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25/09/2012 | CEDH | N°001-113330

CEDH | CEDH, AFFAIRE AHMADE c. GRÈCE, 2012, 001-113330


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE AHMADE c. GRÈCE

(Requête no 50520/09)

ARRÊT

STRASBOURG

25 septembre 2012

DÉFINITIF

25/12/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Ahmade c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Nina Vajić, présidente,
Peer Lorenzen,
Elisabeth Steiner,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,


Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 septembr...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE AHMADE c. GRÈCE

(Requête no 50520/09)

ARRÊT

STRASBOURG

25 septembre 2012

DÉFINITIF

25/12/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Ahmade c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Nina Vajić, présidente,
Peer Lorenzen,
Elisabeth Steiner,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 septembre 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 50520/09) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant afghan, M. Seydmajed Ahmade (« le requérant »), a saisi la Cour le 21 septembre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Mes P. Massouridou et A. Serapheim, avocates à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, Mme F. Dedousi, assesseure auprès du Conseil juridique de l’Etat, et Mme G. Kotta, auditrice auprès du Conseil juridique de l’Etat.

3. Le requérant se plaint en particulier d’une violation de l’article 3 (risque de mauvais traitements en cas d’expulsion et conditions de détention) et de l’article 13 combinés (conditions de détention), ainsi que des articles 5 § 1 et 5 § 4 de la Convention.

4. Le 25 mars 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant, dont la date de naissance exacte n’a pas pu être déterminée avec certitude, réside à Athènes.

A. Les arrestations précédentes du requérant pour entrée illégale sur le territoire et les décisions d’expulsion prises à son encontre

6. Le requérant, dont les parents étaient des réfugiés afghans, est né et a grandi en Iran avec sa grand-mère. Sa mère décéda alors qu’il était âgé d’un an et demi ; son père se remaria, fonda une nouvelle famille et ne se soucia plus de lui. Ensuite, le requérant quitta l’Iran pour la Turquie. Les autorités turques le renvoyèrent en Iran d’où il fut expulsé en Afghanistan.

7. Le 23 décembre 2007, le requérant arriva en Grèce, sur l’île de Lesbos, où il fut arrêté. Il prétend que, lors de son enregistrement par les autorités de police et en raison de l’absence d’interprète, il a été enregistré en tant qu’adulte (né en 1987) sous le nom d’Ahmedi Sediami. Il aurait fait l’objet d’une décision d’expulsion et aurait été conduit au camp de rétention pour clandestins de Pagani, où il aurait été détenu durant cinq jours dans des conditions très difficiles. Il aurait été remis en liberté et sommé de quitter le territoire dans un délai d’un mois. Pendant toute la durée de sa détention, il n’aurait pas bénéficié de l’assistance d’un avocat et d’un interprète, ce qui l’aurait empêché d’engager une procédure de demande d’asile. Ayant été enregistré comme adulte, il n’aurait pas bénéficié de la protection accordée aux mineurs.

8. Le 19 mars et le 16 mai 2008, le requérant fut arrêté à Athènes par des agents du commissariat d’Aghios Panteleïmon pour entrée illégale sur le territoire. A chacune de ces dates, le chef de la police des étrangers d’Attique prit une décision d’expulsion à son encontre. Les décisions mentionnaient que le requérant était né le 1er janvier 1991. Elles n’ordonnaient pas sa détention, car il n’était pas considéré comme représentant une menace pour l’ordre public et risquant de fuir. L’intéressé fut ainsi remis en liberté, respectivement, le 30 mars et le 20 mai 2008. Un délai de trente jours lui fut accordé pour quitter le territoire. Le requérant fut aussi inscrit dans le registre des personnes indésirables.

9. Le 1er août 2008, le requérant fut de nouveau arrêté pour entrée illégale sur le territoire par des agents du commissariat de police de Vari. Le 4 août 2008, le chef de la police des étrangers d’Attique prit une décision d’expulsion à son encontre, et il ordonna son maintien en détention jusqu’à l’expulsion et pour une période ne pouvant dépasser trois mois. La décision précisait que l’intéressé risquait de fuir. Elle indiquait comme date de naissance le 1er janvier 1991.

10. Le 11 août 2008, le requérant fut libéré sous condition de quitter le territoire dans un délai de trois mois et de se présenter tous les premiers du mois au commissariat de police de son lieu de résidence.

11. A l’occasion de ces trois arrestations, le requérant fut enregistré comme étant né le 1er janvier 1991.

B. L’arrestation du 27 août 2009 et les décisions ultérieures des autorités grecques

12. Le 27 août 2009, le requérant fut arrêté dans le quartier d’Aghios Panteleïmon à la suite d’une rixe entre étrangers et Grecs. Les officiers de police l’enregistrèrent comme étant né le 1er janvier 1987.

13. Par une décision du 31 août 2009, le chef de la police des étrangers d’Attique ordonna l’expulsion du requérant et son maintien en détention (pour une période ne pouvant dépasser six mois), au motif qu’il représentait une menace pour l’ordre public et qu’il risquait de fuir. La décision, justifiée par la procédure pénale pendante contre lui (paragraphe 24 ci-dessous), précisait que l’intéressé avait été informé de ses droits en langue afghane. Le requérant figurait dans la décision sous le nom d’Ahmedi Sediami, né le 1er janvier 1987.

14. Le procès-verbal de la notification de cette décision d’expulsion (daté du 10 septembre 2009), qui indiquait comme date de naissance du requérant le 1er janvier 1985, fut envoyé par télécopie au commissariat d’Aghios Panteleïmon le 11 septembre 2009. Les cases réservées aux signatures de l’officier de police chargé de la notification et de l’interprète n’étaient pas remplies.

15. Le 8 septembre 2009, un groupe d’avocats, membres de l’association des avocats pour les droits des réfugiés et migrants, qui effectuait une visite au commissariat d’Aghios Panteleïmon, repéra le requérant et décida de le prendre en charge. Le requérant affirme que les avocats avaient demandé à voir la décision ordonnant son expulsion et sa détention, mais que les officiers de police leur avaient répondu ne pas disposer de cette décision.

16. Le 11 septembre 2009, le requérant forma, par l’intermédiaire de ses avocats, des objections contre sa détention devant la présidente du tribunal administratif d’Athènes. Le même jour, les autorités fournirent aux avocats copie de la décision du 31 août 2009.

17. Dans ses objections, le requérant se plaignait, entre autres, de ses conditions de détention qu’il qualifiait de « misérables ». Il mentionnait à ce titre la surpopulation, le manque de lits pour tous les détenus, les conditions d’hygiène déplorables, le manque d’éclairage, l’impossibilité de prendre l’air et la présence de personnes très malades qui constituaient, selon lui, un danger pour les autres. Il prétendait qu’il était un mineur non-accompagné et que les autorités avaient mal transcrit son année de naissance. Il demandait aussi l’assistance judiciaire.

18. Le document de la police qui transmit les objections du requérant au tribunal administratif mentionnait comme date de naissance le 1er janvier 1985.

19. Par une décision du 15 septembre 2009, la présidente du tribunal administratif d’Athènes le débouta sans répondre à sa demande d’assistance judiciaire. Elle soulignait dans sa décision que, indépendamment de la question de savoir s’il risquait ou non de fuir, le requérant était considéré comme une personne indésirable et qu’il avait été condamné pénalement pour parjure et diffamation calomnieuse (voir ci-dessous « Les poursuites pénales engagées contre le requérant »), infractions démontrant qu’il représentait une menace pour l’ordre public. Elle précisait que le fait qu’il avait formulé une demande d’asile politique n’avait aucune incidence.

La décision mentionnait comme date de naissance du requérant l’année 1987.

20. Le 18 septembre 2009, le requérant interjeta appel de cette décision devant la présidente du tribunal administratif. Il se plaignait de ses conditions de détention et soutenait qu’aucune décision d’expulsion ne lui avait été notifiée jusqu’à la date du dépôt de ses objections, qu’il était demandeur d’asile et mineur, ce dont les autorités judiciaires n’auraient pas tenu compte. Enfin, il alléguait que son entrée illégale sur le territoire pour laquelle il avait été condamné ne constituait pas une infraction importante et qu’il ne représentait pas une menace pour l’ordre public.

21. Par une décision du 24 septembre 2009, la présidente du tribunal administratif, faisant référence à des décisions des 31 août et 1er septembre 2009 (voir infra, §§ 26 et 27) rendues dans le cadre des poursuites pénales, statua ainsi :

« Considérant que les décisions judiciaires susmentionnées constituent des éléments nouveaux susceptibles de justifier la levée de la décision du 15 septembre 2009. Les faits que [le requérant] a été acquitté, qu’il n’a pas fait l’objet de poursuites pénales pour diffamation calomnieuse, qu’il n’a commis aucune autre infraction et qu’il a été condamné seulement pour entrée illégale sur le territoire ne suffisent pas pour que l’on puisse le considérer comme une menace pour l’ordre public. Tenant compte du fait que l’intéressé ne s’est jamais vu délivrer un titre de séjour, qu’il n’a pas la possibilité de régulariser sa situation, qu’il n’invoque pas de circonstances personnelles ou professionnelles concrètes, stables et en relation avec un lieu déterminé, le tribunal estime qu’[il] risque de fuir et, par conséquent, décide de le maintenir en détention. »

C. Les poursuites pénales engagées contre le requérant

22. Le 28 août 2009, à 3 h 00, le requérant déposa par l’intermédiaire d’un interprète au sujet de la rixe à laquelle il avait assisté. Il déclara qu’il s’appelait Ahmade Sedmjed, qu’il était né le 21 février 1985, qu’il avait, pendant les deux années ayant précédé son arrestation, résidé à Athènes (49, rue Aristomenous) et qu’il travaillait comme tailleur.

23. Deux des accusés dans les faits relatifs à la rixe portèrent plainte contre le requérant pour diffamation.

24. A 4 h 20, le requérant fut placé en détention. Il était soupçonné d’avoir commis les infractions suivantes : fausse déclaration devant une autorité publique, parjure et diffamation calomnieuse ; violation de la loi no 3386/2005 relative à l’entrée et au séjour des étrangers sur le territoire grec ; et dénonciation mensongère de deux étrangers comme ayant pris part à la rixe du 27 août. A 7 h 45, assisté d’un interprète, il présenta ses arguments en défense. Par la suite, il fut présenté devant le procureur sans interprète ni avocat.

25. Le procureur renvoya le requérant en jugement selon la procédure de flagrant délit devant le tribunal correctionnel d’Athènes du chef d’entrée illégale sur le territoire. L’acte d’accusation désignait l’intéressé sous le nom d’Ahmade Sexdmjed, né le 21 février 1985. Le tribunal reporta l’examen de l’affaire au 29 puis au 31 août 2009 en raison de l’absence d’interprète et ordonna la prolongation de la détention du requérant.

26. A l’audience du 31 août 2009, aucun interprète n’était présent, le requérant ne fut pas interrogé pour savoir s’il souhaitait être assisté d’un avocat d’office et il ne fut pas invité à décliner son identité et son âge. Par une décision de la même date (indiquant comme date de naissance du requérant le 21 février 1985), l’intéressé fut condamné à une peine d’emprisonnement de trente jours avec effet suspensif pendant trois ans ainsi qu’aux dépens (d’un montant de 40 euros) pour entrée illégale sur le territoire. Comme le requérant ne pouvait pas s’acquitter de ce montant, il fut détenu au commissariat de Aghios Panteleïmon pendant huit jours.

27. Le 29 août 2009, le requérant avait par ailleurs été renvoyé en jugement devant le tribunal correctionnel, selon la procédure de flagrant délit, du chef de fausse déclaration devant une autorité publique. Il lui était reproché d’avoir transcrit son nom avec différentes variantes. Le 1er septembre 2009, le tribunal correctionnel l’acquitta au bénéfice du doute. La décision indiquait comme date de naissance « 1987 ou 1991 ». Le requérant n’était pas assisté, cette fois non plus, par un avocat.

28. Aucune poursuite ne fut engagée contre le requérant pour parjure et diffamation calomnieuse.

D. Les conditions de détention du requérant

29. Le requérant fut détenu quatre-vingt-trois jours au total dans des cellules pour adultes : du 27 août 2009 au 24 septembre 2009, au commissariat d’Aghios Panteleïmon, puis au commissariat de Pagrati jusqu’au 18 novembre 2009, date de sa remise en liberté.

