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20/11/2012 | CEDH | N°001-114664

CEDH | CEDH, AFFAIRE ALEXANDRE c. PORTUGAL, 2012, 001-114664


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ALEXANDRE c. PORTUGAL

(Requête no 33197/09)

ARRÊT

STRASBOURG

20 novembre 2012

DÉFINITIF

20/02/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Alexandre c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une Chambre composée de :

Ineta Ziemele, présidente,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş

,
Guido Raimondi,
Paulo Pinto de Albuquerque, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 octo...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ALEXANDRE c. PORTUGAL

(Requête no 33197/09)

ARRÊT

STRASBOURG

20 novembre 2012

DÉFINITIF

20/02/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Alexandre c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une Chambre composée de :

Ineta Ziemele, présidente,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Guido Raimondi,
Paulo Pinto de Albuquerque, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 octobre 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 33197/09) dirigée contre la République portugaise et dont un ressortissant de cet Etat, M. Fernando Alexandre (« le requérant »), a saisi la Cour le 12 juin 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme M. F. Carvalho, procureur général adjoint.

3. Le 5 octobre 2010, la requête avait été déclarée partiellement irrecevable ; les griefs tirés de la durée de la procédure civile et de la procédure relative au casier judiciaire avaient été communiqués au Gouvernement. Comme le permettait l’article 29 § 1 de la Convention, il avait en outre été décidé que la Chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

4. Le Gouvernement a déposé des observations écrites sur l’affaire le 26 janvier 2011.

5. Par un courrier du 3 février 2011, le Greffe de la Cour a invité le requérant à se prononcer sur les observations du Gouvernement et à présenter sa demande de satisfaction équitable avant le 17 mars 2011. Faisant droit à la demande du requérant, la Présidente de la Section a prorogé ce délai au 27 avril 2011. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 mai 2011, le Greffe a informé le requérant que le délai imparti pour la présentation des observations et de la demande de satisfaction équitable du requérant était échu, attirant son attention sur le fait que, dans ces circonstances, la Cour pourrait rayer la requête du rôle au vu des dispositions de l’article 37 §1 a) de la Convention. Le 20 juillet 2011, le requérant a informé la Cour qu’il souhaitait poursuivre l’affaire, ce dont la Cour prit note par une lettre du 22 juillet 2011.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Le requérant est né en 1970 et réside à Marinha Grande (Portugal).

A. Procédure civile (affaire interne no 408/01)

7. Le 22 mai 2001, le requérant introduisit devant le tribunal de Marinha Grande une action en responsabilité civile contre la compagnie d’assurance B. réclamant 9 148, 22 euros de dommages et intérêts pour les préjudices subis en raison des défauts d’un appareil industriel qu’il avait acquis en leasing.

8. Le 2 juillet 2001, la société défenderesse présenta son mémoire en réponse, réclamant l’intervention du fournisseur de l’appareil dans le cadre de la procédure.

9. Le 22 janvier 2002, le fournisseur présenta son mémoire en défense.

10. Le 2 septembre 2003, le tribunal de Marinha Grande prononça une décision préparatoire (despacho saneador) spécifiant les faits établis et ceux restant à établir.

11. Le 25 août 2005, le requérant présenta un mémoire complémentaire (articulado superviniente) demandant une compensation additionnelle pour le dommage matériel subi en raison du défaut de l’appareil. Par une ordonnance du 6 octobre 2005, le tribunal rejeta la demande du requérant au motif qu’elle était tardive, les faits allégués n’étant pas nouveaux.

12. Le 12 février 2007, le tribunal de Marinha Grande prononça son jugement, déboutant le requérant de sa prétention.

13. Le 21 février 2007, le requérant interjeta appel du jugement devant la cour d’appel de Coimbra.

14. Le 29 avril 2008, la cour d’appel de Coimbra prononça un arrêt de rejet, confirmant le jugement du tribunal de Marinha Grande. En l’occurrence, la cour d’appel considéra que le requérant n’avait pas prouvé que l’appareil présentait des défauts de fabrication au moment de sa livraison.

