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15/11/2012 | CEDH | N°001-114459

CEDH | CEDH, AFFAIRE GÜRCEĞİZ c. TURQUIE, 2012, 001-114459


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE GÜRCEĞİZ c. TURQUIE

(Requête no 11045/07)

ARRÊT

STRASBOURG

15 novembre 2012

DÉFINITIF

15/02/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Gürceğiz c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Ineta Ziemele, présidente,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Andr

ás Sajó,
Işıl Karakaş,
Guido Raimondi, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 octobre 2012...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE GÜRCEĞİZ c. TURQUIE

(Requête no 11045/07)

ARRÊT

STRASBOURG

15 novembre 2012

DÉFINITIF

15/02/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Gürceğiz c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Ineta Ziemele, présidente,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
Isabelle Berro-Lefèvre,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Guido Raimondi, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 octobre 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 11045/07) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. İbrahim Gürceğiz (« le requérant »), a saisi la Cour le 23 février 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été autorisé à assurer lui-même la défense de ses intérêts, conformément à l’article 36 § 2 in fine du règlement de la Cour. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

3. Le 11 décembre 2009, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1973 et réside à Diyarbakır.

5. Le 21 janvier 2002, il fut arrêté dans le cadre d’une opération menée contre l’organisation illégale Hizbullah. Il était soupçonné d’en être membre et d’avoir commis des crimes au nom de cette organisation. Il fut placé en détention provisoire le 24 janvier 2002.

6. Il fut inculpé de ce chef et son procès commença devant la cour de sûreté de l’État.

7. Lors de l’audience du 18 juin 2002, le requérant affirma avoir subi des mauvais traitements dans les locaux de la police et contesta sa déposition recueillie pendant cette période.

8. Après la suppression des cours de sûreté de l’État, le procès du requérant se poursuivit devant la cour d’assises spéciale de Diyarbakır (« la cour d’assises spéciale »).

9. Le 24 avril 2007, la cour d’assises spéciale reconnut le requérant coupable des faits reprochés.

10. Tout au long de la procédure, au terme des audiences tenues à intervalles réguliers, la cour de sûreté de l’État puis la cour d’assises spéciale ordonnèrent le maintien en détention provisoire du requérant compte tenu de la nature et de la qualification de l’infraction reprochée ainsi que de l’état des preuves. A partir de l’entrée en vigueur du nouveau code de procédure pénale, la cour d’assises spéciale se fonda aussi sur l’existence de forts soupçons quant à la commission de l’infraction reprochée et sur le fait qu’il s’agissait d’une infraction prévue par l’article 100 § 3 du code de procédure pénale.

11. Le 17 février 2009, la Cour de cassation confirma l’arrêt de première instance.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

12. En droit turc, la détention provisoire est régie par les articles 100 et suivants du code de procédure pénale (« CPP »), entré en vigueur le 1er juin 2005.

Selon l’article 100 de ce code, la mise en détention provisoire d’une personne n’est possible que s’il existe de forts soupçons que la personne concernée ait commis l’infraction reprochée et s’il existe un motif de détention, à savoir un risque de fuite ou bien un risque d’altération des preuves ou de pression sur les témoins et victimes. Cela étant, pour certains délits particulièrement graves parmi lesquels figure celui reproché au requérant, l’article 100 § 3 de ce code indique que l’on peut présumer l’existence des motifs de détention susmentionnés lorsqu’il existe des raisons plausibles de soupçonner l’intéressé d’avoir commis l’infraction.

13. L’article 141 du code de procédure pénale prévoit la possibilité pour un justiciable de demander réparation du préjudice découlant de l’application d’une mesure préventive à son égard. Cette disposition a repris celle de la loi no 466 du 7 mai 1964 (abrogée) sur l’octroi d’indemnités aux personnes illégalement arrêtées ou détenues. L’article 141 § 1 d) du code de procédure pénale ajoute une nouveauté par rapport à la loi no 466 : la possibilité pour les personnes jugées en détention provisoire et n’ayant pas obtenu un jugement dans un délai raisonnable de demander la réparation de leur préjudice.