30. Selon le requérant, les conditions de détention aux deux postes de police étaient « inhumaines et dégradantes » : cellules surpeuplées et très sales, absence d’aération naturelle, impossibilité de faire de l’exercice physique. Les conditions l’auraient affecté à un tel point qu’il aurait refusé de s’alimenter. Le requérant ajoute que, alors qu’il était détenu au commissariat de Pagrati, il avait souffert de problèmes psychologiques qui l’auraient poussé à frapper sa tête contre les murs et à faire une grève de la faim.

31. Selon le Gouvernement, l’espace dans lequel sont placés les détenus au commissariat de Pagrati est composé de trois cellules situées au sous-sol du bâtiment, de 14 m² chacune et d’une capacité totale de quinze personnes. La lumière naturelle et l’aération se feraient par des fenêtres donnant sur la cour du bâtiment. Les cellules seraient nettoyées par une société de nettoyage privée et désinfectées une fois par mois par une société spécialisée. Les détenus recevraient trois repas quotidiens, fournis par la cantine de la Direction générale de la police d’Attique. Ils disposeraient d’un téléphone à carte installé dans le couloir.

32. Le 3 octobre 2009, le requérant fut transféré à l’hôpital pour y être traité pour la gale. Il retourna le même jour dans sa cellule au commissariat de police. Il allègue que les médicaments qui lui auraient été prescrits par le médecin ne lui ont pas été administrés pendant la totalité de la période recommandée.

33. La communication du requérant avec ses avocats se faisait à travers les barreaux de sa cellule, en présence d’autres détenus et d’agents de police.

34. Les avocats du requérant, reprochant aux officiers de police de ne jamais leur avoir montré les décisions ordonnant la détention du requérant, informèrent ceux-ci qu’ils avaient déposé une demande d’asile et les invitèrent à faire sortir le requérant de sa cellule afin qu’ils pussent s’entretenir avec lui de manière confidentielle. Les officiers de police ne firent pas droit à cette demande.

E. La visite du médiateur de la République au commissariat d’Aghios Panteleïmon

35. Le 10 septembre 2009, le médiateur de la République, alerté par l’association des avocats pour les droits des réfugiés et des migrants, et se fondant sur l’article 4 § 5 de la loi no 3094/2005 (qui l’autorise à demander aux autorités des informations concernant une affaire, d’entendre des personnes, de faire des visites sur les lieux et d’ordonner des expertises), se rendit au commissariat d’Aghios Panteleïmon pour s’enquérir de la situation du requérant ainsi que d’un autre étranger qui y était détenu. Dans son rapport, daté du même jour, le médiateur relevait ce qui suit :

« L’espace de détention était constitué de trois cellules avec quatre lits (d’une capacité totale de 12 personnes). A la date de notre visite (...) il y avait 21 personnes. A l’entrée des cellules, il y avait des couvertures et des matelas pour les détenus en surnombre. Comme nous en a informés le policier qui nous accompagnait, il existait trois toilettes dans cet espace de détention. Les conditions étaient assez mauvaises (aération insuffisante, mauvais éclairage, propreté insuffisante, impossibilité de sortir dans une cour). En dépit du fait (...) que le commissariat avait été transféré dans ce bâtiment sept ans plus tôt, l’espace montrait des signes manifestes d’usure.

Par la suite, nous avons demandé à voir les deux détenus. D’abord, nous avons rencontré M. Ahmade Seydmajed qui, lors de son arrestation, avait déclaré qu’il était mineur (année de naissance 1993). Notre communication avec lui était particulièrement difficile parce qu’il ne connaissait suffisamment ni le grec ni l’anglais. Lors de notre entretien (...), il nous a précisé qu’il avait été arrêté (...) et qu’il avait d’abord été détenu pendant quatre jours dans les cellules de la direction de la sûreté avant d’être transféré dans les cellules du commissariat dans lequel il se trouvait depuis huit jours. Lorsque nous lui avons demandé s’il connaissait la raison de sa détention, il nous a répondu [qu’au moment de son arrestation] il était arrivé depuis quelques jours clandestinement dans le pays sans posséder des documents en règle. Nous lui avons demandé s’il avait déposé une demande d’asile et il nous a répondu qu’il l’avait fait quelques jours plus tôt, pendant sa détention, et par l’intermédiaire de ses avocats, mais qu’il ne savait pas si cette demande avait déjà été examinée.

(...)

Il convient de mentionner que, lors de notre visite, nous avons rencontré d’autres étrangers, eux aussi détenus dans le cadre de la procédure d’expulsion, et que certains d’entre eux ont déclaré se trouver là depuis plus de cent jours. »

F. La remise en liberté du requérant

36. Le 18 novembre 2009, le requérant fut remis en liberté. La police des étrangers d’Attique lui remit une « note de service » dans laquelle il était inscrit sous le nom Ahmedi/Sedmjed et le prénom Sediami/Ahmade, né le 1er janvier 1985. La note précisait que le chef de la police des étrangers d’Attique avait suspendu l’exécution de la décision d’expulsion jusqu’à la décision sur la demande d’asile (article 78 de la loi no 3386/05). Elle précisait aussi que l’Etat prendrait en charge les frais de voyage du requérant vers son pays si celui-ci souhaitait quitter de son plein gré le territoire. La police des étrangers remit en outre à l’intéressé une citation à comparaître devant la commission consultative d’asile, sur laquelle il était inscrit comme Ahmade Seydmajed, né en 1993.

G. La demande d’asile du requérant

37. Le 8 septembre 2009, alors qu’il était détenu au commissariat d’Aghios Panteleïmon, le requérant avait déposé une demande d’asile. Rédigée par les avocats qui l’avaient pris en charge (paragraphe 15 ci-dessus), la demande indiquait les nom et prénom du requérant, les prénoms du père et de la mère de celui-ci, sa nationalité afghane et 1993 comme année de naissance. Le contenu de la demande était le suivant :

« Je demande à être reconnu comme réfugié conformément à la Convention de Genève de 1951 relative au statut juridique des réfugiés. »

38. Le 25 septembre 2009, des représentants du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) invitèrent le directeur de la police des étrangers d’Attique à examiner en priorité la demande d’asile du requérant.

39. Le 7 octobre 2009, le requérant se présenta devant la direction des étrangers d’Attique et se vit fixer un rendez-vous au 13 octobre 2009 pour un entretien devant la 6e commission consultative pour les réfugiés. La convocation délivrée au requérant indiquait comme date de naissance de celui-ci le 1er janvier 1993. L’entretien fut reporté au 24 novembre 2009 pour que l’avocat du requérant pût être présent. A cette date, la direction des étrangers délivra une attestation de demandeur d’asile au requérant (indiquant comme date de naissance le 1er janvier 1994) et le ministère de la Santé fut chargé de lui trouver un hébergement.

40. Lors de l’entretien devant la commission consultative, le requérant déclara qu’il était un ressortissant afghan, né le 1er janvier 1994 en Iran, de confession musulmane, et qu’il avait fui son pays parce qu’il craignait pour sa sécurité personnelle et pour des raisons d’ordre racial.

41. Dans son avis du 24 novembre 2009, la commission consultative indiquait comme date de naissance du requérant le 1er janvier 1994, précisant que c’était sur la base de la déclaration de ce dernier. Elle relevait, entre autres, que, en examinant la demande du requérant, elle avait pris en compte l’article 3 de la Convention internationale sur les droits de l’enfant de 1989 et que l’intérêt de celui-ci en tant que mineur était de vivre avec sa grand-mère auprès de qui il avait grandi. Elle estimait que, s’il restait en Grèce, il risquait d’être exploité par des réseaux exploitant le travail d’enfants.

42. Par une décision du 14 décembre 2009, notifiée au requérant le 19 décembre 2009, la direction des étrangers rejeta la demande d’asile. Elle s’exprima ainsi :

« Compte tenu (...) des éléments du dossier et de l’entretien, la Commission est d’avis, à l’unanimité, que les conditions légales pour reconnaître le requérant comme réfugié et lui accorder l’asile ne sont pas réunies. Celui-ci a déclaré et affirmé qu’il avait fui son pays parce qu’il craignait pour sa vie en raison de la situation explosive régnant en Afghanistan, où des confrontations armées causaient beaucoup de victimes civiles, et qu’il appartenait à l’ethnie des « Saïd », qui subissaient un traitement discriminatoire systématique. Toutefois, il n’a pas exposé des faits ou des actions de persécution à son encontre pour étayer ses allégations. Il a mentionné qu’il avait quitté l’Iran, où il était né et où il avait grandi avec sa grand-mère, car il était clandestin et qu’il risquait d’être expulsé vers l’Afghanistan. Or cette allégation n’a pas été considérée comme convaincante par la Commission, parce que l’intéressé fréquentait normalement une école iranienne, qu’il travaillait normalement et que le reste de sa famille résidait en Iran sans être inquiétée. Ses allégations ne suffisent pas à fonder une crainte de persécution individualisée par les autorités de son pays pour des motifs de race, de religion, de nationalité, de classe sociale ou de convictions politiques (...) Par conséquent, sa demande d’asile est manifestement mal fondée et abusive, car il résulte de ce qui précède qu’il utilise la demande et la procédure d’asile pour faciliter son séjour en Grèce afin de trouver du travail et améliorer ses conditions de vie. »

43. La décision accordait au requérant un délai de soixante jours à compter de la notification pour quitter le territoire.

44. Le requérant saisit alors le Conseil d’Etat d’une action en annulation de cette décision et, le 10 février 2010, d’une demande de sursis à exécution de celle-ci. L’audience pour l’examen de la demande de sursis, initialement fixée au 15 mars 2011, eut lieu le 26 janvier 2012.

45. Le 8 avril 2010, sur demande du requérant, le Conseil d’Etat décida d’exonérer le requérant des frais de justice devant cette juridiction.

46. Le 28 janvier 2011, le président de la 4e chambre raya l’affaire du rôle et, le 17 mai 2011, le dossier fut transmis à la cour administrative d’appel d’Athènes, en vertu des articles 49 et 50 de la loi no 3900/2010 qui attribuaient l’examen de ce type d’affaires aux cours administratives d’appel.

47. Entre-temps, un décret présidentiel no 114/2010, publié le 22 novembre 2010, avait réintroduit le droit des demandeurs d’asile de solliciter le réexamen de leur demande par l’administration (une commission composée d’un représentant du ministère de l’Intérieur ou du ministère de la Justice, d’un représentant du HCR et d’un juriste expert en droits de l’homme ou en droit des réfugiés).

48. En vertu de l’article 32 du décret, le requérant disposait d’un délai de trois mois pour solliciter ce réexamen, mais il ressort d’un document de la Police hellénique (section de l’asile politique) qu’il n’a pas fait usage de cette possibilité.

49. Par un arrêt du 7 février 2012, la cour administrative d’appel, statuant en chambre du conseil, (qui était devenu entre temps compétente pour se prononcer sur ce type de demandes) rejeta la demande de sursis en relevant entre autres que le requérant n’avait apporté aucun élément de preuve de nature à étayer son allégation qu’en cas d’expulsion en Iran il risquait de subir de persécutions, et à justifier que ses craintes en cas de retour dans ce pays étaient justifiées. En outre, son allégation qu’il serait personnellement en danger en Iran était formulée de manière abstraite et ne se fondait pas sur des poursuites dont il aurait fait antérieurement l’objet ou sur des faits qu’il aurait lui-même vécus.

H. Les démarches entreprises pour déterminer l’âge du requérant

50. Le 21 septembre 2009, en introduisant la présente requête, le requérant saisit la Cour d’une demande d’application de mesures provisoires. Dans sa demande, il sollicitait sa remise en liberté ainsi que la levée de la mesure d’expulsion prise à son encontre. Il alléguait à cet égard qu’il était né en 1993, qu’il était donc mineur et qu’une éventuelle expulsion vers l’Afghanistan ou vers un autre pays irait à l’encontre des droits de l’enfant. Le même jour, la Cour demanda au requérant de lui fournir des éléments de preuve attestant son âge, ainsi que le caractère imminent de son expulsion. Le même jour, l’avocate du requérant répondit que celui-ci n’avait pas sur lui de documents prouvant son âge, et qu’il ne connaissait ni la date de son expulsion ni le pays de destination. Elle demanda en outre que l’Etat grec procédât à une estimation de l’âge du requérant de façon scientifique (age assessment).