15. Le 13 mai 2008, le requérant se pourvut en cassation devant la Cour suprême. La partie défenderesse contesta la recevabilité du recours.

16. Par une ordonnance du 30 mai 2008, la cour d’appel de Coimbra admit le recours.

17. Le 4 juillet 2008, le requérant présenta son mémoire en appel devant la Cour suprême.

18. Par une ordonnance du 23 octobre 2008, la Cour suprême n’admit pas le recours au motif que l’enjeu financier du litige était en dessous du taux fixant la compétence (alçada) de la cour d’appel, en application de l’article 678 § 1 du code de procédure civile.

19. Le requérant présenta une réclamation contre l’ordonnance de non-admission de son recours devant le président de la Cour suprême en lui demandant de tenir compte du préjudice subi par le rejet de sa prétention (sucumbência) et non de l’enjeu du litige fixé initialement. Il alléguait, en outre, qu’une interprétation diverse était inconstitutionnelle.

20. Par une ordonnance du 10 novembre 2008, le vice-président de la Cour suprême rejeta la demande du requérant en faisant valoir qu’il n’était permis de réclamer que d’ordonnances provenant du tribunal inférieur n’ayant pas admis un recours conformément à l’article 688 du code de procédure civile.

21. Le requérant saisit le Tribunal constitutionnel en soulevant l’inconstitutionnalité de l’article 678 § 1 du code de procédure civile. Par une ordonnance du 5 janvier 2009, le Tribunal constitutionnel déclara le recours irrecevable pour non-épuisement des voies de recours ordinaires. Le Tribunal constitutionnel estima que le requérant n’avait pas réclamé de l’ordonnance de la Cour suprême du 23 octobre 2008 devant le comité des trois juges (conferência) de cette haute juridiction, recours qui, en l’occurrence, était le moyen adéquat pour agir à cet égard. Le Tribunal fit en outre valoir que le requérant avait omis de soulever l’inconstitutionnalité normative en cause devant la Cour suprême.

22. Le requérant présenta une réclamation devant le comité des juges (conferência) du Tribunal constitutionnel. Dans son mémoire, il soutenait que l’inconstitutionnalité normative dénoncée n’aurait pu être invoquée préalablement devant la Cour suprême puisqu’elle avait précisément surgi devant cette instance. Par une décision du 11 février 2009, le Tribunal rejeta la demande du requérant confirmant l’ordonnance du 5 janvier 2009. Le requérant dénonça la nullité de cette décision devant le comité des juges du Tribunal constitutionnel en soutenant que celui-ci n’avait pas répondu aux moyens qu’il avait invoqués dans sa demande de réclamation.

23. Par un arrêt du 12 mai 2009, le Tribunal rejeta le recours en nullité du requérant. Il estima avoir répondu aux moyens qui avaient été invoqués par le requérant, précisant, entre autres, que le requérant aurait dû soulever l’inconstitutionnalité normative après que la partie défenderesse ait contesté la recevabilité du recours qu’il avait interjeté devant la Cour suprême.

B. Procédure concernant le casier judiciaire du requérant (affaire interne no 712/01.1 PAMGR)

24. A une date non précisée, le requérant fut condamné par le tribunal de Marinha Grande, à une amende de 480 euros (EUR), pour coups et blessures.

25. Dans une requête présentée le 6 mai 2004, le requérant demanda au tribunal que cette condamnation ne soit pas inscrite dans les extraits de son casier judiciaire.

26. Le tribunal de Marinha Grande ne s’étant pas prononcé sur sa demande, le 22 novembre 2007, le requérant réitéra sa demande.

