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24/07/2012 | CEDH | N°001-112454

CEDH | CEDH, AFFAIRE ĐORĐEVIĆ c. CROATIE, 2012, 001-112454


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE ĐORĐEVIĆ c. CROATIE

(Requête no 41526/10)

ARRÊT

STRASBOURG

24 juillet 2012

DÉFINITIF

24/10/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention.




En l’affaire Đorđević c. Croatie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Anatoly Kovler, président,
Nina Vajić,
Peer Lorenzen,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik

Møse, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 juillet 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette d...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE ĐORĐEVIĆ c. CROATIE

(Requête no 41526/10)

ARRÊT

STRASBOURG

24 juillet 2012

DÉFINITIF

24/10/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention.

En l’affaire Đorđević c. Croatie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Anatoly Kovler, président,
Nina Vajić,
Peer Lorenzen,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 juillet 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 41526/10) dirigée contre la République de Croatie et dont deux ressortissants de cet Etat, M. Dalibor Đorđević et Mme Radmila Đorđević (« les requérants »), ont saisi la Cour le 12 juillet 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants, qui ont été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, sont représentés par Me I. Bojić, avocate à Zagreb. Le gouvernement croate (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme Š. Stažnik.

3. Par une décision du 10 septembre 2010, le président de la première section a communiqué la requête au Gouvernement. Il a également été décidé de statuer conjointement sur la recevabilité et sur le fond (article 29 § 1 de la Convention).

4. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement). De plus, le European Disability Forum, autorisé à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement), a produit des observations en qualité de tiers intervenant. Le Gouvernement y a répondu (article 44 § 6).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérants sont nés respectivement en 1977 et en 1956 et résident à Zagreb.

6. Le premier requérant est privé de sa capacité juridique parce qu’il est retardé mentalement et physiquement. Il se rend douze heures par semaine dans un atelier pour adultes à l’école primaire V.B. de Zagreb. Il est à la charge de la seconde requérante, sa mère. Les documents médicaux en date du 16 juin 2008, produits au nom de l’intéressé, décrivent ainsi son état de santé :

« (...) alors qu’il était tout jeune enfant, il a été atteint de méningite purulente, à cause de laquelle il souffre de séquelles permanentes et d’épilepsie. Son développement mental et physique connaît des retards et il est sous la surveillance constante d’un neurologue et d’un psychiatre. En raison d’une hydrocéphalie, une valve de Pudenz [frein qui s’oppose à l’écoulement passif incontrôlé du liquide céphalo-rachidien] lui a été implantée. (...) [S]a vue est très mauvaise (...) et il dépend de sa mère pour se nourrir, s’habiller, se laver et se déplacer. Sa colonne vertébrale est mobile mais douloureuse en sa partie inférieure. (...) [I]l souffre de graves difformités des pieds, (...) a du mal à se déplacer et ne peut marcher ni sur ses doigts de pied ni sur ses talons. D’un point de vue psychologique, il est émotionnellement distant, craintif et son vocabulaire est pauvre. (...) »

7. Les requérants habitent un appartement au rez-de-chaussée d’un immeuble résidentiel à Špansko, un quartier de Zagreb. L’école primaire A.K. se trouve dans leur voisinage immédiat.

8. Il apparaît que les requérants ont été victimes de harcèlement entre juillet 2008 et février 2011. Ils allèguent que des élèves de l’école primaire A.K., tous mineurs, les ont souvent tourmentés, surtout le premier requérant, à n’importe quel moment de la journée, en particulier lorsque les élèves quittaient l’école en groupes pour rentrer chez eux ainsi qu’en fin d’après-midi et le soir lorsqu’ils se rassemblaient, hors de la surveillance de leurs parents, assis sur ou autour d’un banc en bois devant le balcon de l’appartement des requérants. Ces derniers disent avoir été harcelés en raison de l’état de santé du premier requérant et de leur origine serbe. Un groupe plus important d’enfants, eux aussi mineurs, se seraient rendus tous les jours dans un parc devant leur appartement, auraient proféré des obscénités à l’encontre du premier requérant, l’auraient traité de tous les noms et auraient écrit des messages insultants sur le trottoir. Les enfants auraient fréquemment sonné à la porte des requérants, pour demander quand l’intéressé allait sortir. Ils lui auraient souvent craché dessus.

9. Selon un procès-verbal de police dressé le 31 juillet 2008, la seconde requérante appela ce jour-là la police à 21 h 12 pour se plaindre que des jeunes inconnus harcelaient son fils et avaient démoli certains objets sur son balcon. A l’arrivée de la police au domicile des requérants à 21 h 30, la seconde requérante lui aurait dit que, vers 18 heures, elle et son fils étaient partis de l’appartement et que, à leur retour vers 21 heures, elle avait retrouvé le balcon délabré et tout le parterre de fleurs déraciné. Elle aurait ajouté que le premier requérant était harcelé depuis plus longtemps par des enfants du quartier parce qu’il est retardé mental. Elle aurait désigné nommément deux d’entre eux.

10. Le 2 mars 2009, le centre d’aide sociale de Susedgrad ordonna la mise sous surveillance de l’autorité parentale sur D.K., un élève de l’école primaire A.K., à cause de ses mauvais résultats scolaires, de son comportement problématique et de sa propension à commettre des infractions pénales. Nulle part n’était mentionnée son implication dans le harcèlement des requérants.

11. Selon le rapport d’un médecin établi le 6 avril 2009, le premier requérant était harcelé psychologiquement et physiquement dans la rue et avait des brûlures de cigarettes aux deux mains. Le médecin demandait aux services sociaux d’ouvrir une procédure aux fins de la protection de l’intéressé en tant que personne atteinte de graves troubles mentaux et le décrivait comme un individu pacifique et inoffensif qui ne savait pas et ne pouvait pas se défendre contre ses persécuteurs.

12. Dans une lettre du 20 avril 2009 adressée à la médiatrice pour les personnes handicapées, la seconde requérante se plaignit d’actes de harcèlement commis par deux enfants, D.K. et I.M., contre le premier requérant le 4 avril 2009. Elle alléguait que les deux enfants s’étaient approchés à vélo de son fils et lui avaient brûlé les mains à l’aide de cigarettes. Elle ajoutait que ce dernier était sans cesse harcelé par des enfants scolarisés dans une école à proximité parce qu’il est retardé mental et qu’elle s’en était plainte à de nombreuses reprises auprès du centre d’aide sociale de Susedgrad et de la direction de l’école primaire A.K., mais en vain.

13. Le même jour, l’avocate des requérants porta plainte auprès de la police au sujet de l’incident du 4 avril 2009.

14. Selon un procès-verbal de police dressé le 5 mai 2009, ce jour-là, dans les locaux du commissariat de police II de Zagreb, la police interrogea D.K., né en 1997, et P.B., né en 1995. Voici la partie pertinente de ce procès-verbal concernant D.K. :

« Interrogé sur son souvenir des faits survenus le 4 avril 2009 à (...) Zagreb, [D.K.] dit que, vers 12 heures, il se trouvait là-bas avec son ami I.M., en classe de 7e à l’école primaire A.K., et que P.B., un garçon plus âgé en classe de 7e dans la même école, est arrivé accompagné de deux hommes dont il ignorait l’identité, qui jouaient avec un ballon. Une personne handicapée qui avait des problèmes depuis sa naissance et habitait dans un immeuble résidentiel rue (...) jouait entre les bâtiments. A un moment donné, P.B. aurait allumé une cigarette, se serait approché de Dalibor et lui aurait brûlé la main droite à plusieurs reprises, après quoi ils se seraient tous enfuis parce que ce dernier se serait mis à hurler. »

Voici la partie pertinente de ce procès-verbal concernant P.B. :

« Interrogé sur son souvenir des faits survenus le 4 avril 2009 à (...) Zagreb concernant le harcèlement d’un handicapé, Dalibor Đorđević, [P.B.] dit qu’il n’y a pas assisté mais que, au début de cette semaine-là, pendant la récréation du matin, il a rencontré D.K., en classe de 5e dans la même école, qui lui a dit que, le samedi vers 12 heures, lui et I.M. avaient brûlé une cigarette sur la main d’une personne dénommée Dalibor rue (...), un handicapé qui habite cette rue.

