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18/12/2012 | CEDH | N°001-115303

CEDH | CEDH, AFFAIRE SALVATORE COPPOLA ET AUTRES c. ITALIE, 2012, 001-115303


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE SALVATORE COPPOLA ET AUTRES c. ITALIE

(Requêtes nos 5179/05, 14611/05, 29701/06, 9041/05, 8239/05)

ARRÊT

STRASBOURG

18 décembre 2012

DÉFINITIF

29/04/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Coppola et autres c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Peer Lorenzen, président,
Guido Raimondi,
Dr

agoljub Popović,
András Sajó,
Nebojša Vučinić,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière a...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE SALVATORE COPPOLA ET AUTRES c. ITALIE

(Requêtes nos 5179/05, 14611/05, 29701/06, 9041/05, 8239/05)

ARRÊT

STRASBOURG

18 décembre 2012

DÉFINITIF

29/04/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Coppola et autres c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Peer Lorenzen, président,
Guido Raimondi,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Nebojša Vučinić,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 novembre 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine des affaires se trouvent cinq requêtes (nos 5179/05, 14611/05, 29701/06, 9041/05 et 8239/05) dirigées contre la République italienne et dont des ressortissants de cet Etat (« les requérants »), (voir tableau annexe), ont saisi la Cour, entre décembre 2004 et juillet 2006, en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les noms des représentants des requérants sont indiqués dans le tableau en annexe. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Spatafora, ainsi que par son coagent, Mme P. Accardo.

3. Les requêtes ont été communiquées au Gouvernement entre mars 2007 et janvier 2008. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

1. Requête no 5179/05 Coppola et Catania c. Italie

1. La procédure de faillite

4. Par un jugement déposé le 8 janvier 1988, le tribunal de Catane déclara la faillite de la société de fait existant entre les requérants ainsi que la faillite personnelle de ceux-ci.

5. Par une décision du 10 janvier 2003, affichée au tribunal le 21 février 2003, le tribunal clôtura la procédure pour répartition finale de l’actif de la faillite.

2. La procédure introduite conformément à la « loi Pinto »

6. Le 20 septembre 2003, les requérants introduisirent un recours devant la cour d’appel de Messine demandant la réparation du préjudice moral qu’ils estimaient avoir subi en raison de la durée de la procédure ainsi que du prolongement des incapacités dérivant de leur mise en faillite.

7. Par une décision notifiée au barreau de l’Etat le 8 mai 2004, la cour d’appel accorda 10 000 euros (EUR) à M. Salvatore Coppola, 5 500 EUR à M. Giuseppe Coppola et 4 000 EUR à Mme Maria Catania.

8. Cette décision devint définitive le 7 juillet 2004, c’est-à-dire, soixante jours après sa notification, conformément à l’article 325 du code de procédure civile.

2. Requête no 14611/05 Vittorino Iotti c. Italie

9. Par un jugement déposé le 6 novembre 1984, le tribunal de Reggio Emilia déclara la faillite personnelle du requérant.

10. Par une décision du 16 août 2001, le juge délégué clôtura la procédure en raison de la répartition finale de l’actif de la faillite.

11. Le 19 juin 2003, le requérant introduisit une demande devant le tribunal afin d’obtenir sa réhabilitation.

12. Par un jugement déposé le 12 août 2003, le tribunal rejeta cette demande en raison de ce qu’elle était prématurée. Il rappela que, selon l’article 143 alinéa 3 de la loi sur la faillite, la réhabilitation ne pouvait être accordée que si la personne déclarée en faillite a fait preuve de bonne conduite pendant une période d’au moins cinq ans après la clôture de la procédure.

3. Requête no 29701/06 Suma c. Italie

1. La procédure de faillite

13. Par un jugement déposé le 9 mars 1991, le tribunal de Syracuse déclara la faillite personnelle du requérant.

14. Par une décision déposée le 9 novembre 2005, affichée au tribunal le 10 novembre 2005, ladite juridiction clôtura la procédure en raison de la répartition finale de l’actif de la faillite. Cette décision devint définitive le 25 novembre 2005, c’est-à-dire, quinze jours après son affichage, au sens de l’article 119 de la loi sur la faillite.

