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04/12/2012 | CEDH | N°001-115009

CEDH | CEDH, AFFAIRE ÖZMEN c. TURQUIE, 2012, 001-115009


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ÖZMEN c. TURQUIE

(Requête no 28110/08)

ARRÊT

STRASBOURG

4 décembre 2012

DÉFINITIF

04/03/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Özmen c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
P

aulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 no...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ÖZMEN c. TURQUIE

(Requête no 28110/08)

ARRÊT

STRASBOURG

4 décembre 2012

DÉFINITIF

04/03/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Özmen c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 novembre 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 28110/08) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Halük Özmen (« le requérant »), a saisi la Cour le 10 juin 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me T. Asma, avocate à Ankara. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

3. Le requérant allègue principalement une atteinte à sa vie familiale, se plaignant en particulier d’avoir été privé de tout contact avec sa fille.

4. Le 4 janvier 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1965 et résiderait actuellement à Samsun (Turquie).

6. Le 2 décembre 2000, il épousa Ferihan Tanrıkut alors qu’il vivait en Australie. De cette union est née leur fille, Rüzgar, le 3 août 2001.

A. Le divorce prononcé par les juridictions australiennes

7. Le 2 juin 2005, alors que la procédure en divorce qui l’opposait à son épouse était pendante devant le tribunal de la famille de Melbourne (Australie), le juge en charge de l’affaire autorisa celle-ci à se rendre en Turquie en compagnie de sa fille malgré l’opposition du requérant, sous réserve toutefois de revenir au plus tard le 28 août 2005 et de payer une caution de 10 000 dollars.

8. La mère et l’enfant ne rentrèrent jamais de Turquie.

9. Par un jugement du 16 juin 2005, devenu définitif le 17 juillet 2005, le tribunal de la famille de Melbourne prononça le divorce des parties.

10. Le 26 septembre 2005, le requérant saisit les juridictions australiennes d’une action en attribution de l’autorité parentale sur sa fille.

11. Le 6 octobre 2005, constatant que la mère et l’enfant n’étaient jamais rentrées de Turquie, le tribunal de la famille de Melbourne prononça l’attribution temporaire de l’autorité parentale exclusive au requérant, la suspension provisoire de toute relation entre l’enfant et la mère, ainsi que la restitution en Australie de l’enfant par la mère. Il demanda l’établissement d’une commission rogatoire autorisant les autorités fédérales et provinciales à rechercher l’enfant et à le reprendre, si besoin, par recours à la force. Il demanda également au ministère de la Justice de prendre toutes les mesures utiles pour accélérer l’examen de la demande de retour de l’enfant en Australie, introduite par le père le 31 août 2005 en vertu de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (« la Convention de La Haye »). Ce jugement fut notifié à l’avocat en Turquie de Mme Tanrıkut.

12. Le 27 mars 2007, le requérant saisit le tribunal de la famille d’Ankara d’une action tendant à la reconnaissance en Turquie du jugement de divorce prononcé par le tribunal de la famille de Melbourne. Il demanda également la jonction de son affaire avec l’action en divorce introduite par Mme Tanrıkut en Turquie, qui était pendante devant le 6e tribunal de la famille d’Ankara.

13. Cette demande de jonction fut rejetée.

14. Le 3 février 2009, le 10e tribunal de la famille d’Ankara fit droit à la demande de reconnaissance du jugement de divorce prononcé par le tribunal de la famille de Melbourne.

15. Le 6 avril 2010, après confirmation par la Cour de cassation, ce jugement devint définitif.

B. La procédure en divorce et attribution d’autorité parentale devant les juridictions turques

16. Le 10 septembre 2005, Mme Tanrıkut saisit le tribunal de la famille d’Ankara d’une procédure en divorce et attribution de l’autorité parentale sur sa fille, et demanda l’adoption d’une mesure provisoire d’attribution de l’autorité parentale à son nom.

17. Le 29 décembre 2005, le tribunal de la famille adopta une mesure provisoire d’attribution de l’autorité parentale et de la garde de l’enfant à la mère et d’interdiction pour le père de sortir du territoire avec sa fille.

18. Le 18 février 2008, le 6e tribunal de la famille d’Ankara prononça le divorce et l’attribution de l’autorité parentale à la mère, assortie d’un droit de visite et d’hébergement pour le requérant. Il ressort de ce jugement que le tribunal était informé de l’existence d’un jugement de divorce prononcé en Australie de même que d’une décision du 3e tribunal de la famille d’Ankara ordonnant le retour de l’enfant en Australie en vertu de la Convention de La Haye (paragraphe 30 ci-après).

19. Le 12 juin 2008, le requérant forma un pourvoi en cassation contre ce jugement. Dans son mémoire en pourvoi, il souligna que le jugement litigieux avait été prononcé alors qu’il existait un jugement de divorce prononcé en Australie, devenu définitif, et alors même qu’une procédure en reconnaissance de ce divorce était pendante devant les juridictions turques. Il soutint que la demande de son ex-épouse n’aurait en conséquence jamais dû être acceptée. En outre, il rappela que la Cour de cassation avait confirmé le jugement portant reconnaissance de l’obligation de retour de sa fille en Australie, en vertu de la Convention de La Haye (paragraphes 31 et 32 ci-après).

20. Le 12 mai 2009, la Cour de cassation confirma le jugement de première instance.

21. Le 7 décembre 2009, elle rejeta le recours en rectification formé contre cet arrêt, relevant que celui-ci se fondait sur le fait que le retour de l’enfant à sa résidence habituelle en vertu de la Convention de La Haye avait la nature d’une mesure provisoire alors que la législation relative à l’autorité parentale se référait au « divorce » mentionné à l’article 336 § 3 du code civil.

22. Le 19 février 2010, le requérant saisit le tribunal de la famille d’une action tendant à ce que l’autorité parentale attribuée à Mme Tanrıkut lui soit retirée à son profit.

23. Le 1er juin 2011, après avoir constaté que l’ex-épouse du requérant n’avait pas satisfait à son obligation légale de respecter son droit de visite et que le requérant ne parvenait pas à voir sa fille, le tribunal de la famille statua en faveur du requérant. Il lui attribua ainsi l’autorité parentale sur l’enfant, assortie d’un droit de visite au bénéfice de la mère. Prenant en compte le contenu du dossier, l’état des preuves et le fait que l’enfant était introuvable, il rejeta sa demande de restitution préventive.

24. Le 26 juillet 2011, l’avocat du requérant mit en œuvre la procédure d’exécution de ce jugement afin d’obtenir que la fille du requérant soit remise à ce dernier.

25. Faute d’exécution, une plainte fut déposée contre l’ex-épouse du requérant. La procédure ainsi initiée demeurerait pendante devant le tribunal correctionnel d’Ankara.

C. Les mesures tendant au retour de la fille du requérant en Australie

26. A une date non précisée, le procureur de la République d’Ankara saisit le tribunal de la famille d’une action en retour de l’enfant dans son pays de résidence.

