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23/04/2013 | CEDH | N°001-118640

CEDH | CEDH, AFFAIRE MEKİYE DEMİRCİ c. TURQUIE, 2013, 001-118640


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE MEKİYE DEMİRCİ c. TURQUIE

(Requête no 17722/02)

ARRÊT

STRASBOURG

23 avril 2013

DÉFINITIF

23/07/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Mekiye Demirci c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Danutė Jočienė,
Peer Lorenzen,
Dragoljub Popović,
Işıl

Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Paulo Pinto de Albuquerque, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE MEKİYE DEMİRCİ c. TURQUIE

(Requête no 17722/02)

ARRÊT

STRASBOURG

23 avril 2013

DÉFINITIF

23/07/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Mekiye Demirci c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Danutė Jočienė,
Peer Lorenzen,
Dragoljub Popović,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Paulo Pinto de Albuquerque, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 avril 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 17722/02) dirigée contre la République de Turquie et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Mekiye Demirci (« la requérante »), a saisi la Cour le 12 février 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par Me M.S. Tanrıkulu, avocat à Diyarbakır. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

3. La requérante se plaint, en particulier, des conditions et des modalités d’exécution d’une privation de liberté.

4. Le 17 octobre 2006, la requête a été déclarée partiellement irrecevable et les griefs concernant les conditions de détention (article 3), l’absence de raisons plausibles de soupçonner la requérante au moment de l’arrestation (article 5 § 1 c)), l’absence d’information sur les raisons de l’arrestation et les accusations (article 5 § 2), la régularité et la durée de la détention (article 5 §§ 1 c) et 3), l’absence de recours effectif pour faire contrôler la légalité des mesures privatives de liberté (article 5 § 4) et l’absence de droit à réparation (article 5 § 5) ont été communiqués au Gouvernement. Comme le permettait l’article 29 § 3 de la Convention en vigueur à l’époque, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est née en 1962 et réside à Diyarbakır.

6. A une date non précisée, M.K., une personne soupçonnée d’appartenance au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan - une organisation illégale armée), fut arrêtée dans le cadre d’une enquête pénale menée contre le PKK. Dans sa déposition, elle affirma que la requérante portait aide et assistance à ladite organisation.

7. Le 22 décembre 2001, le commandement de la gendarmerie de Diyarbakır (« la gendarmerie ») émit un avis de recherche à l’encontre de la requérante.

8. Le même jour, un juge assesseur de la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır (« la cour de sûreté de l’Etat ») ordonna l’arrestation de la requérante, la perquisition de son domicile et, le cas échéant, la saisie de tous éléments de preuve pertinents concernant l’enquête pénale.

9. Toujours le 22 décembre 2001, les forces de l’ordre se présentèrent au domicile de Mme Demirci et l’arrêtèrent. La perquisition ne révéla aucun objet ou document illégal. D’après le procès-verbal dressé par les membres des forces de l’ordre et signé par la requérante, la décision de la cour de sûreté de l’Etat fut lue à la requérante et elle fut brièvement informée de la raison de son arrestation.

10. Le même jour, à 15 heures, la requérante fut examinée par un médecin, qui constata une trace d’intervention chirurgicale au bas-ventre de la requérante.

11. A la suite de son examen médical, la requérante fut conduite à la gendarmerie pour y être interrogée. Après lui avoir donné lecture des charges retenues à son encontre et lui avoir rappelé son droit d’être assistée par un avocat de son choix ou commis d’office, la gendarmerie fit signer à la requérante un formulaire relatif aux droits des accusés et personnes soupçonnées. Une copie de ce formulaire signée par elle-même fut remise à la requérante.

12. Les interrogatoires durèrent jusqu’au 26 décembre 2001, date à laquelle la requérante signa une déposition reconnaissant son appartenance au PKK.

13. Le 26 décembre 2001, à la fin de sa garde à vue, la requérante fut examinée par un médecin. Celui-ci releva seulement l’existence d’une trace ancienne au bas-ventre et conclut à l’absence de coups et blessures.

14. Le même jour, la requérante fut traduite devant le procureur près la cour de sûreté de l’Etat (« le procureur ») et contesta sa déposition faite devant les gendarmes, affirmant n’avoir aucun lien avec le PKK. Elle exposa également avoir signé sa déposition à la gendarmerie sans en connaître le contenu.

