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01/08/2013 | CEDH | N°001-122973

CEDH | CEDH, AFFAIRE HORSHILL c. GRÈCE, 2013, 001-122973


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE HORSHILL c. GRÈCE

(Requête no 70427/11)

ARRÊT

STRASBOURG

1er août 2013

DÉFINITIF

01/11/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Horshill c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Ju

lia Laffranque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE HORSHILL c. GRÈCE

(Requête no 70427/11)

ARRÊT

STRASBOURG

1er août 2013

DÉFINITIF

01/11/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Horshill c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 juillet 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 70427/11) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant soudanais, M. Ismail Alfateh Horshill (« le requérant »), a saisi la Cour le 13 novembre 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Mes V. Papadopoulos et S. Rizakis, avocats à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par le délégué de son agent, M. V. Kyriazopoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l’Etat.

3. Le requérant allègue en particulier des violations des articles 3 et 5 § 1 de la Convention.

4. Le 14 juin 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1984 et réside à Athènes.

A. L’arrestation et la détention du requérant

6. Le requérant entra clandestinement en Grèce en 2010. Il avait fui le Soudan où il avait été arrêté à trois reprises et soumis à des tortures dont atteste un rapport de l’organisation non gouvernementale grecque « Metadrassi », établi selon les exigences du Protocole d’Istanbul (manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, édité par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme en 2001). Le rapport (établi par un médecin, un psychiatre, un avocat et une assistante sociale) indiquait que le requérant avait été actif dans un mouvement étudiant contre le régime. Arrêté et torturé à trois reprises, il avait réussi à quitter le Soudan, via la Syrie et la Turquie. Il relevait que le requérant présentait des séquelles physiques et psychiatriques qui ne pouvaient avoir une autre origine que les tortures auxquelles il avait été soumis.

7. En mars 2011, alors qu’il se trouvait dans la ville d’Igoumenitsa, le requérant entra en contact avec l’organisation non gouvernementale « Aitima », qui à l’époque était chargée de mettre en œuvre un programme d’assistance juridique pour réfugiés, dans le cadre d’une action menée par le Fonds européen pour les réfugiés. Le but du programme consistait à informer les réfugiés de leurs droits et à les aider à les exercer.

8. L’avocate de l’organisation « Aitima » informa le requérant qu’elle déposerait une demande d’asile pour le compte de celui-ci le 29 avril 2011. Elle l’avertit cependant en même temps que les autorités de police avaient déclaré qu’elles mettraient en détention tout demandeur d’asile dépourvu de documents de voyage.

9. Le 29 avril 2011, le requérant se présenta spontanément au commissariat de police pour étrangers d’Igoumenitsa accompagné de l’avocate de l’organisation. Les policiers l’avertirent que s’il déposait une demande d’asile, il serait détenu. Comme le requérant le fit tout de même, il fut arrêté et mis en détention, en vertu d’une décision du directeur de la police de Thesprotia, d’abord au commissariat de Paramythia jusqu’au 5 mai 2011, puis au commissariat de Filiates jusqu’au 13 mai 2011.

10. La décision du 29 avril 2011, fondée sur l’article 13 du décret no 114/2010, ordonnait la détention du requérant pour une période de soixante jours qui correspondait au délai prévu pour l’examen de la demande d’asile qu’il avait déposée. Elle relevait que le requérant ne portait pas avec lui de documents de voyage ou les avait détruits et qu’il était nécessaire de vérifier son identité, les circonstances de son entrée dans le pays et les données réelles concernant sa provenance, et qu’il en allait notamment ainsi dans le cas d’une arrivée massive d’étrangers clandestins. Elle indiquait aussi que si le requérant était mis en liberté sa recherche par les autorités serait particulièrement difficile compte tenu du fait qu’il n’avait pas de relations sociales stables.

11. Le 2 mai 2011, le requérant introduisit un recours devant le directeur général de la police de l’Epire. Il soutenait que l’article 13 du décret no 114/2010, qui autorisait la détention des demandeurs d’asile, s’appliquait seulement aux étrangers qui étaient déjà en détention en vue de leur expulsion et non aux étrangers qui venaient de leur propre initiative déposer une demande d’asile et que le délai de soixante jours de détention nécessaire pour l’examen de cette demande était excessif. Il faisait aussi valoir que la détention n’était pas motivée de manière individualisée mais était fondée sur une décision générale de retenir tous les demandeurs d’asile dépourvus de documents officiels. Il alléguait que les conditions pour être détenu n’étaient pas remplies, car il s’était présenté avec un avocat dans le cadre d’un programme d’aide aux réfugiés. Il alléguait aussi qu’il n’avait pas été informé de ses droits et des motifs de sa détention.

12. Le requérant se plaignait, en outre, que ses conditions de détention dans le commissariat de Paramythia étaient contraires à l’article 3 de la Convention. Il précisait que les cellules étaient dépourvues de lumière naturelle, que chaque cellule accueillait trois détenus dans un espace de 6 m², qu’il n’y avait que deux matelas, sales, et que les odeurs des toilettes étaient nauséabondes. Il affirmait aussi que les détenus ne pouvaient pas se laver et qu’il n’y avait aucune possibilité de promenade et de divertissement.

13. Le 6 mai 2011, le directeur général de la police de l’Epire rejeta le recours. Il releva qu’en étant dépourvu de documents officiels, le requérant avait pris le risque de se faire arrêter. Il souligna que la gestion des flux migratoires et le contrôle des étrangers entrant, sortant ou séjournant sur le territoire, constituaient des questions de grande importance pour la sécurité publique. Il ajouta notamment que la présence et le séjour du requérant sur le territoire était dangereux pour l’ordre et la sécurité, ce qui pouvait nourrir un sentiment d’insécurité dans la population.

