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30/07/2013 | CEDH | N°001-122974

CEDH | CEDH, AFFAIRE LOCHER ET AUTRES c. SUISSE, 2013, 001-122974


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE LOCHER ET AUTRES c. SUISSE

(Requête no 7539/06)

ARRÊT

STRASBOURG

30 juillet 2013

DÉFINITIF

30/10/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Locher et autres c. Suisse,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl

Karakaş,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE LOCHER ET AUTRES c. SUISSE

(Requête no 7539/06)

ARRÊT

STRASBOURG

30 juillet 2013

DÉFINITIF

30/10/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Locher et autres c. Suisse,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 juillet 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 7539/06) dirigée contre la Confédération suisse et dont quatre ressortissants suisses, M. Ludwig Locher et Mme Lia Locher-Doser ainsi que M. Hans Doser et Mme Maria-Josefa Doser-Stirnimann (« les requérants »), ont saisi la Cour le 14 février 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants sont représentés par Me Jean Lob, avocat à Lausanne. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») est représenté par son agent suppléant, M. A. Scheidegger, de l’unité Droit européen et protection internationale des droits de l’homme de l’Office fédéral de la Justice.

3. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignaient en particulier de n’avoir pas eu communication d’un écrit de leur commune produit dans le cadre d’un procès relatif à la construction d’une route, document qui constituait selon eux une pièce essentielle.

4. Le 22 avril 2008, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

5. Le 1er février 2011, les sections de la Cour ont été remaniées. La requête a été attribuée à la deuxième section (articles 25 § 1 et 52 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Les requérants, M. Ludwig Locher et Mme Lia Locher-Doser ainsi que M. Hans Doser et Mme Maria-Josefa Doser-Stirnimann, sont des ressortissants suisses nés respectivement en 1928, 1929 et 1930 (Hans Doser et Maria-Josefa Doser-Stirnimann) et résidant à Raron (canton du Valais).

7. Avec l’arrêté fédéral sur le réseau des routes nationales du 21 juin 1960, l’Assemblée fédérale suisse approuva la construction de la route nationale N9 (A9) de Vallorbe (frontière française) à Gondo (frontière italienne). En 1984, le conseil d’Etat du canton du Valais se prononça en faveur de la « variante nord », selon laquelle le tronçon de route situé entre le kilomètre 133.8 à Gampel-Steg et le kilomètre 140.7 à Viège ouest devait longer la ligne des chemins de fer fédéraux (CFF) dans la plaine du Rhône. Le 22 mai 1991, le Conseil fédéral approuva le projet général.

8. En mars 1994, les projets d’exécution de la construction furent publiés et déposés pour consultation par le public. Selon ces plans, la construction exigeait la mise à disposition, soit définitive soit de manière provisoire pendant les travaux de construction, d’une partie des parcelles dont les propriétaires étaient les requérants. Ceux-ci formèrent opposition et réclamèrent que soit choisie la « variante sud », selon laquelle la route nationale devait être tracée le long de la route cantonale existante entre Raron/Turtig et l’ouest de Viège, avec une route de contournement (rocade) à Turtig.

9. Le 11 février 2004, après que le projet d’exécution eut été modifié à plusieurs reprises et également réexaminé par plusieurs experts, le conseil d’Etat du canton du Valais rejeta l’opposition des requérants dans la mesure où elle était recevable.

10. Les requérants formèrent un recours auprès du tribunal cantonal du canton du Valais. Alléguant notamment plusieurs vices de procédure, ils exigèrent que leur soit accordée la consultation de certaines pièces et qu’une nouvelle expertise concernant la « variante sud » soit ordonnée.

11. Le tribunal cantonal ordonna un échange d’écritures. Il demanda aussi aux trois communes concernées par le projet de lui faire connaître leurs observations – Stellungnahme : (prise de) position. Le 30 juin 2004, les trois réponses recueillies furent transmises aux requérants, qui confirmèrent la bonne réception de celles-ci le 1er juillet 2004. La lettre du tribunal cantonal fit, entre autres, mention de la position exprimée (Stellungnahme) par la commune de Raron en date du 19 avril 2004.