27. Le 24 mai 2006, le tribunal de la famille rejeta cette demande, relevant que même si la demande de retour de l’enfant en Australie était fondée sur la Convention de La Haye, il apparaissait établi en l’occurrence qu’il existait un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable. Se fondant sur l’article 13 de la Convention de La Haye, il refusa donc de prononcer ce retour.

28. Le 14 septembre 2006, le procureur de la République d’Ankara forma un pourvoi contre ce jugement, estimant que celui-ci était contraire à la Convention de La Haye et aux règles régissant le traitement des cas d’enlèvements internationaux d’enfants. Il souligna également que Mme Tanrıkut, demanderesse dans la procédure en divorce pendante devant le tribunal de la famille (paragraphe 16 ci-dessus), avait enlevé sa fille et méconnu par là-même la décision des juridictions australiennes.

29. Le 23 novembre 2006, la Cour de cassation infirma le jugement de première instance.

30. Le 7 mai 2007, statuant sur renvoi, le tribunal de la famille fit droit à la demande de constitution de partie intervenante du requérant et ordonna le retour de l’enfant à sa résidence habituelle en Australie.

31. Le 10 septembre 2007, ce jugement fut confirmé par la Cour de cassation.

32. Le 10 décembre 2007, la Cour de cassation rejeta le recours en rectification formé contre ce jugement.

33. Par une lettre du 23 janvier 2008, la direction générale du droit international et des relations extérieures du ministère de la Justice informa les autorités australiennes compétentes de cette décision.

34. Sur ce fut déclenchée la procédure d’exécution du jugement de retour. Dans ce contexte, le 26 février 2008, des policiers dressèrent un procès-verbal aux termes duquel il fut établi que la fille du requérant avait été scolarisée dans une classe périscolaire avant que sa mère ne l’en retire, qu’elle n’apparaissait inscrite dans aucune autre école du département et que ni elle ni sa mère ne se trouvaient à l’adresse indiquée comme étant la leur.

35. Selon un procès-verbal établi le 28 février 2008, par la direction de l’exécution, un fonctionnaire de ladite direction, un éducateur et le requérant se rendirent à l’adresse de Mme Tanrıkut pour récupérer l’enfant mais ne purent le faire, faute pour celle-ci de s’y trouver ; les voisins ayant par ailleurs déclaré ne pas l’avoir vu depuis un moment. Sur ce, ils se rendirent sur le lieu de travail de la tante de l’enfant où ils furent informés qu’elle avait un arrêt de travail.

36. Le 29 février 2008, le requérant transmit à la direction générale du droit international et des relations extérieures du ministère de la Justice l’adresse de la sœur de son épouse et demanda à ce que toutes les mesures soient prises à son égard pour que sa fille soit retrouvée.

37. Le 3 mars 2008, le requérant transmit aux autorités une liste de noms de personnes pouvant éventuellement détenir des informations quant aux adresses où sa fille pourrait se trouver.

38. Le 4 mars 2008, la direction du droit international et des relations extérieures transmit ces adresses à la direction générale de la sûreté et demanda, eu égard au risque que l’adresse de l’enfant soit à nouveau modifiée, à ce qu’une vérification soit faite en priorité.

39. Le 7 mars 2008, le requérant écrivit à la direction générale du droit international et des affaires extérieures afin de demander que, jusqu’à ce qu’elle soit retrouvée, sa fille fasse l’objet d’une interdiction de sortie du territoire. Cette demande fut transmise au procureur de la République.

40. Le 11 mars 2008, la direction de la sûreté auprès de la préfecture d’Eskişehir écrivit à la direction générale de la sûreté pour l’informer que la fille du requérant et son ex-épouse étaient domiciliées chez la sœur de celle‑ci.

41. Le 17 mars 2008, le tribunal de la famille adopta une décision portant interdiction provisoire de sortie du territoire et suspension de toute procédure d’obtention ou de renouvellement de passeport en ce qui concerne la fille du requérant. Le jour même, le procureur de la République d’Ankara transmit cette décision au bureau de la sûreté d’Ankara, demandant que soient prises toutes les mesures utiles pour mettre en œuvre au niveau national les décisions provisoires adoptées à l’égard de l’enfant. Il écrivit également aux procureurs de Kazan et d’Eskişehir en leur transmettant deux adresses pour vérifications.

42. Le 20 mars 2008, le requérant écrivit à la direction générale de la sûreté pour l’informer que son ex-épouse était employée à l’université Anadolu, à Eskişehir. Le jour même, la direction générale de la sûreté transmit cette information à la direction de la sûreté d’Eskişehir et demanda à ce que toutes les mesures nécessaires soient prises.

43. Le 27 mars 2008, le ministère de la Justice transmit par télécopie une demande à la direction générale de la sûreté et au procureur de la République d’Eskişehir afin que soit établie l’adresse de la fille du requérant, en les priant de l’informer à cet égard en urgence. Il demanda en outre au procureur de tout mettre en œuvre pour assurer la restitution de l’enfant et d’envisager le recours à la voie pénale ainsi que tout recours afin d’obtenir la restitution de l’enfant.

44. Le 1er avril 2008, ce procureur informa le bureau du droit international et des relations extérieures du ministère de la Justice que l’ex-épouse du requérant faisait l’objet de poursuites pénales en vertu de l’article 234 du code pénal pour avoir enlevé sa fille et pour non-respect d’une décision de justice.

45. Le 30 avril 2008, un fonctionnaire de la direction de l’exécution, le requérant ainsi que son avocat se rendirent sur le campus de l’université Anadolu où travaillait Mme Tanrıkut. Aux termes du procès-verbal dressé à cette occasion, lui fut lue et expliquée la décision du 7 mai 2007, ordonnant le retour de sa fille en Australie. L’ex-épouse du requérant demanda alors à ce qu’on attende l’arrivée de son avocate, laquelle arriva peu de temps après. Cette dernière déclara alors que l’enfant vivait en Turquie depuis trois ans, qu’elle s’était adaptée à son milieu et que son état psychologique s’opposait à sa restitution. Elle soutint en outre que l’autorité parentale sur l’enfant avait été accordée à la mère par le 6e tribunal de la famille d’Ankara et que la décision litigieuse ne prévoyait pas la remise de l’enfant au père. Enfin, la requérante dit que l’enfant ne se trouvait pas sur place et quitta les lieux sans vouloir donner plus d’informations. Le fonctionnaire se rendit auprès du doyen de la faculté pour obtenir des informations quant à son adresse puis se rendit, accompagné du requérant et de son avocat, aux adresses communiquées par le doyen, pour constater que l’enfant ne s’y trouvait pas.

46. A une date non précisée, le requérant saisit la direction générale de la sûreté d’une demande de recherche de sa fille, en leur fournissant des informations selon lesquelles entre le 15 décembre 2007 et le 15 janvier 2008, elle avait été scolarisée dans une école primaire dont il donna l’adresse. Il transmit également les coordonnées d’une amie de son ex‑épouse chez laquelle elle aurait pu, selon lui, demeurer.

