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02/04/2013 | CEDH | N°001-117869

CEDH | CEDH, AFFAIRE TARANTINO ET AUTRES c. ITALIE [Extraits], 2013, 001-117869


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE TARANTINO ET AUTRES c. ITALIE

(Requêtes nos 25851/09, 29284/09 et 64090/09)

ARRÊT

[Extraits]

STRASBOURG

2 avril 2013

DÉFINITIF

09/09/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention.




En l’affaire Tarantino et autres c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Danutė Jočienė, présidente,
Guido Raimondi,
Peer Lorenzen,
Dragoljub Popović, r>Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Paulo Pinto de Albuquerque, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE TARANTINO ET AUTRES c. ITALIE

(Requêtes nos 25851/09, 29284/09 et 64090/09)

ARRÊT

[Extraits]

STRASBOURG

2 avril 2013

DÉFINITIF

09/09/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention.

En l’affaire Tarantino et autres c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Danutė Jočienė, présidente,
Guido Raimondi,
Peer Lorenzen,
Dragoljub Popović,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Paulo Pinto de Albuquerque, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 mars 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouvent trois requêtes (nos 25851/09, 29284/09 et 64090/09) dirigées contre la République italienne et dont huit ressortissants de cet État, Mme Claudia Tarantino, M. Giuseppe Reitano, Mme Laura Aziz, M. Maurizio Brancadori, M. Massimo Crosia, M. Massimo Filetti, M. Pasqualino La Mela et M. Carmelo Marcuzzo (« les requérants »), ont saisi la Cour les 18 mai, 2 novembre et 16 novembre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par Me G. Lipari, avocat à Misilmeri. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son coagent, Mme P. Accardo.

3. Les requérants s’estimaient victimes d’une violation du droit à l’instruction protégé par l’article 2 du Protocole no 1. Ils alléguaient en particulier que les buts poursuivis par la loi no 127/1997 relative au numerus clausus n’étaient pas légitimes et que la mesure en cause n’était pas proportionnée à ces buts.

4. Le 21 juin 2011, les requêtes ont été jointes et communiquées au Gouvernement. Il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire (article 29 § 1).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les coordonnées des requérants figurent dans le tableau annexé à l’arrêt [voir la version intégrale de l’arrêt, disponible en anglais sur Hudoc].

La genèse de l’affaire

1. La première requérante, Mme Tarantino

6. Le 4 septembre 2007, deux mille étudiants, dont Mme Tarantino, passèrent le concours d’entrée à la Faculté de médecine de Palerme, pour deux cent dix places disponibles. Mme Tarantino échoua à ce concours, ainsi qu’à ceux de 2008 et de 2009.

7. Le 14 décembre 2007, Mme Tarantino et d’autres étudiants saisirent le Président de la République d’une plainte dans laquelle, critiquant en particulier les deux critères contraignants utilisés par le ministère pour fixer le nombre d’étudiants admis à étudier dans la faculté de médecine de chaque université (paragraphe 17 ci-dessous), ils alléguaient que la loi no 264/1999 était incompatible avec l’article 3 § 2 c) et g) du Traité instituant la Communauté économique européenne, avec la directive 2005/36/CE relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, avec l’article 15 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec l’article 6 § 2 du Traité sur l’Union européenne, avec le principe d’égalité et avec l’article 2 du Protocole no 1 à la Convention. La première requérante contestait également, d’une part, la décision de l’État d’imposer les mêmes limites aux universités privées et, d’autre part, la pertinence des concours d’entrée. Elle demandait en outre à être admise à titre provisoire et conditionnel à l’université.

8. Par un décret du 2 juillet 2008, le Conseil d’État (Consiglio di Stato) rejeta la demande de mesure provisoire introduite par la première requérante.

9. Le 23 septembre 2008, la première requérante présenta des observations complémentaires et réitéra sa demande d’obtention d’un arrêt préjudiciel de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE). Ses observations furent transmises au Conseil d’État en octobre 2008.

10. Par un décret (no 2256) du 28 avril 2009, adopté sur le fondement d’un avis consultatif rendu par le Conseil d’État le 12 novembre 2008 et notifié à la première requérante le 14 mai 2009, le Président de la République rejeta ces griefs. Il précisait que, compte tenu des ressources humaines et matérielles des universités, les restrictions contestées à l’entrée en faculté, en vertu desquelles seuls les étudiants les plus méritoires étaient admis, étaient raisonnables et, partant, compatibles avec les dispositions du droit de l’Union européenne (UE) invoquées. Il soulignait qu’en outre, en raison de l’accroissement des besoins de la société en médecins qualifiés, les admissions dans les facultés de médecine en 2008-2009 avaient augmenté à hauteur de 10 à 20 %. Il notait qu’après l’obtention d’un diplôme, l’examen professionnel n’était pas un titre académique en soi mais un examen d’État semblable à ceux organisés dans la plupart des États. Enfin, il rejetait l’allégation selon laquelle la teneur des épreuves était inadaptée.

2. Les sept autres requérants

11. Les sept autres requérants exerçaient depuis plusieurs années en tant que techniciens ou hygiénistes dentaires.

12. Le 4 septembre 2009, malgré leur expérience professionnelle pertinente, tous échouèrent au concours d’entrée en faculté d’odontologie (médecine dentaire). Toutes leurs tentatives ultérieures furent vaines également.

13. M. Marcuzzo (« le huitième requérant ») avait pourtant réussi le concours d’entrée pour l’année universitaire 1999-2000. Cependant, ayant manqué à passer les examens pendant huit années consécutives en raison de graves problèmes familiaux, il avait perdu son statut d’étudiant en juillet 2009, en vertu du règlement de l’Université et de l’article 149 du décret royal no 1592/1933.

14. Ces sept requérants admettent qu’ils n’ont pas exercé les recours internes disponibles, expliquant qu’ils les estimaient ineffectifs car, en vertu de la jurisprudence bien établie du Conseil d’État, l’imposition de limites à l’accès aux universités est compatible avec la Constitution et avec le droit de l’UE (voir, entre autres, l’avis consultatif susmentionné du 12 novembre 2008). Le huitième requérant ajoute que le Conseil d’État a toujours dit que les raisons subjectives telles que les problèmes familiaux (cas dont il relève) ne pouvaient justifier qu’il soit fait exception à la règle de la continuité des études et que, partant, il n’aurait pas pu obtenir gain de cause devant la haute juridiction.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. La loi no 127/1997

15. La loi no 127/1997, qui modifie l’article 9 § 4 de la loi no 341/1990, a introduit le numerus clausus (limitation du nombre de places) dans les universités italiennes publiques et privées. En son article 17 § 116, elle dispose qu’il incombe au ministère des Universités et de la Recherche scientifique et technologique de fixer le numerus clausus. Cependant, elle ne pose pas de critères clairs à partir desquels déterminer les facultés qui doivent faire l’objet de restrictions, le nombre de places disponibles et la procédure de sélection.

16. Le 27 novembre 1998 (arrêt no 383/1998), saisie d’une demande d’examen de la constitutionnalité de l’article 17 § 116 de la loi no 127/1997, la Cour constitutionnelle rendit un arrêt dans lequel elle confirmait la constitutionnalité de cette loi. Elle considéra que la latitude dont jouissait le ministère des Universités et de la Recherche n’était pas illimitée puisqu’il devait agir conformément à un cadre juridique préétabli. À cet égard, elle souligna que, s’il n’y avait pas de textes nationaux sur la question, le ministère devait néanmoins respecter les directives européennes pertinentes, lesquelles visaient à assurer un niveau adéquat d’éducation dans l’UE. Enfin, elle estima qu’il appartenait au Parlement de se prononcer sur ce sujet.

