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01/08/2013 | CEDH | N°001-122972

CEDH | CEDH, AFFAIRE ANTONYUK c. RUSSIE, 2013, 001-122972


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE ANTONYUK c. RUSSIE

(Requête no 47721/10)

ARRÊT

STRASBOURG

1er août 2013

DÉFINITIF

01/11/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Antonyuk c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Ju

lia Laffranque,
Ksenija Turković,
Dmitry Dedov, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE ANTONYUK c. RUSSIE

(Requête no 47721/10)

ARRÊT

STRASBOURG

1er août 2013

DÉFINITIF

01/11/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Antonyuk c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Ksenija Turković,
Dmitry Dedov, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 juillet 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 47721/10) dirigée contre la Fédération de Russie et qu’une ressortissante de cet Etat, Mme Tatiana Sergueevna Antonyuk (« la requérante »), a saisi la Cour le 9 août 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante est représentée par Me E. Arkhipov, avocat à Moscou. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») est représenté par M. G. Matyushkin, représentant de la Fédération de Russie devant la Cour.

3. Le 8 juin 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. La requérante est née en 1984 et réside à Kalouga.

5. En avril 2004, la requérante épousa M. A. Le 23 mai 2005, naquit leur fils, V. En 2006, la famille déménagea à Moscou. Toujours en 2006, l’époux de la requérante, ophtalmologue de profession, prit la décision de créer une clinique privée d’ophtalmologie dans la ville de Briansk, où la famille s’installa.

6. En 2007, la requérante tomba enceinte d’un deuxième enfant – une fille, M. –, qui naquit le 9 avril 2008. Des soucis familiaux et la naissance prématurée de M. auraient provoqué une dépression chez la requérante.

7. Au mois de septembre 2008, la requérante fut examinée par M. Ch., un psychiatre de l’hôpital psychiatrique de Briansk. M. Ch. ouvrit un dossier médical et prescrivit un médicament. La requérante allègue que M. Ch. ne lui indiqua pas le nom du médicament et que, concrètement, c’était son époux qui se le procurait et lui délivrait la dose journalière prescrite.

8. A une date non spécifiée, les époux retournèrent à Moscou où la requérante passa un autre examen médical. Celui-ci fut effectué par Mme S., psychiatre, qui confirma la prescription du médicament qui avait été choisi par son confrère. Toujours à Moscou, la requérante subit une crise de dépression à la suite de laquelle elle fut placée dans l’hôpital no 85 de la ville de Moscou. Il ressort du dossier que la requérante y séjourna du 21 septembre au 10 octobre et du 12 au 20 octobre 2008.

9. A une date non spécifiée, la requérante retourna à Kalouga chez ses parents. Elle fut de nouveau hospitalisée, à la suite d’une intoxication alimentaire aigüe. Le 20 avril 2009, la requérante aurait reçu la visite de son époux qui lui laissa des médicaments qu’elle devait prendre. Le jour même, des policiers effectuèrent une visite dans sa chambre d’hôpital et saisirent les médicaments en question. Il semble qu’une investigation pénale fut ouverte pour possession illégale de substances toxiques. Il ressort du dossier que la requérante ne fut pas poursuivie pénalement.

10. Après l’épisode du contrôle policier, la requérante aurait pris la décision de se séparer de fait de son époux. Voulant s’installer chez ses parents à Kalouga, elle aurait essayé de récupérer les deux enfants, mais ne put prendre que la fille. Le 13 mai 2009, la requérante aurait informé son époux de son intention de demander le divorce. Ne voulant pas d’une séparation, ce dernier aurait proposé à la requérante de prendre du repos et lui finança, à cet effet, un séjour à l’étranger du 30 mai au 6 juin 2009.

11. Le 19 mai 2009 M.A. saisit le tribunal de l’arrondissement Sovetskiy de la ville de Briansk d’une action au civil visant à reconnaître la requérante incapable d’exercice (недееспособной) (section A ci-dessous).

12. Le 20 mai de la même année, il introduisit une seconde action en demandant le divorce et la fixation de la résidence des enfants, V. et M., auprès de lui (section B ci-dessous).

A. La procédure civile en reconnaissance de la requérante comme incapable d’exercice

13. Par une ordonnance du 22 mai 2009, le tribunal de l’arrondissement Sovetskiy de la ville de Briansk fixa une audience au 3 juin 2009. Il ressort du dossier que, dans le mémoire de son recours déposé au greffe du tribunal, M.A. indiqua que la requérante avait quitté le foyer conjugal à Briansk et s’était installée au domicile de ses parents à Kalouga, en mentionnant l’adresse postale correspondante.

14. La requérante allègue qu’elle ne fut pas dûment avisée de l’audience du 3 juin 2009.

15. Selon le Gouvernement, la requérante fut bien avisée de l’audience par une convocation écrite, envoyée à son adresse à Kalouga. La requérante fut avisée à son domicile à Kalouga le 29 mai 2009 et le 2 juin 2009 que le service postal avait un pli recommandé avec accusé de réception qui lui était destiné. Restée non réclamée, la convocation fut renvoyée par le service postal à l’expéditeur le 5 juin 2009. Il ressort du dossier que cette convocation fut expédiée à Kalouga le 27 mai 2009.

16. Le 3 juin 2009, le tribunal tint une audience préliminaire en l’absence de la requérante. Pendant l’audience, M.A. demanda au tribunal d’ordonner une expertise psychiatrique de la requérante. Le tribunal accueillit la demande et, par une ordonnance du 3 juin 2009, ordonna qu’une expertise soit effectuée par les médecins de l’hôpital psychiatrique de Briansk et soumit aux experts les documents figurant dans le dossier de l’affaire. Le tribunal formula ainsi les questions aux experts :

« [...] [La requérante] est-elle atteinte d’une affection mentale ? [La requérante] peut-elle se rendre compte de ses actes et les contrôler ? [La requérante] peut-elle être convoquée au tribunal pour témoigner ? [...]».

Par la même ordonnance, le tribunal suspendit l’examen de l’affaire dans l’attente du rapport des experts.

17. Aux dires de la requérante, elle reçut une copie de l’ordonnance par une lettre qui lui fut remise le 18 juin 2009.

18. Le 23 juin 2009 la requérante envoya au tribunal trois amples mémoires dans lesquels elle lui demandait de reprendre l’examen de l’affaire, de lui permettre de faire des copies du mémoire de recours de M.A, de révoquer l’expertise de l’hôpital psychiatrique de Briansk, d’enjoindre à l’hôpital psychiatrique de Kalouga de produire devant le tribunal son dossier médical et un certificat médical attestant de son état de santé, d’ordonner que la mission d’expertise soit confiée à l’hôpital de Kalouga, et, enfin, de transférer l’affaire au tribunal de l’arrondissement Kaloujskiy de la ville de Kalouga, conformément aux règles de compétence territoriale.

19. Par une lettre du 9 juillet 2009 le tribunal de l’arrondissement Sovetskiy retourna les mémoires à la requérante, au motif que l’examen de l’affaire était suspendu jusqu’à réception des résultats de l’expertise psychiatrique.

1. Les appels contre les ordonnances du 3 juin et du 1er juillet 2009

20. Le 29 juin 2009, la requérante fit appel de l’ordonnance du 3 juin 2009 ordonnant l’expertise psychiatrique. Elle indiqua qu’elle n’en avait reçu copie que le 18 juin 2009. Elle fit également valoir que, faute d’avoir été avisée de l’audience du 3 juin 2009, elle avait été privée de la possibilité d’y participer et, par conséquent, de faire valoir ses droits procéduraux. Elle n’avait, notamment, pas pu participer à la formulation des questions aux experts, faire des commentaires sur les éléments du dossier soumis par M. A. et produire des documents. Enfin, la requérante demanda que l’affaire soit transférée au tribunal de l’arrondissement Kaloujskiy de la ville de Kalouga et que l’expertise soit menée par les médecins de l’hôpital psychiatrique de la région de Kalouga. Elle motiva cette demande par le coût financier qu’impliquait l’obligation de se rendre à Briansk, vu l’éloignement géographique de son lieu de résidence.

21. Par une ordonnance du 1er juillet 2009, le tribunal de l’arrondissement Sovetskiy retourna l’appel à la requérante au motif qu’une ordonnance fixant une expertise psychiatrique n’était pas susceptible d’appel, puisqu’elle n’empêchait pas la progression de l’affaire. La requérante en fut avisée le 9 juillet 2009.

22. Elle se pourvut en appel contre l’ordonnance du 1er juillet 2009, reprenant les arguments développés dans son appel du 29 juin 2009. Elle mit aussi en avant le fait que l’ordonnance du 1er juillet 2009 avait suspendu l’examen de l’affaire, ce qui constituait un obstacle à la progression de la procédure.

23. L’expertise ordonnée par le tribunal fut effectuée le 15 juillet 2009 (voir la sous-section 2 ci-dessous).

24. Le 10 août 2009, le tribunal de l’arrondissement Sovetskiy reprit l’examen de l’affaire (voir la sous-section 3 ci-dessous).

25. Le 27 août 2009, la cour régionale de Briansk confirma l’impossibilité de faire appel de l’ordonnance du 3 juin 2009 dans sa partie concernant la fixation de l’expertise psychiatrique. En revanche, elle annula l’ordonnance du 1er juillet 2009 en accueillant les griefs de la requérante quant à la suspension de l’examen de l’affaire et obligea le tribunal à réexaminer l’appel du 29 juin 2009.

26. Le 22 octobre 2009, la cour régionale de Briansk examina au fond l’appel de la requérante du 29 juin 2009. La cour considéra que le droit du tribunal d’ordonner une expertise psychiatrique était consacré par l’article 283 du code de procédure civile. Relevant que l’expertise en question avait été effectuée le 15 juillet 2009, la cour ne trouva pas de fondements d’annulation de l’ordonnance du 3 juin 2009. La cour ne donna aucune réponse particulière aux griefs de la requérante concernant l’impossibilité de poser des questions aux experts.

2. L’expertise psychiatrique du 15 juillet 2009

27. Le 15 juillet 2009, une commission de trois experts du service des expertises médicolégales de l’hôpital psychiatrique de Briansk procéda à l’examen de la requérante, ainsi qu’à l’étude des documents de l’affaire civile présentés par le tribunal.

28. Il ressort du dossier que les experts prirent connaissance également du dossier médical de la requérante conservé par le service de soins ambulatoires du même hôpital. En effet, à une date non spécifiée, les experts demandèrent au juge chargé de l’affaire l’autorisation de consulter ce dossier. Il ressort du dossier que le juge accéda à cette demande par une lettre du 24 juillet 2009.

29. La requérante allègue que lors de la conduite de l’expertise, elle avait insisté, sans succès, pour que la commission d’experts tienne compte du dossier clinique établi par l’hôpital psychiatrique de Kalouga.

