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09/10/2012 | CEDH | N°001-113748

CEDH | CEDH, AFFAIRE TRAPANI LOMBARDO ET AUTRES c. ITALIE, 2012, 001-113748


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE TRAPANI LOMBARDO ET AUTRES c. ITALIE

(Requête no 25106/03)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

STRASBOURG

9 octobre 2012

DÉFINITIF

09/01/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Trapani Lombardo et autres c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant une chambre composée de :

Ineta Ziemele, présidente,
Dragoljub Popović,
I

sabelle Berro-Lefèvre,
András Sajó,
Guido Raimondi,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE TRAPANI LOMBARDO ET AUTRES c. ITALIE

(Requête no 25106/03)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

STRASBOURG

9 octobre 2012

DÉFINITIF

09/01/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Trapani Lombardo et autres c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant une chambre composée de :

Ineta Ziemele, présidente,
Dragoljub Popović,
Isabelle Berro-Lefèvre,
András Sajó,
Guido Raimondi,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 septembre 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 25106/03) dirigée contre la République italienne et dont huit ressortissants de cet État, M. Antonio Trapani Lombardo 1 (« le premier requérant »), Mme Maria Concetta Trapani Lombardo 1 (« la deuxième requérante »), Mme Blandina Sarlo (« la troisième requérante »), Mme Emilia Sabatini (« la quatrième requérante »), Mme Maria Concetta Trapani Lombardo 2 (« la cinquième requérante »), M. Vincenzo Trapani Lombardo (« le sixième requérant »), Mme Maria Cristina Nesci (« la septième requérante ») et M. Antonio Trapani Lombardo 2 (« le huitième requérant »), ont saisi la Cour le 6 août 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Par un arrêt du 16 novembre 2006 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé que l’ingérence litigieuse n’était pas compatible avec le principe de légalité et qu’elle avait donc enfreint le droit au respect des biens des requérants (Trapani Lombardo et autres c. Italie, no 25106/03, § 38, 16 novembre 2006).

3. En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, s’agissant du préjudice matériel, les requérants réclamaient en voie principale la restitution du terrain et le versement de la somme de 907 965,27 EUR à titre d’indemnité d’occupation et d’indemnité pour non‑jouissance du terrain. A défaut de restitution, ils réclamaient une satisfaction équitable de 361 269,64 EUR, égal à la valeur marchande actuelle du terrain, ainsi qu’une indemnité d’occupation de 22 797,17 EUR. De plus, ils demandaient 885 168,10 EUR à titre d’indemnisation pour la non-jouissance du terrain et 277 070,54 EUR pour la plus-value apportée au terrain par les ouvrages publics y construits. En outre, ils sollicitaient le remboursement du dommage moral et des frais encourus devant la Cour.

4. La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et les requérants à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, point 4 b) du dispositif).

5. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations.

6. A la suite de la modification de la composition des sections de la Cour, la présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée.

EN FAIT

7. Les faits survenus après l’arrêt au principal peuvent se résumer comme suit.

8. Suite à l’arrêt du 7 mars 2003 de la Cour de cassation qui avait déclaré que le droit des requérants aux dommages et intérêts était prescrit, l’administration demanda au tribunal de Reggio de Calabre trois injonctions de paiement (decreto ingiuntivo) afin d’obtenir la restitution des sommes payées par l’administration suite à l’arrêt de la cour d’appel du 31 décembre 1991 (paragraphe 14 de l’arrêt au principal).

9. Les requérants introduisirent une procédure civile pour s’opposer à ces injonctions de paiement. La procédure est pendante devant le tribunal de Reggio de Calabre.

EN DROIT

10. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

11. Les requérants demandent 1 359 210 EUR pour la perte de la propriété. De cette somme devront être déduites les sommes déjà octroyées par les juridictions internes.

12. Le Gouvernement conteste les prétentions des requérants et rappelle qu’ils ont reçu une somme correspondant à la valeur vénale du terrain.

13. La Cour rappelle que dans l’affaire Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009), la Grande Chambre a modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères d’indemnisation dans les affaires d’expropriation indirecte. En particulier, la Grande Chambre a décidé d’écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur des terrains à la date de l’arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l’Etat sur les terrains.

14. Selon les nouveaux critères fixés par la Grande Chambre, l’indemnisation doit correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu’établie par l’expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que l’on aura déduit la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l’inflation. Il convient aussi de l’assortir d’intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s’est écoulé depuis la dépossession des terrains. Ces intérêts doivent correspondre à l’intérêt légal simple appliqué au capital progressivement réévalué.

15. En l’espèce, les requérants ont perdu la propriété du leur terrain le 18 septembre 1976 (paragraphe 11 de l’arrêt au principal). La Cour observe qu’ils ont reçu au niveau national une somme correspondant à la valeur vénale de leur terrain, réévaluée et assortie d’intérêts à compter de la date de la perte de la propriété, (paragraphe 14 de l’arrêt au principal). Selon elle, les intéressés ont ainsi déjà obtenu une somme suffisante à satisfaire les critères d’indemnisation suscités.