14. Quant à l’allégation de violation de l’article 3 de la Convention, le directeur de la police conclut que le requérant n’établissait pas clairement quelles étaient les conditions de sa détention et releva que le besoin d’amélioration et de modernisation du système pénitentiaire, aussi impérieux qu’il pouvait être, ne constituait pas un motif pour ne pas appliquer les dispositions existantes en matière de détention des demandeurs d’asile.

15. Le 2 mai 2011, se fondant sur les articles 13 du décret no 114/2010 et 76 de la loi no 3386/2005, le requérant formula également devant le président du tribunal administratif de Corfou des objections contre la décision de mise en détention du 29 avril 2011. Il invoquait les mêmes arguments que ceux de son recours devant le directeur général de la police de l’Epire. Plus particulièrement, il soutenait que cette décision n’était pas légale, ni suffisamment motivée, car elle ne procédait pas à une appréciation individualisée de son cas, mais se référait à la possibilité de détenir tout demandeur d’asile en cas d’arrivée massive d’étrangers clandestins.

16. Le 3 mai 2011, le président du tribunal administratif rejeta les objections (décision 7/2011). Il affirma que la détention des demandeurs d’asile ne disposant pas ou ayant détruit leurs documents de voyage servait un but d’intérêt public consubstantiel au droit souverain de l’Etat, dans le cadre de sa politique relative à l’immigration, de contrôler l’entrée, l’installation, le travail et le séjour des étrangers. Il releva que le requérant n’avait pas de résidence et aucun lien dans le pays, que sa localisation aurait été particulièrement difficile, que sa prise en charge par un avocat n’avait pas de caractère stable et que les conditions de détention ne constituaient pas un motif pour ne pas appliquer la décision de rétention. Quant à l’information fournie au requérant au sujet de ses droits, il la jugea suffisante.

17. Le président du tribunal administratif considéra que la décision du 29 avril 2011 était suffisamment motivée, car elle indiquait tous les faits et les dispositions sur lesquels elle s’était fondée, de sorte qu’elle ne créait pas de doutes quant à la justesse de la détention. Le constat des autorités de police relatif à l’entrée massive d’étrangers sur le territoire était corroboré par le fait que le requérant avait déclaré comme lieu de résidence le camp érigé en face du port d’Igoumenitsa. Enfin, la décision justifiait l’impossibilité d’appliquer dans le cas du requérant des mesures autres que la détention, faute pour lui d’avoir une résidence et des moyens de subsistance stables en Grèce.

18. Quant aux griefs relatifs à la violation de l’article 3 de la Convention, le président du tribunal administratif considéra que les éléments invoqués par le requérant ne suffisaient pas pour établir quelles étaient les conditions de détention au commissariat de Paramythia et que le besoin d’améliorer et de moderniser le système pénitentiaire, aussi impérieux qu’il pouvait être, ne pouvait pas constituer un prétexte pour ne pas appliquer les dispositions en vigueur aux demandeurs d’asile.

19. Le 12 mai 2011, le requérant demanda la levée de la décision 7/2011. Il se prévalait d’éléments nouveaux qui justifiaient selon lui cette levée, en particulier le fait que l’organisation non gouvernementale « Médecins du Monde » lui offrait une place dans son centre à Athènes et l’assurance donnée par le commissariat des étrangers d’Igoumenitsa que l’entretien prévu à la suite de la demande d’asile aurait lieu le 30 mai 2011. Il se plaignait de ses conditions de détention dans le commissariat de Filiates en invoquant la violation de l’article 3 de la Convention : il alléguait en particulier que les cellules étaient surpeuplées et qu’il n’y avait aucune possibilité de promenade et d’exercice physique.

20. Par une décision 9/2011 du 13 mai 2011, le président du tribunal administratif de Corfou rejeta la demande. Il estima que les éléments mentionnés par le requérant ne modifiaient pas les données sur lesquelles il avait fondé sa décision 7/2011.

21. Le 13 mai 2011, le requérant fut mis en liberté. La veille, le directeur de la police de Thesprotia avait supprimé la décision de détention le concernant en constatant que l’organisation non gouvernementale « Médecins du Monde » avait proposé au requérant de l’accueillir dans sa pension.

22. Le 19 juin 2012, le requérant déposa auprès du Bureau d’asile politique à l’aéroport d’Athènes une attestation de désistement de sa demande d’asile politique. Le même jour, bénéficiant d’un programme de retour volontaire des ressortissants d’Etats tiers financé par l’Organisation internationale pour les Migrations, il quitta la Grèce et rentra dans son pays d’origine.

B. Les conditions de détention du requérant

1. La thèse du requérant

23. Selon le requérant, au commissariat de Paramythia, les cellules étaient toutes situées au sous-sol et étaient ainsi dépourvues de lumière naturelle. Les cellules avaient une superficie de 6 m² et accueillaient chacune trois détenus. Dans chaque cellule, il y avait deux matelas sales et les toilettes dégageaient de mauvaises odeurs. Les détenus n’avaient la possibilité ni de se laver, ni de sortir dans une cour, ni d’exercer une quelconque activité. Il n’y avait pas de téléphone public pour contacter un avocat ou la famille. Au commissariat de Filiates, les conditions étaient les mêmes, sauf que dans les cellules, il y avait de la lumière naturelle et des lits pour tous les détenus.