30. Le 15 juillet 2009, les experts rendirent leur rapport dont la conclusion fut formulée de la façon suivante :

« [...] la commission [d’experts] conclut que [la requérante] souffre d’une pathologie dépressive récurrente, ce qui trouve appui dans les indices suivants : elle a enduré quelques épisodes de dépression endogènes qui furent associés à des baisses d’humeur brusques, à des idées d’auto-inculpation, de culpabilité, de persécution, de suicide et à une baisse brutale de la capacité critique, ce qui a été confirmé objectivement par la documentation médicale de l’automne 2008 et du printemps 2009. Néanmoins, à l’heure actuelle on observe chez [la requérante] un état de rémission (amélioration) ce qui est confirmé par les données du présent examen qui a révélé une orientation correcte, un état émotionnel adéquat, l’absence de symptomatique affective et psychotique ; il en résulte qu’actuellement [la requérante] est capable de se rendre compte de ses actes et de les contrôler ainsi que de témoigner devant le tribunal. En même temps, eu égard au caractère [purement] formel du [regard] « critique » de [la requérante] envers [son] affection psychique, à la tendance de [la requérante] à se traiter au moyen de médicaments psychotropes obtenus par des voies détournées, et à la présence structurelle d’épisodes dépressifs et d’idées délirantes d’auto-inculpation, de persécution et de culpabilité, l’affection dépressive récurrente de [la requérante] peut représenter un danger pour son enfant (article 73 du code de la famille de la Fédération de Russie) [...] ».

3. La reprise de l’examen de l’affaire

31. Le 10 août 2009, le tribunal de l’arrondissement Sovetskiy reprit l’examen de l’affaire et fixa une audience pour le 25 septembre 2009. Lors de l’audience du 25 septembre, la requérante sollicita du tribunal le transfert de l’examen de l’affaire auprès du tribunal de l’arrondissement Kaloujskiy de la ville de Kalouga en vertu des règles de compétence territoriale, rappelant qu’au moment de l’introduction de l’instance elle était déjà domiciliée chez ses parents à Kalouga. Par une ordonnance de la même date, le tribunal rejeta cette demande au motif qu’au moment de l’introduction de l’instance la requérante était encore officiellement enregistrée à l’adresse de son mari à Briansk, ce qui rendait le tribunal de l’arrondissement Sovetskiy de la ville de Briansk compétent pour connaître de l’affaire. La requérante interjeta appel de cette ordonnance. Par une ordonnance du 22 octobre 2009, la cour régionale de Briansk rejeta l’appel, en faisant siennes les conclusions du juge de première instance.

32. Le dossier ne contient pas d’informations précises quant au nombre d’audiences tenues avant le 28 octobre 2009.

4. L’audience du 28 octobre 2009

33. Il ressort du dossier que le 28 octobre 2009, le tribunal tint une dernière audience sur l’affaire. La requérante sollicita un ajournement en raison à la fois de son mauvais état de santé et du fait que son avocat ne pouvait pas l’assister ce jour-là. Le juge rejeta ses demandes, estimant que la requérante était en état de comparaître et que les sollicitations en question ne visaient qu’à retarder indûment la procédure.

34. Le tribunal entendit comme témoin M. Ch., le psychiatre qui avait examiné la requérante au mois de septembre 2008, qui témoigna quant aux circonstances de la consultation en cause. Il entendit également M. Cha., un des trois experts qui avait pris part à l’examen de la requérante du 15 juillet 2009, et qui répondit aux questions des parties quant au déroulement et les conclusions de l’expertise.

35. Le tribunal joignit également au dossier certains documents produits par la partie demanderesse et, notamment, un extrait du dossier médical de la requérante à l’hôpital psychiatrique, déposé par l’avocat de M. A.

36. La requérante demanda au tribunal de rejeter en tant que preuve le rapport des experts du 15 juillet 2009 au vu de plusieurs défauts dans le déroulement de l’expertise, notamment son absence de caractère contradictoire et, en conséquence, d’ordonner une nouvelle expertise. Sa demande fut rejetée au motif que le rapport des experts était clair et ne prêtait pas à controverse.

5. Le jugement du 28 octobre 2009 et la procédure d’appel

37. Par un jugement du 28 octobre 2009 le tribunal de l’arrondissement Sovetskiy de la ville de Briansk débouta M. A. de son action en se basant sur le rapport du 15 juillet 2009, les témoignages de M. Ch. et M. Cha., ainsi que sur les autres pièces du dossier. Il est à noter que, dans les motifs du jugement, le tribunal reproduisit les conclusions des experts quant au danger éventuel que la requérante pouvait représenter pour les enfants.

38. La requérante interjeta appel en présentant plusieurs moyens qui portaient sur :

. l’impossibilité d’exprimer sa position sur les questions à poser aux experts, vu son absence à l’audience du 3 juin 2009 ;

. les défauts du déroulement de l’expertise du 15 juillet 2009 et, notamment, l’utilisation par les experts du dossier médical de la requérante conservé par le service de soins ambulatoires du même hôpital bien que l’autorisation du tribunal n’ait été donnée que le 24 juillet 2009, soit dix jours après le déroulement de ladite expertise ;

. le caractère contradictoire des conclusions des experts, qui n’étaient pas corroborées par les documents en leur possession ;

. l’absence de transcription dans le procès-verbal de l’audience du 28 octobre 2009 de ses demandes tendant au rejet en tant que preuve du rapport d’experts du 15 juillet 2009 et à la réalisation d’une contre-expertise par les médecins d’un autre hôpital psychiatrique ;

. le refus d’ajourner l’audience du 28 octobre 2009 malgré l’absence de son avocat et ses propres problèmes de santé.

En outre, la requérante réitéra les moyens qu’elle avait présentés dans son appel interlocutoire du 29 juin 2009 en arguant qu’une pareille organisation de la procédure par le juge de première instance laissait apparaître des doutes quant à son impartialité.

39. Par un arrêt du 11 février 2010, la cour régionale de Briansk rejeta l’appel de la requérante. Elle estima que le tribunal de première instance avait à bon droit admis le rapport d’experts du 15 juillet 2009 en tant que preuve et que ni le déroulement de l’expertise ni les conclusions des experts n’avaient été entachés de défauts ou de contradictions. Elle indiqua enfin d’une manière succincte que la procédure devant le tribunal avait été conforme aux règles en vigueur.

B. La procédure civile de divorce et de détermination de la résidence des enfants

1. Le déroulement de la procédure avant le 24 décembre 2009

40. Par une ordonnance du 25 mai 2009, le tribunal de l’arrondissement Sovetskiy de la ville de Briansk convoqua la requérante et M. A. pour un entretien devant le juge le 18 juin 2009.

41. Le 9 juin 2009, M. A. demanda au tribunal de suspendre l’examen de l’affaire dans l’attente du jugement dans la procédure civile tendant à voir constater que la requérante était incapable d’exercice.

42. Le 18 juin 2009, vu que les parties ne se présentèrent pas à l’entretien, le juge de fond fixa l’audience préliminaire pour le 1er juillet 2009. Toujours le 19 juin 2009, la requérante déposa une demande écrite de transfert de l’examen de l’affaire auprès du tribunal de l’arrondissement Kaloujskiy de la ville de Kalouga au motif que ce dernier avait compétence territoriale pour en connaître, vu qu’au moment de l’introduction de l’instance elle était domiciliée chez ses parents à Kalouga.

43. Lors de l’audience du 1er juillet 2009, l’avocat de la requérante réitéra sa demande de transfert de l’affaire fondé sur la compétence territoriale. Par une ordonnance de la même date, le tribunal s’estima compétent et rejeta la demande.

44. Le 13 juillet 2009, la requérante introduisit, devant le tribunal de l’arrondissement Sovetskiy, une demande tendant au prononcé du divorce, au partage des biens des époux, et à ce que la résidence des enfants soit fixée chez elle et à ce que lui soient attribuée une pension alimentaire à la charge de M. A.

45. Par une ordonnance du 18 août 2009, le tribunal de l’arrondissement Sovetskiy suspendit l’examen de la demande de la requérante et l’invita à préciser ses prétentions quant à la désignation des biens susceptibles de partage et à leur valeur.

46. À une date non spécifiée en septembre 2009, la requérante modifia sa demande. Elle se désista de toutes ses prétentions, sauf celles concernant le prononcé du divorce et la résidence des enfants.

47. Le 14 octobre 2009, le tribunal suspendit l’examen de l’affaire dans l’attente du prononcé du jugement dans la procédure civile sur la question de la capacité d’exercice.

48. Le 20 novembre 2009, le tribunal reprit l’examen de l’affaire et fixa une audience au 10 décembre 2009.

49. Lors de l’audience du 10 décembre 2009, les parties demandèrent que l’examen de l’affaire soit ajourné afin qu’ils puissent envisager de résoudre l’affaire à l’amiable.

2. L’audience du 24 décembre 2009

50. Le 24 décembre 2009, le tribunal tint une nouvelle audience. Les parties exclurent la possibilité de régler l’affaire à l’amiable et sollicitèrent, chacune, le versement au dossier d’un certain nombre de documents.

51. M. A. demanda au tribunal de joindre au dossier le rapport d’experts du 15 juillet 2009 établi dans le cadre de la procédure civile en reconnaissance d’incapacité d’exercice. Il apparaît que ni la requérante ni son avocat ne s’y opposèrent.

52. La requérante présenta un avis d’une association indépendante de médecins psychiatres établi à la suite de l’examen qu’elle avait passé le 26 novembre 2009. Le rapport concluait ainsi :

« ... Nous estimons erronée la conclusion du rapport [du 15 juillet 2009] selon laquelle l’affection dépressive récurrente de [la requérante] peut représenter un danger pour son enfant. Cet aspect n’entrait pas dans l’examen précédant ledit rapport et cette conclusion n’est pas confirmée par des éléments objectifs ; les experts n’ont pas demandé à avoir des renseignements supplémentaires. De surcroît, les données objectives tendent vers la conclusion contraire. Les experts font référence à la tendance de [la requérante] à se traiter au moyen de médicaments psychotropes acquis par voie non officielle. Pourtant, il ressort des documents pertinents et des ordonnances médicales que [la requérante] faisait l’objet d’un suivi médical constant et a eu la médication prescrite. Elle comprend la nécessité d’être suivi par des psychiatres et, donc, elle a une conscience suffisante de son affection psychique. Ceci est important pour réagir face à des changements éventuels dans son état dans le futur. (Notons que si le premier épisode dépressif s’était produit quand elle avait seize ans, le second épisode a eu lieu huit ans plus tard pendant une période postnatale) ...

