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10/01/2013 | CEDH | N°001-115852

CEDH | CEDH, AFFAIRE CLAES c. BELGIQUE, 2013, 001-115852


CINQUIEME SECTION

AFFAIRE CLAES c. BELGIQUE

(Requête no 43418/09)

ARRÊT

STRASBOURG

10 janvier 2013

DÉFINITIF

10/04/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Claes c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
André Potocki,


Paul Lemmens,
Helena Jäderblom, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 décembre 20...

CINQUIEME SECTION

AFFAIRE CLAES c. BELGIQUE

(Requête no 43418/09)

ARRÊT

STRASBOURG

10 janvier 2013

DÉFINITIF

10/04/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Claes c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Helena Jäderblom, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 décembre 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 43418/09) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant de cet Etat, M. André Claes (« le requérant »), a saisi la Cour le 3 août 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me P. Verpoorten, avocat à Herentals. Le gouvernement belge (« le Gouvernement »), est représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.

3. Le requérant allègue en particulier que son maintien en détention dans un lieu inapproprié à son état emporte violation des articles 3, 5 § 1 e) et 5 § 4 de la Convention.

4. Le 5 mai 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1952 et est actuellement interné à l’annexe psychiatrique de la prison de Louvain.

6. Le requérant fut une première fois interné le 4 avril 1978 pour faits de viols répétés sur ses sœurs mineures commis entre 1973 et 1977. Cet internement faisait suite à un jugement du 2 février 1978 du tribunal correctionnel de Louvain qui avait considéré que le requérant n’était pas pénalement responsable de ses actes. Il fut mis en liberté le 24 avril 1978 sous condition de se faire accompagner en milieu hospitalier et de faire l’objet d’un suivi par un psychiatre, le docteur V. Ce dernier avait, le 27 avril 1977, rendu un avis dans lequel il constatait que le requérant souffrait d’un retard mental important.

7. Le 20 août 1982, le requérant fut à nouveau interné et mis en observation à la prison de Merksplas sur intervention du procureur du Roi pour atteinte sexuelle sur un enfant.

8. Le 7 mars 1983, la commission de défense sociale (« CDS ») de Louvain décida que le requérant devait obligatoirement être transféré au sein de la clinique psychiatrique privée de Bierbeek. En raison de son comportement agressif et d’un nouveau fait d’agression sexuelle, le requérant fut toutefois réintégré à l’annexe psychiatrique de la prison de Merksplas en octobre 1984.

9. La CDS évalua régulièrement la situation afin de trouver un établissement psychiatrique approprié et décida, le 2 décembre 1985, de la mise en liberté à l’essai du requérant à l’institut psychiatrique privé Dr Guislain à Gand.

10. Le 4 mai 1987, la CDS autorisa le requérant à vivre seul sous condition d’une thérapie journalière à l’hôpital.

11. Le 12 juin 1987, le requérant fut à nouveau intercepté pour atteinte à la pudeur sur une jeune fille et fut placé à l’annexe psychiatrique de la prison de Turnhout où il resta jusqu’en septembre 1989, date à laquelle il fut mis en liberté à l’essai sous condition d’effectuer un séjour en hôpital psychiatrique.

12. En 1994, à la suite de plusieurs incidents avec des jeunes filles et les membres féminins du personnel soignant ainsi que plusieurs rapports psychologiques constatant que le requérant était une personne manipulatrice et potentiellement dangereuse qui n’était pas en mesure de vivre en liberté, la CDS, se référant au jugement du tribunal correctionnel du 2 février 1978, décida de sa réintégration à l’annexe psychiatrique de la prison Merksplas.

13. En 1998, plusieurs entretiens furent menés avec des institutions psychiatriques externes en vue de l’admission du requérant mais ces démarches n’aboutirent pas.

14. Une évaluation des capacités intellectuelles du requérant fut effectuée en 1998 révélant un quotient intellectuel de 72 et le classant comme « handicapé mental ».

15. Entre 1999 et 2001, le requérant bénéficia de six consultations auprès du psychiatre de la prison. Ces consultations furent effectuées par cinq psychiatres différents.

16. Plusieurs avis établis par le service psycho-social de la prison entre 2002 et 2004 firent état de la poursuite, sans succès, des recherches d’un cadre résidentiel pour le requérant. Un rapport établi par le psychologue R. en juillet 2004 concluait en ces termes :

(traduction)

« L’intéressé a été interné pour faits de mœurs. Il est considéré comme un homme peu doué avec une personnalité immature. Nous continuons à chercher un établissement résidentiel qui serait prêt à le prendre. Nous partons de l’idée que le séjour dans un établissement structuré réduit considérablement le risque de récidive. Trouver un tel établissement n’est malheureusement pas facile. (...) Dans l’attente, une place aurait été trouvée sur liste d’attente de [l’établissement privé de soins pour personnes handicapées] Borgenstein. Cela ne peut toutefois pas durer encore longtemps. »

17. De 2002 à 2004, le requérant bénéficia en moyenne d’une consultation par mois auprès du psychiatre de la prison. Ces consultations eurent lieu avec six psychiatres différents.

18. L’avis du service psycho-social de la prison du 5 septembre 2005 fit état d’une amélioration du comportement du requérant, de son fonctionnement au sein de sa section et de la perspective d’un reclassement.

19. Le 12 septembre 2005, la CDS prolongea l’internement du requérant à Merksplas jusqu’à ce qu’il puisse être placé dans le cadre du secteur flamand de l’intégration sociale des personnes avec un handicap.

20. En 2005 et 2006, le requérant bénéficia en moyenne d’une consultation par mois auprès du psychiatre de la prison. Ces consultations eurent lieu avec quatre psychiatres différents.

21. Le 18 décembre 2007, alléguant de la médiocrité de l’offre de soins en annexe psychiatrique, de l’inadéquation de l’environnement carcéral à la détention des malades mentaux et de la violation subséquente des articles 3 et 5 de la Convention, le requérant cita l’Etat belge en référé devant le Président du tribunal de première instance de Turnhout afin qu’il soit ordonné, sous peine d’astreinte, aux autorités de trouver une place dans un établissement adapté conformément à la décision de la CDS.

22. Un avis rendu par le docteur G. de la prison de Merksplas indiquait le 27 décembre 2007 :

(traduction)

« L’intéressé est un homme peu doué présentant des problèmes de comportement qui n’ont pas beaucoup changé au fil des années. Il y a un manque de perspectives de reclassement pour cet interné qui veut vraiment trouver un accueil externe mais qui a peu évolué (plans et espérances irréalistes), ce qui mène à des situations pénibles et une augmentation de la souffrance de l’intéressé qui se sent non-entendu et qui, en fait, ne comprend pas très bien (...). Compréhension du problème et de la maladie sont minimes après tant d’années. »

23. Au cours de l’année 2007, le requérant bénéficia en moyenne d’une consultation par mois auprès du psychiatre de la prison. Ces consultations eurent lieu auprès du même psychiatre.

24. Les 14 janvier et 7 juillet 2008, la CDS confirma l’internement à Merksplas dans les mêmes termes que ceux de sa décision du 12 septembre 2005. La dernière décision fut confirmée par la commission supérieure de défense sociale (« CSDS ») le 7 août 2008 (paragraphe 29).

25. Le 14 février 2008, le requérant cita à nouveau l’Etat belge en référé.

26. Le 5 juin 2008, le Président du tribunal de première instance de Turnhout, statuant en référé, débouta le requérant de ses deux demandes. Après avoir rappelé que le juge en référé pouvait intervenir dans le cas d’une atteinte apparemment fautive à un droit subjectif de l’interné, il considéra qu’en l’espèce, le requérant cherchait à faire imposer à la partie adverse son placement dans une institution adaptée. Or, cette compétence relevant exclusivement de la CDS et un tel établissement n’ayant pas encore été désigné, le juge en référé n’avait aucune juridiction.

27. Il ressort du rapport du psychologue de la prison du 27 juin 2008 que :

(traduction)

« Les derniers temps, l’intéressé est très sec dans ses contacts avec le service psycho-social. (...)

Le contact est caractérisé par une grande résignation. La souffrance de l’intéressé paraît augmenter. Le fait de ne pas pouvoir être placé provoque beaucoup de frustration et de tensions à l’intéressé qui s’expriment dans un comportement plus réservé et rigide dans le projet pour handicapés mentaux. L’intéressé semble vouloir jouer gros maintenant pour pouvoir forcer un placement.

L’intéressé doit être reclassé dans le secteur de l’agence flamande pour les personnes avec un handicap et plus précisément un foyer pour personnes non actives. Ses problèmes de comportement demandent une approche intensive et spécifique. Cela ne le rend pas populaire dans le secteur. Pour le moment, aucune institution ne s’est déclarée prête à prendre en charge l’intéressé. Il y a une petite possibilité de l’intégrer au projet Limes pour personnes intellectuellement déficientes. »

28. Le 3 juillet 2008, à la demande d’un co-interné séjournant dans le même pavillon que le requérant, une visite de l’annexe psychiatrique de la prison de Merksplas fut organisée par la CDS de Gand. Le rapport de visite constatait que l’intéressé passait ses journées dans les lieux communs là où les travailleurs sociaux de l’association « ’t Zwart Goor » accompagnaient les détenus présentant des déficiences mentales, qu’il partageait la nuit dans un dortoir avec vingt-quatre autres personnes et que les conditions sanitaires n’étaient pas bonnes.

29. Le requérant saisit la CSDS d’un recours contre la décision de la CDS du 7 juillet 2008, recours qui fut rejeté, le 7 août 2008, au motif que les possibilités de reclassement du requérant étaient insuffisantes et en raison du danger qu’il représentait pour la société. Le 21 octobre 2008, la Cour de cassation rejeta le pourvoi introduit par le requérant contre la décision de la CSDS à défaut pour celui-ci d’avoir présenté des moyens à l’appui de son pourvoi.