17. Après cet arrêt de la Cour constitutionnelle, la loi no 264/1999 fut adoptée. Cette loi prévoyait que le ministère des Universités et de la Recherche fixerait les quotas d’entrée en faculté de médecine, de médecine vétérinaire, d’odontologie, d’architecture et de sciences infirmières à partir de deux critères contraignants : les capacités d’accueil et les ressources des universités d’une part, et les besoins de la société pour chaque profession (fabbisogno di professionalità del sistema sociale e produttivo) d’autre part. À partir de ces critères, le ministère devrait fixer le nombre de places ouvertes dans chaque faculté concernée.

18. Le 21 avril 2009, l’Autorité de la concurrence et du marché (« l’autorité de la concurrence ») émit une recommandation relative aux critères d’admission en faculté d’odontologie. Elle nota que : a) en pratique, les deux critères prévus par la loi étaient appliqués sur la base des observations du ministère des Universités et de la Recherche scientifique et technologique et du ministère de la Santé, et b) toutes les données collectées étaient examinées par un panel d’experts composé notamment de représentants de la Fédération nationale des médecins et de l’Ordre des médecins et des dentistes.

19. L’autorité de la concurrence était d’avis que le gouvernement italien ne respectait pas l’arrêt no 383/1998 de la Cour constitutionnelle (paragraphe 16 ci-dessus) ni le droit de l’UE car, alors qu’ils devaient juridiquement tenir compte tant des normes pédagogiques que du besoin en professionnels de la santé, les ministères établissaient les chiffres sur la base exclusive du besoin en professionnels de la santé dans le secteur public national. Elle estimait que, dès lors, la limitation de l’admission en faculté d’odontologie était constitutive d’une restriction déraisonnable de la concurrence dans les professions libérales car, en tenant compte uniquement des besoins des services publics de santé et non de ceux des services privés, on réduisait artificiellement le nombre de dentistes nécessaires, de sorte que les frais dentaires augmentaient de manière injustifiée. De plus, elle était préoccupée par le fait que des associations professionnelles participent au panel d’experts, leurs décisions risquant d’être fortement influencées par leurs propres intérêts.

20. Pour être admis, les candidats au concours d’entrée devaient répondre correctement à un questionnaire à choix multiple comprenant quatre-vingts questions de culture générale (y compris des questions d’histoire et de géographie internationales), de biologie, de chimie, de mathématiques et de physique. L’examen, qui reposait sur le programme de lycée, visait à tester l’aptitude des candidats à étudier la matière de la faculté de leur choix.

B. La jurisprudence

21. Les juridictions internes compétentes ont jugé à plusieurs reprises que le numerus clausus et la manière dont il était appliqué dans le cadre juridique italien étaient conformes tant à la Constitution qu’au droit de l’UE. Parmi les exemples d’arrêts en ce sens, on peut citer les arrêts nos 1931 du 29 avril 2008, 5418 du 24 juin 2008 et 5542 du 6 juin 2008 du Conseil d’État, l’arrêt no 197 du 12 février 2007 du tribunal administratif de Florence, l’arrêt no 4559 de 2008 du tribunal administratif de Naples, l’arrêt no 1931 du 17 avril 2008 du tribunal administratif de Florence, l’arrêt no 145 du 11 juin 2008 du tribunal administratif de Trente et l’arrêt no 1631 du 15 avril 2010 du Conseil d’État.

En particulier, répondant à un argument selon lequel le critère relatif au besoin de la société en une profession particulière ne devait pas être limité au territoire national, à l’exclusion des besoins actuels et imminents de la Communauté européenne dans son ensemble, le Conseil d’État a dit, dans son arrêt no 1931 du 29 avril 2008, qu’il était évident que le critère principal et déterminant était celui qui concernait les capacités d’accueil et les ressources des universités et visait à permettre une bonne formation scientifique comme l’exigeait la législation européenne, et que, comme l’avait dit précédemment la Cour constitutionnelle (arrêt no 393 de 1998), le droit à l’accès à l’enseignement supérieur, même pour les étudiants les plus méritoires, dépendait de la disponibilité de moyens techniques et de ressources humaines, en particulier dans le domaine des études scientifiques, qui étaient à la fois théoriques et pratiques. Il a observé que le droit de l’UE n’interdisait pas le numerus clausus et que les directives européennes prévoyaient la reconnaissance des titres et des diplômes à partir de normes minimales d’études et de garanties de l’obtention réelle des connaissances nécessaires pour exercer une profession, mais laissaient à chaque État le soin de déterminer les instruments, les moyens et les méthodes à employer pour respecter les obligations qu’elles fixaient. Il a estimé que le critère relatif au besoin de la société pour une profession particulière était moins important que celui qui concernait les capacités et les ressources, et même secondaire, n’entrant en jeu que dans le cas improbable où la disponibilité aurait été si abondante qu’il aurait été nécessaire de limiter l’accès à la profession afin d’éviter de saturer le marché. Il a considéré qu’il fallait voir dans la recommandation de limiter le nombre d’étudiants inscrits émise par le ministère de la Santé (recommandation qui formait la base de la décision relative au nombre de places disponibles pour les années 2006-2007) une restriction quantitative adoptée non pas en vue des besoins de la société mais dans le souci de faire en sorte que les études spécialisées répondent aux normes européennes. Considérant que, d’une part, il n’avait pas été prouvé que ce critère jouait un rôle dans la fixation du nombre de candidats à inscrire chaque année et que, d’autre part, le droit de l’UE ne prévoyait pas un accès illimité et inconditionnel à l’enseignement supérieur, il a estimé qu’il n’était pas nécessaire de saisir la CJCE de la question.

22. Selon l’arrêt no 1855 de 2005 du Conseil d’État, la limite de huit ans prévue par le décret no 1592 de 1933 n’est pas une période de prescription qui peut être interrompue mais le délai maximal à l’issue duquel le droit (d’assister aux cours) s’éteint.

C. Le droit de l’Union européenne pertinent

23. L’article 39 (ancien article 48) du Titre III du Traité instituant la Communauté européenne porte sur la libre circulation des personnes, des services et des capitaux. Il est ainsi libellé :

« 1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l’intérieur de la Communauté.

2. Elle implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.

3. Elle comporte le droit, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique :

a) de répondre à des emplois effectivement offerts ;

b) de se déplacer à cet effet librement sur le territoire des États membres ;

c) de séjourner dans un des États membres afin d’y exercer un emploi conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l’emploi des travailleurs nationaux ;

d) de demeurer, dans des conditions qui feront l’objet de règlements d’application établis par la Commission, sur le territoire d’un État membre, après y avoir occupé un emploi.

4. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux emplois dans l’administration publique. »

24. Les autres textes pertinents de l’Union européenne comprennent : la directive 86/457/CEE du Conseil du 15 septembre 1986 relative à une formation spécifique en médecine générale, la directive 93/16/CEE du Conseil du 5 avril 1993 visant à faciliter la libre circulation des médecins et la reconnaissance mutuelle de leurs diplômes, certificats et autres titres, et la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DU PROTOCOLE No 1

25. Les requérants s’estiment victimes d’une violation du droit à l’instruction garanti par l’article 2 du Protocole no 1, qui est ainsi libellé :

« Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. »

26. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

(...)

B. Sur le fond

1. Les thèses des parties

a) Les requérants

35. Les requérants soutiennent que la restriction applicable à l’admission aux cours de leur choix, à savoir la base de l’application du numerus clausus, est contraire à la Constitution et au droit de l’UE.