2. La thèse du Gouvernement

a) Le commissariat de Paramythia

24. Le commissariat dispose de deux cellules, chacune d’une capacité de deux personnes et d’une surface de 9,20 m². Dans chaque cellule, il y a une toilette et un lavabo. Les cellules sont nettoyées quotidiennement et désinfectées tous les trois mois par une entreprise. Il n’y a pas d’espace pour la promenade des détenus.

25. Pendant la détention du requérant dans ce commissariat, le nombre de détenus par cellule s’élevait à quatre du 29 avril au 1er mai 2011 inclus et à deux du 2 au 6 mai 2011.

b) Le commissariat de Filiates

26. Le commissariat dispose de trois cellules d’une surface de 10,35 m², 11,70 m² et 15,75 m², pour une capacité totale de neuf détenus. Dans chaque cellule, il y a une toilette et un lavabo. Les cellules sont nettoyées quotidiennement et désinfectées tous les trois mois par une entreprise. Il n’y a pas d’espace pour la promenade des détenus. Dans le couloir, un téléphone à carte est mis à la disposition des détenus. Le nombre de matelas dépend du nombre de détenus. Les matelas sont désinfectés régulièrement afin d’empêcher la transmission de maladies infectieuses ou dermatologiques.

27. Pendant la détention du requérant dans ce commissariat, le nombre de détenus par cellule s’élevait : à deux les 7 et 8 mai 2011, à un les 9 et 10 mai 2011, à trois le 11 mai 2011, à quatre le 12 mai 2011 et à trois le 13 mai 2011.

28. Les détenus immigrés sont informés de leurs droits et des procédures de recours dans une langue qu’ils comprennent, et peuvent communiquer avec des organisations humanitaires.

29. Le Gouvernement admet la cohabitation du requérant avec des personnes détenues pour des infractions pénales et affirme que la loi ne prévoit pas la séparation des auteurs d’infractions pénales des autres types de détenus.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

30. Les articles pertinents de la loi no 3386/2005 relative à l’entrée, au séjour et à l’insertion des ressortissants de pays tiers dans le territoire grec en vigueur à l’époque des faits étaient ainsi libellés :

Article 2

« 1. Les dispositions de cette loi ne s’appliquent pas

(...)

c) aux réfugiés et aux personnes qui ont déposé une demande visant à la reconnaissance de leur statut de réfugié, au sens de la Convention de Genève de 1951 (...) »

Article 76

« 1. L’expulsion administrative d’un étranger est permise lorsque :

a) l’intéressé a été condamné de manière définitive à une peine privative de liberté d’au moins un an (...) pour avoir porté assistance à des clandestins dans leur entrée dans le pays, ou [lorsqu’il a été condamné] pour avoir facilité le transport et la pénétration dans le pays de clandestins ou pour avoir fourni le gîte à ceux-ci pour qu’ils puissent se cacher (...) ;

b) [l’intéressé] a violé les dispositions de la présente loi ;

c) sa présence sur le territoire grec représente une menace pour l’ordre public ou la sécurité du pays ;

(...)

2. L’expulsion est ordonnée par décision du directeur de la police et (...) après que l’étranger ait bénéficié d’un délai d’au moins quarante-huit heures pour déposer ses objections.

3. Lorsque l’étranger est considéré, en raison des circonstances, comme susceptible de fuir ou de représenter une menace pour l’ordre public, lorsqu’il empêche ou fait obstacle à la préparation de son départ ou à la procédure d’éloignement, les organes mentionnés au paragraphe précédent ordonnent sa détention provisoire jusqu’à l’adoption, dans un délai de trois jours, de la décision d’expulsion (...) Lorsque la décision d’expulsion est adoptée, la détention se poursuit jusqu’à l’exécution de l’expulsion, mais elle ne peut en aucun cas dépasser six mois. Lorsque l’expulsion est retardée parce que l’étranger refuse de collaborer ou que les documents nécessaires à son expulsion, devant être établis dans le pays d’origine ou le pays de transit, n’ont pas été réceptionnés, la détention peut être prolongée pour une durée ne pouvant dépasser douze mois. L’étranger doit être informé, dans une langue qu’il comprend, des raisons de sa détention et sa communication avec son avocat doit être facilitée. L’étranger détenu peut (...) former, devant le président (...) du tribunal administratif (...) de la région dans laquelle il est détenu ou devant le juge désigné par le président, des objections à l’encontre de la décision ayant ordonné sa détention ou la prolongation de celle-ci.

4. Les objections doivent contenir des motifs concrets ; elles peuvent également être soumises oralement, auquel cas le greffier les reprend dans un rapport.

Pour l’examen de ces dispositions, les articles 27 § 2 c) et 204 § 1 du code de procédure administrative s’appliquent. Si l’étranger demande à être entendu, le juge est obligé de l’entendre (...) Le juge peut aussi, dans tous les cas, ordonner de sa propre initiative la comparution de l’étranger.

Les allégations présentées lors de cette procédure doivent être prouvées séance tenante.

Le juge compétent, selon le paragraphe 3, qui statue sur la légalité de la détention ou de sa prolongation, rend sa décision séance tenante sur les objections, qu’il formule de manière sommaire au procès-verbal. Copie du procès-verbal est transmise immédiatement aux autorités de police.

Si la procédure a lieu un jour férié, la présence du greffier n’est pas nécessaire et le procès-verbal précité ainsi que le rapport mentionné à l’alinéa 1 sont rédigés par le juge lui-même. Cette décision n’est soumise à aucune voie de recours.