12. Le tribunal cantonal rejeta le recours le 11 mars 2005, dans un jugement dûment motivé et fondé sur des expertises. Dans sa présentation des faits, il fit référence à une position exprimée par la commune de Raron en date du 28 mai 2004 (« Die Munizipalgemeinden Raron am 28. Mai 2004 und Visp [...] nahmen denselben Standpunkt ein. »). Il estima par ailleurs que les pièces dont la con­sultation avait été demandée n’étaient pas pertinentes, car elles concernaient des phases antérieures au projet d’exécution, qui ne pouvaient être remises en question à ce stade. De plus, il constata que les requérants avaient eux-mêmes admis avoir auparavant été mis en mesure de consulter le dossier dans son intégralité. Enfin, il renonça à ordonner une nouvelle expertise, au motif que les requérants n’avaient pas suffisamment expliqué quels points de l’expertise actuelle leur paraissaient entachés d’un vice et nécessitaient à leurs yeux un nouveau contrôle.

13. Les intéressés saisirent le Tribunal fédéral d’un recours de droit admi­nistratif.

14. Le 9 août 2005, le Tribunal fédéral confirma le jugement du tribunal cantonal, abstraction faite du point des frais et dépens, qu’il renvoya au tribunal cantonal. Il rejeta notamment le moyen tiré de l’inexactitude alléguée des motifs de fait en rapport avec la position de la commune du 28 mai 2004, dont les requérants n’avaient pas eu connaissance. Le Tribunal fédéral mentionna une prise de position du 28 mai 2004 (« Die Munizipalgemeinde Raron hat in ihrer Stellungnahme vom 28. Mai 2004 dargelegt, [...].), et, à un autre endroit du jugement, les positions du 19 avril et du 28 mai 2004 (« Allerdings wird im Schreiben des Kantonsgerichts die Stellung­nah­me der Gemeinde Raron vom 19. April 2004 und nicht (auch) jene vom 28. Mai 2004 erwähnt. »). Il estima que les requérants auraient pu, sur le fon­de­ment de la décision du tribunal cantonal, se rendre compte du fait que la transmission de la position du 28 mai 2004 avait probablement été omise par erreur (« Sollte Letztere den Beschwerdeführern aus Versehen nicht zugestellt worden sein, [...]. ») et demander à consulter le dossier à cet égard.

15. Par une décision du 26 août 2005, faisant suite au renvoi susmentionné, le tribunal cantonal du Valais renonça à prélever des frais de procédure et accorda à chaque requérant la somme de 800 francs suisses (CHF) au titre des dépens.

16. Le 11 novembre 2005, le Tribunal fédéral rejeta un nouveau recours de droit administratif.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

17. La disposition pertinente de la législation valaisanne se trouve dans la loi sur la procédure et la juridiction administratives du 6 octobre 1976 (Recueil systématique des lois valaisannes no 172.6), et est libellée comme suit :

Article 80 - Renvois

« 1. Les articles suivants sont applicables par analogie à la procédure de recours :

(...)

d) effets et instruction du recours : articles (...), 53 à 58. »

Article 54 – Audition de l’autorité de décision

« 1. Si le recours ne paraît pas manifestement irrecevable, l’autorité chargée de l’instruction transmet le mémoire de recours à l’autorité de décision pour lui permettre de formuler ses observations et l’invite à transmettre son dossier. Le cas échéant, elle donne connaissance du recours aux autres parties en leur fixant un délai pour présenter leur réponse.

2. Les réponses sont portées à la connaissance du recourant. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION sous l’angle de L’ÉGALITÉ DES ARMES

18. Les requérants se plaignent essentiellement d’un manque d’équité de la pro­cé­dure. Ils reprochent notamment au tribunal cantonal du Valais de ne pas leur avoir communiqué la prise de position de la commune de Raron du 28 mai 2004. Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). »

19. Le Gouvernement combat cette thèse.

A. Sur la recevabilité

20. La Cour constate que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a. Les requérants

21. Les requérants exposent que pour le tracé de la route nationale, la position de la commune de Raron avait une importance essentielle. Le tribunal cantonal du Valais avait requis la production de ce document et, pour rejeter le recours des requérants le 11 mars 2005, il en a également fait état. Selon cette position, la commune de Raron se serait expressément distanciée de la « variante sud ». Malgré cette importance, le Tribunal fédéral a écarté leur recours. Les requérants allèguent que si la position de la commune de Raron – à savoir les documents du 28 mai 2004 – leur avait été communiquée, ils auraient pu faire valoir qu’elle était nulle et de nul effet, faute d’avoir été approuvée à la majorité requise lors de l’assemblée générale des citoyens de la commune de Raron.