14. L’article 141 § 1 d) se traduit comme suit :

« 1) Dans le cadre d’une enquête ou d’un procès relatifs à une infraction, les personnes qui :

(...)

d) même régulièrement placées en détention provisoire au cours de l’enquête ou du procès, ne sont pas traduites dans un délai raisonnable devant l’autorité de jugement et concernant lesquelles une décision sur le fond n’est pas rendue dans ce même délai,

(...)

peuvent demander à l’État l’indemnisation de tous leurs préjudices matériels et moraux. »

15. L’article 142 § 1 du code de procédure pénale relatif aux conditions de la demande d’indemnisation se lit comme suit :

« La demande d’indemnisation peut être demandée dans les trois mois suivant la notification à l’intéressé que la décision ou le jugement est devenu définitif et dans tous les cas de figure dans l’année suivant la date à laquelle la décision ou jugement est devenu définitif. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

16. Le requérant allègue que la durée de sa détention provisoire a enfreint l’article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne arrêtée ou détenue dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

17. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. D’après lui, le requérant aurait dû introduire un recours en indemnisation sur le fondement des articles 141 et suivants du code de procédure pénale.

18. Le requérant conteste les exceptions du Gouvernement.

19. La Cour rappelle qu’au terme de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. La finalité de cette règle est de ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que la Cour n’en soit saisie (voir, parmi d’autres, Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, § 15, CEDH 2002‑VIII, et plus récemment, Simons c. Belgique (déc.), no 71407/10, § 23, 28 août 2012).

20. L’article 35 § 1 de la Convention ne prescrit cependant que l’épuisement des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Un recours est effectif lorsqu’il est disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire lorsqu’il est accessible, susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et présente des perspectives raisonnables de succès. A cet égard, le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison valable pour justifier la non-utilisation de recours internes (Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46 CEDH 2006‑II, Sardinas Albo c. Italie (déc.), no 56271/00, CEDH 2004‑I (extraits), Brusco c. Italie (déc.), no 69789/01, CEDH 2001‑IX, et plus récemment Alberto Eugénio da Conceicao c. Portugal (déc.), no 74044/11, 29 mai 2012).

21. La Cour rappelle qu’un recours visant la durée d’une détention provisoire au sens de l’article 5 § 3 de la Convention doit, pour être effectif, offrir à son auteur une perspective de cessation de la privation de liberté contestée (Knebl c. République tchèque, no 20157/05, § 55, 28 octobre 2010, et Gavril Yossifov c. Bulgarie, no 74012/01, § 40, 6 novembre 2008).

22. Elle estime cependant qu’il peut en aller différemment lorsque la détention provisoire est terminée.

A cet égard, la Cour rappelle qu’en matière de privation de liberté, elle a déjà considéré que lorsqu’un requérant affirme avoir été détenu en méconnaissance du droit interne – donc en violation de l’article 5 § 1 de la Convention – et que la détention litigieuse a déjà pris fin, une action en réparation, capable d’aboutir à une reconnaissance de la violation alléguée et à l’attribution d’une indemnisation, est en principe un recours effectif qui doit être épuisé si son efficacité en pratique a été dûment établie (Rahmani et Dineva c. Bulgarie, no 20116/08, § 66, 10 mai 2012, et Gavril Yossifov, précité, § 41 et les références y citées).

23. La Cour estime qu’il en est de même s’agissant d’un grief tiré de l’article 5 § 3 de la Convention. En effet, lorsque la détention provisoire a pris fin, il convient de vérifier si l’intéressé dispose d’un recours pouvant conduire d’une part à la reconnaissance du caractère déraisonnable de la durée de la détention provisoire et d’autre part à l’allocation d’une indemnité liée à ce constat. Si tel est le cas, alors ce recours doit en principe être utilisé. Affirmer le contraire reviendrait à doubler la procédure interne d’une instance devant la Cour, ce qui paraît peu compatible avec le caractère subsidiaire du mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention (voir en ce sens, Gavril Yossifov, précité, § 38, et Rahmani et Dineva, précité, § 64).