5. Lorsque l’étranger détenu dans l’attente de son expulsion n’est pas considéré comme susceptible de fuir ou de représenter une menace pour l’ordre public, ou lorsque le président du tribunal administratif s’oppose à sa détention, il est fixé à l’intéressé un délai pour quitter le territoire, qui ne peut dépasser trente jours, excepté lorsqu’il existe des motifs [s’opposant à] l’expulsion.

6. La décision mentionnée aux paragraphes 3 et 4 du présent article peut être annulée à la requête des parties, si leur demande est fondée sur des faits nouveaux (...) »

Article 78

« Si l’expulsion immédiate de l’étranger est impossible pour une cause de force majeure, le ministre de l’Ordre public (...) peut décider de suspendre l’exécution de la décision d’expulsion. Par une décision [séparée], il impose à l’étranger les mesures de restriction [appropriées]. »

31. L’article 13 du décret présidentiel no 114/2010 (statut de réfugié : procédure unique applicable aux étrangers et apatrides), qui incorpore dans l’ordre juridique grec la directive du Conseil 2005/85/CE du 1er décembre 2005 (relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres), dispose :

« 1. Aucun ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui demande la protection internationale ne peut être détenu pour le seul motif qu’il est entré et qu’il séjourne clandestinement dans le pays. La personne qui, lors de sa détention, dépose une demande de protection internationale reste en détention si les conditions du paragraphe 2 sont réunies.

2. La détention de demandeurs dans un espace approprié est permise de manière exceptionnelle et lorsque des mesures alternatives ne peuvent pas être appliquées pour l’une des raisons suivantes :

a) le demandeur ne dispose pas de documents de voyage ou les a détruits et il est nécessaire de vérifier son identité, les circonstances de son entrée dans le pays et les données réelles concernant sa provenance, et ce notamment dans le cas d’une arrivée massive d’étrangers clandestins ;

b) le demandeur représente une menace pour la sécurité nationale ou l’ordre public pour les motifs qui sont spécifiquement détaillés dans la décision de détention ;

c) la détention est jugée nécessaire pour un examen rapide et efficace de la demande.

3. La décision ordonnant la détention des demandeurs de protection internationale est prise par le directeur de la police compétent et, s’agissant des directions générales de la police de l’Attique et de Thessalonique, par le directeur de la police compétent pour les étrangers. La décision doit comporter une motivation complète et détaillée.

4. La détention est imposée pour la durée strictement nécessaire et ne peut en aucun cas dépasser quatre-vingt-dix jours. Si le demandeur a été détenu auparavant en vue de son expulsion administrative, la durée totale de sa détention ne pourra pas dépasser cent quatre-vingts jours.

5. Les demandeurs détenus conformément aux paragraphes précédents ont le droit (...) de formuler des objections [telles que] prévues au paragraphe 3 de l’article 76 de la loi no 3386/2005 modifiée.

6. Si des demandeurs sont en détention, les autorités (...) s’engagent à :

a) veiller à ce que les femmes soient détenues dans un espace séparé de celui des hommes ;

b) éviter la détention de mineurs. Les mineurs qui ont été séparés de leur famille ou qui ne sont pas accompagnés ne sont détenus que le temps nécessaire à leur transfert sécurisé dans des structures appropriées pour l’hébergement de mineurs ;

c) éviter la détention de femmes enceintes dont la grossesse est à un stade avancé et de femmes qui viennent d’accoucher ;

d) offrir aux détenus les soins médicaux appropriés ;

e) garantir le droit des détenus à une assistance juridique ;

g) veiller à ce que les détenus soient informés des motifs et de la durée de leur détention. »

32. L’article 66 § 6 du décret no 141/1991 relatif à la compétence des organes du ministère de l’Ordre public se lit ainsi :

« Il n’est pas permis de détenir des prévenus et des condamnés dans les commissariats de police, excepté pendant le temps absolument nécessaire à leur transfert en prison ou lorsque leur transfert immédiat vers une prison n’est pas possible. »

III. LES TEXTES EUROPEENS ET INTERNATIONAUX

33. Dans sa déclaration publique du 15 mars 2011, faite en vertu de l’article 10 § 2 de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants, le CPT relevait notamment ce qui suit :

« 3. Les rapports relatifs aux visites de 2005, 2007, 2008 et 2009 brossent tous un tableau similaire des très mauvaises conditions dans lesquelles les étrangers en situation irrégulière étaient retenus dans les commissariats de police et dans d’autres locaux inadaptés, souvent des entrepôts désaffectés, pour des périodes pouvant aller jusqu’à six mois, voire pour des périodes encore plus longues, sans aucune possibilité de faire de l’exercice en plein air ni de s’adonner à des activités et sans bénéficier de soins de santé adéquats. (...)

5. En janvier 2010, le CPT a eu des entretiens à haut niveau avec les autorités grecques à Athènes afin de leur faire bien comprendre l’urgence qu’il y avait à nouer un dialogue constructif avec le Comité et à prendre des mesures pour améliorer les conditions dans lesquelles étaient maintenus les étrangers en situation irrégulière et les personnes incarcérées.

6. Les autorités grecques ont continué de répéter que des mesures étaient en cours pour améliorer la situation. Ainsi, dans une lettre en date du 23 novembre 2009, elles ont informé le CPT qu’elles mettraient fin au placement en rétention administrative des étrangers en situation irrégulière dans les commissariats de police et postes de surveillance des gardes-frontière et qu’à l’avenir, ces personnes seraient placées dans des centres de rétention spécifiquement conçus à cet effet. (...)