15. A la suite de sa déposition devant le procureur, la requérante comparut devant un juge assesseur de la cour de sûreté de l’Etat, devant lequel elle réitéra ses dires. Elle affirma avoir été obligée de faire confiance aux gendarmes pour transcrire ses dires sur le procès-verbal de déposition et de le signer tel qu’il avait été rédigé par ces derniers. Le juge assesseur ordonna la mise en détention provisoire de la requérante qui, de ce fait, fut transférée à la maison d’arrêt de type E de Diyarbakır.

16. Toujours le 26 décembre 2001, sur demande du gouverneur de la région soumise à l’état d’urgence et du procureur, et sur le fondement de l’article 3 c) du décret-loi no 430 sur les mesures complémentaires à prendre dans le cadre de l’état d’urgence, le juge assesseur autorisa le renvoi de la requérante à la gendarmerie pour interrogatoire, pour une durée de dix jours. La requérante fut remise aux gendarmes le jour même.

17. Le 28 décembre 2001, le représentant de la requérante forma opposition contre cette décision, soutenant notamment qu’une telle mesure était contraire à la Constitution et aux instruments internationaux pertinents en la matière. La demande fut écartée le même jour par la cour de sûreté de l’Etat.

18. Toujours le 28 décembre 2001, le procureur mit la requérante en accusation pour appartenance à une bande armée, en application des articles 168 § 2 du code pénal et 5 de la loi no 3713 sur la lutte contre le terrorisme.

19. Le 3 janvier 2002, la requérante fut reconduite à la maison d’arrêt de type E de Diyarbakır.

20. Le même jour, la requérante fut examinée par un médecin, qui conclut à l’absence de coups et blessures sur son corps.

21. Le 11 juillet 2002, la requérante fut mise en liberté provisoire.

22. A la suite de l’abolition des cours de sûreté de l’Etat, le procès de la requérante se poursuivit devant la cour d’assises de Diyarbakır (« la cour d’assises »).

23. Par un jugement du 24 mars 2005, la cour d’assises condamna la requérante à une peine d’emprisonnement de trois ans et neuf mois pour aide et soutien à une organisation illégale.

24. Le 8 juin 2005, l’affaire fut renvoyée devant la cour d’assises pour reconsidération de l’affaire en raison de l’entrée en vigueur du nouveau code pénal.

25. Le 20 septembre 2005, la cour d’assises réitéra son jugement.

26. Par un arrêt du 9 octobre 2006, la Cour de cassation confirma le jugement rendu en première instance.

Le droit et la pratique internes

27. Le droit et la pratique internes pertinents en vigueur à l’époque des faits sont décrits dans l’arrêt Emrullah Karagöz c. Turquie (no 78027/01, §§ 42-47, CEDH 2005‑X (extraits)).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

28. La requérante se plaint d’avoir subi des traitements contraires à l’article 3 de la Convention au cours de sa garde à vue. Elle aurait ainsi été gardée dans une cellule exigüe insuffisamment chauffée, privée de nourriture appropriée, empêchée d’aller régulièrement aux toilettes, et insultée verbalement. On lui aurait aussi fait écouter de la musique à plein volume.

29. Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes.

30. La requérante s’oppose à la thèse du Gouvernement.

31. La Cour n’estime pas nécessaire d’examiner l’exception de non-épuisement des voies de recours internes dans la mesure où le présent grief est, en tout état de cause, irrecevable pour les motifs suivants.

32. La Cour rappelle d’abord que des allégations de traitements contraires à l’article 3 de la Convention doivent être étayées par des éléments de preuve appropriés, étant entendu que la Cour se sert du critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable », une telle preuve pouvant résulter d’un faisceau d’indices suffisamment graves, précis et concordants (voir, entre autres, Dikme c. Turquie, no 20869/92, § 73, CEDH 2000‑VIII).

33. Dans la présente affaire, la Cour observe que les rapports médicaux établis par les médecins ne font état d’aucune trace de mauvais traitements. Elle relève de surcroît que la requérante formule ses allégations de manière vague et ambigüe, sans les étayer par quelque indice ou commencement de preuve que ce soit. Elle n’apporte ainsi aucun élément susceptible d’engendrer un soupçon raisonnable de traitements contraires à l’article 3 de la Convention.

34. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 §§ 1, 2, 3, 4 et 5 DE LA CONVENTION

35. La requérante fait également grief de plusieurs atteintes injustifiées à ses droits garantis par l’article 5 §§ 1, 2, 3, 4 et 5 de la Convention, ainsi libellés :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

...

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

...

2. Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.

3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

A. Sur la recevabilité

36. Le Gouvernement soulève une exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Selon lui, la requérante aurait pu demander la réparation de son supposé préjudice sur le fondement de la loi no 466 sur l’octroi d’indemnités aux personnes illégalement arrêtées ou détenues.

37. La requérante conteste l’argument du Gouvernement.

38. La Cour note que cette exception soulève des questions étroitement liées à celles posées par le grief tiré de l’article 5 § 5. Partant, elle estime qu’il y a lieu de la joindre au fond.

39. La Cour constate que les autres griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

B. Sur le fond

1. L’article 5 § 1 c) de la Convention

a) Sur l’arrestation et le placement en garde à vue de la requérante

40. La requérante se plaint d’avoir été arrêtée et détenue au mépris de la législation interne et de la Convention. Soutenant que la décision du 22 décembre 2001 de la cour de sûreté de l’Etat autorisait uniquement la perquisition de son domicile et n’ordonnait nullement son arrestation, elle allègue avoir était arbitrairement privée de sa liberté, en l’absence de raisons plausibles de la soupçonner d’une infraction ou de l’intention d’en commettre une.

41. La Cour examinera en premier lieu le grief sous l’angle de la notion d’ « existence de raisons plausibles » au sens de l’article 5 § 1 c) de la Convention.

42. La Cour rappelle d’abord que l’article 5 § 1 c) n’autorise à placer une personne en détention que dans le cadre d’une procédure pénale, en vue de la traduire devant l’autorité judiciaire compétente lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis une infraction (Ječius c. Lituanie, no 34578/97, § 50, CEDH 2000‑IX, et Włoch c. Pologne, no 27785/95, § 108, CEDH 2000‑XI). La « plausibilité » des soupçons sur lesquels doit se fonder l’arrestation constitue un élément essentiel de la protection offerte par l’article 5 § 1 c). L’existence de soupçons plausibles présuppose celle de faits ou de renseignements propres à persuader un observateur objectif que l’individu en cause peut avoir accompli l’infraction. Ce qui peut passer pour plausible dépend toutefois de l’ensemble des circonstances (Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, 30 août 1990, § 32, série A no 182, O’Hara c. Royaume-Uni, no 37555/97, § 34, CEDH 2001‑X, Korkmaz et autres c. Turquie, no 35979/97, § 24, 21 mars 2006, Süleyman Erdem c. Turquie, no 49574/99, § 37, 19 septembre 2006, et Çelik et Yıldız c. Turquie, no 51479/99, § 20, 10 novembre 2005).

43. La Cour rappelle ensuite que l’alinéa c) de l’article 5 § 1 ne présuppose pas que les autorités d’enquête aient rassemblé des preuves suffisantes pour porter des accusations au moment de l’arrestation. L’objet d’un interrogatoire pendant une détention au titre de l’alinéa c) de l’article 5 § 1 est de compléter l’enquête pénale en confirmant ou en écartant les soupçons concrets ayant fondé l’arrestation. Ainsi, les faits donnant naissance à des soupçons ne doivent pas être du même niveau que ceux qui sont nécessaires pour justifier une condamnation ou même pour porter une accusation, ce qui intervient dans la phase suivante de la procédure de l’enquête pénale (Murray c. Royaume-Uni, 28 octobre 1994, § 55, série A no 300-A, et Korkmaz et autres, précité, § 26).

44. Il ne faut certes pas appliquer l’article 5 § 1 c) d’une manière qui causerait aux autorités de police des Etats contractants des difficultés excessives pour combattre par des mesures adéquates la criminalité organisée (voir, mutatis mutandis, Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, §§ 58-68, série A no 28). La tâche de la Cour consiste à déterminer si les conditions fixées à l’alinéa c) de l’article 5 § 1, y compris la poursuite du but légitime prescrit, ont été remplies dans l’affaire soumise à son examen. Dans ce contexte, il ne lui appartient pas normalement de substituer sa propre appréciation des faits à celle des juridictions internes, mieux placées pour évaluer les preuves produites devant elles (Murray, précité, § 66).

