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11/12/2012 | CEDH | N°001-115266

CEDH | CEDH, AFFAIRE SVINARENKO ET SLYADNEV c. RUSSIE, 2012, 001-115266


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE SVINARENKO ET SLYADNEV c. RUSSIE

(Requêtes nos 32541/08 et 43441/08)

ARRÊT

STRASBOURG

11 décembre 2012

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE

17/07/2014

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Svinarenko et Slyadnev c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,

Elisabeth Steiner,

Nina Vajić

,

Anatoly Kovler,

Khanlar Hajiyev,

Mirjana Lazarova Trajkovska,

Julia Laffranque, juges,

ainsi que d’André Wampach, greffier adjoint de section,
Ap...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE SVINARENKO ET SLYADNEV c. RUSSIE

(Requêtes nos 32541/08 et 43441/08)

ARRÊT

STRASBOURG

11 décembre 2012

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE

17/07/2014

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Svinarenko et Slyadnev c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,

Elisabeth Steiner,

Nina Vajić,

Anatoly Kovler,

Khanlar Hajiyev,

Mirjana Lazarova Trajkovska,

Julia Laffranque, juges,

ainsi que d’André Wampach, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 novembre 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 32541/08 et 43441/08) dirigées contre la Fédération de Russie et dont deux ressortissants de cet Etat, MM. Aleksandr Sergeyevich Svinarenko et Valentin Alekseyevich Slyadnev (« les requérants »), ont saisi la Cour les 5 mai 2008 et 2 juillet 2008, respectivement, en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés respectivement par Me V.G. Palchinskiy et Me Ye.F. Plotnikov, avocats à Magadan. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par M. G. Matyushkin, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

3. Les requérants estimaient en particulier que leur placement dans une cage de métal au tribunal était contraire à l’article 3 de la Convention et que la durée de la procédure pénale dirigée contre eux était excessive.

4. Le 23 octobre 2008, les requêtes ont été communiquées au Gouvernement. Il a également été décidé de statuer conjointement sur la recevabilité et sur le fond (article 29 § 1 de la Convention).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérants sont nés respectivement en 1968 et 1970 et habitent dans la localité de Sinegorye (district Yagodniski de la région de Magadan).

A. L’enquête préliminaire

6. En 2002, la direction des enquêtes pour le territoire fédéral d’Extrême-Orient du Comité d’instruction du ministère de l’Intérieur ouvrit plusieurs procédures pénales contre un certain M. Grishin.

7. Le 24 septembre 2002, le premier requérant fut interrogé en qualité de suspect dans le cadre de ces procédures. Il fut arrêté le 9 octobre 2002. Dans une décision du 12 novembre 2008 ordonnant sa mise en détention provisoire, le tribunal de la ville de Magadan (« le tribunal de Magadan ») releva que les infractions dont il était inculpé avaient été commises au cours d’une période de mise à l’épreuve de trois ans prononcée par le tribunal du district Yagodniski de la région de Magadan (« le tribunal du district Yagodniski ») dans un jugement du 13 avril 2001 le condamnant, pour vol, à une peine d’emprisonnement avec sursis de cinq ans. Il releva également que les références concernant l’intéressé dans son lieu de résidence étaient mauvaises et que ce dernier avait manqué à son engagement de comparaître devant l’autorité chargée de l’enquête. L’acte d’accusation définitif délivré à l’encontre du premier requérant précisait qu’il était inculpé de vol avec violence contre M. A.S. et Mme T.S. en septembre 2002, en tant que membre d’une bande dirigée par M. Grishin, et d’acquisition, conservation, transport et possession illégaux de munitions.

8. Le 20 janvier 2003, le second requérant, qui purgeait une peine d’emprisonnement après sa condamnation le 26 juillet 2002 par le tribunal du district Yagodniski pour homicide par négligence (article 109 § 1 du code pénal de la Fédération de Russie ; ci-après « le code pénal »), fut interrogé en qualité de suspect dans le cadre des procédures dirigées contre M. Grishin. Le 22 janvier 2003, il fut inculpé des infractions suivantes :

i) formation d’une bande armée sous la direction de M. Grishin et participation au sein de cette bande à des agressions de citoyens, d’octobre 2001 à septembre 2002 (article 209 § 1 du code pénal) ;

ii) vol à main armée, en octobre 2001, contre M. V.B., le directeur d’une société privée d’affinage d’or, avec usage et menace d’une violence mettant en danger la vie et l’intégrité physique d’autrui, en bande organisée, en vue de soustraire frauduleusement des biens d’autrui d’une valeur substantielle (article 162 § 3 du code pénal) ;

iii) conservation et transport illégaux de métaux précieux (or industriel volé à M. V.B.) d’une valeur substantielle, en bande organisée, en octobre 2001 (article 191 § 2 du code pénal) ;

iv) extorsion contre M. V.B., en octobre 2001, en vue d’obtenir un droit de propriété, sous la menace d’usage de la violence, à plusieurs reprises, et en bande organisée (article 163 § 3 du code pénal) ;

v) vol à main armée, en octobre 2001, contre M. Ya.B., avec usage et menace d’une violence mettant en danger la vie et l’intégrité physique d’autrui, par un groupe de personnes selon un plan prémédité, à plusieurs reprises, dans une résidence en vue de soustraire frauduleusement des biens d’autrui d’une valeur substantielle (article 162 § 3 du code pénal) ; et

vi) acquisition, conservation, transfert, transport et possession illégaux de munitions, à plusieurs reprises, et en bande organisée, en octobre 2001 (article 222 § 3 du code pénal).