2. La procédure exécutive

15. Dans le cadre d’une procédure d’exécution entamée le 6 octobre 1988 par la société C. S.p.a. concernant un bien immeuble appartenant au requérant, le 15 décembre 1993, ce bien fut vendu et, le 23 janvier 1995, la somme résultant de la vente fut versée à l’actif de la faillite.

3. La procédure introduite conformément à la « loi Pinto »

16. Le 1er avril 2004, le requérant introduisit un recours devant la cour d’appel de Messine conformément à la « loi Pinto » pour se plaindre de la durée de la procédure de faillite et de celle d’exécution ainsi que des incapacités dérivant de sa mise en faillite.

17. Par une décision du 23 mars 2005, la cour accorda au requérant 15 000,00 EUR à titre de dédommagement moral pour la durée des procédures ainsi que des incapacités dérivant de la mise en faillite.

18. Le 7 juin 2005, le requérant se pourvut en cassation.

19. Par un arrêt déposé le 16 janvier 2007, la Cour de cassation débouta le requérant.

4. Requête no 9041/05 Spanò c. Italie

1. La procédure de faillite

20. Par un jugement déposé le 24 septembre 1986, le tribunal de Trapani déclara la faillite de la société M.C., dont le requérant était associé commanditaire, ainsi que la faillite personnelle de ce dernier.

21. Par une décision déposée le 24 septembre 2003, le tribunal clôtura la procédure pour répartition finale de l’actif de la faillite.

2. La procédure introduite conformément à la « loi Pinto »

22. Le 4 février 2003, le requérant introduisit un recours devant la cour d’appel de Caltanissetta conformément à la « loi Pinto » afin d’obtenir la réparation du préjudice qu’il estimait avoir subi en raison de la durée de la procédure ainsi que des incapacités dérivant de sa mise en faillite.

23. Par une décision déposée le 24 juin 2003, la cour d’appel accorda au requérant 7 000 EUR à ce titre. Cette décision devint définitive le 9 août 2004.

5. Requête no 8239/05 Brugiafreddo et Falcone c. Italie

1. La procédure de faillite

24. Par un jugement déposé le 21 mai 1993, le tribunal de Cuneo déclara la faillite personnelle des requérantes, en tant qu’associées de la société I.

25. Le 16 juin 1993, les requérantes introduisirent un recours en opposition afin d’obtenir la révocation de leur mise en faillite.

26. Par un jugement déposé le 28 avril 1999, le tribunal fit droit à la demande.

2. La procédure introduite conformément à la « loi Pinto »

27. Le 3 août 2001, les requérantes saisirent la cour d’appel de Milan conformément à la « loi Pinto » se plaignant de la durée excessive de la procédure.

28. Par une décision déposée le 20 novembre 2001, la cour d’appel accorda à chaque requérante 4 000 000 lires italiennes (ITL) (environ 2 065,80 EUR) en réparation du dommage moral qu’elles avaient subi en raison de la durée de la procédure ainsi que 1 500 000 ITL (environ 774,60 EUR) conjointement pour les frais et dépens.

29. Les requérantes se pourvurent en cassation, mais elles furent déboutées par un arrêt déposé le 5 août 2004.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

30. Les éléments de droit interne pertinent sont exposés dans les affaires Campagnano c. Italie, no 77955/01, CEDH 2006‑IV ; Albanese c. Italie, no 77924/01, 23 mars 2006 et Vitiello c. Italie, no 77962/01, 23 mars 2006.