51. Par une lettre du 15 octobre 2009, la Cour invita le Gouvernement à lui faire parvenir un rapport scientifique permettant de déterminer l’âge du requérant et établi par un médecin, un psychologue, un éducateur spécialisé ou tout autre professionnel habilité.

52. Le 21 octobre 2009, un officier de la police des étrangers se rendit auprès du requérant, alors détenu au poste de police de Pagrati, l’informa de cette lettre de la Cour et lui demanda s’il consentait à se soumettre à un examen radiologique. Le requérant répondit qu’il préférait être examiné par un pédopsychiatre spécialisé pour les réfugiés mineurs non accompagnés et qu’il ne souhaitait pas se soumettre à un examen radiologique pour des raisons liées à sa santé. Le Gouvernement informa la Cour de la réponse du requérant.

53. Le 6 novembre 2009, le requérant fut emmené au service médico-légal de la faculté dentaire de l’université d’Athènes afin d’être soumis à un examen radiologique de la mâchoire. Selon les médecins, seul un tel examen permettrait de déterminer l’âge du requérant. Alors qu’il se trouvait déjà à la faculté dentaire, le requérant demanda et fut autorisé à prendre contact avec son avocate en présence d’un interprète. En raison du refus du requérant le 21 octobre 2009, réitéré le 6 novembre devant le médecin et en présence de l’interprète, l’examen n’eut pas lieu et le médecin effectua seulement un examen visuel. L’officier de police qui accompagnait le requérant s’entretint aussi avec l’avocate qui, selon cet officier, ne s’était pas opposée à l’examen en question.

54. Dans un rapport du 13 novembre 2009, un professeur de la faculté dentaire affirma que la détermination de l’âge des êtres humains ne pouvait se faire qu’au moyen d’un examen radiologique de la mâchoire et qu’un tel examen ne comportait aucun risque pour la santé des personnes examinées. Il concluait qu’il n’avait pas été possible de donner une indication de l’âge du requérant.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

55. L’article 572 du code de procédure pénale prévoit :

« 1. Le procureur près le tribunal correctionnel du lieu où la peine est purgée exerce les compétences prévues par le code [de procédure pénale] concernant le traitement des détenus et contrôle l’exécution des peines et l’application des mesures de sécurité, conformément aux dispositions du présent code, du code pénal et des lois y afférentes.

2. En vue d’exercer les fonctions susmentionnées, le procureur près le tribunal correctionnel visite la prison au moins une fois par semaine. Lors de ces visites, il entend les détenus qui ont préalablement demandé à être entendus. »

56. Les articles 2, 76 (conditions et procédure de l’expulsion administrative) et 77 (recours contre l’expulsion administrative) de la loi no 3386/2005 relative à l’entrée, au séjour et à l’insertion des ressortissants de pays tiers au territoire grec, tels qu’ils étaient en vigueur au moment des faits, disposaient :

Article 2

« 1. Les dispositions de cette loi ne s’appliquent pas

(...)

c) aux réfugiés et aux personnes qui ont déposé une demande visant à la reconnaissance de leur statut de réfugié, au sens de la Convention de Genève de 1951 (...) »

Article 76

« 1. L’expulsion administrative d’un étranger est permise lorsque :

(...)

c) sa présence sur le territoire grec représente une menace pour l’ordre public ou la sécurité du pays.

2. L’expulsion est ordonnée par décision du directeur de la police et (...) après que l’étranger a bénéficié d’un délai d’au moins quarante-huit heures pour déposer ses objections.

3. Lorsque l’étranger est considéré comme susceptible de fuir ou de représenter une menace pour l’ordre public, les organes mentionnés au paragraphe précédent ordonnent sa détention provisoire jusqu’à l’adoption, dans un délai de trois jours, de la décision d’expulsion (...). L’étranger détenu, peut (...) former des objections devant le président (...) du tribunal administratif à l’encontre de la décision ordonnant la détention (...)

4. Lorsque l’étranger sous écrou en vue de son expulsion n’est pas considéré comme susceptible de fuir ou de représenter une menace pour l’ordre public ou lorsque le président du tribunal administratif s’oppose à la détention de l’intéressé, il est fixé à celui-ci un délai pour quitter le territoire, qui ne peut dépasser trente jours.

5. La décision mentionnée aux paragraphes 3 et 4 de cet article peut être annulée à la requête des parties si la demande est fondée sur des faits nouveaux (...) »

Article 77

« L’étranger a le droit d’exercer un recours contre la décision d’expulsion auprès du ministre de l’Ordre public dans un délai de cinq jours à compter de sa notification (...) La décision est rendue dans un délai de trois jours ouvrables à compter de l’introduction du recours. L’exercice du recours entraîne la suspension de l’exécution de la décision. Dans le cas où la détention est ordonnée en même temps que la décision d’expulsion, la suspension concerne seulement l’expulsion. »

57. Le Gouvernement a déposé en annexe de ses observations certaines décisions rendues par les juridictions administratives grecques et, notamment, le tribunal administratif d’Athènes. Il indique que, en appliquant l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005, ces juridictions examinent, outre la question de savoir si celui qui a formulé des objections risque de fuir ou représente une menace pour l’ordre public (en tenant compte notamment de la question de savoir s’il dispose d’une résidence permanente, d’un emploi ou de relations vitales dans le pays – jugements no 4/2007 du tribunal administratif de Rhodes et no 94/2009 du tribunal administratif d’Héraklion), d’autres motifs pouvant justifier la détention ou sa levée, tels que des motifs de santé de l’intéressé (jugements nos 257/2006, 388/2007 et 2532/2008 du tribunal administratif d’Athènes), l’introduction d’une demande d’asile (jugements nos 84/2007, 125/2007, 301/2007, 598/2007, 600/2007, 799/2007, 813/2007 et 3630/2006 du tribunal administratif d’Athènes, dans lesquels il est indiqué expressément qu’« il est interdit d’expulser un étranger qui a introduit une demande d’asile (...) qui est toujours pendante »), et le statut de mineur de l’étranger (jugement no 4610/2007 du tribunal administratif d’Athènes).

58. Toujours selon le Gouvernement, il a en outre été admis que la suspension de l’exécution (y compris dans le cadre d’un ordre provisoire) de la décision d’expulsion administrative entraînait la levée de la détention puisque, dans un tel cas, la base légale de celle-ci faisait défaut (jugements no 1385/2009 du tribunal administratif d’Athènes, et no 1263/2009 du tribunal administratif de Thessalonique).

59. Enfin, le Gouvernement ajoute qu’un étranger peut introduire une demande de levée de la décision ayant rejeté ses objections, en vertu des dispositions de l’article 76 § 6 de la loi no 3386/2005, à condition de produire de nouveaux éléments qui démontrent une modification des faits sur lesquelles le tribunal s’est fondé pour rejeter les objections, comme, à titre indicatif, lorsqu’il est établi qu’il n’existe plus de perspective d’éloignement de l’étranger, étant donné que celui-ci a obtenu un droit provisoire de séjour légal (décision no 490/2011 du président du tribunal administratif d’Athènes) ou lorsqu’il est établi qu’il n’existe plus de risque de fuite et, partant, plus de motif légitime de détention de l’étranger (décisions nos 438/2011 et 380/2011 du président du tribunal administratif d’Athènes).

60. Les articles 76 et 78 (suspension de l’expulsion) ont été amendés par la loi no 3900/2010 (entrée en vigueur le 1er janvier 2011) et prévoient désormais ce qui suit :

Article 76

« 1. L’expulsion administrative d’un étranger est permise lorsque :

a) l’intéressé a été condamné de manière définitive à une peine privative de liberté d’au moins un an (...) pour avoir porté assistance à des clandestins dans leur entrée dans le pays, ou [lorsqu’il a été condamné] pour avoir facilité le transport et l’entrée dans le pays de clandestins ou pour avoir fourni le gîte à ceux-ci pour qu’ils puissent se cacher (...) ;

b) [l’intéressé] a violé les dispositions de la présente loi ;

c) sa présence sur le territoire grec représente une menace pour l’ordre public ou la sécurité du pays ;

(...)

2. L’expulsion est ordonnée par décision du directeur de la police et (...) après que l’étranger a bénéficié d’un délai d’au moins quarante-huit heures pour déposer ses objections.

3. Lorsque l’étranger est considéré, en raison des circonstances, comme susceptible de fuir ou de représenter une menace pour l’ordre public, lorsqu’il fait obstacle à ou empêche la préparation de son départ ou la procédure de son éloignement, les organes mentionnés au paragraphe précédent ordonnent sa détention provisoire jusqu’à l’adoption, dans un délai de trois jours, de la décision d’expulsion (...) Lorsque la décision d’expulsion est adoptée, la détention se poursuit jusqu’à l’exécution de l’expulsion, mais elle ne peut en aucun cas dépasser six mois. Lorsque l’expulsion est retardée parce que l’étranger refuse de collaborer ou que les documents nécessaires à son expulsion, devant être établis dans le pays d’origine ou le pays de transit, n’ont pas été réceptionnés, la détention peut être prolongée pour une durée ne pouvant dépasser douze mois. L’étranger doit être informé, dans une langue qu’il comprend, des raisons de sa détention et sa communication avec son avocat doit être facilitée. L’étranger détenu peut (...) former, devant le président (...) du tribunal administratif (...) de la région dans laquelle il est détenu ou devant le juge désigné par le président, des objections à l’encontre de la décision ayant ordonné sa détention ou la prolongation de celle-ci.

4. Les objections doivent contenir des motifs concrets ; elles peuvent également être soumises oralement, auquel cas le greffier les répercute dans un rapport.

Pour l’examen de ces dispositions, l’article 27 § 2 c) et l’article 204 § 1 du code de procédure administrative s’appliquent. Si l’étranger demande à être entendu, le juge est obligé de l’entendre (...) Le juge peut aussi, dans tous les cas, ordonner de sa propre initiative la comparution de l’étranger.

Les allégations présentées lors de cette procédure doivent être prouvées séance tenante.

Le juge compétent, selon le paragraphe 3, qui statue sur la légalité de la détention ou sur la prolongation de celle-ci, rend sa décision séance tenante sur les objections. Le juge formule cette décision de manière sommaire dans un procès-verbal. Copie du procès-verbal est transmise immédiatement aux autorités de police.

Si la procédure a lieu un jour férié, la présence du greffier n’est pas nécessaire et le procès-verbal précité ainsi que le rapport mentionné à l’alinéa 1 sont rédigés par le juge lui-même. Cette décision n’est soumise à aucune voie de recours.

5. Lorsque l’étranger détenu dans l’attente de son expulsion n’est pas considéré comme susceptible de fuir ou de représenter une menace pour l’ordre public, ou lorsque le président du tribunal administratif s’oppose à sa détention, il est fixé à l’intéressé un délai pour quitter le territoire, qui ne peut dépasser trente jours, excepté lorsqu’il existe des motifs pour lesquels l’expulsion ne peut pas être effectuée.

6. La décision mentionnée aux paragraphes 3 et 4 du présent article peut être annulée à la requête des parties, si leur demande est fondée sur des faits nouveaux (...) »

Article 78

« Si l’expulsion immédiate de l’étranger n’est pas possible pour des motifs de force majeure, le ministre de l’Ordre public (...) peut décider de suspendre l’exécution de la décision d’expulsion. Par une autre décision, il impose à l’étranger des mesures restrictives. »

61. L’article 13 du décret présidentiel no 114/2010 (statut du réfugié : procédure unique applicable aux étrangers et apatrides), qui incorpore dans l’ordre juridique grec la directive du Conseil 2005/85/EC du 1er décembre 2005 (sur les normes minimales au sujet des procédures suivant lesquelles les Etats membres accordent et retirent le statut de réfugié), dispose :

« 1. Aucun ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui demande la protection internationale ne peut être détenu pour le seul motif qu’il est entré et qu’il séjourne clandestinement dans le pays. La personne qui, lors de sa détention, dépose une demande de protection internationale reste en détention si les conditions du paragraphe 2 sont réunies.

2. La détention de demandeurs dans un espace approprié est permise de manière exceptionnelle et lorsque des mesures alternatives ne peuvent pas être appliquées pour l’une des raisons suivantes :

a) le demandeur ne dispose pas de documents de voyage ou les a détruits et il est nécessaire de vérifier son identité, les circonstances de son entrée dans le pays et les données réelles concernant sa provenance, et ce notamment dans le cas d’arrivée massive d’étrangers clandestins ;

b) le demandeur représente une menace pour la sécurité nationale ou l’ordre public pour les motifs qui sont spécifiquement détaillés dans la décision de détention ;

c) la détention est jugée nécessaire pour un examen rapide et efficace de la demande.