9. Le 11 avril 2003, le tribunal du district Khasynski de la région de Magadan jugea le second requérant apte, compte tenu de son bon comportement et de bonnes références, à une libération anticipée un an et trois mois avant le terme de la peine de deux ans et trois mois d’emprisonnement que le tribunal du district Yagodniski lui avait infligée le 26 juillet 2002.

10. Le 27 avril 2003, le tribunal de Magadan ordonna la mise en détention provisoire du second requérant en attendant l’issue de la procédure pénale dirigée contre lui. Il releva notamment que l’intéressé était accusé d’infractions graves commises au cours d’une période de mise à l’épreuve de trois ans prononcée par le tribunal du district Yagodniski dans un jugement du 15 juin 2001 le condamnant, pour houliganisme et coups et blessures volontaires, à une peine d’emprisonnement avec sursis de quatre ans.

11. Le 20 mai 2003, la clôture de l’enquête fut prononcée et la défense reçut l’accès au dossier.

12. Le 13 août 2003, le tribunal de Magadan jugea que le second requérant avait délibérément retardé l’examen du dossier et indiqua qu’il fallait achever celui-ci le 5 septembre 2003 au plus tard.

B. Les procès devant un jury

1. Premier procès

13. Le 19 septembre 2003, l’affaire fut renvoyée pour jugement devant la cour régionale de Magadan (« la cour régionale », qui fixa au 2 octobre 2003 et tint les 16 octobre et 26 décembre 2003 des audiences préliminaires aux fins de statuer sur de nombreuses demandes des requérants et de leurs deux coaccusés relatives à l’admissibilité de preuves et à d’autres questions de procédure, et de préparer le procès devant jury sollicité par les accusés. Pendant cette période, le procès fut ajourné d’environ quatre semaines à la demande des coaccusés.

14. Le 26 décembre 2003, à l’issue des audiences préliminaires, la cour régionale ordonna la conduite du procès en public devant un jury le 23 janvier 2004. Ce jour-là, moins de 20 candidats au jury se présentèrent au tribunal au lieu des 50 invités et elle ordonna donc la convocation de 100 autres candidats.

15. Le 13 février 2004, un jury fut formé et les jurés prêtèrent serment.

16. La cour régionale tint une trentaine d’audiences judiciaires, au cours desquelles elle statua sur diverses questions de procédure, telles que le remplacement de certains jurés, l’exclusion ou l’examen de certains éléments de preuve et l’ordonnance d’expertises. Elle procéda à l’établissement des faits, entendant notamment les victimes, les témoins, les experts ainsi que les accusés. Le procès fut ajourné de deux semaines au motif que l’un des avocats de la défense ne pouvait pas comparaître.

17. Le 15 juin 2004, l’accusation atténua l’un des chefs d’accusation de vol retenus contre le second requérant (concernant M. Ya.B.) en « irrégularités arbitraires avec usage de la violence » (article 330 § 2 du code pénal).

18. Le 22 juin 2004, le jury déclara les requérants non coupables. Ils furent mis en liberté dans l’enceinte du tribunal. Le 29 juin 2004, la cour régionale rendit un arrêt prononçant leur acquittement et reconnaissant leur droit à la réhabilitation.

19. Les coaccusés et l’accusation firent appel de l’arrêt de la juridiction de jugement. Le 7 décembre 2004, saisie en cassation, la Cour suprême de la Fédération de Russie (« la Cour suprême ») examina le dossier et cassa l’arrêt, au motif notamment que certains jurés avaient dissimulé des informations sur les antécédents criminels de membres de leur famille, alors qu’ils avaient l’obligation de les révéler aux parties et au tribunal au moment de leur sélection, et que le président de la formation de jugement n’avait pas récapitulé tous les éléments de preuve dans ses instructions au jury, en particulier certaines dépositions de victimes et de témoins. Il renvoya l’affaire devant la cour régionale pour un nouveau procès.

2. Deuxième procès

20. Le 21 décembre 2004, la cour régionale fut saisie du dossier. Elle ajourna le procès à deux reprises, les 31 janvier et 7 février 2005, pour défaut de comparution de l’avocat du second requérant.

21. Par une décision du 8 février 2005, la cour régionale imposa aux accusés de prendre l’engagement qu’ils ne quitteraient pas leurs lieux de résidence sans son autorisation, qu’ils comparaîtraient une fois convoqués et qu’ils n’entraveraient par le cours de la justice.

22. La défense forma un recours contre la décision prise à la même date par la cour régionale ordonnant le renvoi du dossier au procureur régional de Magadan aux fins de la rectification d’erreurs dans l’acte d’accusation, décision qui fut cassée par la Cour suprême le 26 avril 2005 pour erreur.

23. Le procès devant la cour régionale fut ajourné le 17 juin 2005 au motif que le premier requérant et un coaccusé n’avaient pas comparu, pour des raisons inconnues. Il fut ajourné de nouveau le 21 juin 2005 en raison de l’hospitalisation d’un coaccusé et de l’impossibilité de juger les autres accusés dans le cadre d’un procès distinct.

24. Le procès reprit le 22 novembre 2005. Cependant, ce jour-là, moins de 20 candidats au jury comparurent, au lieu des 30 qui avaient été invités, et la cour régionale ordonna donc la convocation de 100 autres candidats.