7. Malheureusement, les constatations faites pendant la récente visite du CPT en Grèce, en janvier 2011, ont montré que les informations fournies par les autorités n’étaient pas fiables. Les commissariats de police et des gardes-frontière abritaient un nombre sans cesse plus important d’étrangers en situation irrégulière dans des conditions bien pires encore. (...) »

34. La directive du Conseil 2005/85/CE du 1er décembre 2005, relative aux normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres, dispose notamment :

Article 18

Placement en rétention

« 1. Les États membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle demande l’asile.

2. Lorsqu’un demandeur d’asile est placé en rétention, les États membres veillent à prévoir la possibilité d’un contrôle juridictionnel rapide. »

Article 21

Le rôle du HCR

1. Les Etats membres autorisent le HCR :

a) d’avoir accès aux demandeurs d’asile, y compris ceux qui sont placés en rétention ou dans des zones de transit aéroportuaire ou portuaire »

35. La Recommandation (2006)2 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les Règles pénitentiaires européennes, adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 11 janvier 2006, prévoit :

« Répartition et locaux de détention

(...)

18.1 Les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement des détenus pendant la nuit, doivent satisfaire aux exigences de respect de la dignité humaine et, dans la mesure du possible, de la vie privée, et répondre aux conditions minimales requises en matière de santé et d’hygiène, compte tenu des conditions climatiques, notamment en ce qui concerne l’espace au sol, le volume d’air, l’éclairage, le chauffage et l’aération.

18.2 Dans tous les bâtiments où des détenus sont appelés à vivre, à travailler ou à se réunir :

a. les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que les détenus puissent lire et travailler à la lumière naturelle dans des conditions normales, et pour permettre l’entrée d’air frais, sauf s’il existe un système de climatisation approprié ; b. la lumière artificielle doit être conforme aux normes techniques reconnues en la matière ; et

(...)

Hygiène

19.1 Tous les locaux d’une prison doivent être maintenus en état et propres à tout moment.

19.2 Les cellules ou autres locaux affectés à un détenu au moment de son admission doivent être propres.

19.3 Les détenus doivent jouir d’un accès facile à des installations sanitaires hygiéniques et protégeant leur intimité.

19.4 Les installations de bain et de douche doivent être suffisantes pour que chaque détenu puisse les utiliser, à une température adaptée au climat, de préférence quotidiennement mais au moins deux fois par semaine (ou plus fréquemment si nécessaire) conformément aux préceptes généraux d’hygiène.

19.5 Les détenus doivent veiller à la propreté et à l’entretien de leur personne, de leurs vêtements et de leur logement.

19.6 Les autorités pénitentiaires doivent leur fournir les moyens d’y parvenir, notamment par des articles de toilette ainsi que des ustensiles de ménage et des produits d’entretien.

19.7 Des mesures spéciales doivent être prises afin de répondre aux besoins hygiéniques des femmes.

(...) »

EN DROIT

I. OBSERVATION LIMINAIRE

36. Le Gouvernement invite de prime abord la Cour à rejeter la requête pour perte de l’intérêt du requérant à poursuivre sa requête devant la Cour. Il se prévaut du fait que celui-ci s’est désisté de sa demande d’asile et a quitté volontairement la Grèce. Il relève que le pouvoir du 27 février 2013, produit par le requérant alors qu’il avait déjà quitté le pays, n’est signé ni par le requérant ni par ses représentants.

37. Le requérant affirme qu’il souhaite poursuivre la procédure devant la Cour et que c’est pour cette raison qu’il a produit un nouveau pouvoir renouvelant son autorisation à ses deux avocats à le représenter. Il explique qu’il ne s’est pas désisté de sa demande en raison d’une absence de danger dans son pays, mais en raison d’un problème sérieux de santé de son père, qui nécessitait une opération à haut risque ; il produit un certificat médical y relatif.

38. La Cour note que le requérant l’a saisie d’une requête tendant à faire constater si les conditions de détention de celui-ci ainsi que la légalité de sa détention pendant la période où il se trouvait en Grèce étaient conformes aux articles 3 et 5 § 1 de la Convention. Elle relève, en outre, que le requérant avait déposé au moment de l’introduction de sa requête un pouvoir dûment rempli et signé qui est valable pour la procédure devant la Cour dans son intégralité. Dans ses observations en réponse à celles du Gouvernement, le requérant, par l’intermédiaire de ses représentants, affirme ne pas avoir renoncé à l’examen de sa requête par la Cour. Or, la Cour n’a aucune raison de mettre en doute cette affirmation. Par ailleurs, la Cour ne saurait interpréter le départ soudain du requérant pour son pays d’origine comme un désintérêt implicite de sa part pour la poursuite de sa requête. Les lacunes du pouvoir du 27 février 2013 ne sauraient donc démontrer une perte d’intérêt du requérant à la poursuite de sa requête.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

39. Le requérant se plaint des conditions de détention dans les locaux des deux commissariats de police dans lesquels il a été détenu. Il allègue une violation de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

40. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

41. Se référant à ses affirmations concernant les conditions de détention dans les commissariats dont il s’agit en l’espèce (paragraphe 23 ci-dessus), le Gouvernement souligne que le requérant ne saurait être considéré comme ayant été soumis à un traitement inhumain ou dégradant. Pendant les quinze jours qu’a duré sa détention, les autorités de police ont tout fait pour lui procurer les meilleures conditions possibles et ont agi de manière légitime et respectueuse des procédures existantes. Ne pouvant pas être détenu au commissariat d’Igoumenitsa, en raison de la surpopulation régnant sur les lieux, il a été transféré au commissariat de Paramythia, puis au commissariat de Filiates, lorsque les cellules de celui-ci ont été décongestionnées.