36. Ils allèguent également que les objectifs poursuivis par la loi ne sont ni légitimes ni proportionnés. En particulier, s’ils reconnaissent qu’il est nécessaire de garantir un niveau approprié de compétence des futurs professionnels, ils contestent les deux critères établis par la loi no 264/1999 ainsi que leur applicabilité tant aux universités privées qu’aux universités publiques. De plus, ils considèrent que les besoins de la société ne peuvent s’apprécier sur la seule base du secteur public, compte tenu en particulier du fait que la majorité des praticiens, en particulier chez les dentistes, exercent dans le secteur privé. De plus, les autorités apprécieraient ces besoins sur une base exclusivement locale, sans tenir compte du fait que les personnes étudiant en Italie pourraient souhaiter exercer dans un autre pays.

37. Les requérants expliquent que le ministère des Universités et de la Recherche scientifique et technologique fixe le nombre de places dans chaque université sur une base régionale en fonction des besoins locaux mais que, récemment, les établissements d’enseignement italiens ont réalisé que la limitation de l’accès aux facultés avait créé un manque de praticiens tel que certaines régions avaient dit que leurs hôpitaux seraient bientôt à court de médecins et de dentistes. S’appuyant sur des articles de presse, ils citent à titre d’exemple la région de Lombardie, qui a estimé qu’en 2015 elle aurait perdu 40 % de ses praticiens actuels (médecins et dentistes) en raison des départs à la retraite. La région aurait demandé au gouvernement d’abolir le système actuel d’accès limité, mais le ministère de la Santé aurait considéré qu’il y avait déjà plus de médecins que nécessaire en Italie. Les requérants estiment pour leur part que le degré de saturation d’un secteur n’est pas un motif juridique justifiant que l’on empêche les opérateurs d’accéder au marché. Ils estiment que le véritable but des restrictions actuellement imposées est de protéger les intérêts des médecins et des dentistes en restreignant la concurrence dans le secteur, objectif qui serait contraire au droit de l’UE. En particulier, ils contestent l’application de ces restrictions aux universités privées, dont ils affirment qu’elles pourraient sans cela accroître leurs capacités d’admission sans imposer de charge financière supplémentaire à l’État. Ainsi, le système actuel empêcherait les requérants d’accéder aux études de leur choix, non seulement dans une université publique, mais aussi dans une université privée, moyennant paiement. Il imposerait ainsi une restriction au droit à l’instruction qui ne reposerait sur aucune raison valable. À cet égard, les requérants notent que, dans l’Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique » (fond), 23 juillet 1963, série A no 6 (« l’Affaire linguistique belge »), la Cour a conclu que la mesure litigieuse était proportionnée au vu du fait qu’elle n’empêchait pas les requérants de cette affaire de s’inscrire (à leurs propres frais) dans des écoles francophones privées de la région.

38. Les requérants soutiennent que la Cour est appelée en l’espèce à déterminer la compatibilité avec la Convention de la mesure litigieuse et non des faits de la cause tels qu’ils ont été examinés par les juridictions nationales. Ils considèrent que cette mesure, à savoir la combinaison de l’examen d’entrée et de la restriction fondée sur le « besoin de la société pour une profession particulière » (et non le numerus clausus en soi), n’est pas proportionnée aux objectifs poursuivis.

39. Ils ajoutent que l’existence d’un examen professionnel conçu pour apprécier le caractère adéquat de la préparation des médecins et des dentistes à l’issue de leurs études supérieures rend inutile d’imposer une restriction préalable à l’accès à l’université. De plus, l’examen d’entrée consistant en un questionnaire à choix multiple, il permettrait seulement d’apprécier des notions superficielles et non les capacités réelles des candidats. Il serait par ailleurs aléatoire, inadéquat et entaché de nombreux cas de corruption et d’erreurs dans la formulation des questions. En outre, la plupart des requérants ayant obtenu leurs autres diplômes avec mention, leur échec à l’examen d’entrée ne serait pas imputable à un défaut de préparation mais au faible nombre de places disponibles. Ainsi, à l’examen d’odontologie de 2010, il y aurait eu vingt-six fois plus de candidats que de places disponibles.

b) Le Gouvernement

40. Le Gouvernement soutient qu’en principe, il n’est pas incompatible avec l’article 2 du Protocole no 1 de limiter le nombre d’étudiants admis à suivre un cursus universitaire, compte tenu des ressources disponibles et du but consistant à atteindre un niveau élevé de professionnalisme, en particulier dans des professions aussi cruciales que celles du domaine médical. Ainsi, l’application d’un numerus clausus ne pourrait être contraire à cette disposition tant que la mesure serait raisonnable et conforme à l’intérêt général de la société. L’État jouirait dans ce domaine d’une ample marge d’appréciation.

41. En l’espèce, les autorités auraient opté pour un processus de sélection reposant sur un test d’aptitude, qui permettrait une appréciation objective grâce à laquelle le nombre limité de places disponibles irait aux meilleurs candidats. Quant à la recommandation de l’autorité de la concurrence, elle n’aurait pas porté sur les aspects généraux justifiant la mesure. De plus, il n’appartiendrait pas à la Cour d’examiner les faits qui ont conduit les juridictions internes à prendre une décision plutôt qu’une autre.

42. Enfin, la situation du huitième requérant relèverait de règles préétablies.

2. Appréciation de la Cour

a) Les principes généraux

43. La Cour rappelle que les garanties de l’article 2 du Protocole no 1 s’appliquent aux établissements d’enseignement supérieur existant dans les États membres du Conseil de l’Europe et que le droit à l’accès à ces établissements constitue un élément inhérent au droit qu’énonce la première phrase de ladite disposition (Leyla Şahin c. Turquie [GC], no 44774/98, §§ 134-142, CEDH 2005-XI, et Mürsel Eren c. Turquie, no 60856/00, § 41, CEDH 2006‑II).

44. Pour important qu’il soit, ce droit n’est toutefois pas absolu ; il peut donner lieu à des limitations implicitement admises car il « appelle de par sa nature même une réglementation par l’État » (Affaire linguistique belge, précitée). Certes, des règles régissant les établissements d’enseignement peuvent varier dans le temps et dans l’espace en fonction entre autres des besoins et des ressources de la communauté ainsi que des particularités de l’enseignement de différents niveaux. Par conséquent, les autorités nationales jouissent en la matière d’une certaine marge d’appréciation, mais il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention (Leyla Şahin, précité, § 154, et Ali c. Royaume-Uni, no 40385/06, § 53, 11 janvier 2011).

45. Afin de s’assurer que les limitations mises en œuvre ne réduisent pas le droit dont il s’agit au point de l’atteindre dans sa substance même et de le priver de son effectivité, la Cour doit vérifier qu’elles sont prévisibles pour le justiciable et tendent à un but légitime. Toutefois, à la différence des articles 8 à 11 de la Convention, elle n’est pas liée par une énumération exhaustive des « buts légitimes » sur le terrain de l’article 2 du Protocole no 1. En outre, pareille limitation ne se concilie avec ledit article que s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Leyla Şahin, précité, § 154).

46. Enfin, l’article 2 du Protocole no 1 permet en tout cas de limiter l’accès aux universités à ceux qui ont dûment demandé leur inscription et réussi l’examen correspondant (Lukach c. Russie (déc.), no 48041/99, 16 novembre 1999).

b) Application de ces principes au cas d’espèce quant à tous les requérants

47. En l’espèce, la Cour admet que les restrictions choisies par l’État italien, à savoir l’examen d’entrée et l’application d’un numerus clausus, étaient prévisibles, en vertu de la loi no 127/1997 ainsi que de la loi no 264/1999, adoptée par la suite, qui a apporté des précisions quant à l’application du numerus clausus.

48. La Cour considère en outre que ces restrictions répondent au but légitime consistant à assurer un haut niveau de compétence professionnelle des praticiens en faisant en sorte que l’enseignement universitaire soit délivré dans de bonnes conditions et atteigne un niveau minimal suffisant, but qui est d’intérêt général.