25. Le 6 décembre 2005, la cour régionale prononça la mise en détention provisoire des requérants et de leurs deux coaccusés, se fondant sur les condamnations antérieures des requérants, sur la gravité des charges retenues contre eux et sur le fait que, au cours de l’enquête préliminaire et du procès lui-même, certains témoins avaient dit craindre des exactions de la part des accusés. Dans sa décision, aucun détail n’était donné sur les craintes alléguées ni le nom des accusés concernés. Le recours formé par le premier requérant contre la décision de mise en détention, dans lequel il soutenait notamment que les craintes des requérants ne le visaient pas, fut rejeté. Par la suite, le maintien en détention des requérants fut ordonné pour des motifs similaires.

26. Le 9 décembre 2005, le jury fut constitué et la cour régionale tint audience les 12, 20 et 23 décembre 2005. A cette dernière date, l’un des coaccusés fut autorisé à changer d’avocat. Le 27 décembre, son nouvel avocat ne comparut pas et l’audience fut ajournée au 10 janvier 2006, la période du 1er au 9 janvier étant fériée. La cour régionale poursuivit le procès en janvier. Elle statua sur de nombreuses demandes d’ordre procédural formulées par la défense, tendant en particulier à la récusation du président de la formation de jugement et du procureur.

27. Les témoins et les victimes habitant à Sinegorye ne s’étant pas présentés au procès à plusieurs reprises, la cour régionale ordonna leur comparution forcée. Le 20 janvier, le procès fut ajourné au 27 janvier et, le 26 février, au 10 mars 2006 en attendant l’exécution de cette ordonnance.

28. Le procès reprit aux mois de février, mars, avril et mai 2006. Pendant cette période, il fut ajourné à plusieurs reprises pendant environ quatre semaines au total à la demande de jurés qui ne pouvaient pas comparaître et pendant environ une semaine à la demande de l’un des avocats de la défense qui était malade. Le 2 juin 2006, le président de la formation de jugement prononça la clôture des auditions de témoins. Au cours de cinq audiences en juin 2006, la cour régionale entendit les parties en leurs conclusions. Elle ordonna une coupure du 14 juillet au 3 octobre 2006 au motif que plusieurs jurés allaient partir en congé estivaux au centre de la Russie.

29. Le procès reprit le 3 octobre 2006. Après avoir consulté les parties, la cour régionale décida qu’elles répéteraient leurs conclusions. Elles le firent les 6, 12 et 19 octobre et le 2 novembre 2006. Il y eut ensuite la préparation des questions à poser au jury. Ce dernier rendit son verdict le 17 novembre 2006. Le premier requérant fut reconnu non coupable et mis en liberté dans l’enceinte du tribunal.

30. Le 5 décembre 2006, après avoir examiné les points de droit au cours des audiences tenues en novembre et en décembre, la cour régionale rendit son arrêt. Le premier requérant fut acquitté et son droit à la réhabilitation reconnu. Le second requérant fut reconnu coupable d’extorsion (contre M. V.B.) et d’irrégularités arbitraires avec usage de la violence (contre M. Ya.B.), et condamné à une peine de sept ans d’emprisonnement, qui tenait compte de sa condamnation en 2001 pour laquelle sa peine de sursis avait été levée, et acquitté des autres chefs d’accusation. Sa détention provisoire était maintenue jusqu’à l’exécution de l’arrêt.

31. Le 6 juin 2007, la Cour suprême examina les pourvois formés contre l’arrêt par M. Grishin, par l’une des victimes et par le parquet. Elle constata que les règles régissant la conduite d’un procès pénal avaient été enfreintes par les accusés et leurs avocats, qui avaient abusé de leurs droits et qui, malgré les avertissements du président de la formation de jugement, avaient discuté, en la présence des jurés, de questions hors de leur ressort, évoquant notamment des preuves falsifiées, des violations de la loi lors de l’obtention de preuves, par exemple en torturant l’un des accusés, et des dépositions données sur les instructions des enquêteurs par une certaine victime. Les accusés auraient tenu des propos qui n’avaient rien à voir avec les questions dont le jury était saisi et qui visaient à discréditer les éléments à charge, donnant ainsi une mauvaise image des victimes et du président de la formation de jugement, ainsi qu’une bonne image des accusés. Le jury aurait donc été ainsi irrégulièrement influencé. De plus, son verdict n’aurait pas été entièrement dépourvu d’équivoque parce que certaines des réponses étaient contradictoires. La Cour suprême cassa l’arrêt et renvoya l’affaire devant la cour régionale pour un nouveau procès. Elle ordonna en outre le maintien en détention du second requérant.

32. En août 2007, la mise en détention provisoire du premier requérant fut prononcée dans le cadre d’une autre instance pénale dirigée contre lui, où il soupçonné de faits d’extorsion qui auraient été commis en 2002.

3. Troisième procès

33. Le 4 septembre 2007, la cour régionale fut saisie du dossier et ouvrit l’instance. Le 5 octobre 2007, moins de 20 candidats au jury se présentèrent devant elle au lieu des 100 qui avaient été invités et elle ordonna donc la convocation de 150 autres candidats.

34. Le 2 novembre 2007, la sélection des jurés commença. Cependant, certains d’entre eux ayant refusé de siéger en l’affaire, leur nombre était toujours insuffisant et la cour régionale ordonna la convocation de 150 autres candidats. Le problème se répéta le 22 novembre 2007.

35. Le 11 décembre 2007 et le 17 janvier 2008, les candidats au jury qui s’étaient présentés devant la cour régionale étant toujours en nombre insuffisant, il fallut en convoquer 200 et 250 autres, respectivement.

