinera premièrement le contexte des commentaires, deuxièmement les mesures appliquées par la société requérante pour empêcher la publication de commentaires diffamatoires ou retirer ceux déjà publiés, troisièmement la responsabilité des auteurs des commentaires en tant qu’alternative à celle de la société requérante, et quatrièmement les conséquences de la procédure interne pour la société requérante.

86. La Cour note que l’article publié sur le portail d’actualités Delfi traitait d’un sujet présentant un certain degré d’intérêt public. Il concernait la modification apportée par une compagnie de navigation aux voies maritimes empruntées par ses ferrys et le fait que ce changement d’itinéraire brisait la glace qui se formait en des lieux qu’il était envisagé d’utiliser comme routes de glace, de sorte que l’ouverture de ces routes – qui constituaient un moyen meilleur marché et plus rapide de relier les îles que d’emprunter les ferries de la compagnie – était repoussée de plusieurs semaines. L’article en lui-même était objectif, ses auteurs avaient laissé à un dirigeant de la compagnie de navigation la possibilité de s’expliquer, et il ne comportait pas de termes injurieux. Il n’a d’ailleurs pas été allégué au cours de la procédure interne qu’il fût diffamatoire. Cependant, il relatait des agissements de la compagnie de navigation qui nuisaient à un nombre important de personnes. La Cour considère donc qu’en le publiant, la société requérante aurait pu réaliser qu’il risquait de susciter des réactions négatives contre la compagnie de navigation et ses dirigeants et que, compte tenu de la réputation générale des commentaires laissés sur le portail Delfi, il y avait un risque supérieur à la moyenne que les commentaires négatifs dépassent les limites de la critique acceptable et atteignent le niveau de l’injure gratuite ou du discours de haine. Il apparaît aussi que le nombre de commentaires laissés pour l’article en question était plus élevé que pour les autres articles et indiquait donc que la question intéressait vivement les lecteurs et les auteurs de commentaires. En conséquence, la Cour conclut que, dans les circonstances de la présente espèce, la société requérante aurait dû exercer une certaine prudence afin d’éviter d’être tenue responsable d’une éventuelle atteinte à la réputation d’autrui.

87. En ce qui concerne les mesures appliquées par la société requérante, la Cour note que, outre l’avertissement de déni de responsabilité indiquant que c’étaient les auteurs des commentaires – et non elle – qui devraient répondre de ce qu’ils écrivaient, et qu’il était interdit de laisser des commentaires contraires aux bonnes pratiques ou contenant des menaces, des injures, des obscénités ou des grossièretés, la société avait mis en place deux mécanismes généraux. Elle utilisait premièrement un système automatique de suppression des commentaires repérés à partir de la racine de certains mots grossiers, et deuxièmement un système de retrait sur notification en vertu duquel chaque internaute pouvait porter n’importe quel commentaire déplacé à l’attention des administrateurs du portail en le signalant par un simple clic sur un bouton prévu à cet effet. De plus, en certaines occasions, les administrateurs du portail ont de leur propre initiative retiré des commentaires inappropriés. De l’avis de la Cour, on ne peut donc pas dire que la société requérante ait totalement négligé son obligation d’éviter de nuire à la réputation des tiers. Néanmoins, il semblerait que le filtre automatique qu’elle utilisait pour repérer les mots grossiers à partir de leurs racines ait été relativement facile à contourner. Même s’il a pu empêcher l’utilisation de certaines injures ou menaces, il en a laissé passer plusieurs. Ainsi, bien qu’il n’y ait pas de raison de douter de son utilité, la Cour considère qu’il ne suffisait pas, à lui seul, à empêcher qu’il ne soit porté préjudice à des tiers.