27. Par une ordonnance du 7 décembre 2007, le tribunal de Marinha Grande débouta le requérant de sa prétention.

28. Le requérant fit appel de cette décision devant la cour d’appel de Coimbra, laquelle fit droit à sa demande par un arrêt du 14 mai 2008, annulant l’ordonnance du 7 décembre 2007. La cour d’appel considéra notamment :

« (...) l’article 17 § 1 [de la loi 57/98 du 18 août 1998] prévoit la possibilité d’omettre la mention d’une condamnation sur les extraits du casier judiciaire demandés aux fins des articles 11 et 12 de cette loi.

Or, si l’accusé (arguido) prétend que les extraits requis à des fins professionnelles ou aux fins prévus à l’article 12 ne fasse pas mention de la condamnation prononcée en l’espèce, il n’avait pas besoin de formuler une telle demande dans la mesure où la loi lui reconnaissait déjà ce droit.

Il a donc clairement pratiqué un acte inutile.

(...) le tribunal de Marinha Grande n’aurait pas dû nier au requérant un droit qui lui était reconnu par la loi.

(...)

L’article 11 concernant les extraits requis à des fins professionnelles écarte expressément la possibilité que la condamnation de l’accusé (arguido) y figure, la condamnation dont il a fait l’objet en l’espèce n’étant pas prévue dans les décisions indiquées aux alinéas a) et b).

(...) les extraits émis aux fins indiquées à l’article 12 [de la loi 57/98 du 18 août 1998] ne peuvent contenir des informations relatives à des condamnations de délinquants primaires à des peines inférieures à six mois de prison ou à une peine équivalente (alinéa e).

Or, c’est précisément le cas du requérant, lequel n’a pas d’antécédents judiciaires et a été condamné à une amende de 480 euros.

Partant, l’annulation de l’ordonnance s’impose.

(...) »

29. Par une ordonnance du 10 juillet 2008, le tribunal de Marinha Grande prit note de l’arrêt de la cour d’appel de Coimbra.

30. Le 12 janvier 2009, le requérant demanda au tribunal de Marinha Grande d’ordonner au service du casier judiciaire national (direcção dos serviços de identificação criminal) de radier l’inscription de la condamnation litigieuse des extraits de son casier judicaire. Par une ordonnance du 28 octobre 2010, le tribunal fit droit à sa prétention.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNE PERTINENTS ET INSTRUMENTS INTERNATIONAUX

A. Conseil de l’Europe

31. S’agissant du casier judiciaire, la recommandation No R (84) 10 du Comité des Ministres aux États membres du 21 juin 1984 recommande aux gouvernements des Etats membres de revoir leur législation et leur pratique en matière de casier judiciaire. Aux autorités ou personnes ayant le droit de se faire délivrer des extraits du casier judiciaire, elle conseille notamment de :

« (...)

1. prévoir que les informations mentionnées dans le casier judiciaire ne pourront être communiquées que sous forme d’extraits dont le contenu sera strictement limité aux intérêts légitimes des destinataires;

2. s’assurer que seules les autorités responsables du système de justice pénale et celles que la législation sur le casier judiciaire exceptionnellement autorise à le faire puissent se faire délivrer le relevé complet du casier judiciaire, les autres organismes publics ainsi que l’intéressé ne recevant qu’un relevé partiel;

3. permettre, dans toute la mesure du possible, à toute personne justifiant de son identité de prendre connaissance du relevé intégral de son casier judiciaire; éviter, sauf si des raisons impérieuses indiquées dans la loi l’exigent, la communication écrite de ce relevé pour prévenir tout risque d’abus;

4. envisager la possibilité de permettre aux autorités judiciaires de décider que certaines mentions ne figureront qu’aux extraits qui leur sont destinés;

(...) ».

B. Le droit interne

1. Sur la procédure civile

32. Le « taux de compétence » (alçada) correspond à une valeur économique définie par la loi, que l’on compare à l’enjeu de l’affaire. De cette valeur dépendent en particulier l’ouverture ou non de la possibilité pour les parties d’interjeter appel, et plus généralement les conditions dans lesquelles un tribunal statue sans que ses décisions soient assujetties aux voies de recours ordinaires. La valeur des taux de compétence est définie par la loi d’organisation des tribunaux judiciaires. Au moment des faits, la valeur du taux de compétence du tribunal de première instance était de 3 740,98 EUR et celle de la cour d’appel était de 14 963,94 EUR (article 24 de la loi 3/99 du 13 janvier 1999, alors en vigueur).

