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02/07/2013 | CEDH | N°001-121953

CEDH | CEDH, AFFAIRE UÇAN ET AUTRES c. TURQUIE, 2013, 001-121953


DEUXIEME SECTION

AFFAIRE UÇAN ET AUTRES c. TURQUIE

(Requête no 37377/05)

ARRÊT

STRASBOURG

2 juillet 2013

DÉFINITIF

02/10/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Uçan et autres c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl K

arakaş,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 ...

DEUXIEME SECTION

AFFAIRE UÇAN ET AUTRES c. TURQUIE

(Requête no 37377/05)

ARRÊT

STRASBOURG

2 juillet 2013

DÉFINITIF

02/10/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Uçan et autres c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 juin 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 37377/05) dirigée contre la République de Turquie et dont six ressortissants de cet Etat, MM. Şevket Uçan, İbrahim Doğan, Oktay Petek, Erol Korkulu, Aziz Doğan et Metin Doğan (« les requérants »), ont saisi la Cour le 21 septembre 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants sont représentés par Mes Y. et M. Filorinalı, avocats à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

3. Le 17 novembre 2009, la requête a été déclarée partiellement irrecevable et les griefs de MM. Metin Doğan et Aziz Doğan tirés de la durée de leur détention et de l’absence de recours effectif pour obtenir réparation de la détention subie (article 5 §§ 3 et 5) et celui de tous les requérants tiré de la durée de la procédure pénale engagée à leur encontre (article 6 § 1) ont été communiqués au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Les requérants sont nés respectivement en 1961, 1955, 1976, 1974, 1962 et 1957 et résident à Istanbul.

5. Dans le cadre d’une opération menée contre une organisation illégale armée, le « Parti/Front révolutionnaire de libération du peuple » (Devrimci Halk Kurtuluş Partisi/Cephesi – DHKP/C) M. Aziz Doğan fut arrêté et mis en garde à vue le 12 avril 1996 et placé en détention provisoire le 16 avril 1996. Quant à MM. İbrahim Doğan, Şevket Uçan, Erol Korkulu, Oktay Petek et Metin Doğan, ils furent respectivement arrêtés et mis en garde à vue les 20, 21, 22, 25 et 27 août 1996 et placés en détention provisoire le 3 septembre 1996.

6. Par un acte d’accusation du 6 décembre 1996, une action publique fut diligentée à l’encontre des requérants et vingt-quatre autres personnes pour appartenance à une organisation illégale armée au sein de laquelle ils auraient été responsables de missions spécifiques, pour avoir porté aide et assistance à cette organisation et pour avoir lancé des explosifs dans des lieux résidentiels.

7. La cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul ordonna la mise en liberté provisoire de Şevket Uçan le 10 mars 1997, d’İbrahim Doğan et Metin Doğan le 26 mai 1997, d’Erol Korkulu et Oktay Petek le 18 février 1998, et de M. Aziz Doğan le 10 septembre 1999.

8. Toutefois, le 30 juillet 2001, la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul délivra un mandat d’arrêt pour défaut de comparution contre plusieurs accusés, y compris MM. Erol Korkulu et Oktay Petek. En ce qui concerne ces deux accusés, ledit mandat n’a pu être exécuté à ce jour.

9. MM. Aziz Doğan et Metin Doğan furent à nouveau placés en détention provisoire respectivement les 10 et 20 août 2001 puis libérés le 23 mars 2005.

10. Le 20 mai 2002, la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul condamna les requérants à différentes peines privatives de liberté. Toutefois, cet arrêt fit l’objet d’un pourvoi et, le 30 septembre 2003, la Cour de cassation l’infirma.

11. La loi no 5190, adoptée le 16 juin 2004, supprima les cours de sûreté de l’État du système judiciaire turc, et les affaires qui relevaient de leur compétence revinrent aux cours d’assises. Le 21 octobre 2009, la cour d’assises d’Istanbul condamna MM. Aziz Doğan, Ibrahim Doğan et Metin Doğan à des peines privatives de liberté comprises entre huit ans et neuf mois pour la plus faible et onze ans et trois mois pour la plus lourde. Elle déclara la procédure close pour cause de prescription à l’égard de M. Şevket Uçan et disjoignit les dossiers de MM. Erol Korkulu et Oktay Petek, qui étaient toujours en fuite le jour de l’arrêt.