49. En ce qui concerne la proportionnalité des restrictions, la Cour note d’abord, pour ce qui est de l’examen d’entrée, que l’évaluation des candidats par des tests pertinents visant à repérer les étudiants les plus méritants est une mesure proportionnée au but consistant à assurer un niveau minimal suffisant d’enseignement dans les universités. En ce qui concerne la teneur des tests, elle a déjà dit, quoique dans un contexte différent, dans l’arrêt Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark (7 décembre 1976, § 53, série A no 23), que la définition et l’aménagement du programme des études relèvent en principe de la compétence des États contractants et qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur ces questions. De même, elle n’est pas compétente pour apprécier la teneur ni l’adéquation des tests en cause.

50. En ce qui concerne le numerus clausus, la Cour note que les requérants se plaignent en particulier de la base sur laquelle il a été appliqué, à savoir les deux critères concernant a) les capacités d’accueil et les ressources des universités, et b) le besoin de la société pour une profession donnée. Elle considère qu’il faut ménager un équilibre entre l’intérêt individuel des requérants et celui de la société dans son ensemble, y compris l’intérêt des autres étudiants qui suivent des cours à l’université. Elle observe que ces deux critères sont conformes à sa jurisprudence selon laquelle la réglementation du droit à l’instruction peut varier dans le temps et dans l’espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus (Affaire linguistique belge, précitée). Elle relève en outre que, en l’espèce, ces restrictions doivent être appréciées dans le contexte du plus haut niveau d’enseignement, à savoir l’enseignement supérieur.

51. En ce qui concerne le premier critère, la Cour estime que les considérations liées aux ressources sont clairement pertinentes et sans aucun doute acceptables – cela découle logiquement de l’interprétation donnée à la disposition en cause, selon laquelle le droit à l’instruction implique l’accès aux établissements d’enseignement supérieur « existants » (ibidem). La Cour rappelle que la Convention n’impose pas d’obligations déterminées quant à l’étendue des moyens d’instruction et à la manière de les organiser ou de les subventionner (X. c. Royaume-Uni, no 8844/80, décision de la Commission du 9 décembre 1980, Décisions et rapports 23, p. 228, et Georgiou c. Grèce (déc.), no 45138/98, 13 janvier 2000). Cela implique que le droit d’accéder à un enseignement ne vaut que dans la mesure où celui-ci est disponible et dans les limites qui lui sont associées, limites qui dépendent souvent des contingences nécessaires au fonctionnement des établissements, notamment des ressources humaines, matérielles et financières, avec les considérations qu’elles impliquent, notamment quant à leur qualité. Cela est particulièrement vrai pour ce qui est des universités publiques.

52. En ce qui concerne le grief que tirent les requérants du fait que les mêmes restrictions s’appliquent aux universités privées, c’est-à-dire à un enseignement pour lequel ils sont disposés à payés, la Cour admet qu’il est indéniable que les ressources nécessaires à l’enseignement théorique et pratique dans les établissements privés dépendent en fait en grande partie de leur capital humain, matériel et financier et qu’il serait donc possible pour ces établissements d’admettre davantage d’étudiants sans imposer une charge supplémentaire à l’État et à ses structures. Elle souligne toutefois qu’il faut tenir compte du fait que le secteur privé en Italie dépend en partie de subventions de l’État. De manière plus importante, elle ne saurait juger disproportionné ni arbitraire dans les circonstances de l’espèce le fait que l’État pose aussi des règles pour les établissements privés, compte tenu du fait que cette démarche peut être considérée comme nécessaire pour empêcher l’admission ou l’exclusion arbitraires d’étudiants et pour garantir l’égalité de traitement entre tous. La Cour rappelle que le droit fondamental de chacun à l’instruction vaut pour les élèves des établissements de l’enseignement public comme des établissements privés, sans aucune distinction (Leyla Şahin, précité, § 153). L’État a donc l’obligation de poser des règles applicables même aux établissements privés, afin de faire en sorte que la Convention soit respectée. La Cour estime justifié qu’il se montre rigoureux dans sa réglementation de ce secteur – en particulier dans les disciplines en cause, où il est de la plus haute importance que l’enseignement atteigne un niveau minimal suffisant – afin de garantir que l’accès aux établissements privés ne dépende pas purement des moyens financiers des candidats, indépendamment de leurs qualifications et de leur aptitude à exercer la profession concernée.

53. De plus, la Cour reconnaît que des classes comprenant un trop grand nombre d’étudiants peuvent nuire à l’efficacité du système d’enseignement en dégradant les conditions de formation.

54. Ainsi, eu égard aux intérêts en présence, elle considère que le premier critère imposé est à la fois légitime et proportionné.

55. En ce qui concerne le second critère, à savoir le besoin de la société pour une profession particulière, la Cour reconnaît que son interprétation est restrictive : elle n’est faite que dans une perspective nationale, limitée en outre au secteur public, dans laquelle on ignore tous les besoins pertinents qui peuvent exister dans un contexte européen ou privé plus large. De plus, cette interprétation peut être considérée comme manquant de vision à long terme en ce qu’il ne semble pas que les besoins locaux futurs aient été sérieusement pris en compte.

56. Néanmoins, de l’avis de la Cour, elle est équilibrée : le Gouvernement peut légitimement prendre des mesures destinées à éviter les dépenses publiques excessives. La formation de certaines catégories spécifiques de professionnels constitue un investissement énorme. Il est donc raisonnable que l’État aspire à l’assimilation sur le marché du travail de chaque étudiant retenu. En effet, un manque de débouchés dans ces catégories en raison d’une saturation du marché constituerait une dépense supplémentaire, le chômage étant indéniablement un fardeau pour la société dans son ensemble. Étant donné qu’il est impossible pour l’État de déterminer le nombre de diplômés susceptibles de chercher à s’expatrier, quittant ainsi le marché local, la Cour ne peut juger déraisonnable qu’il se montre prudent et base donc sa politique sur la présomption qu’une forte proportion d’entre eux demeurera dans le pays pour y chercher un emploi. Le second critère est donc lui aussi proportionné.

57. Enfin, la Cour note que les requérants n’ont pas été privés du droit de s’inscrire dans un autre cursus pour lequel ils auraient exprimé un intérêt (voir, mutatis mutandis, Lukach, décision précitée) et pour lequel ils auraient eu les qualifications requises. Ils n’ont pas non plus été privés de la possibilité de continuer leurs études à l’étranger, pour le cas où ils auraient souhaité poursuivre leur carrière hors d’Italie. Enfin, il ne semble pas qu’il y ait de limite au nombre de fois où les candidats sont autorisés à passer le test, de sorte qu’il leur est toujours possible de le repasser et d’être admis dans le cursus de leur choix.

58. En conclusion, la Cour considère que les mesures litigieuses n’étaient pas disproportionnées et qu’en les appliquant l’État n’a pas outrepassé sa marge d’appréciation.

59. Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 du Protocole no 1.

c) Application des principes au cas d’espèce en ce qui concerne M. Marcuzzo, le huitième requérant

60. Dans la mesure où l’on peut dire que le grief du huitième requérant dépasse la portée des considérations exposées ci-dessus, en ce qu’il a dû repasser le concours d’entrée après avoir été exclu du cursus en raison du fait qu’il en avait été absent pendant huit ans, la Cour note qu’il n’a pas été avancé que cette mesure fût imprévisible. Elle considère en outre qu’il n’était pas déraisonnable d’exclure du cursus un étudiant qui n’avait pas passé les examens pendant huit années consécutives, en particulier compte tenu du fait qu’un numerus clausus s’applique à la formation en question. En conséquence, elle estime que la mesure dont il se plaint poursuivait un but légitime et que, l’État étant fondé à réglementer le droit à l’instruction, cette mesure était proportionnée : elle a en effet ménagé un équilibre entre l’intérêt du requérant d’une part et ceux des autres personnes qui souhaitaient s’inscrire dans ce cursus et de la communauté dans son ensemble d’autre part.

61. Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu violation de la Convention en ce qui concerne cette partie de la requête du huitième requérant.

(...)

PAR CES MOTIFS, LA COUR

(...)

2. Dit, par six voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 du Protocole no 1;

3. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 du Protocole no 1 en ce qui concerne le grief supplémentaire du huitième requérant.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 2 avril 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Françoise Elens-PassosDanutė Jočienė
Greffière adjointePrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Pinto de Albuquerque.

D.J.
F.E.P.

(...)

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE
DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

(Traduction)

L’affaire Tarantino et autres porte sur un système de numerus clausus imposé par l’État pour l’accès tant aux universités d’État qu’aux universités privées dans certains domaines tels que l’odontologie et la médecine. Le litige porte sur le caractère disproportionné des critères utilisés par l’État défendeur pour réglementer le numerus clausus ; mais ce qui sous-tend cette question de proportionnalité, ce sont des problématiques fondamentales telles que la portée et les implications du droit de bénéficier d’un enseignement universitaire et la marge d’appréciation des États parties en matière de réglementation des universités. Malgré tout le respect que j’ai pour la majorité, je ne peux souscrire à son raisonnement, car je considère que les critères utilisés par l’État défendeur étaient bel et bien disproportionnés. En ce qui concerne les autres griefs des requérants, je rejoins la majorité.

L’enseignement universitaire en tant que droit de l’homme

Le droit de bénéficier d’un enseignement universitaire est un droit de l’homme. Même si l’article 2 du Protocole no 1 est formulé en termes négatifs, les États parties ont une obligation positive non seulement d’ouvrir l’accès aux écoles et aux établissements d’enseignement existants et de reconnaître officiellement les cursus suivis jusqu’à leur terme[1], mais aussi de favoriser l’accès à l’instruction pour tous les enfants, si nécessaire en ouvrant de nouvelles formations. Cette obligation internationale générale est aussi confirmée par l’article 28 de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant (193 États parties, dont l’État défendeur, qui l’a ratifiée en 1991 sans aucune réserve) combiné avec l’article 26 § 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (160 États parties, dont l’État défendeur, qui l’a ratifié en 1978 sans aucune réserve)[2]. Cette obligation des États parties est le pendant d’un droit fondamental à l’instruction dans le système d’enseignement public[3], y compris les universités d’État[4].

Les États parties ont certes le pouvoir de réglementer l’accès à l’instruction et a fortiori aux études universitaires[5], mais la réglementation qu’ils adoptent est soumise au contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme (« la Cour »), qui a par exemple eu à examiner des cas où un étudiant s’était vu refuser l’accès à l’université au motif qu’il n’avait pas apporté en temps utile la preuve qu’il répondait à certains critères[6], où un étudiant n’avait pas été autorisé à recommencer sa première année d’études universitaires au motif qu’il avait échoué aux examens de première année et qu’il avait manqué plusieurs cours obligatoires[7], où des étudiants avaient été exclus temporairement ou définitivement d’une université ou d’un autre établissement d’enseignement supérieur[8], où les résultats de l’examen d’entrée à l’université avaient été annulés[9] et où des étudiants s’étaient vu interdire de passer un examen universitaire ou avaient été contraints d’interrompre leurs études au motif qu’ils devaient purger une peine de prison[10].

Étant donné que le droit à l’instruction comprend le droit d’enseigner, l’article 2 du Protocole no 1 protège aussi le droit d’ouvrir et d’exploiter des écoles et des universités privées[11]. Si ce droit n’implique pas l’obligation positive pour l’État de financer les écoles et les universités privées[12], il lui impose l’obligation négative de ne pas faire subir de discrimination aux écoles et aux universités privées, c’est-à-dire de ne pas leur imposer de contraintes, restrictions ou interdictions injustifiées par rapport à celles des écoles et universités d’État.

La marge d’appréciation de l’État dans la fixation des règles applicables à l’enseignement universitaire

Les États parties jouissent d’une certaine latitude lorsqu’ils exercent leur pouvoir réglementaire sur les établissements d’enseignement publics[13]. Ils peuvent par exemple imposer une période obligatoire de fréquentation de l’école publique[14]. De leur côté, les écoles publiques ont l’obligation d’offrir un enseignement dans les langues nationales[15], de transmettre le savoir de manière objective, critique et pluraliste[16], et de dispenser des cours non discriminatoires[17] dans un environnement sûr, exempt de toute forme de mauvais traitements[18].

Les autorités publiques ne peuvent exercer le même degré de contrôle sur les enseignements d’établissements privés que sur les enseignements d’établissements publics : les seconds jouissent d’une certaine autonomie institutionnelle, conformément à la politique éducative de chaque État, mais les premiers doivent avoir une autonomie plus grande. L’autonomie institutionnelle comprend au minimum l’établissement du cursus académique et le contrôle de l’admission, de l’évaluation, de la suspension et de l’expulsion des étudiants, la sélection et la promotion du personnel académique et administratif et le contrôle du budget et de l’organisation financière de l’établissement[19]. Garantie cruciale de la liberté académique, l’autonomie institutionnelle est aussi la meilleure assurance du respect de la liberté d’enseigner et du droit à l’instruction[20]. Si le gouvernement ou d’autres autorités publiques intervenaient dans la réglementation de l’un quelconque de ces aspects, soit en imposant a priori certaines règles soit en annulant a posteriori des règles ou décisions approuvées par des établissements privés, cette intervention devrait respecter des règles strictes de nécessité et de proportionnalité[21]. Ainsi, la marge d’appréciation des États parties est plus large en ce qui concerne la fixation de règles applicables aux établissements d’enseignement public et plus étroite en ce qui concerne les règles applicables aux établissements d’enseignement privés. A fortiori, dans l’enseignement supérieur, où l’autonomie institutionnelle joue un rôle crucial, la marge d’appréciation applicable est encore plus étroite[22]. À l’inverse, plus l’État finance les écoles et les universités privées, plus sa marge d’appréciation est large.

L’application des normes de la Convention en l’espèce

Le gouvernement italien établit le numerus clausus pour l’accès aux études de médecine et d’odontologie dans les universités publiques et privées sur la base de deux critères : les capacités d’accueil et les ressources de ces universités d’une part, et le besoin de la société pour une profession donnée d’autre part. En réalité, le deuxième critère renvoie aux besoins du secteur public de la santé au niveau national. Ces critères résultent de la réflexion d’un groupe de travail composé notamment de représentants de la Fédération nationale des médecins et de l’Ordre des médecins et des dentistes. Le nombre de places pour chaque université est établi sur une base régionale. En général, l’augmentation du nombre de places attribuées à une université compense une diminution du nombre de places attribuées à d’autres universités de la même région.

Le Gouvernement justifie le premier critère par le besoin de garantir un haut niveau de qualité dans l’enseignement universitaire et un haut degré de compétences professionnelles chez les médecins et les dentistes en veillant à ce qu’il n’y ait pas trop d’étudiants par rapport au nombre d’enseignants et en assurant une utilisation rationnelle des ressources matérielles disponibles et un accès contrôlé d’abord aux postes d’internes dans les hôpitaux publics puis au marché du travail. Ainsi, le numerus clausus est présenté comme une formule magique qui permettrait d’éviter la surpopulation universitaire et la présence d’un trop petit nombre de professeurs pour trop d’étudiants, qui n’auraient alors pas la possibilité de recevoir une formation pratique avant d’entrer sur le marché du travail.

Le Gouvernement justifie le deuxième critère en arguant qu’il vise à éviter un excès de dépenses publiques actuelles et futures, en ce que, d’une part, l’enseignement de la médecine et de l’odontologie et la formation des médecins et des dentistes impliqueraient des dépenses importantes pour la génération actuelle et, d’autre part, une saturation future du marché du travail impliquerait des dépenses supplémentaires, compte tenu du coût du chômage pour la société.