42. Le requérant soutient que la violation de l’article 3 était plus sévère dans son cas en raison des séquelles psychiatriques et physiques que lui avaient laissées les tortures auxquelles il avait été soumis au Soudan. Il affirme que dans les cellules du commissariat de Paramythia, il n’y avait pas de lumière naturelle et que pendant trois jours les matelas ne suffisaient pas pour tous les détenus. En ce qui concerne le commissariat de Filiates, l’espace personnel des détenus dans deux des trois cellules était inférieur au minimum de 4 m² recommandé par le Comité pour la prévention de la torture et des traitements et peines inhumains et dégradants (CPT). Dans les deux commissariats, il était mélangé avec des détenus de droit commun. Enfin, le requérant se prévaut de manière générale des constats du CPT concernant les centres de rétention et les commissariats de police où sont détenus des étrangers en voie d’expulsion ainsi que de la jurisprudence de la Cour en la matière.

43. La Cour rappelle que, si les Etats sont autorisés à placer en détention des immigrés potentiels en vertu de leur « droit indéniable de contrôler (...) l’entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire » (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 41, Recueil 1996‑III), ce droit doit s’exercer en conformité avec les dispositions de la Convention (Mahdid et Haddar c. Autriche (déc.), no 74762/01, CEDH 2005-XIII). Elle rappelle également qu’elle doit avoir égard à la situation particulière de ces personnes lorsqu’elle est amenée à contrôler les modalités d’exécution de la mesure de détention à l’aune des dispositions conventionnelles (Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29810/03, § 100, 24 janvier 2008).

44. La Cour rappelle encore que, lorsqu’on évalue les conditions de détention, il y a lieu de prendre en compte leurs effets cumulatifs ainsi que les allégations spécifiques du requérant (Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 46, CEDH 2001-II). En particulier, la durée pendant laquelle un individu a été détenu dans les conditions incriminées constitue un facteur important à considérer (Alver c. Estonie, no 64812/01, 8 novembre 2005).

45. En matière de surpopulation dans les prisons, la Cour note que les Rapports généraux établis par le CPT n’indiquent pas explicitement le minimum d’espace personnel dont devrait disposer chaque détenu placé dans des cellules partagées. Il ressort toutefois des rapports nationaux du CPT et des recommandations qui y sont faites aux Etats que le standard minimum souhaitable devrait être fixé à 4 m² par détenu. De son côté, la Cour, saisie d’affaires où un requérant disposait de moins de 3 m² d’espace personnel, a considéré que cet élément, à lui seul, suffisait pour conclure à la violation de l’article 3 de la Convention (Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, §§ 144-145, 10 janvier 2012, avec d’autres références).

46. En revanche, dans des affaires où la surpopulation n’était pas importante au point de soulever à elle seule un problème sous l’angle de l’article 3, la Cour a noté que d’autres aspects des conditions de détention étaient à prendre en compte dans l’examen du respect de cette disposition. Parmi ces éléments figurent la possibilité d’utiliser les toilettes de manière privée, l’existence d’un système d’aération, l’accès à la lumière et à l’air naturels, la qualité du chauffage et le respect des exigences sanitaires de base (voir également les éléments ressortant des Règles pénitentiaires européennes adoptées par le Comité des Ministres). Ainsi, même dans des affaires où chaque détenu disposait de 3 à 4 m², la Cour a conclu à la violation de l’article 3 dès lors que le manque d’espace allégué s’accompagnait d’un manque de ventilation et de lumière (Moïsseïev c. Russie, no 62936/00, 9 octobre 2008 ; voir également Vlassov c. Russie, no 78146/01, § 84, 12 juin 2008, et Babouchkine c. Russie, no 67253/01, § 44, 18 octobre 2007), d’un accès limité à la promenade en plein air (István Gábor Kovács c. Hongrie, no 15707/10, § 26, 17 janvier 2012) ou d’un manque total d’intimité dans les cellules (voir, mutatis mutandis, Belevitskiy c. Russie, no 72967/01, §§ 73-79, 1er mars 2007, Khoudoïorov c. Russie, no 6847/02, §§ 106-107, CEDH 2005-X, et Novoselov c. Russie, no 66460/01, §§ 32 et 40-43, 2 juin 2005).

47. En l’espèce, la Cour relève que les allégations du requérant soulèvent, à première vue, un problème sur le plan des conditions de sa détention. Le requérant, étranger en voie d’expulsion, a été détenu pendant quinze jours, du 29 avril au 13 mai 2011, successivement dans deux commissariats de police. Or, la Cour a déjà jugé que les commissariats de police ne sont pas des lieux appropriés pour la détention des personnes qui se trouvent en attente de l’application d’une mesure administrative. De par leur nature même, il s’agit de lieux destinés à accueillir des personnes pour de très courtes durées (voir, parmi beaucoup d’autres, Efremidze c. Grèce, no 33225/08, § 41, 21 juin 2011).

48. La Cour note que d’après les informations fournies par le Gouvernement, le requérant a été détenu pendant huit jours – du 29 avril au 6 mai 2011 – dans une cellule du commissariat de Paramythia d’une capacité de deux détenus, qu’il a partagée avec trois autres détenus les 29 et 30 avril ainsi que le 1er mai 2011, et avec un seul autre détenu du 2 au 6 mai 2011. Transféré au commissariat de Filiates le 7 mai 2011, il a été placé dans une cellule d’une capacité de trois détenus, qu’il a occupée avec un autre détenu les 7 et 8 mai 2011, tout seul les 9 et 10 mai 2011, avec deux autres détenus les 11 et 13 mai 2011 et avec trois autres détenus le 12 mai 2011.