47. Le 7 mai 2008, le bureau des enfants portés disparus près la direction de la sûreté d’Ankara établit un document aux termes duquel les policiers s’étaient rendus chez l’amie en question mais celle-ci avait refusé de donner des informations. Bien qu’ayant procédé à l’inscription de l’enfant sur le fichier informatique des personnes disparues, ils précisèrent n’avoir reçu, à ce jour, aucune information.

48. Le 8 mai 2008, Mme Tanrıkut fut condamnée par le tribunal pénal de l’exécution d’Eskişehir à une peine de 6 mois de prison en vertu de l’article 341 du code de l’exécution et des faillites pour non-respect de l’injonction faite dans le jugement portant retour de sa fille. Ce jugement devint définitif le 22 mai 2008. Dans la défense qu’elle soumit à ce tribunal, l’accusée soutint que la décision en cause était une décision de retour de l’enfant dans son pays de résidence et non de restitution.

49. Le 9 mai 2008, le ministère de la Justice rappela à la direction générale de la sûreté les obligations découlant de la Convention de La Haye et lui demanda de prendre toutes les mesures nécessaires à l’établissement de l’adresse de l’enfant et à ce que la mère, dont l’adresse avait été établie, soit suivie en secret.

50. Le 14 mai 2008, le ministère de la Justice informa par lettre le ministère des Affaires étrangères (direction des affaires consulaires) qu’en vertu de l’article 7 de la Convention de La Haye une demande avait été adressée le 9 mai 2008 au ministère de l’Intérieur et au procureur de la République d’Eskişehir afin que soient prises toutes les mesures nécessaires à la détermination de l’adresse de l’enfant et que soit placée sous surveillance secrète toute personne ayant un lien avec l’enfant, en particulier sa mère, dont l’adresse était connue. Il précisa en outre qu’une procédure pénale avait été intentée contre la mère en vertu de l’article 234 du code pénal, pour enlèvement d’enfant.

51. Le 22 mai 2008, le ministère de l’Intérieur écrivit à la direction des affaires consulaires, précisant que toutes les mesures administratives et d’exécution étaient prises pour rechercher et retrouver la fille du requérant. Il précisa également que le 18 février 2008, le tribunal de la famille d’Ankara avait prononcé le divorce des requérants et l’attribution de l’autorité parentale à la mère mais que ce jugement n’était pas définitif. Il observa en outre que le jugement ainsi rendu serait probablement revu en cassation dans la mesure où, en vertu de l’article 16 de la Convention de La Haye, dans les cas où il existe une décision définitive de retour, ce sont les tribunaux du pays de retour qui sont compétents pour se prononcer sur l’attribution de l’autorité parentale. En outre, en vertu de l’article 12 de la loi no 5717 relative aux aspects juridiques de l’enlèvement international d’enfant (« loi no 5717 »), si une décision de retour a été adoptée, il ne peut plus être statué sur l’autorité parentale.

52. Le même jour, la direction de la sûreté de la préfecture d’Eskişehir écrivit à la direction de l’éducation nationale d’Eskişehir afin de demander si une inscription au nom de la fille du requérant dans une école primaire ou une crèche du département avait été faite. La direction de la sûreté écrivit également à la direction de la santé départementale d’Eskişehir afin de savoir si la fille du requérant avait ou non été soignée dans un quelconque établissement de santé.

53. Le 13 juin 2008, le procureur de la République d’Eskişehir saisit la direction de la sûreté d’Eskişehir d’une demande tendant à ce que l’ex‑épouse du requérant soit arrêtée à l’université Anadolu, que lui soit notifiée la décision du tribunal pénal de l’exécution, qu’elle soit informée que si elle ne restituait pas l’enfant elle encourrait une peine de prison ; en cas de refus de sa part, il était demandé de la conduire sous escorte au bureau du procureur.

Le soir même, à 18 h 45, des policiers dressèrent un procès-verbal indiquant qu’ils s’étaient postés à diverses dates et diverses heures à l’adresse de la fugitive mais que celle-ci n’avait pas été vue entrant ou sortant de chez elle et qu’il en allait de même pour son lieu de travail.

54. Le 16 juin 2008, le requérant adressa une demande d’assistance au ministre de la Justice, soulignant être sans nouvelle de sa fille depuis maintenant trois ans et craindre pour sa vie.

55. Le 26 juin 2008, il adressa une lettre au préfet d’Eskişehir pour que celui-ci incite le procureur et la direction de la sûreté à prendre toutes les mesures pour retrouver sa fille. Il exposait qu’en vertu de la Convention de La Haye la Turquie avait l’obligation d’assurer le retour de sa fille dans les six semaines suivant la décision définitive de retour, qu’il n’avait pas vu sa fille depuis trois ans, et que sa famille et lui-même souffraient de cette situation.

56. Le 2 juillet 2008, la direction de l’exécution établit un procès-verbal aux termes duquel un fonctionnaire s’était rendu à l’adresse de la sœur de Mme Tanrıkut, laquelle avait déclaré que cette dernière ne vivait plus là depuis 5 à 6 mois.

57. Le 21 juillet 2008, la direction de la sûreté d’Eskişehir informa le requérant que l’adresse de son ex-épouse avait pu être identifiée et qu’elle travaillait comme assistante de recherche à l’université Anadolu. Elle précisa que des demandes d’information avaient été envoyées à la direction de l’éducation d’Eskişehir, à la direction de la santé d’Eskişehir, aux universités d’Osmangazi et Anadolu. La direction de l’enseignement et les établissements d’enseignement rattachés aux universités en question avaient répondu qu’aucun enfant du nom de la fille du requérant n’était inscrit dans leurs écoles. La direction de la santé établit que l’enfant s’était présentée pour des soins les 17 janvier, 30 septembre et 10 décembre 2007 ainsi que le 8 janvier 2008 et que l’adresse fournie à cette occasion avait été identifiée comme appartenant à sa mère. Cette dernière avait alors fait l’objet d’une surveillance, des recherches avaient été effectuées à l’adresse en question et les voisins avaient été interrogés mais il fut établi que l’enfant ne demeurait pas à cette adresse. La direction de la sûreté précisa en outre qu’il était établi que l’ex-épouse du requérant avait démissionné de son poste à l’université le 19 juin 2008, et ne s’était pas rendue à son adresse depuis.

58. Le 25 novembre 2008, le ministère de l’Intérieur informa le ministère de la Justice que des recherches avaient été faites à propos de l’enfant et de sa mère incluant les hôpitaux, les maisons de soin, les administrations d’état civil, les hôtels et motels ainsi que les registres de l’éducation nationale.

59. Le 25 mars 2009, des policiers dressèrent un procès-verbal aux termes duquel la fille du requérant était scolarisée dans une école primaire à Samsun.

60. Le 9 juin 2009, le requérant transmit à la direction de la sûreté trois photographies de sa fille et de son ex-épouse demandant à ce que celles-ci soient affichées dans 81 départements.