16. Reste à évaluer la perte de chances subie à la suite de l’expropriation litigieuse (Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC] précité, § 107). La Cour juge qu’il y a lieu de prendre en considération le préjudice découlant de l’indisponibilité du terrain pendant la période allant du début de l’occupation légitime jusqu’au moment de la perte de propriété. Statuant en équité, la Cour alloue conjointement aux requérants 6 000 EUR.

B. Dommage moral

17. Les requérants demandent un dédommagement de 160 000 EUR, plus intérêts et réévaluation, pour le préjudice moral.

18. Le Gouvernement s’y oppose et estime qu’aucune somme n’est due au titre du préjudice moral, puisque ce type de préjudice ne saurait découler de la violation de l’article 1 du Protocole no 1 mais uniquement de la violation du « délai raisonnable ».

19. La Cour estime que le sentiment d’impuissance et de frustration face à la dépossession illégale de son bien a causé aux requérants un préjudice moral important, qu’il y a lieu de réparer de manière adéquate.

20. Statuant en équité, la Cour accorde conjointement aux requérants 10 000 EUR au titre du préjudice moral.

21. En outre, la Cour souligne qu’en vertu de l’article 46 de la Convention les Parties contractantes se sont engagées à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties, le Comité des Ministres étant chargé d’en surveiller l’exécution. Il en découle notamment que l’Etat défendeur, reconnu responsable d’une violation de la Convention ou de ses Protocoles, est appelé non seulement à verser aux intéressés les sommes allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi à choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à adopter dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer autant que possible les conséquences (De Clerck c. Belgique, no 34316/02, § 97, 25 septembre 2007 ; Zafranas c. Grèce, no 4056/08, §§ 50-51, 4 octobre 2011 ; Sud Fondi srl et autres c. Italie (satisfaction équitable), no 75909/01, 10 mai 2012). Dans l’affaire Zafranas précitée, eu égard aux circonstances de l’espèce, la Cour avait dit que l’Etat défendeur devait s’abstenir de revendiquer l’indemnité d’expropriation déjà allouée aux requérants.

22. En l’espèce, la Cour estime que le versement des sommes indiquées doit être assorti de la renonciation de la part des autorités italiennes à leurs prétentions vis-à-vis des requérants. Ceux-ci se sont vu allouer, suite à l’arrêt de la cour d’appel de Reggio de Calabre, une somme à titre d’indemnisation pour la perte du terrain litigieux. Or, suite à l’arrêt de la Cour de cassation, qui a conclu que le droit au dédommagement était prescrit, et suite aux procédures d’injonctions introduites par l’administration, les requérants se trouvent contraints à rembourser la somme reçue. La Cour réitère que dans son arrêt au principal elle a conclu que les autorités italiennes n’ont pas satisfait à la condition de légalité dans l’expropriation litigieuse et elle estime qu’elles doivent en assumer les conséquences.

23. En conclusion, eu égard aux circonstances particulières de l’espèce, la Cour considère que la renonciation de la part des autorités nationales à ses prétentions vis-à-vis des requérants combinée avec le versement des sommes ci-dessus (§§16 et 20) est susceptible de mettre fin de manière effective à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 constatée.

C. Frais et dépens

24. Justificatifs à l’appui, les requérants sollicitent le versement de 41 703,50 EUR, taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et contributions à la caisse de prévoyance des avocats (CPA) en sus, pour les frais de la procédure à Strasbourg

25. Le Gouvernement s’y oppose.

26. La Cour rappelle que l’allocation des frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002 ; Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 105, CEDH 2003-VIII).

27. La Cour ne doute pas de la nécessité d’engager des frais, mais elle trouve excessifs les honoraires totaux revendiqués à ce titre. Elle considère dès lors qu’il y a lieu de les rembourser en partie seulement. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable d’allouer un montant de 20 000 EUR pour l’ensemble des frais exposés.

D. Intérêts moratoires

28. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ :

1. Dit

a) que l’Etat défendeur doit s’abstenir de demander aux requérants la restitution de la somme allouée par la cour d’appel de Reggio de Calabre à titre d’indemnisation pour la perte de la propriété et qu’il ne doit pas donner suite aux procédures civiles pendantes devant le tribunal de Reggio de Calabre ;

2. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser conjointement aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 6 000 EUR (six mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;

ii. 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

iii. 20 000 EUR (vingt mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt aux requérants, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 octobre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithIneta Ziemele
GreffierPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-113748
Date de la décision : 09/10/2012
Type d'affaire : satisfaction équitable
Type de recours : Dommage matériel et préjudice moral - réparation

Parties
Demandeurs : TRAPANI LOMBARDO ET AUTRES
Défendeurs : ITALIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : PAOLETTI N.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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