49. Il en ressort que le requérant a été détenu dans des conditions de surpopulation, selon la jurisprudence de la Cour, pendant quatre jours sur un total de quinze jours.

50. Quant aux onze jours restants, la Cour rappelle qu’elle a déjà constaté une violation de l’article 3 dans des requêtes dirigées contre la Grèce par des étrangers en voie d’expulsion qui se trouvaient détenus dans des commissariats de police (voir, en dernier lieu, Bygylashvili c. Grèce, no 58164/10, 25 septembre 2012 et Chkhartishvili c. Grèce, no 22910/10, 2 mai 2013). Certes, les périodes de détention dans ces affaires étaient plus longues que celle en l’espèce.

51. La Cour note, en outre, que les cellules du commissariat de Paramythia étaient situées au sous-sol et étaient ainsi privées de lumière naturelle. Qui plus est, dans les deux commissariats, les cellules ne disposaient d’aucune douche et il était impossible aux détenus de se promener en plein air ou de se livrer à une activité physique.

52. Sur ce point, la Cour relève que la pratique des autorités grecques de placer pour des périodes plus ou moins longues dans des commissariats de police les étrangers faisant l’objet d’une procédure d’expulsion a été clairement constatée par le CPT dans sa déclaration publique du 15 mars 2011, faite en vertu de l’article 10 § 2 de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants. Dans cette déclaration, le CPT fait expressément état de la promesse non tenue par les autorités de mettre fin à l’utilisation des commissariats de police pour le placement en rétention administrative des étrangers en situation irrégulière (paragraphe 33 ci-dessus). La Cour note aussi que la législation grecque elle-même, en l’article 66 § 6 du décret no 141/1991, interdit la détention des prévenus et des condamnés dans les commissariats de police excepté pendant le temps absolument nécessaire à leur transfert en prison (paragraphe 32 ci-dessus).

53. Dans ces conditions, la Cour estime que le requérant a été soumis à un traitement dégradant incompatible avec l’article 3 de la Convention. Il y a donc eu violation de cette disposition.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

54. Le requérant dénonce le fait que l’article 13 du décret no 114/2010 s’applique non seulement à ceux qui sont déjà détenus en vue de leur expulsion, mais aussi à ceux qui, comme lui, se présentent spontanément à la police pour déposer une demande d’asile. Il y voit une violation de l’article 5 § 1 f), qui n’autorise la détention d’une personne que « pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours ». Or le requérant explique qu’il se trouvait déjà sur le territoire et qu’il a été mis en détention alors qu’aucune décision d’expulsion n’était prise à son encontre. A cela s’ajouterait le fait que sa détention avait été ordonnée pour une durée de 60 jours et a eu lieu dans des conditions contraires à l’article 3 de la Convention.

55. L’article 5 § 1 de la Convention dispose :

« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (...)

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »

56. Le Gouvernement souligne que la décision de détenir le requérant (du 29 avril 2011) a été prise parce qu’il fallait vérifier son identité et les circonstances de son entrée dans le pays. Or, le requérant avait détruit ses documents de voyage et, s’il avait été libéré, les autorités auraient eu des difficultés pour le retrouver. Le même jour, le requérant a introduit une demande d’asile et, tout au long de sa détention, il a fait pleinement usage des voies de recours offertes par l’ordre juridique grec. Etant donné qu’il a été libéré le 13 mai 2011, la durée de la détention du requérant a respecté les exigences du décret no 114/2010.

57. Le requérant rétorque qu’en ordonnant sa détention immédiatement après le dépôt de sa demande d’asile, les autorités de police n’ont fait que reproduire les termes de l’article 13 du décret no 114/2010. Toutefois, il n’y avait pas à ce moment-là d’entrée massive d’étrangers dans le secteur d’Igoumenitsa. Le plan de ces autorités était d’arrêter tout étranger demandeur d’asile qui se présenterait au commissariat pour étrangers d’Igoumenitsa indépendamment de leur situation individuelle. Le requérant affirme que sa détention n’a pas été ordonnée en vue de l’examen de sa demande d’asile mais en raison du fait qu’il n’avait pas de documents de voyage et était considéré comme un danger pour l’ordre et la sécurité publics. Cela ressort clairement des décisions du directeur général de la police de l’Epire du 6 mai 2011 et du président du tribunal administratif de Corfou du 13 mai 2011. Toutefois, les critères de la dangerosité pour l’ordre public et du risque de fuite n’ont vocation à s’appliquer que dans le cas où la détention est ordonnée en vue d’une expulsion (en vertu de l’article 76 de la loi no 3386/2005) et non lorsqu’elle est ordonnée en application du décret no 114/2010.

58. La Cour rappelle qu’en matière de « régularité » d’une détention, y compris d’observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l’essentiel à l’obligation d’observer les normes de fond comme de procédure de la législation nationale, mais qu’elle exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire (voir, parmi d’autres, Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 118, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, et Čonka c. Belgique, no 51564/99, § 39, CEDH 2002-I).

59. La Cour rappelle ensuite que l’article 5 § 1 f) n’exige pas que la détention d’une personne contre laquelle une procédure d’expulsion est en cours soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir ; à cet égard, l’article 5 § 1 f) n’offre pas la même protection que l’article 5 § 1 c). De fait, il exige seulement qu’une procédure d’expulsion soit en cours. Que la décision d’expulsion initiale se justifie au regard de la législation interne ou de la Convention n’entre donc pas en ligne de compte aux fins de l’article 5 § 1 f). La Cour rappelle cependant que seul le déroulement de la procédure d’expulsion justifie la privation de liberté fondée sur cette disposition (Efremidze, précité, § 54 et Takush c. Grèce, no 2853/09, § 41, 17 janvier 2012).