61. Le 10 juin 2009, le ministère de l’Intérieur demanda à ce que ces photographies soient reproduites et distribuées aux équipes de police. Il saisit également le ministère de la Justice d’une demande d’information quant à savoir ce qu’il faudrait faire une fois la mère et l’enfant retrouvées, soulignant qu’il existait deux jugements contradictoires : l’un définitif prévoyant le retour de l’enfant en Australie, l’autre non définitif, accordant l’autorité parentale à la mère.

62. Le 19 juin 2009, le ministère de la Justice répondit que le jugement accordant l’autorité parentale à la fugitive n’était pas définitif et qu’il fallait exécuter le jugement reconnaissant le retour de l’enfant qui, lui, était définitif.

63. Le 3 juillet 2009, la direction de la sûreté demanda à ce que des recherches soient faites pour savoir si l’ex-épouse du requérant possédait une carte bancaire, si des membres de sa famille avaient des enfants du même âge que sa fille et si une double inscription scolaire existait à cet égard. Elle demanda également la mise sous surveillance des proches de l’ex-épouse du requérant lors des jours de fête.

64. Le 6 juillet 2009, le procureur de la République d’Eskişehir écrivit à la banque Garanti pour obtenir les données bancaires et personnelles de Mme Tanrıkut. Le jour même, la banque répondit qu’elle n’avait pu lui délivrer sa carte bancaire faute d’avoir pu la trouver à l’adresse qu’elle avait indiquée.

65. Le 16 juillet 2009, le ministère de l’Éducation écrivit au ministère de l’Intérieur afin de lui indiquer le nom et l’adresse de l’école où la fille du requérant était inscrite. Il fut toutefois établi par la suite que l’enfant ne s’était pas rendue dans cet établissement.

66. Le 17 juillet 2009, des policiers dressèrent un procès-verbal aux termes duquel la fille du requérant s’était rendue avec sa mère au centre de protection infantile de l’université Gazi. Il ressort de ce procès-verbal qu’elles y avaient rencontré un psychologue le 3 décembre 2007, pour des soupçons selon lesquels l’enfant aurait subi des abus physiques et sexuels de la part de son père. Le psychologue consulté aurait rédigé un rapport remis à l’avocate de Mme Tanrıkut.

67. Le 24 juillet 2009, le requérant s’adressa à nouveau au procureur de la République d’Ankara pour que sa fille soit retrouvée dans les meilleurs délais.

68. Le 6 août 2009, le requérant déposa plainte auprès du procureur de la République d’Eskişehir contre son ex-épouse, ainsi que contre la mère et la sœur de cette dernière, pour enlèvement d’enfant.

69. Le 30 août 2009, un procès-verbal fut dressé par des policiers aux termes duquel il fut précisé que des surveillances avaient été faites autour des domiciles des proches parents de l’ex-épouse du requérant sans succès et que ces derniers, interrogés, avaient déclaré être sans nouvelles de cette dernière depuis près de deux ans.

70. Le 14 septembre 2009, la direction de la sûreté près le ministère de l’Intérieur ayant obtenu par la caisse de sécurité sociale le nom et l’adresse du lieu de travail de Mme Tanrıkut, elle les transmit à la direction de la sûreté d’Eskişehir.

71. Le 21 septembre 2009, à la suite d’une dénonciation d’un tiers, le procureur de la République d’Eskişehir ordonna qu’une perquisition soit faite au domicile de la sœur de la fugitive et que, si l’enfant était retrouvée, elle soit remise à son père. Le jour même, il fut procédé à la fouille de ce domicile mais sans succès.

72. Le 25 septembre 2009, le requérant demanda à ce que sa fille soit recherchée à l’adresse de sa tante et déclara porter plainte contre son ex‑épouse et toute personne lui venant en aide.

73. Le 3 octobre 2009, le procureur de la République prononça un non‑lieu à poursuivre à cet égard relevant que des poursuites pour les mêmes faits étaient pendantes contre son ex-épouse et que les faits n’étaient pas établis à l’égard des autres accusés. Le 12 novembre 2009, la cour d’assises d’Eskişehir rejeta l’opposition formée contre ce non-lieu.

74. Le 20 octobre 2009, le tribunal pénal de l’exécution condamna à nouveau l’ex-épouse du requérant à une peine de deux mois d’emprisonnement.

75. Par une lettre du 17 janvier 2012, la direction générale du droit international et des affaires étrangères du ministère de la Justice informa le requérant que le ministère de l’Intérieur poursuivait les recherches pour déterminer le lieu où se trouvait sa fille.

II. LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT

76. L’article 12 de la loi no 5717 du 22 novembre 2007 relative aux aspects juridiques de l’enlèvement international d’enfant, entrée en vigueur le 4 décembre 2007, dispose :

« Si un jugement relatif au retour de l’enfant a été rendu, il ne peut en outre être statué sur l’autorité parentale. Toutefois, en cas de prononcé d’un jugement rejetant la demande de retour de l’enfant, il peut être statué sur l’autorité parentale. »

Aux termes de l’article 13 de cette loi, le prononcé d’un jugement sur l’autorité parentale après l’introduction d’une demande de retour de l’enfant, ne saurait constituer un motif de rejet de la demande de retour de l’enfant. L’article 14 de cette loi dispose en outre que lorsqu’une action en attribution d’autorité parentale a été introduite alors qu’une procédure en retour d’enfant était pendante, la procédure relative à l’autorité parentale devait être suspendue.

77. Les dispositions pertinentes de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants du 5 octobre 1980 sont décrites notamment dans les affaires Maumousseau et Washington c. France (no 39388/05, § 43, 6 décembre 2007), Carlson c. Suisse (no 49492/06, § 38, 6 novembre 2008) et Neulinger et Shuruk c. Suisse ([GC], no 41615/07, § 57, CEDH 2010).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

78. Dans sa requête initiale, sans invoquer aucun article de la Convention, le requérant se plaignait de l’inexécution par les autorités turques de la décision définitive portant retour de sa fille dans son pays de résidence. Il faisait valoir que cette situation affectait sa famille et sa fille. Il exposait également être inquiet pour la santé psychologique et physique de sa fille, dont il demeurait privé et sans aucune nouvelle.

79. Dans ses observations sur le fond et la satisfaction équitable du 22 juillet 2010, l’avocate du requérant a en outre invoqué l’article 6 de la Convention en se plaignant d’une violation du droit du requérant à un procès équitable, du fait que le retour de l’enfant n’avait pas été prononcé dans le délai de six semaines, que les procédures introduites avaient perduré pendant des années et que le retour de sa fille à sa résidence habituelle n’avait toujours pas été réalisé.

80. La Cour rappelle que, maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, elle ne se considère pas comme liée par celle que leur attribuent les requérants ou les gouvernements. En vertu du principe jura novit curia, elle a, par exemple, examiné d’office des griefs sous l’angle d’un article ou paragraphe que n’avaient pas invoqué les parties. Un grief se caractérise en effet par les faits qu’il dénonce et non par les simples moyens ou arguments de droit invoqués (voir, mutatis mutandis, Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I, et Berktay c. Turquie, no 22493/93, § 167, 1er mars 2001).