22. Les requérants soutiennent, à l’égard de l’affirmation du Gouvernement selon laquelle les extraits des procès-verbaux de deux séances du 16 décembre 2003 et du 6 avril 2004 du conseil municipal de la commune de Raron avaient été envoyés par le tribunal cantonal du Valais le 30 juin 2004 (voir paragraphe 24 ci-dessous), que ces extraits, en tout état de cause, « ne sauraient remplacer la position de la commune de Raron du 28 mai 2004 ». Dans son arrêt du 9 août 2005, le Tribunal fédéral a fait expressément état d’un écrit de la commune de Raron du 28 mai 2004 approuvant le projet du conseil d’Etat. Selon les requérants, cet écrit était essentiel et ne pouvait valablement être remplacé par des extraits des procès-verbaux de deux séances du conseil municipal.

23. Les requérants se plaignent qu’ils avaient tout lieu de penser qu’on leur avait communiqué toutes les pièces essentielles. Ils ne pouvaient pas imaginer que l’on s’était abstenu de leur transmettre copie d’une pièce déterminante. Que cette omission ait été intentionnelle ou non, les requérants l’estiment contraire aux principes d’un procès équitable et y voient ainsi une violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

b. Le Gouvernement

24. Le Gouvernement rétorque que l’envoi du tribunal cantonal du Valais du 30 juin 2004 contenait non seulement les positions des trois communes concernées par le projet de construction, mais aussi les extraits des procès-verbaux des séances du 16 décembre 2003 et du 6 avril 2004 du conseil municipal de la commune de Raron. Les procès-verbaux avaient été signés par le conseil municipal avec la mention « pour copie conforme » (« für getreue Abschrift ») en date du 28 mai 2004.

25. Le Gouvernement fait remarquer que dans son arrêt du 11 mars 2005, le tribunal cantonal du Valais mentionne une position de la commune de Raron du 28 mai 2004, mais se borne à résumer à ce propos les extraits des deux procès-verbaux. Ainsi, dans toute la mesure où cet arrêt et celui du Tribunal fédéral du 9 août 2004 font état d’une position de la commune de Raron du 28 mai 2004, ils doivent se comprendre comme faisant simplement référence aux extraits des procès-verbaux envoyés aux requérants le 30 juin 2004.

26. Partant, le Gouvernement suggère qu’il n’y avait aucune autre prise de position de la commune de Raron en dehors de celle du 19 avril 2004 et des procès-verbaux susmentionnés.

2. Appréciation de la Cour

27. La Cour rappelle que les garanties relatives à un procès équitable impliquent en principe le droit, pour les parties au procès, de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge et de la discuter (Joos c. Suisse, no 43245/07, § 27, 15 novembre 2012 ; Ellès et autres c. Suisse, no 12573/06, § 25, 16 décembre 2010 ; Göç c. Turquie [GC], no 36590/97, § 55, CEDH 2002‑V ; Lobo Machado c. Portugal, arrêt du 20 février 1996, Recueil 1996‑I, pp. 206-207, § 31).

28. Dans plusieurs affaires concernant la Suisse, la Cour a constaté une violation de l’article 6 § 1 au motif que le requérant n’avait pas été invité à s’exprimer sur les observations d’une autorité judiciaire inférieure, d’une autorité administrative ou de la partie adverse (voir les arrêts Nideröst-Huber c. Suisse, 18 février 1997, § 24, Recueil des arrêts et décisions 1997‑I ; F.R. c. Suisse, no 37292/97, § 36, 28 juin 2001 ; Ziegler c. Suisse, no 33499/96, § 33, 21 février 2002 ; Contardi c. Suisse, no 7020/02, § 40, 12 juillet 2005 ; Spang c. Suisse, no 45228/99, § 28, 11 octobre 2005 ; Ressegatti c. Suisse, no 17671/02, § 30, 13 juillet 2006 ; Kessler c. Suisse, no 10577/04, § 29, 26 juillet 2007 ; Ellès et autres c. Suisse, précité, § 29).

29. Dans ces affaires, la Cour a déclaré que l’effet réel des observations importe peu et que les parties à un litige doivent avoir la possibilité d’indiquer si elles estiment qu’un document appelle des commentaires de leur part. Il y va notamment de la confiance des justiciables dans le fonctionne­ment de la justice : celle-ci se nourrit, entre autres, de l’assurance d’avoir pu s’exprimer sur toute pièce du dossier (voir, à titre d’exemple, Ziegler, précité, § 38).