Malheureusement, l’un et l’autre critères sont sans fondement, car ils participent plus de la fiction que de la réalité.

Les capacités d’accueil et les ressources des universités en tant que critère du numerus clausus

Le Gouvernement n’a fourni à la Cour aucune donnée sur les capacités d’accueil et les ressources des universités qui soit de nature à justifier le numerus clausus établi pour les années pertinentes (2007-2009). Il n’a pas non plus avancé de raison à l’appui de l’application de ce numerus clausus aux universités privées.

En fait, les décisions ministérielles relatives au numerus clausus ne présentent aucune motivation technique mais résultent plutôt de choix discrétionnaires[23]. Il n’y a tout simplement aucune base objective à ce choix politique, qui demeure libre de toute contrainte empirique véritablement fondée.

Pis encore, ce critère ne tient pas compte du simple fait que les universités privées sont largement indépendantes du financement de l’État en Italie, et pourraient donc augmenter le nombre de places disponibles à leurs propres frais. Comme expliqué ci-dessus, l’État défendeur jouit d’une marge d’appréciation très étroite s’agissant d’imposer des limites aux universités privées[24], et la Cour n’a été informée d’aucune raison de fond susceptible de justifier une ingérence aussi grave dans le droit d’établissement des universités privées et dans leur autonomie institutionnelle. Or les universités privées italiennes sont fondées à établir leurs propres limites en matière d’inscription, compte tenu de leurs ressources humaines, matérielles et financières. En d’autres termes, le numerus clausus imposé par l’État aux universités privées porte gravement atteinte, d’une part, à la liberté d’enseigner, en ce qu’il empêche les universités privées qui disposent d’une infrastructure matérielle et de ressources humaines suffisantes d’augmenter à leurs propres frais le nombre de places qu’elles proposent et, d’autre part, au droit à l’instruction, en ce qu’il empêche d’être admises à l’université des personnes qui sont prêtes à payer de leur poche le prix de ce service[25]. Le système de numerus clausus litigieux est donc déjà disproportionné sur la base du premier critère utilisé par le Gouvernement.

Le besoin de la société pour une profession donnée en tant que critère du numerus clausus

Le Gouvernement interprète le besoin de la société comme le besoin du secteur public de la santé en Italie. Ce critère aggrave la disproportion de l’ingérence de l’État défendeur dans le droit à l’instruction, car il ne tient pas compte du fait que le secteur de la santé italien comprend aussi un secteur privé, qui a ses propres besoins[26]. Cette omission est particulièrement fautive dans le cas de l’odontologie, étant donné que la vaste majorité des dentistes travaillent dans le secteur privé[27]. De plus, ce critère ne tient pas compte du fait que l’Italie est membre d’un marché plus large de services de santé, à savoir l’Union européenne, dans laquelle les professionnels de la santé sont libres de se déplacer et de travailler librement[28]. En outre, il est par essence contradictoire avec le développement de l’enseignement supérieur en Europe dans le cadre du processus de Bologne[29], qui vise non seulement à assurer une plus grande autonomie institutionnelle aux universités, en attribuant à chaque établissement la responsabilité première de l’assurance de la qualité de son enseignement supérieur[30], mais aussi à améliorer l’accès à l’enseignement supérieur en général et en particulier à y accroître la participation des groupes sous-représentés[31]. Ce critère est aussi contraire à l’esprit de la Convention de Lisbonne de 1997, qui est à la base du processus de Bologne[32]. D’un point de vue plus large, il va à l’encontre de l’obligation qu’ont les États de rendre l’enseignement supérieur également accessible à tous, sur la base du mérite, en vertu de l’article 13 § 2 c) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels[33] et de l’article 26 § 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme[34]. Le critère ultime pour apprécier les candidats est leur mérite, et non les besoins du marché. Enfin, le critère lié au marché est fondamentalement injuste, en ce qu’il fait obstacle à l’entrée sur le marché de nouveaux acteurs au seul motif des besoins allégués de ce marché, alors que ces nouveaux acteurs pourraient réussir sur ce marché grâce à leurs aptitudes et à leur travail alors que d’autres n’y parviendraient pas. En fait, l’effet concret déplorable du système actuel de numerus clausus est qu’il restreint la concurrence entre les professionnels du secteur de la santé et maintient la rigidité et l’inefficacité du marché dans ce domaine, en ne laissant que deux possibilités : l’offre publique d’une part, et les services privés aux prix artificiellement gonflés d’autre part[35]. Cela a pour triste conséquence de contraindre les futurs étudiants à partir étudier à l’étranger, du moins pour ceux d’entre eux qui en ont les moyens[36].

L’arbitraire du régime juridique tel qu’il est appliqué résulte du simple fait que ce régime ne sert aucun autre but en pratique que de protéger les avantages des professionnels de la santé déjà installés. La meilleure preuve en est la participation d’associations de professionnels de la santé au groupe de travail qui établit les quotas d’admission, participation qui constitue un cas flagrant de conflit d’intérêts[37].

Conclusion

Citant des universitaires sud-africains qui s’élevaient contre une politique gouvernementale d’admission restrictive, le juge Frankfurter a dit ceci : « Il incombe à l’université d’offrir un environnement qui soit le plus propice possible à l’élaboration d’hypothèses, à la réalisation d’expériences et à la création, un environnement où prévalent « les quatre libertés essentielles de l’université » : déterminer elle-même à partir de motifs académiques qui peut enseigner, ce qui peut être enseigné, comment enseigner et qui peut être admis à étudier »[38]. En d’autres termes, l’autonomie institutionnelle est une condition nécessaire à la liberté professionnelle d’enseigner et au droit individuel d’accès à l’enseignement supérieur.

Tant dans leur conception que dans leur application, les critères établis par l’État défendeur pour le système de numerus clausus se sont révélés infondés et même arbitraires au regard de ces droits et libertés. L’ingérence portée dans le droit des requérants à l’instruction a donc été disproportionnée et, partant, il y a eu violation de l’article 2 du Protocole no 1.

* * *

[1]. Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique » (fond), 23 juillet 1968, p. 85, § 42, série A no 6 (« l’Affaire linguistique belge »).

[2]. Voir aussi l’Observation générale 13 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels sur le droit à l’éducation (UN doc. E/C.12/1999/10, 8 décembre 1999, § 6), où il est souligné que « les établissements d’enseignement et les programmes éducatifs doivent exister en nombre suffisant à l’intérieur de la juridiction de l’État partie », ce qui implique une obligation renforcée d’ouvrir des établissements et des programmes lorsque l’offre est insuffisante. De plus, dans une société démocratique, le droit à l’instruction, indispensable à la réalisation des droits de l’homme, occupe une place si fondamentale qu’une interprétation restrictive de la première phrase de l’article 2 du Protocole no 1 ne correspondrait pas au but et à l’objet de cette disposition (Leyla Şahin c. Turquie [GC], no 44774/98, § 137, CEDH 2005‑XI).

[3]. Campbell et Cosans c. Royaume-Uni (25 février 1982, § 33, série A no 48) et Timichev c. Russie (nos 55762/00 et 55974/00, §§ 63-67, CEDH 2005-XII).

[4]. Leyla Şahin (précité, § 137). Voir aussi le paragraphe 17 de l’Observation générale 13 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, précitée : « L’enseignement supérieur doit satisfaire aux critères des dotations, de l’accessibilité, de l’acceptabilité et de l’adaptabilité communs à l’enseignement sous toutes ses formes et à tous les niveaux. »

[5]. Leyla Şahin (précité, § 136).

[6]. Lukach c. Russie (déc.), no 48041/99, 16 novembre 1999.