Interrogé ensuite sur l’apparence de cette personne handicapée, il répond qu’elle jouait dans cette rue avec d’autres garçons du quartier et qu’il a vu cette personne, âgée d’une trentaine d’années, solidement bâtie, d’une chevelure poivre et sel coupée court, pâle de peau et ayant des difficultés à parler. Il ajoute que cette personne joue avec d’autres enfants qui la taquinent, et elle court après eux et les frappe. »

15. Selon un procès-verbal de police dressé le 7 mai 2009, ce jour-là, dans les locaux du commissariat de police II de Zagreb, la police interrogea I.M., né en 1994. Voici la partie pertinente de ce procès-verbal :

« Interrogé sur son souvenir des faits survenus le 4 avril 2009 à (...) Zagreb concernant le harcèlement d’un handicapé, Dalibor Đorđević, âgé de trente à quarante ans, [I.M.] dit qu’il s’en souvient, que les faits se sont produits un samedi (...) et que, à vélo, il s’était rendu (...) avec D.K. rue (...), où ils ont rencontré Dalibor, un handicapé de naissance, qui jouait au ballon entre les bâtiments avec des enfants qui s’étaient emparés du ballon et ne voulaient pas le lui rendre. Quand il a vu cela, il [I.M.] aurait demandé aux enfants pourquoi ils ne rendaient pas le ballon à Dalibor, et celui-ci se serait mis à hurler et à gesticuler. Les enfants auraient ensuite jeté le ballon et il s’en serait emparé. Il [I.M.] aurait tenu une cigarette dans sa main gauche (...) et, alors qu’il dépassait Dalibor à vélo, il [Dalibor] se serait mis à gesticuler et à le gifler plusieurs fois à la main qui tenait la cigarette et Dalibor se serait donc brûlé la main ainsi. Il dit être certain qu’il n’a brûlé Dalibor qu’une seule fois et le regretter. Il dit ne pas comprendre pourquoi Dalibor a réagi de cette façon parce que ce n’était pas [la] faute [d’I.M.] si des enfants avaient pris son ballon. L’élève P.B. n’aurait pas été parmi eux.

(...)

Interrogé ensuite sur les problèmes que Dalibor peut avoir avec les autres enfants, [I.M.] répond qu’il se rend souvent dans la rue où Dalibor joue au ballon avec d’autres garçons et que ces enfants taquinent Dalibor à cause de sa maladie (...) et que, ensuite, il court après eux et les attrape.

Finalement, R., la mère [d’I.M.], a été priée de surveiller le comportement d’I.M. Elle dit qu’il n’y a aucun problème avec lui et qu’elle ignore pourquoi il a fait cela. »

16. Le 19 mai 2009, le commissariat de police II de Zagreb adressa au bureau de la délinquance juvénile du parquet de Zagreb un rapport relatant ceci :

– le 16 avril 2009, le centre d’aide sociale de Susedgrad avait informé le commissariat par écrit que la seconde requérante avait adressé au centre une lettre dans laquelle elle alléguait que son fils avait été maltraité par D.K. et d’autres et à laquelle étaient joints des documents médicaux ;

– le 30 avril 2009, la médiatrice pour les personnes handicapées avait informé le commissariat par écrit que la seconde requérante lui avait envoyé à elle aussi une lettre dans laquelle elle sollicitait de l’aide pour le harcèlement fréquent subi par son fils.

La police informa en outre ce même bureau qu’elle avait interrogé les enfants D.K., I.M. et P.B.

17. Par une lettre du 20 mai 2009, le commissariat de police II de Zagreb avisa la médiatrice pour les personnes handicapées qu’il avait interrogé les enfants D.K. et I.M., qu’il avait pris contact avec le directeur de l’école primaire A.K., que ses policiers avaient été informés des problèmes et qu’ils patrouillaient régulièrement dans les rues en question.

18. Le 17 juillet 2009, la police fit part au centre d’aide sociale de Susedgrad des faits suivants, selon elle établis : le 4 avril 2009, vers 12 heures, alors que le premier requérant jouait au ballon dans la rue avec des garçons du quartier, ceux-ci se seraient emparés de son ballon, ce qui l’aurait perturbé ; lorsque les garçons I.M. et D.K. sont venus à sa rencontre, il aurait gesticulé et I.M. lui aurait involontairement brûlé les mains.

19. Le 16 juillet 2009, le centre d’aide sociale de Susedgrad dressa au sujet du premier requérant un rapport dont voici les parties pertinentes :

« (...)

Le 6 août 2008, Radmila, la mère [du premier requérant], s’est plainte auprès de nous de ce que Dalibor eût été harcelé par des enfants (...) qui rendaient visite aux filles V.K. et I.K., qui habitent dans leur immeuble. Ces dernières ont dit qu’elles ne harcelaient pas Dalibor et que le chef du groupe était H.B.

Les filles K. et leur mère J.F. ont convenu qu’elles cesseraient de se rassembler devant l’immeuble et qu’elles le feraient ailleurs, de manière à éviter les conflits.

H. et ses parents ont été convoqués dans nos locaux. H. a dit qu’elle ne se rendrait plus devant l’entrée de cet immeuble et que, depuis un certain temps, la situation s’était apaisée.

Après cela, les garçons ont commencé à s’y rendre en différents groupes, de sorte que Mme Đorđević était incapable de les désigner nommément, mais elle savait qu’ils étaient scolarisés à l’école primaire A.K.

Mme Đorđević s’est plainte une nouvelle fois d’un harcèlement survenu le 8 avril 2009, lorsque son fils avait été brûlé à l’aide de cigarettes, et [elle a dit que] les persécutions se poursuivaient.

Le 17 juin 2009 a été conduit un entretien avec Mme Đorđević. [Elle a dit] que les problèmes persistaient. Il y aurait en permanence de nouveaux enfants, pour la plupart des connaissances des filles K., qui provoquent Dalibor. La situation se normaliserait pendant deux ou trois jours, puis les problèmes recommenceraient. Elle aurait de bonnes relations avec le conseiller scolaire, le conseiller en besoins éducatifs spéciaux et le directeur.

Voici ce qu’a déclaré Mme Đorđević : « Le 16 juin 2009, les filles sont d’abord arrivées et se tenaient près du banc. [Mme Đorđević a] invité [son] fils à rentrer car [elle savait] à quel point il avait peur d’elles. Elles lui ont dit qu’il n’avait pas à avoir peur parce qu’elles allaient bientôt partir. Alors, un groupe de garçons sont venus et ont arrosé Dalibor avec un ballon gorgé d’eau. »

Mme Đorđević a ajouté que, ultérieurement, V.K. avait recommencé à rassembler des enfants devant le bâtiment, ce qui perturbait Dalibor.

La police et l’école en ont été informées.

Les [autorités scolaires] se sont entretenues avec tous les enfants désignés nommément et leurs parents.

La police a conduit une enquête [et a interrogé] les enfants qui étaient présents lorsque Dalibor a été brûlé.

Afin d’empêcher la poursuite du harcèlement, nous avons écrit aux [autorités scolaires pour leur demander] de se réunir avec tous les enfants et parents au début de l’année scolaire, dans toutes les classes, pour les informer du problème et pour bien leur montrer que, tant que les auteurs ne seraient pas identifiés, chacun avait sa part de responsabilité dans ces mauvais traitements. Il a également été suggéré de tenir des séminaires et des ateliers avec les enfants pour leur faire comprendre qu’il y a des personnes handicapées qui ont les mêmes droits que les autres, c’est-à-dire le droit de se promener et de vivre à l’extérieur de leur logement sans être harcelées par quiconque.

Avec l’agent I.M. du commissariat de police II, il a été convenu que les policiers chargés du secteur seraient davantage vigilants et patrouilleraient dans la rue plus fréquemment de manière à identifier les auteurs du harcèlement.

Le 14 juillet 2009, une visite a été conduite chez la famille et seul Dalibor se trouvait dans l’appartement : il ignorait où était sa mère et il a ajouté que les enfants ne l’avaient pas provoqué dernièrement. Dalibor était dans l’appartement et il n’y avait aucun enfant autour du bâtiment.

(...) »

20. Le 27 juillet 2009, le parquet de Zagreb avisa la seconde requérante que les auteurs de l’infraction pénale signalée, c’est-à-dire un comportement violent relevant de l’article 331 § 1 du code pénal, étaient D.K. et I.M., deux enfants âgés de moins de quatorze ans, et qu’aucune poursuite pénale ne pouvait être ouverte contre eux du fait de leur âge. Il ajouta qu’elle pouvait demander réparation devant le juge civil.

21. Selon un procès-verbal de police dressé le 5 septembre 2009, ce jour-là, la seconde requérante appela la police à 20 h 40, se plaignant de bruits dans le parc. A l’arrivée de la police à 20 h 45, elle lui aurait dit que, dans l’intervalle, les enfants étaient partis.

22. Selon le rapport d’un médecin établi le 8 septembre 2009 au sujet du premier requérant, celui-ci était constamment harcelé par des enfants qui lui avaient brûlé les mains, criaient contre lui et faisaient du bruit devant le balcon des requérants. Le médecin ajoutait qu’il était nécessaire pour le premier requérant de passer du temps à l’extérieur.