30. En octobre 2008, le requérant forma appel contre la décision du Président du tribunal de première instance de Turnhout du 5 juin 2008. Après un exposé de la situation du requérant, des décisions de la CDS, des rapports psychologiques et de la jurisprudence de la Cour relative aux articles 5 § 1 e) et 3 de la Convention, le requérant demanda à la cour d’appel d’ordonner une visite des lieux à la prison de Merksplas. Il demandait également que soit ordonnée une audition de témoins afin de lui permettre de démontrer que le pavillon F de la prison de Merksplas était insuffisant en termes d’infrastructure et de soins en vue de son reclassement et de son traitement. Il demandait enfin qu’une place soit mise à sa disposition, conformément aux décisions de la CDS, au sein d’une institution du secteur flamand de l’intégration sociale des personnes avec un handicap.

31. Au cours de l’année 2008, le requérant bénéficia de six consultations auprès du psychiatre de la prison. Ces consultations eurent lieu auprès de deux psychiatres différents.

32. Le 5 janvier 2009, le directeur de la prison indiqua, dans un rapport, que le requérant avait dorénavant le statut de dossier prioritaire au sein du secteur des personnes handicapées. Cela signifiait que les moyens financiers nécessaires étaient dégagés pour stimuler l’accueil du requérant en milieu résidentiel.

33. Le 2 mars 2009, la CDS rejeta une nouvelle demande de mise en liberté que le requérant avait introduite en invoquant les articles 3 et 5 de la Convention. Elle confirma le maintien de l’internement considérant que le personnel de l’annexe psychiatrique de la prison de Merksplas faisait de son mieux pour améliorer le séjour du requérant et que l’objectif poursuivi était avant tout de protéger la société en général et les enfants du risque d’abus sexuel. Elle confirma qu’une mise en liberté à l’essai du requérant était conditionnée par son accueil dans un service psychiatrique fermé avec un accompagnement strict par des thérapeutes ayant une expérience dans le traitement des délinquants sexuels. Elle ajouta qu’elle n’avait toutefois pas la compétence pour ordonner aux autorités la mise à disposition d’une place adaptée au requérant. Elle refusa en outre de donner une suite favorable à la demande du requérant d’effectuer une visite du lieu d’internement. S’agissant des griefs tirés de la Convention elle s’exprima en ces termes :

(traduction)

« (...) L’enfermement de Claes André au sein de l’annexe psychiatrique (...) ne peut absolument pas être qualifié de torture, traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH. Il n’y a certainement aucune intention dans ce sens. La direction, les thérapeutes et tous les intéressés ont tout au plus le but d’améliorer les conditions de vie ainsi que d’assister et d’accompagner dans la mesure du possible.

(...)

Claes André a droit à un traitement, en tant qu’interné, mais la CDS ne lui refuse pas ce droit. La commission ne conteste pas qu’il ne bénéficie pas toujours d’un traitement suffisant mais on ne peut déduire de ce constat que sa privation de liberté est irrégulière au sens de l’article 5 § 4 de la CEDH ni que la loi est inconstitutionnelle. La privation de liberté demeure autorisée en application des articles 5 § 1 e), 3 et 8 de la CEDH. Le droit à un traitement est reconnu par la commission mais cela n’implique pas que la commission soit investie d’une compétence légale pour ordonner un traitement ni pour contraindre les institutions à le dispenser. L’éventuelle détention sans traitement pourrait constituer une violation de l’article 3 de la CEDH en combinaison avec l’article 5 de la CEDH mais la sanction ne doit et ne peut pas être la mise en liberté vu les risques pour l’intégrité physique et sexuelle des tiers (...). »

34. Le 26 mars 2009, la CSDS rejeta le recours introduit par le requérant contre la décision de la CDS. Le requérant dénonçait le caractère inapproprié de l’annexe psychiatrique et, se référant à la jurisprudence de la Cour, demandait à l’organe de recours d’ordonner son transfert.

35. Le 2 juin 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi introduit par le requérant contre la décision de la CSDS au motif que la décision relative au transfert d’un interné dans un établissement psychiatrique était une modalité d’exécution de l’internement qui n’était pas susceptible de cassation.

36. Entre-temps, dans un arrêt du 15 avril 2009, la cour d’appel d’Anvers avait confirmé l’incompétence du juge en référé pour faire suite à la demande du requérant de trouver une institution appropriée au motif que cela entraînerait un conflit avec les articles 14 et 15 de la loi de défense sociale qui attribuent aux CDS la compétence exclusive en ce qui concerne le lieu de détention. Elle rejeta donc l’appel formé par le requérant contre la décision précitée du juge de première instance du 5 juin 2008.

37. Le Gouvernement indique que le requérant aurait intégré la nouvelle section « De Haven », inaugurée en juin 2009, au sein de la prison de Merksplas (paragraphe 56). Selon le requérant, il serait resté dans le pavillon F que la CDS de Gand avait visité en 2008 (paragraphe 28).

38. Durant le premier semestre de 2009, le requérant bénéficia de deux consultations auprès du psychiatre de la prison.

39. Le 10 septembre 2009, la CDS décida de la mise en liberté à l’essai du requérant ; il fut transféré au centre Martine van Camp, association de services pour des personnes avec un handicap mental.

40. En janvier 2010, le requérant introduisit un pourvoi en cassation contre l’arrêt précité de la cour d’appel d’Anvers du 15 avril 2009. Il invoquait notamment une violation des articles 5 § 1 e) et 3 de la Convention du fait de son attente d’une institution disponible dans le cadre du secteur flamand de l’intégration sociale des personnes avec un handicap et de son maintien pendant des années à Merksplas. Dans son mémoire déposé en avril 2010, l’Etat belge développa son argumentaire autour de l’incompétence des juridictions judiciaires et la compétence exclusive des instances de défense sociale pour décider du lieu d’internement. D’après les informations figurant au dossier, le pourvoi en cassation est toujours pendant.

41. En juin 2011, la CDS informa le procureur du Roi que la sécurité des résidents et du personnel du centre Martine van Camp ne pouvait plus être assurée face au comportement agressif du requérant, à la suite de quoi le requérant fut arrêté et placé à l’annexe psychiatrique de la prison de Louvain.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

42. Les dispositions applicables en l’espèce figurent dans la loi du 9 avril 1930 de défense sociale à l’égard des anormaux, des délinquants d’habitude et des auteurs de certains délits sexuels (« loi de défense sociale »).

43. Cette loi doit être remplacée par la loi du 21 avril 2007 relative à l’internement des personnes atteintes d’un trouble mental, qui n’est toutefois pas encore entrée en vigueur, mais devrait l’être, au plus tard, le 1er janvier 2013.

A. Décision et durée de l’internement

44. La loi de défense sociale prévoit deux types de mesures à l’égard des inculpés qui se trouvent dans un état prévu par l’article 1er de la loi, « soit en état de démence, soit dans un état grave de déséquilibre mental ou de débilité mentale [les] rendant incapable[s] du contrôle de [leurs] actions ». La première mesure est la mise en observation qui a pour but d’établir un diagnostic sur leur état mental et dont il n’est pas question en l’espèce. La deuxième est la mesure de « défense sociale » à durée indéterminée, ou d’internement, qui se substitue à la peine.

45. L’internement est, dans ce cas, décidé par une juridiction :

Article 7

« Les juridictions d’instruction, à moins qu’il ne s’agisse d’un crime ou d’un délit politique ou de presse, et les juridictions de jugement peuvent ordonner l’internement de l’inculpé qui a commis un fait qualifié crime ou délit et qui est dans un des états prévus à l’article premier. (...) »

46. L’internement peut également concerner les personnes condamnées qui développent un trouble mental au cours de leur détention :

Article 21

« Les condamnés pour crimes et délits qui, au cours de leur détention, sont reconnus en état de démence ou dans un état grave de déséquilibre mental ou de débilité mentale les rendant incapables du contrôle de leurs actions, peuvent être internés en vertu d’une décision du Ministre de la Justice rendue sur avis conforme de la commission de défense sociale.

(...)

Si, avant l’expiration de la durée prévue pour la peine, l’état mental du condamné est suffisamment amélioré pour ne plus nécessiter son internement, la commission le constate et le Ministre de la Justice ordonne le retour du condamné au centre pénitentiaire où il se trouvait antérieurement détenu.

(...) »

B. Les instances de défense sociale

47. Les commissions de défense sociale (« CDS ») sont responsables de la mise en œuvre de l’internement :

Article 12

« Il est institué auprès de chaque annexe psychiatrique une commission de défense sociale.

Les commissions de défense sociale sont composées de trois membres : un magistrat effectif ou honoraire qui en est le président, un avocat et un médecin.

Les membres des commissions sont nommés pour trois ans ; ils ont chacun un ou plusieurs suppléants. (...) »

Article 13

« Il est institué également une commission supérieure de défense sociale composée de trois membres : un magistrat effectif ou honoraire de la Cour de cassation ou d’une Cour d’appel, qui en est le président, un avocat et le médecin directeur du service d’anthropologie pénitentiaire. (...) »

48. Les CDS décident du lieu d’internement :

Article 14

« L’internement a lieu dans l’établissement désigné par la commission de défense sociale.

Celui-ci est choisi parmi les établissements organisés par le gouvernement. La commission peut toutefois, pour des raisons thérapeutiques et par décision spécialement motivée, ordonner le placement et le maintien dans un établissement approprié quant aux mesures de sécurité et aux soins à donner. (...) »

Article 15

« La commission peut d’office ou à la demande du Ministre de la Justice, du procureur du Roi, de l’interné ou de son avocat ordonner le transfèrement de l’interné dans un autre établissement.

La demande de l’interné ou de son avocat ne peut être représentée qu’après l’expiration d’un délai de six mois.

La commission peut admettre l’interné à un régime de semi-liberté dont les conditions et modalités sont fixées par le Ministre de la Justice. »

Article 17

« En cas d’urgence, le président de la commission peut ordonner à titre provisoire le transfèrement dans un autre établissement. Sa décision est soumise à la commission qui statue lors de sa plus prochaine séance.