31. L’article 50 de l’ancienne loi sur la faillite était ainsi libellé :

« Le greffe de chaque tribunal tient un registre public où sont consignés les noms des faillis. Le nom d’un failli est rayé du registre après jugement du tribunal. Le failli est soumis aux incapacités prévues par la loi tant que son nom n’a pas été rayé du registre. »

32. Cette disposition a été abrogée le 16 janvier 2006 par l’article 47 de la loi no 5 de 2006.

33. Par son arrêt no 39 du 5 mars 2008, la Cour Constitutionnelle déclara l’article 50 de l’ancienne loi sur la faillite inconstitutionnel dans la mesure où celui-ci prévoyait que les incapacités personnelles dérivant de la mise en faillite perduraient au-delà de la clôture de la procédure.

34. Dans son arrêt no 4630 du 26 février 2009, la Cour de cassation releva que la loi no 5 de 2006 n’indiquait pas quel était le dies ad quem de la cessation des incapacités personnelles dérivant de la faillite lorsque la procédure y relative était close à une date antérieure à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Afin de combler cette lacune, elle indiqua que cette date correspondait à celle de la clôture de la procédure de faillite.

EN DROIT

I. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

35. Compte tenu de la similitude des requêtes quant aux faits et aux problèmes de fond qu’elles posent, la Cour estime nécessaire de les joindre et décide de les examiner conjointement dans un seul arrêt.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION (DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE ET FAMILIALE)

36. Invoquant l’article 8 de la Convention, les requérants dénoncent une atteinte à leur droit au respect de la vie privée et familiale en raison de l’inscription de leur nom dans le registre des faillis et se plaignent de ne pouvoir demander leur réhabilitation que cinq ans après la clôture de la procédure de faillite. L’article 8 de la Convention, est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Sur la recevabilité

37. Le Gouvernement fait valoir que, conformément à l’interprétation suivie par la Cour Constitutionnelle et la Cour de cassation, les incapacités dérivant de l’inscription des noms des requérants dans le registre des faillis ont pris fin aux dates auxquelles les procédures de faillite ont été closes. Les requêtes ayant été introduites plus de six mois après la clôture des différentes procédures de faillite, elles seraient donc tardives.

38. Les requérants s’opposent à cette thèse et réitèrent leurs griefs.

39. La Cour relève que les requérants ont omis d’étayer la partie du grief tirée du droit au respect de la vie familiale. Cette partie de la requête doit donc être rejetée pour défaut manifeste de fondement, au sens de l’article 35 §§ 4 et 5 de la Convention.

40. Quant au moyen relatif à la vie privée, la Cour constate que les arrêts indiqués par le gouvernement défendeur ont été prononcés en mars 2008 et en février 2009 (paragraphes 33 et 34 ci-dessus), postérieurement donc à l’introduction des requêtes devant la Cour. De plus, l’article 50 de l’ancienne loi sur la faillite ayant été abrogé le 16 janvier 2006, toutes les requêtes en question ont bien été introduites devant la Cour avant l’expiration du délai de six mois de l’article 35 § 1 de la Convention (voir tableau annexe). Par conséquent, l’exception du Gouvernement doit être rejetée.

41. Cette partie du grief n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

42. La Cour rappelle avoir déjà traité d’affaires soulevant des questions semblables à celles des cas d’espèce et avoir constaté la violation de l’article 8 de la Convention sous l’angle du droit au respect de la vie privée (voir, parmi beaucoup d’autres, Campagnano c. Italie, précité, §§ 50-66, Albanese c. Italie, précité, §§ 50-66 et Vitiello c. Italie, précité, §§ 44-62).

43. La Cour a examiné les affaires en question et considère que le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument convaincant pouvant mener à une conclusion différente. La Cour estime donc qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1 (DROIT D’ESTER EN JUSTICE), 8 DE LA CONVENTION (DROIT AU RESPECT DE LA CORRESPONDANCE), 1 DU PROTOCOLE NO 1 ET 2 DU PROTOCOLE NO 4

44. Les requérants (requêtes nos 1, 3, 4 et 5) se plaignent de la violation de leur droit au respect de leur correspondance, de leur droit au respect des biens et de leur liberté de circulation, notamment en raison de la durée des procédures. Ces griefs relèvent des articles 8 de la Convention, 1 du Protocole no 1 et 2 du Protocole no 4. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérantes de la requête no 5 se plaignent aussi de leur incapacité prolongée d’ester en justice en raison de la durée de la procédure. Le texte de l’article 8 est reproduit ci-dessus. Les autres dispositions sont ainsi libellées :

Article 6 § 1 de la Convention

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

Article 1 du Protocole no 1

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

Article 2 du Protocole no 4

« 1. Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d’un Etat a le droit d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence.