[7]. X. c. Royaume-Uni (no 8844/80, décision de la Commission du 9 décembre 1980, Décisions et rapports (DR) 23).

[8]. İrfan Temel et autres c. Turquie (no 36458/02, 3 mars 2009), Yanasik c. Turquie (no 14524/89, décision de la Commission du 6 janvier 1993, DR 74), et Sulak c. Turquie (no 24515/94, décision de la Commission du 17 janvier 1996, DR 84-B).

[9]. Mürsel Eren c. Turquie (no 60856/00, CEDH 2006-II).

[10]. Décisions Georgiou c. Grèce (no 45138/98, 13 janvier 2000) et Durmaz, Isik, Unutmaz et Sezal c. Turquie (nos 46506/99, 46569/99, 46570/99 et 46939/99, 4 septembre 2001).

[11]. Costello-Roberts c. Royaume-Uni (25 mars 1993, § 27, série A no 247-C), et Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark (7 décembre 1976, § 50, série A no 23). Voir aussi l’article 13 § 4 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui proclame « la liberté des individus et des personnes morales de créer et de diriger des établissements d’enseignement », sous réserve que les principes énoncés à l’article 13 § 1 soient observés et que l’éducation donnée dans ces établissements soit conforme à certaines normes minimales.

[12]. Verein Gemeinsam Lernen c. Autriche (no 23419/94, décision de la Commission du 6 septembre 1995, DR 82-B), sur le financement des écoles privées laïques, et, précédemment, X. c. Royaume-Uni (no 7527/76, décision de la Commission du 5 juillet 1977, DR 11) et X. et Y. c. Royaume-Uni (no 9461/81, décision de la Commission du 7 décembre 1982, DR 31), sur le financement des écoles privées religieuses. Voir aussi le paragraphe 54 de l’Observation générale 13 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels sur le droit à l’éducation, précitée.

[13]. Lautsi et autres c. Italie [GC], no 30814/06, CEDH 2011.

[14]. Konrad c. Allemagne (déc.), no 35504/03, CEDH 2006-XIII.

[15]. Chypre c. Turquie [GC], no 25781/94, §§ 273-280, CEDH 2001-IV.

[16]. Folgerø et autres c. Norvège [GC], no 15472/02, CEDH 2007-III, Hassan et Eylem Zengin c. Turquie (no 1448/04, 9 octobre 2007), et Kjeldsen, Busk Madsen et Pedresen (précité, § 50). Voir aussi le paragraphe 28 de l’Observation générale 13 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels sur le droit à l’éducation, précitée, qui évoque un enseignement « dispensé d’une manière impartiale et objective, respectueuse des libertés d’opinion, de conviction et d’expression », et l’affaire Keyishian v. Board of Regents (385 US 589, 1967), avec les paroles inspirantes du juge Brennan sur la liberté académique : « Notre nation est profondément déterminée à protéger la liberté académique, qui est d’une importance transcendante pour nous tous et non pas seulement pour les enseignants concernés. »

[17]. Voir D.H. et autres c. République tchèque [GC] (no 57325/00, CEDH 2007-IV), ainsi que les paragraphes 31-34 et 59 de l’Observation générale 13 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels sur le droit à l’éducation, précitée.

[18]. Campbell et Cosans (précité, § 41).

[19]. Voir la Déclaration de Lisbonne de 2009 de l’Association européenne des universités, selon laquelle « chaque université devrait définir et accomplir sa propre mission, et ainsi contribuer à la réponse collective aux besoins des différents pays et de l’Europe dans son ensemble ». À la lumière de cette mission, l’autonomie institutionnelle devrait inclure « l’autonomie académique (cursus, programmes, recherche), l’autonomie financière (budgétisation forfaitaire), l’autonomie organisationnelle (structure de l’université) et l’autonomie quant aux questions de personnel (responsabilité du recrutement, des salaires et des promotions) ». De même, le paragraphe 40 de l’Observation générale 13 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels (précitée) indique ceci : « L’exercice des libertés académiques nécessite l’autonomie des établissements d’enseignement supérieur. Être autonome, c’est pour un établissement d’enseignement supérieur jouir du degré d’indépendance dont il a besoin pour prendre des décisions efficaces, qu’il s’agisse de ses travaux, de ses normes, de sa gestion ou de ses activités connexes. » Sur la question de l’autonomie institutionnelle des universités, voir aussi l’opinion du juge Powell sur une politique d’admission prenant en compte des critères raciaux dans l’affaire Regents of the University of California v. Bakke (438 US 265, 312 (1978)), celle du juge Stevens sur une politique universitaire consistant à refuser aux étudiants l’utilisation des installations du campus à des fins religieuses dans l’affaire Widmar v. Vincent (454 US 263, 278 (1981)) et, pour la cour unanime, sur le pouvoir de refuser la réadmission d’un étudiant ayant raté certains examens dans l’affaire Regents of University of Michigan v. Ewing (474 US 214 (1985)), celle du juge Souter, à laquelle souscrivaient les juges Stevens et Breyer, sur la perception de frais obligatoires destinés à financer les activités d’associations d’étudiants dans l’affaire Board of Regents of University of Wisconsin v. Southworth (529 US 217 (2000)) et celle du juge O’Connor’s sur un programme de discrimination positive raciale dans l’affaire Grutter v. Bollinger (539 US 306, 329 (2003)).

[20]. À cet égard, le principe de l’autonomie institutionnelle des universités est d’une importance fondamentale tant pour l’interprétation de l’application des lois que pour la résolution des demandes concurrentes des gouvernements, des universités, des universitaires, du personnel administratif et des étudiants.

[21]. Premièrement, l’ingérence doit être prévue par la loi. Deuxièmement, elle doit être nécessaire, c’est-à-dire répondre de manière satisfaisante au « besoin social » (intérêts sociaux, droits et libertés d’autrui) qu’elle vise à combler et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire à cette fin. Troisièmement, elle doit être proportionnée, c’est-à-dire ménager un juste équilibre entre les droits, libertés et intérêts concurrents, tout en faisant en sorte que l’essence (le noyau dur) du droit ou de la liberté soit respectée (Affaire linguistique belge, précitée, p. 32, § 5). Le même raisonnement a été exposé il y a longtemps dans l’affaire Trustees of Dartmouth College v. Woodward (17 US 518 (1819)). Dans l’affaire Hochschulurteil (BVerfGE 35, 79), la Cour constitutionnelle allemande a dit aussi que la liberté académique ne pouvait être restreinte que pour garantir le respect d’autres valeurs constitutionnelles. Dans son arrêt du 11 septembre 2007 (affaire C-76/05), la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a quant à elle confirmé que les cours que dispensaient les établissements d’enseignement essentiellement financés par des fonds privés, notamment par les étudiants et leurs parents, constituaient des services au sens du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), et que toute restriction à l’accès à un établissement d’enseignement privé établi dans un autre État membre devait être justifiée.

[22]. Voir, dans le domaine de l’enseignement supérieur en Europe, le rapport de l’Association européenne pour la garantie de la qualité dans l’enseignement supérieur (ENQA) sur les normes et les lignes directrices en matière d’assurance qualité dans le domaine de l’enseignement supérieur en Europe (Standards and Guidelines for Quality Assurance in the European Higher Education Area, troisième édition, 2009, Helsinki, p. 11), qui souligne l’« importance centrale de l’autonomie institutionnelle, tempérée par une reconnaissance des lourdes responsabilités qu’elle comporte ».

[23]. Le Gouvernement ne se sent même pas tenu de suivre les chiffres avancés par les universités elles-mêmes quant à leur capacité d’accueil (voir l’exemple mentionné par l’autorité italienne de la concurrence dans son rapport du 21 avril 2009, où elle parle de « scelte di opportunità » et de « risposte dei ministeri non emergono le motivazioni tecniche concernenti tale riduzione »).