12. Par un arrêt rendu le 27 février 2012, la Cour de cassation décida de mettre fin à la procédure diligentée contre Ibrahim Doğan et Metin Doğan pour prescription, et de confirmer l’arrêt de la cour d’assises en ce qui concerne Aziz Doğan.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNE PERTINENT

13. En droit turc, la détention provisoire est régie par les articles 100 et suivants du code de procédure pénale (« CPP »), entré en vigueur le 1er juin 2005.

14. Selon l’article 100 de ce code, la mise en détention provisoire d’une personne n’est possible que s’il existe de forts soupçons que la personne concernée ait commis l’infraction reprochée et s’il existe un motif de détention, à savoir un risque de fuite ou bien un risque d’altération des preuves ou de pression sur les témoins et victimes. Cela étant, pour certains délits particulièrement graves parmi lesquels figure celui reproché aux requérants, l’article 100 § 3 de ce code indique que l’on peut présumer l’existence des motifs de détention susmentionnés lorsqu’il existe des raisons plausibles de soupçonner l’intéressé d’avoir commis l’infraction.

15. L’article 141 du code de procédure pénale prévoit la possibilité pour un justiciable de demander réparation du préjudice découlant de l’application d’une mesure préventive à son égard. Cette disposition a repris celle de la loi no 466 du 7 mai 1964 (abrogée) sur l’octroi d’indemnités aux personnes illégalement arrêtées ou détenues. L’article 141 § 1 d) du code de procédure pénale ajoute une nouveauté par rapport à la loi no 466 : la possibilité pour les personnes jugées en détention provisoire et n’ayant pas obtenu un jugement dans un délai raisonnable de demander la réparation de leur préjudice.

16. L’article 141 § 1 d) se traduit comme suit :

« 1) Dans le cadre d’une enquête ou d’un procès relatifs à une infraction, les personnes qui :

(...)

d) même régulièrement placées en détention provisoire au cours de l’enquête ou du procès, ne sont pas traduites dans un délai raisonnable devant l’autorité de jugement et concernant lesquelles une décision sur le fond n’est pas rendue dans ce même délai,

(...)

peuvent demander à l’État l’indemnisation de tous leurs préjudices matériels et moraux. »

17. L’article 142 § 1 du code de procédure pénale, relatif aux conditions de la demande d’indemnisation, se lit comme suit :

« La demande d’indemnisation peut être demandée dans les trois mois suivant la notification à l’intéressé que la décision ou le jugement est devenu définitif et dans tous les cas de figure dans l’année suivant la date à laquelle la décision ou le jugement est devenu définitif. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 §§ 3 ET 5 DE LA CONVENTION

18. MM. Aziz Doğan et Metin Doğan contestent la durée excessive de leur détention provisoire. Ils se plaignent également de l’absence d’un recours qui leur aurait permis de demander réparation.

19. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, relevant que les requérants n’ont à aucun moment soulevé, même en substance, leurs doléances découlant de la durée de leur détention devant les instances nationales. D’après le Gouvernement, les intéressés auraient dû, en outre, déposer un recours en indemnisation devant les juridictions internes conformément aux articles 141 et 142 du code de procédure pénale, qui prévoient l’octroi d’indemnités aux personnes illégalement arrêtées ou injustement détenues. Enfin, le Gouvernement soutient que la détention des requérants était légale et que pour cette raison les griefs des requérants sont manifestement mal fondés.

20. Les requérants contestent la thèse du Gouvernement.

21. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. La finalité de cette règle est de ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que la Cour n’en soit saisie (voir, parmi d’autres, Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, § 15, CEDH 2002‑VIII, Simons c. Belgique (déc.), no 71407/10, § 23, 28 août 2012 et plus récemment Şefik Demir c. Turquie, no 51770/07, § 20, 16 octobre 2012).

22. L’article 35 § 1 de la Convention ne prescrit cependant que l’épuisement des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Un recours est effectif lorsqu’il est disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire lorsqu’il est accessible, susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et présente des perspectives raisonnables de succès. A cet égard, le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison valable pour justifier la non-utilisation de recours internes (Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46 CEDH 2006‑II, Sardinas Albo c. Italie (déc.), no 56271/00, CEDH 2004‑I (extraits), Brusco c. Italie (déc.), no 69789/01, CEDH 2001‑IX, et plus récemment Alberto Eugénio da Conceição c. Portugal (déc.), no 74044/11, 29 mai 2012).