3. La décision ordonnant la détention des demandeurs de protection internationale est prise par le directeur de la police compétent et, s’agissant des directions générales de la police d’Attique et de Thessalonique, par le directeur de la police compétent pour les étrangers. La décision doit comporter une motivation complète et détaillée.

4. La détention est imposée pour la durée strictement nécessaire et ne peut en aucun cas dépasser quatre-vingt-dix jours. Si le demandeur a été détenu auparavant en vue de son expulsion administrative, la durée totale de sa détention ne pourra pas dépasser cent quatre-vingts jours.

5. Les demandeurs détenus conformément aux paragraphes précédents ont le droit (...) de formuler des objections prévues au paragraphe 3 de l’article 76 de la loi no 3386/2005 modifiée.

6. Si des demandeurs sont en détention, les autorités (...) s’engagent à :

a) veiller à ce que les femmes soient détenues dans un espace séparé de celui des hommes ;

b) éviter la détention de mineurs. Les mineurs qui ont été séparés de leur famille ou qui ne sont pas accompagnés ne sont détenus que pour la période nécessaire à leur transfert sécurisé dans des structures appropriées pour l’hébergement de mineurs ;

c) éviter la détention de femmes enceintes dont la grossesse est à un stade avancé et de femmes qui viennent d’accoucher ;

d) offrir aux détenus les soins médicaux appropriés ;

e) garantir le droit des détenus à une assistance juridique ;

g) veiller à ce que les détenus soient informés des motifs et de la durée de leur détention. »

62. Dans sa version antérieure à 2010, le même article (intitulé « Détention des demandeurs d’asile ») prévoyait :

« 1. Aucun ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui demande à bénéficier du statut de réfugié ne peut être détenu pour le seul motif qu’il est entré et qu’il séjourne clandestinement dans le pays. La personne qui a déposé une demande d’asile alors qu’elle est détenue et à l’encontre de laquelle une procédure d’expulsion est pendante restera en détention et sa demande sera examinée en priorité. Elle ne peut pas être expulsée tant que la procédure administrative d’asile n’est pas achevée.

(...)

3. Les demandeurs d’asile détenus (...) ont le droit de former un recours et de formuler des objections en vertu de l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005. »

63. L’article 6 de la décision ministérielle no 4803/13/7/18.26/6/1992, relative à la fixation des détails pour l’exécution des décisions d’expulsion des étrangers, prévoit :

« Les étrangers sous le coup d’une mesure d’expulsion sont détenus dans les cellules des services de police ou dans d’autres endroits appropriés déterminés par ordre du ministre de l’Ordre public. Les règles applicables à tous les détenus s’appliquent à eux en ce qui concerne l’alimentation, les soins médicaux et la manière dont ils sont traités. »

64. Les dispositions pertinentes de l’article 52 du décret présidentiel no 18/1989, tel qu’il a été modifié par l’article 34 § 3 de la loi no 3772/2009, se lit ainsi :

« 1. Si le Conseil d’Etat est saisi d’un recours en annulation, le ministre compétent (...) peut, à la suite d’une demande de celui qui a introduit le recours, ordonner la suspension de l’exécution de l’acte attaqué.

2. Une commission établie à chaque fois par le Président du Conseil d’Etat ou de la Section compétente, composé de lui-même ou de son substitut, du rapporteur et d’un conseiller, peut, à la suite d’une demande de celui qui a introduit un recours en annulation, suspendre l’exécution de l’acte attaqué par une décision brièvement motivée qui est rendue en chambre du conseil. Cette disposition s’applique aussi aux recours en annulation introduits devant le tribunal administratif.

(...)

5. Le Président du Conseil d’Etat ou de la Section compétente peut délivrer un ordre provisoire de sursis à exécution de l’acte administratif attaqué qui est enregistré sur la demande y relative. Dans ce cas, le rapporteur est immédiatement désigné et la date d’audience du recours en annulation immédiatement fixée. Les notifications nécessaires selon le paragraphe 3 de cet article sont faites à l’initiative du demandeur.

Le Président statue sur la demande d’ordre provisoire dans le délai le plus bref possible après la production du récépissé de notification (...). Le ministre ou la personne morale de droit public peuvent soumettre leurs observations dans les cinq jours ouvrables suivant la notification. En cas d’extrême urgence, le Président prend sa décision en l’absence de toute notification. S’il fait droit à la demande d’ordre provisoire, les notifications sont faites sans retard par le demandeur. (...) »

65. L’article 66 § 6 du décret no 141/1991 relatif à la compétence des organes du ministère de l’Ordre public se lit ainsi :

« Il n’est pas permis de détenir des prévenus et des condamnés dans les commissariats de police excepté pendant le temps absolument nécessaire à leur transfert en prison ou lorsque le transfert immédiat vers une prison n’est pas possible. »

66. L’article 15 de la loi no 3068/2002 (mise en conformité de l’administration avec les décisions judiciaires et autres dispositions) prévoit :

« Relèvent de la compétence du tribunal administratif composé de trois membres les recours en annulation qui sont dirigés contre des actes administratifs individuels émis en application de la législation relative aux étrangers et qui concernent :

(...)

f) l’expulsion administrative ;

(...) »

III. TEXTES INTERNATIONAUX

67. A la suite de sa visite en Grèce du 8 au 10 décembre 2008, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a rédigé un rapport sur la question des droits de l’homme des demandeurs d’asile. Dans son paragraphe 46, le rapport précisait :

« L’attention des autorités est également attirée sur les normes relatives à la détention de ressortissants étrangers établies par le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) ainsi que sur les recommandations qu’il a formulées à l’intention des autorités grecques en vue d’améliorer les conditions de détention, notamment dans les locaux de la police et des postes frontière ainsi que dans les centres de rétention pour étrangers. En tout cas, le Commissaire tient à souligner qu’il faut mettre un terme immédiat et définitif à la détention de migrants dans des conditions sordides et dégradantes telles que celles qu’il a observées au poste frontière de Ferres. »

68. Le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture a effectué une visite en Grèce du 10 au 20 octobre 2010. En ce qui concerne les conditions de détention dans les commissariats de police qu’il a visités (ceux d’Aghios Panteleïmon, d’Omonia et de l’Acropole), il constatait que les commissariats semblaient servir de lieux de détention pour les immigrés clandestins pour des périodes pouvant aller jusqu’à six mois. Il indiquait que les détenus devaient obtenir l’autorisation des policiers pour utiliser les toilettes, qu’ils ne pouvaient pas se doucher, qu’ils étaient obligés de dormir pour des périodes de deux semaines sur des bancs ou par terre, et que les cellules au commissariat d’Aghios Panteleïmon étaient sombres et étouffantes.

69. Dans sa déclaration publique du 15 mars 2011, faite en vertu de l’article 10 § 2 de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (CPT) relevait ce qui suit :

« Dans le rapport relatif à sa visite de 1997 en Grèce, le CPT faisait déjà part de sa préoccupation quant à l’approche des autorités grecques vis-à-vis de la rétention des étrangers en situation irrégulière. Le Comité a fait clairement savoir que retenir des étrangers en situation irrégulière « pendant des semaines, voire des mois, dans des locaux très mal équipés, mal éclairés et/ou mal aérés, sans les faire bénéficier d’exercice en plein air chaque jour ni [d’]un minimum d’activités pour s’occuper pendant la journée, était inacceptable et pouvait même être considéré comme un traitement inhumain et dégradant ».

(...)

Les rapports relatifs aux visites de 2005, 2007, 2008 et 2009 brossent tous un tableau similaire des très mauvaises conditions dans lesquelles les étrangers en situation irrégulière étaient retenus dans les commissariats de police et dans d’autres locaux inadaptés, souvent des entrepôts désaffectés, pour des périodes pouvant aller jusqu’à six mois, voire pour des périodes encore plus longues, sans aucune possibilité de faire de l’exercice en plein air ni de s’adonner à des activités et sans bénéficier de soins de santé adéquats. Les recommandations visant à améliorer la situation ont continué cependant d’être ignorées. Bien que des étrangers en situation irrégulière soient arrivés en Grèce en nombres importants par ses frontières terrestres et maritimes orientales pendant plusieurs années, aucune mesure n’a été prise afin d’adopter une approche coordonnée et acceptable concernant leur rétention et leur prise en charge.

(...)

En janvier 2010, le CPT a eu des entretiens à haut niveau avec les autorités grecques à Athènes afin de leur faire bien comprendre l’urgence qu’il y avait à nouer un dialogue constructif avec le Comité et à prendre des mesures pour améliorer les conditions dans lesquelles étaient maintenus les étrangers en situation irrégulière et les personnes incarcérées.

Les autorités grecques ont continué de répéter que des mesures étaient en cours pour améliorer la situation. Ainsi, dans une lettre en date du 23 novembre 2009, elles ont informé le CPT qu’elles mettraient fin au placement en rétention administrative des étrangers en situation irrégulière dans les commissariats de police et postes de surveillance des gardes-frontière et qu’à l’avenir, ces personnes seraient placées dans des centres de rétention spécifiquement conçus à cet effet. (...)

Malheureusement, les constatations faites pendant la récente visite du CPT en Grèce, en janvier 2011, ont montré que les informations fournies par les autorités n’étaient pas fiables. Les établissements de police et des gardes-frontière abritaient un nombre sans cesse plus important d’étrangers en situation irrégulière dans des conditions bien pires encore. (...) »

EN DROIT

I. SUR LA QUESTION DE SAVOIR SI LE REQUÉRANT ÉTAIT MINEUR À L’ÉPOQUE DES FAITS

70. Le Gouvernement affirme que le requérant n’était pas mineur à l’époque des faits et que, même s’il existait un doute sur ce point, cela ne devrait pas être utilisé contre l’Etat, car les autorités auraient fait tout leur possible, dans le cadre de la procédure relative à l’article 39, pour déterminer l’âge de l’intéressé.

71. Le Gouvernement expose que non seulement le requérant a fait des déclarations contradictoires concernant son âge lors des procédures administratives et judiciaires nationales, mais qu’en plus il a refusé de se soumettre à un examen médical aux fins de déterminer son âge. Il affirme en outre qu’un mineur – qualité que le requérant revendique avoir eue au moment des faits – ne peut pas donner pouvoir à un avocat pour le représenter devant le Conseil d’Etat.

72. Le requérant soutient à son tour que, lors de l’examen de sa demande d’asile, les autorités nationales ont reconnu qu’il était mineur. L’indication erronée de son âge sur certains documents officiels serait le résultat non pas de son attitude mais de l’absence totale de garanties procédurales au moment de l’arrestation, de l’enregistrement, de la détention par les autorités de police et de la procédure administrative relative à ces actes. Lors de l’examen de sa demande d’asile, pour lequel il aurait bénéficié de l’assistance d’un interprète, son identité et l’année de sa naissance auraient été transcrites correctement.

73. Le requérant prétend en outre qu’il n’a pas refusé de se soumettre à un examen radiologique à même de déterminer son âge. Il affirme que les autorités l’ont laissé choisir entre un tel examen et une entrevue avec un psychologue spécialiste de l’enfance, et qu’il aurait opté pour cette dernière au motif qu’il aurait eu besoin d’une telle aide pendant sa détention au commissariat de Pagrati.

74. La Cour note d’emblée que, sur les documents officiels relatifs aux procédures qui se déroulaient devant elles, les autorités de police, les autorités judiciaires et celles chargées de l’examen de la demande d’asile du requérant ont indiqué à chaque fois et au moins à treize reprises une autre année ou date de naissance de l’intéressé.

75. Ainsi, les autorités de police ont indiqué comme année de naissance du requérant :

– 1987 au moment de son arrestation à Lesbos en 2007,

– 1991 lors des trois arrestations en Attique en 2008,

– 1987 sur la décision d’expulsion du 27 août 2009,

– 1985 sur le procès-verbal de la notification de la décision d’expulsion du 10 septembre 2009,

– 1985 sur le document du 12 septembre 2009 par lequel la police a transmis au tribunal administratif les objections de l’intéressé contre sa détention,

– 1993 sur la convocation à l’entretien devant la Commission consultative pour les réfugiés,

– 1985 sur la « note de police » du 18 novembre 2009, et

– 1994 sur le certificat de demandeur d’asile du 24 novembre 1994.