2. Toute personne est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le sien.

3. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l’ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

4. Les droits reconnus au paragraphe 1 peuvent également, dans certaines zones déterminées, faire l’objet de restrictions qui, prévues par la loi, sont justifiées par l’intérêt public dans une société démocratique. »

45. Le Gouvernement observe que certains requérants n’ont pas épuisé le remède prévu par la « loi Pinto », alors que d’autres ont obtenu un dédommagement suffisant dans le cadre de cette procédure.

46. Les requérants contestent cette thèse et réitèrent leurs griefs.

47. En ce qui concerne les requêtes nos 1 et 4, les requérants ont omis de se pourvoir en cassation pour se plaindre de la durée excessive des incapacités dérivant de leur mise en faillite. Cette partie des requêtes doit donc être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes selon l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

48. Pour ce qui est des requêtes nos 3 et 5, la Cour relève que les procédures internes ont duré respectivement environ quinze ans et six ans. Elle estime que, eu égard aux éléments des affaires en question, elle aurait pu accorder, en l’absence de voies de recours internes, 22 000 et 4 500 EUR respectivement. Elle note que les requérants ont obtenu 15 000 EUR, dans le premier cas, et 2 065,80 EUR, dans le deuxième cas, ce qui représente environ 68 %, dans le premier cas, et 46 %, dans le deuxième cas, du montant que la Cour aurait pu accorder aux intéressés au regard des critères dégagés dans sa jurisprudence (Cocchiarella c. Italie [GC], no 886/01, § 146, CEDH 2006‑V, Di Sante c. Italie, no 56079/00, déc., 14 juin 2007, mutatis mutandis, De Blasi c. Italie, no 1595/02, §§ 19-30, 5 octobre 2006, Gallucci c. Italie, no 10756/02, §§ 24-30, 12 juin 2007, Esposito c. Italie, no 35771/03, §§ 16-28 et 31-35, 27 novembre 2007 et, mutatis mutandis, Garino c. Italie (déc.), nos 16605/03, 16641/03 et 16644/03, 18 mai 2006).

49. La Cour considère que, dans ces deux affaires, les redressements se sont avérés suffisants et appropriés. Il s’ensuit que les requérants ne peuvent plus se prétendre victimes, au sens de l’article 34 de la Convention, de la violation qu’ils allèguent. Ce grief doit être rejeté en application des articles 34 et 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1, 13, 17 et 53 DE LA CONVENTION

50. Invoquant les articles 6 § 1, sous l’angle du droit à un tribunal, et 13 de la Convention, les requérants (requêtes nos 2 et 3) dénoncent le manque d’un recours effectif pour se plaindre du prolongement des incapacités dérivant de leur mise en faillite. Le requérant de la requête no 3 invoque à ce titre aussi les articles 17 et 53 de la Convention. Le texte de l’article 6 § 1 est reproduit ci-dessus. Les autres articles en question disposent ainsi :

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

Article 17

« Aucune des dispositions de la (...) Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la (...) Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à [la] Convention. »

Article 53

« Aucune des dispositions de la (...) Convention ne sera interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales qui pourraient être reconnus conformément aux lois de toute Partie contractante ou à toute autre Convention à laquelle cette Partie contractante est partie. »

A. Sur la recevabilité

51. Le Gouvernement conteste cette thèse.

52. Les requérants réitèrent leur grief.

53. La Cour rappelle que, maîtresse de la qualification juridique des faits des causes, elle ne se considère pas comme liée par celle que leur attribuent les requérants. Un grief se caractérise par les faits qu’il dénonce et non par les simples moyens ou arguments de droit invoqués (voir, par exemple, Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I).