33. Les parties pertinentes du code de procédure civile en vigueur au moment des faits se lisaient ainsi :

Article 678

« 1. Un recours ordinaire n’est recevable que dans les causes dont la valeur est supérieure au taux de compétence du tribunal dont la décision est attaquée et uniquement si cette dernière est défavorable à l’appelant pour une part elle-même supérieure à la moitié du taux de compétence de ce tribunal, la valeur de la cause devant être prise en compte en cas de doute.

(...) »

Article 687

« (...)

4. La décision qui admet le recours (...) ne lie pas le tribunal supérieur (...).”

Article 688

« 1. L’appelant peut présenter une réclamation contre l’ordonnance n’ayant pas admis le recours (...) devant le président du tribunal qui serait compétent pour connaître le recours.

2. La réclamation, adressée au président du tribunal supérieur, est présentée (...) dans un délai de 10 jours à compter de la date de notification de l’ordonnance n’ayant pas admis (...) le recours.

(...) »

2. Sur le casier judiciaire

34. S’agissant du casier judiciaire, les dispositions pertinentes de la loi 57/98 du 18 août 1998, en vigueur au moment des faits disposent :

Article 4

« (...)

2. Le casier judiciaire est constitué par l’identification civile de l’accusé (arguido), les extraits des décisions pénales et par des communications portant sur des faits y afférents devant être transcrites conformément à la présente loi.

(...)

Article 5

1. Les décisions suivantes doivent figurer au casier judiciaire :

a) Les décisions qui appliquent des peines et des mesures de sécurité (medidas de segurança) (...) ;

(...)

f) Les décisions qui déterminent la non-inscription dans les extraits du casier judiciaire de condamnations ayant été appliquées ;

2 – Les faits suivants doivent également figurer au casier judiciaire :

a) Le paiement d’une amende ;

(...)

Article 11

“1. Les extraits du casier judiciaire demandés par des particuliers aux fins d’un emploi, public ou privé, ou en vue de l’exercice d’une profession ou d’une activité dépendant d’un titre public, d’une autorisation ou d’une homologation de l’autorité publique doivent seulement contenir:

a)Les décisions qui ordonnent la démission de la fonction publique, qui interdisent l’exercice de la fonction publique, une profession ou une activité ou qui interdisent cet exercice ;

b)Les décisions constituant une conséquence, un complément ou l’exécution de celles indiquées à l’alinéa précédent (...).

(...) »

Article 12

1. Les extraits demandés par des particuliers à des fins autres que celles prévues à l’article précédent contiennent la transcription intégrale du casier judiciaire, sauf si la loi prévoit la transcription plus restreinte du contenu.

2 – Les extraits indiqués à l’alinéa précédent ne peuvent pas contenir des informations concernant :

a) Les condamnations pour contravention, six mois après que la peine ait été purgée ;

b) Les décisions ayant été annulées (...) ;

(...)

e) Les condamnations de délinquants primaires à une peine inférieure à six mois de prison ou à une peine équivalente, sauf lorsqu’est en vigueur l’interdiction décrétée par une autorité judiciaire ;

(...)

Article 17

“1. Les tribunaux condamnant à une peine allant jusqu’à un an ou à une peine non-privative de liberté peuvent déterminer, dans leur jugement ou par ordonnance postérieure, (...) la non-inscription du jugement dans les extraits auxquels se réfèrent les articles 11 et 12 de cette loi.

(...) ».