45. En l’espèce, la Cour constate que la requérante a été privée de sa liberté car elle était soupçonnée d’appartenance à une organisation illégale armée. La Cour note aussi qu’il existait des éléments de preuve tels que la déposition faite par M.K. (voir le paragraphe 6 ci-dessus) à l’encontre de la requérante.

46. Il y a donc lieu de conclure que la requérante peut passer pour avoir été arrêtée et détenue sur la base de « raisons plausibles de la soupçonner » d’avoir commis une infraction pénale, au sens de l’alinéa c) de l’article 5 § 1 de la Convention (Murray, précité, § 63, Korkmaz et autres, précité, § 26, et Süleyman Erdem, précité, § 37).

47. S’agissant de la conformité de l’arrestation de la requérante aux normes du droit interne, la Cour observe que la cour de sûreté de l’Etat avait ordonné l’arrestation de la requérante, la perquisition de son domicile et, le cas échéant, la saisie de tous éléments de preuves pertinents pour l’enquête pénale.

48. La Cour estime donc que rien ne montre qu’en l’espèce l’interprétation et l’application des dispositions légales invoquées par les autorités internes aient été arbitraires ou déraisonnables au point de conférer à l’arrestation de la requérante un caractère irrégulier.

49. En conclusion, il n’y a donc pas eu, dans les circonstances de l’espèce, violation de l’article 5 § 1 de la Convention à cet égard.

b) Sur la remise de la requérante aux mains de la gendarmerie

50. La requérante se plaint de son placement entre les mains de la gendarmerie du 26 décembre 2001 au 3 janvier 2002. Elle dénonce une violation du paragraphe 1 de l’article 5 de la Convention.

51. Le Gouvernement conteste cette thèse.

52. La Cour relève que, le 26 décembre 2001, la requérante a été mise en détention provisoire et transférée à la maison d’arrêt de type E de Diyarbakır. Quelques heures après son admission à la prison, elle a été remise aux mains des gendarmes pour être reconduite à la gendarmerie sur autorisation du juge assesseur en vertu du décret-loi n 430. Elle y est restée jusqu’au 3 janvier 2002.

53. Elle s’est ainsi retrouvée dans une situation qui équivaut à une garde à vue, laquelle a, de plus, duré du 26 décembre au 3 janvier 2002, soit plus de huit jours.

54. Pour la Cour, rien ne permet de distinguer les circonstances de la présente affaire de celles sanctionnées dans l’arrêt Emrullah Karagöz c. Turquie, (no 78027/01, §§ 52-60, CEDH 2005‑X (extraits)), étant entendu qu’en l’espèce les arguments supplémentaires du Gouvernement ne permettent pas de se départir des conclusions de ce précédent arrêt, dans lequel la Cour avait constaté que le placement du requérant dans les locaux de la gendarmerie après sa détention provisoire avait échappé à un contrôle juridictionnel efficace (voir également Abdulkadir Aktaş c. Turquie, no 38851/02, § 68, 31 janvier 2008).

55. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

2. L’article 5 § 2 de la Convention

56. La requérante soutient qu’elle n’a pas été informée des raisons de son arrestation. A cet égard, elle invoque l’article 5 § 2 de la Convention.

57. Le Gouvernement conteste les allégations de la requérante.

58. La Cour rappelle que l’article 5 § 2 de la Convention énonce une garantie élémentaire : toute personne arrêtée doit savoir les raisons de son arrestation. Intégrée au système de protection qu’offre l’article 5, elle oblige à signaler à une telle personne, dans un langage simple et accessible pour elle, les raisons juridiques et factuelles de sa privation de liberté, afin qu’elle puisse en discuter la légalité devant un tribunal en vertu du paragraphe 4. Elle doit bénéficier de ces renseignements « dans le plus court délai », mais l’officier qui l’arrête peut ne pas les lui fournir en entier sur-le-champ. Pour déterminer si elle en a reçu assez et suffisamment tôt, il faut avoir égard aux particularités de l’espèce (voir Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, 30 août 1990, § 40, série A no 182).

