La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/10/2012 | CEDH | N°001-114075

CEDH | CEDH, AFFAIRE IMMOBILIARE PODERE TRIESTE S.R.L. c. ITALIE, 2012, 001-114075


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE IMMOBILIARE PODERE TRIESTE S.R.L. c. ITALIE

(Requête no 19041/04)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

STRASBOURG

23 octobre 2012

DÉFINITIF

23/01/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Immobiliare Podere Trieste S.r.l. c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant une chambre composée de :

Ineta Ziemele, présidente,
Dragoljub P

opović,
Isabelle Berro-Lefèvre,
András Sajó,
Guido Raimondi,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Françoise Elens-Passos...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE IMMOBILIARE PODERE TRIESTE S.R.L. c. ITALIE

(Requête no 19041/04)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

STRASBOURG

23 octobre 2012

DÉFINITIF

23/01/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Immobiliare Podere Trieste S.r.l. c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant une chambre composée de :

Ineta Ziemele, présidente,
Dragoljub Popović,
Isabelle Berro-Lefèvre,
András Sajó,
Guido Raimondi,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 octobre 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 19041/04) dirigée contre la République italienne et dont une société de droit italien, la société Immobiliare Podere Trieste (« la requérante »), a saisi la Cour le 24 mai 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Par un arrêt du 16 novembre 2006 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé que la requérante avait subi une expropriation de fait, incompatible avec son droit au respect de ses biens, et que, partant, il y avait eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 (Immobiliare Podere Trieste S.r.l. c. Italie, no 19041/04, §§ 43-44, 16 novembre 2006).

3. En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, la requérante réclamait en voie principale la restitution du terrain et une indemnité pour non jouissance du terrain, qu’elle évaluait à 56 616 062,10 EUR. A défaut, elle sollicitait le versement d’un dédommagement de 163 823 229,10 EUR, égal à la valeur vénale actuelle du terrain assortie de la plus-value apportée par les ouvrages entre-temps réalisés sur celui-ci. En outre, la requérante demandait une somme au titre de dommage moral et le remboursement des frais de procédure.

4. La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et la requérante à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 62, et point 4 du dispositif).

5. Le délai fixé pour permettre aux parties de parvenir à un accord amiable est venu à échéance sans que les parties n’aboutissent à un tel accord. Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations.

6. Le 12 mars 2007, le président de la chambre a décidé de demander aux parties de nommer chacune un expert chargé d’évaluer le préjudice matériel et de déposer un rapport d’expertise avant le 14 juin 2007.

7. Lesdits rapports d’expertise ont été déposés dans le délai imparti.

EN FAIT

8. Les faits survenus après l’arrêt au principal peuvent se résumer comme suit.

9. Par un jugement du 11 novembre 2010, le tribunal de Rome trancha les procédures réunies concernant respectivement la restitution du terrain et le paiement des dommages-intérêts pour la perte de propriété (voir paragraphes 21-24 de l’arrêt au principal).

10. Le tribunal rejeta la demande de la requérante visant la restitution du terrain et condamna la municipalité au paiement des dommages-intérêts pour l’expropriation indirecte du terrain. Concernant la restitution, le tribunal affirma entre autre que la requérante, en introduisant une demande d’indemnisation pour l’expropriation de fait du terrain, avait reconnu la perte de la propriété de son bien au profit de l’administration. Par ailleurs, la restitution du terrain, comportant le transfert des œuvres publiques bâties par l’administration, constituerait une atteinte à l’intérêt général de la collectivité.

11. Au sujet de l’indemnisation due à la requérante, s’appuyant sur une expertise technique produite par celle-ci le 7 juin 2006, le tribunal affirma que la valeur vénale du terrain à la date de son occupation, à savoir le 5 novembre 1984, était de 9 996 438,56 EUR. Le terrain avait été irréversiblement transformé entre 1987 et 1988. Aux fins du calcul du dédommagement, ledit montant devait être majoré d’une indemnité pour la perte de jouissance du bien découlant de son indisponibilité à compter de la date de l’occupation, calculée sur la base de la contrevaleur vénale du terrain actualisée. Au montant ainsi calculé, le tribunal ajouta la réévaluation et les intérêts légaux. Ainsi, le tribunal condamna la municipalité à payer à la requérante la somme de 40 924 326,13 EUR. L’administration fut par ailleurs condamnée à payer les frais de procédure.

12. La requérante interjeta appel de ce jugement. Elle réitéra sa demande visant la restitution du terrain et contesta le montant du dédommagement alloué par le tribunal, affirmant que ce dernier avait commis une erreur de calcul. La procédure était, au jour de l’adoption de l’arrêt, pendante devant la cour d’appel de Rome.