81. La Cour rappelle en outre que la différence entre l’objectif visé par les garanties offertes respectivement par les articles 6 § 1 et 8 peut, selon les circonstances, justifier l’examen d’une même série de faits sous l’angle de l’un et l’autre article (Bianchi c. Suisse, no 7548/04, § 113, 22 juin 2006).

82. En l’espèce, elle observe que le requérant a entrepris une série de démarches administratives et judiciaires visant au retour de sa fille en Australie et se plaint à cet égard de l’inexécution de la décision des juridictions nationales ayant fait droit à sa demande de retour et du fait de n’avoir pu voir sa fille depuis plusieurs années. A cet égard, elle rappelle que les griefs concernant des litiges touchant aux liens personnels entre parents et enfants relèvent du domaine de la « vie familiale » au sens de l’article 8 de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Maire c. Portugal, no 48206/99, § 68, CEDH 2003‑VII).

83. Rappelant en outre que l’article 8 exige que le processus décisionnel débouchant sur des mesures d’ingérence soit équitable et que l’Etat prenne les mesures propres à réunir le parent et l’enfant concernés (notamment, Zavřel c. République tchèque, no 14044/05, § 32, 18 janvier 2007, et Karoussiotis c. Portugal, no 23205/08, § 55, 1er février 2011), la Cour estime opportun, dans les circonstances de l’espèce, d’examiner les griefs du requérant sous l’angle de l’article 8 de la Convention, et ne juge pas nécessaire d’examiner séparément si une violation de l’article 6 de la Convention est également en cause (pour une approche similaire, voir, notamment, Amanalachioai c. Roumanie, no 4023/04, § 63, 26 mai 2009, Raban c. Roumanie, no 25437/08, § 23, 26 octobre 2010, et Bergmann c. République tchèque, no 8857/08, § 39, 27 octobre 2011).

L’article 8 de la Convention dispose notamment ce qui suit :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la protection des droits et libertés d’autrui. »

84. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

85. Le Gouvernement soutient que le requérant a omis d’épuiser les voies de recours internes. A cet égard, il expose qu’en vertu de l’article 40 de la Constitution, toute personne qui se prétend victime d’un traitement illégal de la part des autorités publiques a la possibilité de demander réparation à l’Etat. En l’espèce, le Gouvernement soutient que les instances nationales ont agi avec diligence pour essayer de retrouver la fille du requérant. Cela étant, dès lors que ce dernier allègue que les autorités internes n’ont pas pris les mesures nécessaires au retour de sa fille, il aurait dû saisir les instances nationales de la question.

86. Le requérant ne se prononce pas.

87. La Cour rappelle que le grief dont on entend la saisir doit d’abord avoir été soulevé au moins en substance, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant les juridictions nationales appropriées (voir, entre autres, Cardot c. France, 19 mars 1991, § 34, série A no 200). En l’espèce, elle observe que le requérant a saisi les instances compétentes afin de demander le retour de sa fille auprès de lui, s’appuyant pour ce faire sur les dispositions de la Convention de La Haye. De même, il a pris part à la procédure diligentée à cette fin devant les juridictions nationales en qualité de partie intervenante. En outre, il a, à maintes reprises, demandé l’assistance des autorités internes afin que sa fille soit retrouvée et que la décision de retour prononcée en sa faveur puisse être exécutée.

88. Au demeurant, le grief du requérant porte sur le non-retour de sa fille et le fait d’être privé de tout contact avec elle depuis maintenant plusieurs années. Le recours invoqué par le Gouvernement ne peut aucunement être considéré comme constituant un remède efficace à cet égard. Il convient donc de rejeter l’exception préliminaire du Gouvernement.

89. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

90. Le requérant soutient notamment que les autorités internes n’ont pas mené les recherches adéquates pour retrouver sa fille. Il leur reproche ainsi d’avoir limité les recherches aux seules adresses que lui-même leur avait communiquées, de n’avoir pas adopté de mesures de surveillance permanente, d’avoir limité leurs recherches quant à l’existence - au nom de son ex‑épouse - d’abonnements à l’électricité, au gaz ou à l’eau à la seule région d’Ankara, d’avoir recherché si sa fille était scolarisée uniquement en 2008 et de ne pas avoir renouvelé ces recherches depuis, de ne pas avoir placé sous écoute téléphonique les proches de son ex-femme, d’avoir limité les recherches quant à ses données bancaires à une seule banque et d’avoir laissé son ex-femme repartir librement du bureau du procureur où elle se serait présentée.

91. Le requérant soutient en outre que le Gouvernement n’a pas satisfait à son obligation quant au retour de sa fille à sa résidence habituelle. Toutes les mesures prises l’auraient été uniquement par suite de ses efforts personnels. Le requérant affirme en outre que sa fille serait privée de son droit à l’éducation, à la santé et aux liens familiaux.

92. Le Gouvernement expose qu’il appartient à chaque Etat Partie de prendre les mesures légales adéquates et effectives pour assurer le respect de l’article 8 de la Convention et des autres conventions internationales qu’il a choisi de ratifier. En l’espèce, les autorités internes auraient accompli tous les efforts possibles pour exécuter la décision de retour de l’enfant depuis l’initiation de la procédure au regard de la Convention de la Haye et de la loi no 5717. Les pièces versées au dossier étaieraient qu’il n’y a pas eu d’omission imputable aux autorités internes pour découvrir le lieu où se trouverait la fille du requérant, ces autorités ayant dès 2005, pris toutes les mesures nécessaires pour ce faire. Ainsi, le 4 octobre 2005, le ministère de la Justice aurait été informé de la procédure devant les juridictions australiennes, le 12 octobre 2005 il aurait écrit une lettre à la division de la justice civile du ministère de la Justice australienne pour l’informer des investigations menées en Turquie et le 13 décembre 2005, il aurait demandé au bureau du procureur de la République d’Eskişehir de fournir régulièrement des informations quant aux investigations conformément à la Convention de La Haye.

93. Le Gouvernement estime en outre que les faits de la présente affaire sont très similaires à ceux de l’affaire Ancel c. Turquie (no 28514/04, 17 février 2009). La requête devrait donc être rejetée, les allégations du requérant étant manifestement mal fondées. En effet, les autorités nationales auraient déployé des efforts adéquats et suffisants pour faire respecter le droit du requérant au retour de sa fille.