23. Selon un rapport établi le 17 septembre 2009 par le centre d’aide sociale de Susedgrad, ce dernier aurait tenu un entretien ce jour-là avec I.M. et sa mère. Il était ajouté que, I.M. ayant exprimé des regrets concernant l’incident du 4 avril 2009, aucune autre mesure ne s’imposait.

24. En septembre 2009, à une date non précisée, le directeur de l’école primaire A.K. adressa aux parents une lettre les informant que dans leur quartier habitait Dalibor, un jeune homme handicapé souvent harcelé par des écoliers. Il y était expressément indiqué que ces derniers avaient reconnu avoir commis « un certain nombre d’actes brutaux » contre lui, par exemple avoir tenu des propos désobligeants, employé des mots insultants et grossiers, adopté un comportement provocateur, confisqué son ballon et lui avoir brûlé les mains à l’aide de cigarettes. Les parents étaient priés de parler avec leurs enfants et de les avertir des conséquences éventuelles d’une telle attitude.

25. Voici la partie pertinente du procès-verbal d’une réunion parents-enseignants tenue le 30 septembre 2009 à l’école primaire A.K. :

« (...)

A toutes les réunions parents-enseignants tenues au cours de la nouvelle année scolaire, nous avons appelé l’attention des parents sur un jeune homme ayant des besoins spéciaux qui habite dans le voisinage de notre école et qui a été harcelé par des élèves de celle-ci, surtout verbalement et parfois physiquement. Sa mère demande souvent l’aide du personnel de l’école ; un centre d’aide sociale et la médiatrice pour les personnes handicapées ont été sollicités eux aussi. Les parents ont été priés de parler avec leurs enfants et de les sensibiliser au problème de l’acceptation des différences et de la nécessité d’une coexistence pacifique.

Les parents présents ont fait des observations à ce sujet. Certains d’entre eux ont dit que le jeune homme en question était parfois agressif lui aussi, qu’il s’était approché de jeunes filles de manière inappropriée et qu’ils le craignaient et avaient tendance à éviter les endroits où il se trouvait habituellement. D’autres ont ajouté qu’il ne devrait pas sortir en public et qu’il devrait vivre dans des conditions adaptées à son état ou se rendre dans le parc sous la surveillance constante d’un tuteur. Le directeur a pris note de toutes les observations et a promis de prendre contact avec le centre d’aide sociale compétent.

(...) »

26. Le 1er octobre 2009, l’avocate des requérants adressa une plainte écrite au parquet de la ville de Zagreb. Elle indiquait que ses clients étaient deux ressortissants croates d’origine serbe, une mère et son fils qui souffre de retards mentaux et physiques. Elle relatait qu’ils habitaient à environ 70 mètres de l’école primaire A.K. et qu’ils étaient constamment harcelés par des élèves, à tout moment de la journée et surtout lorsque ceux-ci revenaient de l’école en groupes, ainsi qu’en fin d’après-midi et le soir lorsqu’ils se rassemblaient autour d’un banc devant le balcon des requérants hors de la surveillance de leurs parents. Elle alléguait que le harcèlement durait depuis environ quatre ans et était motivé par l’origine serbe des requérants et par le handicap du premier requérant. Elle ajoutait qu’un groupe d’enfants âgés de dix à quatorze ans se rendaient quotidiennement devant l’immeuble où elle et son fils habitaient, hurlaient des insultes et des obscénités à leur encontre et les traitaient de tous les noms. Ils auraient également écrit des remarques insultantes sur le trottoir devant l’immeuble.

L’avocate relata ensuite l’incident du 4 avril 2009. Invoquant les articles 8 et 13 de la Convention, elle se plaignait de l’absence dans l’ordre juridique croate d’un recours effectif offrant une protection contre les actes de violence perpétrés par des enfants.

Elle relata également les événements des 5 et 7 septembre 2009, lorsqu’un groupe d’enfants avaient insulté le premier requérant et, à la seconde date, confisqué son ballon. Le 10 septembre 2009, un groupe d’enfants auraient uriné devant la porte des requérants. Le 14 septembre 2009, environ quatorze élèves de 4e et de 5e auraient poussé le premier requérant avant de l’insulter et de confisquer son ballon. Le lendemain, un garçon aurait proféré des insultes à son encontre.

Elle allégua par ailleurs que les enfants avaient physiquement agressé le premier requérant à au moins dix reprises et lui crachaient souvent dessus. Le 31 juillet 2008, les enfants auraient saccagé le balcon des requérants en déracinant tout le parterre de fleurs et en jetant des pierres et de la boue sur le balcon. Quelques jours plus tard, ils auraient jeté une brique de lait au chocolat sur le balcon.

La seconde requérante aurait signalé ce harcèlement aux services sociaux, à la police, à la médiatrice pour les personnes handicapées et aux autorités scolaires. Malgré la bonne volonté de toutes les parties prenantes, le harcèlement des requérants se serait poursuivi.

27. Selon un rapport médical établi le 7 octobre 2009 au sujet du premier requérant, celui-ci était constamment harcelé par des enfants.

28. Selon un rapport médical établi le 9 novembre 2009 au sujet du premier requérant, celui-ci avait été agressé par des enfants quelques jours auparavant, ce qui l’aurait fortement perturbé. Une psychothérapie était recommandée.

29. Selon un rapport médical établi le 14 décembre 2009 au sujet du premier requérant, « tout le monde lui lançait impitoyablement des boules de neige », ce qui l’effrayait.

30. Selon un rapport médical établi le 14 janvier 2010 au sujet du premier requérant, celui-ci souffrait d’anxiété constante et d’un sentiment de persécution car « rien n’a[vait] été fait pour résoudre sa situation ».

31. Selon un procès-verbal de police dressé le 19 mars 2010, la seconde requérante appela la police ce jour-là à 21 h 18 en raison de « problèmes avec les enfants ». A l’arrivée de la police à 21 h 25, elle lui aurait dit que les enfants jouaient au ballon dans le parc puis avaient jeté le ballon à sa fenêtre avant de s’enfuir.

32. Selon un rapport médical établi le 11 avril 2010 au sujet du premier requérant, celui-ci avait été agressé par un groupe d’enfants et touché au nez par un ballon.

33. Les requérants allèguent que, le 13 mai 2010, un groupe d’enfants, avec en son sein P., un garçon, plaquèrent le premier requérant contre un grillage en fer dans le parc. Ce dernier serait tombé et aurait été touché à la tête et à la jambe droite. Désorienté, il n’aurait plus communiqué pendant trois jours. Des documents médicaux établis ce même jour indiquent qu’il souffrait d’un gonflement à la jambe droite et d’une écorchure au côté gauche du front. Le premier requérant aurait été incapable de marcher pendant cinq jours et sa mère aurait été contrainte d’emprunter une chaise roulante pour lui. Le rapport médical ajoute qu’il avait fait un faux pas et s’était foulé la cheville, et qu’il s’était aussi cogné la tête.

34. Le 14 mai 2010, la seconde requérante se plaignit auprès de la police de ce que, la veille, un garçon, P.B., eût plaqué son fils contre un mur et lui eût aussi confisqué son ballon.

35. Le 20 mai 2010, l’avocate des requérants se plaignit par écrit auprès du parquet de la ville de Zagreb d’autres incidents de violence et de harcèlement commis contre les requérants depuis sa dernière lettre d’octobre 2009. Voici la partie pertinente de sa lettre :

« (...)

Le 5 novembre 2009, deux garçons, dont P., ont insulté le premier requérant, ce qui l’a effrayé.

La seconde requérante a signalé l’incident au conseiller scolaire mais n’a reçu aucune réponse.

Les 14, 18 et 21 décembre 2009, un groupe d’enfants ont jeté de la neige à la fenêtre des requérants et ont, à une occasion, recouvert leur balcon de neige.

Le 15 décembre 2009, un groupe d’enfants ont insulté verbalement le premier requérant dans la rue. Le 22 février 2010, J.S., une assistante sociale du centre d’aide sociale de Susedgrad, a téléphoné à la seconde requérante et lui a dit que le seul moyen de régler la situation était une action au civil.

Le 19 mars 2010, les enfants ont continuellement jeté un ballon à la fenêtre des requérants, ce dont la police a été informée. Le 20 mars 2010, alors que le premier requérant voyageait en bus, un groupe d’enfants ont hurlé son prénom, ce qui l’a perturbé.

Le 10 avril 2010, un garçon prénommé R. a frappé le premier requérant au nez avec un ballon, ce qui l’a désorienté et l’a fait souffrir. La seconde requérante en a informé la police. Cette dernière s’est entretenue deux heures avec elle, a exprimé ses regrets mais l’a avisée que rien ne pouvait être fait car n’importe quelle enquête aurait conclu que les enfants ne faisaient que plaisanter.

Le 13 mai 2010, un groupe d’enfants, avec en son sein P., ont plaqué le premier requérant contre un grillage en fer dans le parc. Ce dernier est tombé et a été touché à la tête et à la jambe droite. Désorienté, il n’a plus communiqué pendant trois jours.