36. Le jury fut constitué le 5 février 2008 et le procès commença. La Cour tint cinq ou six audiences par mois de février à juin 2008, deux en juillet, quatre en août (après une coupure du 1er juillet au 18 août pour les congés des jurés), onze en septembre, six en octobre, dix en novembre et quatre en décembre 2008. Certaines des audiences furent tenues en l’absence du jury car elles portaient sur diverses questions d’ordre procédural, notamment la recevabilité de preuves et l’opportunité d’entendre des témoins devant le jury. La cour régionale examina les très nombreux éléments du dossier, en particulier les dépositions de plus de 70 victimes et témoins, ainsi que bon nombre d’expertises.

37. Pendant environ un mois, le procès fut ajourné au motif que M. Grishin était malade. D’autres retards furent causés par les difficultés à assurer la comparution d’un certain nombre de victimes et de témoins qui résidaient dans des localités éloignées à Burkhala ou Sinegorye ou qui avaient déménagé au centre ou dans d’autres parties du pays.

38. Le 13 février 2009, la cour régionale commença à entendre les conclusions des parties.

39. Le 7 mars 2009, le jury jugea le premier requérant non coupable. Elle déclara le second requérant coupable d’irrégularités arbitraires et non coupable pour le reste.

40. Le 12 mars 2009, la cour régionale ordonna la mise en liberté du second requérant sur la foi d’un engagement qu’il ne quitterait pas son lieu de résidence et qu’il se comporterait de manière conforme à la loi.

41. Le 19 mars 1009, la cour régionale rendit son arrêt, acquittant le premier requérant et concluant ce qui suit à l’égard du second :

Le 11 octobre 2001, Grishin, Slyadnev et N.G., à l’égard duquel les poursuites pénales ont été abandonnées en raison de son décès, demandèrent à Ya.B. de rembourser une dette d’un montant de 100 000 roubles russes (RUB). Ya.B. ayant refusé, Grishin, et N.G. le brutalisèrent. Slyadnev frappa S.K., qui avait assisté aux violences subies par Ya.B. Ils emmenèrent Ya.B. à son domicile et Grishin lui prit une somme d’un montant de 247 000 RUB.

42. La cour régionale considéra que, compte tenu de la gravité des faits commis par M. Grishin et par le second requérant, et des circonstances particulières de l’espèce, au vu desquelles les infractions commises par eux étaient des agressions crapuleuses commises contre des citoyens par la violence, la menace et les armes, les priver de leur liberté était le seul châtiment adéquat pour chacun d’eux. Elle reconnut le second requérant coupable, en vertu de l’article 330 § 2 du code pénal, d’irrégularités arbitraires avec usage de la violence, le condamna à deux ans et 10 mois d’emprisonnement, leva la peine d’emprisonnement avec sursis qui lui avait été infligée en 2001 au motif que la nouvelle infraction avait été commise pendant la période de mise à l’épreuve et, après avoir ajouté la durée de cette peine de sursis, le condamna à quatre ans et cinq mois d’emprisonnement au total. Elle l’exonéra de son obligation de purger la partie de la peine relative à l’infraction relevant de l’article 330 § 2, parce qu’il y avait prescription, et estima qu’il avait purgé sa peine pour le reste puisqu’il avait été placé en détention provisoire du 24 avril 2003 au 22 juin 2004 et du 6 décembre 2005 au 12 mars 2009, soit quatre ans, cinq mois et six jours au total. Elle l’acquitta des autres chefs d’accusation.

43. Le 23 juillet 2009, la Cour suprême rejeta un pourvoi formé par M. Grishin et confirma l’arrêt.

C. Les conditions dans la salle d’audience

44. Pendant qu’ils étaient en détention provisoire, les requérants furent conduits devant la cour régionale depuis leur centre de détention sous escorte policière. Au cours des audiences, ils étaient assis sur un banc entouré des quatre côtés d’une grille métallique. L’enclos faisait 255 cm de longueur, 150 cm de largeur et 225 cm de hauteur, avec une porte d’accès. La distance entre les barreaux métalliques, d’un diamètre de 10 mm, était de 19 cm.

45. D’après les informations complémentaires produites par le premier requérant, des policiers armés étaient postés à proximité du banc encagé. Il y aurait toujours eu deux policiers pour chaque détenu, soit huit au total pendant les deux premiers procès et six pendant le troisième procès.

D. Les actions en réparation

46. Le 25 août 2009, le premier requérant, qui avait été acquitté de tous les chefs d’accusation, forma une action en réparation pour les dommages matériel et moral que lui aurait causés la procédure pénale en cause, et en particulier sa détention. Le 23 octobre 2009, la cour régionale lui accorda 18 569 RUB à titre de dommages-intérêts. Le 1er mars 2010, le tribunal de Magadan lui alloua 50 000 RUB pour dommage moral, à verser par le ministère des finances.

II. ÉLÉMENTS PERTINENTS DE DROIT INTERNE

A. Le code de procédure pénale

47. L’article 9 du code de procédure pénale de la Fédération de Russie interdit la torture et les traitements inhumains ou dégradants contre un accusé ou contre les autres participants à une procédure pénale.

B. Les règles de construction

48. En vertu des règles de conception et de construction des tribunaux (« les règles de construction »), en vigueur depuis le 1er août 2000, les salles d’audience en matière pénale doivent être dotées d’un local pour les accusés et les gardes, lequel doit être clos des quatre côtés par une grille faite de barreaux métalliques d’un diamètre de 14 mm, d’une hauteur de 220 cm ou allant jusqu’au plafond, avec une porte et un plafond fait de câbles en acier (paragraphes 5.4, 5.9 et 8.3 des règles de construction СП 31-104-2000, telles qu’approuvées par le Service d’administration des tribunaux de la Cour suprême le 2 décembre 1999). L’accès aux cellules des accusés dans la salle d’audience se fait par des couloirs et escaliers séparés et par une entrée séparée dans le bâtiment. Il doit y avoir des détecteurs de métaux à l’entrée publique du tribunal et des barreaux métalliques aux fenêtres de celui-ci (paragraphes 5.11, 8.1, 8.2 et 5.35 des règles de construction).