24. La Cour note que l’article 141 § 1 d) du code de procédure pénale prévoit pour un détenu n’ayant pas obtenu un jugement dans un délai raisonnable la possibilité de demander une indemnisation. Elle observe toutefois que ce recours ne vise pas à mettre fin à une détention d’une durée excessive au sens de l’article 5 § 3 de la Convention (voir parmi d’autres, Barış c. Turquie, no 26170/03, § 17, 31 mars 2009) mais qu’il a pour seule finalité l’octroi d’une indemnité. Le recours en question ne peut donc pas conduire à la libération de l’intéressé.

25. Le recours prévu par l’article 141 § 1 d) du CPP ne pouvait donc être considéré comme effectif au regard de l’article 5 § 3 de la Convention aussi longtemps que la détention provisoire était en cours.

26. De plus, la disposition en question – telle qu’appliquée à l’époque des faits – ne permettait pas au justiciable ayant subi une période de détention provisoire excessive d’intenter un recours au cours de la procédure engagée à son encontre puisqu’au niveau interne, l’introduction d’un tel recours supposait au préalable l’obtention d’une décision définitive sur le fond de l’affaire (Kürüm c. Turquie, no 56493/07, § 20, 26 janvier 2010).

27. La Cour note toutefois que la détention provisoire du requérant au sens de l’article 5 § 3 de la Convention a pris fin avec sa condamnation en première instance le 24 avril 2007 et que cette condamnation est devenue définitive le 17 février 2009. A partir de cette dernière date, le requérant aurait pu demander une indemnisation sur le fondement de l’article 141 du CPP, ce qu’il manqua de faire.

28. Le requérant explique qu’il n’a pas utilisé ce recours parce qu’il n’est pas efficace dans la pratique. Le Gouvernement maintient quant à lui que le requérant a négligé de faire usage du droit qui lui était reconnu par la législation interne.

29. La Cour note qu’en droit turc la possibilité pour un détenu n’ayant pas obtenu un jugement dans un délai raisonnable de demander réparation est une nouveauté introduite dans le CPP en 2005. L’allocation d’une indemnité sur le fondement de l’article 141 § 1 d) du CPP suppose au préalable le constat que la durée de la détention provisoire n’a pas été raisonnable. Ce recours pouvait conduire d’une part à la reconnaissance du caractère déraisonnable de la mesure contestée et d’autre part à la réparation des préjudices subis par le requérant.

30. Il est vrai que le Gouvernement n’a pas produit d’exemples d’affaires où cette disposition aurait été invoquée avec succès dans une situation comparable à celle du requérant. Rien n’indique cependant que le contrôle qui sera exercé par les juridictions internes à cette occasion sera limité d’une quelconque manière, pour pouvoir douter d’emblée de l’efficacité d’un tel recours et affirmer qu’un tel recours serait de toute évidence voué à l’échec.

31. Rappelant ici son rôle subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme (Handyside c. Royaume‑Uni, 7 décembre 1976, § 48, série A no 24), la Cour estime que le requérant avait à sa disposition une nouvelle norme légale qui lui aurait permis de donner aux juridictions internes l’occasion de remédier au niveau national à la prétendue violation de l’article 5 § 3 de la Convention (Ovidiu Trailescu c. Roumanie (déc.), nos 5666/04 et 14464/05, § 72). De surcroît, s’agissant d’une nouvelle disposition légale adoptée dans l’objectif spécifique de créer un recours susceptible de porter remède à ce type de grief, il y a intérêt à saisir les juridictions nationales, afin de leur permettre de faire application de cette disposition (Iambor c. Roumanie (no 1), no 64536/01, § 221, 24 juin 2008).