Le 18 mai 2010, alors que le premier requérant était assis sur une balançoire, un groupe d’enfants se sont approchés de lui, ont fait des gestes obscènes à son encontre et lui ont dit qu’il était stupide. »

36. Le même jour, l’avocate se plaignit auprès de la médiatrice pour l’enfance du harcèlement subi par les requérants et sollicita son avis.

37. Les requérants allèguent que, le 24 mai 2010, un groupe d’enfants cognèrent la tête du premier requérant contre un grillage en fer dans le parc et dirent qu’ils aimaient ça. Selon un rapport médical établi le même jour au sujet de l’intéressé, celui-ci avait été plaqué contre un grillage en fer et sa tête avait heurté celui-ci.

38. Le 25 mai 2010, le parquet de la ville de Zagreb avisa l’avocate des requérants qu’il n’avait pas compétence en la matière au motif que les plaintes étaient dirigées contre des enfants pénalement irresponsables.

39. Le 26 mai 2010, le directeur de l’école primaire A.K. fit savoir à l’avocate des requérants que les autorités scolaires avaient pris toutes les mesures jugées adéquates par elles, par exemple un entretien avec les élèves concernés et la communication d’informations à tous les parents lors de réunions parents-enseignants au sujet des problèmes rencontrés par les requérants à cause des élèves.

40. Le 31 mai 2010, la médiatrice pour l’enfance informa l’avocate des requérants qu’elle n’avait pas compétence en la matière.

41. Selon un rapport médical établi le 29 juin 2010 au sujet du premier requérant, celui-ci était continuellement en proie à des attaques d’enfants dans le quartier.

42. Selon des rapports médicaux établis les 29 juin, 25 octobre et 24 novembre 2010 et le 9 février 2011 au sujet du premier requérant, celui‑ci était continuellement en proie à des attaques d’enfants dans le quartier.

43. Le 1er juillet 2010, la police interrogea P.B., un élève de l’école primaire A.K., concernant les incidents survenus les 13 et 14 mai 2010, dans lesquels il nia toute implication.

44. Les requérants allèguent que, le 13 juillet 2010, à 21 heures, quatre garçons et une fille tinrent plusieurs fois des propos obscènes à voix haute sous leur fenêtre. Lorsque la seconde requérante leur demanda de se taire, ils auraient répondu de manière provocatrice, employant le dialecte serbe pour faire directement allusion à l’origine ethnique des requérants, en ces termes : « Appelez la police, nous n’avons pas peur [zovi bre policiju, mi se ne bojimo] ». La seconde requérante signala cet incident le 14 juillet 2010 à J.S., une assistante sociale du centre d’aide sociale de Susedgrad.

45. Le 19 juillet 2010, le centre d’aide sociale de Susedgrad organisa un entretien avec V.K., qui habitait le même immeuble que les requérants. V.K. nia toute implication dans le harcèlement des requérants. Elle ajouta que des enfants et des alcooliques se rassemblaient fréquemment autour du banc devant l’immeuble où elle habitait et faisaient beaucoup de bruit, ce qui perturbait aussi sa famille.

46. Le 2 août 2010, le centre d’aide sociale de Susedgrad informa la police que la seconde requérante s’était plainte de harcèlement et de violences continus contre son fils. Il pria la police de prendre les mesures qui s’imposaient.

47. Le 26 août 2010, la police interrogea Z.B., un élève de l’école primaire A.K., qui nia toute implication dans le harcèlement du premier requérant.

48. Le 27 août 2010, la seconde requérante demanda à la ville de Zagreb le démantèlement du banc en bois sous la fenêtre des requérants.

49. Les requérants allèguent que, le 31 août 2010, vers 15 heures, alors qu’ils revenaient chez eux d’une boutique, un garçon qu’ils connaissaient sous le nom de M. les dépassa à vélo et proféra des insultes à l’encontre du premier requérant, disant notamment « Dalibor est une tapette », ce qui fit naître chez ce dernier un très fort sentiment d’angoisse et de stress.

50. Les requérants allèguent que, le 1er septembre à 18 h 45, trois garçons à vélo arrivèrent devant leur fenêtre puis y jetèrent des ordures et se mirent à hurler. A 19 h 20, un plus grand nombre d’enfants se seraient rassemblés autour du banc en bois devant la fenêtre des requérants et auraient plusieurs fois tapé du poing contre un grillage en métal à proximité, faisant ainsi beaucoup de bruit. Ils auraient également jeté une pierre à la fenêtre des requérants et tenu des propos obscènes à voix haute. A 22 h 3, la seconde requérante aurait appelé la police. Cette dernière n’arrivant pas, elle l’aurait rappelée à 22 h 28. La police lui aurait dit qu’elle allait arriver mais qu’il fallait qu’elle donne suite à d’autres appels. Elle serait arrivée à 22 h 32 et aurait dit aux enfants de s’éloigner de quelques mètres de la fenêtre des requérants. Elle n’aurait aucunement cherché à relever l’identité des enfants. Selon un procès-verbal de police établi le même jour, la seconde requérante avait appelé la police ce jour-là à 21 h 21 pour se plaindre de bruits dans le parc et, à son arrivée à 22 h 35, la police n’avait trouvé personne devant le bâtiment.

51. Les requérants allèguent que, le 3 septembre 2010, un groupe d’une dizaine d’enfants se rassemblèrent autour du banc et firent des bruits d’une intensité insupportable. A 22 h 15, la seconde requérante aurait appelé la police, qui serait arrivée à 22 h 40 et aurait ordonné aux enfants de partir sans avoir toutefois cherché à relever leur identité. Selon un procès-verbal de police établi le même jour, la seconde requérante avait appelé la police à 22 h 20 pour se plaindre de bruits dans le parc et, à son arrivée à 22 h 25, la police n’avait trouvé personne devant le bâtiment.

52. Les requérants allèguent que, le 5 septembre 2010 vers 21 heures, ils remarquèrent à leur retour de l’église qu’une substance blanche non identifiée avait été jetée à leur fenêtre en leur absence. Il y aurait également eu des enfants qui hurlaient sous leur fenêtre. A 22 heures, la seconde requérante aurait appelé la police. Les requérants allèguent par ailleurs que, les 7, 8, 14, 23 et 27 septembre 2010, des enfants se rassemblèrent autour du banc et firent des bruits d’une intensité insupportable.

53. Le 23 septembre 2010, la police interrogea I.S., un élève de l’école primaire A.K., qui nia toute implication dans le harcèlement du premier requérant.

54. Les requérants allèguent que, le 2 octobre 2010, cinq garçons se rassemblèrent autour du banc et firent beaucoup de bruit. A 19 h 40, sept garçons auraient jeté des balles en direction de la fenêtre des requérants et fait du bruit jusqu’à une heure avancée de la nuit. A 23 h 38, la seconde requérante aurait appelé la police, qui serait arrivée à 0 h 15 et aurait dit aux garçons de partir sans leur avoir posé la moindre question et sans avoir cherché à relever leur identité. Selon un procès-verbal de police établi le même jour, la seconde requérante l’appela à 23 h 40 pour se plaindre de bruits et, à son arrivée à 0 h 15, la police ne trouva personne.

55. Les requérants allèguent par ailleurs que, le 4 octobre 2010 à 4 heures, ils furent réveillés par une alarme de voiture sous leur fenêtre. Des enfants auraient tapé du poing contre le mur extérieur de leur appartement, faisant beaucoup de bruit. Le lapin domestiqué du premier requérant serait mort cette nuit-là et ce dernier impute ce décès aux événements de cette nuit, qui l’auraient fortement perturbé. Le 15 octobre 2010, alors que les requérants étaient absents, quelqu’un aurait craché sur la fenêtre de leur salon jusqu’à ce qu’elle soit entièrement recouverte de salive. Le 23 octobre et les 7, 14 et 19 novembre 2010, des groupes d’enfants se seraient rassemblés autour du banc, faisant beaucoup de bruit.

56. Le 17 novembre 2010, la seconde requérante fut informée par la ville de Zagreb que sa demande tendant au démantèlement du banc situé sous le balcon de l’appartement des requérants avait été rejetée.

57. Les requérants allèguent que, le 22 novembre 2010, alors qu’ils revenaient d’une boutique, un groupe d’enfants hurlèrent dans leur direction « Dalibor, Dalibor ! » Le premier requérant aurait été tétanisé de peur et aurait demandé à sa mère pourquoi ils ne le laissaient pas tranquille. La seconde requérante adressa au bureau du président de la République croate et à la médiatrice pour les personnes handicapées une lettre signalant le harcèlement subi par son fils et demandant leur assistance dans le démantèlement du banc. Le 5 décembre 2010, vers minuit, des enfants auraient jeté des boules de neige en direction de la fenêtre des requérants, ce qui aurait terrifié le premier requérant.