Dans le même cas, et pour des raisons de sécurité, le Ministre de la Justice peut également ordonner, à titre provisoire, le transfèrement de l’intéressé dans un autre établissement. Il en informe immédiatement la commission. »

49. Les décisions des instances de défense sociale visées aux articles 14 à 17 de la loi de défense sociale ne sont pas susceptibles d’un pourvoi en cassation car elles sont considérées comme une modalité d’exécution de l’internement (parmi d’autres : Cass., 2 juin 2009, P.09.0586.N et P.09.0735.N).

50. La loi n’accorde pas aux CDS le pouvoir d’imposer l’acceptation des internés par l’établissement approprié qu’elles ont désigné. La Cour constitutionnelle, saisie d’une question préjudicielle sur la compatibilité de cette situation avec l’article 5 § 1 de la Convention, s’est prononcée en ces termes dans un arrêt no 142/2009 du 17 septembre 2009 :

« B.7.3. Lorsque la juridiction compétente a jugé qu’une personne internée doit être accueillie dans un établissement approprié, il appartient aux autorités compétentes de faire en sorte que cette personne puisse y être accueillie (CEDH, Johnson c. Royaume-Uni, 24 octobre 1997 ; Brand c. Pays-Bas, 11 mai 2004; Morsink c. Pays-Bas, 11 mai 2004). Si, lorsque l’établissement désigné par la commission de défense sociale ne peut accueillir la personne internée, un équilibre raisonnable doit être recherché entre les intérêts des autorités et ceux de l’intéressé, un tel équilibre est rompu lorsque celui-ci est laissé indéfiniment dans un établissement que la juridiction compétente a jugé inadapté pour permettre son reclassement.

B.7.4. Cette atteinte au droit [à la liberté et à la sûreté] ne provient cependant pas de la disposition législative sur laquelle la Cour est interrogée. Elle est due à l’insuffisance de places disponibles dans les établissements dans lesquels la mesure ordonnée par le juge a quo pourrait être exécutée.

B.8. Une telle situation concerne l’application de la loi. Sa sanction relève des cours et tribunaux et échappe par conséquent à la compétence de la Cour, de telle sorte que la question préjudicielle appelle une réponse négative. »

51. Sauf dans l’hypothèse, visée par l’article 21, où la peine n’a pas été purgée, les CDS sont compétentes pour ordonner la mise en liberté des internés :

Article 18

« La commission [de défense sociale] se tient informée de l’état de l’interné et peut à cet effet se rendre au lieu de son internement ou y déléguer un de ses membres. Elle peut, soit d’office, soit à la demande du procureur du Roi, de l’interné ou de son avocat, ordonner la mise en liberté définitive ou à l’essai de l’interné, lorsque l’état mental de celui-ci s’est suffisamment amélioré et que les conditions de sa réadaptation sociale sont réunies. Si la demande de l’interné ou de son avocat est rejetée, elle ne peut être renouvelée avant l’expiration d’un délai de six mois prenant cours à la date du rejet définitif.

(...) »

Article 19bis

« La décision de rejet de la demande de mise en liberté est notifiée à l’interné par le directeur de l’établissement au plus tard le surlendemain du prononcé.

L’avocat de l’interné peut interjeter appel de cette décision auprès de la commission supérieure de défense sociale dans un délai de (quinze) jours à dater de la notification. »

Article 19ter

« Le pourvoi en cassation contre la décision de la Commission supérieure de défense sociale confirmant la décision de rejet de la demande de mise en liberté de l’interné ou déclarant fondée l’opposition du procureur du Roi contre la décision de mise en liberté de l’interné ne peut être formé que par l’avocat de l’interné. »

52. Dans un arrêt du 2 juin 2009 (P.09.0586.N), la Cour de cassation précisa ce qui suit :

« La visite visée à l’article 18, alinéa 1er, de la loi de défense sociale tend à permettre à la commission de se tenir informée de l’état de l’interné en vue d’une éventuelle mise en liberté. Cette disposition ne vise point le contrôle quant aux conditions de détention de l’interné. La loi n’accorde pas davantage le droit à l’interné ou à son conseil de requérir une visite du lieu de l’internement. »

53. La procédure devant les CDS se présente comme suit :

Article 16

« La commission peut, avant de statuer par application des articles 14 et 15, prendre l’avis d’un médecin de son choix appartenant ou non à l’administration.

L’interné peut aussi se faire examiner par un médecin de son choix, et produire l’avis de celui-ci. Ce médecin peut prendre connaissance du dossier de l’interné.

Le procureur du Roi de l’arrondissement, le directeur ou le médecin de l’établissement de défense sociale ou de l’établissement approprié quant aux mesures de sécurité et aux soins à donner, l’interné et son avocat sont entendus. Le dossier est mis pendant quatre jours à la disposition de l’avocat de l’interné.

Les débats ont lieu à huis clos.

L’interné est représenté par son avocat dans le cas où il est préjudiciable d’examiner en sa présence des questions médico-psychiatriques concernant son état.

Les services de reclassement et de tutelle peuvent se faire représenter aux débats par des délégués agréés à cette fin par le Ministre de la Justice.

Les trois membres de la commission et le secrétaire sont seuls présents lors du délibéré. »

C. Lieux d’internement

54. L’internement peut avoir lieu dans trois types d’établissements :

1. Les établissements de défense sociale

55. Ces établissements, également appelés « centres de psychiatrie légale », sont des hôpitaux psychiatriques présentant un haut degré de sécurisation.

56. Il existe en Belgique quatre établissements de ce type, gérés par l’administration pénitentiaire ou dépendant du ministère de la Justice. Trois sont situés en Wallonie : l’établissement de Paifve, susceptible d’accueillir 208 internés ; l’hôpital de soins psychiatriques sécurisé « Les Marronniers », à Tournai, dont la capacité d’accueil est de 376 internés ; et la section de défense sociale du centre hospitalier psychiatrique du « Chêne aux Haies », à Mons, dont la capacité d’accueil est de trente lits réservés aux femmes internées. En 2009, la prison de Merksplas, en Flandre, a ouvert une section de soins sécurisée « De Haven », d’une capacité de soixante personnes, pour les internés présentant un handicap mental. Le rapport d’activités de 2009 de la direction générale des établissements pénitentiaires décrit la section en ces termes :

« Au sein de la section, le principe de soins sécurisés est poussé jusque dans les moindres détails. Les soins sécurisés tentent d’offrir des soins adaptés dans un environnement sécurisé. Les deux aspects, soins et sécurité, sont d’égale importance et sont indissociablement liés. L’objectif est d’offrir soins et repos à une population vulnérable dans un environnement sûr ainsi qu’une perspective d’épanouissement et de développement personnel. »

57. Il a été décidé en 2006, en exécution du « Plan pluriannuel justice 2005 de la ministre de la Justice », de développer le circuit de psychiatrie légale en Flandre en construisant, à Gand et Anvers, deux centres de psychiatrie légale hautement sécurisés d’une capacité totale de 390 places. Ces établissements devraient être opérationnels en 2015.

2. Les établissements psychiatriques classiques

58. Il s’agit soit d’hôpitaux psychiatriques privés subventionnés, soit de structures dépendant des pouvoirs publics. Certaines institutions sont agréées de « sécurité moyenne » et peuvent accueillir des internés qui, en raison du danger qu’ils présentent pour la société, peuvent être considérés comme des patients ayant un sérieux trouble de comportement et/ou étant très agressifs et pour lesquels des mesures particulières de sécurité sont nécessaires. D’autres institutions sont agréées de « faible sécurité » et peuvent accueillir des internés qui ne présentent pas de danger particulier pour la société et dont la problématique psychiatrique présente les mêmes caractéristiques que la moyenne de la population d’un hôpital général psychiatrique.

3. Les annexes psychiatriques de prison

59. Douze prisons disposent d’annexes psychiatriques – également appelées sections de défense sociale – conçues à l’origine pour la mise en observation et l’internement provisoire dans l’attente d’un transfert vers un établissement de défense sociale.

60. Selon un document publié par le ministre de la Justice en mars 2010 intitulé « Politique pénale et d’exécution des peines – aperçu et développement », le nombre d’internés séjournant dans une annexe psychiatrique s’élevait en 2010 à 1 094, soit environ 10 % de la population carcérale, comparé à 790 internés en 1992. Selon le rapport d’activités 2010 de la direction générale de l’administration pénitentiaire, 625 personnes étaient internées à la prison de Merksplas.

D. Encadrement thérapeutique dans les annexes psychiatriques

61. Chaque établissement pénitentiaire et de défense sociale dispose d’un service psycho-social qui apporte « une assistance professionnelle aux autorités compétentes par les avis qu’il formule, et contribue par une approche scientifique à la réintégration psychosociale des détenus afin de limiter la récidive tout en contribuant à l’exécution sûre et humaine de la peine » (administration des établissements pénitentiaires, rapport annuel d’activités, 1999). Le service est composé d’un directeur (qui est en principe le directeur d’établissement), un psychiatre, un psychologue, un assistant social et un assistant administratif.

62. La circulaire no 1800, adoptée par le ministre de la Justice le 7 juin 2007, prévoit que dans les établissements pénitentiaires disposant d’une annexe psychiatrique, l’équipe soignante se complète d’infirmiers psychiatriques, d’ergothérapeutes, de kinésithérapeutes et d’éducateurs (article 1er). En fonction de la taille de l’annexe, et donc du nombre d’internés, il s’agit d’effectifs à temps plein ou à temps partiel.

63. Cette même circulaire prévoit que l’interné a droit à des soins de santé équivalents à ceux dispensés dans la société libre et adaptés à ses besoins spécifiques ainsi qu’aux services de dispensateurs de soin possédant les qualifications requises en fonction de ses besoins spécifiques (article 3).

64. En 2011, selon les informations données par le ministre de la Justice en réponse à une question parlementaire, les douze prisons disposant d’une annexe psychiatrique comptaient au total 19,79 psychologues et 27,38 psychiatres équivalent temps plein (question écrite no 5-2172 du 21 avril 2011, Sénat).