54. Au vu des circonstances de l’espèce, la Cour considère que ce grief doit être examiné uniquement sous l’angle de l’article 13 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Bottaro c. Italie, no 56298/00, §§ 41-46 17 juillet 2003) dans ses deux volets.

55. En ce qui concerne le premier volet, soulevé uniquement dans la requête no 3 et lié à la durée des incapacités dérivant de la déclaration de faillite (paragraphe 43 ci-dessus), la Cour rappelle avoir conclu à la non‑violation des articles 8 de la Convention, 1 du Protocole no 1 et 2 du Protocole no 4 (paragraphe 47 ci-dessus). Partant, ne s’agissant pas de griefs « défendables » au regard de la Convention, la Cour estime que cette partie de la requête doit être rejetée en tant que manifestement mal fondée selon l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention (Brancatelli c. Italie (déc), no 21229/02, 11 mai 2006).

56. Quant au deuxième volet du grief, soulevé dans les deux requêtes en question et portant sur les incapacités dérivant de l’inscription des noms des requérants dans le registre des faillis, la Cour constate que celui-ci n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

57. La Cour a déjà traité d’affaires soulevant des questions semblables et a constaté la violation de l’article 13 de la Convention (voir Bottaro c. Italie, précité, §§ 41-46 et De Blasi c. Italie, précité, §§ 58-59).

58. La Cour a examiné les requêtes nos 2 et 3 et considère que le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans ces deux cas.

59. Partant, elle conclut qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention concernant les incapacités dérivant de l’inscription des noms des requérants dans le registre des faillis.

V. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DU PROTOCOLE No 1

60. Les requérants (requêtes nos 3, 4 et 5) se plaignent de la limitation de leurs droits électoraux à la suite de leur mise en faillite. Ils invoquent l’article 3 du Protocole no 1 ainsi libellé :

« Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. ».

61. Le Gouvernement conteste cette thèse.

62. Les requérants réitèrent leur grief.

63. La Cour relève que ce grief a été introduit plus de six mois après la cessation de l’interdiction litigieuse (voir tableau annexe). La Cour constate donc que ce grief est tardif et qu’il doit être rejeté conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

VI. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION (DÉLAI RAISONNABLE)

64. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants (requête nos 3, 4 et 5) se plaignent de la durée de la procédure de faillite. Le requérant de la requête no 3 se plaint aussi de la durée de la procédure d’exécution.

65. Le Gouvernement observe que certains requérants n’ont pas épuisé le remède prévu par la « loi Pinto », alors que d’autres ont obtenu un dédommagement suffisant dans le cadre de cette procédure.

66. Quant aux requêtes nos 3 et 5, la Cour renvoie aux considérations développées dans le cadre du grief des requérants tiré de la durée des incapacités dérivant de leur mise en faillite. Pour les raisons exposées aux paragraphes 48 et 49 ci-dessus, elle estime que les requérants ne peuvent plus se prétendre victimes, au sens de l’article 34 de la Convention, de la violation qu’ils allèguent. Ce grief doit être rejeté en application des articles 34 et 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

67. En ce qui concerne la requête no 4, la Cour réitère que le requérant a omis de se pourvoir en cassation pour se plaindre de la durée excessive de la procédure (voir paragraphe 47 ci-dessus). Cette partie de la requête est donc irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes, au sens de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

VII. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

68. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

69. Les sommes réclamées par les requérants au titre du préjudice matériel et moral qu’ils auraient subi figurent dans le tableau en annexe.

70. Le Gouvernement s’oppose à ces prétentions.

71. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre les violations constatées et les dommages matériels allégués et rejette ces demandes. Quant à la violation des articles 8 (droit au respect de la vie privée) et 13 de la Convention, la Cour estime que, eu égard à l’ensemble des circonstances des affaires, les constats de violation figurant dans le présent arrêt fournissent en eux-mêmes une satisfaction équitable suffisante (voir Campagnano c. Italie, précité, § 81).

B. Frais et dépens

72. Les sommes réclamées par les requérants pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour figurent dans le tableau en annexe.

73. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

74. Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 500 EUR pour la procédure devant elle et l’accorde pour chaque requête (conjointement aux requérants, lorsqu’il s’agit d’une requête introduite par plusieurs requérants).

C. Intérêts moratoires

75. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre les requêtes et de les examiner conjointement dans un seul arrêt ;

2. Déclare les requêtes recevables quant aux griefs tirés des articles 8 de la Convention, quant au droit au respect de la vie privée (les cinq requêtes), et 13 de la Convention, quant à la partie de ce grief liée aux incapacités dérivant de l’inscription du nom des requérants dans le registre des faillis (requêtes nos 2 et 3), et irrecevables pour le surplus ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention (droit au respect de la vie privée) pour l’ensemble des requêtes ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention concernant les requêtes nos 2 et 3 ;

5. Dit

a) que les constats de violation constituent en eux-mêmes une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral subi par les requérants en ce qui concerne la violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) et 13 de la Convention ;

b) que l’Etat défendeur doit verser, dans les trois mois, 500 EUR (cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens pour chaque requête (conjointement aux requérants, lorsqu’il s’agit d’une requête introduite par plusieurs requérants) ;

c) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 décembre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Françoise Elens-PassosPeer Lorenzen
Greffière adjointePrésident


ANNEXE

No

|

Requête No

|

Introduite le

|

Requérant

Date de naissance

Lieu de résidence

|

Représenté par

|

Dates de communication des requêtes au gouvernement défendeur

|

Dates de cessation de l’interdiction des droits électoraux

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Demande à titre de satisfaction équitable

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1

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5179/05

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23/12/2004

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M. Salvatore Coppola, M. Giuseppe Coppola et Mme Maria Catania,

1967, 1940 et 1948, Gravina di Catania (Catane)

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Me Angelo Coppola, avocat à Catane

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9/3/2007

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Dommage moral: 65 000 EUR (M. Salvatore Coppola), 44 500 EUR (M. Giuseppe Coppola),

36 000 EUR (Mme Maria Catania).

Frais et dépens: les requérants se remettent à la sagesse de la Cour

2

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14611/05

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23/2/2005

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Vittorino Iotti, 1932, Parme

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Me Claudio Defilippi, avocat à Parme

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9/3/2007

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Dommage matériel : 20 000 EUR,

Dommage moral : 50 000 EUR.

Frais et dépens devant la Cour : 7 838,50 EUR ;

devant les juridictions nationales : 2 541,78 EUR

3

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29701/06

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11/7/2006

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Francesco Suma, Avola (Syracuse)

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Me Francesco Magro, avocat à Avola

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14/1/2008

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9/3/1996

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Dommage moral: 25 000 EUR.

Frais et dépens devant la Cour: 3 506,25 EUR ;

devant les instances internes : 5 300,12 EUR

4

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9041/05

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22/2/2005

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Pietro Spanò, 1954, Valderice (Trapani)

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Me Rosa Sanna, avocat à Erice (Trapani)

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16/04/2007

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24/09/1991

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Dommage moral et matériel : 516 456,89 EUR.

Frais et dépens devant la Cour : le requérant se remet à la sagesse de la Cour

5

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8239/05

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3/2/2005

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Mmes Giovanna Brugiafreddo et Paola Falcone, 1962, Cuneo

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Me Dario Gramaglia, avocat à Alba

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5/11/2007

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21/05/1998

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Dommage moral: 50 000 EUR, pour chacune des requérants

Dommage matériel: 293 319,73 EUR.

Frais et dépens devant la Cour et les instances nationales : 39 278,78 EUR


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-115303
Date de la décision : 18/12/2012
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect de la vie privée);Violation de l'article 13 - Droit à un recours effectif (Article 13 - Recours effectif)

Parties
Demandeurs : SALVATORE COPPOLA ET AUTRES
Défendeurs : ITALIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : COPPOLA A. ; DEFILIPPI C. ; MAGRO F. ; SANNA R. ; GRAMAGLIA D.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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