58. Le 14 décembre 2010, la médiatrice pour les personnes handicapées recommanda à la ville de Zagreb de démanteler le banc. Ce dernier fut ôté en février 2011. Les requérants allèguent que, le même jour, des enfants détruisirent un conteneur en métal sous leur fenêtre, là où se trouvaient les compteurs de gaz.

59. Les requérants font état d’autres incidents, exposés ci-après. Le 5 février 2011, un groupe d’enfants auraient, dans la rue, hurlé des propos provocateurs dans la direction de la seconde requérante en employant le dialecte serbe (« De si bre ? »). Le 8 février 2011, à 18 h 40, des enfants auraient sonné à la porte des requérants avant de s’enfuir. Le 10 février 2011, les requérants se seraient rendus chez un coiffeur en faisant un détour pour éviter les enfants mais ils auraient rencontré un groupe d’enfants qui auraient hurlé « Dalibor ! » de manière provocatrice. Le 13 février 2011, à 12 h 30, sept garçons auraient couru autour de l’appartement des requérants, tapé du poing contre les murs, grimpé au balcon, regardé à l’intérieur de l’appartement par la fenêtre et ri bruyamment. A 21 h 45, un groupe de garçons auraient chanté la chanson « Nous sommes des Croates » sous la fenêtre des requérants.

60. Selon un rapport médical du 9 mars 2011 concernant le premier requérant, celui-ci se mordait souvent les lèvres et les poings à cause d’angoisses, avait un tic à l’œil gauche et des symptômes de psoriasis. Le rapport ajoutait que l’intéressé était fréquemment agressé et ridiculisé et qu’il était nécessaire de lui assurer un environnement calme et amical.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

A. La Constitution

1. Les dispositions pertinentes

61. Voici les dispositions pertinentes de la Constitution de la République de Croatie (Ustav Republike Hrvatske, Journal officiel nos 56/1990, 135/1997, 8/1998 (texte consolidé), 113/2000, 124/2000 (texte consolidé), 28/2001 et 41/2001 (texte consolidé), 55/2001 (rectification) et 76/2010) :

Article 14

« Chacun jouit en République de Croatie de ses droits et libertés sans distinction, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou autre, d’origine nationale ou sociale, de patrimoine, de naissance, d’éducation ou de situation sociale.

Toute personne est égale devant la loi. »

Article 21

« Tout être humain jouit du droit à la vie (...)

(...) »

Article 23

« Nul ne peut être soumis à une quelconque forme de mauvais traitement

(...) »

Article 35

« Chacun a droit au respect et à la protection par la loi de sa vie privée et familiale, de sa dignité, de sa réputation et de son honneur. »

Article 140

« Les accords internationaux en vigueur conclus et ratifiés conformément à la Constitution et publiés sont intégrés à l’ordre juridique interne de la République de Croatie et priment les lois [nationales] quant à leurs effets juridiques. (...) »

2. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle croate

62. Dans ses décisions nos U-I-892/1994 du 14 novembre 1994 (Journal officiel no 83/1994) et U-I-130/1995 du 20 février 1995 (Journal officiel no 112/1995), la Cour constitutionnelle croate a dit que l’ensemble des droits garantis par la Convention et ses Protocoles avaient également valeur de droits constitutionnels de même portée juridique que les dispositions de la Constitution.

B. Le code pénal

63. Voici la disposition pertinente du code pénal (Kazneni zakon, Journal officiel no 110/1997) :

Article 10

« La loi pénale ne s’applique pas à un mineur qui, à la date où il commet une infraction pénale, n’est pas encore âgé de quatorze ans. »

C. La loi sur les contraventions

64. Voici la disposition pertinente de la loi sur les contraventions (Prekršajni zakon, Journal officiel no 107/2007) :

Article 9

« 1. Toute personne qui, à la date où elle commet une contravention, n’est pas encore âgée de quatorze ans n’en est pas pénalement responsable.

2. Lorsqu’une personne visée au paragraphe 1 du présent article adopte souvent un comportement assimilable à une contravention grave, l’organe de l’Etat compétent pour agir en informe les parents ou le tuteur de la personne ainsi que le centre d’aide sociale compétent.

3. Toute contravention commise par (...) une personne visée au paragraphe 1 du présent article engage la responsabilité des parents si elle a pour cause directe un défaut de surveillance de cette personne (...) »

D. La loi sur les litiges administratifs

65. Voici les dispositions pertinentes de la loi sur les litiges administratifs (Zakon o upravnim sporovima, Journal officiel de la République fédérative socialiste de Yougoslavie no 4/1977, et Journal officiel de la République de Croatie nos 53/1991, 9/1992 et 77/1992 – en vigueur jusqu’au 31 décembre 2011) :

Article 66

« Toute demande de protection d’un droit ou d’une liberté que garantit la Constitution (...), à supposer qu’un acte individuel définitif y ait porté atteinte et qu’aucune autre protection judiciaire ne soit offerte, est tranchée par [le juge administratif] en application mutatis mutandis des dispositions de la présente loi. »

66. Les articles 67 à 76 prévoient une procédure spéciale de protection des droits et libertés constitutionnels contre les voies de fait des pouvoirs publics, lorsqu’aucune autre action en justice n’est possible. Selon la jurisprudence des tribunaux croates, la protection offerte contre les « voies de fait » s’étend aux omissions (ainsi, la Cour administrative, dans sa décision no Us-2099/89 du 21 septembre 1989, et la Cour suprême, dans sa décision no Gž-9/1993 du 6 avril 1993, ont jugé que l’inexécution par l’administration d’un titre exécutoire délivré par elle-même était constitutive d’une « voie de fait » au sens de l’article 67 de la loi sur les litiges administratifs).

67. Aux termes de l’article 67, cette procédure s’ouvre par l’introduction d’une « action contre une voie de fait » (tužba za zaštitu od nezakonite radnje) devant le tribunal municipal compétent. Le défendeur dans ce type d’action est l’autorité publique à laquelle la voie de fait est imputable.

68. Aux termes de l’article 72, l’ouverture de l’action doit être signifiée à l’autorité publique concernée de manière à ce qu’elle puisse y répondre dans le délai fixé par le juge saisi. Toutefois, l’action pourra être tranchée même en l’absence d’une telle réponse si les éléments du dossier permettent de fonder solidement la décision.

69. L’article 73 dispose que le juge statue sur le fond par un jugement. S’il se prononce en faveur du demandeur, il somme le défendeur de faire cesser la voie de fait et, si nécessaire, ordonne la restitutio in integrum.

70. L’article 74 ajoute que, dans le cadre d’une instance ouverte à la suite d’une « action contre une voie de fait », le juge fait application mutatis mutandis des dispositions de la loi sur la procédure civile.

E. La loi sur les obligations civiles

71. Voici les parties pertinentes de la loi sur les obligations civiles (Zakon o obveznim odnosima, Journal officiel nos 35/2005 et 41/2008, entrée en vigueur le 1er janvier 2006 et abrogeant la loi précédente de 1978 sur les obligations) :

Droits de la personnalité
Article 19

« 1. Toute personne physique ou morale a droit à la protection de ses droits de la personnalité [prava osobnosti] dans les conditions prévues par la loi.

2. Les droits de la personnalité au sens de la présente loi sont notamment le droit à la vie, à la santé physique et mentale, à la réputation, à l’honneur, à la dignité, au nom, à l’intimité de la vie personnelle et familiale, et à la liberté.

3. Les personnes morales jouissent de l’ensemble des droits de la personnalité énumérés ci-dessus (mis à part ceux tenant à la nature biologique d’une personne physique) et, en particulier, du droit à la réputation et au renom, à l’honneur, au nom ou à la dénomination sociale, au secret commercial et à la liberté d’entreprise. »

Article 1046

« Le dommage se définit par (...) une atteinte aux droits de la personnalité (dommage moral). »

Demande de cessation d’une violation d’un droit de la personnalité

Article 1048

« Chacun peut demander au juge ou à une autre instance compétente d’ordonner la cessation de toute activité violant ses droits de la personnalité et la suppression de ses conséquences. »

La jurisprudence pertinente

72. Sur le point de savoir quels droits des personnes physiques autres que ceux énumérés à l’article 19 de la loi sur les obligations civiles doivent être considérés comme des droits de la personnalité, il faut noter que seuls les droits suivants ont été jusqu’à présent qualifiés de tels par les tribunaux croates : le droit à la vie, le droit à l’intégrité physique et morale (santé), le droit à la liberté, le droit à la réputation et à l’honneur, le droit à l’intimité de la vie personnelle et familiale, le droit au secret de la correspondance et des manuscrits personnels, le droit à l’identité personnelle (en particulier le droit à l’image, à la voix et au nom de chacun) et le droit moral de l’auteur.