65. Selon le rapport d’activités 2010 de la direction générale de l’administration pénitentiaire, l’équipe soignante en soins psychiatriques de la prison de Merksplas comptait trois psychiatres, quatre psychologues, dix infirmiers psychiatriques, trois ergothérapeutes, quatre éducateurs, des assistants sociaux et des musico-thérapeutes.

66. La prison de Merksplas travaille en collaboration avec le service externe Abagg de l’association « ’t Zwart Goor » spécialisé dans l’accompagnement et le soutien ambulant des personnes présentant des troubles mentaux ou de comportement.

E. Cours et tribunaux

67. Toute personne en mesure d’invoquer la violation d’un droit subjectif peut introduire une demande devant le tribunal de première instance et se plaindre d’une violation de toute disposition conventionnelle qui a un effet direct en droit belge. Le juge peut, éventuellement sous astreinte, faire cesser la violation et, dans la mesure où les conditions de l’article 1382 du code civil sont remplies, accorder une indemnité.

68. En vertu de l’article 584 du code judiciaire, le Président du tribunal de première instance, siégeant en référé, peut se prononcer, si l’urgence est remplie, sur toute demande en toutes matières, sauf celles que la loi soustrait au pouvoir judiciaire.

F. Documents du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe

69. Il est renvoyé à la partie « Documents internationaux pertinents » de l’arrêt Sławomir Musiał c. Pologne (no 28300/06, § 62, 20 janvier 2009) qui cite les parties pertinentes, s’agissant des soins psychiatriques en prison, des recommandations R (98)7 relatives aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire et R (2006)2 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les règles pénitentiaires européennes.

III. DOCUMENTS PERTINENTS RELATIFS À LA SITUATION EN MATIÈRE D’INTERNEMENT EN BELGIQUE

70. Le maintien des personnes atteintes d’un trouble mental en institutions pénitentiaires est une problématique reconnue par les instances officielles belges. Dans un document de 2010 (paragraphe 60), le ministre de la Justice s’exprimait en ces termes :

« (...) Les internés n’appartiennent pas à une catégorie carcérale classique. Ce sont des personnes souffrant de graves problèmes psychiques qui nécessitent un traitement adéquat. Un traitement adapté aux internés est d’ailleurs la meilleure prévention de la rechute.

Le manque permanent de capacités d’accueil dans le circuit psychiatrique externe conduit à l’admission des internés dans les établissements pénitentiaires, même si l’internement n’est pas une peine d’emprisonnement mais une mesure de sûreté. En dépit des circuits alternatifs (unités légales etc.) qui existent actuellement pour les internés, il y a une augmentation significative du nombre des internés dans les établissements pénitentiaires.

Malgré la constitution d’équipes de soins dans les établissements pénitentiaires, les internés restent, dans une mesure importante, privés des soins thérapeutiques qui doivent contribuer à une réintégration fructueuse dans la vie sociale.

En raison de la problématique de la surpopulation, la détention a en outre un effet contre-productif sur le processus de traitement des internés. »

71. Le Conseil central de surveillance pénitentiaire (« CCSP »), institué au sein du Service public fédéral Justice et ayant pour mandat de contrôler de manière indépendante les conditions de traitement des détenus, fit état dans son rapport 2008-2010 de ce qui suit :

« Selon la base, les soins médicaux en prison doivent être comparables aux soins apportés en dehors de la prison. Cet objectif n’est pas encore réalisé, certainement pas en ce qui concerne les soins de santé mentale (...) L’offre de soins psychiatriques fait l’objet d’un manque criant, compte tenu des besoins de soins, tant en ce qui concerne les personnes internées que les prisonniers ordinaires. Les rapports annuels du CCSP de 2006 et 2007 ont déjà signalé cette situation et nous devons constater qu’au cours des trois dernières années, la situation s’est constamment aggravée. Plus de 1000 personnes internées traitées de manière inadéquate attendent dans des annexes psychiatriques surpeuplées ou dans des cellules de prisons ordinaires. Le temps d’attente pour un transfert vers une institution de soins adaptée peut grimper jusqu’à 2 ou 3 ans. La morbidité psychiatrique de la population pénitentiaire augmente au fil des ans et 5 à 10 % des prisonniers présentent un trouble psychiatrique majeur. Ces chiffres ne tiennent pas compte du fait que presque 47 % des détenus répondent aux critères du diagnostic de trouble antisocial de la personnalité.

(...)

Même si les soins fournis répondent aux règles de l’art, ils ne sont pas à la hauteur au niveau relationnel. La satisfaction relative à un traitement médical dépend dans une grande mesure de la qualité de la relation entre le médecin et le patient. Cet aspect peut très certainement faire l’objet d’une plus grande attention. En raison de la pénurie de personnel médical qualifié, surtout pendant les weekends et les gardes, l’on mobilise souvent du personnel pénitentiaire sans qualification médicale pour certaines tâches de soins, ce qui constitue une source de mécontentement qu’il convient d’éviter ».

72. La situation est par ailleurs critiquée depuis longtemps (voir arrêt Aerts c. Belgique (30 juillet 1998, § 28, Recueil des arrêts et décisions 1998-V) par plusieurs instances internationales et organisations non gouvernementales :

. le Commissaire des Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe releva au cours de sa visite en Belgique des 15-19 décembre 2008, (CommDH(2009)14) ce qui suit :

« 51. Le Commissaire a relevé que l’organisation et la pratique des soins de santé en milieu pénitentiaire en Belgique sont lacunaires. Le principe du droit à la protection de la santé et aux soins de santé en milieu carcéral est consacré par la loi Dupont. Le Commissaire s’appuie sur les constatations faites lors de sa visite et se réfère au rapport de l’Observatoire international des prisons pour 2008. Le Comité contre la torture s’est déclaré préoccupé par les conditions de détention, en particulier en ce qui concerne l’insuffisance de personnel qualifié, une vétusté des installations, une qualité insuffisante de soins, une absence de continuité des traitements.

52. Le Commissaire se félicite de la mise en place en 2007 d’équipes de soins multidisciplinaires au sein des annexes psychiatriques. Pourtant, le personnel qualifié est en nombre insuffisant par rapport au nombre de détenus, les délais d’attente pour rencontrer le médecin ou l’infirmier sont longs et le temps de consultation est insuffisant, ce qui porte atteinte à la qualité des soins. Par ailleurs, le manque de personnel surveillant pour assurer les transferts médicaux pose des problèmes d’organisation et limite l’accès aux soins.

53. S’agissant des infrastructures, les locaux médicaux de certains établissements pénitentiaires sont tout aussi vétustes et insalubres que les autres parties des établissements. Ainsi, l’annexe psychiatrique de la maison d’arrêt de Forest est ancienne et manque d’infrastructures adéquates. Les conditions de détention des internés dans le système carcéral belge sont particulièrement problématiques. Les annexes psychiatriques sont occupées par des internés psychiatriques en attente prolongée d’un transfert vers un établissement de défense sociale, par des détenus présentant des troubles mentaux, par des détenus toxicomanes ou des détenus suicidaires. Les annexes psychiatriques sont souvent surpeuplées et certains internés sont par conséquent détenus dans les cellules « normales ». Ainsi, lors de sa visite de la maison d’arrêt d’Anvers, le Commissaire a constaté que l’aile psychiatrique avait une capacité de 51 places, alors que 100 personnes avec des troubles psychiatriques étaient détenues. Le Commissaire relève qu’une telle situation prive les internés de l’accès au personnel hospitalier et aux soins thérapeutiques dont ils ont besoin. Le Commissaire prend note du plan du Gouvernement pour la construction de deux établissements de défense sociale. »

. le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« CPT ») – qui a accordé une attention particulière, depuis sa première visite en Belgique en 1993, à la situation des détenus et des internés placés dans les annexes psychiatriques des établissements pénitentiaires – commenta la mise en œuvre de la circulaire no 1800 à la prison de Lantin dans son rapport relatif à la visite effectuée du 28 septembre au 7 octobre 2009, comme suit :

« Le projet visé par la circulaire no 1800 susmentionnée était de mettre en place au sein des annexes psychiatriques pénitentiaires (et dans les sections et établissements [de défense sociale] du pays) des équipes de soins multidisciplinaires, constituées de personnels médical, infirmier et paramédical qualifiés, en nombre suffisant pour assurer aux internés « des soins de santé équivalents à ceux dispensés dans la société libre ». L’APL [annexe psychiatrique de la prison de Lantin] avait été doté, à cette fin, d’ ½ poste équivalent temps plein (ETP) de psychiatre. Bien que ceci constitue une réelle avancée par rapport à la situation antérieure, un tel niveau de présence est loin d’être satisfaisant au regard des soins exigés par les internés placés à l’APL et ne permet guère d’assurer un suivi régulier suffisant des patients. Le CPT rappelle à cet égard sa recommandation, déjà formulée en 1993 et 1997, selon laquelle l’APL doit bénéficier d’au moins un poste de psychiatre. »

. le Comité contre la torture des Nations Unies fit état de ses préoccupations dans ses Observations finales relatives à la Belgique (CAT/C/BEL/CO/2, 21 novembre 2008) :

« 23. Le Comité se déclare préoccupé par la problématique des conditions de détention des internés psychiatriques dans le système carcéral belge, déjà déploré dans ses dernières recommandations (CAT/C/CR/30/6, § 7, g)), en particulier en ce qui concerne l’insuffisance de personnel qualifié, une vétusté des installations, une qualité insuffisante de soins, une absence de continuité des traitements, des examens médicaux, problématique sensiblement aggravée lors des grèves des agents pénitentiaires. Par ailleurs, le Comité s’inquiète par la longue période d’attente subie par de nombreux détenus figurant dans les annexes psychiatriques vers un transfert à un établissement de défense sociale (EDS). En raison de la surpopulation dans les EDS, l’attente peut durer de huit à quinze mois (Articles 11 et 16).