35. Au Portugal, un extrait du casier judiciaire est requis dans la constitution du dossier de candidature à certains emplois dans le secteur public ou privé. Il est également nécessaire de joindre un extrait du casier judiciaire à toute demande d’émission d’un permis de détention d’arme de chasse (article 115 alinéa 3) de la loi 5/2006 du 23 février 2006), à une demande de naturalisation (article 19 du décret-loi 237-A/2006 du 14 décembre 2006), à une demande en vue de l’obtention d’un certificat de capacité pour les chauffeurs de bus scolaires (chapitre V, alinéa f) de l’ordonnance de la Direction-générale des transports terrestres et fluviaux 10011/2007 du 28 mars 2007).

36. Dans un arrêt du 3 novembre 2004, concernant une demande en vue de la non-inscription, dans les extraits du casier judiciaire, d’une condamnation à une amende pour conduite en état d’ébriété, la cour d’appel de Coimbra a conclu :

(...), s’il est vrai que l’article 17 de la loi [57/98 du 18 août 1998] (...) consacre un pouvoir-devoir devant être exercé sous certaines conditions légales, en l’espèce, aux termes des articles 11 et 12 de la même loi, la non-inscription (...) est automatique et résulte de la lettre même de la loi.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

37. Le requérant allègue que la durée des deux procédures a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

1. Sur la procédure civile

38. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention elle « ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes, tel qu’il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus, et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive ».

39. Le délai de six mois court à compter de la décision définitive dans le cadre de l’épuisement des voies de recours internes (Paul et Audrey Edwards c. Royaume Uni (déc.), no 46477/89, 7 juin 2011)

40. La Cour rappelle que l’article 35 § 1 de la Convention impose uniquement l’épuisement des recours disponibles et suffisants pour permettre d’obtenir réparation des violations alléguées. La finalité de l’article 35 est de ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne soient soumises à la Cour (voir notamment Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V). La règle de l’article 35 § 1 se fonde sur l’hypothèse que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée des droits d’un individu en vertu de la Convention (Lakatos c. République tchèque (déc.), no 42052/98, 23 octobre 2001). Un recours est effectif lorsqu’il est disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il est accessible et susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et présente des perspectives raisonnables de succès (Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46, CEDH 2006-II).

41. La Cour souligne qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales et, notamment, aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (voir, parmi beaucoup d’autres, Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, 19 décembre 1997, § 31, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII ; Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, 19 février 1998, § 33, Recueil 1998-I ; Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne, 28 octobre 1998, § 43, Recueil 1998-VIII). Le rôle de la Cour se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation. Ceci est particulièrement vrai s’agissant de l’interprétation par les tribunaux des règles de nature procédurale telles que les délais régissant le dépôt des documents ou l’introduction de recours (voir, mutatis mutandis, Tejedor García c. Espagne, 16 décembre 1997, § 31, Recueil 1997-VIII). La Cour rappelle, par ailleurs, que la réglementation relative aux formalités et aux délais à respecter pour former un recours vise à assurer une bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique. Les intéressés doivent s’attendre à ce que ces règles soient appliquées (voir Agbovi c. Allemagne (déc.), no 71759/01, 25 septembre 2006).

42. En l’espèce, la Cour constate que le recours contre l’arrêt de la cour d’appel de Coimbra du 29 avril 2008 a été rejeté par la Cour suprême, par une ordonnance du 23 octobre 2008, en raison de l’enjeu financier du litige, lequel était en dessous du taux fixant la compétence (alçada) de la cour d’appel, en application de l’article 678 § 1 du code de procédure civile. Selon l’interprétation de cette disposition par la Cour suprême, le requérant ne disposait pas du droit de se pourvoir en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Coimbra.

43. La Cour observe que le requérant a introduit de nombreux recours visant à contester cette même interprétation, notamment devant le Tribunal constitutionnel. Ces recours ont toutefois été rejetés car les formalités ou conditions de saisine n’étaient pas remplies, ils n’ont donc pas été épuisés.