2. Appréciation de la Cour

94. La Cour rappelle qu’elle a déjà eu l’occasion de développer les principes directeurs qui doivent la guider pour apprécier si, confrontées à l’enlèvement d’un enfant, les autorités d’un Etat partie à la Convention ont respecté les obligations qui leur incombaient en vertu de l’article 8 (notamment, Maumousseau et Washington, précité, §§ 58-83, Bianchi, précité, §§ 76-85, Monory c. Roumanie et Hongrie, no 71099/01, §§ 69‑85, 5 avril 2005, Eskinazi et Chelouche c. Turquie (déc.), no 14600/05, CEDH 2005‑XIII (extraits), Karadžić c. Croatie, no 35030/04, §§ 51‑54, 15 décembre 2005, Iglesias Gil et A.U.I. c. Espagne, no 56673/00, §§ 48‑52, CEDH 2003‑V, Sylvester c. Autriche, nos 36812/97 et 40104/98, §§ 55‑60, 24 avril 2003, Paradis c. Allemagne (déc.), no 4783/03, 15 mai 2003, Guichard c. France (déc.), no 56838/00, 2003-X, Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, no 31679/96, §§ 94-96, CEDH 2000‑I, et Tiemann c. France et Allemagne (déc.), nos 47457/99 et 47458/99, CEDH 2000-IV). Elle examinera l’affaire à la lumière de ces principes.

95. A cet égard, elle souligne notamment que l’article 8 implique le droit d’un parent - en l’occurrence le père - à des mesures propres à le réunir à son enfant et l’obligation pour les autorités nationales de les prendre. Toutefois, l’obligation pour les autorités nationales de prendre des mesures à cet effet n’est pas absolue. La nature et l’étendue de celles-ci dépendent des circonstances de chaque espèce, mais la compréhension et la coopération de l’ensemble des personnes concernées en constituent toujours un facteur important (Ignaccolo-Zenide, précité, § 94). En outre, lorsque des difficultés apparaissent, dues principalement au refus du parent avec lequel se trouve l’enfant de se soumettre à l’exécution de la décision ordonnant son retour immédiat, il appartient aux autorités compétentes de prendre les mesures adéquates afin de sanctionner ce manque de coopération et, si des mesures coercitives à l’égard des enfants ne sont pas en principe souhaitable dans ce domaine délicat, le recours à des sanctions ne doit pas être écarté en cas de comportement manifestement illégal du parent avec lequel vit l’enfant (Maire, précité, § 76, et Maumousseau et Washington, précité, § 83).

96. La Cour rappelle en outre que les procédures relatives au retour d’un enfant, y compris l’exécution des décisions rendues à leur issue, exigent un traitement urgent, car le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables pour les relations entre les enfants et celui des parents qui ne vit pas avec eux (Carlson, précité, § 69). Il s’agit donc, une fois les conditions d’application de la Convention de La Haye réunies, de revenir au plus vite au statu quo ante, en vue d’éviter la consolidation juridique de situations de fait initialement illicites, et de laisser les questions relatives au droit de garde et d’autorité parentale à la compétence des juridictions du lieu de résidence habituelle de l’enfant, conformément à l’article 19 de cette Convention de La Haye (voir en ce sens et en particulier Maumousseau et Washington, précité, § 69, et Eskinazi et Chelouche, précité).

97. Il convient également de noter que l’article 11 de la Convention de La Haye exige que les autorités judiciaires ou administratives saisies procèdent « d’urgence » en vue du retour de l’enfant, tout retard pour agir dépassant six semaines pouvant donner lieu à une demande d’explication (Maumousseau et Washington, précité, § 83).

98. Le point décisif en l’espèce consiste donc à savoir si les autorités nationales ont pris toutes les mesures que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles pour assurer au plus tôt la réunion du requérant avec sa fille. A cet égard, la Cour considère que l’obligation de célérité dans la mise en œuvre du retour de la fille du requérant ainsi que le comportement obstructif de la mère sont des facteurs que les autorités nationales devaient prendre en compte lors de l’adoption de mesures concrètes visant à assurer l’effectivité de la décision de retour.

99. Dans ce contexte, plusieurs éléments méritent d’être mentionnés. D’abord, il convient d’observer qu’une période de plus de deux ans s’est écoulée avant l’adoption par le tribunal de la famille d’Ankara de la décision tranchant définitivement la question du retour de l’enfant en Australie. En effet, il ressort des pièces du dossier que c’est en août 2005 que le requérant aurait déclenché la procédure tendant au retour de sa fille en application de la Convention de La Haye (paragraphe 11 ci-dessus). Un premier jugement du tribunal de la famille fut adopté le 24 mai 2006, soit environ neuf mois plus tard. Ce jugement fut infirmé le 23 novembre 2006, près de six mois plus tard, par la Cour de cassation. Une nouvelle décision fut adoptée le 7 mai 2007, soit plus de cinq mois plus tard. Il aura encore fallu attendre le 10 décembre 2007 pour que ce jugement devienne définitif, après épuisement des recours en cassation (paragraphes 26-31 ci-dessus).

100. De plus, la Cour souligne que l’article 16 de la Convention de La Haye commande de suspendre la procédure sur le fond du droit de garde jusqu’à ce qu’il soit statué sur le retour de l’enfant. Cette règle tend à éviter que la procédure relative au droit de garde ne préjuge celle relative au retour de l’enfant. La séparation des deux procédures doit permettre au juge de statuer sur le retour éventuel de l’enfant enlevé avec la diligence nécessaire (Carlson, précité, § 75).

101. Or, en l’espèce, la Cour observe que le 18 février 2008, quelques mois seulement après la décision de retour de l’enfant en Australie et alors même qu’il était informé de cette décision, le tribunal de la famille d’Ankara a prononcé l’attribution de l’autorité parentale à la mère. Ce jugement fut encore confirmé par la Cour de cassation alors que le requérant avait fait valoir à son encontre la décision de retour prononcé en sa faveur. Cette manière de procéder est clairement en contradiction avec l’article 16 de la Convention de La Haye et la loi no 5717, comme le ministère de l’Intérieur l’avait d’ailleurs relevé dans une lettre adressée à la direction des affaires consulaires (paragraphe 51 ci-dessus).

102. Certes, au vu des pièces du dossier et des informations fournies par les parties, la Cour observe que le jugement attribuant l’autorité parentale à la mère n’apparaît pas avoir fait obstacle à la mise en œuvre de la procédure d’exécution de la décision portant retour de l’enfant, celle-ci ayant été déclenchée dès février 2008. A cet égard, la Cour ne méconnaît pas le fait que les autorités turques ont pris de nombreuses mesures pour essayer de retrouver la mère et l’enfant, parmi lesquelles la surveillance de membres de sa famille, des recherches auprès des services scolaires et des organismes de soin, l’inscription de sa fille au fichier des personnes disparues, la diffusion de sa photographie auprès des forces de police, ou encore une interdiction de sortie du territoire (paragraphes 34-47 et 49-72 ci-dessus).

103. La Cour constate en outre que des mesures coercitives furent adoptées à l’encontre de la mère afin de sanctionner son manque de coopération. Elle fut ainsi condamnée une première fois à six mois d’emprisonnement, puis une seconde fois à deux mois d’emprisonnement (paragraphes 48 et 74 ci‑dessus), faute d’exécution de la décision portant retour de sa fille. Ces mesures demeurèrent toutefois vaines, la mère et l’enfant demeurant introuvables.