Le Comité recommande à l’Etat partie de prendre des mesures concrètes afin de contrer les problèmes du manque de qualité des soins de santé des internés, de la surpopulation des annexes, du placement de certains internés dans les ailes de la prison en raison du manque de place dans les annexes, de la vétusté des locaux, du manque d’activité et de prise en charge spécifiques des internés se trouvant dans les ailes de la prison. En outre, le Comité recommande à l’Etat partie d’assurer l’encadrement thérapeutique spécialisé suffisant. »

. le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies s’exprima dans ces termes en octobre 2010 dans le cadre de l’examen du rapport soumis par la Belgique conformément au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (projet d’observations finales, CCPR/C/BEL/CO/5) :

« Le Comité est préoccupé par la pratique de détention des malades mentaux dans les prisons et annexes psychiatriques des prisons belges, ainsi que par la longue période d’attente qu’ils doivent subir avant un transfert dans les établissements de défense sociale (EDS) (art. 7, 9, 10).

L’Etat partie devrait veiller, ainsi que le Comité l’a recommandé dans ses précédentes observations finales, à mettre fin à la pratique de détention des malades mentaux dans les prisons et les annexes psychiatriques. Il devrait également accroître les places d’internement dans les établissements de défense sociale et les conditions de vie des malades. »

. l’Observatoire international des prisons, section belge, dans sa note de 2010, fit part de sa préoccupation en ces termes :

« Sur la dernière décennie, la population des internés a augmenté de 85 % (Justice en chiffres 2010, SPF Justice) ! Sans compter les internés placés dans les établissements de défense sociale de Mons et de Tournai, on compte 1038 internés en Belgique en 2009 et 1089 internés en 2010, soit 1/10ème de la population carcérale (...)

A l’heure actuelle, les internés sont placés dans des annexes psychiatriques d’établissements pénitentiaires en attente d’être transférés vers un établissement de défense sociale. Le délai est de trois à quatre ans. Cette situation a déjà valu la condamnation de la Belgique par la Cour européenne des Droits de l’Homme. Les annexes psychiatriques sont surpeuplées et ne sont pas équipées pour recevoir des internés. Le mélange des pathologies aggrave l’état de santé des détenus qui sont souvent parqués à trois 23h/24h dans une même cellule prévue pour 1 ou 2 détenus ou dans un dortoir comme à Jamioulx.

Depuis 2007 des équipes multidisciplinaires ont été mises en place au sein des annexes psychiatriques (circulaire no1800 du 7 juin 2007). Cependant, le Ministre reconnaît lui-même que « malgré la présence des équipes de soins, les internés restent privés de soins dont ils ont besoin » (Politique pénale et d’exécution des peines – aperçu et développements, Ministre de la Justice, mars 2010, p.34).

Certains établissements de défense sociale pour leur part disposent d’un personnel soignant insuffisant et la qualité des soins suscite également de nombreuses critiques. »

. dans sa note de 2006, la section belge de l’Observatoire international des prisons observait également que :

« Un des principaux problèmes résulte du manque manifeste de personnel médical. Le personnel étant en nombre totalement insuffisant, il ne peut consacrer que quelques minutes à chaque consultation. Une association de médecins travaillant dans les établissements pénitentiaires (AMEP) s’est constituée afin de dénoncer cette situation et de proposer des réformes aux autorités politiques. Le 28 avril 2003, l’AMEP indiquait qu’un médecin devait examiner entre 20 et 50 détenus en 2 heures, soit entre 2,5 et 6 minutes par détenu. Des plaintes récurrentes sont régulièrement émises quant à la disponibilité des médecins et à la manière dont sont organisées les consultations (...) En réalité, le médecin n’est présent que quelques heures par semaine et il n’y a pas toujours de véritable permanence médicale, la nuit et le week-end. Cette situation d’ores et déjà dangereuse pour les détenus « ordinaires » est totalement inacceptable pour des internés. »

. dans sa note de 2008, elle soulignait en outre :

« le problème de la « double casquette » des membres du personnel d’encadrement thérapeutique. La mission de celui-ci est en effet double : fournir le traitement et les soins nécessaires aux internés d’une part, et rendre des avis et rapports à la CDS d’autre part. Cette « double casquette » constitue indéniablement un obstacle à la mise en œuvre d’une relation de confiance entre l’interné et le personnel (comment l’interné peut-il se confier en toute liberté à un psychiatre, psychologue, etc., en sachant que ses propos risquent d’être rapportés à la CDS qui les prendra, le cas échant, en considération pour statuer sur son éventuelle demande de libération ?).

En pratique, la plupart de ces annexes accueillent non seulement des internés en attente de transfert vers un EDS, mais également des détenus qui présentent des troubles mentaux, des toxicomanes, des détenus « suicidaires » ou encore parfois des détenus ayant commis des faits de mœurs.

Les annexes sont les lieux les plus surpeuplés des prisons belges à tel point que dans plusieurs prisons, on crée des « annexes bis » au sein même du cellulaire « normal » (...), ou on relègue des internés vers le cellulaire « normal ».

Le mélange des pathologies aggrave l’état de santé des détenus qui sont souvent parqués à trois 23h/24h dans une même cellule prévue pour 1 ou 2 détenus ; Le troisième dort dès lors sur un fin matelas placé à même le sol et qu’il faut relever la journée pour pouvoir circuler dans la cellule et ouvrir la porte. Les détenus mangent à tour de rôle ou, ensemble mais alors chacun assis sur son lit : il n’y a qu’une petite table et une ou deux chaises par cellule. Les annexes ne disposent pas toujours d’infirmiers de manière continue (il est difficile de trouver du personnel travaillant dans de mauvaises conditions...); ce sont souvent des agents sans formation qui sont chargés d’une série de soins. Les agents n’ont pas toujours la possibilité d’effectuer une formation en psychiatrie et quand ils le peuvent ce ne sera qu’après de nombreux mois voire des années de travail sans formation. »

EN DROIT

I. SUR LES EXCEPTIONS D’IRRECEVABILITÉ SOULEVÉES PAR LE GOUVERNEMENT

73. Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement par le requérant des voies de recours internes pour débattre de ses conditions d’internement sous l’angle de l’article 3 de la Convention. Il a en effet saisi le juge judiciaire en référé et la Cour de cassation ne s’est pas encore prononcée. La voie judiciaire est, selon le Gouvernement, une voie de recours effective comme en atteste une affaire qui donna lieu à l’arrêt de la cour d’appel de Gand du 26 mai 2005. L’intéressé contestait ses conditions d’internement et avait exigé que l’Etat soit condamné à lui dispenser tous les soins médicaux et psychiatriques nécessaires à son état et à lui désigner un établissement approprié. Afin d’établir les conditions de détention, le Président du tribunal de première instance avait ordonné à l’Etat de produire un rapport et procédé à une visite des lieux. La cour d’appel confirma que le juge de première instance avait pleinement respecté ses compétences en la matière. Cette affaire montre que, devant le juge judiciaire, les internés disposent de moyens effectifs pour étayer la réalité de leurs conditions de détention. Le Gouvernement rappelle que la Cour a considéré dans l’affaire Aerts précitée (§ 56) que le recours au juge des référés était de nature à répondre aux exigences de l’article 5 § 4.

74. Le requérant pouvait également saisir le tribunal de première instance d’une demande fondée sur la violation des articles 3, 5 et 8 de la Convention ou encore déposer une plainte au pénal.

75. Selon le Gouvernement, la saisine des instances de défense sociale n’entre pas en ligne de compte puisque celles-ci sont compétentes pour les procédures relatives à l’internement et non pour statuer sur les conditions de détention. Elle ne peut être considérée comme une voie de recours alternative effective à la saisine des cours et tribunaux. Par conséquent, en empruntant la voie des instances de défense sociale, le requérant a commis une erreur de procédure évidente.

76. Le requérant soutient qu’il a donné, conformément aux exigences de l’article 35 § 1 de la Convention, l’opportunité aux instances internes de constater et de redresser les griefs qu’il tire des articles 3 et 5 de la Convention. Les deux voies empruntées peuvent mener au résultat qu’il recherche, à savoir, en finir avec un environnement carcéral non adapté à ses besoins. A l’instar de ce que la Cour a décidé dans l’affaire De Donder et De Clippel c. Belgique (no 8595/06, §§ 62 et 103, 6 décembre 2011), le requérant estime qu’il ne peut lui être reproché de ne pas avoir épuisé les voies de recours à cet égard. Selon lui, pour les internés, la saisine des instances de défense sociale est la voie la plus naturelle; elle s’est toutefois révélée ineffective en raison du refus de la CDS de visiter les lieux de détention et donc de l’impossibilité pour le requérant d’établir la réalité de ses conditions de détention.

77. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. La finalité de cette disposition est de ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que la Cour n’en soit saisie. La règle de l’article 35 § 1 se fonde sur l’hypothèse, incorporée dans l’article 13, avec lequel elle présente d’étroites affinités, que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée, ledit recours devant par ailleurs être « à la fois relatif aux violations incriminées, disponible et adéquat » (voir, parmi de nombreux autres, Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, § 15, CEDH 2002-VIII, et Slimani c. France, no 57671/00, § 38, CEDH 2004- IX).

78. Il est également rappelé qu’un requérant doit avoir fait un usage normal des recours internes vraisemblablement efficaces et suffisants et que, lorsqu’une voie de recours a été utilisée, l’usage d’une autre voie dont le but est pratiquement le même n’est pas exigé (voir, parmi d’autres, Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29810/03, § 55, 24 janvier 2008).

79. En l’espèce, la Cour constate que le requérant a porté son grief tiré de l’article 3 de la Convention dans les mêmes termes devant les instances de défense sociale (paragraphe 33) et les juridictions judiciaires (paragraphes 21 et 40). L’objet des recours était de dénoncer le caractère inapproprié de la détention en annexe psychiatrique et de faire condamner l’Etat à trouver une solution adaptée. Il apparaît donc à la Cour que le but poursuivi par le requérant était le même et que tant les instances de défense sociale que le juge judiciaire pouvaient, à première vue, mettre fin à la situation qu’il dénonçait. Elle note en outre que les conditions d’internement ont été examinées par la CDS dans sa décision du 2 mars 2009, décision qui fut confirmée par l’organe de recours, et que la CDS avait la compétence pour ordonner une visite sur le lieu de détention du requérant et vérifier la réalité de ces conditions.