En 2008 [la requérante] a eu, dans le cadre de sa dépression récurrente, un épisode de dépression psychotique dont elle est complètement « sortie ». Actuellement [la patiente] est en état de rémission. Au vu de son état psychique, elle peut comparaître et témoigner devant le tribunal, ainsi que participer aux mesures d’instruction. Au vu de son état psychique [la requérante] ne représente pas de danger pour ses enfants et est en mesure de les éduquer. »

53. Le tribunal accepta les éléments produits par les parties.

54. La requérante demanda au tribunal de convoquer les auteurs de l’avis. Elle motiva cette demande par la nécessité de recueillir leurs explications au sujet de leur habilitation pour établir un avis médical ainsi qu’au sujet de sa maladie et de son pronostic d’évolution. Le tribunal rejeta cette demande au motif qu’il n’était pas nécessaire de convoquer ces personnes puisque la requérante était en mesure de fournir des documents pour confirmer l’habilitation des auteurs de l’avis.

55. Le tribunal ajourna l’audience, la requérante lui ayant demandé de convoquer des témoins qui pourraient selon elle exprimer leurs impressions quant à sa personnalité et à ses relations avec les enfants.

3. L’audience du 12 février 2010

56. Au cours de l’audience, la requérante demanda au tribunal à pouvoir verser au dossier des éléments supplémentaires. Entre autres, elle présenta le bilan d’un examen auprès de la commission médicale de l’hôpital psychiatrique de Kalouga en date du 20 janvier 2010. La commission était parvenue aux conclusions similaires à celles du rapport du 26 novembre 2009 de l’association indépendante de médecins psychiatres (paragraphe 52 ci-dessus). Le bilan concluait que :

« ...Nous notons que dans le rapport du 15 juillet 2009 les experts ont fait [de leur propre initiative] l’observation suivante : « l’affection [de la requérante] peut représenter un danger pour son enfant » ...

En 2008 [la requérante] a eu, dans le cadre de sa dépression récurrente, un épisode de dépression psychotique dont elle est complètement « sortie ». Actuellement [la patiente] est en état de rémission stable. Au vu de son état psychique, elle peut comparaître et témoigner devant le tribunal ainsi que participer aux mesures d’instruction. Au vu de son état psychique [la requérante] ne représente pas de danger pour ses enfants et est en mesure de les éduquer. »

57. La requérante demanda au tribunal d’ordonner une nouvelle expertise psychiatrique et psychologique à son égard au vu de la contrariété du rapport du 26 novembre 2009 et du bilan du 20 janvier 2010 avec le rapport d’experts du 15 juillet 2009.

58. Le juge rejeta sa demande au motif qu’il n’était pas nécessaire de procéder à une nouvelle expertise compte tenu des éléments du dossier déjà présentés par les parties. Le juge considéra également que cela aurait augmenté inutilement la durée de l’examen de l’affaire.

59. Le tribunal entendit plusieurs témoins convoqués par les parties.

60. Le témoin Cha., un des experts qui avait pris part à l’examen de la requérante du 15 juillet 2009, réitéra ses dépositions quant au déroulement de l’expertise. Il indiqua que les experts étaient habilités à exprimer leur opinion sur l’éventuel danger de la requérante à l’égard de ses enfants sans qu’une question spécifique à cet effet n’ait été posée par le tribunal. L’expert affirma qu’une dégradation de l’affection pouvait survenir à tout moment, même sans raison particulière, puisque cette affection était provoquée par des éléments intérieurs (et non pas extérieurs) liés à un dysfonctionnement cérébral au niveau moléculaire, ce qui n’est pas totalement guérissable.

61. Le témoin P., un des policiers qui avait procédé à la saisie de sédatifs en date du 20 avril 2009, confirma qu’ils avaient saisi sur la requérante une certaine quantité de médicaments dont un entrait dans la catégorie des stupéfiants. Il indiqua que ce médicament avait été acheté sur une fausse ordonnance émise par un médecin de l’hôpital psychiatrique de Kalouga. Aux dires du policier, lors de l’interrogatoire du 22 avril 2009 la requérante avait reconnu ses actions illégales et avait exprimé des pensées suicidaires.

62. Le tribunal examina une note écrite par la requérante lors de l’interrogatoire du 22 avril 2009. Dans cette note, elle explique qu’en novembre 2008 elle avait demandé à un médecin d’être suivie médicalement, mais d’une façon « officieuse ». Le médecin lui avait remis un sédatif puissant. En mars 2009 il lui avait remis des ordonnances, délivrées au nom d’une autre personne, pour des médicaments neuroleptiques (antipsychotiques). La tante de la requérante lui avait, également, procuré des médicaments.

63. À l’audience, la requérante contesta le témoignage du policier P.

64. Du côté de M. A. déposèrent sa mère et un de ses collègues. Selon la mère de M. A., la requérante, pendant qu’elle vivait dans leur appartement à Moscou, avait laissé une fois ses médicaments sans surveillance et ils avaient été avalés par son fils V. De plus, selon la mère de M.A., il y avait eu des antécédents liés à la consommation par la requérante de sédatifs puissants sans prescription médicale valable, en particulier en avril 2009.

65. En outre, le tribunal entendit les proches de la requérante, deux institutrices de l’école et un professeur de l’université dans lesquelles la requérante avait fait ses études, ainsi qu’une amie de la requérante. Les témoins exprimèrent leurs impressions positives quant à la personnalité de la requérante et ses relations avec les enfants.

4. Le jugement du 12 février 2010

66. Le 12 février 2010, le tribunal de l’arrondissement Sovetskiy de la ville de Briansk accueillit l’action de M. A., en prononçant le divorce et en fixant la résidence des enfants V. et M. chez M. A. Par le même jugement, le tribunal rejeta l’action reconventionnelle de la requérante.

67. Quant à la question de la résidence des enfants, le tribunal commença son raisonnement par un récapitulatif des divers témoignages concernant la personnalité de chacun des parents (paragraphes 61-65 ci‑dessus). Le tribunal résuma, entre autres, les témoignages portant sur l’antécédent lié à la consommation de sédatifs par la requérante en avril 2009 sans prescription médicale valable, ainsi que sur l’épisode d’intoxication de son fils par les médicaments qu’elle avait laissés sans surveillance.

68. Ensuite, le tribunal examina divers éléments de preuve relatifs aux conditions de vie de M. A. et de la requérante. Le tribunal prit note des rapports sur l’habitat respectif des parties, ainsi que de l’avis de la représentante des services sociaux de la ville de Briansk qui conseillait de fixer la résidence des enfants chez leur père, M.A. De plus, le tribunal prit note du fait que la requérante était au chômage, mais recherchait activement un emploi ; le père des enfants était, quant à lui, directeur général d’une entreprise privée.

69. Dans ses motifs, le tribunal se fonda sur les pièces du dossier concernant l’affection dépressive de la requérante. Le tribunal focalisa son raisonnement sur le rapport d’experts du 15 juillet 2009 et le témoignage de l’expert Cha., en accordant foi à la conclusion selon laquelle la requérante pourrait représenter un danger pour ses enfants. Il écarta le rapport du 26 novembre 2009 et le bilan du 20 janvier 2010 de la commission médicale en faisant valoir qu’aucun des avis y contenus ne niait la présence d’une affection dépressive récurrente chez la requérante. Le tribunal en déduisit que la rémission actuelle de la requérante n’excluait pas une récidive de la maladie dans le futur, ce qui, à son avis, était contre les intérêts des enfants. En outre, le tribunal nota que Mme P., de la commission médicale, avait fait une ordonnance pour la requérante, mais en la rédigeant au nom d’une autre personne, ce qui lui avait valu par la suite une sanction disciplinaire.

70. Le tribunal conclut que :

« ...La position de la Cour suprême de Russie est que l’avantage d’opulence d’un parent, en tant que tel, n’est pas une raison indiscutable pour instaurer la résidence d’un enfant avec ce parent ... La question de la résidence d’un enfant dont les parents habitent séparément doit être déterminée d’après l’intérêt de l’enfant ...

Dans la procédure civile sur la capacité d’exercice de [la requérante], il a été conclu qu’elle avait une affection dépressive ... Cette décision de justice s’impose au tribunal de céans, quant aux circonstances établies dans la procédure y relative (article 61 du code de procédure civile)...

Le rapport du 15 juillet 2009 conclut à la dangerosité de [la requérante] pour ses enfants compte tenu de l’affection dépressive récurrente ... Le rapport du 26 novembre 2009 et le bilan du 20 janvier 2010 de la commission médicale confirment la présence d’une affection dépressive récurrente, sans contredire le rapport du 15 juillet 2009 ... Selon le tribunal, il faut conclure des documents soumis par [la requérante] que – actuellement, dans l’état de rémission qui est le sien – elle ne représente pas un danger pour ses enfants ... Un des experts qui avait pris part au rapport du 15 juillet 2009 explique devant le tribunal qu’une dégradation de l’affection peut survenir à tout moment, même sans raison particulière, puisque cette affection était provoquée par des éléments intérieurs (et non pas extérieurs) liés à un dysfonctionnement cérébral au niveau moléculaire, ce dont on ne peut guérir tout à fait ...

Le tribunal rejette l’argument de [la requérante] selon lequel les experts auraient outrepassé leur mandat ... L’article 86 du code de procédure civile autorise un expert à exprimer son opinion sur toute question incidente liée aux circonstances de l’espèce, sans qu’une question spécifique à cet effet n’ait à être posée par le tribunal ...

Compte tenu de l’âge des enfants, l’éventuelle survenance d’une dégradation de l’affection de [la requérante] pourrait engendrer une menace pour la vie et la santé des enfants. Le fait que les parents [de la requérante] soient en mesure, selon les dires de l’intéressée, de prendre en charge les enfants si nécessaire, ne suffit pas à emporter la décision dans la présente affaire. Rien n’indique [en effet] que le travail du père ne lui permettrait pas de s’occuper des enfants ... »

5. L’appel contre le jugement du 12 février 2010

71. La requérante interjeta appel. Dans son mémoire elle souleva plusieurs moyens.

72. Premièrement, elle contesta l’admission comme preuve du rapport d’experts du 15 juillet 2009, vu ses défauts de procédure et de contenu. Plus particulièrement, elle réitéra ses doléances quant à l’impossibilité de formuler les questions aux experts et au refus des experts de prendre connaissance de son dossier médical établi par l’hôpital psychiatrique de Kalouga. Elle indiqua que les experts avaient outrepassé leurs pouvoirs en exprimant leur opinion sur sa dangerosité éventuelle en l’absence de question spécifique de la part du tribunal. La requérante fit valoir que cette opinion ne trouvait appui dans aucun des éléments soumis aux experts et n’avait pas non plus été un sujet particulier de l’examen. De plus, la requérante pointa le fait que selon la conclusion elle représentait un danger pour « l’enfant », alors qu’elle en avait deux. La conclusion était donc à ses yeux purement arbitraire et dénuée de fondement.

73. Deuxièmement, la requérante se plaignit que le jugement ne contenait pas de motifs de rejet ni même de référence à sa sollicitation faite à l’audience du 12 février 2010 dans laquelle elle demandait une nouvelle expertise psychologique et psychiatrique à son sujet au vu de la contrariété des rapports déjà versés au dossier.