C. Les règlements internes du ministère de l’Intérieur et leur contrôle par la Cour suprême

49. En vertu des directives relatives au fonctionnement des centres de détention provisoire et des unités de garde et d’escorte de la police, approuvées par l’arrêté no 140 du ministère de l’Intérieur de la Fédération de Russie le 7 mars 2006 (« l’arrêté no 140 »), les suspects et accusés sont conduits au tribunal depuis leur centre de détention sous escorte policière et placés au tribunal dans un enclos derrière une barrière (« la grille métallique »). Il est interdit de les conduire dans un tribunal non doté d’une grille métallique. Les mêmes règles figuraient dans les directives approuvées par l’arrêté no 41 du ministère de l’Intérieur de la Fédération de Russie le 26 janvier 1996 (« l’arrêté no 41 »), le texte en vigueur avant l’arrêté no 140.

50. Les deux arrêtés n’avaient été pris qu’en tant que mesures d’ordre intérieur. Les actions en justice par lesquelles leur légalité avait été contestée pour défaut de publication officielle furent rejetées par la Cour suprême, qui jugea qu’ils renfermaient des informations confidentielles et avaient été enregistrés auprès du ministère de la Justice de la Russie (décision du 2 décembre 2002, telles que la chambre de cassation les a confirmées par une décision du 24 avril 2003 concernant l’arrêté no 41 et par une décision du 7 décembre 2011 concernant l’arrêté no 140).

51. L’arrêté no 41 fut lui aussi contesté devant la Cour suprême par un certain M. Sh., qui estimait que sa disposition imposant de garder les accusés derrière une « grille métallique » au cours de leur procès était contraire aux règles tirées du droit interne et de la Convention interdisant les traitements dégradants et garantissant le droit à un procès équitable. Par une décision du 19 octobre 2004, la Cour suprême rejeta ce recours. Elle releva que la disposition dénoncée visait les personnes placées en détention provisoire par une décision de justice conformément aux prescriptions du code de procédure pénale. Elle ajouta que la police était chargée de les conduire et de les escorter au tribunal depuis leur lieu de détention (article 10 § 16 de la loi relative à la milice) et que les règles de construction prévoyaient, parmi les impératifs de sécurité, la mise en place d’une « grille métallique » pour les accusés. Elle dit que toute détention provisoire doit se dérouler conformément aux principes de la légalité, de l’équité, de la présomption d’innocence, de l’égalité devant la loi, de l’humanisme et du respect de la dignité humaine ainsi qu’à la Constitution, aux principes et normes de droit international et aux accords internationaux conclus par la Fédération de Russie, et en l’absence de torture et de tout autre acte visant à infliger des souffrances physiques ou psychologiques (loi fédérale relative à la détention des suspects et accusés en matière pénale).

52. Le 23 décembre 2004, la décision fut confirmée par la chambre de cassation de la Cour suprême, qui releva, s’agissant du moyen tiré par M. Sh. de ce qu’il aurait été concrètement placé dans une « cage de métal », que l’arrêté contesté ne précisait pas les caractéristiques techniques de la barrière (« grille métallique »).

EN DROIT

I. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

53. Les requêtes en question portant sur des faits et griefs similaires et soulevant des questions identiques sur le terrain de la Convention, la Cour décide de les joindre en vertu de l’article 42 § 1 de son règlement.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

54. Les requérants se plaignent de ce que, pendant la période où ils étaient en détention provisoire, ils aient comparu devant le jury dans une cage de métal, « comme des singes dans un zoo » et ils s’estiment donc victimes d’un traitement humiliant portant atteinte à leur honneur et à leur dignité. Ils invoquent l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

55. Le Gouvernement soutient que garder les accusés dans une cage de métal au tribunal est une mesure de sécurité ordinaire. Des cages auraient été installées à titre permanent dans les salles d’audience en matière pénale conformément aux plans détaillés figurant dans les règles de construction, approuvées par la Cour suprême en 1999 (paragraphe 48 ci-dessus). Par l’arrêté no 140, le ministère de l’Intérieur aurait interdit aux policiers d’escorte de conduire les suspects et les accusés dans des salles d’audience non dotées de cages (paragraphe 49 ci-dessus).

56. Le Gouvernement estime que les autorités n’avaient pas l’intention d’infliger un quelconque dommage aux requérants, de les soumettre à la torture, de les humilier, de leur faire subir des souffrances physiques ou psychologiques ou de leur donner le sentiment d’être des « singes dans un zoo ». Les intéressés n’auraient produit aucun élément concernant les séquelles physiques ou psychologiques que leur placement dans la « cage de métal » leur aurait causées, si tant est qu’il y en ait eu.

57. Le premier requérant considère que son exposition en public – devant les habitants de Sinegorye, où il réside, et de Magadan, ainsi que devant le jury – dans une cage de métal, comme un « animal » dangereux nécessitant de lourdes mesures de sécurité, a été pour lui source d’humiliation et de souffrances. Le second requérant ajoute que cette mesure a influencé le jury en sa défaveur.

1. Sur la recevabilité

58. La Cour estime, à la lumière des observations des parties, que le grief en question soulève sur le terrain de la Convention de graves questions de fait et de droit dont le règlement appelle un examen au fond. Elle en conclut que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

2. Sur le fond

59. La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention interdit de manière absolue la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances et le comportement de la victime (voir, par exemple, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000‑IV).