[24]. Cela n’empêche pas, mais au contraire présuppose, une appréciation rigoureuse de la qualité des universités, y compris les universités privées, faite en suivant par exemple les lignes directrices générales énoncées dans la Déclaration de Graz de 2003 de l’Association européenne des universités, le « code de bonnes pratiques » (Code of Good Practice) de 2004 du Consortium européen pour l’accréditation (European Consortium for Accreditation) et les « normes et lignes directrices pour l’assurance qualité dans l’enseignement supérieur européen » (Standards and Guidelines for Quality Assurance in the European Higher Education Area) rédigées par l’ENQA en coopération avec l’Association européenne des universités, l’Association européenne des établissements d’enseignement supérieur (European Association of Institutions in Higher Education) et l’Union des étudiants d’Europe, et approuvées par les ministres de l’Education des États signataires de la Déclaration de Bologne à la réunion tenue à Bergen en mai 2005.

[25]. C’était exactement le raisonnement de la Cour dans l’Affaire linguistique belge (précitée, p. 42, § 7) : l’un des requérants s’estimait victime d’une violation du droit à l’instruction car dans une région néerlandophone où vivait une minorité francophone, il y avait des écoles publiques néerlandophones mais non francophones. La Cour a rejeté ce grief précisément parce que rien n’empêchait le requérant de s’inscrire à ses propres frais dans l’une des écoles francophones privées de la région.

[26]. Il est très douteux que l’on puisse procéder à une appréciation objective et rigoureuse des nécessités du marché de la santé, compte tenu en particulier des besoins du secteur privé dans tous ses aspects.

[27]. Comme l’a souligné l’autorité italienne de la concurrence dans son rapport du 21 avril 2009, « la massima parte delle prestazioni odontoiatriche in Italia non viene fornita dagli odontoiatri del Sistema Sanitario Nazionale (…), ma privatamente, ossia dagli odontoiatri liberi professionisti ». On pourrait faire la même remarque, par exemple, pour les architectes, les chirurgiens vétérinaires ou les infirmiers.

[28]. Dans un arrêt du 13 février 1985 (affaire 293/83), la CJCE a dit pour la première fois qu’un candidat à un établissement d’enseignement supérieur artistique avait le droit d’accéder à l’enseignement indépendamment de toute démonstration du fait qu’il puisse avoir d’autres droits en vertu du Traité. Dans un arrêt du 27 janvier 1986 (affaire 24/86), elle a élargi la portée de cette analyse, en affirmant que les études universitaires telles que les études vétérinaires relevaient de la portée du Traité dès lors que l’examen final conférait directement la qualification requise ou que les études apportaient la formation et les compétences nécessaires pour l’exercice d’une profession, d’un commerce ou d’un emploi, même si aucune disposition de loi ni aucun texte administratif ne prévoyaient que l’acquisition des connaissances correspondantes était un prérequis à cette fin. Dans un arrêt du 12 juin 1986 (affaires jointes 98, 162 et 258/85), elle a dit qu’aucune disposition du droit communautaire n’imposait aux États membres de limiter le nombre d’étudiants admis dans les facultés de médecine en mettant en place un système de numerus clausus. Récemment, dans un arrêt du 13 avril 2010 (affaire C-73/08), elle a dit que les articles 18 et 21 du TFUE faisaient obstacle à ce que la législation nationale limite le nombre d’étudiants non résidents en Belgique pouvant s’inscrire pour la première fois dans les cursus médicaux et paramédicaux des établissements d’enseignement supérieur, à moins que les juridictions nationales ne considèrent que cette législation était justifiée à la lumière de l’objectif consistant à protéger la santé publique. Elle a estimé à cet égard que ce n’était qu’avec des « données solides et cohérentes » que l’État membre pourrait démontrer l’existence d’un risque pour la santé publique, et elle a précisé qu’en l’absence de ce risque, la liberté de circulation des étudiants commandait que ceux-ci disposent de larges possibilités d’accès à l’enseignement supérieur hors de chez eux.

[29]. Je parle évidemment du processus entamé avec la Déclaration de la Sorbonne de 1998 sur l’harmonisation de l’architecture du système européen d’enseignement supérieur, adoptée conjointement par les ministres de l’Éducation allemand, britannique, français et italien, et suivie de la Déclaration ministérielle de Bologne en 1999. Au départ, le processus prévoyait essentiellement une plus grande mobilité des étudiants entre les différents cycles de l’enseignement supérieur (licence, master, doctorat) et une plus grande facilité de transfert des professionnels grâce à la reconnaissance des diplômes. La plupart des objectifs de Bologne se retrouvent aujourd’hui à l’article 165 du TFUE, bien que le processus de Bologne soit le fruit d’une coopération intergouvernementale régionale et ne se soit pas traduit par une mesure normative de l’Union.

[30]. La Déclaration ministérielle de Berlin de 2003, dans laquelle il a été reconnu que les établissements devaient avoir le pouvoir de décider de leur organisation et de leur administration internes, a été renforcée par la Déclaration de Lisbonne de 2009 susmentionnée.

[31]. Voir la Déclaration ministérielle de Leuven/Louvain-La-Neuve de 2009 et la Déclaration d’Aarhus de 2011 de l’Association européenne des universités.

[32]. La Convention sur la reconnaissance des qualifications relatives à l’enseignement supérieur dans la région européenne, appelée aussi Convention de reconnaissance de Lisbonne, a été conclue sous les auspices du Conseil de l’Europe avant le début du processus de Bologne, mais le processus de Bologne comprenait comme objectif la ratification de cette convention. Il a d’ailleurs été dit que la Convention de Lisbonne était le seul instrument juridiquement contraignant de tout le processus de Bologne. Elle impose aux États parties de reconnaître, aux fins de l’accès aux programmes relevant de leur système d’enseignement supérieur, les qualifications délivrées dans l’un d’entre eux qui satisfont aux conditions générales d’accès à l’enseignement supérieur, à moins que l’on ne puisse démontrer qu’il existe une différence substantielle entre les conditions générales d’accès dans la Partie dans laquelle la qualification a été obtenue et dans la Partie dans laquelle la reconnaissance de la qualification est demandée. Selon le Rapport explicatif, en règle générale, lors de l’examen des différences substantielles entre les deux qualifications concernées, les Parties et les institutions d’enseignement supérieur sont « encouragées à considérer, dans la mesure du possible, la valeur des qualifications en question ».

[33]. Voir aussi l’Observation générale 13 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, précitée : « Selon l’article 13(2)(c), l’enseignement supérieur n’a pas à être « généralisé » : il doit uniquement être rendu accessible « en fonction des capacités de chacun ». Ces « capacités » devraient être appréciées eu égard à l’ensemble des connaissances et de l’expérience des intéressés. »

[34]. Cet article mentionne le « mérite » et non les « capacités » des candidats, mais le sens est le même : « l’accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite ».

[35]. Il ne s’agit pas là de mon propre diagnostic, mais du fruit du rapport détaillé établi par l’autorité italienne de la concurrence le 21 avril 2009.

[36]. Sur la situation des étudiants italiens qui ne sont pas partis étudier à l’étranger en raison d’obstacles financiers en 2009-2010, voir L’espace européen de l’enseignement supérieur en 2012 : rapport sur la mise en œuvre du processus de Bologne, Agence exécutive « Éducation, audiovisuel et culture », 2012, Bruxelles, pp. 167-168.

[37]. Comme l’a aussi dit l’autorité italienne de la concurrence dans le rapport susmentionné, où elle a estimé que cette situation inspirait « perplessità sotto il profilo concorrenziale… potrebbe essere intrinsecamente portatore di interessi confliggenti ».

[38]. Dans l’opinion concordante bien connue qu’il a exprimée dans l’affaire Sweezy v. New Hampshire (354 US 234 (1957)).


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