En outre, la décision du tribunal correctionnel du 31 août 2009 indique 1985, celle de la même juridiction du 1er septembre 2009, les années « 1987 ou 1991 » et celle de la présidente du tribunal administratif du 24 septembre 2009, l’année 1987. Enfin, l’avis de la Commission consultative pour les réfugiés du 24 novembre 2009 mentionne 1994 alors que l’année figurant sur la demande d’asile est 1993.

76. Face à ces dates contradictoires, la Cour, par une lettre du 15 octobre 2009, a invité le Gouvernement à lui faire parvenir, aux fins de déterminer l’âge du requérant, un rapport scientifique établi par un médecin, un psychologue, un éducateur spécialisé ou tout autre professionnel habilité à le faire.

77. La Cour note ensuite que, le 6 novembre 2009, le requérant a été emmené au service médico-légal de la faculté dentaire de l’université d’Athènes afin d’être soumis à un examen radiologique de la mâchoire. Selon les médecins, cet examen était le seul approprié pour déterminer l’âge du requérant. Toutefois, en raison du refus de l’intéressé le 21 octobre 2009 (motivé par des craintes pour sa santé – paragraphes 52-53 ci-dessus), réitéré le jour même de l’examen devant le médecin et en présence d’un interprète, la radiographie n’a pas pu être faite et le médecin s’est borné à effectuer un examen visuel, de sorte qu’il n’a pas été possible de donner une indication, même approximative, de l’âge du requérant.

78. La Cour considère que la conclusion à tirer du refus du requérant de se soumettre à un simple examen radiologique est que ce dernier avait des raisons de craindre que cet examen révélât une réalité qui ne correspondait pas aux âges qu’il avait indiqués aux autorités. A titre complémentaire, la Cour note qu’au moment de son arrestation le 29 août 2009, le requérant, qui se trouvait en Grèce depuis quatorze mois, a lui-même déclaré qu’il était né le 21 février 1985. En outre, si la Commission consultative pour les réfugiés a indiqué que le requérant était né le 1er janvier 1994, elle n’a pas manqué de préciser que c’était sur la base des déclarations faites par le requérant lui-même.

79. La Cour examinera donc les griefs du requérant comme des griefs soulevés par une personne adulte au moment des faits.

II. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 3 ET 13 DE LA CONVENTION

80. Le requérant se plaint des conditions de sa détention aux commissariats de police d’Aghios Panteleïmon (du 27 août au 24 septembre 2009) et de Pagrati (du 24 septembre au 18 novembre 2009). Il allègue aussi que, en cas d’expulsion vers l’Afghanistan, il s’exposerait à des traitements inhumains en raison des conditions régnant dans ce pays. Enfin, il dénonce l’absence d’un recours effectif qui lui aurait permis de se plaindre des conditions de sa détention. Il invoque les articles 3 et 13 de la Convention, qui disposent :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. En ce qui concerne les conditions de détention du requérant

1. Sur la recevabilité

81. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes en ce qui concerne son grief relatif aux conditions de sa détention, car il n’aurait pas fait usage des recours offerts par le droit grec, notamment par l’article 6 de la décision ministérielle no 4803/13/7/18.26/6/1992 (paragraphe 63 ci-dessus). Il soutient que les organes de la Convention ont déjà jugé qu’un requérant devait d’abord saisir le procureur d’une plainte pour dénoncer ses conditions de détention en application de l’article 572 du code de procédure pénale (Bejaoui c. Grèce, no 23916/94, décision de la Commission du 6 avril 1995 ; Mehiar c. Grèce, no 21300/93, décision de la Commission du 10 avril 1996, Décisions et rapports (DR), volume 85, p. 47, et Siasios et autres c. Grèce, no 30303/07, § 19, 4 juin 2009), ou, du moins, alerter les autorités d’une façon ou d’une autre sur ses problèmes, pour leur donner ainsi l’occasion, le cas échéant, de remédier à sa situation (Kaja c. Grèce, no 2927/03, § 40, 27 juillet 2006).

82. Le requérant soutient que les recours suggérés par le Gouvernement sont théoriques et illusoires, et que l’article 6 de la décision ministérielle en question n’établit aucune procédure selon laquelle un détenu pourrait se plaindre des conditions de sa détention, ne désigne pas d’autorité compétente pour examiner une telle action et n’indique pas si l’autorité qui serait appelée à examiner une telle action serait obligée de prendre une décision. Quant à l’article 572 § 1 du code de procédure pénale, à supposer même qu’il s’applique aux personnes détenues dans les commissariats de police et aux procédures d’expulsion administratives, il implique, selon le requérant, que les procureurs se rendent une fois par semaine dans les commissariats et puissent s’entretenir avec les détenus, y compris avec ceux d’entre eux qui ne parlent pas le grec. Or une telle procédure ne serait pas prévue dans l’ordre juridique grec.

83. La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée dans l’article 35 § 1 de la Convention veut qu’avant de saisir un tribunal international, le requérant doit avoir donné à l’Etat responsable la faculté de remédier aux violations alléguées par des moyens internes, en utilisant les ressources judiciaires offertes par la législation nationale pourvu qu’elles se révèlent efficaces et suffisantes (voir, entre autres, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH 1999–I). En effet, l’article 35 § 1 de la Convention ne prescrit l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, parmi beaucoup d’autres, Dalia c. France, 19 février 1998, § 38, Recueil des arrêts et décisions 1998-I).

84. La Cour rappelle aussi qu’elle doit appliquer la règle de l’épuisement des voies de recours internes en tenant compte du contexte, avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif (voir, parmi d’autres, Cardot c. France, 19 mars 1991, § 34, série A nº 200, et Castells c. Espagne, 23 avril 1992, § 27, série A nº 232).

85. La Cour note aussi que la loi no 3386/2005 permet aux tribunaux d’examiner la décision de détenir un migrant clandestin sur le seul fondement du risque de fuite ou de menace pour l’ordre public. Ladite loi ne donne pas compétence aux tribunaux pour examiner les conditions de vie dans les centres de détention pour étrangers clandestins et pour ordonner la libération d’un détenu au motif de ces conditions de détention (A.A. c. Grèce, no 12186/08, § 47, 22 juillet 2010).

86. En l’espèce, en premier lieu, et en ce qui concerne les arrêts évoqués par le Gouvernement à l’appui de ses allégations, la Cour note que, dans les décisions Bejaoui et Mehiar (précitées), les requérants étaient détenus à la prison de Korydallos et non dans des commissariats de police. Quant à l’arrêt Siasios et autres (précité), elle relève que les requérants, détenus dans un commissariat de police, avaient informé le procureur du manque d’espace dont ils souffraient et qu’ils n’ont obtenu aucune réponse, raison pour laquelle le recours n’a pas été jugé effectif.

87. En deuxième lieu, la Cour note que le requérant s’est plaint des mauvaises conditions de sa détention à deux reprises : le 11 septembre 2009, dans ses objections contre sa détention devant la présidente du tribunal administratif d’Athènes, et le 18 septembre 2009, dans son appel devant la même présidente contre le rejet des objections précitées. Elle observe que ce grief n’a donné lieu à aucune réponse de la part de la présidente du tribunal administratif.

88. En dernier lieu, la Cour attribue une importance particulière au contexte de la présente affaire. Elle relève que le requérant expose qu’il était victime des conditions qui régnaient dans l’enceinte desdits commissariats et qui étaient identiques pour l’ensemble des détenus, tout en l’affectant personnellement (voir, mutatis mutandis, R.U. c. Grèce, no 2237/08, § 60, 7 juin 2011). A cet égard, la Cour relève que dans sa déclaration publique du 15 mars 2011, le CPT rappelait que ses rapports relatifs aux visites de 2005, 2007, 2008 et 2009 brossaient tous un tableau sombre des très mauvaises conditions dans lesquelles les étrangers en situation irrégulière étaient retenus dans les commissariats de police et dans d’autres locaux inadaptés, souvent des entrepôts désaffectés, pour des périodes pouvant aller jusqu’à six mois, voire pour des périodes encore plus longues, sans aucune possibilité de faire de l’exercice en plein air ni de s’adonner à des activités et sans bénéficier de soins de santé adéquats. Le CPT soulignait que les assurances des autorités grecques qu’elles mettraient fin au placement en rétention administrative des étrangers en situation irrégulière dans les commissariats de police, n’étaient pas fiables et que les commissariats continuaient à abriter un nombre sans cesse plus important d’étrangers dans des conditions bien pires encore (paragraphe 69 ci-dessus).

89. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que le requérant ne disposait pas d’un recours effectif par le biais duquel il aurait pu se plaindre de ses conditions de détention. Partant, la Cour rejette l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes quant aux conditions de détention de l’intéressé.

90. La Cour constate par ailleurs que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

2. Sur le fond

91. Le Gouvernement soutient que les allégations du requérant concernant les conditions de détention aux commissariats d’Aghios Panteleïmon et de Pagrati ne sont pas fondées. A ses yeux, il n’y avait pas de surpopulation, les détenus étaient correctement nourris et l’éclairage et la ventilation des cellules étaient satisfaisants. Le Gouvernement ajoute que, outre ses doléances relatives à un problème dermatologique, pour lequel le requérant aurait été transféré à l’hôpital et se serait vu prescrire un traitement, l’intéressé n’a pas présenté que des griefs relatifs à sa qualité alléguée de mineur. Il affirme enfin que les autorités ont déployé des efforts soutenus pour améliorer les conditions de détention dans les commissariats et que le nettoyage et la désinfection des cellules étaient confiés à des sociétés privées.

92. Quant au requérant, pour dénoncer ses conditions de détention, il se fonde, entre autres, sur les rapports du CPT, du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe et du Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture décrivant en détail la situation qui régnait à l’époque de sa détention dans les commissariats et les centres de rétention accueillant des étrangers en voie d’expulsion. Il allègue que ses conditions de détention lui ont fait courir un risque permanent pour son intégrité physique et qu’elles ont aggravé son état psychologique déjà affaibli. Il expose que l’effet cumulé de la détention prolongée et des conditions dégradantes, combinées avec la crainte d’être expulsé en Afghanistan où sa vie serait en péril, lui ont causé de graves problèmes psychologiques qui se sont manifestés par de l’insomnie, une grève de la faim et un besoin compulsif de frapper sa tête contre les murs.

93. La Cour rappelle d’abord que l’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs les plus fondamentales des sociétés démocratiques. Cette disposition prohibe en termes absolus la torture et les traitements ou peines inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances et les agissements de la victime (voir, parmi beaucoup d’autres, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000–IV).

94. La Cour rappelle que, toutefois, pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la durée du traitement, de ses effets physiques et/ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, parmi beaucoup d’autres, McGlinchey c. Royaume-Uni, no 50390/99, § 45, CEDH 2003-V).

95. A cet égard, la Cour rappelle aussi que la Convention est un instrument vivant à interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles, et que le niveau d’exigence croissant en matière de protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales implique, parallèlement et inéluctablement, une plus grande fermeté dans l’appréciation des atteintes aux valeurs fondamentales des sociétés démocratiques (Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29810/03, § 97, 24 janvier 2008).

96. Elle réitère que les mesures privatives de liberté s’accompagnent inévitablement de souffrance et d’humiliation et qu’il s’agit là d’un état de fait inéluctable qui, en tant que tel et à lui seul, n’emporte pas violation de l’article 3. Cette disposition impose néanmoins à l’Etat de s’assurer que toute personne privée de liberté est détenue dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités de sa détention ne le soumettent pas à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à une telle mesure et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, sa santé et son bien-être sont assurés de manière adéquate (voir, par exemple, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 92-94, CEDH 2000-XI, et Mouisel c. France, no 67623/01, § 40, CEDH 2002-IX).

97. La Cour rappelle en outre que, dans chaque cas, les allégations de mauvais traitements doivent être prouvées « au-delà de tout doute raisonnable ». En ce sens, un doute raisonnable n’est pas un doute fondé sur une possibilité purement théorique ou suscité pour éviter une conclusion désagréable ; c’est un doute dont les raisons peuvent être tirées des faits présentés. La preuve des mauvais traitements peut également résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants. Par conséquent, afin de déterminer si les traitements dénoncés par un requérant ont vraiment eu lieu, la Cour doit s’appuyer sur l’ensemble des éléments de preuve qu’on lui fournit ou, au besoin, qu’elle se procure d’office (voir, parmi beaucoup d’autres, Čistiakov c. Lettonie, no 67275/01, § 43, 8 février 2007).