60. Se tournant vers les données de l’espèce, la Cour note à titre liminaire que la présente affaire se distingue des affaires précédentes concernant la détention d’étrangers premièrement de par les faits de la cause et deuxièmement de par le texte législatif qui a été appliqué. Quant aux faits de la cause, il convient de souligner que le requérant s’est présenté de sa propre volonté au commissariat pour étrangers d’Igoumenitsa, accompagné d’une avocate, afin de déposer une demande d’asile, ce qu’il a fait en dépit de l’avertissement des fonctionnaires de police que s’il le faisait, il serait arrêté et mis en détention. Il convient aussi de noter que le requérant a été détenu en vertu du décret no 114/2010 relatif au statut de réfugié, et notamment l’article 13 de celui-ci, qui incorpore dans l’ordre juridique grec la directive du Conseil 2005/85/CE du 1er décembre 2005 sur les normes minimales au sujet des procédures suivant lesquelles les Etats membres accordent et retirent le statut de réfugié.

61. La Cour constate que la directive susmentionnée pose comme principe que les Etats ne peuvent pas placer une personne en rétention au seul motif qu’elle demande l’asile, tout en envisageant explicitement, néanmoins, la possibilité d’une rétention, apparemment à titre exceptionnel (article 18 – paragraphe 34 ci-dessus). L’article 13 du décret no 114/2010 réitère et précise ce principe. En effet, la disposition en question autorise la détention des demandeurs d’asile dans des circonstances exceptionnelles et lorsque des mesures alternatives ne peuvent pas être appliquées (article 13 § 2 du décret), notamment si le demandeur ne dispose pas de documents de voyage ou les a détruits et qu’il est nécessaire de vérifier son identité, les circonstances de son entrée dans le pays et les données réelles concernant sa provenance.

62. Or, il ne fait pas de doute que le requérant tombait sous le coup de cette exception, ce qui d’ailleurs a été indiqué dans la décision du 29 avril 2011 le mettant en détention. Il ressort de cette décision que la mise en détention du requérant n’a pas eu lieu de manière automatique. Le président du tribunal administratif motivait l’impossibilité d’appliquer dans le cas du requérant des mesures autres que la détention, faute pour lui d’avoir une résidence et des moyens de subsistance stable en Grèce, ainsi que par l’arrivée massive d’étrangers, placés provisoirement dans un camp en face du port d’Igoumenitsa (paragraphe 17 ci-dessus).

63. Le requérant a, en outre, introduit un recours devant le directeur général de la police de l’Epire et formulé devant le président du tribunal administratif de Corfou des objections contre son maintien en détention. Il a aussi introduit une demande de révocation en vertu de l’article 76 § 5, en soulevant différents motifs tirés de l’illégalité de sa détention. Ces recours, objections et demandes ont été rejetés par des décisions motivées et adaptées aux différents moyens du requérant (paragraphes 13-14, 16-18 et 20 ci-dessus).

64. Par ailleurs, la Cour relève que le requérant a été immédiatement élargi, par décision du directeur de la police de Thesprotia, quinze jours après sa mise en détention, lorsque les autorités ont été assurées que le requérant allait être accueilli à la pension tenue par l’organisation non gouvernementale « Médecins du Monde ».

65. Enfin, ayant conclu à une violation de l’article 3 en raison des conditions de détention dans deux commissariats différents, la Cour n’estime pas nécessaire de se placer une fois de plus sur ce terrain sous l’angle de l’article 5 § 1 f). Elle constate que la détention du requérant en l’espèce a été beaucoup plus courte que celles des requérants dans les arrêts Efremidze c. Grèce, précité, et Ahmade c. Grèce, no 50520/09, 25 septembre 2012, dans lesquels ils avaient été détenus dans des commissariats pendant trois mois et pendant quatre-vingt-trois jours respectivement.

66. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que la détention du requérant n’était pas arbitraire et que l’on ne saurait considérer qu’elle n’était pas « régulière » au sens de l’article 5 § 1 f) de la Convention.

67. Il s’ensuit que le présent grief doit être rejeté comme irrecevable, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

IV. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

68. Invoquant l’article 5 § 2 de la Convention, le requérant se plaint qu’il n’a pas été informé des raisons de son arrestation et de sa détention.

69. La Cour note que le requérant soutient que le bulletin d’information qui lui a été remis lorsqu’il est arrivé au commissariat pour faire sa demande d’asile n’était pas à jour car la législation avait changé, et qu’il ne contenait aucune information sur les motifs de la détention et les possibilités de recours contre celle-ci. Elle estime cependant que ce grief est manifestement mal fondé dès lors que le requérant avait été prévenu par l’avocat de l’organisation non gouvernementale qu’il allait être mis en détention s’il déposait une demande d’asile et que, de plus, il a aussitôt exercé tous les recours existants.

70. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme irrecevable en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

71. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

72. La Cour note que le requérant ne soumet aucune prétention pour dommage ni pour frais et dépens et qu’il déclare que le simple constat de la violation constituerait, pour lui, une satisfaction équitable suffisante. La Cour en prend note et décide, en conséquence, de ne rien allouer au requérant.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3, relatif aux conditions de détention du requérant, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 1er août 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenIsabelle Berro-Lefèvre
GreffierPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-122973
Date de la décision : 01/08/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Partiellement irrecevable;Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant) (Volet matériel)

Parties
Demandeurs : HORSHILL
Défendeurs : GRÈCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : PAPADOPOULOS V. ; RIZAKIS S.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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