44. Partant, force est de conclure que, pour autant qu’il s’agisse des griefs tirés de la durée de la procédure civile, la décision interne définitive est l’arrêt de la cour d’appel de Coimbra du 29 avril 2008, lequel a tranché en dernier ressort la contestation sur le droit civil du requérant. Or, la requête a été introduite le 12 juin 2009, soit plus de six mois après cette décision. Les griefs concernant la procédure civile sont donc tardifs et doivent être rejetés conformément à l’article 35 § 1 et 4 de la Convention. Le fait que le Gouvernement n’ait pas soumis d’observations sur la question des six mois n’est pas susceptible de modifier la situation (Belaousof et autres c. Grèce, no 66296/01, § 38, 27 mai 2004).

2. Sur la procédure concernant le casier judiciaire du requérant

a) Sur l’épuisement des voies de recours internes

45. Le Gouvernement estime que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes dans la mesure où il a omis de saisir les juridictions portugaises d’une action en responsabilité civile extracontractuelle pour se plaindre de la durée de la procédure litigieuse. Il estime que le requérant disposait, en l’action en responsabilité extracontractuelle, d’un moyen efficace, adéquat et accessible pour se plaindre de la durée excessive de la procédure litigieuse.

46. La Cour rappelle la jurisprudence établie dans l’arrêt Martins Castro et Alves Correia de Castro c. Portugal, no 33729/06, 10 juin 2008, selon laquelle l’action en responsabilité extracontractuelle de l’Etat ne peut être considérée comme un recours « effectif » au sens de l’article 13 de la Convention, aussi longtemps que la jurisprudence qui se dégage de l’arrêt de la Cour suprême administrative du 28 novembre 2007 n’aura pas été consolidée dans l’ordre juridique portugais, à travers une harmonisation des divergences jurisprudentielles. L’exception soulevée par le Gouvernement ne peut donc être retenue.

b) Sur la compatibilité ratione materiae

47. Le Gouvernement reconnaît que la procédure relative au contenu d’un extrait du casier judiciaire relève d’une contestation sur un droit de caractère civil compte tenu des répercussions que peut avoir l’inscription d’une condamnation sur un extrait du casier judiciaire sur les droits civils d’une personne. En revanche, pour ce qui est du cas d’espèce, il considère qu’il n’existait pas de contestation sérieuse dans la mesure où le droit interne n’exige pas que l’inscription d’une condamnation à une amende figure sur un extrait du casier judiciaire. Pour le Gouvernement, la demande du requérant devant le tribunal de Marinha Grande était donc inutile.

48. La Cour rappelle que l’applicabilité de l’article 6 § 1 dans le contexte civil présuppose l’existence d’une « contestation » sur un « droit de caractère civil ». Elle doit d’abord rechercher l’existence d’un « droit » que l’on puisse prétendre, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne, qu’il soit ou non protégé de surcroît par la Convention (voir, entre autres, Pudas c. Suède, 27 octobre 1987, § 31, série A no 125-A, ; Neves e Silva c. Portugal, 27 avril 1989, § 37, série A no 153‑A). Il doit s’agir d’une contestation réelle et sérieuse (Sporrong et Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, série A no 52, § 81) ; elle peut concerner aussi bien l’existence même d’un droit que son étendue ou ses modalités d’exercice. L’issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit en question (voir, notamment, Athanassoglou et autres c. Suisse [GC], no 27644/95, § 43, CEDH 2000-IV ; Mennitto c. Italie [GC], no 33804/96, § 23, CEDH 2000-X). Enfin, ce droit doit revêtir un caractère « civil ».

49. La Cour estime que l’analyse du cas d’espèce mérite que l’on tienne compte des recommandations exprimées par le Comité des Ministres aux Etats membres dans sa Recommandation No R (84) du 21 juin 1984 (voir § 31 ci-dessus).

50. La Cour relève que la Commission européenne des droits de l’homme considérait que les procédures concernant l’inscription de condamnations au casier judiciaire n’avaient trait ni à des contestations sur des droits et obligations de caractère civil ni au bien-fondé́ d’une accusation en matière pénale au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (Brozicek c. Allemagne (déc.), no11338/85, 12 juillet 1985 ; Bertuzzi c. France (déc.), no 21881/93, 12 avril 1994).