74. Troisièmement, la requérante argua que la décision sur la résidence des enfants avait été prise sans vérification des possibilités pour M. A. de s’occuper d’eux quotidiennement vu qu’il travaillait à plein temps. En se référant au principe no 6 de la Déclaration des droits de l’enfant de l’ONU, la requérante avança que le tribunal avait omis d’établir des circonstances exceptionnelles nécessitant sa séparation d’avec les enfants.

75. Enfin, la requérante se plaignit que le tribunal n’avait pas pris en considération les dépositions des témoins quant au bon caractère de ses relations avec les enfants.

6. L’arrêt du 1er avril 2010

76. Par un arrêt du 1er avril 2010, la cour régionale de Briansk confirma le jugement attaqué.

77. Elle jugea que c’était à bon droit que le tribunal avait accepté le rapport d’experts du 15 juillet 2009 en tant que preuve et en avait inféré l’existence d’un danger potentiel pour la vie et santé des enfants de la requérante. La cour se rangea à l’avis que la présence de l’affection de dépression récurrente chez la requérante faisait courir à ses enfants un risque vital vu leur bas âge.

78. À l’instar du juge de première instance, la cour confirma l’équivalence des conditions de vie et de fortune des parents. Elle reprit également la conclusion du juge selon laquelle la requérante avait recouru à une consommation irrégulière de médicaments psychotropes et avait exprimé des pensées suicidaires.

7. L’exécution du jugement du 12 février 2010

79. La requérante s’adressa au tribunal de l’arrondissement Sovetskiy de la ville de Briansk avec une demande de sursis à l’exécution de son jugement du 12 février 2010 jusqu’à l’atteinte de l’âge de trois ans par sa fille M. La requérante motiva sa demande par la vulnérabilité de M., qui pourrait être traumatisée par le changement du domicile et du cercle habituel de relations. Elle présenta au tribunal un avis de psychothérapeute qui trouvait indésirable la séparation de M. d’avec la requérante, vu les particularités psychologiques du développement de l’enfant.

80. Par des ordonnances du 13 mai et du 23 novembre 2010, le tribunal rejeta ses demandes. Le 12 août 2010, la cour régionale de Briansk confirma l’ordonnance du 13 mai 2010 en appel.

81. Il ressort du dossier que la requérante ne se conforma pas au jugement, en refusant de remettre M. à son père. La requérante se vit régulièrement infliger une amende pour non-exécution de décision de justice. Par une ordonnance du 14 février 2011, le tribunal confirma les amendes. Le 12 avril 2011, la cour régionale confirma l’ordonnance en appel. Une ordonnance similaire a été prise en avril 2011 et la requérante a donc continué à se voir infliger des amendes pour la même raison.

82. Selon ses dires, la requérante se voit refuser un accès régulier à son fils V., qui habite chez son père. Les trop rares visites ou conversations téléphoniques ne permettent pas à la requérante de communiquer pleinement avec son fils aîné et de prendre sa part dans son éducation, ni de contrecarrer les efforts de son ex-mari pour dresser son fils contre elle.

83. En mars 2011 un huissier de justice signifia à la requérante une interdiction de quitter le territoire national, au motif de la non-exécution par elle du jugement du 12 février 2010. Apparemment, cette interdiction fut confirmée par les tribunaux nationaux.

C. Les informations complémentaires

84. Le 5 août 2010, une instruction pénale fut ouverte à l’égard de la requérante pour soupçon de voie de fait à l’encontre de M. A. Il ressort du dossier que l’instructeur ordonna une expertise psychiatrique de la requérante, mais que cette expertise n’eut pas lieu à cause de la non-comparution de la requérante.

85. Le 13 janvier 2011, la requérante donna une interview aux journalistes de la chaîne de télévision russe « NTV ». Le 16 janvier 2011, le reportage comportant cette interview fut diffusée par la chaîne dans la région de l’Extrême-Orient et fut programmé pour émission sur la partie européenne du pays. Néanmoins, la rediffusion n’eut pas lieu, prétendument à cause de la pression qu’auraient exercée des proches de M. A. sur le rédacteur de la chaîne de télévision.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Le code de la famille

86. Selon le code de la famille du 29 décembre 1995, les parents qui n’ont pas une résidence commune doivent déterminer d’un commun accord la résidence de l’enfant (article 65 du code). À défaut d’accord, le différend doit être tranché par le juge, compte tenu des intérêts et de l’opinion de l’enfant, ainsi que des éléments suivants : l’âge de l’enfant, son attachement à chaque parent et ses rapports avec lui, les qualités morales des parents ou autres éléments de leur personnalité respective, et les opportunités d’éducation et de développement qu’ils offrent respectivement à l’enfant (y compris la profession et les modalités de l’organisation des activités professionnelles du parent, ainsi que sa situation financière et familiale). Depuis mai 2011, la loi ouvre aussi à chacun des parents la possibilité de saisir, seul ou conjointement avec l’autre parent, le tribunal civil d’une demande de décision provisoire sur la résidence de l’enfant, en attendant le jugement au fond.

87. Le parent résidant séparément de l’enfant a le droit de communiquer avec lui, de prendre part à son éducation et d’être impliqué dans les questions relatives à son instruction (article 66). De son côté, le parent qui habite avec l’enfant ne doit pas empêcher cette communication, sauf si elle nuit à la santé psychique et physique de l’enfant ou à son développement moral. Depuis mai 2011, la loi dispose aussi qu’à défaut d’accord entre les parents, le juge civil est compétent pour connaître de toute demande concernant l’exercice provisoire de ses droits par le parent résident séparément de l’enfant, « avant le jugement définitif ». Si un jugement a été rendu et que l’autre parent manque gravement à son exécution, le juge peut délivrer une ordonnance fixant, compte tenu des intérêts de l’enfant et de son opinion, la résidence de l’enfant chez le parent qui résidait jusque-là séparément. En tout état de cause, celui-ci a droit à la communication des informations relatives à l’enfant de la part des établissements éducatifs ou médicaux, services sociaux ou autres. Un refus d’information peut être contesté devant un tribunal.

88. Selon la Cour constitutionnelle de Russie, les dispositions de l’article 66 du code n’ont pas pour vocation de restreindre le champ des droits parentaux du parent qui n’habite pas avec l’enfant (décision no 665‑O-O du 23 juin 2009).

89. L’existence d’un jugement définitif n’empêche pas, en la matière, une nouvelle procédure entre les mêmes parties et sur la même question à la suite d’un changement dans les circonstances – y compris les conditions relatives à l’éducation de l’enfant – sur lesquelles le jugement s’est fondé (analyse jurisprudentielle du 20 juillet 2011 par le présidium de la Cour suprême de Russie).

90. L’article 73 du code de la famille ouvre la possibilité d’une action en restriction de l’exercice des droits parentaux pour cause de dangerosité du parent pour son enfant – par exemple, dans le cas d’une affection psychiatrique du parent.

B. Le code de procédure civile

91. Selon l’article 79 du code de procédure civile, le tribunal est habilité à ordonner qu’une expertise soit effectuée lorsqu’il est nécessaire d’examiner des questions d’ordre scientifique, technique ou autre. Les parties à la procédure ont le droit de proposer leurs questions à soumettre à l’examen des experts. Le tribunal approuve la liste définitive de questions auxquelles les experts sont à répondre.

92. L’article 86 du code dispose que les experts sont habilités à émettre des conclusions sur tout aspect de l’affaire débordant du cadre des questions qui leur ont été adressées, si cela permet de mettre en évidence des circonstances qui sont importantes pour l’examen et l’issue de l’affaire.

EN DROIT

I. SUR L’OBJET DU LITIGE

93. A titre liminaire, la Cour relève que dans ces observations du 24 décembre 2011 en réponse aux observations du gouvernement défendeur, la requérante soulève plusieurs griefs, qui ne faisaient pas partie de sa requête communiquée au Gouvernement le 8 juin 2011. En particulier, elle se plaint de l’interdiction de quitter le territoire national qui lui a été imposée ainsi que d’autres mesures ou manquements de la part des autorités nationales en rapport, selon la requérante, avec la phase d’exécution du jugement du 12 février 2010.

94. Pour la Cour, ces nouveaux griefs ne peuvent pas passer pour des développements des griefs initiaux sur le terrain des articles 6 et 8 de la Convention ; par conséquent, il n’y a pas lieu, en l’espèce, de les considérer comme faisant partie de l’objet du présent litige (voir, dans le même sens, Kopylov c. Russie, no 3933/04, § 110, 29 juillet 2010, et Rafig Aliyev c. Azerbaïdjan, no 45875/06, §§ 69-70, 6 décembre 2011). Cela n’empêchait pas la requérante d’introduire une nouvelle requête devant la Cour à leur propos. Telle n’est cependant pas l’intention exprimée par elle dans ses observations du 24 décembre 2011.

95. De même, la Cour relève que dans sa requête introduite le 9 août 2010 la requérante souhaitait agir devant la Cour en son nom personnel. Il ressort de sa lettre du 3 février 2011 et de ses observations en date du 24 décembre 2011 qu’elle souhaite également agir devant la Cour en qualité de représentante légale de ses enfants mineurs. Compte tenu de la date d’introduction de la présente requête et de ce que cette dernière concerne essentiellement des faits relatifs au prononcé du jugement du 12 février 2010, devenu définitif le 1er avril 2010, la Cour constate que les écrits de la requérante des 3 février et 24 décembre 2011, faisant part de sa volonté d’agir devant la Cour au nom des enfants, ne satisfont pas à la condition du respect du délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 de la Convention. La requête est donc tardive de ce chef.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

96. Invoquant les articles 6, 8 et 13 de la Convention, la requérante se plaint que la procédure civile portant sur sa capacité d’exercice a été trop intrusive et, surtout, inéquitable. La Cour examinera ce grief sous l’angle de l’article 6 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Thèses des parties

1. La requérante

97. La requérante se plaint que la procédure civile portant sur sa capacité d’exercice n’a pas été équitable :

(a) Plus particulièrement, elle se plaint de l’absence de notification de la date de tenue de la première audience, qui l’a empêchée d’y comparaître et de participer à l’élaboration des questions aux experts, du caractère incomplet de la documentation médicale présentée aux experts par le tribunal, de la partialité des experts qui signèrent le rapport du 15 juillet 2009 et du caractère confus dudit rapport. Elle se plaint aussi d’avoir été privée d’un accès effectif à un tribunal en raison du non-examen de ses demandes du 23 juin 2009.

(b) De plus, la requérante estime que son droit à un tribunal a été atteint, car le refus de transférer l’instance devant l’un des tribunaux d’arrondissement de la ville de Kalouga lui a créé des difficultés supplémentaires dans la conduite de l’affaire, au vu de l’éloignement géographique. Elle se plaint que la tenue de l’audience du 28 octobre 2009 en l’absence de son avocat et le refus du juge de l’ajourner en raison de son mauvais état de santé personnel ont méconnu son droit à un procès équitable.