60. Pour tomber sous le coup de l’article 3, un traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la nature et du contexte du traitement, de ses modalités d’exécution, de sa durée, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 91, CEDH 2000‑XI).

61. Un traitement peut être qualifié de dégradant et tomber ainsi également sous le coup de l’interdiction de l’article 3 s’il humilie ou avilit un individu, s’il témoigne d’un manque de respect pour sa dignité, voire la diminue, ou s’il suscite chez lui des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à briser sa résistance morale et physique (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 52, CEDH 2002‑III). La souffrance et l’humiliation infligées doivent en tout cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitimes (Kudła, précité, § 92).

62. La question de savoir si le traitement avait pour but d’humilier ou de rabaisser la victime est un élément à prendre en compte, mais l’absence d’un tel but ne saurait toutefois exclure de façon définitive un constat de violation de l’article 3 (V. c. Royaume-Uni [GC], no 24888/94, § 71, CEDH 1999‑IX). Le caractère public du traitement peut être un élément pertinent, bien qu’il puisse suffire que la victime soit humiliée à ses propres yeux (Tyrer c. Royaume-Uni, 25 avril 1978, § 32, série A no 26).

63. Une mesure de restriction ne pose normalement pas de problème au regard de l’article 3 de la Convention lorsqu’elle est liée à une détention légale et n’entraîne ni usage de la force ni exposition publique au-delà de ce que l’on peut raisonnablement considérer comme nécessaire. A cet égard, il importe de tenir compte notamment du risque de fuite, de blessure ou de dommage (Raninen c. Finlande, 16 décembre 1997, § 56, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VIII). S’agissant d’une personne privée de sa liberté, tout usage de la force physique qui n’est pas rendu absolument nécessaire par son propre comportement porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation du droit garanti par l’article 3 de la Convention (Labita, précité, § 120).

64. Faisant application des principes ci-dessus dans l’affaire Sarban c. Moldova, la Cour a conclu que, dans un procès qui avait eu un grand retentissement, encager le requérant, qui était malade et sous garde et portait une minerve et des menottes, si bien qu’un médecin devait mesurer sa tension artérielle au travers des barreaux de la cage sous les yeux du public, était un élément contribuant au constat selon lequel l’intéressé avait été victime d’un traitement dégradant contraire à l’article 3 (Sarban c. Moldova, no 3456/05, §§ 88-90, 4 octobre 2005). Dans l’affaire Ramichvili et Kokhreidzé c. Géorgie, où les requérants, des personnalités publiques, avaient été encagés et gardés par des hommes lourdement armés portant des masques noirs ressemblant à des cagoules pendant que le juge contrôlait la régularité de leur détention et que l’audience était diffusée en direct partout dans le pays, la Cour a conclu qu’un tel traitement était dégradant (Ramichvili et Kokhreidzé c. Géorgie, no 1704/06, § 101, 27 janvier 2009). Elle en a conclu de même dans deux autres affaires où les requérants avaient été gardés dans une cage pendant leur procès en appel (Ashot Haroutyounian c. Arménie, no 34334/04, §§ 126-129, 15 juin 2010) ou pendant l’ensemble du procès (Khodorkovskiy c. Russie, no 5829/04, §§ 125-126, 31 mai 2011). Elle a pris en compte les faits que les requérants étaient accusés d’infractions non violentes et n’avaient jamais été condamnés auparavant, ainsi que leur bon comportement et l’absence de toute preuve permettant de craindre légitimement qu’ils recourent la violence, qu’ils s’enfuient ou que leur propre sécurité soit compromise,.

65. Dans les affaires ci-dessus, ce n’était pas l’encagement en lui-même mais le recours injustifié ou disproportionné à cette mesure au vu des circonstances de l’espèce qui a amené la Cour à conclure qu’il était dégradant. Il en a été de même dans le constat de violation de l’article 3 en l’affaire Gorodnitchev c. Russie, où le requérant était apparu menotté en audience publique (Gorodnitchev c. Russie, no 52058/99, §§ 103-109, 24 mai 2007) et, plus récemment, en l’affaire Piruzyan c. Arménie (Piruzyan c. Arménie, no 33376/07, §§ 69-74, 26 juin 2012).

66. La Cour note que, par exemple, l’Arménie et la Géorgie ont retiré les cages de leurs tribunaux à la suite de réformes (Ashot Haroutyounian, précité, § 118 ; résolution CM/ResDH(2011)105 du Conseil des Ministres du Conseil de l’Europe). En Russie, les cages sont toujours utilisées dans bon nombre de régions et, comme le Gouvernement l’a expliqué, il s’agit d’une mesure de sécurité habituelle applicable à tout accusé en détention provisoire. Il ressort des observations du Gouvernement que cette pratique a pour fondements juridiques les règles de construction et les directives internes non publiées du ministère de l’Intérieur (paragraphes 49-53 et 55 ci-dessus). Dans ces mêmes observations, le Gouvernement n’a fait état d’aucune autre pratique quant à l’aménagement des tribunaux.

67. Les requérants se plaignent d’avoir été placés dans une cage de métal au tribunal pendant leur troisième procès devant un jury, alors qu’ils étaient en détention provisoire, le premier dans le cadre d’une autre instance pénale dirigée contre lui et le second dans le cadre du procès lui-même. La juridiction de jugement n’a aucunement motivé ce traitement.