98. En l’espèce, la Cour note que, lors de sa visite au commissariat d’Aghios Panteleïmon, le 10 septembre 2009, où se trouvait alors détenu le requérant, le médiateur de la République a constaté que l’espace de la détention était constitué de trois cellules avec quatre lits (d’une capacité totale de 12 personnes) et qu’à la date de la visite il y avait 21 personnes. Le médiateur a indiqué que, à l’entrée des cellules, il y avait des couvertures et des matelas pour les détenus en surnombre. Il a également souligné le manque d’aération, l’insuffisance de l’éclairage, le manque de propreté et l’impossibilité pour les détenus de sortir dans une cour. Il a en outre noté que, en dépit du transfert relativement récent du commissariat dans ce bâtiment (sept ans auparavant), celui-ci présentait des signes manifestes d’usure.

99. De même, la Cour relève que le Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, en visite en Grèce du 10 au 20 octobre 2010, soit un an après la détention du requérant, a constaté, s’agissant des conditions de détention dans les commissariats de police qu’il avait visités (ceux d’Aghios Panteleïmon, d’Omonia et de l’Acropole), que ces commissariats semblaient servir de lieux de détention d’immigrés clandestins pour des périodes pouvant aller jusqu’à six mois. Le rapporteur a notamment indiqué que les détenus devaient obtenir l’autorisation des policiers pour utiliser les toilettes, qu’ils ne pouvaient pas se doucher, qu’ils étaient obligés de dormir pour des périodes de deux semaines sur des bancs ou par terre et que, au commissariat d’Aghios Panteleïmon, les cellules étaient sombres et étouffantes.

100. La Cour ne dispose pas d’informations analogues sur le commissariat de Pagrati qui proviendraient de rapports d’institutions internationales, d’organisations non gouvernementales ou d’autres autorités indépendantes.

101. La Cour note, toutefois, que le requérant a été détenu pendant quatre-vingt-trois jours dans deux commissariats différents. Elle note aussi que l’article 66 § 6 du décret no 141/1991 prévoit qu’il n’est pas permis de détenir des prévenus et des condamnés dans les commissariats de police au-delà de la durée absolument nécessaire à leur transfert en prison ou lorsque le transfert immédiat vers une prison n’est pas possible. En outre, la Cour ne saurait tirer comme argument de l’article 6 de la décision ministérielle no 4803/13/7/18.26/6/1992 que les étrangers peuvent être détenus dans les commissariats pour des périodes de plusieurs semaines en attendant une éventuelle expulsion. Enfin, comme l’a souligné le CPT dans sa déclaration publique du 15 mars 2011 concernant la Grèce, malgré les affirmations des autorités selon lesquelles elles mettraient fin au placement en rétention administrative des étrangers en situation irrégulière dans les commissariats de police et postes de surveillance des gardes-frontière et elles placeraient à l’avenir ces personnes dans des centres de rétention spécifiquement conçus à cet effet, les établissements de police et les postes frontière abritaient un nombre sans cesse plus important d’étrangers en situation irrégulière dans des conditions « bien pires encore ».

102. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que le maintien du requérant en détention dans les commissariats d’Aghios Panteleïmon et de Pagrati a causé à l’intéressé une souffrance considérable et qu’il s’analyse en un traitement dégradant, au sens de l’article 3 de la Convention (Kaja, précité, § 50, Shchebet c. Russie, no 16074/07, § 91, 12 juin 2008, et Siasios et autres, précité, § 33).

103. Partant, il y a eu violation de cette disposition.

104. En outre, étant donné ses considérations ci-dessus quant à la question de l’épuisement des voies de recours internes, la Cour conclut que l’Etat a également manqué à ses obligations découlant de l’article 13 de la Convention.

B. En ce qui concerne le risque allégué en cas d’expulsion du requérant vers l’Afghanistan

1. Sur la recevabilité

105. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas fait usage de la possibilité que lui offrait le décret présidentiel no 114/2011 de déposer une demande d’asile à l’administration pour que celle-ci examine à nouveau au fond cette demande. Il ajoute que cette procédure avait fait l’objet d’une large divulgation parmi les demandeurs d’asile et que 47 000 demandes avaient été réintroduites, dont un grand nombre aurait déjà été examiné.

106. Le requérant réplique que le chiffre mentionné par le Gouvernement correspond à l’arriéré judiciaire pendant, dû aux carences chroniques de la procédure d’asile en Grèce et non à une quelconque amélioration de celle-ci qui aurait été introduite par le décret présidentiel no 114/2011.

107. La Cour rappelle aussi que dans l’arrêt M.S.S. contre Belgique et Grèce ([GC], no 30696/09, no 231, 21 janvier 2011) elle a conclu à une violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 en raison des défaillances dans l’examen par les autorités grecques de la demande d’asile du requérant dans cette affaire et du risque qu’il encourait d’être refoulé directement ou indirectement vers son pays d’origine, sans un examen sérieux du bien-fondé de sa demande d’asile et sans avoir eu accès à un recours effectif. Compte tenu de ce constat, elle considère qu’il convient de joindre au fond l’exception susmentionnée du Gouvernement.

108. La Cour constate en outre que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

2. Sur le fond

109. Le Gouvernement soutient que le requérant avait la possibilité de présenter une demande d’asile et qu’il n’a pas été empêché de le faire. Il l’aurait fait le 8 septembre 2009 de manière très succincte et sans préciser ni le pays dans lequel il était né ni son origine ethnique, dont il se serait prévalu par la suite lors de la procédure d’examen de cette demande. Les autorités compétentes auraient examiné en détail ses allégations et se seraient prononcées à bref délai en rejetant la demande par des motifs suffisants et pertinents aux yeux du Gouvernement.

110. Le requérant affirme que les carences du système grec d’asile pendant la période 2007-2009 ont été largement relevées et commentées dans des rapports publiés par des gouvernements, des organisations internationales et d’autres sources indépendantes. Il dit fonder son affirmation sur de nombreux extraits de rapports du médiateur de la République, de la Commission nationale des droits de l’homme, de l’organisation non gouvernementale ProAsyl, du HCR, de Human Rights Watch et du Commissaire des droits de l’homme du Conseil de l’Europe, et fait référence à des décisions prises quelques années auparavant par la Norvège, la Suède, la Finlande et l’Allemagne en faveur de l’arrêt des expulsions des demandeurs d’asile en Grèce. Le requérant ajoute que, entre 2007 et 2009, l’accès aux procédures d’asile en Grèce était – et le serait encore en 2011 – très problématique et que cela conduisait à un refus de facto du bénéfice de la protection internationale instituée à cet effet par la Convention de Genève de 1951 sur le statut des réfugiés.

111. La Cour n’a pas à se prononcer sur la violation de cette Convention si le requérant devait être expulsé. Il appartient en effet en premier lieu aux autorités grecques, responsables en matière d’asile, d’examiner elles-mêmes la demande du requérant ainsi que les documents produits par lui et d’évaluer les risques qu’il encourt en Afghanistan. La préoccupation essentielle de la Cour est de savoir s’il existe en l’espèce des garanties effectives qui protègent le requérant contre un refoulement arbitraire, direct ou indirect, vers son pays d’origine. Elle examinera donc ce grief tiré de l’article 3 en combinaison avec l’article 13 de la Convention.

112. La Cour rappelle que, dans son arrêt M.S.S. précité, elle a relevé les carences du système grec d’asile. Elle a observé que, depuis plusieurs années, le HCR et le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe ainsi que de nombreuses organisations internationales non gouvernementales avaient mis en lumière, de manière répétée et concordante, le fait que la législation grecque n’était pas appliquée en pratique, que la procédure d’asile était caractérisée par des défaillances structurelles d’une ampleur telle que les demandeurs d’asile avaient fort peu de chances de voir leur demande et leurs griefs tirés de la Convention sérieusement examinés par les autorités grecques et qu’en l’absence de recours effectif ils n’étaient pas protégés in fine contre un renvoi arbitraire vers leur pays d’origine (idem, § 300).

113. La Cour note que, lorsque la Commission des réfugiés a, le 14 décembre 2009, rejeté la demande d’asile du requérant, celui-ci a saisi le Conseil d’Etat d’une action en annulation de cette décision et d’une demande de sursis à exécution de celle-ci. Se fondant sur les articles 49 et 50 de la loi no 3900/2010, le Conseil d’Etat s’est dessaisi, le 17 mai 2011, au profit à la cour administrative d’appel d’Athènes devant laquelle l’affaire sous ses deux aspects est toujours pendante.

114. Ceci confirme les constats fait par l’arrêt M.S.S. précité, qui a relevé les défauts des recours existants, en particulier la durée excessive des recours en annulation. Elle avait également noté que le recours en annulation d’une décision de rejet n’était pas automatiquement suspensif de l’ordre d’expulsion et qu’une procédure séparée – de demande de sursis – devait être engagée, dont la durée était de dix jours à quatre ans. De plus, le contrôle exercé par le Conseil d’Etat n’était pas suffisamment étendu pour examiner les éléments essentiels d’un grief tiré d’une violation de la Convention (idem, § 190).

115. Or, en l’espèce, la Cour constate que l’audience pour l’examen de la demande de sursis à exécution, introduite le 10 février 2010 et fixée initialement au 15 mars 2011, a eu lieu le 26 janvier 2012 et que l’arrêt qui a rejeté cette demande a été rendu le 7 février 2012. La procédure relative au recours en annulation est toujours pendante. Or, de tels délais ne sont pas de l’avis de la Cour, raisonnables pour examiner des recours relatifs à des questions d’expulsion, d’autant plus que la demande de sursis vise justement à faire obtenir une décision rapide, avant la fin de la procédure principale.

116. Dès lors, la Cour conclut à la violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 en raison des défaillances du système grec d’asile et du risque que le requérant a encouru et encourt encore d’être expulsé avant l’examen de son recours relatif à sa demande d’asile par le Conseil d’Etat et rejette l’exception préliminaire du Gouvernement sur ce point.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 §§ 1 ET 4 DE LA CONVENTION

117. Le requérant soutient qu’il a été privé de sa liberté en violation de l’article 5 § 1 de la Convention, alors qu’il était mineur et que son expulsion vers l’Afghanistan était impossible. Il se plaint aussi, sous l’angle de l’article 5 § 4, de l’inefficacité du contrôle de la légalité de la détention en vue de l’expulsion. L’article 5 §§ 1 et 4 de la Convention dispose :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

(...)

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Sur la recevabilité

118. En premier lieu, le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas introduit un recours contre les décisions d’expulsion prises en 2008 et que celles-ci n’ordonnaient pas son placement en détention, de sorte que les griefs de l’intéressé relatifs à ces décisions devaient être rejetés pour dépassement du délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 de la Convention.

119. En deuxième lieu, le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il prétend que le requérant n’a pas engagé une action en annulation et une demande de suspension de l’exécution (ainsi qu’une demande d’ordre provisoire) contre la décision d’expulsion du 31 août 2009, comme le permettrait l’article 15 (statut des étrangers) de la loi no 3068/2002, combiné avec l’article 52 du décret no 18/1989. Le requérant se serait borné à formuler des objections contre sa détention le 11 septembre 2009, soit à une date à laquelle le délai de soixante jours pour exercer un recours en annulation aurait encore couru.

120. Le requérant ne présente pas d’observations en ce qui concerne la première branche de l’exception. Quant à la seconde, il soutient que les dispositions évoquées par le Gouvernement ne sont pas effectives et qu’elles ne permettent pas l’examen de la légalité d’une détention.

121. A l’instar du Gouvernement, la Cour note que les griefs concernant les décisions d’expulsion prises à l’encontre du requérant en 2008 ont été présentés au-delà du délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 de la Convention.

122. En revanche, elle estime que l’exception soulevée par le Gouvernement relative à la décision d’expulsion du 31 août 2009 est étroitement liée à la substance du grief énoncé sur le terrain de l’article 5 § 4 de la Convention et décide de la joindre au fond.