80. Dans ces conditions, constatant que le requérant a poursuivi la voie manifestement appropriée en matière d’internement psychiatrique, à savoir la procédure prévue par la loi de défense sociale jusque devant la Cour de cassation, la Cour estime qu’il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir épuisé le recours devant les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire. Par conséquent, il y a lieu de rejeter l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement.

81. Le Gouvernement fait encore observer que l’examen de la requête doit se limiter aux faits visés par l’arrêt de la Cour de cassation du 2 juin 2009 et ne peut, en tout état de cause, être examinée à la lumière de la situation antérieure à l’arrêt de la Cour de cassation du 21 octobre 2008 étant donné que le requérant n’avait pas, à cette époque, saisi la Cour.

82. De l’avis de la Cour, il lui suffit de constater que le requérant a porté ses griefs tirés de la violation des articles 3 et 5 § 1 de la Convention devant les instances de défense sociale et que la dernière décision interne définitive est, s’agissant de cette procédure, l’arrêt de la Cour de cassation du 2 juin 2009. En outre, la requête ayant été introduite le 3 août 2009, aucun problème ne se pose quant au respect de la règle des six mois.

83. Par ailleurs, la Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

84. Le requérant allègue que sa détention pendant plus de quinze ans dans une annexe psychiatrique de prison où il ne bénéficie pas des soins et de l’encadrement appropriés à son état et sans perspective réaliste de reclassement constitue un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

85. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Thèses des parties

86. Le requérant allègue que l’encadrement médical en annexe psychiatrique est inadapté à ses troubles mentaux. L’accès au psychologue ou au psychiatre et la participation à des activités organisées par des assistants sociaux sont insuffisants et ne peuvent pallier l’absence de prise en charge individualisée et constante de ses troubles mentaux. Mis à part quelques prises en charge extérieures à la prison, cette situation dure depuis 1994 sans perspective réaliste d’un reclassement et malgré plusieurs avis médicaux dénonçant le caractère inadapté du lieu de détention et les souffrances que cela engendre dans le chef du requérant.

87. Le Gouvernement soutient que le requérant ne démontre pas ses allégations et qu’il a, au contraire, reçu des soins adéquats à la prison de Merksplas où une structure soignante a été mise en place sur le plan médical et psycho-social, notamment grâce à la section « De Haven ». Cet encadrement permet d’emblée de constater que le seuil de gravité requis par l’article 3 n’est pas atteint. De plus, les services accompagnant le requérant n’ont pas cessé de déployer des efforts pour trouver un établissement adapté à son état dans la perspective de son reclassement. Ce sont le comportement agressif et la problématique sexuelle du requérant qui ont mis en échec toutes les tentatives de prise en charge extérieure à la prison. Dispenser un traitement thérapeutique adéquat s’est avéré être un exercice de plus en plus difficile étant donné que de moins en moins d’établissements se sont dits prêts à accueillir le requérant. Dans ces conditions, la durée du séjour du requérant au sein de l’annexe psychiatrique de Merksplas ne peut être reprochée aux autorités et n’emporte aucune violation à leur charge de l’article 3.

B. Appréciation de la Cour

88. La Cour renvoie aux principes généraux relatifs à la responsabilité des Etats quant aux soins de santé des personnes en détention en général tels qu’ils se trouvent énoncés dans l’arrêt Cara-Damiani c. Italie (no 2447/05, §§ 65 à 68, 7 février 2012) et quant aux soins de santé des personnes détenues présentant des troubles mentaux en particulier tels qu’ils sont énoncés notamment dans les arrêts Rivière c. France (no 33834/03, §§ 59 à 63, 11 juillet 2006) et Sławomir Musiał c. Pologne (no 28300/06, §§ 85 à 88, 94 et 96, 20 janvier 2009).

89. En l’espèce, la Cour constate que nul ne conteste l’existence des problèmes de santé du requérant, à savoir des troubles de comportement sévères et chroniques (paragraphe 12) diagnostiqués par un médecin psychiatre dès 1977 (paragraphe 6). Le requérant présente de sérieuses déficiences mentales et est considéré par les autorités comme souffrant d’un « handicap mental » (paragraphe 14).

90. Elle constate que le requérant a été en détention continue en annexe psychiatrique depuis 1994 à l’exception d’une interruption entre septembre 2009 et juin 2011. De 1994 à 2009, il était à la prison de Merksplas et depuis 2011, il est détenu à l’annexe psychiatrique de la prison de Louvain.

91. Le requérant explique qu’en dehors de l’accès au psychiatre ou psychologue de la prison, aucune thérapie ni surveillance médicale particulière ne fut jamais prescrite à son endroit. Il est resté dans un pavillon ordinaire et a tenté en vain de faire venir la CDS sur son lieu de détention pour en vérifier les conditions et leur caractère inapproprié.

92. Une controverse existe entre les parties en ce qui concerne le passage du requérant à la section sécurisée « De Haven » (paragraphe 37). Etant donné que ce séjour aurait été de deux mois tout au plus, la Cour n’y voit pas un élément déterminant dans son appréciation de la situation.

93. Le raisonnement du Gouvernement laisse penser que le requérant serait en défaut d’apporter des éléments de preuve matériels de ses allégations. A ce sujet, la Cour rappelle avoir déjà écarté une approche aussi formaliste (Elefteriadis c. Roumanie, no 38427/05, § 54, 25 janvier 2011) et avoir souligné à de multiples reprises qu’il fallait, pour apprécier si le traitement ou la sanction concernés étaient incompatibles avec les exigences de l’article 3, dans le cas des malades mentaux, tenir compte de leur vulnérabilité et de leur incapacité, dans certains cas, à se plaindre de manière cohérente ou à se plaindre tout court des effets d’un traitement donné sur leur personne (Aerts, précité, § 66, Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, § 111, CEDH 2001-III, Rivière, précité, § 63).

94. En tout état de cause, en l’espèce, la Cour note que rien dans les rapports établis par les médecins et le service psycho-social ne vient étayer la nature de l’encadrement thérapeutique du requérant à la prison de Merksplas. De même, devant elle, le Gouvernement reste en défaut de démontrer qu’un traitement approprié à la pathologie du requérant lui ait été prodigué.

95. Les seuls éléments concrets dont dispose la Cour relatifs à l’encadrement thérapeutique du requérant sont le nombre et la fréquence des consultations psychiatriques ou psychologiques dont il bénéficia. Or, la Cour rappelle qu’il n’est guère suffisant que le détenu soit examiné et un diagnostic établi et qu’il est par contre primordial qu’une thérapie correspondant au diagnostic établi et une surveillance médicale adéquate soient également mis en œuvre (Raffray Taddei c. France, no 36435/07, § 59, 21 décembre 2010).

96. La Cour observe que dès 2002 le requérant put bénéficier de participation aux activités proposées par l’association « ’t Zwart Goor » et qu’en septembre 2005, le service psycho-social, relayé par la CDS, constata une amélioration de l’état du requérant et évoqua la perspective d’un reclassement (paragraphe 18). Son placement à l’annexe psychiatrique fut toutefois maintenu jusqu’en 2009 car aucun établissement acceptant sa prise en charge n’avait pu été trouvé.

97. La prolongation de cette situation, qui perdurait depuis 1994 (paragraphe 12), eut manifestement des effets négatifs sur l’état psychique du requérant. L’avis rendu par le docteur G. le 27 décembre 2007 (paragraphe 22) et le rapport psycho-social du 27 juin 2008 (paragraphe 27) concordent pour souligner que le requérant était en souffrance du fait de l’absence de perspective de reclassement, qu’il n’avait pas évolué dans la compréhension de ses problèmes et qu’il nécessitait un suivi particulier et intensif. La Cour reconnaît que la nature même de l’état mental du requérant le rendait plus vulnérable qu’un détenu ordinaire et que le maintien en annexe psychiatrique pendant un laps de temps aussi long a pu aggraver dans une certaine mesure son sentiment de détresse (voir, mutatis mutandis, Sławomir Musiał, précité, § 96).

98. La Cour ne sous-estime pas les efforts déployés au sein de la prison de Merksplas pour améliorer l’encadrement des internés. Néanmoins, elle accorde également une grande importance au fait que les allégations du requérant sont confortées par un constat unanime fait tant au niveau national qu’international. Est dénoncée l’inadéquation des annexes psychiatriques comme lieu de détention des personnes atteintes de troubles mentaux en raison de l’insuffisance généralisée de personnel, de la mauvaise qualité et de l’absence de continuité des soins, de la vétusté des lieux, de la surpopulation ainsi que du manque structurel de capacité d’accueil dans le circuit psychiatrique extérieur. Cet état de fait est constaté par le ministre de la Justice lui-même (paragraphe 70). Le conseil central de surveillance pénitentiaire confirme que l’offre de soins psychiatriques fait l’objet d’un manque criant tant en ce qui concerne les personnes internées que les prisonniers ordinaires, et que la situation s’aggrave constamment notamment du fait de l’augmentation de la surpopulation carcérale (paragraphe 71). Le CPT, le Commissaire des Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, le Comité contre la torture et le Comité des droits de l’homme des Nations Unies ainsi que l’observatoire international des prisons expriment, de manière récurrente, les mêmes préoccupations (paragraphe 72).