68. La Cour relève que les requérants étaient accusés d’infractions violentes, par exemple de vol (pour les deux requérants) et de banditisme (pour le second requérant). Ils avaient déjà été condamnés auparavant pour vol (pour le premier requérant) et vandalisme, coups et blessures volontaires et homicide par négligence (pour le second requérant). De plus, la crainte des témoins que des accusés commettent des exactions à leur égard figurait parmi les motifs justifiant la détention provisoire de ces derniers.

69. La Cour relève néanmoins que, si certaines des décisions en matière de détention font en effet vaguement mention de craintes des témoins, on ne sait pas vraiment, en l’absence de tout détail et des noms des accusés en cause – puisqu’il y avait quatre accusés au procès –, si ces craintes se rapportaient aux requérants ni si elles étaient justifiées (paragraphe 25 ci-dessus). Elle constate que, peu avant la mise en détention provisoire du second requérant, le juge avait prononcé sa libération anticipée dans le cadre de sa peine antérieure compte tenu de son bon comportement et de bonnes références (paragraphe 9). Ni les éléments du élément du dossier ni les observations du Gouvernement ne font état d’un comportement inadéquat ou violent des requérants au cours de leur procès.

70. Constatant que les requérants étaient gardés en permanence par des policiers armés et que d’autres mesures de sécurité avaient dû être prises dans la salle d’audience (paragraphes 45 et 48 ci-dessus) et en l’absence de tout élément permettant de fonder de manière légitime la crainte que les intéressés constituassent un danger pour l’ordre et la sécurité au tribunal ou pour leur propre sécurité, recourussent à la violence ou s’enfuissent, la Cour estime que leur placement dans une cage, où ils étaient exposés au public dans l’enceinte du tribunal, n’était pas justifié. Elle considère que le traitement dénoncé a humilié les intéressés à leurs propres yeux et aux yeux du public et a fait naître en eux un sentiment d’angoisse et d’avilissement assimilable à un traitement dégradant.

71. Il y a donc eu violation de l’article 3 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

72. Les requérants estiment la durée de leurs procès incompatible avec l’exigence de « délai raisonnable » énoncée à l’article 6 § 1 de la Convention, dont voici les parties pertinentes :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

73. Le Gouvernement conteste la thèse des requérants.

74. La période à retenir commence le 24 septembre 2002, à l’égard du premier requérant, et le 20 janvier 2003, à l’égard du second requérant. A ces dates, ils furent interrogés en qualité de suspects dans l’affaire. Cette période prend fin le 23 janvier 2009, lorsque la décision de la juridiction de jugement fut confirmée en cassation. Les procédures ont donc duré six ans et 10 mois pour le premier requérant et six ans et demi pour le second requérant, pour deux degrés de juridiction.

A. Sur la recevabilité

75. La Cour estime que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

76. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères suivants : la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999‑II).

77. La Cour relève que l’affaire était très complexe. Il y avait plus de dix chefs d’infractions graves et quatre accusés, ainsi que plus de 70 victimes et témoins, dont beaucoup résidaient dans des localités éloignées à plus de 500 km de Magadan, le lieu du procès. De nombreuses expertises furent conduites et examinées au cours du procès.

78. L’enquête préliminaire dura moins d’un an. Pendant cette période, le second requérant retarda délibérément l’examen du dossier entre le 20 mai et le 13 août 2003 (paragraphes 11-12 ci-dessus).

79. Les requérants et leurs coaccusés, tous représentés par des avocats, optèrent pour le procès devant un jury. Il y eut trois procès devant jury, l’arrêt de la cour régionale ayant été cassé à deux reprises à la suite de pourvois formés auprès de la Cour suprême.

80. Au premier procès, il fallut neuf mois à la cour régionale pour conduire le procès devant un jury et rendre son arrêt en juin 2004, par lequel les requérants, en détention provisoire, furent acquittés et libérés. Pendant cette période, le procès fut ajourné pendant environ quatre semaines à la demande des coaccusés et pendant deux semaines parce que l’un des avocats de la défense ne pouvait pas comparaître. Il fallut ensuite six mois à la Cour suprême pour examiner l’affaire en cassation.

81. La Cour estime que, à ce stade, il n’y avait aucun retard imputable aux autorités.

82. Au deuxième procès, l’affaire resta inscrite au rôle de la cour régionale pendant deux ans après la cassation de son premier arrêt par la Cour suprême le 7 décembre 2004, au motif que certains des jurés avaient dissimulé les antécédents criminels de membres de leur famille au moment de leur sélection et que le président de la formation de jugement n’avait pas correctement récapitulé des preuves.

83. Au cours de la première année, il fallut trois mois à la Cour suprême pour casser, pour erreur, la décision de la cour régionale qui avait ordonné le renvoi du dossier aux autorités d’enquête.

84. Le procès fut ajourné de cinq mois au motif que l’un des coaccusés était malade et qu’il était impossible d’examiner les chefs retenus contre les requérants dans le cadre d’un procès distinct. Un autre retard fut causé par la non-comparution des accusés et de leurs avocats. Ce retard ne saurait être imputé à l’Etat.

85. Le procès débuta finalement en décembre 2005, alors que les requérants étaient encore en détention provisoire, et prit fin une année plus tard. Pendant cette période, il fut ajourné de deux mois et 20 jours en raison des congés estivaux pris par les jurés, à la suite de quoi les parties durent répéter leurs conclusions, ce qui prit un mois supplémentaire. La Cour relève que la coupure des congés estivaux pour les jurés s’expliquait par la particularité du travail dans les conditions de l’extrême nord du pays, ce dont les avocats des requérants auraient dû être conscients et ce que les jurés avaient signalé aux parties et au juge à la date de leur sélection. Elle relève en outre que le troisième procès a été ajourné aux fins d’une coupure similaire, moins longue – un mois et demi –, et qu’aucun élément du dossier ne permet de justifier la première coupure dans son intégralité.