32. Aussi la Cour conclut que le recours prévu par l’article 141 du code de procédure pénale était accessible. Par ailleurs, elle ne dispose d’aucun élément qui lui permettrait de dire que le recours en question n’était pas susceptible d’apporter un redressement approprié au grief du requérant tiré de l’article 5 § 3 de la Convention et qu’il n’offrait pas des perspectives raisonnables de succès (voir en ce sens, Taron c. Allemagne (déc.), no 53126/07, § 40, 29 mai 2012). Il convient de rappeler ici que lorsqu’il existe un doute sur l’efficacité et les chances de succès d’un recours interne, comme le soutient le requérant, celui-ci doit être tenté (Voisine c. France, no 27362/95, décision de la Commission du 14 janvier 1998). Il s’agit là d’un point qui doit être soumis aux tribunaux (Roseiro Bento c. Portugal (déc.), no 29288/02, 30 novembre 2004 et Whiteside c. Royaume‑Uni, no 20357/92, décision de la Commission du 7 mars 1994).

33. La Cour souligne toutefois que cette conclusion ne préjuge en rien, le cas échéant, d’un éventuel réexamen de la question de l’effectivité du recours en question, et notamment de la capacité des juridictions nationales à établir, relativement à l’application de l’article 141 § 1 d) du CPP, une jurisprudence uniforme et compatible avec les exigences de la Convention (ibidem, § 45, et Korenjak c. Slovénie, no 463/03, § 73, 15 mai 2007).

34. A la lumière de ce qui précède, la Cour estime que le requérant était tenu de saisir les juridictions internes d’une demande d’indemnisation fondée sur l’article 141 § 1 d) du CPP, ce qu’il n’a pas fait. La Cour accueille donc l’exception du Gouvernement et rejette le grief tiré de l’article 5 § 3 pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

35. Le requérant se plaint de ce que sa cause n’a pas été entendue dans un délai raisonnable. Il invoque à ce titre l’article 6 de la Convention, ainsi libellé en sa partie pertinente :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

36. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes au motif que le requérant a omis d’engager un recours de pleine juridiction contre le ministère de la Justice, puisque les tribunaux ont l’obligation de traiter les affaires dans les meilleurs délais.

37. La Cour rappelle qu’elle a déjà constaté que l’ordre juridique turc n’offrait pas aux justiciables un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention leur permettant de se plaindre de la durée excessive des procédures pénales (Daneshpayeh c. Turquie, no 21086/04, §§ 35‑38, 16 juillet 2009, et Tendik et autres c. Turquie, no 23188/02, § 36, 22 décembre 2005). Le Gouvernement ne soumet pas non plus, à l’appui de son allégation, de jurisprudence pertinente des juridictions nationales. Partant, elle rejette l’exception du Gouvernement.

38. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

39. Le Gouvernement soutient que la durée de la procédure litigieuse ne peut pas être considérée comme déraisonnable et ajoute qu’aucun manque de diligence, d’après lui, ne saurait être reproché aux instances nationales dans le déroulement de la procédure en question.

40. Le requérant conteste ces arguments.

41. La période à considérer a débuté le 21 janvier 2002 avec l’arrestation du requérant et a pris fin le 17 février 2009 avec l’arrêt de la Cour de cassation. Elle a donc duré plus de sept ans, pour deux degrés de juridiction.

42. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999-II).

43. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à la présente et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir, Pélissier et Sassi, précité). Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

44. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

45. Le requérant se plaint d’avoir subi des mauvais traitements lors de sa garde à vue, sans invoquer aucun article de la Convention.