99. La Cour ne sous-estime pas non plus les démarches entreprises par les autorités pour trouver une prise en charge externe et adaptée aux troubles du requérant. Ces démarches, recommandées par les professionnels qui étaient en contact avec le requérant (paragraphes 16 et 27), ont été effectuées régulièrement depuis 1998 (paragraphe 13). Toutefois, elle note également que la situation dont est victime le requérant résulte, en réalité, d’un problème structurel. D’une part, l’encadrement des internés dans les annexes psychiatriques des prisons n’est pas suffisant et, d’autre part, le placement à l’extérieur des prisons s’avère souvent impossible soit en raison du manque de place au sein des hôpitaux psychiatriques soit du fait que le dispositif législatif ne permet pas aux instances de défense sociale d’imposer le placement dans une structure extérieure.

100. Dans ces conditions, la Cour estime que les autorités nationales n’ont pas assuré une prise en charge adéquate de l’état de santé du requérant lui permettant d’éviter de se trouver dans une situation contraire à l’article 3 de la Convention. Son maintien en annexe psychiatrique sans espoir réaliste d’un changement, sans encadrement médical approprié et pendant une période significative constitue dès lors une épreuve particulièrement pénible l’ayant soumis à une détresse d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.

101. Quelles que soient les entraves, soulignées par le Gouvernement, que le requérant ait pu lui-même provoquer par son comportement, la Cour estime que celles-ci ne dispensaient pas l’Etat de ses obligations vis-à-vis du requérant. Elle rappelle que la situation d’infériorité et d’impuissance qui caractérise les patients internés dans des hôpitaux psychiatriques exige une vigilance accrue dans le contrôle du respect de la Convention (Herczegfalvy c. Autriche, 24 septembre 1992, § 82, série A no 244). Il en est d’autant plus ainsi de personnes souffrant de troubles de la personnalité et placées en milieu carcéral.

102. La Cour conclut, en l’espèce, à un traitement dégradant en raison du maintien en détention du requérant pendant une période significative dans les conditions examinées ci-dessus. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

103. Le requérant se plaint d’être privé de sa liberté en violation de l’article 5 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond. »

104. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Thèses des parties

105. Se référant à plusieurs rapports internationaux, le requérant soutient qu’il est notoire que les annexes psychiatriques de prison sont des établissements inappropriés au sens de l’article 5 § 1 de la Convention à la détention des malades mentaux. Il ne s’agit ni d’hôpitaux ni de cliniques tels que régis par les normes de santé publique en matière d’internement. Alors que celles-ci prévoient notamment un neuropsychiatre pour trente malades et un psychologue pour soixante malades et que, selon la circulaire no 1 800 du ministre de la Justice du 7 juin 2007, les internés ont droit à des soins de santé équivalents à ceux dispensés dans la société libre et adaptés à leurs besoins spécifiques, il n’en est rien en pratique. L’équipe soignante de l’annexe psychiatrique de Merksplas est tellement réduite par rapport au nombre d’internés qu’elle ne suffit à l’évidence pas à assurer une prise en charge thérapeutique individualisée répondant aux besoins spécifiques des internés. La situation dont est victime le requérant résulte de l’absence d’établissement psychiatrique public en Flandre et de ce que les institutions de défense sociale ne sont pas compétentes pour imposer le placement d’un interné dans le secteur privé.

106. De l’avis du requérant, la comparaison avec l’affaire De Schepper précitée ne tient pas. Dans cette affaire, le requérant était un délinquant d’habitude qui avait été condamné pénalement ; son comportement pouvait donc raisonnablement entrer en jeu pour juger de la responsabilité des autorités belges. La situation en l’espèce est différente : le requérant est un sérieux malade mental et il n’a pas été reconnu pénalement responsable de ses actes.

107. A titre général, le Gouvernement estime que la présente affaire se distingue des affaires Aerts précitée et Morsink c. Pays-Bas (no 48865/99, 11 mai 2004). A la différence de M. Aerts, le requérant a toujours été interné dans des établissements désignés par la CDS. De plus, il y a toujours bénéficié de soins alors que, dans l’affaire Aerts, les autorités avaient admis un manque de soins. Dans l’affaire Morsink, le requérant était maintenu en prison. Du reste, la détention du requérant dans cette dernière affaire manquait de base légale. Enfin et contrairement à ces deux affaires, le comportement difficile du requérant fait en grande partie obstacle à toute alternative.

108. Le Gouvernement soutient que le requérant a fait l’objet de soins appropriés et que l’encadrement médical et psychiatrique à la prison de Merksplas était adéquat. Le requérant y avait accès à l’équipe psychiatrique ainsi qu’aux activités proposées par l’association « ’t Zwart Goor ».

109. Le Gouvernement insiste sur les efforts incessants qui ont été déployés par les autorités pour trouver un établissement approprié et attribue au requérant l’échec de la prise en charge extérieure. Dès lors, le Gouvernement est convaincu que la présente espèce est comparable à l’affaire De Schepper c. Belgique (no 27428/07, 13 octobre 2009) et appelle la même solution.

B. Appréciation de la Cour

110. La Cour observe qu’en l’espèce, l’internement du requérant est fondé sur le jugement du 2 février 1978 du tribunal correctionnel de Louvain pour faits de viol à l’encontre de ses sœurs mineures et à la suite du rapport psychiatrique rédigé par le docteur V. le 27 avril 1977. La décision de la CDS de Louvain de l’interner à nouveau après une longue période mise en liberté à l’essai, qui avait couru de 1985 à 1994, se réfère à ce jugement. En conséquence, en l’absence de « condamnation », la détention subie par l’intéressé relève de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 de la Convention pour autant qu’il concerne la détention d’aliénés.

111. La Cour note qu’il n’est pas contesté que l’internement du requérant a été décidé « selon les voies légales » au sens de l’article 5 § 1 de la Convention.

112. Aux fins de l’article 5 de la Convention toutefois, la conformité au droit interne de la privation de liberté du requérant n’est pas en soi décisive. Encore faut-il établir que la détention de l’intéressé est conforme au but de l’article 5 § 1 de la Convention, qui est de prémunir les personnes contre toute privation arbitraire de leur liberté (voir, parmi beaucoup d’autres, Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, §§ 72-73, CEDH 2000-III). La privation de liberté est en effet une mesure si grave qu’elle ne se justifie que lorsque d’autres mesures, moins sévères, ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou public exigeant la détention (idem, § 78 et Cristian Teodorescu c. Roumanie, no 22883/05, § 61, 19 juin 2012).

113. En ce qui concerne la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux, un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes au moins se trouvent réunies : premièrement, son aliénation doit avoir été établie de manière probante ; deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement ; troisièmement, l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble (voir parmi d’autres, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39, série A no 33, Varbanov c. Bulgarie, no 31365/96, § 45, CEDH 2000‑X et Chtoukatourov c. Russie, no 44009/05, § 114, CEDH 2008). Rien ne permet à la Cour de douter que ces conditions, qui ne font du reste pas l’objet de controverse devant elle entre les parties, sont remplies en l’espèce.

114. La Cour a également jugé qu’il devait exister un lien entre le motif censé justifier la privation de liberté et le lieu et les conditions de la détention et que, en principe, la « détention » d’une personne souffrant de troubles mentaux ne peut être considérée comme « régulière » aux fins de l’article 5 § 1 e) que si elle s’effectue dans un hôpital, dans une clinique ou dans un autre établissement approprié (Ashingdane c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 44, série A no 93, Aerts, précité, § 46, Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 48, CEDH 2003-IV).

115. La Cour a admis que le seul fait qu’un intéressé ne soit pas intégré dans un établissement approprié n’avait pas pour effet automatique de rendre sa détention irrégulière au regard de l’article 5 § 1 de la Convention et qu’un équilibre raisonnable devait être ménagé entre les intérêts opposés en cause étant entendu qu’un poids particulier devait être accordé au droit à la liberté (Morsink précité, §§ 66 à 68, Brand c. Pays-Bas, no 49902/99, §§ 62 à 65, 11 mai 2004). Dans le même esprit, elle a pris en compte dans l’affaire De Schepper précitée (§ 48) les efforts déployés par les autorités internes en vue de trouver un établissement adapté pour la prise en charge thérapeutique d’un requérant au profil à haut risque pour évaluer la régularité de son maintien en détention au sein d’une annexe psychiatrique de prison.

116. En l’espèce, la Cour souligne d’emblée qu’elle ne peut souscrire à l’argument du Gouvernement selon lequel, à la différence de l’affaire Aerts précitée, le requérant était en l’espèce entouré de soins appropriés au sein de l’annexe psychiatrique de la prison de Merksplas. La recherche d’un cadre résidentiel extérieur se poursuit en effet depuis 1998 et un tel cadre est considéré par les instances de défense sociale et les professionnels qui ont rencontré le requérant comme la seule solution adaptée pour réaliser son reclassement (paragraphes 13 et 27). De fait, toutes les décisions de la CDS de Louvain sont formulées dans des termes comparables en ce qu’elles ont maintenu l’internement à l’annexe psychiatrique de la prison de Merksplas parce qu’aucune place n’avait pu être trouvée dans le secteur des personnes souffrant d’un handicap.

117. Les démarches effectuées pour trouver un cadre résidentiel extérieur à la prison ont toutes échoué depuis 1998 à l’exception du régime de liberté à l’essai dont bénéficia le requérant de septembre 2009 à juin 2011. Le gouvernement explique cet échec par l’attitude du requérant et sa dangerosité et fait un parallèle avec la cause de l’affaire De Schepper précitée.

118. La Cour rappelle que, dans l’affaire De Schepper, l’état du requérant, déjà considéré comme dangereux, s’était aggravé et ne laissait pas entrevoir d’amélioration (§§ 21 et 48) et aucun établissement psychiatrique pour délinquants sexuels de haut, voire de moyen risque, n’existait en Belgique (§ 33). Or, la situation était différente en l’espèce : des perspectives réalistes de reclassement ont été évoquées par les instances compétentes, une expérience a été menée dans ce sens et des structures adaptées existent. Comme la Cour l’a déjà relevé (paragraphe 99), il apparaît en réalité que c’est un problème structurel qui fait obstacle à une prise en charge appropriée du requérant.