(c) Enfin, la requérante se plaint que le tribunal de première instance, lors de l’audience du 28 octobre 2009, ait joint au dossier de l’affaire un extrait de son dossier médical à l’hôpital psychiatrique de Kalouga, alors que l’avocat de M. A. l’aurait obtenu d’une manière illégale – à savoir, en violation du secret médical.

2. Le Gouvernement

98. Le Gouvernement affirme que les autorités nationales ont fait le nécessaire pour aviser la requérante de la date de l’audience du 3 juin 2009 (paragraphe 15 ci-dessus). L’objet de l’instance était limité à la question de la capacité d’exercice de la requérante ; son placement en hôpital psychiatrique n’était pas un enjeu de cette procédure. La requérante ne dément pas qu’à cette date, elle résidait à Kalouga et qu’elle n’a pas cherché à aviser le tribunal de son impossibilité de se rendre à l’audience ce jour-là, ni demandé d’ajournement. En même temps, la demande d’expertise psychiatrique en date du 3 juin 2009 était justifiée en l’espèce. Étant responsable de son absence à l’audience, la requérante ne saurait se plaindre de sa non-participation à l’élaboration des questions à poser aux experts ou à la désignation de l’établissement spécialisé en charge de l’expertise. En tout état de cause, la requérante n’a pas donné d’exemples de questions pertinentes qu’elle aurait voulu poser aux experts. En outre, elle avait la possibilité de poser des questions aux experts au cours de la suite de la procédure devant le tribunal, ce qu’elle a d’ailleurs fait.

99. De plus, concernant le refus de transférer l’instance devant un tribunal situé à Kalouga, ce refus était légal à tous points de vue ; ce refus était également bien motivé puisqu’au moment de l’introduction de l’instance, la requérante était enregistrée à Briansk, ce qui rendait le tribunal de l’arrondissement Sovetskiy de la ville de Briansk compétent pour connaître de l’affaire. La distance de 235 kilomètres entre ces deux villes (même si elles relèvent de régions distinctes) ne lui a pas créé de difficultés particulières pour défendre sa cause. Partant, son droit à un tribunal n’a pas été atteint. L’instance s’étant terminée par le rejet de la demande du mari et donc en faveur de la requérante, la tenue de l’audience du 28 octobre 2009 en l’absence (non justifiée) de son avocat et le refus du juge de l’ajourner en raison de son prétendu mauvais état de santé (pas davantage justifié par un certificat médical ou de quelque autre manière) n’ont porté aucune atteinte à son droit à un procès équitable.

100. Selon le Gouvernement, dans le contexte de l’article 6 § 1 de la Convention, les juridictions internes jouissent d’une certaine marge d’appréciation lorsqu’elles examinent une affaire concernant une personne qui souffre de troubles mentaux, pourvu qu’il ne soit pas porté atteinte à la substance même du droit de l’intéressé à un procès équitable. Ainsi, elles peuvent prendre les dispositions procédurales propres à assurer une bonne administration de la justice ou à protéger la santé de la personne concernée.

101. Enfin, la présentation d’un extrait du dossier médical de la requérante auprès de l’hôpital psychiatrique de Kalouga fut simplement demandée par le tribunal. De ce fait, elle n’était ni illégale ni contraire au principe du secret médical. De plus, le jugement du 28 octobre 2009 ne fait pas référence à ce dossier médical.

B. Appréciation de la Cour

102. En 2009, le mari de la requérante avait intenté deux procédures judiciaires à son encontre. La première visait à faire reconnaître la requérante incapable d’exercice, la seconde à faire prononcer le divorce et à obtenir la résidence des enfants avec lui. La première procédure a abouti au rejet de la demande du mari de la requérante. Pour sa part, le tribunal chargé de l’examen de la seconde affaire a estimé nécessaire de fixer la résidence des deux enfants chez l’ex-mari de la requérante.

103. Ainsi, la procédure civile concernant la capacité d’exercice de la requérante s’est terminée par le rejet de l’action qui avait été engagée à son encontre. Par conséquent, il y a lieu de se pencher sur la question de savoir si la requérante a bien la qualité de victime d’une violation de son droit au procès équitable, vu qu’aucun effet négatif ne paraît avoir découlé de ladite procédure (Godlevski c. Russie, no 14888/03, § 34, 23 octobre 2008).

104. La Cour rappelle que, pour pouvoir introduire une requête en vertu de l’article 34 de la Convention une personne physique, une organisation non gouvernementale ou un groupe de particuliers doit pouvoir se prétendre « victime d’une violation (...) des droits reconnus dans la Convention (...) ». Pour pouvoir se prétendre victime d’une violation, un individu doit avoir subi directement les effets de la mesure litigieuse (Burden c. Royaume-Uni [GC], no 13378/05, § 33, CEDH 2008). Ainsi, la Convention n’envisage pas la possibilité d’engager une actio popularis aux fins de l’interprétation des droits reconnus dans la Convention ; elle n’autorise pas non plus les particuliers à se plaindre d’une disposition de droit interne simplement parce qu’il leur semble, sans qu’ils en aient directement subi les effets, qu’elle enfreint la Convention (ibid.).

105. A cet égard, la Cour rappelle qu’il est de jurisprudence constante qu’en cas d’acquittement définitif ou d’annulation définitive d’une condamnation, le requérant ne peut pas être considéré comme « victime » d’éventuelles violations des droits garantis par l’article 6 de la Convention en rapport avec l’équité de la procédure (voir, parmi beaucoup d’autres, Bouglame c. Belgique (déc.), no 16147/08, 2 mars 2010). Or, la requérante ne pouvait obtenir une issue plus favorable de cette procédure civile, de sorte que les défauts dont la requérante l’estime entachée doivent être considérés comme n’ayant finalement pas nui à l’équité de la procédure. Dans ces circonstances, la Cour estime que les griefs de la requérante sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.

106. Cette conclusion n’empêche pas la Cour de prendre en considération ladite procédure civile en ce qu’elle peut être pertinente pour l’examen du grief de la requérante sous l’angle de l’article 8 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

107. La requérante se plaint de la fixation de la résidence des enfants chez son ex-époux. Elle se plaint que les tribunaux internes se soient appuyés principalement sur les conclusions du rapport d’experts du 15 juillet 2009. La Cour estime à titre liminaire que cet aspect de l’affaire, également soulevé au titre de l’article 6 de la Convention, doit être examiné à la lumière de l’article 8 de la Convention.

L’article 8 dispose :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ...

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Thèses des parties

1. La requérante

108. Comme dans ses observations sur le terrain de l’article 6 de la Convention (paragraphe 97 ci-dessus), la requérante plaide que les deux procédures civiles initiées par M.A étaient étroitement liées et visaient à la discréditer et à la priver de toute possibilité de prendre en charge ses enfants. La requérante réaffirme que le rapport du 15 juillet 2009 était illégal en raison de l’absence de notification de la date de tenue de la première audience, qui l’avait empêchée de participer à l’élaboration des questions aux experts, et en raison du caractère incomplet de la documentation présentée aux experts, ainsi que de la partialité des mêmes experts. La question de la dangerosité, actuelle ou éventuelle, de la requérante n’était pas au nombre des questions posées par le tribunal dans la première procédure. Donc, les experts avaient outrepassé leur mandat.

109. Pour ces raisons, le tribunal, dans la procédure de divorce, aurait dû écarter ce rapport. La requérante n’avait aucune possibilité utile de le contester elle-même. Les affirmations de l’expert Cha. sur l’origine de l’affection, l’éventualité de sa dégradation et l’existence d’un danger pour les enfants étaient sans fondement. La conclusion similaire du tribunal, sur laquelle était assise la décision en faveur de l’ex-mari de la requérante, n’était fondée sur aucun élément de preuve suffisant. Du reste, le rapport du 26 novembre 2009 présenté par la requérante démontrait avec force l’erreur substantielle du rapport du 15 juillet 2009. En plus, le bilan du 20 janvier 2010 confirmait la rémission stable de la requérante. Donc, le tribunal aurait dû autoriser une nouvelle expertise psychiatrique et/ou psychologique pour asseoir sa conclusion sur la dangerosité éventuelle de la requérante pour ses enfants. En tout état de cause, le tribunal n’a pas justifié l’existence d’une menace pour la vie et santé des enfants.

110. Le jugement du tribunal d’arrondissement serait par ailleurs illégal du fait de l’utilisation du rapport du 15 juillet 2009 et d’un extrait de son dossier médical auprès de l’hôpital psychiatrique, car l’avocat de M. A. l’aurait obtenu d’une manière illégale, violant le principe du secret médical. Tout cela justifie, selon la requérante, qu’elle se soit volontairement dérobée à l’exécution de la décision de justice fixant la résidence des enfants chez leur père, et rend par conséquent illégitimes ses condamnations subséquentes pour non-exécution d’une décision de justice.

2. Le Gouvernement

111. Dans le contexte de l’article 8 de la Convention, le Gouvernement rappelle que les juridictions internes jouissent d’une certaine marge d’appréciation lorsqu’elles examinent une affaire concernant une personne qui souffre de troubles mentaux. Concernant la résidence des enfants, le Gouvernement affirme que l’ingérence en question était proportionnée au but poursuivi. Les tribunaux internes se sont appuyés sur les conclusions du rapport d’experts du 15 juillet 2009 comme sur les rapports présentés par la requérante (notamment l’avis d’une association indépendante de médecins psychiatres et le bilan d’un examen devant la commission médicale de l’hôpital psychiatrique de Kalouga). Lesdits rapports ont conclu que la requérante avait eu, dans le cadre de sa dépression récurrente, un épisode de dépression psychotique, mais qu’au cours de l’instance elle était en état de rémission. Ainsi, la conclusion du tribunal au sujet de la dépression récurrente de la requérante était fondée sur ces nouveaux rapports d’experts, sans contredire celui du 15 juillet 2009. Le rapport en question n’était donc pas la seule preuve dans le cadre de la seconde procédure.

112. Selon le Gouvernement, la requérante a la possibilité de saisir la justice en vue de faire réexaminer le jugement du 12 février 2010 par lequel la résidence des enfants a été fixée chez son ex-mari (s’il y a découverte de faits importants qui étaient inconnus lors de l’examen de l’instance – voir l’article 392 du CCP). En outre, en cas de changement de circonstances la requérante peut intenter une nouvelle procédure pour demander à la justice de pencher à nouveau sur la question de la résidence des enfants.