30. Force est de constater qu’en l’espèce les versions des parties divergent de manière manifeste quant aux faits. Il ressort du dossier que la seule expression de position proprement dite de la commune de Raron date du 19 avril 2004 et qu’elle ne fait pas expressément mention – ni dans le texte, ni dans les pièces jointes – des extraits des procès-verbaux des séances du 16 décembre 2003 et du 6 avril 2004 de son conseil municipal. Partant, rien n’indique l’existence d’une seconde position de cette commune.

31. Pourtant, dans son arrêt du 11 mars 2005, le tribunal cantonal du canton du Valais avait bien fait référence à une position de la commune de Raron du 28 mai 2004. De même, le Tribunal fédéral a mentionné dans son jugement du 9 août 2005 une position du 28 mai 2004, et, à un autre endroit du jugement, les positions du 19 avril et du 28 mai 2004. Et précisément, le Tribunal fédéral n’a pas exclu l’hypothèse que, par mégarde, cette seconde position n’ait pas été envoyée aux requérants.

32. Comme le gouvernement suisse le soutient, probablement à juste titre, l’absence de certitude des parties et des tribunaux quant à l’existence d’une ou de deux prises de position de la commune de Raron tient vraisemblablement au fait que la date du 28 mai 2004 était celle à laquelle les extraits des procès-verbaux des séances susmentionnées avaient été signés avec la mention « pour copie conforme » (« für getreue Abschrift »). Pour autant, cela n’explique pas pourquoi les tribunaux suisses font mention d’une position du 28 mai 2004.

33. La Cour considère que le respect du droit à un procès équitable, plus particulièrement le principe de l’égalité des armes, garanti par l’article 6 § 1, exigeait que les requérants eussent la faculté de prendre au moins connaissance des extraits des procès-verbaux des séances du 16 décembre 2003 et du 6 avril 2004 du conseil municipal de la commune de Raron, et, s’ils l’estimaient opportun, de soumettre leurs commentaires (voir aussi Ressegatti, précité, § 33). Le Gouvernement n’a pas apporté la preuve que cette possibilité leur a été donnée.

34. La Cour rappelle que le Tribunal fédéral a estimé que les requérants auraient pu se rendre compte de l’erreur commise ou demander l’autorisation de consulter le dossier. La Cour observe que les requérants étaient représentés par un avocat devant les instances internes, mais rappelle néanmoins qu’elle a, dans des circonstances certes différentes de celles de l’espèce, posé le principe selon lequel il appartient aux Etats contractants d’organiser leurs services et de former leurs agents de manière à leur permettre de répondre aux exigences de la Convention (voir, mutatis mutandis, Stoll c. Suisse [GC], no 69698/01, § 142, CEDH 2007‑V ; Dammann c. Suisse, no 77551/01, § 55, 25 avril 2006 ; Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 183, CEDH 2006‑V ; Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, § 22, CEDH 1999‑V). Dès lors, la Cour estime que le fait que les requérants auraient pu constater, sur la base de la lecture de l’arrêt du tribunal cantonal du Valais, qu’il existait apparemment une seconde expression de position de leur commune, datée du 28 mai 2004, ne dégage nullement les autorités internes de leurs obligations découlant de la Convention, même si les agents responsables de la non-transmission des documents ont agi de bonne foi.

35. Compte tenu de ce qui précède, surtout au vu des incertitudes et imprécisions sur les circonstances, ces éléments suffisent à la Cour pour con­clure que l’article 6 § 1 de la Convention a été violé en l’espèce.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

A. Durée de la procédure

36. Les requérants allèguent également que la durée de la procédure devant le tribunal cantonal du canton du Valais a été excessive, invoquant toujours l’article 6 § 1 de la Convention.

Sur la recevabilité

37. La Cour rappelle qu’il n’est pas nécessaire que le droit consacré par la Convention ait été explicitement invoqué dans la procédure interne, pour autant que le grief ait été soulevé « au moins en substance » (Castells c. Espagne, 23 avril 1992, § 32, série A no 236 ; Ahmet Sadık c. Grèce, 15 novembre 1996, § 33, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V ; Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 38, CEDH 1999‑I ; Azinas c. Chypre [GC], no 56679/00, §§ 40-41, CEDH 2004‑III). Cela signifie que, si le requérant n’a pas invoqué les dispositions de la Convention, il doit avoir soulevé des moyens d’effet équivalent ou similaire fondés sur le droit interne, afin d’avoir donné l’occasion aux juridictions nationales de remédier en premier lieu à la violation alléguée (Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, §§ 142, 144 et 146, CEDH 2010 ; Karapanagiotou et autres c. Grèce, no 1571/08, § 29, 28 octobre 2010).