23. La Cour estime que, en matière de durée de la détention, lorsque la détention provisoire a pris fin, une action en réparation, susceptible d’aboutir à une reconnaissance du caractère déraisonnable de la durée de la détention provisoire et à l’attribution d’une indemnisation liée à ce constat, est en principe un recours effectif qui doit être épuisé si son efficacité en pratique a été dûment établie (voir, mutatis mutandis, Şefik Demir, précité, §§ 23-24 et les références qui y figurent).

24. La Cour note que l’article 141 § 1 d) du code de procédure pénale prévoit pour tout détenu n’ayant pas obtenu un jugement dans un délai raisonnable la possibilité de demander une indemnisation. Ce recours pouvait conduire d’une part à la reconnaissance du caractère déraisonnable de la mesure contestée et d’autre part à la réparation du préjudice subi par le requérant.

25. La Cour note que la détention provisoire des requérants au sens de l’article 5 § 3 de la Convention a pris fin avec leur mise en liberté le 23 mars 2005 et que leur condamnation a été approuvée par la Cour de cassation le 27 février 2012. À partir de cette dernière date, les requérants auraient pu demander une indemnisation sur le fondement de l’article 141 du CPP, ce qu’ils n’ont pas fait.

26. Rappelant ici son rôle subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme, la Cour estime que les requérants avaient à leur disposition une nouvelle norme légale qui leur aurait permis de donner aux juridictions internes l’occasion de remédier au niveau national à la prétendue violation de l’article 5 § 3 de la Convention. Rien n’indique que le contrôle qui sera exercé par les juridictions internes à cette occasion sera limité d’une quelconque manière, pour pouvoir douter d’emblée de l’efficacité d’un tel recours et affirmer que celui-ci serait de toute évidence voué à l’échec. De surcroît, s’agissant d’une nouvelle disposition légale adoptée dans l’objectif spécifique de créer un recours susceptible de porter remède à ce type de grief, il y a intérêt à saisir les juridictions nationales, afin de leur permettre de faire application de cette disposition (Şefik Demir, précité, § 32 et les références qui y figurent).

27. A la lumière de ce qui précède, la Cour estime que les deux requérants étaient tenus de saisir les juridictions internes d’une demande d’indemnisation fondée sur l’article 141 § 1 d) du CPP, ce qu’ils n’ont pas fait. Il s’ensuit que le présent grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

28. Quant au grief tiré de l’article 5 § 5 la Cour rappelle que l’article 5 § 5 garantit un droit exécutoire à réparation aux victimes d’une arrestation ou d’une détention opérée dans des conditions contraires à d’autres dispositions de l’article 5 (Steel et autres c. Royaume-Uni, 23 septembre 1998, § 81, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VII). En l’espèce la Cour n’ayant pas constaté une violation des autres dispositions de l’article 5 de la Convention, il s’ensuit donc que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

29. Tous les requérants allèguent que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » posé par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

30. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

31. La période à considérer varie pour chacun des requérants :

32. Pour Aziz Doğan elle a débuté le 12 avril 1996, avec son arrestation, et a pris fin le 27 février 2012 par l’arrêt de la Cour de cassation. Elle a duré environ seize années et dix mois.

33. S’agissant d’İbrahim Doğan et de Metin Doğan elle a débuté les 20 et 27 août 1996 respectivement, avec leur arrestation, et s’est terminée 27 février 2012 par l’arrêt de la Cour de cassation. Elle a duré environ seize années et six mois.

34. S’agissant de Şevket Uçan elle a débuté le 21 août 1996 avec son arrestation et elle s’est terminée le 21 octobre 2009, par la décision de la cour d’assises mettant fin à la procédure à son encontre pour cause de prescription. La procédure a donc duré environ treize années.

35. Enfin, concernant Erol Korkulu et Oktay Petek elle a commencé avec leur arrestation, les 22 et 25 août 1996 respectivement. La Cour note que lorsqu’un accusé s’enfuit d’un État adhérant au principe de la prééminence du droit, il y a une présomption selon laquelle il ne peut pas se plaindre d’une durée raisonnable de la procédure pour la période postérieure à sa fuite, à moins qu’il existe des motifs suffisants de nature à faire écarter cette présomption (Teslim Töre c. Turquie (no 2), no 13244/02, § 39, 11 juillet 2006 ; Ventura c. Italie, no 7438/76, rapport de la Commission européenne des droits de l’homme du 15 décembre 1980, Décisions et rapports (DR) 23, pp. 43-44, § 197). Tel n’est pas le cas en l’espèce. Par conséquent, le terme final de la période à prendre en considération pour MM. Erol Korkulu et Oktay Petek est le 30 juillet 2001, date du mandat d’arrêt émis à leur encontre pour défaut de comparution, qui marque le moment à partir duquel il était impossible de faire avancer la procédure à l’égard des deux accusés puisqu’ils étaient en fuite (voir, mutatis mutandis, X c. Ireland, no 9429/81, décision de la Commission du 2 mars 1983, DR 32, p. 226). La procédure a donc duré environ cinq années.