104. La Cour observe par ailleurs que, le 1er juin 2011, le requérant s’est vu accorder l’autorité parentale sur sa fille et qu’une nouvelle procédure à l’encontre de son ex-épouse, pour non-représentation d’enfant, apparaît pendante devant les juridictions pénales (paragraphes 23-25 ci-dessus). Elle note également, au vu du courrier du 17 janvier 2012 adressé au requérant par la direction générale du droit international et des affaires étrangères près le ministère de la Justice, que le ministère de l’Intérieur poursuit les recherches afin de localiser la mère et l’enfant (paragraphe 75 ci-dessus). A cet égard, elle souligne l’importance que revêt dans ce type d’affaires, pour le parent privé de tout contact avec son enfant, la poursuite de ces démarches, quel que soit le temps écoulé.

105. Dans les circonstances particulières de la présente affaire, la Cour relève que les autorités internes ont pris certaines mesures pour tenter de retrouver la fille du requérant et assurer l’exécution de la décision de retour. Cela étant, elle ne peut ignorer qu’il aura fallu au requérant attendre plus de deux ans avant d’obtenir ce jugement de retour. De même, si la Cour reconnaît que l’inexécution de la décision portant retour de l’enfant résulte du comportement de l’ex-épouse du requérant, elle estime toutefois que ce comportement n’a pu qu’être conforté par le jugement lui ayant accordé l’autorité parentale sur l’enfant, en dépit de l’existence d’une décision de retour. En effet, une telle attitude des juridictions nationales aboutissait à entériner la situation illicite créée par le comportement de la mère.

106. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que le droit au respect de la vie familiale du requérant n’a pas été protégé de manière effective, comme le prescrit la Convention. Partant, elle conclut à la violation de l’article 8 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

107. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

108. Le requérant réclame 250 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’il aurait subi, correspondant aux frais de transport entre l’Australie et la Turquie qu’il a dû engager, à la perte de son emploi de ce fait, aux frais de logement et de bouche en Turquie, ainsi qu’aux frais engagés pour élever sa fille de 2001 à 2005. Il soumet à titre de justificatifs, entre autres documents, des copies de billets d’avion correspondant à des trajets entre la Turquie et l’Australie et à des vols internes ainsi que des factures correspondant à des trajets en bus. Le requérant réclame également 250 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

109. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

110. En ce qui concerne le préjudice matériel résultant pour le requérant de la perte de son emploi, la Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué à cet égard (H.N. c. Pologne, no 77710/01, § 100, 13 septembre 2005) et rejette cette demande. Elle estime en outre approprié d’examiner la question des frais de voyage et de subsistance engagés par le requérant lors de ses voyages en Turquie dans le cadre des frais et dépens (H.N., précité, § 106, et Macready c. République tchèque, nos 4824/06 et 15512/08, § 75, 22 avril 2010).

En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 12 500 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

111. Le requérant demande également 50 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour. Il soumet à titre de justificatifs des attestations de paiement de frais de justice en droit interne, et une facture postale pour la correspondance avec la Cour.

112. Le Gouvernement conteste les prétentions du requérant.

113. La Cour rappelle que lorsqu’elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder aux requérants le remboursement des frais et dépens qu’ils ont engagé devant les juridictions nationales pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation. Il faut aussi que se trouvent établis la réalité de ces frais, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, les prétentions du requérant, que ce soit au titre des frais engagés pour ses déplacements en Turquie ou de ceux engagés devant les autorités nationales et la Cour, ne sont pas suffisamment étayées pour satisfaire totalement aux exigences de l’article 60 § 2 du règlement de la Cour.

114. Compte tenu des éléments en sa possession et des critères dégagés dans sa jurisprudence (voir, pour une approche similaire, H.N., précité, §§ 112-113, et Macready, précité, §§ 78-79), la Cour estime donc raisonnable d’octroyer au requérant la somme globale de 5 000 EUR.

C. Intérêts moratoires

115. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

3. Dit,

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en livres turques, au taux applicable à la date du règlement :

i) 12 500 EUR (douze mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour dommage moral ;

ii) 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 décembre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Françoise Elens-PassosGuido Raimondi
Greffière adjointePrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée concordante des juges H. Keller et A. Sajó.

G.R.A
F.E.P.

OPINION CONCORDANTE DE LA JUGE KELLER,
À LAQUELLE SE RALLIE LE JUGE SAJÓ

1. En ce qui concerne l’article 8, nous souhaitons préciser la portée de notre vote en faveur d’un constat de violation du droit au respect de la vie familiale, et ce sur quatre points : la nature de la violation, les conséquences de l’arrêt sur le plan national, la durée de la procédure devant les autorités nationales et la durée de la procédure devant la Cour.

La nature de la violation

2. En l’espèce, la Cour ne précise pas quelle est la nature de la violation de l’article 8. L’arrêt semble plutôt se borner à rechercher si les juridictions nationales se sont livrées, dans un délai raisonnable, à un examen adéquat des implications concrètes du retour de l’enfant. A juste titre, la Cour n’est pas satisfaite de la procédure nationale, car le 6e tribunal de la famille d’Ankara a manifestement méconnu les obligations découlant de l’article 16 de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants en attribuant l’autorité parentale à la mère (paragraphes 18 et 100 de l’arrêt) au mépris du droit à la vie familiale du requérant. C’est pour cette raison que nous nous sommes prononcés en faveur d’un constat de violation de l’article 8 de la Convention.

3. Cependant, la Cour n’aurait pas dû s’arrêter là. Le père affirme explicitement que la santé psychologique et physique de sa fille est menacée (paragraphe 78 de l’arrêt). Or la Cour n’a pas répondu sur ce point. Il nous semble au moins vraisemblable qu’une enfant qui vit depuis sept ans dans la clandestinité ne bénéficie pas des conditions nécessaires à son développement. Il ressort du dossier que l’enfant a été scolarisée du 15 décembre 2007 au 15 janvier 2008 et une deuxième fois en mars 2009 (paragraphes 46 et 59 de l’arrêt). Pour le reste, et à la date de l’arrêt de la Cour, la fille du requérant demeure introuvable. Il nous paraît clair qu’une telle situation met en péril l’éducation et le bien-être psychologique de l’enfant. A notre avis, le fait que les autorités nationales se soient montrées incapables pendant des années de se conformer à leur propre décision, ce qui a eu de graves conséquences pour l’enfant, mérite un examen approfondi.

4. En ce qui concerne la longueur de la procédure sur le plan national et la violation de l’article 8 de la Convention pour cette raison, voir les paragraphes 9 et 10 ci-dessous.

Les conséquences de l’arrêt

5. L’arrêt passe sous silence les conséquences de la violation de l’article 8 de la Convention pour les autorités nationales.

6. En ce qui concerne le retour de l’enfant, l’article 12 de la Convention de La Haye envisage deux situations : « Lorsqu’un enfant a été déplacé ou retenu illicitement au sens de l’article 3 et qu’une période de moins d’un an s’est écoulée à partir du déplacement ou du non-retour au moment de l’introduction de la demande devant l’autorité judiciaire ou administrative de l’Etat contractant où se trouve l’enfant, l’autorité saisie ordonne son retour immédiat » ; toutefois, poursuit le texte, « [l]’autorité judiciaire ou administrative, même saisie après l’expiration de la période d’un an prévue à l’alinéa précédent, doit aussi ordonner le retour de l’enfant, à moins qu’il ne soit établi que l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu ».