73. Voici l’extrait pertinent de la décision no U-III-1437/2007 rendue par la Cour constitutionnelle le 23 avril 2008 au sujet du droit à la réparation des atteintes aux droits de la personnalité :

« (...)

L’article 1046 de la loi sur les obligations civiles définit le dommage moral comme une atteinte aux droits de la personnalité. Autrement dit, toute atteinte aux droits de la personnalité entraîne un dommage moral.

L’article 19 § 2 de la loi sur les obligations civiles définit ainsi les droits de la personnalité, pour les besoins de ce texte : le droit à la vie, à la santé physique et mentale, à la réputation, à l’honneur, au respect de la dignité et du nom de chacun, à l’intimité de la vie personnelle et familiale, à la liberté, etc.

(...) [F]orce est de conclure que, en l’espèce, il y a eu atteinte aux valeurs humaines, constitutionnelles et personnelles au motif que le demandeur a été emprisonné dans des conditions incompatibles avec les normes légales régissant l’exécution des peines d’emprisonnement ainsi qu’avec les règles énoncées à l’article 25 § 1 de la Constitution. Dès lors, les tribunaux sont tenus de réparer l’atteinte à la dignité du demandeur.

(...) »

F. La loi de prévention des discriminations

74. Voici les parties pertinentes de la loi de prévention des discriminations (Zakon o suzbijanju diskriminacije, Journal officiel no 85/2008) :

Article 1

« 1. La présente loi assure la protection et la promotion de l’égalité en tant que valeur la plus élevée de l’ordre constitutionnel de la République de Croatie ; elle crée les conditions pour une égalité des chances et prévoit une protection contre les discriminations fondées sur la race, l’origine ethnique, la couleur de peau, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la fortune, l’adhésion à un syndicat, l’éducation, la situation sociale, matrimoniale ou familiale, l’âge, l’état de santé, l’invalidité, le patrimoine génétique, l’identité de genre, les propos tenus ou l’orientation sexuelle.

2. Au sens de la présente loi, la discrimination se définit par la mise d’une personne ou de ses proches dans une situation désavantageuse sur l’un des fondements énumérés au paragraphe 1 du présent article.

(...) »

Article 8

« La présente loi s’applique à l’ensemble des organes de l’Etat, (...) des personnes morales et des personnes physiques (...) »

Article 16

« Quiconque s’estime, en raison d’une discrimination, lésé dans l’un de ses droits peut demander la protection de ce droit par le biais d’une action dans le cadre de laquelle la détermination de ce droit sera la question principale, et peut également demander une protection dans le cadre d’une instance distincte régie par l’article 17 de la présente loi. »

Article 17

« Quiconque se dit victime d’une discrimination au sens des dispositions de la présente loi peut demander en justice :

1. Une décision constatant que le défendeur a violé le droit du demandeur à un traitement égal ou qu’un acte ou une omission du défendeur risque de conduire à la violation de ce même droit (demande de constat de discrimination) ;

2. L’interdiction faite au défendeur de commettre tout acte violant ou risquant de violer le droit du demandeur à un traitement égal ou l’adoption de mesures visant à mettre fin à la discrimination ou à ses conséquences (demande d’interdiction ou d’élimination d’une discrimination) ;

3. La réparation de tout dommage matériel ou moral causé par la violation des droits protégés par la présente loi (demande de réparation) ;

4. Un jugement constatant une violation du droit à un traitement égal, à publier dans les médias aux frais du défendeur.

(...) »

III. TEXTES PERTINENTS DU CONSEIL DE L’EUROPE

A. Le Comité des Ministres

75. Voici les parties pertinentes de la Recommandation Rec(2004)10 du Comité des Ministres aux Etats membres relative à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux (adoptée par le Comité des Ministres le 22 septembre 2004, lors de la 896e réunion des Délégués des Ministres) :

« (...)

Tenant compte, en particulier :

– de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ainsi que de son application par les instances créées par cette Convention ;

(...)

Chapitre II – Dispositions générales

Article 3 – Non-discrimination

1. Toute forme de discrimination en raison d’un trouble mental devrait être interdite.

2. Les Etats membres devraient prendre des mesures appropriées afin d’éliminer la discrimination en raison d’un trouble mental.

Article 4 – Droits civils et politiques

1. Les personnes atteintes de troubles mentaux devraient pouvoir exercer tous leurs droits civils et politiques.

2. Toute restriction à l’exercice de ces droits devrait être conforme aux dispositions de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et ne devrait pas être fondée sur le simple fait que la personne est atteinte d’un trouble mental.

(...)

Article 7 – Protection des personnes vulnérables atteintes de troubles mentaux

1. Les Etats membres devraient s’assurer de l’existence de mécanismes de protection des personnes vulnérables atteintes de troubles mentaux, en particulier de celles qui n’ont pas la capacité de consentir ou qui peuvent ne pas être capables de s’opposer à des violations des droits de l’homme dont elles feraient l’objet.

2. La loi devrait prévoir des mesures pour protéger, le cas échéant, les intérêts économiques des personnes atteintes de troubles mentaux.

(...) »

76. Voici les parties pertinentes de la Recommandation Rec(2006)5 du Comité des Ministres aux Etats membres sur le Plan d’action du Conseil de l’Europe pour la promotion des droits et de la pleine participation des personnes handicapées à la société : améliorer la qualité de vie des personnes handicapées en Europe 2006-2015 (adoptée par le Comité des Ministres le 5 avril 2006, lors de la 961e réunion des Délégués des Ministres) :

« (...)

Compte tenu de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (STE no 5) ;

(...)

3.12. Ligne d’action no 12 : Protection juridique

3.12.1. Introduction

Les personnes handicapées ont le droit à la reconnaissance en tous lieux de leur personnalité juridique. Lorsqu’une assistance est nécessaire à l’exercice de cette capacité juridique, les Etats membres doivent veiller à ce que les dispositions appropriées figurent dans leur législation.

Les personnes handicapées constituent un secteur hétérogène de la population, mais elles ont toutes en commun d’avoir besoin, dans une plus ou moins large mesure, de garanties supplémentaires pour jouir pleinement de leurs droits et participer à la société à égalité avec ses autres membres.

La nécessité de prêter une attention particulière à la situation des personnes handicapées, pour ce qui est de l’exercice de leurs droits à égalité avec les autres personnes, est corroborée par les initiatives prises en ce sens aux niveaux national et international.

Le principe de non-discrimination devrait être le fondement des politiques gouvernementales destinées à assurer l’égalité des chances aux personnes handicapées.

Dans une société démocratique, l’accès au système juridique est un droit fondamental ; or, les personnes handicapées rencontrent souvent des difficultés, y compris des obstacles physiques, pour exercer ce droit. Pour remédier à cette situation, une série de mesures et d’actions positives sont nécessaires, et notamment une sensibilisation générale des membres des professions juridiques aux questions relatives au handicap.

3.12.2. Objectifs

i. Garantir aux personnes handicapées un accès effectif à la justice à égalité avec les autres personnes ;

ii. protéger et promouvoir l’exercice de tous les droits de l’homme et libertés fondamentales par les personnes handicapées à égalité avec les autres personnes.

3.12.3. Actions spécifiques à entreprendre par les Etats membres

i. Assurer une protection contre la discrimination par la mise en place de mesures législatives, d’instances, de procédures de rapport et de dispositifs de recours spécifiques ;

ii. veiller à ce que les dispositions qui sont susceptibles d’être discriminatoires pour les personnes handicapées soient supprimées des législations générales ;

iii. promouvoir la formation sur les droits de l’homme et le handicap (aux niveaux national et international) à l’intention des policiers, des agents publics, du personnel judiciaire et du personnel médical ;

iv. encourager les réseaux de défense non gouvernementaux œuvrant en faveur des droits de l’homme des personnes handicapées ;

v. veiller à ce que les personnes handicapées jouissent d’une égalité d’accès au système judiciaire en rendant effectif leur droit de recevoir et de communiquer des informations sous une forme qui leur soit accessible ;

vi. fournir une assistance adéquate aux personnes rencontrant des difficultés pour exercer leur capacité juridique et veiller à ce que cette assistance soit proportionnelle au degré de soutien requis ;

(...)

3.13. Ligne d’action no 13 : Protection contre la violence et les abus

3.13.1. Introduction

Les abus et les actes de violence sont inacceptables et la société a le devoir de veiller à ce que les personnes, en particulier les plus vulnérables, soient protégées contre de tels actes.