38. En l’espèce, dans la mesure où les requérants se plaignent de la durée de la procédure devant le tribunal cantonal du canton du Valais, il n’apparaît pas que ce grief ait été soulevé, au moins en substance et de manière compréhensible, devant le Tribunal fédéral.

39. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

B. Dépens

40. Enfin, les requérants se plaignent du montant des dépens accordés dans l’arrêt du 26 août 2005 par le tribunal cantonal du Valais. La Cour rappelle que l’article 6 de la Convention ne garantit en principe pas le droit de se voir rembourser par l’Etat, au titre des dépens, les frais d’avocats exposés. Elle réitère que la question du caractère approprié des dédommagements (pécuniaires ou non) accordés par les tribunaux nationaux ne soulève pas de problèmes sous l’angle de l’article 6 de la Convention, dès lors que ces juridictions ne se sont pas prononcées de manière arbitraire ou totale­ment déraisonnable (Živulinskas c. Lituanie, no 34096/02, 12 décem­bre 2006 (déc.)).

41. Force est de constater en premier lieu que les requérants n’avaient pas formulé de demande d’assistance judiciaire gratuite. En l’espèce, le tribunal cantonal du Valais s’est fondé sur la législation fédérale pertinente, laquelle ne prévoyait à l’égard des frais extrajudiciaires occasionnés par les procédures d’opposition que l’octroi d’une « indemnité convenable ». Ainsi, le tribunal cantonal a pu constater que la loi n’exigeait pas une indemnisation complète des frais d’avocat des requérants. Par conséquent, et sans être par ailleurs lié par les tarifs cantonaux ou autres pratiques de la profession, le tribunal a calculé et déterminé les dépens en fonction des prestations effectivement fournies par l’avocat, de l’ampleur et de la difficulté de la cause, en bénéficiant assurément d’une marge d’appréciation considérable. Comme le souligne le Tribunal fédéral dans son arrêt du 11 novembre 2005, le tribunal cantonal du Valais aurait même pu renoncer à toute allocation de dépens, étant donné que les conclusions des requérants ont été rejetées dans leur intégralité. Tout cela étant loin d’être arbitraire ou totalement déraisonnable, il s’ensuit que l’article 6 de la Convention n’a pas été violé en l’espèce.

42. Partant, le grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

43. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

44. Les requérants n’ont formulé aucune demande au titre d’un dommage matériel ou moral.

45. Partant, il n’y a pas lieu de leur octroyer de somme à ce titre.

B. Frais et dépens

46. Les requérants demandent, notes d’honoraires et factures de frais de justice à l’appui, 30 000 francs suisses (CHF), soit environ 24 681 euros (EUR) pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour.

47. Le Gouvernement s’oppose à cette demande. Il fait valoir qu’un seul des griefs allégués par les requérants a été retenu par la Cour, à savoir celui d’une non-communication de la position de la commune de Raron du 28 mai 2004. Seuls les frais et dépens encourus pour faire constater cette violation-là, soit ceux postérieurs à l’arrêt du tribunal cantonal du Valais du 11 mars 2005, devraient ainsi être pris en compte. En outre, l’invocation de cette violation auprès des instances nationales et de la Cour ne représente qu’une fraction du travail correspondant aux factures présentées. Partant, en tenant compte des montants alloués par la Cour dans d’autres affaires suisses dont la complexité était comparable, le Gouvernement estime qu’un montant de 4 500 CHF, soit environ 3 702 EUR, au titre des dépens serait équitable.

48. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000‑XI). En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession ainsi que de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 7 000 EUR, soit environ 8 509 CHF, tous frais confondus et l’accorde aux quatre requé­rants conjointement, accrue de tout montant pouvant être dû par eux à titre d’impôt.

C. Intérêts moratoires

49. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention sous l’angle de l’égalité des armes et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention sous l’angle de l’égalité des armes ;

3. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 7 000 EUR (sept mille euros) à M. Ludwig Locher, Mme Lia Locher-Doser, M. Hans Doser et Mme Maria-Josefa Doser‑Stirnimann conjointement, pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir en francs suisses au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 juillet 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithGuido Raimondi
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-122974
Date de la décision : 30/07/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure civile;Article 6-1 - Procès équitable;Egalité des armes)

Parties
Demandeurs : LOCHER ET AUTRES
Défendeurs : SUISSE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : LOB J.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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