7. Etant donné que la fille du requérant vit depuis déjà sept ans en Turquie, l’arrêt de la Cour ne peut pas être interprété comme signifiant qu’elle devra automatiquement être ramenée en Australie une fois qu’elle aura été trouvée. Bien évidemment, un tel retour aurait un nouvel effet traumatisant sur l’enfant. Nous aurions préféré que la Cour se prononce sur cet aspect (voir par exemple Shaw c. Hongrie, no 6457/09, § 75, 26 juillet 2011). Quand l’enfant aura été retrouvée par les autorités nationales, il faudra à nouveau évaluer son intérêt supérieur, en tenant compte tout particulièrement de la durée de son séjour en Turquie.

8. Dans ce contexte, le fait que le père résiderait actuellement en Turquie (paragraphe 5 de l’arrêt) n’est pas négligeable. Néanmoins, il nous semble important que la Cour soit claire sur ce point dans les futures affaires d’enlèvement d’enfant qui durent plus d’une année, afin d’éviter tout risque de malentendu avec les autorités nationales qui doivent tirer les conséquences d’un constat de violation de l’article 8 de la Convention.

La durée de la procédure devant les autorités nationales

9. La Cour critique la longueur de la procédure devant les autorités nationales (paragraphe 99 de l’arrêt). Il est vrai qu’une période de deux ans s’est écoulée avant l’adoption de la décision définitive du retour de l’enfant en Australie. Il faut toutefois souligner que les autorités nationales n’étaient pas unanimes et ont adopté des décisions controversées : la juridiction de première instance a refusé le retour de l’enfant en se fondant sur l’article 13 de la Convention de La Haye, tandis que la Cour de cassation a ordonné le retour de l’enfant. La Cour exige un examen détaillé dans le cadre duquel l’intérêt supérieur de l’enfant soit examiné au fond. Une telle procédure prend du temps, surtout si les deux parents doivent être entendus et tous les recours internes épuisés. Entre le 24 mai 2006 et le 10 décembre 2007, c’est-à-dire sur une période d’un an et sept mois, quatre décisions ont été adoptées par les autorités nationales. Nous convenons que les autorités nationales n’ont pas fait preuve d’une rapidité particulière et nous sommes convaincus que l’on pourrait accélérer les procédures pour les affaires d’enlèvement d’enfant.

La durée de la procédure devant la Cour

10. Cependant, il a fallu à la Cour elle-même plus de quatre ans pour rendre un arrêt dans l’affaire[1]. En l’espèce, ce retard n’a pas joué un rôle décisif sur le sort de l’enfant, qui était sous la surveillance des autorités nationales. Mais il va de soi qu’un tel laps de temps[2] peut avoir un effet contre-productif[3] et qu’il nécessite une position autocritique de la part de la Cour. D’un point de vue matériel, un tel délai est souvent problématique car le temps joue un rôle primordial dans ce type d’affaires. Après une période de plusieurs années sur le plan européen, les jeux sont faits, définitivement et irrémédiablement. L’enfant enlevé reste où il est indépendamment de l’arrêt de la Cour.

11. Nous regrettons que la Cour ne soit pas capable de trancher ce type d’affaires plus vite et estimons nécessaire de trouver une solution à cette situation intenable qui résulte entre autres du manque d’harmonisation entre les divers instruments internationaux applicables. Compte tenu des différents buts et responsabilités des divers instruments internationaux, il n’existe pas assez d’indications qui expliqueraient comment combiner les considérations découlant de l’obligation suprême de protéger les intérêts de l’enfant avec les autres facteurs pertinents.

* * *

[1]. Ce n’est pas la seule affaire d’enlèvement d’enfant, dans la jurisprudence plus récente de la Cour, qui ait duré plusieurs années. Voir, par exemple, Serghides c. Pologne, no 31515/04, 2 novembre 2010 (six ans et trois mois), Küçük c. Turquie et Suisse, no 33362/04, 17 mai 2011 (six ans et huit mois), Engin Bozkurt c. Turquie, no 40404/06 (déc.), 17 avril 2012 (cinq ans et sept mois), Strömblad c. Suède, no 3684/07, 5 avril 2012 (cinq ans et trois mois). Il existe également des exemples contraires dans lesquels la Cour a pu statuer dans un délai de moins d’un an, mais il s’agit pour la plupart de décisions. Voir, par exemple, Göçmen c. Turquie, no 46083/09, 6 juillet 2010 (déc.) (onze mois), Tarkhova c. Ukraine, no 8984/11 (déc.), 6 septembre 2011 (durée de sept mois).

[2]. Dans l’affaire Neulinger et Shuruk c. Suisse ([GC], no 41615/07, § 57, CEDH 2010), la procédure devant la chambre a duré un an et quatre mois et celle devant la Grande Chambre un an et six mois, ce qui a été abondamment critiqué par la doctrine : voir Hottelier Michel, Mock Hanspeter, Puéchavy Michel, La Suisse devant la Cour européenne des droits de l'homme, 2e édition, Schulthess : Zürich 2011, p. 202 ; Silberman Linda et Lipton Martin, « Case Comments and Perspectives: A Brief Comment on Neulinger and Shuruk v. Switzerland (2010), European Court of Human Rights », The Judges' Newsletter on International Child Protection, Vol. XVIII, 2012, pp. 18 et seq. ; « Interaction Between Recent Case-law of the European Court of Human Rights and the Hague Convention of 25 October 1980 on the Civil Aspects of International Child Abduction », déclaration de Hans van Loon, Secrétaire général de la Conférence de La Haye de droit international privé lors de la 41e réunion du Comité des conseillers juridiques sur le droit international public, Strasbourg, 17 mars 2011, en ligne sur http://www.hcch.net/upload/coe2011.pdf, consulté le 8 novembre 2012.

[3]. Même quelques cours suprêmes se sont prononcées défavorablement à cet égard : voir Richard John Bridge personally and as curator ad litem for his daughter Ella Bridge as appointed by decree dated 9th July 2012 v. Attorney General and Department for Social Welfare Standards, Cour constitutionnelle de Malte, appel civil no 52/2012/1, arrêt du 24 aout 2012, § 31 ; in re E (Children) [2011] UK Supreme Court 27, § 26 ; dans le cadre d’une procédure de révision, le Tribunal fédéral suisse a interprété l’arrêt européen de manière restrictive : voir arrêt du Tribunal fédéral du 26 mai 2011 (ATF 137 III 332).


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-115009
Date de la décision : 04/12/2012
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect de la vie familiale);Dommage matériel - demande rejetée;Préjudice moral - réparation

Parties
Demandeurs : ÖZMEN
Défendeurs : TURQUIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : ASMA T.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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