86. Le pourvoi formé contre le deuxième arrêt de la cour régionale fut examiné en six mois et, le 6 juin 2007, cet arrêt fut cassé, cette fois au motif notamment que les accusés et leurs avocats avaient abusé de leurs droits et manqué aux règles procédurales du procès devant jury afin d’influencer le verdict des jurés. Ils ont donc contribué aux lenteurs procédurales ainsi causées.

87. Pendant un an et neuf mois, jusqu’au prononcé du troisième arrêt, et alors que le second requérant se trouvait toujours en détention provisoire, le dossier resta en sommeil pendant trois mois avant que la cour régionale ne rouvre la procédure en septembre 2007. Cinq autres mois s’écoulèrent avant la constitution du jury et la reprise du procès, qui dura ensuite plus d’un an. Ce dernier fut ajourné d’environ un mois parce que l’un des coaccusés était malade. Le pourvoi formé contre le troisième arrêt fut examiné en quatre mois ; le 23 juillet 2009, il fut rejeté et l’arrêt fut confirmé.

88. Bien que les requérants ou leurs coaccusés soient responsables de certains de ces retards, lesquels n’engagent pas la responsabilité de l’Etat, il y a eu, alors que l’affaire était pendante devant la juridiction de jugement aux deuxième et troisième procès, des lenteurs notables imputables à l’Etat représentant une durée d’au moins une année et, pendant cette période, les intéressés étaient en détention provisoire, si bien que les tribunaux internes devaient faire preuve d’une diligence particulière pour administrer la justice dans les meilleurs délais (Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, § 132, CEDH 2002‑VI). Tout en tenant compte de la complexité de l’affaire et des difficultés auxquelles la cour régionale était confrontée, la Cour rappelle que l’Etat demeure responsable de l’efficacité de son système et que c’est à lui de décider des modalités permettant de satisfaire à l’exigence de « délai raisonnable » – qu’il s’agisse de délais et directives obligatoires ou d’autres moyens. Tout Etat qui laisserait un procès se poursuivre au-delà du « délai raisonnable » prescrit par l’article 6 de la Convention, sans rien faire pour en assurer le bon déroulement, sera responsable des lenteurs qui en résulteront (Blake c. Royaume-Uni, no 68890/01, § 45, 26 septembre 2006).

89. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour juge que la procédure en l’espèce était excessive dans sa durée et n’a pas respecté l’exigence de « délai raisonnable ».

90. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1.

IV. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE LA CONVENTION

91. Pour ce qui est des autres griefs soulevés par les requérants, tirés en particulier de l’annulation de leur acquittement par l’instance d’appel, de la détention provisoire du premier requérant, de la condamnation du second requérant et de la discrimination dont ce dernier aurait été victime par rapport à l’un de ses coaccusés resté en liberté alors que lui était en détention provisoire, la Cour estime, au vu de l’ensemble des pièces du dossier et pour autant que les questions évoquées relèvent de sa compétence, que ces griefs ne révèlent aucune apparence de violation des droits et libertés énoncés dans la Convention ou dans ses Protocoles.

92. Il s’ensuit que ces parties des requêtes sont manifestement mal fondées et doivent être rejetées conformément aux dispositions de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

93. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

94. M. Svinarenko réclame 78 000 euros (EUR) pour dommage moral et 2 000 EUR, représentant la perte d’une allocation chômage au cours de la procédure pénale dirigée contre lui, pour dommage matériel. M. Slyadnev réclame 15 000 EUR pour dommage moral et 2 000 000 RUB, représentant une perte de gains lors de sa détention provisoire, pour dommage matériel.

95. Le Gouvernement conteste ces demandes.

96. Ne voyant aucun lien de causalité entre les violations constatées et les dommages matériels allégués, la Cour rejette les demandes formulées à ce titre. Elle accorde en revanche 7 500 EUR à chacun des requérants pour dommage moral.

B. Frais et dépens

97. M. Slyadnev réclame en outre les 317 476 RUB qu’un tribunal interne l’aurait sommé de payer au titre des frais de justice dans le cadre de la procédure pénale dirigée contre lui.

98. Le Gouvernement dit que le requérant a été sommé de verser 175 000 RUB au budget fédéral pour compenser partiellement les frais de justice supportés par l’Etat.

99. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant n’a droit au remboursement de ses frais et dépens qu’à condition que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des violations de la Convention constatées, des pièces en sa possession et des critères ci-dessus, la Cour rejette la demande au titre des frais et dépenses occasionnés devant le juge interne.

C. Intérêts moratoires

100. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre les requêtes ;

2. Déclare recevables les griefs tirés par les requérants de leur placement dans une « cage de métal » et de la durée des procédures pénales dirigées contre eux et irrecevables les requêtes pour le surplus ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à raison du placement des requérants dans une cage de métal au tribunal ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison de la durée des procédures pénales dirigées contre les requérants ;

5. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser à chacun des requérants, dans les trois mois à compter du jour où le présent arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 7 500 EUR (sept mille cinq cent euros), pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants sur cette somme, à convertir en roubles russes au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, cette somme sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 11 décembre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

André WampachIsabelle Berro-Lefèvre
Greffier adjointPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-115266
Date de la décision : 11/12/2012
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant) (Volet matériel);Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Délai raisonnable)

Parties
Demandeurs : SVINARENKO ET SLYADNEV
Défendeurs : RUSSIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : PALCHINSKIY V. G. ; PLOTNIKOV Ye. F.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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