B. Appréciation de la Cour

1. Sur la recevabilité

113. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

2 Sur le fond

114. À titre liminaire, la Cour estime utile de préciser que son examen sur le terrain de l’article 8 de la Convention se limitera aux seuls manquements dont elle se trouve saisie, à savoir ceux qui concernent le choix par les juridictions nationales du lieu de résidence des enfants de la requérante (voir aussi paragraphe 93 ci-dessus).

a) Principes généraux

115. Selon la jurisprudence constante de la Cour, pour rechercher si une ingérence était « nécessaire dans une société démocratique », il convient d’examiner, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, si les motifs invoqués pour justifier la mesure litigieuse étaient pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention et si le processus décisionnel, considéré comme un tout, a assuré au requérant (en l’occurrence, un parent) la protection requise de ses intérêts, compte tenu des circonstances propres à chaque affaire (Sommerfeld c. Allemagne [GC], no 31871/96, §§ 62, 66 et 68, CEDH 2003‑VIII (extraits)).

116. L’article 8 exige que les autorités nationales ménagent un juste équilibre entre les intérêts de l’enfant et ceux des parents et que, ce faisant, elles attachent une importance particulière à l’intérêt supérieur de l’enfant, qui, selon sa nature et sa gravité, peut l’emporter sur celui des parents. En particulier, l’article 8 ne saurait autoriser un parent à faire prendre des mesures préjudiciables à la santé et au développement de l’enfant (voir T.P. et K.M. c. Royaume-Uni [GC], no 28945/95, § 71, CEDH 2001‑V (extraits), et Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, no 31679/96, § 94, CEDH 2000‑I).

117. Il faut avoir à l’esprit que les autorités nationales bénéficient de rapports directs avec tous les intéressés. La Cour n’a donc point pour tâche de se substituer aux autorités internes pour réglementer les questions de garde et de visite ; toutefois il lui incombe d’apprécier sous l’angle de la Convention les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (Sommerfeld, § 62).

118. La marge d’appréciation laissée aux autorités nationales compétentes varie selon la nature des questions en litige et l’importance des intérêts en jeu. Dès lors, la Cour reconnaît que les autorités jouissent d’une grande latitude, en particulier en matière de droit de garde. Il faut en revanche exercer un contrôle plus rigoureux sur les restrictions supplémentaires, comme celles apportées par les autorités au droit de visite des parents, et sur les garanties juridiques destinées à assurer la protection effective du droit des parents et des enfants au respect de leur vie familiale. Ces restrictions supplémentaires comportent le risque d’amputer les relations familiales entre un jeune enfant et l’un de ses parents ou les deux (ibid., § 63).

b) Application des principes en l’espèce

119. Il ne prête pas à controverse que la fixation de la résidence des enfants chez son ex-mari s’analyse en une ingérence dans le droit au respect de la vie familiale de la requérante, même si elle évoque principalement la notion de la « vie privée ». En effet, pour un parent, continuer à vivre ensemble avec ses enfants est un élément fondamental qui relève à l’évidence de sa vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention, lequel est donc applicable en l’espèce (Hoffmann c. Autriche, 23 juin 1993, § 29, série A no 255‑C, et Koons c. Italie, no 68183/01, § 47, 30 septembre 2008). Il est à noter que le fils de la requérante habitait et demeure avec son père à Briansk, tandis que la fille cadette est restée avec sa mère, la requérante, à Kalouga, en dépit du jugement du 12 février 2010.

120. La « légalité » de la mesure n’est pas sérieusement contestée par la requérante. Selon l’article 65 du code de la famille, faute d’accord entre les parents, un tribunal doit déterminer la résidence de l’enfant. La Cour admet que l’ingérence visait à « la protection des droits d’autrui », plus particulièrement ceux des enfants mineurs. Reste à déterminer si une telle ingérence était proportionnée au but poursuivi, compte tenu des principes généraux applicables présentés aux paragraphes 115-118 ci-dessus.

121. À cet égard, il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit en l’occurrence d’une procédure civile qui a opposé deux parents légitimes et où les autorités nationales n’avaient pas d’autre choix que de trancher en faveur de l’un d’entre eux, puisqu’apparemment la résidence alternée n’est pas clairement envisageable en droit russe. En l’occurrence, les principes énoncés ci-dessus doivent être appliqués en ayant égard aux circonstances de l’affaire : les tribunaux internes devaient assurer la protection des intérêts de la requérante en tenant compte également de ceux de l’autre partie à la procédure, le père des enfants. Au surplus, l’examen de ce qui sert au mieux l’intérêt de l’enfant est d’une importance cruciale dans toute affaire de cette sorte.

122. Il y a encore un autre élément à prendre en considération en l’espèce. Certes, l’issue de la seconde procédure civile n’a affecté que la question la résidence des enfants et n’a pas fait perdre à la requérante l’exercice des droits parentaux à leur égard (voir en comparaison, Diamante et Pelliccioni c. Saint-Marin, no 32250/08, §§ 179-180, 27 septembre 2011, et A.K. c. Croatie, no 37956/11, § 60 et § 62, 8 janvier 2013). Toutefois, par la force des choses, la requérante a subi une restriction dans l’exercice quotidien desdits droits parentaux par rapport auxdits enfants, ceux-ci devant résider chez leur père à Briansk alors qu’elle-même, à l’issue de la procédure de divorce, résidait à Kalouga.

123. Tout d’abord, la Cour rappelle que, compte tenu de l’obligation de l’Etat d’assurer un processus décisionnel adéquat, inhérente à l’article 8 § 2, il y a lieu de déterminer si la requérante a eu le loisir de présenter tous les arguments en sa faveur lors de cette procédure (Elsholz c. Allemagne [GC], no 25735/94, § 52, CEDH 2000‑VIII).

124. Les tribunaux internes se sont principalement appuyés sur le rapport d’experts du 15 juillet 2009, qui était issu de la première procédure civile, pour régler la question de la résidence des enfants. La requérante affirme que ledit rapport était illégal du fait que l’audience du 3 juin 2009 dans la première procédure civile s’était tenue sans qu’elle eût été avisée de sa date. De plus, la question de sa dangerosité n’était pas au nombre des questions posées par le tribunal aux experts dans la première procédure. Donc, selon la requérante, les experts avaient outrepassé leur mandat. De plus, la requérante estime discutable le choix du tribunal de faire primer les conclusions du rapport du 15 juillet 2009 sur les conclusions du bilan de santé et de l’avis d’experts indépendants et qui, selon elle, concluaient l’un et l’autre à son absence de « dangerosité » pour ses enfants (paragraphes 52 et 56 ci-dessus).

125. La Cour relève que le 3 juin 2009, le tribunal tint une audience préliminaire dans la première affaire en l’absence de la requérante. Pendant l’audience, M. A. demanda au tribunal d’ordonner une expertise psychiatrique au sujet de la requérante. Le tribunal accueillit la demande et, par une ordonnance du 3 juin 2009, ordonna qu’une expertise soit effectuée par les médecins de l’hôpital psychiatrique de Briansk.

126. La requérante allègue qu’elle n’avait pas été dûment avisée de l’audience du 3 juin 2009. Selon le Gouvernement, la requérante fut bien avisée à son domicile à Kalouga le 29 mai 2009 et le 2 juin 2009 que le service postal avait un pli recommandé avec accusé de réception qui lui était destiné. Il ressort du dossier que cette convocation avait été expédiée à Kalouga le 27 mai 2009. Restée non réclamée, la convocation fut renvoyée par le service postal à l’expéditeur le 5 juin 2009.

127. Aux yeux de la Cour, la question se pose de savoir si le 3 juin 2009 le tribunal avait suffisamment de preuves pour conclure que la requérante avait été dûment avisée de l’audience préliminaire du 3 juin 2009 dans la première procédure civile.

128. Même à supposer établi que la requérante avait été dûment avisée de l’audience, il convient d’observer que la requérante émet, également, des doutes concernant l’objet et l’étendue des conclusions du rapport du 15 juillet 2009, qui était censé porter uniquement sur sa capacité d’exercice. À cet égard, les tribunaux nationaux ont considéré que les experts étaient habilités à exprimer leur opinion sur l’éventuelle dangerosité de la requérante à l’égard de ses enfants sans qu’une question spécifique à cet effet n’ait besoin d’être posée par le juge.

129. La Cour rappelle que c’est en principe aux juridictions nationales qu’il revient d’apprécier les éléments rassemblés par elles (Sommerfeld, § 71). Par ailleurs, la Convention ne réglemente pas le régime des preuves en tant que tel (Cottin c. Belgique, no 48386/99, § 30, 2 juin 2005). Il appartient aux juridictions internes d’apprécier la pertinence des éléments dont une partie souhaite la production (ibid.).

130. La Cour note que les parties avaient chacune sollicité le versement au dossier d’un certain nombre de documents. M. A. avait notamment demandé au tribunal de joindre au dossier le rapport d’experts du 15 juillet 2009. La requérante, pour sa part, a présenté l’avis d’une association indépendante de médecins psychiatres établi à la suite de son examen du 26 novembre 2009. Les auteurs de cet avis s’opposaient aux conclusions du rapport du 15 juillet 2009 selon lesquelles la dépression récurrente de la requérante pouvait représenter un danger pour ses enfants. Selon les auteurs de l’avis, cet aspect était étranger à l’examen précédant ledit rapport et cette conclusion n’était pas étayée par des éléments objectifs (paragraphe 52 ci‑dessus). Par la suite, la requérante a demandé et obtenu de pouvoir verser au dossier des éléments supplémentaires, comme le bilan de son examen devant la commission médicale de l’hôpital psychiatrique de Kalouga en date du 20 janvier 2010, dont les conclusions étaient similaires à celles de l’avis du 26 novembre 2009 de l’association indépendante de médecins psychiatres.

131. Le tribunal a joint au dossier les éléments produits par les parties et les a soumis à la discussion contradictoire. De plus, le tribunal a ajourné une audience à la demande de la requérante, qui souhaitait la convocation de témoins. Le tribunal a entendu plusieurs témoins cités par les parties, notamment l’un des experts qui avaient contribué au rapport du 15 juillet 2009, les proches de la requérante, deux institutrices de l’école et un professeur de l’université dans lesquelles elle avait fait ses études, ainsi qu’une amie de la requérante. Les témoins ont exprimé leurs impressions quant à la personnalité de la requérante et à ses relations avec les enfants.

132. Dans ses motifs, le tribunal d’arrondissement a accordé foi à la conclusion du rapport d’experts du 15 juillet 2009 selon laquelle la requérante pourrait représenter un danger pour ses enfants compte tenu du caractère récurrent de sa maladie. Il a écarté les conclusions inverses émises dans le rapport du 24 novembre 2009 et le bilan du 20 janvier 2010 en faisant valoir qu’aucun des avis y contenus ne niait la présence d’une affection dépressive récurrente chez la requérante. Le tribunal en a déduit que la rémission actuelle de la requérante n’excluait pas une récidive de la maladie dans le futur, élément qu’il a retenu comme venant à l’encontre de l’intérêt des enfants. Le tribunal a conclu que la dépression récurrente de la requérante faisait courir à ses enfants un risque vital vu leur bas âge. La cour régionale, à son tour, a jugé que c’était à bon droit que le tribunal avait accepté le rapport d’experts du 15 juillet 2009 en tant que preuve et en avait retenu l’existence d’un danger potentiel pour les enfants de la requérante.