A. Sur la recevabilité

36. La Cour fait observer qu’un nouveau recours en indemnisation a été instauré en Turquie à la suite de l’application de la procédure d’arrêt pilote dans l’affaire Ümmühan Kaplan c. Turquie (no 24240/07, 20 mars 2012). Elle rappelle que, dans sa décision Müdür Turgut et autres c. Turquie (no 4860/09, 26 mars 2013), elle a déclaré irrecevable une nouvelle requête, faute pour les requérants d’avoir épuisé les voies de recours interne, en l’occurrence le nouveau recours. Pour ce faire, elle a considéré notamment que ce nouveau recours était, a priori, accessible et susceptible d’offrir des perspectives raisonnables de redressement pour les griefs relatifs à la durée de la procédure.

37. La Cour rappelle également que dans son arrêt pilote Ümmühan Kaplan (précité, § 77) elle a précisé notamment qu’elle pourra poursuivre, par la voie de la procédure normale, l’examen des requêtes de ce type déjà communiquées au Gouvernement. Elle note en outre que le Gouvernement n’a pas soulevé en l’espèce une exception portant sur ce nouveau recours. A lumière de ce qui précède, la Cour décide de poursuivre l’examen de la présente requête.

38. Constatant que le grief tiré de l’article 6 de la Convention n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, elle le déclare recevable.

B. Sur le fond

39. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999-II).

40. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Pélissier et Sassi, précité).

41. En ce qui concerne le fait que les requérants MM. Erol Korkulu et Oktay Petek aient pris la fuite pour un temps significatif au cours de la procédure, la Cour estime qu’il n’est en l’espèce pas déterminant, dans la mesure où la procédure à leur encontre durait déjà depuis près de cinq années à la date de leur fuite (voir, mutatis mutandis, Teslim Töre, précité, §§ 41-42).

42. A la lumière de tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

43. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

44. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

45. Les requérants réclament pour chacun 15 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’ils auraient subi.

46. Le Gouvernement estime ces prétentions injustifiées.

47. La Cour estime que les requérants ont subi un préjudice moral certain. Statuant en équité, elle accorde 11 000 EUR à chacun des requérants Aziz Doğan, İbrahim Doğan et Metin Doğan, et 8 000 EUR au requérant Şevket Uçan. S’agissant des requérants Erol Korkulu et Oktay Petek, la Cour estime que le dommage moral est suffisamment réparé par le constat de violation de la Convention auquel elle parvient.

B. Frais et dépens

48. Les requérants demandent également 5 500 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. A l’appui, leur avocat présente un décompte horaire de travail signé par lui-même.

49. Le Gouvernement fait valoir que les requérants ne présentent pas les factures et autres documents nécessaires à la preuve de la réalité des dépenses alléguées.

50. Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’allouer la somme de 500 EUR pour les honoraires d’avocat et l’accorde conjointement aux requérants.

C. Intérêts moratoires

51. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention au regard de tous les requérants recevable et le restant de la requête irrecevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation des articles 6 § 1 de la Convention à l’égard de tous les requérants ;

3. Dit que le présent arrêt constitue par lui-même une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral subi par les requérants Erol Korkulu et Oktay Petek ;

4. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement :

i) 11 000 EUR (onze mille euros) à chacun des requérants Aziz Doğan, İbrahim Doğan et Metin Doğan, et 8 000 EUR (huit mille euros) à Şevket Uçan, pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur lesdites sommes ;

ii) 500 EUR (cinq cents euros) conjointement à tous les requérants pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû par les requérants à titre d’impôt sur ladite somme.

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 juillet 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithRaimondi Guido
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (deuxieme section)
Numéro d'arrêt : 001-121953
Date de la décision : 02/07/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Délai raisonnable)

Parties
Demandeurs : UÇAN ET AUTRES
Défendeurs : TURQUIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : FILORINALI Y. ; FILORINALI M.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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