Il semble que le nombre de victimes d’abus et de violences soient proportionnellement beaucoup plus élevé parmi les personnes handicapées que dans l’ensemble de la population ; cela est encore plus sensible chez les femmes handicapées, en particulier celles qui présentent des handicaps importants, parmi lesquelles la proportion de victimes d’abus est largement supérieure à celle constatée parmi les femmes qui ne sont pas handicapées. Ces abus peuvent se produire dans des institutions ou dans d’autres situations, y compris dans le milieu familial. Ils peuvent être infligés par un étranger ou un proche de la personne et revêtir de nombreuses formes – agressions verbales, actes de violence ou refus de satisfaire les besoins élémentaires, par exemple.

Les gouvernements doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour mettre en place les mécanismes de protection et de sauvegarde les plus solides possibles même s’ils ne peuvent pas garantir la disparition des abus. Parmi les nombreux moyens de prévention, l’éducation permet de prendre conscience du droit des personnes à la protection et d’apprendre à reconnaître et à réduire les risques d’abus. Les personnes handicapées qui sont victimes d’abus ou de violences doivent avoir accès à des aides appropriées, et notamment à un mécanisme qui leur permette de signaler en toute confiance les cas d’abus et leur garantisse un suivi et un soutien individuel. Un tel mécanisme nécessite un personnel qualifié, formé à détecter les situations d’abus et à y réagir.

Bien que des études aient été entreprises ces dernières années, il faut à l’évidence approfondir les connaissances pour définir des stratégies et des pratiques appropriées.

3.13.2. Objectifs

i. Œuvrer dans le cadre des droits de l’homme et de la lutte contre la discrimination afin de protéger les personnes handicapées contre toutes les formes de violence et d’abus ;

ii. garantir l’accès des personnes handicapées aux services et aux systèmes d’assistance aux victimes de violences et d’abus.

3.13.3. Actions spécifiques à entreprendre par les Etats membres

i. Mettre en place des garanties pour protéger les personnes handicapées contre la violence et les abus par la mise en œuvre effective de politiques et, si nécessaire, d’une législation appropriées ;

ii. promouvoir les formations et leur accessibilité pour aider les personnes handicapées à être moins exposées à la violence et aux abus, par exemple des stages destinés à renforcer la confiance en soi et à accroître son autonomie ;

iii. développer des programmes, mesures et protocoles adaptés aux personnes handicapées pour améliorer le dépistage des cas de violence et d’abus, et veiller à ce que les mesures nécessaires soient prises à l’encontre des auteurs de ces actes, y compris des mesures de réparation, et à ce que des services de conseil adéquats soient assurés par des professionnels en cas de problèmes psychologiques ;

iv. veiller à ce que les personnes handicapées victimes de violence et d’abus, y compris dans le milieu familial, aient accès aux services d’aide appropriés, y compris pour obtenir réparation ;

v. prévenir et combattre la violence, les mauvais traitements et les abus dans toutes les situations en soutenant les familles, en sensibilisant et en éduquant le public, et en favorisant les échanges de vues et la coopération entre les parties concernées ;

vi. soutenir les personnes handicapées, en particulier les femmes, et leurs familles en situation d’abus en leur fournissant des informations et en leur donnant accès aux services appropriés ;

vii. s’assurer que des systèmes soient en place pour protéger contre les abus les personnes handicapées en établissement psychiatrique, en foyer d’accueil, en institution, en orphelinat et dans d’autres types d’hébergement institutionnel ;

viii. veiller à ce qu’une formation appropriée soit dispensée à tous les personnels intervenant dans un cadre institutionnel spécialisé et dans les services d’assistance généraux ;

ix. former les autorités de police et les autorités judiciaires de façon à ce qu’elles puissent recevoir les témoignages de personnes handicapées et traiter sérieusement les cas d’abus ;

x. informer les personnes handicapées sur les moyens d’éviter la survenue de violences et d’abus, et leur apprendre à les reconnaître et à les signaler ;

xi. prendre des mesures législatives, administratives, judiciaires ou autres assorties de sanctions sévères, qui soient appliquées de manière transparente et puissent faire l’objet d’un examen indépendant par la société civile, afin de prévenir toutes les formes de violence physique ou mentale, de blessure ou d’abus, d’abandon ou de traitement négligent, de séquestration, de mauvais traitement ou d’exploitation à l’encontre de personnes handicapées ;

(...) »

77. Voici les parties pertinentes de la Résolution ResAP(2005)1 sur la protection des adultes et enfants handicapés contre les abus (adoptée par le Comité des Ministres le 2 février 2005, lors de la 913e réunion des Délégués des Ministres) :

« (...)

I. Définition des abus

1. On entend par abus dans la présente Résolution tout acte, ou omission, qui a pour effet de porter atteinte, que ce soit de manière volontaire ou par négligence, aux droits fondamentaux, aux libertés civiles, à l’intégrité corporelle, psychique et morale, à la dignité ou au bien-être général d’une personne vulnérable, y compris les relations sexuelles ou les opérations financières auxquelles elle ne consent ou ne peut consentir valablement, ou qui visent délibérément à l’exploiter. Les abus peuvent revêtir diverses formes :

a. la violence physique, qui comprend les châtiments corporels, l’incarcération – y compris l’enfermement chez soi sans possibilité de sortir –, l’usage excessif ou à mauvais escient de médicaments, l’expérimentation médicale sans consentement et la détention illégale d’aliénés ;

b. les abus et l’exploitation sexuels, notamment le viol, les agressions sexuelles, les outrages aux mœurs, les attentats à la pudeur, la participation forcée à des actes de pornographie et à la prostitution ;

c. les menaces et les préjudices psychologiques, généralement les insultes, les contraintes, l’isolement, le rejet, l’intimidation, le harcèlement, les humiliations, les menaces de sanctions ou d’abandon, le chantage affectif, l’arbitraire, le déni du statut d’adulte et l’infantilisation des personnes handicapées, ainsi que le déni de l’individualité, de la sexualité, de l’éducation et de la formation, des loisirs ou du sport ;

(...)

3. Ces abus nécessitent une réponse proportionnée qui ne remette pas en cause les choix légitimes posés par des individus handicapés, mais reconnaisse la vulnérabilité et l’exploitation. C’est pourquoi le terme d’« abus » s’applique à un large éventail de situations, incluant les actes criminels, les transgressions de l’éthique professionnelle, les pratiques qui sortent du champ des normes admises ou les soins vraiment inadéquats. Par conséquent, les mesures qui préviennent ou répondent à l’abus impliquent toute une série d’instances et d’acteurs, parmi lesquels la police, le système de justice pénale, les organismes gouvernementaux réglementant les services et les professions, les organisations de défense des intérêts des personnes handicapées, les réseaux d’usagers et les associations de patients, de même que les prestataires et les organisateurs de services.

II. Principes et mesures visant à protéger les adultes et les enfants handicapés contre les abus

1. Protection des droits de l’homme

Les Etats membres ont le devoir de protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales de tous leurs citoyens. Ils ont le devoir de veiller à ce que les personnes handicapées soient protégées au moins autant que les autres citoyens.

Les Etats membres doivent reconnaître que la maltraitance constitue une violation des droits de l’homme. Il faut que les personnes handicapées bénéficient d’une sauvegarde contre les mauvais traitements délibérés et (ou) évitables, à égalité au moins avec les autres citoyens. Des mesures supplémentaires doivent être mises en place pour assurer la sécurité des personnes handicapées particulièrement vulnérables.

2. Insertion des personnes handicapées

Chaque Etat membre doit reconnaître sa responsabilité de sauvegarder les droits de ses citoyens qui sont des personnes handicapées.

Les Etats membres doivent lutter et promouvoir des mesures actives contre la discrimination vis-à-vis des personnes handicapées et assurer l’insertion de celles-ci dans la vie socio-économique du pays.

Ils doivent reconnaître que toutes les personnes handicapées ont droit à la dignité, à l’égalité des chances, à un revenu qui leur soit propre, à l’éducation, à l’emploi, ainsi qu’à l’acceptation et à l’intégration dans la vie sociale, y compris en matière d’accessibilité, de soins de santé et de rééducation médicale et fonctionnelle.

Ils doivent garantir que les personnes handicapées bénéficient d’une protection au moins égale à celle des autres citoyens en ce qui concerne l’accès à tous les services.

3. Prévention des abus

Les Etats membres doivent sensibiliser l’opinion, promouvoir un débat ouvert, accroître les connaissances et améliorer l’enseignement et la formation professionnels.

Ils doivent encourager la coopération entre les pouvoirs publics et les organisations compétentes pour que soient prises des mesures visant à prévenir les abus, à en améliorer la détection et à les signaler, ainsi qu’à soutenir les victimes.

Ils doivent élaborer et mettre en œuvre une législation relative aux normes et règlements qui concernent les professions spécialisées et les cadres de soins, afin de prévenir les abus, par acte ou omission, envers les personnes handicapées ; ils doivent contrôler ensuite l’application de cette législation.