133. La Cour ne doute pas de la pertinence des motifs relevés par les juridictions nationales. La Cour rappelle certes qu’il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle des autorités nationales compétentes quant aux mesures qui auraient dû être prises, car ces autorités sont en principe mieux placées pour procéder à une telle évaluation.

134. Cependant, aux yeux de la Cour, la question centrale qui se pose dans la présente affaire est de savoir si les juridictions nationales se sont livrées à un examen approfondi de l’ensemble de la situation familiale et des éléments pertinents, qu’ils soient d’ordre factuel, affectif, psychologique, matériel ou médical notamment, et si elles ont procédé à une appréciation équilibrée et raisonnable des intérêts respectifs de chacun.

135. Les questions médicales relatives à la maladie de la requérante ont revêtu, en l’espèce, une importance capitale pour l’issue de la procédure quant au lieu de résidence des enfants. Certes, le tribunal a examiné et pris en considération les autres éléments du dossier pour apprécier la personnalité de la requérante (paragraphes 67-68 ci-dessus). Néanmoins, ces éléments n’ont pas été déterminants dans la conclusion du tribunal quant à la question de la dangerosité de la requérante. Le tribunal s’est borné à récapituler le contenu des divers éléments du dossier sans procéder à leur analyse approfondie par rapport à cette question et, plus globalement, par rapport à l’enjeu de la procédure, à savoir la résidence des enfants.

136. La Cour observe que, compte tenu de leur nature, les questions qu’estimait devoir trancher le tribunal pour régler la question de la résidence des enfants pouvaient, en l’espèce, assez naturellement être considérées par celui-ci comme relevant du domaine de compétence des experts (voir en comparaison, dans le contexte de l’article 6 de la Convention, Cottin, § 31).

137. Cela dit, la Cour estime discutable le choix des tribunaux nationaux de trancher la question de la résidence des enfants en s’appuyant fortement sur le rapport d’experts du 15 juillet 2009 (voir, mutatis mutandis, S. c. Estonie, no 17779/08, § 45, 4 octobre 2011).

138. Premièrement, le rapport du 15 juillet 2009 était issu d’une autre procédure civile, qui concernait la capacité d’exercice de la requérante. Le tribunal avait formulé ainsi les questions aux experts :

« [...] [La requérante] est-elle atteinte d’une affection mentale ? [La requérante] peut-elle se rendre compte de ses actes et les contrôler ? [La requérante] peut-elle être convoquée au tribunal pour témoigner ? [...]».

139. Pour la Cour, l’objet et l’enjeu de cette procédure étaient étrangers à la question primordiale qui était posée dans la seconde procédure, à savoir qui, du père ou de la mère, devait prendre soin, au quotidien, de leurs enfants mineurs. Or, le tribunal a indiqué que la décision de justice dans la procédure civile sur la capacité d’exercice de la requérante s’imposait à lui quant aux circonstances y établies (en se référant à l’article 61 du code de procédure civile).

140. Dans la seconde procédure civile, le tribunal aurait dû établir si l’observation non sollicitée qui figurait dans le rapport du 15 juillet 2009 (« l’affection [de la requérante] peut représenter un danger pour son enfant ») avait un fondement factuel suffisant et vérifié et se rapportait à des données médicales précises. En effet, l’avis de l’association indépendante de médecins psychiatres établi à la suite de l’examen de la requérante en novembre 2009 pouvait être de nature à faire naître un doute à cet égard puisque, selon les auteurs dudit avis, la question de la dangerosité éventuelle de la requérante pour ses enfants n’entrait pas dans l’examen précédant le rapport du 15 juillet 2009 et l’énonciation susmentionnée n’était pas étayée par des éléments objectifs et suffisants. La Cour note que le tribunal a, par ailleurs, rejeté la demande de la requérante tendant à ce que soient entendus les auteurs dudit avis (paragraphe 54 ci-dessus).

141. Deuxièmement, la Cour n’est pas convaincue par l’approche retenue par les tribunaux nationaux selon laquelle la dangerosité, présentée en l’occurrence comme éventuelle, de la requérante pour ses enfants devait se déduire, pour l’essentiel, du caractère récurrent de sa maladie.

142. La Cour note que le jugement du 12 février 2010 n’explicite pas, d’une manière suffisante, le lien qui existerait entre l’aspect récurrent de l’affection dépressive de la requérante et un danger suffisamment grave qui pourrait en résulter pour autrui, par exemple ses enfants. Pour leur part, les experts qui avaient collaboré au rapport du 15 juillet 2009 ont conclu que l’affection dépressive récurrente de la requérante pouvait « représenter un danger pour son enfant » en s’attachant aux éléments suivants : le caractère purement formel du regard « critique » de la requérante envers son affection psychique, sa tendance à se traiter au moyen de médicaments psychotropes obtenus par des voies détournées, la présence structurelle chez elle d’épisodes dépressifs et d’idées délirantes d’auto-inculpation, de persécution et de culpabilité. Un des experts a affirmé devant le tribunal dans la seconde procédure qu’une dégradation de l’affection pouvait survenir à tout moment, même sans raison particulière, puisque cette affection était provoquée, aux dires de cet expert, par des éléments liés à un dysfonctionnement cérébral au niveau moléculaire, ce dont on ne peut guérir tout à fait. Toutefois, la Cour note que, selon le procès-verbal de l’audience, la question concernant les effets négatifs pour les enfants dans l’éventualité d’une dégradation de son affection dépressive n’a pas été approfondie.

143. La Cour note que le juge national était habilité à ordonner qu’une expertise soit effectuée s’il était nécessaire d’examiner des questions relevant d’un domaine particulier scientifique, technique ou autre (paragraphe 91 ci-dessus). La requérante a fait une demande motivée afin que soit ordonnée une nouvelle expertise psychiatrique et psychologique à son égard. Mais le juge a rejeté cette demande au motif qu’il n’était pas nécessaire de procéder à une nouvelle expertise, compte tenu des éléments figurant déjà au dossier. Le juge a considéré également que cela aurait augmenté inutilement la durée de l’examen de l’affaire.

144. La Cour considère que la demande de la requérante était justifiée. L’article 6 de la Convention prescrit assurément une certaine célérité des procédures judiciaires, mais il consacre aussi le principe, plus général, d’une bonne administration de la justice (Boddaert c. Belgique, 12 octobre 1992, § 39, série A no 235‑D). La question est de savoir si, dans les circonstances de la cause, le raisonnement des autorités se révèle compatible avec le juste équilibre à ménager entre les divers aspects de cette exigence fondamentale.

145. La Cour estime que l’examen effectué par le tribunal ne suffisait pas pour asseoir la conclusion concernant la dangerosité de la requérante pour la vie et la santé de ses enfants. La Cour rappelle que l’examen de ce qui sert au mieux l’intérêt de l’enfant est d’une importance cruciale. Pour satisfaire à cette exigence, les questions portant sur les conséquences négatives, et l’éventuel risque vital, de la résidence des enfants avec leur mère méritaient une attention soutenue, compte tenu, par exemple, de l’appréciation de la résidence continue de la fille avec sa mère ou du fait qu’aucune décision n’a été prise, en application de l’article 73 du code de la famille (paragraphe 90 ci-dessus) au motif de la prétendue dangerosité de la requérante, au sujet de l’exercice par elle de ses droits parentaux. Par ailleurs, c’est précisément à cette disposition légale que se rapportait la conclusion contestée du rapport du 15 juillet 2009.

146. Compte tenu de ce qui précède et de l’enjeu de la procédure, la Cour considère que la procédure suivie par les juridictions russes ne leur a pas permis de rassembler suffisamment d’éléments pour prendre une décision motivée sur la question de la résidence des enfants dans les circonstances de la cause. L’examen de l’affaire par les juridictions russes n’a pas été suffisamment approfondi.

147. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

IV. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

148. Invoquant l’article 2 de la Convention, la requérante se plaint de l’absence de protection adéquate de sa vie par les autorités compétentes, à cause des carences qui auraient entaché l’examen de l’affaire civile sur sa capacité d’exercice. Elle invoque à cet effet les irrégularités présumées dans la conduite de l’expertise du 15 juillet 2009 qui, selon elle, lui auraient fait courir le risque d’être placée dans un hôpital psychiatrique et, par conséquent, auraient mis sa vie en danger compte tenu du caractère « répressif » des méthodes de traitement héritées du passé soviétique du pays, et du risque d’être exposée à des essais cliniques de médicaments sur elle ou de faire l’objet d’une stérilisation forcée.

149. Enfin, invoquant l’article 10 de la Convention, la requérante se plaint aussi que le refus d’une chaîne de télévision de diffuser son interview, selon elle sous la pression des proches de M. A., constitue une violation de son droit à la liberté d’expression.

150. Au vu de l’ensemble des éléments en sa possession, dans la mesure où la Cour est compétente pour connaître des allégations formulées et à supposer même que ces griefs aient été dûment soulevés devant les juridictions nationales, la Cour ne constate aucune apparence de violation de la Convention. Il s’ensuit que ce volet de la requête doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement, conformément à l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.

V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

151. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

152. La requérante n’a présenté aucune demande de satisfaction équitable. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant aux griefs relatifs à la décision judiciaire de fixation de la résidence des enfants de la requérante et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit, par cinq voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 1er août 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenIsabelle Berro-Lefèvre
GreffierPrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges E. Steiner et M. Lazarova Trajkovska.

I.B.L.
S.N.

OPINION DISSIDENTE DES JUGES STEINER ET LAZAROVA TRAJKOVSKA

A notre regret, nous ne pouvons pas suivre la majorité dans cette affaire. Nous trouvons qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 8 de la Convention pour les raisons suivantes.

Nous considérons, avec la majorité, qu’il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit en l’occurrence d’une procédure civile qui a opposé deux parents légitimes et où les autorités nationales n’avaient pas d’autre choix que de trancher en faveur de l’un d’entre eux. Cependant, pour nous, il y a encore un autre élément à prendre en considération en l’espèce. L’issue de la seconde procédure civile a seulement déterminé la résidence des enfants et n’a pas fait perdre à la requérante l’exercice des droits parentaux à leur égard, de sorte que la portée de l’ingérence en l’espèce peut être qualifiée de relativement limitée (voir en comparaison, Diamante et Pelliccioni c. Saint‑Marin, no 32250/08, §§ 179-180, 27 septembre 2011, et A.K. c. Croatie, no 37956/11, § 60 et § 62, 8 janvier 2013). En effet, en droit russe, le parent résidant séparément de l’enfant a le droit de communiquer avec l’enfant, de prendre part à son éducation et d’être impliqué dans les questions relatives à son instruction. En cas de manquement grave à l’exécution du jugement de la part du parent chez lequel l’enfant réside, un juge peut, en prenant en compte les intérêts de l’enfant et l’avis de ce dernier (s’il échet), prendre une ordonnance transférant la résidence de celui-ci chez l’autre parent. Par ailleurs, le parent qui réside séparément de l’enfant a droit à se voir communiquer des informations relatives à celui-ci de la part des établissements éducatifs ou médicaux, services sociaux ou autres.