123. La Cour constate en outre que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Article 5 § 4

124. Le Gouvernement soutient qu’il existe une jurisprudence des tribunaux administratifs, notamment celui d’Athènes, qui serait antérieure à l’époque des faits, selon laquelle l’introduction d’une demande d’asile ou l’évocation de conditions de détention inappropriées combinées avec des problèmes de santé d’un détenu étranger rendraient la détention illégale, de sorte que la détention serait levée sans la fixation d’un délai pour le retour de l’étranger dans son pays. Il ajoute qu’il existe en outre une jurisprudence selon laquelle la détention serait levée en cas d’octroi d’un sursis à l’exécution d’une décision d’expulsion. Par conséquent, il considère que le requérant aurait pu introduire un recours en annulation contre la décision d’expulsion ainsi qu’un recours en suspension de l’exécution et une demande d’ordre provisoire de suspension, et que, s’il avait obtenu un sursis à son expulsion, il aurait pu dénoncer, dans ses objections, l’absence de base légale de sa détention.

125. Le requérant réplique que, entre le 27 août et le 11 septembre 2009, il ne pouvait pas introduire un recours contre sa détention car les autorités auraient omis de lui notifier la décision d’expulsion et de détention. Il affirme qu’il n’a pu le faire qu’une fois pris en charge par le groupe d’avocats et que le tribunal administratif n’a pas examiné sa contestation de la légalité de sa détention.

126. La Cour rappelle que le concept de lawfulness (« régularité », « légalité ») doit avoir le même sens au paragraphe 4 de l’article 5 de la Convention qu’au paragraphe 1, de sorte qu’une personne détenue a droit à faire contrôler sa détention sous l’angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise le paragraphe 1 de cette disposition. Elle rappelle également que l’article 5 § 4 ne garantit pas le droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal à substituer, sur l’ensemble des aspects de la cause – y compris des considérations de pure opportunité –, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Cette disposition n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la régularité de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1 (Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 61, CEDH 2001‑II).

127. Dans la présente affaire, la Cour relève d’emblée que l’article 76 a été appliqué au cas du requérant dans sa version antérieure au 1er janvier 2011, date d’entrée en vigueur de l’amendement de cette disposition par la loi no 3900/2010 que le Gouvernement détaille dans ses observations.

128. La Cour rappelle également s’être déjà prononcée sur la question de l’efficacité du contrôle juridictionnel selon le droit grec de la détention de personnes en vue de leur expulsion administrative (S.D. c. Grèce, Tabesh c. Grèce, R.U. c. Grèce et A.A. c. Grèce, précités, Rahimi c. Grèce, no 8687/08, 5 avril 2011, et Efremidze c. Grèce, no 33225/08, 21 juin 2011). Elle a déjà constaté les insuffisances du droit interne, tel qu’il était applicable à l’époque des faits, quant à l’efficacité du contrôle juridictionnel du placement en détention aux fins d’expulsion et a conclu qu’elles ne pouvaient pas se concilier avec les exigences de l’article 5 § 4 de la Convention (A.A. c. Grèce, précité, § 71 et, pour un récapitulatif des conclusions de la Cour à cet égard, Rahimi, précité, §§ 116-119, et Efremidze, précité, §§ 64-66). En particulier, en ce qui concerne le troisième paragraphe de l’article 76 de la loi no 3386/2005, la Cour a déjà constaté que les objections qu’un étranger détenu peut former à l’encontre de la décision ayant ordonné sa détention n’accordent pas expressément au juge le pouvoir d’examiner le recours sous l’angle de la légalité du renvoi, lequel constitue, en droit grec, le fondement juridique de la détention. L’article 76 § 4 de cette loi, tel qu’il est rédigé, permet aux tribunaux d’examiner la décision de détention seulement sur le terrain du risque de fuite ou de la menace pour l’ordre public (Efremidze, précité, § 64).

129. La Cour a aussi reconnu sur ce point l’existence de quelques décisions judiciaires récentes, rendues en première instance, et admettant que les juridictions administratives examinent la légalité de la détention d’un étranger et que, si elles la considèrent illégale pour un quelconque motif, elles ordonnent la libération de l’individu. Toutefois, elle a considéré que l’existence de quelques décisions judiciaires rendues en première instance ne suffit pas à faire disparaître l’ambiguïté des termes de la loi no 3386/2005 en la matière (A.A. c. Grèce, précité, § 75, et Rahimi, précité, § 117). La Cour n’estime pas nécessaire de réitérer dans le détail ces considérations générales.

130. Plus particulièrement, en ce qui concerne la présente affaire, la Cour note que, dans ses décisions du 15 et du 24 septembre 2009, la présidente du tribunal administratif d’Athènes a rejeté les objections du requérant concernant sa détention sans examiner la question de la légalité de celle-ci. La première décision précisait que le requérant représentait une menace pour l’ordre public et que le fait qu’il avait formulé une demande d’asile n’y changeait rien. La deuxième a confirmé la première en ce qu’il s’imposait de maintenir le requérant en détention, en relevant cette fois que, si celui-ci ne pouvait certes être considéré comme une menace pour l’ordre public, il présentait cependant un risque de fuite.

131. Par conséquent, la Cour considère que les insuffisances du droit interne quant à l’efficacité du contrôle juridictionnel du placement en détention du requérant en vue de son expulsion ne peuvent pas se concilier avec les exigences de l’article 5 § 4 de la Convention. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il y a également eu violation de cette disposition en l’espèce.

2. Article 5 § 1 de la Convention

a) Arguments des parties

132. Le Gouvernement expose que le requérant a été détenu dans le cadre d’une procédure administrative d’expulsion, en application de l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005, pour une période qui ne dépassait pas, selon lui, la limite maximale prévue par cet article, soit six mois. Il précise que les autorités avaient estimé que le requérant risquait de fuir et est d’avis que rien ne donne à penser que cette décision n’était pas raisonnable et justifiée. Selon le Gouvernement, l’article 13 du décret no 90/2008 prévoyait, à l’époque des faits, que la personne qui avait introduit une demande d’asile et à l’encontre de laquelle une procédure d’expulsion était pendante restait en détention et que sa demande était examinée en priorité. Toujours selon lui, admettre que le dépôt d’une demande d’asile conduit automatiquement non seulement à la suspension de l’expulsion mais aussi de la détention conduirait à détourner l’article 13 précité de sa finalité par le biais de demandes d’asile abusives. Le droit interne aurait offert au requérant des garanties suffisantes au motif que sa détention pouvait être levée dans le cadre d’un examen judiciaire rapide, à la suite soit de la formulation d’objections soit de l’introduction d’un recours en annulation et en suspension et d’une demande d’ordre provisoire de suspension.

133. Le requérant prétend que sa détention, qui a débuté le 28 août 2009, était arbitraire en raison : a) des circonstances de son arrestation ; b) de sa qualité de mineur ; c) de la durée de sa détention combinée avec les conditions de celles-ci ; d) d’une arrestation et d’une détention, arbitraires selon lui, avant cette date ; e) de l’absence de démarches des autorités entre la date de son arrestation et celle du dépôt de sa demande d’asile (le 8 septembre 2009) en vue de son expulsion, et f) de sa détention, selon lui injustifiée, entre le 8 septembre 2009 et jusqu’à sa remise en liberté en tant que demandeur d’asile non accompagné. Le requérant affirme en outre que sa détention n’était pas justifiée dès lors que son expulsion aurait été impossible puisqu’il n’aurait pas disposé de documents de voyage et qu’il n’aurait pas existé de représentation diplomatique afghane à Athènes. Il conclut que, comme son expulsion n’aurait pas été possible et que les autorités auraient omis de procéder à une appréciation non seulement de sa situation familiale mais encore des risques de mort en cas d’expulsion vers l’Afghanistan ou l’Iran, sa détention n’avait pas été ordonnée dans le but d’assurer son expulsion.

b) Appréciation de la Cour

i) Principes applicables

134. La Cour rappelle que, si la règle générale exposée à l’article 5 § 1 est que toute personne a droit à la liberté, l’alinéa f) de cette disposition prévoit une exception en permettant aux Etats de restreindre la liberté des étrangers dans le cadre du contrôle de l’immigration. Ainsi que la Cour l’a déjà observé, les Etats, sous réserve de leurs obligations en vertu de la Convention, jouissent du « droit indéniable de contrôler souverainement l’entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire » (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 73, Recueil 1996‑V, et Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, § 64, CEDH 2008‑...).

135. En outre, il est bien établi dans la jurisprudence de la Cour relative aux alinéas de l’article 5 § 1 que toute privation de liberté doit non seulement relever de l’une des exceptions prévues aux alinéas a) à f), mais aussi être « régulière ». En matière de « régularité » d’une détention, y compris l’observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure. Toutefois, le respect du droit national n’est pas suffisant : l’article 5 § 1 exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but consistant à protéger l’individu contre l’arbitraire (voir, parmi bien d’autres, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 37, série A no 33, Amuur c. France, no 19776/92, § 50, Recueil 1996-III, et Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, § 78, CEDH 2000‑III). Nulle détention arbitraire ne peut être compatible avec l’article 5 § 1, la notion d’« arbitraire » dans ce contexte allant au-delà du défaut de conformité avec le droit national. En conséquence, une privation de liberté peut être régulière selon la législation interne tout en étant arbitraire et donc contraire à la Convention (Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, § 77, CEDH 2009‑...).

136. Ainsi, la Cour doit s’assurer qu’un droit interne se conforme lui-même à la Convention, y compris aux principes énoncés ou impliqués par elle. Sur ce dernier point, la Cour souligne que lorsqu’il s’agit d’une privation de liberté, il est particulièrement important de satisfaire au principe général de la sécurité juridique. Par conséquent, il est essentiel que les conditions de la privation de liberté en vertu du droit interne soient clairement définies et que la loi elle-même soit prévisible dans son application, de façon à remplir le critère de « légalité » fixé par la Convention, qui exige que toute loi soit suffisamment précise pour permettre au citoyen – en s’entourant au besoin de conseils éclairés – de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé (Baranowski c. Pologne, no 28358/95, §§ 50-52, CEDH 2000-III).

137. La Cour rappelle, en outre, qu’il ressort de la jurisprudence relative à l’article 5 § 1 f) que, pour ne pas être taxée d’arbitraire, la mise en œuvre de pareille mesure de détention doit se faire de bonne foi ; elle doit aussi être étroitement liée au but consistant à empêcher une personne de pénétrer irrégulièrement sur le territoire ; en outre, les lieux et conditions de détention doivent avoir un lien avec les motifs de celle-ci ; enfin, la durée de la détention ne doit pas excéder le délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi (Saadi, précité, § 74).

ii) Application des principes au cas d’espèce

138. En l’espèce, la Cour observe que la privation de liberté du requérant était fondée sur l’article 76 de la loi no 3386/2005 et qu’elle visait à garantir la possibilité de procéder à son expulsion. Elle rappelle sur ce point que l’article 5 § 1 f) n’exige pas que la détention d’une personne contre laquelle une procédure d’expulsion est en cours soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour empêcher l’intéressé de commettre une infraction ou de s’enfuir (Chahal, précité, § 112).

139. La Cour note qu’il ressort du droit international et national, à savoir les articles 31 à 33 de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés et l’article 1 du décret présidentiel no 61/1999, que le refoulement ou l’expulsion d’une personne ayant soumis une demande d’asile ne sont pas permis jusqu’au traitement définitif de ladite demande. Il est vrai que le décret présidentiel no 61/1999, qui régit la situation des réfugiés politiques et demandeurs d’asile, ne contient aucune disposition expresse concernant la légalité de la détention de ces derniers. Toutefois, le droit interne pertinent dispose qu’une détention aux fins d’expulsion est justifiée seulement lorsque celle-ci peut être exécutée. La simple invocation de la nécessité d’exécuter la décision d’expulsion ne suffit pas pour fonder une détention (article 1 du décret no 61/1999 et article 2 de la loi no 3386/2005). Pour un demandeur d’asile, l’expulsion ne peut pas être exécutée avant qu’une décision ait été rendue sur la demande d’asile (S.D. c. Grèce, no 53541/07, § 62, 11 juin 2009).