51. Elle constate toutefois une évolution de sa jurisprudence quant à l’application de l’article 6 à des affaires ne portant pas à première vue sur un droit civil mais pouvant avoir des répercussions directes et importantes sur un droit de caractère privé d’un individu (Enea c. Italie [GC], no 74912/01, § 106, CEDH 2009 ; Stegarescu et Bahrin c. Portugal, no 46194/06, § 37, 6 avril 2010 ; Pocius c. Lituanie, no 35601/04, § 43, 6 juillet 2010).

52. S’agissant du Portugal, la Cour note qu’un extrait du casier judiciaire est sollicité à des fins professionnelles et autres, notamment en vue de l’obtention de certains permis (voir § 35 ci-dessus).

53. En l’espèce, la procédure portait sur une demande formulée par le requérant au tribunal de Marinha Grande en vue de ne pas voir sa condamnation inscrite sur les extraits de son casier judiciaire. La Cour constate qu’il s’agissait en l’occurrence d’une condamnation à une amende de 480 EUR pour coups et blessures. A cet égard, elle relève que, conformément à l’article 12 de la loi 57/98 du 18 août 1998, les extraits du casier judiciaire ne peuvent pas contenir les condamnations de délinquants primaires à une peine inférieure à six mois de prison ou à une peine équivalente. Dès lors, la Cour considère qu’il était légitime pour le requérant de confirmer que sa condamnation n’allait pas figurer dans les extraits de son casier judiciaire. Il paraît clair qu’une « contestation réelle et sérieuse » a surgi lorsque le tribunal a rejeté la demande du requérant. Cette contestation a ensuite été définitivement tranchée par l’arrêt de la cour d’appel de Coimbra du 14 mai 2008 qui a explicitement reconnu le droit civil du requérant à la non-inscription de sa condamnation dans les extraits de son casier judiciaire (voir § 28 ci-dessus). La Cour note que cette décision confirme en l’occurrence la jurisprudence interne à ce sujet (voir § 36 ci-dessus).

54. A la lumière de la jurisprudence Enea c. Italie (précitée), la Cour estime que, au vu des conséquences éventuelles au niveau interne résultant d’un extrait du casier judiciaire (voir ci-dessus § 52), les répercussions sur la vie privée du requérant étaient incontestables.

55. Partant, la Cour considère que le grief du requérant concernant la procédure relative à son casier judiciaire est compatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention dès lors qu’il a trait à l’article 6 sous son volet civil.

56. Pour finir, la Cour constate que les griefs tirés de la durée de la procédure concernant la procédure relative au casier judiciaire ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève en outre qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

B. Sur le fond

57. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

58. La période à considérer a débuté le 6 mai 2004 et s’est terminée le 28 octobre 2010. Elle a donc duré 6 années, 5 mois et 24 jours pour deux instances.

59. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Frydlender précité).

60. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

61. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

62. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

63. Le requérant n’a pas présenté sa demande de satisfaction équitable dans le délai qui lui avait été imparti bien que dans la lettre qui lui a été adressée le 3 février 2011, son attention fût attirée sur l’article 60 du règlement de la Cour qui dispose que toute demande de satisfaction équitable au titre de l’article 41 de la Convention doit être exposée dans le délai imparti pour la présentation des observations écrites sur le fond conjointement ou dans un document séparé. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’octroyer de somme au titre de l’article 41 de la Convention (Willekens c. Belgique, no 50859/99, § 27, 24 avril 2003).

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare recevable le restant de la requête quant au grief tiré de la durée de la procédure relative au casier judiciaire et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention s’agissant de la procédure relative au casier judiciaire.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 novembre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithIneta Ziemele
GreffierPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-114664
Date de la décision : 20/11/2012
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Partiellement irrecevable;Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure civile;Article 6-1 - Délai raisonnable);Satisfaction équitable rejetée (tardiveté)

Parties
Demandeurs : ALEXANDRE
Défendeurs : PORTUGAL

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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