13. Il ressort du dossier que la requérante n’a reçu aucune somme de la part de l’administration.

EN DROIT

14. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage matériel

15. Dans ses observations déposées en 2007, la requérante demandait la restitution de son terrain plus une indemnité pour non-jouissance du bien, qu’elle chiffrait à 56 616 062 EUR. A défaut, elle réclamait la somme de 112 699 344 EUR, correspondant à la valeur vénale du terrain au moment de son expropriation, réévaluée et augmentée de la plus-value dérivant de la réalisation de l’ouvrage public. Dans les observations présentées à la Cour en 2011, la requérante, tout en réitérant sa demande principale visant la restitutio in integrum de son terrain, demande une somme correspondant à la valeur vénale actuelle du terrain, à hauteur de 48 549 018 EUR, plus la somme de 64 730 406,60 EUR au titre de non jouissance du bien à la suite de l’occupation.

16. Le Gouvernement fait observer que le tribunal de Rome a octroyé à la requérante une satisfaction équitable suffisante, calculée selon des critères conformes à la jurisprudence de la Cour. Il affirme que la municipalité s’exécutera prochainement. Selon lui, si la Cour accordait une somme au titre d’une satisfaction équitable, la requérante pourrait être indemnisée deux fois.

17. La Cour répond d’emblée à l’argument du Gouvernement. Elle considère improbable que la requérante reçoive une double indemnisation, étant donné que les juridictions nationales, lorsqu’elles décideront de la cause actuellement pendante en deuxième instance, vont inévitablement prendre en compte toute somme accordée à l’intéressée par cette Cour (Serghides et Christoforou c. Chypre (satisfaction équitable), no 44730/98, § 29, 12 juin 2003). En outre, vu que la procédure nationale dure depuis plus de vingt ans, il serait déraisonnable d’en attendre l’issue (Serrilli c. Italie (satisfaction équitable), no 77822/01, § 17, 17 juillet 2008 ; Matthias et autres c. Italie (satisfaction équitable), no 35174/03, § 14, 17 juillet 2012).

18. La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’Etat défendeur l’obligation de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’Etat défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle-même. Si, en revanche, pareille restitution n’est pas possible, comme en l’espèce, l’article 41 habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée.

19. Elle rappelle que dans l’affaire Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], nº 58858/00, 22 décembre 2009), la Grande Chambre a modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères d’indemnisation dans les affaires d’expropriation indirecte. En particulier, la Grande Chambre a décidé d’écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur des terrains à la date de l’arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l’Etat sur les terrains.

20. Selon les nouveaux critères fixés par la Grande Chambre, l’indemnisation doit correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu’établie par l’expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que l’on aura déduit la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l’inflation. Il convient aussi de l’assortir d’intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s’est écoulé depuis la dépossession des terrains. Ces intérêts doivent correspondre à l’intérêt légal simple appliqué au capital progressivement réévalué.

21. La requérante a perdu la propriété de son terrain en 1984. Il ressort de l’expertise effectuée par la requérante au cours de la procédure nationale que la valeur du terrain à cette date était de 9 996 438,56 EUR. Compte tenu de ces éléments, la Cour estime raisonnable d’accorder à la requérante 46 000 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

22. Reste à évaluer la perte de chances subie à la suite de l’expropriation litigieuse (Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], précité, § 107). La Cour juge qu’il y a lieu de prendre en considération le préjudice découlant de l’indisponibilité du terrain pendant la période allant du début de l’occupation légitime (novembre 1984) jusqu’au moment de la perte de propriété (décembre 1987). Statuant en équité, la Cour alloue à la requérante 1 700 000 EUR.

B. Dommage moral

23. La requérante demande 9 709 803,30 EUR.

24. Le Gouvernement s’y oppose.

25. La Cour estime que le sentiment d’impuissance et de frustration face à la dépossession illégale de son bien a causé à la requérante un préjudice moral important, qu’il y a lieu de réparer de manière adéquate.

26. Statuant en équité, la Cour accorde à la requérante 20 000 EUR pour le dommage moral.

C. Frais et dépens

27. La requérante demande 62 715,25 EUR pour frais de procédure devant les juridictions internes et réclame le remboursement des frais de procédure devant la Cour.

28. Le Gouvernement soutient que les sommes réclamées par les requérants à titre de frais et dépens sont excessives.

29. La Cour rappelle que l’allocation des frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002 ; Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 105, CEDH 2003-VIII).

30. La Cour ne doute pas de la nécessité d’engager des frais, mais elle trouve excessifs les honoraires totaux revendiqués à ce titre. Elle considère dès lors qu’il y a lieu de les rembourser en partie seulement. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable d’allouer un montant de 20 000 EUR pour l’ensemble des frais exposés.

D. Intérêts moratoires

31. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 47 700 000 EUR (quarante sept millions sept cent mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;

ii. 20 000 EUR (vingt mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

iii. 20 000 EUR (vingt mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt à la requérante, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 octobre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Françoise Elens-PassosIneta Ziemele
Greffière adjointePrésidente


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-114075
Date de la décision : 23/10/2012
Type d'affaire : satisfaction équitable
Type de recours : Dommage matériel et préjudice moral - réparation (Article 41 - Satisfaction équitable)

Parties
Demandeurs : IMMOBILIARE PODERE TRIESTE S.R.L.
Défendeurs : ITALIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : PAOLETTI N.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award