88. La Cour doit ensuite examiner le système de retrait sur notification utilisé par la société requérante. La question de savoir si celle-ci a satisfait à son devoir de diligence en appliquant ce système est en effet l’un des principaux points de désaccord entre les parties en l’espèce. La Cour note d’abord que la solution technique mise en place sur le portail Delfi aux fins du retrait sur notification était facile d’accès et d’utilisation pour les internautes : il suffisait de cliquer sur un bouton prévu à cet effet. Il n’était pas nécessaire de dire pourquoi un commentaire était jugé déplacé ni d’envoyer la demande par lettre à la société requérante. Même si en l’espèce l’individu visé par les commentaires diffamatoires n’a pas utilisé la fonctionnalité technique de notification aux fins de retrait proposée par la société requérante sur son site web, mais a préféré formuler sa demande par écrit et l’envoyer par courrier, c’était là son propre choix, et en toute hypothèse il n’est pas contesté que la société requérante a retiré les commentaires diffamatoires dès réception de la notification. Toutefois, entre-temps, les commentaires étaient restés accessibles au public pendant six semaines.

89. La Cour note ensuite que de l’avis de l’individu visé par les commentaires diffamatoires, avis partagé par les juridictions internes, le système de filtrage automatique en amont et de retrait sur notification a posteriori appliqué par la société requérante ne permettait pas une protection suffisante des droits des tiers. Dans leur raisonnement, les juridictions internes ont attaché de l’importance au fait que la publication des articles et des commentaires laissés par les internautes sur ces articles faisait partie de l’activité professionnelle de la société requérante. Elles ont relevé que celle-ci avait intérêt à ce que ses articles attirent un maximum de lecteurs et de commentaires, ses revenus publicitaires en dépendant. La Cour juge cet élément pertinent aux fins de l’appréciation de la proportionnalité de la restriction apportée à la liberté d’expression de la société requérante. Elle observe également que lorsque des commentaires diffamatoires sont publiés sur un grand portail d’actualités sur internet, comme cela s’est produit en l’espèce, ils sont lus par un grand nombre de personnes. Or c’était la société requérante – et non les personnes dont la réputation pouvait être en jeu – qui était en mesure d’avoir connaissance des articles qui allaient être publiés, de prédire la nature des commentaires qu’ils étaient susceptibles de recueillir et, surtout, de prendre des mesures d’ordre technique ou manuel pour empêcher la publication de propos diffamatoires. De fait, les auteurs des commentaires ne pouvaient ni modifier ni supprimer leur texte une fois qu’il était publié sur le portail – seul Delfi était techniquement en mesure de le faire. La Cour considère donc que la société requérante exerçait un degré de contrôle important sur les commentaires publiés sur son portail, même si elle n’a pas fait usage autant qu’elle l’aurait pu de toute l’ampleur du contrôle dont elle disposait.

90. La Cour tient compte aussi du fait que les juridictions internes n’ont pas dicté à la société requérante la manière dont elle devrait faire sorte de protéger les droits des tiers, mais lui ont laissé le choix de la façon de procéder. Ainsi, il ne lui a pas été imposé de mesures telles que l’inscription préalable obligatoire des internautes souhaitant laisser un commentaire ou le contrôle des commentaires soit avant leur publication soit juste après, pour ne citer que quelques exemples. La Cour considère que la marge de manœuvre ainsi laissée à la société requérante est un facteur important d’atténuation de la portée de l’ingérence faite dans l’exercice par celle-ci de sa liberté d’expression.

91. La Cour a pris note de l’argument de la société requérante consistant à dire que la personne visée aurait pu se retourner contre les auteurs des commentaires. Elle attache plus de poids, cependant, à la réponse faite à cet égard par le Gouvernement, qui a souligné qu’il aurait été très difficile pour un individu d’établir l’identité des auteurs des commentaires afin d’engager une action civile à leur encontre. De fait, d’un point de vue purement technique, il apparaîtrait disproportionné de faire reposer la responsabilité de l’identification des auteurs de commentaires diffamatoires sur la personne lésée dans un cas tel que celui-ci. Compte tenu de ce que les obligations positives incombant à l’État en vertu de l’article 8 peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux (Von Hannover (no 2), précité, § 98, avec d’autres références), la Cour n’est pas convaincue qu’un système ne permettant à la partie lésée de se retourner que contre les auteurs des commentaires diffamatoires – comme la société requérante semble le suggérer – aurait, en l’espèce, garanti une protection effective du droit au respect de la vie privée. C’est la société requérante qui a choisi de permettre aux internautes de laisser des commentaires sans s’inscrire au préalable : dès lors, il faut considérer qu’elle a accepté d’assumer une certaine responsabilité pour ces commentaires.