Dans ses observations sur la recevabilité et le fond de l’affaire du 9 juillet 2010, il persiste dans ses allégations de mauvais traitements et invoque l’article 3 de la Convention. Il y joint des rapports médicaux relatifs à la période de garde à vue. Le rapport médical établi le 21 janvier 2002, au début de la garde à vue du requérant, mentionne la présence d’ecchymoses sur le dos, d’une ecchymose à l’oreille et d’égratignures sur le visage et le nez. Le rapport médical établi le 24 janvier 2002 mentionne la présence d’égratignures sur le visage et le nez ainsi que la présence de croûtes à l’oreille gauche. Le rapport médical établi le 26 janvier 2002 mentionne la présence d’une égratignure sur le nez.

46. La Cour note d’abord que le requérant a présenté ce grief devant la Cour pour la première fois dans sa requête no 30245/02 introduite le 6 juin 2002. Par une décision partielle du 23 mai 2006, la Cour a rejeté le grief tiré de l’article 3 comme étant manifestement mal fondé au motif que les allégations étaient énoncées de manière très générale et parce que le requérant n’étayait ses allégations par aucun élément de preuve ou commencement de preuve, tels un rapport médical ou une explication plausible des conditions dans lesquelles il aurait subi des mauvais traitements (Gürceğiz et autres c. Turquie (déc.), no 30245/02, 23 mai 2006).

47. Il n’apparaît pas que le requérant ait déposé une plainte devant les autorités concernant ses allégations de mauvais traitements. S’il est vrai qu’il a soulevé ce grief au cours de son procès, lors de l’audience du 18 juin 2002 (paragraphe 7 ci-dessus), il faut cependant relever qu’une décision interne définitive relative à ce procès est intervenue le 17 février 2009, donc plus de six mois avant que le requérant invoque l’article 3 de la Convention et présente les rapports médicaux de garde à vue.

48. En tout état de cause, la Cour estime que ce grief est manifestement mal fondé. Les rapports médicaux contredisent les allégations du requérant selon lesquelles il aurait été torturé pendant la période de la garde à vue. Les rapports médicaux établis au cours et au terme de cette période ne mentionnent pas de nouvelles traces de blessures.

49. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.

IV. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

50. Bien que les griefs tirés de l’article 5 §§ 4 et 5 de la Convention ont été initialement communiqués au Gouvernement, il ressort de l’examen du dossier que ces griefs n’ont pas été valablement soulevés.

En effet, il n’a pas invoqué l’article 5 § 4, ne serait-ce qu’en substance.

Quant à l’article 5 § 5, si le requérant le mentionne dans le formulaire de requête et ultérieurement, ce n’est que dans le cadre de sa demande de satisfaction équitable et non pas pour l’invoquer en tant que tel. La première fois qu’il allègue explicitement mais de façon très générale la violation de cette disposition, c’est dans sa lettre du 14 janvier 2011, soit plus de six mois après la fin de sa détention provisoire.

Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.

V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

51. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

52. Le requérant a demandé, dans le formulaire de requête, la réparation des préjudices matériel et moral subis par lui, à hauteur de 100 000 euros (EUR). Par la suite, il a réitéré sa demande sans la chiffrer et s’en est remis à la sagesse de la Cour.

53. Le Gouvernement fait remarquer que le requérant n’a pas chiffré sa demande et affirme qu’au cas où la Cour se prononcerait dans le sens d’une violation, ce seul constat constituerait une satisfaction équitable suffisante.

54. La Cour constate que le requérant n’étaye aucunement le dommage matériel allégué. En revanche, statuant en équité, elle considère qu’il y a lieu de lui octroyer 3 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Intérêts moratoires

55. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Déclare, à l’unanimité, recevable le grief tiré de l’article 6 de la Convention ;

2. Déclare, à la majorité, irrecevable le grief tiré de l’article 5 § 3 de la Convention ;

3. Déclare, à l’unanimité, la requête irrecevable pour le surplus ;

4. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention ;

5. Dit, à l’unanimité,

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 000 EUR (trois mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 novembre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithIneta Ziemele
GreffierPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-114459
Date de la décision : 15/11/2012
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Délai raisonnable)

Parties
Demandeurs : GÜRCEĞİZ
Défendeurs : TURQUIE

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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