119. En tout état de cause, la Cour considère que même si l’attitude persistante d’une personne privée de liberté peut contribuer à faire obstacle à une modification de son régime de détention, cela ne dispense pas les autorités de prendre les initiatives appropriées en vue d’assurer à cette personne un traitement adapté à son état et de nature à l’aider à retrouver sa liberté (De Schepper, précité, § 48). Cela s’impose d’autant plus en l’espèce que le requérant, à la différence de l’affaire De Schepper, est une personne handicapée mentale qui n’a pas été reconnue comme étant pénalement responsable de ses actes.

120. Or le requérant s’est trouvé confiné depuis 1994, avec une interruption de vingt-deux mois, dans des conditions inappropriées que la Cour considère contraires à l’article 3 (paragraphe 100). Cette situation a également, de l’avis de la Cour, eu pour effet de rompre le lien requis par l’article 5 § 1 e) entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles elle a lieu.

121. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

122. Le requérant se plaint de l’inéquité et de l’ineffectivité du recours devant les instances de défense sociale. Il formule ces griefs sous l’angle des articles 6 § 1 et 13 de la Convention.

123. La Cour rappelle toutefois qu’en matière de privation de liberté, l’article 5 § 4 contient des garanties procédurales particulières distinctes de celles de l’article 6 § 1. Il s’ensuit que, à supposer que l’article 6 § 1 soit applicable, l’article 5 § 4 constitue une lex specialis par rapport à cette dernière disposition (voir mutatis mutandis, Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 55, CEDH 2005-XII). Par ailleurs, l’article 5 § 4 constitue également une lex specialis par rapport aux exigences plus générales de l’article 13 (A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 202, CEDH 2009). La Cour considère dès lors que les griefs que soulève le requérant doivent être examinés sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention, ainsi formulé :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Thèses des parties

124. Le requérant soutient que les voies de recours qu’il a utilisées ne sont pas effectives car elles ne lui ont pas permis d’établir la réalité de ses conditions de détention et donc le caractère inapproprié de son lieu de détention au sens de l’article 5 § 1 e). Tout d’abord, il n’avait pas la possibilité en droit belge de faire venir en prison un huissier de justice pour constater sa situation. Ensuite, la CDS a refusé d’effectuer une visite sur les lieux. Enfin, le juge judiciaire n’a pas donné suite à sa demande de descente sur les lieux et a décliné sa compétence pour éviter d’empiéter sur la compétence exclusive des CDS en matière de lieu de détention. A la connaissance du requérant, la CDS n’a accédé que dans un seul cas à la demande d’un interné d’ordonner une visite des lieux relative aux circonstances de détention (paragraphe 28). En tout état de cause, selon la Cour de cassation (paragraphe 52), la loi de défense sociale ne reconnaît pas de droit aux internés de demander une visite des lieux d’internement.

125. Le Gouvernement estime que le requérant a eu accès au juge conformément à l’article 5 § 4 pour se plaindre de la légalité de sa détention et par conséquent des conditions dans lesquelles il se trouve. Il a d’ailleurs utilisé les deux principales voies de recours possibles et avait, dans les deux cas, les moyens de prouver sa thèse. Premièrement, la régularité de sa détention a été régulièrement examinée par la CDS, seule compétente pour décider du lieu d’internement, qui aurait pu ordonner une visite des lieux pour se faire une idée précise de l’état de l’interné si elle l’avait estimé nécessaire. Si elle n’a pas donné suite à la demande du requérant, c’est qu’elle connaissait la situation à Merksplas. Deuxièmement, le requérant a saisi le juge des référés. Afin que les parties puissent prouver leurs allégations, le code judiciaire prévoit que le juge peut, même d’office, ordonner une descente sur les lieux. Il ressort d’une jurisprudence bien établie, illustrée par l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 26 mai 2005 de la cour d’appel de Gand (paragraphe 73), que la voie du référé s’avère être particulièrement effective pour les internés qui ont à plusieurs reprises obtenu du juge qu’il ordonne aux autorités d’exécuter les décisions des CDS ou, à tout le moins, les oblige à donner aux intéressés l’accompagnement nécessaire.

B. Appréciation de la Cour

126. La Cour a récemment rappelé les principes généraux relatifs à l’article 5 § 4 en ce qu’il s’applique en cas d’internement de personnes souffrant de troubles mentaux dans l’affaire Stanev c. Bulgarie [GC] (no 36760/06, §§ 168 à 171, CEDH 2012 et jurisprudence citée). Ils peuvent se résumer comme suit en ce qui concerne la présente espèce.

127. L’article 5 § 4 offre une garantie fondamentale contre les détentions arbitraires en exigeant qu’un individu privé de sa liberté ait le droit de faire contrôler par un tribunal la légalité de sa détention. Le concept de « légalité » doit avoir le même sens au paragraphe 4 de l’article 5 qu’au paragraphe 1, de sorte qu’une personne détenue a le droit de faire contrôler la « légalité » de sa détention sous l’angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise l’article 5 § 1. L’article 5 § 4 ne garantit pas un droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal compétent à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la « légalité » de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1.

128. En cas de détention pour maladie mentale, des garanties spéciales de procédure peuvent s’imposer pour protéger ceux qui, en raison de leurs troubles mentaux, ne sont pas entièrement capables d’agir pour leur propre compte.

129. En cas de détention pour une durée illimitée ou prolongée, l’intéressé a en principe le droit, au moins en l’absence de contrôle judiciaire périodique et automatique, d’introduire « à des intervalles raisonnables » un recours devant un tribunal pour contester la « légalité » – au sens de la Convention – de son internement.

130. La Cour constate qu’en vertu de l’article 18 de la loi de défense sociale (paragraphe 51), le contrôle de la légalité de l’internement prévu par l’article 5 § 4 appartient aux instances de défense sociale. C’est donc à cette procédure que la Cour s’intéresse principalement sous l’angle de l’article 5 § 4. La CDS est compétente pour « statuer » sur la « légalité » de la détention et ordonner la libération d’un interné en cas de détention illégale. Ce contrôle peut être renouvelé tous les six mois. La CDS est également compétente pour ordonner le transfèrement dans un établissement approprié et admettre les internés à un régime de semi-liberté (articles 14 et 15 de la loi de défense sociale).

131. La Cour rappelle que le recours à la CDS, tant du point de vue de son organisation que du point de vue de sa procédure et des droits de la défense, répond en principe aux exigences de l’article 5 § 4 (voir notamment Merkier c. Belgique, no 11200/84, décision de la Commission du 14 juillet 1987, Décisions et rapports 53, p. 50). Elle n’a aucune raison en l’espèce de se départir de cette conclusion.

132. En ce qui concerne l’effectivité de la procédure devant la CDS en tant que mécanisme de protection contre les détentions arbitraires ou irrégulières, la Cour observe que, dans sa décision du 2 mars 2009, la CDS a refusé de faire suite à la demande du requérant d’effectuer une visite sur son lieu de détention pour constater de visu son caractère inapproprié. Elle rejeta la demande de mise en liberté du requérant au vu des avis du service psycho-médical de la prison et des rapports psychiatriques le concernant.

133. De plus, il apparaît de la motivation de la décision (paragraphe 33) que même si une telle visite avait eu lieu, cela n’aurait pas pu mener la CDS à conclure autrement car la mise en liberté du requérant était tributaire d’une prise en charge extérieure et qu’à défaut de place, la CDS s’est estimée sans compétence pour ordonner la mise à disposition d’une place adaptée au requérant.

134. Ces circonstances amènent la Cour à s’interroger sur la conformité de la portée du contrôle de la légalité que peut effectuer la CDS avec les exigences de l’article 5 § 4 de la Convention. A ses yeux, la limitation des compétences de la CDS a eu pour effet de priver le requérant d’un contrôle assez ample pour s’étendre à l’une des conditions indispensables à la « légalité » de sa détention au sens de l’article 5 § 1 e), à savoir le caractère approprié du lieu de détention.

135. A titre accessoire, le requérant ayant également invoqué l’article 5 devant le juge judiciaire, la Cour se penche sur cette procédure. Elle observe, à la lumière de la jurisprudence citée par le Gouvernement (paragraphes 73 et 126), que cette voie s’est avérée utile dans certaines affaires. Toutefois, elle constate qu’il n’en a pas été de même pour le requérant qui s’est vu débouté de sa demande en référé pour incompétence (paragraphes 26 et 36) et n’a donc pas eu accès au juge judiciaire pour statuer sur le caractère approprié de l’annexe psychiatrique de Merksplas. Certes, un pourvoi en cassation semble être encore pendant (paragraphe 40). Toutefois, eu égard à la durée de la procédure, introduite le 18 décembre 2007 (paragraphe 21), la Cour estime que même un arrêt de cassation ne pourrait plus combler la lacune, le requérant ayant en tout cas droit à une décision « à bref délai ».

136. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut à la violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

137. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

138. Le requérant réclame 339 375 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi du fait de sa détention dans des conditions inappropriées. Pour parvenir à ce montant, il s’inspire du montant de l’indemnité journalière pour détention inopérante prévue par la loi du 13 mars 1973 relative à l’indemnité en cas de détention préventive inopérante rapportée à 4 525 jours de détention.

139. Le Gouvernement est d’avis que la comparaison avec la détention préventive inopérante n’est pas pertinente, le requérant ayant fait l’objet d’une détention régulière d’internement. Pour le reste, il s’en remet à la sagesse de la Cour.

140. La Cour estime que le requérant a subi un préjudice moral certain en raison de son maintien en détention dans un établissement inapproprié. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle lui octroie 16 000 EUR au titre du préjudice moral.

141. De plus, la Cour est d’avis qu’en l’espèce, le transfert du requérant dans un établissement approprié à ses besoins constitue la manière adéquate de redresser la violation constatée.

B. Intérêts moratoires

142. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare, la requête recevable ;

2. Dit, qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

3. Dit, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 e) de la Convention ;

4. Dit, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

5. Dit,

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention 16 000 EUR (seize mille euros) plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 janvier 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia WesterdiekMark Villiger
GreffièrePrésident


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