92. La Cour est consciente de l’importance du souhait des internautes de ne pas divulguer leur identité lorsqu’ils exercent leur liberté d’expression. Cependant, la généralisation de l’accès à internet et la possibilité – qui est à certains égards un risque – que les contenus qui y sont publiés continuent indéfiniment de circuler dans la sphère publique commande d’exercer une certaine prudence. La facilité qu’il y a à rendre public un contenu sur internet et la quantité importante de données qui s’y trouvent font qu’il est difficile de détecter les propos diffamatoires et de les supprimer. Cela vaut non seulement pour un exploitant de portail d’actualités sur internet, comme en l’espèce, mais aussi, à plus forte raison, pour les victimes potentielles, pour lesquelles cela représente une tâche plus lourde encore, car elles sont moins susceptibles de détenir les ressources nécessaires pour surveiller continuellement les données publiées sur internet. La Cour considère que ce dernier élément est un facteur important à prendre en compte dans la mise en balance des droits et intérêts en jeu. Elle rappelle également que, dans l’arrêt Krone Verlag (no 4), elle a jugé que, dans les affaires de diffamation dans les médias, la situation financière de l’entreprise de médias étant généralement meilleure que celle de l’auteur des propos diffamatoires, le transfert sur l’entreprise de médias du risque de versement d’une réparation ne constituait pas une ingérence disproportionnée dans l’exercice par celle‑ci de sa liberté d’expression (Krone Verlag GmbH & Co. KG c. Autriche (no 4), no 72331/01, § 32, 9 novembre 2006).

93. Enfin, la Cour note que la somme que la société requérante a été condamnée à verser pour dommage moral à la partie lésée équivaut à 320 EUR. Elle estime que, compte tenu notamment du fait que la société requérante exploitait à titre professionnel l’un des plus grands portails d’actualités sur internet d’Estonie, il est absolument impossible de considérer que cette somme est disproportionnée par rapport à l’atteinte aux droits de la personnalité établie par les juridictions internes.

94. Sur la base de ces éléments, et en particulier de la nature injurieuse et menaçante des commentaires en cause, du fait qu’ils ont été laissés en réaction à un article publié par la société requérante sur un portail d’actualités qu’elle exploite à titre professionnel dans le cadre d’une activité commerciale, de l’insuffisance des mesures qu’elle a prises pour éviter qu’il ne soit porté préjudice à la réputation de tiers et pour assurer une possibilité réaliste de tenir les auteurs des commentaires responsables de leurs propos, et du caractère modéré de la sanction qui lui a été imposée, la Cour considère qu’en l’espèce, l’ingérence que les juridictions internes ont portée dans l’exercice par la société requérante de son droit à la liberté d’expression en concluant que sa responsabilité était engagée par les commentaires diffamatoires qu’avaient laissés les lecteurs sur son portail d’actualités sur internet était justifiée et proportionnée.

Il s’ensuit qu’il y n’a pas eu violation de l’article 10 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 10 octobre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

André WampachIsabelle Berro-Lefèvre
Greffier adjointPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-145103
Date de la décision : 10/10/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Exceptions préliminaires rejetées (Article 35-3 - Ratione materiae);Non-violation de l'article 10 - Liberté d'expression-{Générale} (Article 10-1 - Liberté d'expression)

Parties
Demandeurs : DELFI AS
Défendeurs : ESTONIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : OTSMANN V.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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