140. La Cour note que le requérant a été arrêté le 27 août 2009 pour entrée illégale sur le territoire, qu’il a été placé en détention car il était aussi soupçonné d’avoir commis d’autres infractions, à savoir fausse déclaration devant une autorité publique, et parjure et diffamation calomnieuse, et qu’il a été renvoyé en jugement du chef de fausse déclaration et acquitté le 29 août 2009. Toutefois, le tribunal correctionnel a ordonné son placement en détention pendant huit jours car il n’était pas en mesure de payer les dépens auxquels il avait été condamné. En outre, le 31 août 2009, le requérant a été condamné à une peine d’emprisonnement, avec effet suspensif, pour entrée illégale sur le territoire. A la même date, le chef de la police des étrangers d’Attique a ordonné l’expulsion et le maintien en détention de l’intéressé à cet effet, au motif qu’il représentait une menace pour l’ordre public et un risque de fuite. Le requérant était donc détenu pour ce seul motif une fois purgée la peine d’emprisonnement de huit jours prononcée le 29 août 2009.

141. Toutes ces décisions ont été prises sans que le requérant ait bénéficié de l’assistance d’un avocat et, pour certaines, de l’assistance d’un interprète. Le 8 septembre 2009, le requérant a été pris en charge par une association d’avocats qui a introduit une demande d’asile et, le 11 septembre 2009, a formulé des objections contre le maintien en détention du requérant. La Cour note à cet égard que les avocats du requérant se sont vus notifier la décision du 31 août 2009 seulement le 11 septembre 2009, date à laquelle la notification a été faxée au commissariat d’Aghios Panteleïmon. Le 8 septembre, alors qu’ils avaient demandé à prendre connaissance de cette décision, les officiers de police les avaient informés que le dossier du requérant au commissariat ne contenait pas de copie de celle-ci (paragraphe 15 ci-dessus). Le requérant a été remis en liberté le 18 novembre 2009, à la suite d’une décision du chef de la police des étrangers qui suspendait l’exécution de l’expulsion jusqu’à la décision sur la demande d’asile de l’intéressé (paragraphe 36 ci-dessus).

142. Toutefois, la Cour note qu’en rejetant les objections du requérant par une décision non susceptible de recours, les 11 et 24 septembre 2009, la présidente du tribunal administratif n’a pas tiré de conséquences du fait qu’une demande d’asile avait déjà été déposée. Or le requérant ne pouvait être expulsé avant l’examen de la demande d’asile et sa détention était dès lors dépourvue de fondement en droit interne, à tout le moins à compter du 8 septembre 2009.

143. Par conséquent, la Cour considère que l’existence d’un lien étroit entre le placement en détention du requérant et la possibilité d’éloigner celui-ci du territoire grec ne peuvent pas être établies en l’espèce (R.U. c. Grèce, précité, § 95).

144. En outre, comme la Cour l’a déjà constaté sous l’angle de l’article 3 de la Convention, les conditions de détention dans les commissariats d’Aghios Panteleïmon et de Pagrati s’analysaient en un traitement dégradant. Au vu de l’ensemble des éléments qui précèdent, la Cour conclut que la détention du requérant n’était pas « régulière », au sens de l’article 5 § 1 f) de la Convention, à partir du 8 septembre 2009 et jusqu’au 18 novembre 2009, date de la mise en liberté du requérant (paragraphe 36 ci-dessus) et qu’il y a eu violation de cette disposition.

IV. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

A. Sur les violations de l’article 3, combiné avec l’article 14 de la Convention, et de l’article 8

145. Le requérant soutient que les mauvais traitements qu’il dénonce, notamment les conditions de sa détention, lui ont été infligés parce qu’il était étranger. Il invoque à cet égard l’article 3 combiné avec l’article 14 de la Convention. Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant allègue que, pendant sa détention aux postes de police d’Aghios Panteleïmon et de Pagrati, il n’a pas pu communiquer de manière confidentielle avec ses avocats, de sorte qu’il n’aurait pas pu leur donner toutes les informations nécessaires à l’appui de sa demande d’asile.

146. La Cour considère que ces griefs se confondent, de manière plus générale, avec le grief tiré de l’article 3, relatif aux conditions de la détention du requérant et aux risques encourus par lui en cas de retour en Afghanistan, de sorte qu’ils doivent être déclarés recevables, mais estime qu’il n’est pas nécessaire de les examiner séparément.

B. Sur la violation de l’article 5 § 2 et de l’article 14 combiné avec l’article 5 § 4 de la Convention

147. Le requérant allègue de ne pas avoir été informé des motifs de sa détention dans une langue qu’il pouvait comprendre. Il se plaint à cet égard d’une violation de l’article 5 § 2 de la Convention. Invoquant ensuite l’article 14 combiné avec l’article 5 § 4 de la Convention, il se plaint aussi d’une impossibilité pour un étranger détenu administrativement d’introduire un recours judiciaire contre la détention en raison même de sa qualité d’étranger.

148. La Cour considère que le principal grief présenté sous l’angle de l’article 5 § 2 de la Convention concerne non pas l’incompréhension par le requérant des raisons de son arrestation ou de sa détention, mais son incapacité à comprendre le contenu de la brochure concernant ses droits. Au vu de sa conclusion au titre de l’article 5 § 4 de la Convention, elle estime que ce grief doit être déclaré recevable mais qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sous l’angle de l’article 5 § 2 (Rahimi, précité, § 115) ni sous l’angle de l’article 14 combiné avec l’article 5 § 4.

C. Sur la violation de l’article 6 de la Convention

149. Sur le terrain de l’article 6 de la Convention, le requérant allègue :

– que le tribunal correctionnel n’a pas pris en considération tous les éléments de preuve, qu’il n’a pas été impartial et qu’il n’a pas suffisamment motivé sa décision (article 6 § 1) ;

– qu’il a été considéré comme une menace pour l’ordre public, alors même qu’il aurait été acquitté de l’accusation de fausse déclaration devant une autorité publique, qu’aucune poursuite n’aurait été engagée du chef de diffamation calomnieuse et qu’il aurait été condamné à une peine de trente jours d’emprisonnement avec sursis du chef de violation de la loi no 3386/05 relative à l’entrée et au séjour des étrangers sur le territoire grec (article 6 § 2) ;

– qu’il n’a pas été assisté par un interprète, ni au moment de son arrestation ni au moment de sa comparution devant le juge d’instruction ni devant le procureur ni à l’audience devant le tribunal correctionnel (article 6 § 3 a) et e)) ;

– que, à l’audience devant ce tribunal, il n’a pas bénéficié de l’assistance gratuite d’un avocat commis d’office (article 6 § 3 c)) ;

– qu’il n’a pas bénéficié des garanties susmentionnées de cet article en raison, selon lui, de sa qualité d’étranger (article 6 §§ 1 et 3 combiné avec l’article 14) ;

– qu’il a été victime d’une discrimination fondée sur la nationalité, car, selon lui, la loi no 3386/05 permet de considérer un étranger comme représentant une menace pour l’ordre public dès qu’il fait l’objet de poursuites pénales et avant même qu’une décision judiciaire définitive ait été prononcée (article 6 § 2 combiné avec l’article 14).

150. La Cour considère que ces griefs doivent être rejetés pour non-épuisement des voies de recours internes faute pour le requérant d’avoir interjeté appel du jugement du 31août 2009 pour lequel il a été condamné (selon la procédure de flagrant délit) par le tribunal correctionnel du seul chef d’entrée illégale sur le territoire grec à une peine d’emprisonnement avec sursis. Elle observe que, si à la date de sa condamnation, il n’était effectivement représenté par aucun avocat, tel n’était plus le cas à partir du 8 septembre 2009, puisqu’il avait été pris en charge par des membres de l’association des avocats pour les droits des réfugiés et migrants, qui ont rédigé sa demande d’asile. Or, à cette dernière date, le délai pour interjeter appel n’avait pas expiré.

151. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

D. Sur la violation de l’article 18 de la Convention

152. Enfin, sur le terrain de l’article 18, le requérant se plaint d’avoir été détenu dans un but autre que celui de son expulsion. Il expose à cet égard qu’il a fait l’objet de plusieurs décisions d’expulsion et de détention, alors que, en vertu, selon lui, du droit interne, une seule décision d’expulsion aurait une force continue et que, en cas de non-exécution de celle-ci, il ne serait pas nécessaire de prendre une nouvelle décision.

153. La Cour a examiné ce grief tel qu’il a été présenté par le requérant. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, elle n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention. Ce grief est donc manifestement mal fondés et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

154. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage moral

155. Le requérant réclame 15 000 euros (EUR) pour le préjudice moral qu’il aurait subi, notamment en raison de la durée de sa détention dans des conditions, à ses yeux, dégradantes.

156. Le Gouvernement estime que le montant réclamé est excessif et non justifié par les circonstances de la cause, et que le constat d’une violation constituerait une satisfaction équitable suffisante.

157. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant la somme de 10 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

158. Le requérant demande également 5 843,20 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions et les autorités internes et pour ceux engagés devant la Cour. Il demande à la Cour de verser la somme directement sur le compte bancaire de son avocate, Me P. Massouridou, en application d’un accord signé avec elle le 1er février 2010. Plus précisément, le requérant réclame, sur la base d’un montant horaire de 62 EUR, les sommes suivantes : 992 EUR pour la procédure administrative de demande d’asile, 558,60 EUR pour la procédure devant le tribunal administratif, 864,60 EUR pour la procédure devant le Conseil d’Etat, 868 EUR pour les visites aux deux commissariats, 1 240 EUR pour des réunions au cabinet de ses avocats, 600 EUR pour la demande d’application de l’article 39 et les observations devant la Cour, 320 EUR pour des photocopies et 400 EUR pour des frais d’interprétariat.

159. Le Gouvernement conteste la capacité du requérant, si l’on admet la thèse selon laquelle il était mineur, non seulement de conclure un quelconque accord avec ses avocats pour les payer, un tel accord étant nul selon le droit interne (articles 130 et 133 du code civil), mais aussi de recevoir directement les sommes demandées, celles-ci ne pouvant être versées qu’à un tuteur qui aurait dû être nommé par les tribunaux. Il souligne en outre que le requérant ne produit aucun justificatif des sommes demandées qui, en tout état de cause, sont exorbitantes à ses yeux.

160. La Cour note que le requérant a conclu avec ses conseils un accord concernant les honoraires de ceux-ci, qui se rapprocherait d’un accord de quota litis. Il s’agit là d’accords par lesquels le client d’un avocat s’engage à verser à ce dernier, en tant qu’honoraires, un certain pourcentage de la somme qu’une juridiction pourrait lui octroyer. Les accords de quota litis peuvent attester, s’ils sont juridiquement valables, que l’intéressé est effectivement redevable des sommes réclamées. Pareils accords, qui ne font naître des obligations qu’entre l’avocat et son client, ne sauraient lier la Cour, qui doit évaluer le niveau des frais et dépens à rembourser non seulement par rapport à la réalité des frais allégués, mais aussi par rapport à leur caractère raisonnable. Ainsi la Cour se fondera pour son appréciation sur certains éléments fournis par le requérant à l’appui de ses prétentions, à savoir la nature des frais, le nombre d’heures de travail et le tarif horaire réclamé (Iatridis c. Grèce (Article 41), [GC], no 31107/96, § 55, 19 octobre 2000).

161. La Cour rappelle d’emblée qu’elle n’a pas considéré que le requérant était mineur au moment des faits. Par conséquent, on ne saurait admettre qu’il n’avait pas la capacité pour conclure un tel accord avec ses avocats.

162. Quant aux frais, la Cour estime que le requérant a droit au remboursement de ceux relatifs à la procédure devant le tribunal administratif et devant la Cour.

163. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour alloue au requérant la somme de 2 500 EUR à ce titre, à verser directement au compte indiqué par ses avocates.

C. Intérêts moratoires

164. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 3 de la Convention pris isolément et combiné avec les articles 13 et 14, ainsi que de l’article 8 (en ce qui concerne les conditions de détention du requérant), de l’article 13 combiné avec l’article 3 (en ce qui concerne le risque d’expulsion de celui-ci), des l’articles 5 §§ 1 et 2, de l’article 5 § 4, pris isolément et combiné avec l’article 14, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention, pris isolément et combiné avec l’article 13, en ce qui concerne les conditions de détention du requérant ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 de la Convention, en ce qui concerne le risque d’expulsion du requérant ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

5. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

6. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner les griefs tirés des articles 5 § 2, 8 et 14, cette dernière disposition étant invoqué en combinaison avec les articles 3 et 5 § 4 de la Convention ;

7. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour les frais et dépens, à verser directement sur le compte bancaire indiqué par ses avocates ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

8. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 septembre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenNina Vajić
GreffierPrésidente


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