Concernant la procédure de divorce, qui est au centre de la présente affaire, les tribunaux internes se sont appuyés sur le rapport d’experts du 15 juillet 2009, qui était issu de la première procédure civile, pour régler la question de la résidence des enfants.

La requérante affirme que ledit rapport était illégal, du fait qu’elle n’avait pas été avisée de la date de tenue de l’audience du 3 juin 2009 dans la première procédure civile. De plus, la question de sa dangerosité n’était pas au nombre des questions posées par le tribunal dans cette première procédure. Donc, selon la requérante, les experts avaient outrepassé leur mandat.

En ce qui concerne l’objet et l’étendue des conclusions du rapport du 15 juillet 2009, nous rappelons que par son jugement du 28 octobre 2009 le tribunal d’arrondissement avait débouté M. A. de son action, en jugeant que la requérante était capable d’exercice. Il est à noter que dans les motifs du jugement, le tribunal a reproduit les conclusions des experts quant au danger éventuel que la requérante pouvait représenter pour ses enfants. Par son arrêt du 11 février 2010, la cour régionale a rejeté l’appel de la requérante. Elle a estimé que le tribunal de première instance avait à bon droit admis le rapport d’experts du 15 juillet 2009 en tant que preuve et que ni le déroulement de l’expertise ni les conclusions des experts n’avaient été entachés de défauts ou de contradictions. Lors de la procédure de divorce, un des experts qui avait contribué au dit rapport a confirmé ses dépositions quant au déroulement de l’expertise. Il a indiqué que les experts étaient habilités à exprimer leur opinion sur l’éventuelle dangerosité de la requérante à l’égard de ses enfants sans qu’une question spécifique à cet effet n’ait besoin d’être posée par le tribunal. Le tribunal a, par la suite, fait sien cet avis.

Même à supposer établi que la requérante n’avait pas été dûment avisée de l’audience préliminaire du 3 juin 2009 dans la première procédure civile, il convient d’observer que la requérante n’a pas donné d’exemples de questions pertinentes qu’elle aurait voulu soumettre aux experts. En outre, elle a eu la possibilité de poser des questions à l’expert au cours de l’examen de la première affaire, ce qu’elle a d’ailleurs fait. D’ailleurs, d’après les éléments du dossier qui sont en possession de notre Cour, il semblerait que, lors de la seconde procédure, la requérante ne se soit pas opposée à ce que le rapport en question soit versé au dossier. Cela étant, pour nous, cette abstention ne pourrait passer pour une renonciation de la requérante à ses droits procéduraux.

En tout état de cause, la requérante estime discutable le choix du tribunal de faire primer les conclusions du rapport du 15 juillet 2009 sur celles des deux avis d’experts indépendants qui, selon elle, concluaient l’un et l’autre à son absence de « dangerosité » pour ses enfants.

Comme le rappelle, à juste titre, la majorité, compte tenu de l’obligation de l’Etat d’assurer un processus décisionnel adéquat, inhérente à l’article 8 § 2, il y a lieu de déterminer si la requérante a eu le loisir de présenter tous les arguments en sa faveur lors de cette procédure.

Nous notons que les parties avaient chacune sollicité le versement au dossier d’un certain nombre de documents. M. A. avait notamment demandé au tribunal de joindre au dossier le rapport d’experts du 15 juillet 2009. La requérante, pour sa part, a présenté l’avis d’une association indépendante de médecins psychiatres établi à la suite de l’examen qu’elle avait passé le 26 novembre 2009. Les auteurs de cet avis s’opposaient aux conclusions du rapport du 15 juillet 2009 selon lesquelles la dépression récurrente de la requérante pouvait représenter un danger pour ses enfants. Selon les auteurs de l’avis, cet aspect n’entrait pas dans l’examen qui avait précédé ledit rapport et cette conclusion n’était pas étayée par des éléments objectifs (paragraphe 52 ci-dessus). Par la suite, la requérante a demandé et obtenu de pouvoir verser au dossier des éléments supplémentaires, comme le bilan de son examen devant la commission médicale de l’hôpital psychiatrique de Kalouga en date du 20 janvier 2010, dont les conclusions étaient similaires à celles de l’avis du 26 novembre 2009 de l’association indépendante de médecins psychiatres.

Le tribunal a joint au dossier les éléments produits par les parties et les a soumis à la discussion contradictoire. De plus, le tribunal a ajourné une audience à la demande de la requérante, qui souhaitait la convocation de témoins. Le tribunal a entendu plusieurs témoins cités par les parties. Entre autres, le tribunal a entendu l’un des experts qui avait contribué au rapport du 15 juillet 2009, les proches de la requérante, deux institutrices de l’école et un professeur de l’université dans lesquelles elle avait fait ses études, ainsi qu’une amie de la requérante. Les témoins ont exprimé leurs impressions quant à la personnalité de la requérante et à ses relations avec les enfants.

Nous rappelons que c’est en principe aux juridictions nationales qu’il revient d’apprécier les éléments rassemblés par elles (Sommerfeld, § 71). Par ailleurs, la Convention ne réglemente pas le régime des preuves en tant que tel (Cottin c. Belgique, no 48386/99, § 30, 2 juin 2005). Il appartient aux juridictions internes d’apprécier la pertinence des éléments dont une partie souhaite la production (ibid.).

Dans ses motifs, le tribunal d’arrondissement a accordé foi à la conclusion du rapport d’experts du 15 juillet 2009 selon laquelle la requérante pourrait représenter un danger pour ses enfants compte tenu du caractère récurrent de sa maladie. Il a écarté les conclusions inverses émises dans le rapport du 24 novembre 2009 et le bilan du 20 janvier 2010 en faisant valoir qu’aucun des avis y contenus ne niait la présence d’une affection dépressive récurrente chez la requérante. Le tribunal en a déduit que la rémission actuelle de la requérante n’excluait pas une récidive de la maladie dans le futur, élément qu’il a retenu comme venant à l’encontre de l’intérêt des enfants. La cour régionale, à son tour, a jugé que c’était à bon droit que le tribunal avait accepté le rapport d’experts du 15 juillet 2009 en tant que preuve et en avait retenu l’existence d’un danger potentiel pour les enfants de la requérante.

Dans ce contexte, nous considérons que le tribunal d’arrondissement ne saurait se voir reprocher d’avoir rejeté la demande de la requérante tendant à l’établissement d’une nouvelle expertise psychiatrique et psychologique à son égard au motif de la contrariété, selon elle, de l’avis du 26 novembre 2009 et du bilan du 20 janvier 2010 avec le rapport d’experts du 15 juillet 2009. Le tribunal a en effet justifié le rejet de cette demande par le fait qu’il n’était pas nécessaire de procéder à une nouvelle expertise, compte tenu des éléments du dossier déjà présentés par les parties.

Nous estimons que les questions auxquelles les experts étaient chargés de répondre ne se confondaient pas avec celles qu’estimait devoir trancher le tribunal pour se prononcer sur la question de la résidence des enfants (voir en comparaison, dans le contexte de l’article 6 de la Convention, Cottin, § 31).

En droit russe, tout en ensemble d’éléments étaient susceptibles de jouer un rôle, à savoir : l’âge de l’enfant, son attachement à chaque parent et ses rapports avec lui, les qualités morales des parents ou autres éléments de leur personnalité respective, et les opportunités d’éducation et de développement qu’ils offrent respectivement à l’enfant (y compris au regard de la profession et des modalités d’organisation des activités professionnelles du parent, ainsi que de sa situation financière et familiale).

De fait, la question de la dangerosité a, il est vrai, revêtu une certaine importance pour l’issue de la procédure concernant le lieu de résidence des enfants. Pour fixer, dans le contexte du divorce prononcé, la résidence des enfants V. et M. chez leur père, le tribunal d’arrondissement s’est fondé sur le rapport d’experts du 15 juillet 2009. Mais ce rapport litigieux n’a pas été le seul élément ayant déterminé la conclusion du tribunal quant à cette question de la dangerosité ou quant à la résidence des enfants. Le tribunal a également fait référence à l’antécédent lié à la consommation de sédatifs par la requérante en avril 2009 sans prescription médicale valable ainsi qu’à l’épisode rapporté d’intoxication de son fils par les médicaments qu’elle avait laissés sans surveillance. A l’instar du juge de première instance, la cour régionale s’est rangée à l’avis que la dépression récurrente de la requérante faisait courir à ses enfants un risque vital vu leur bas âge. Elle a repris également à son compte le constat du juge selon lequel la requérante avait recouru à une consommation irrégulière de médicaments psychotropes.

De plus, nous notons que les tribunaux ont également, pris en considération des éléments indépendants de la maladie de la requérante, à savoir les opportunités d’éducation et de développement offertes par chacun d’eux (paragraphes 61-68 ci-dessus).

Nous rappelons qu’il n’appartient pas à la Cour de substituer son appréciation à celle des autorités nationales compétentes quant aux mesures qui auraient dû être prises, car ces autorités sont en principe mieux placées pour procéder à une telle évaluation. Compte tenu de ce qui précède et de l’enjeu de la procédure, et estimant qu’en l’espèce les juridictions internes se sont appliquées, de bonne foi, à préserver le bien-être des enfants, nous n’apercevons pas de carences graves du processus décisionnel en l’espèce.

Enfin, il est à noter que la décision sur la résidence des enfants contenue dans le jugement du 12 février 2010 tel que confirmé par l’instance d’appel n’est pas irréversible, en ce sens que la requérante serait en mesure d’entamer une nouvelle procédure portant sur le même sujet ou concernant, par exemple, les modalités des visites (voir, a contrario, M.D. et autres c. Malte, no 64791/10, § 79, 17 juillet 2012). Il ressort de la jurisprudence de la Cour suprême de Russie (paragraphe 89 ci-dessus) qu’un recours était et demeure disponible et serait, apparemment, susceptible d’offrir à la requérante un nouvel examen de ses prétentions. En tout état de cause, la requérante ne présente aucun argument convaincant pour affirmer le contraire.

Eu égard à ce qui précède et à la marge d’appréciation de l’État défendeur, nous sommes convaincues que la procédure suivie par les juridictions russes a revêtu un caractère contradictoire et leur a permis de rassembler suffisamment d’éléments pour prendre une décision motivée sur la question de la résidence des enfants dans les circonstances de la cause (voir en comparaison, Diamante et Pelliccioni, précité, §§ 183-190). Nous considérons donc que les exigences procédurales inhérentes à l’article 8 de la Convention ont été respectées.


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-122972
Date de la décision : 01/08/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Partiellement irrecevable;Violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect de la vie familiale)

Parties
Demandeurs : ANTONYUK
Défendeurs : RUSSIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : ARKHIPOV E.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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