59. En l’espèce, la Cour observe qu’au moment de l’arrestation de la requérante les forces de l’ordre ont dressé un procès-verbal d’arrestation portant la signature de la requérante, et d’après lequel cette dernière avait été brièvement informée de la raison de son arrestation. En outre, au commandement de la gendarmerie, elle a signé un formulaire relatif aux droits des accusés et personnes soupçonnées dans lequel l’intéressée reconnaissait avoir été informée des raisons de son arrestation.

60. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 2 de la Convention.

3. L’article 5 § 3 de la Convention

61. La requérante dénonce la durée de son placement entre les mains des gendarmes, après sa mise en détention provisoire, du 26 décembre 2001 au 3 janvier 2002.

62. Le Gouvernement soutient que les prolongations du placement de la requérante dans les locaux de la gendarmerie ont été contrôlées par les juridictions et étaient conformes à la législation en vigueur.

63. Eu égard à son constat de violation de l’article 5 § 1 de la Convention (paragraphes 50-55 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’article 5 § 3 de la Convention (voir Emrullah Karagöz c. Turquie, précité § 63).

4. L’article 5 § 4 de la Convention

64. La requérante allègue que le contrôle de la légalité des mesures appliquées ne répondait aucunement aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention.

65. Le Gouvernement soutient que le placement de la requérante dans les locaux de la gendarmerie et les prolongations de ce placement avaient été autorisés par un juge. Il indique également que l’intéressée aurait pu s’opposer aux décisions de prolongation du délai de garde à vue.

66. La Cour rappelle que l’article 5 § 4 de la Convention garantit l’existence d’un recours interne habilitant un tribunal à connaître de tout grief fondé sur l’article 5 et à offrir le cas échéant le redressement approprié. Ce recours doit être « effectif » en pratique comme en théorie.

67. Compte tenu des considérations exposées ci-dessus concernant l’article 5 § 1, la Cour estime que l’article 8 du décret-loi no 430 excluait dans ses termes tout contrôle juridictionnel effectif des décisions prises en vertu de ce décret-loi. Partant, elle conclut qu’il y a eu également violation de l’article 5 § 4 de la Convention (Emrullah Karagöz, précité, §§ 67-68).

5. L’article 5 § 5 de la Convention

68. La requérante se plaint de l’absence de voie de réparation en droit interne pour la violation dans son chef de l’article 5 § 1.

69. Le Gouvernement affirme que la requérante aurait pu demander réparation du préjudice subi sur le fondement de la loi no 466.

70. La Cour rappelle avoir déjà relevé que cette procédure d’indemnisation, ouverte aux justiciables en cas d’acquittement ou de placement illégal en garde à vue, ne permet aucun examen de la question de savoir si l’intéressé avait été « aussitôt » traduit devant le juge ou si sa détention était ou non légale. Elle a ainsi jugé que ces carences de l’office du juge ne permettaient pas à cette procédure de répondre aux exigences de l’article 5 § 5 de la Convention (Saraçoğlu et autres c. Turquie, no 4489/02, § 52, 29 novembre 2007, Medeni Kavak c. Turquie, no 13723/02, § 34, 3 mai 2007, et Sinan Tanrıkulu et autres c. Turquie, no 50086/99, § 50, 3 mai 2007).

71. Par conséquent, la Cour n’est pas convaincue que le droit turc offrait, à l’époque des faits, à la requérante un droit à réparation pour les violations alléguées. Dès lors, l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes ne saurait être retenue et il y a eu violation de l’article 5 § 5 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

72. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

73. La requérante réclame 35 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’elle aurait subi.

74. Le Gouvernement conteste ce montant.

75. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 8 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

76. La requérante demande également 3 300 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour. A titre de justificatifs, elle fournit un décompte horaire de son avocat ainsi que le tarif horaire des avocats établi par le barreau de Diyarbakır.

77. Le Gouvernement conteste ce montant.

78. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 500 EUR au titre des frais et dépens et l’accorde à la requérante.

C. Intérêts moratoires

79. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre au fond l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes se rapportant à la loi no 466 et de la rejeter ;

2. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 5 §§ 1, 2, 3, 4 et 5 et irrecevable pour le surplus ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 2 de la Convention ;

5. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 5 § 3 de la Convention ;

6. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

7. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 5 de la Convention ;

8. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en livres turques, au taux applicable à la date du règlement :

i) 8 000 EUR (huit mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 500 EUR (cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

9. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 avril 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithGuido Raimondi
GreffierPrésident


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