4. Protection juridique

Les Etats membres doivent garantir aux personnes handicapées – au moins autant qu’aux autres citoyens – un accès à la justice pénale ainsi qu’une réparation et (ou) une indemnisation en cas de maltraitance. Au besoin, les intéressés doivent recevoir une assistance supplémentaire destinée à aplanir d’autres obstacles.

Au regard du droit civil, les personnes handicapées sont des requérants dont il faut sauvegarder les droits. Les Etats membres doivent donc assurer que les membres des professions travaillant dans le domaine de la justice pénale traitent les personnes handicapées sans discrimination et de manière à garantir l’égalité des chances dans l’exercice de leurs droits de citoyenneté.

(...) »

B. L’Assemblée parlementaire

78. Voici les parties pertinentes de la Résolution 1642 (2009) de l’Assemblée parlementaire sur l’accès aux droits des personnes handicapées, et la pleine et active participation de celles-ci dans la société (adoptée le 26 janvier 2009) :

« 1. Plus d’une personne sur dix souffre d’une forme quelconque de handicap, ce qui représente au total 650 millions de personnes dans le monde, avec une proportion encore plus forte en Europe, qui compte à elle seule jusqu’à 200 millions de personnes handicapées. On constate une corrélation entre l’âge et le handicap, car, sous l’effet du vieillissement de la population et de l’amélioration des soins de santé, le nombre de personnes handicapées en Europe s’accroît et continuera d’augmenter.

2. L’Assemblée parlementaire rappelle que la Convention européenne des droits de l’homme du Conseil de l’Europe (STE no 5) protège toute personne, y compris les personnes handicapées, et que l’article 15 de la Charte sociale européenne révisée (STE no 163) garantit expressément aux personnes handicapées l’exercice effectif du droit à l’autonomie, à l’intégration sociale et à la participation à la vie de la communauté. Plus récente et très attendue, la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées est entrée en vigueur le 3 mai 2008. L’Assemblée salue ce texte qui décrit en détail les droits des personnes handicapées, y compris des enfants handicapés, et qui contribuera certainement au changement de perception essentiel à l’amélioration de la situation physique et mentale de ces personnes.

3. L’Assemblée constate que, dans la pratique, l’accès aux droits des personnes handicapées physiques et mentales à égalité avec les personnes valides reste souvent un vœu pieux et se révèle insuffisant. Aussi se félicite-t-elle de l’élaboration par le Conseil de l’Europe du Plan d’action 2006-2015 pour la promotion des droits et de la pleine participation des personnes handicapées (Recommandation Rec(2006)5 du Comité des Ministres), qui cherche à répondre concrètement aux problèmes les plus graves et les plus courants rencontrés par les personnes handicapées, et à favoriser l’égalité des chances, et qui préconise un ensemble de mesures pour améliorer la situation des personnes handicapées dans tous les aspects de la vie quotidienne.

(...)

18. Considérant que l’attitude de la société, les préjugés et les mentalités figées demeurent l’obstacle le plus important à l’accès aux droits des personnes handicapées et à leur pleine et active participation dans la société, l’Assemblée invite les Etats membres :

18.1. à intensifier les campagnes d’information et de sensibilisation du grand public aux questions relatives au handicap ;

18.2. à poursuivre et à réprimer juridiquement les pratiques discriminatoires et les attitudes inacceptables à l’encontre des personnes handicapées, en particulier les actes de maltraitance, qu’ils soient individuels ou commis au sein d’établissements de soins ;

18.3. à diffuser des exemples de bonnes pratiques dans tous les domaines de la vie courante, afin de faire mieux comprendre – à tous et particulièrement aux plus jeunes – la portée de cette question, que ce soit dans la société civile, dans l’environnement professionnel ou dans le milieu éducatif ;

18.4. à garantir la participation pleine et active des personnes handicapées à chacun de ces processus.

(...) »

IV. TEXTES PERTINENTS DES NATIONS UNIES

79. Voici les parties pertinentes de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (ratifiée par la Croatie le 15 août 2007 et entrée en vigueur à l’égard de celle-ci le 3 mai 2008) :

Article premier – Objet

« La présente Convention a pour objet de promouvoir, protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales par les personnes handicapées et de promouvoir le respect de leur dignité intrinsèque.

Par personnes handicapées on entend des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres. »

Article 4 – Obligations générales

« 1. Les Etats Parties s’engagent à garantir et à promouvoir le plein exercice de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales de toutes les personnes handicapées sans discrimination d’aucune sorte fondée sur le handicap. A cette fin, ils s’engagent à :

a) Adopter toutes mesures appropriées d’ordre législatif, administratif ou autre pour mettre en œuvre les droits reconnus dans la présente Convention ;

b) Prendre toutes mesures appropriées, y compris des mesures législatives, pour modifier, abroger ou abolir les lois, règlements, coutumes et pratiques qui sont source de discrimination envers les personnes handicapées ;

c) Prendre en compte la protection et la promotion des droits de l’homme des personnes handicapées dans toutes les politiques et dans tous les programmes ;

d) S’abstenir de tout acte et de toute pratique incompatible avec la présente Convention et veiller à ce que les pouvoirs publics et les institutions agissent conformément à la présente Convention ;

e) Prendre toutes mesures appropriées pour éliminer la discrimination fondée sur le handicap pratiquée par toute personne, organisation ou entreprise privée ;

(...) »

Article 5 – Egalité et non-discrimination

« 1. Les Etats Parties reconnaissent que toutes les personnes sont égales devant la loi et en vertu de celle-ci et ont droit sans discrimination à l’égale protection et à l’égal bénéfice de la loi.

2. Les Etats Parties interdisent toutes les discriminations fondées sur le handicap et garantissent aux personnes handicapées une égale et effective protection juridique contre toute discrimination, quel qu’en soit le fondement.

3. Afin de promouvoir l’égalité et d’éliminer la discrimination, les Etats Parties prennent toutes les mesures appropriées pour faire en sorte que des aménagements raisonnables soient apportés.

4. Les mesures spécifiques qui sont nécessaires pour accélérer ou assurer l’égalité de facto des personnes handicapées ne constituent pas une discrimination au sens de la présente Convention. »

Article 8 – Sensibilisation

« 1. Les Etats Parties s’engagent à prendre des mesures immédiates, efficaces et appropriées en vue de :

a) Sensibiliser l’ensemble de la société, y compris au niveau de la famille, à la situation des personnes handicapées et promouvoir le respect des droits et de la dignité des personnes handicapées ;

b) Combattre les stéréotypes, les préjugés et les pratiques dangereuses concernant les personnes handicapées, y compris ceux liés au sexe et à l’âge, dans tous les domaines ;

c) Mieux faire connaître les capacités et les contributions des personnes handicapées.

2. Dans le cadre des mesures qu’ils prennent à cette fin, les Etats Parties :

a) Lancent et mènent des campagnes efficaces de sensibilisation du public en vue de :

i. Favoriser une attitude réceptive à l’égard des droits des personnes handicapées ;

ii. Promouvoir une perception positive des personnes handicapées et une conscience sociale plus poussée à leur égard ;

iii. Promouvoir la reconnaissance des compétences, mérites et aptitudes des personnes handicapées et de leurs contributions dans leur milieu de travail et sur le marché du travail ;

b) Encouragent à tous les niveaux du système éducatif, notamment chez tous les enfants dès leur plus jeune âge, une attitude de respect pour les droits des personnes handicapées ;

c) Encouragent tous les médias à montrer les personnes handicapées sous un jour conforme à l’objet de la présente Convention ;

d) Encouragent l’organisation de programmes de formation en sensibilisation aux personnes handicapées et aux droits des personnes handicapées. »

Article 15 – Droit de ne pas être soumis à la torture
ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

« 1. Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou scientifique.

2. Les Etats Parties prennent toutes mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher, sur la base de l’égalité avec les autres, que des personnes handicapées ne soient soumises à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. »

Article 16 – Droit de ne pas être soumis à l’exploitation,
à la violence et à la maltraitance

« 1. Les Etats Parties prennent toutes mesures législatives, administratives, sociales, éducatives et autres mesures appropriées pour protéger les personnes handicapées, à leur domicile comme à l’extérieur, contre toutes formes d’exploitation, de violence et de maltraitance, y compris leurs aspects fondés sur le sexe.

2. Les Etats Parties prennent également toutes mesures appropriées pour prévenir toutes les formes d’exploitation, de violence et de maltraitance en assurant notamment aux personnes handicapées, à leur famille et à leurs aidants des formes appropriées d’aide et d’accompagnement adaptées au sexe et à l’âge, y compris en mettant à leur disposition des informations et des services éducatifs sur les moyens d’éviter, de reconnaître et de dénoncer les cas d’exploitation, de violence et de maltraitance. Les Etats Parties veillent à ce que les services de protection tiennent compte de l’âge, du sexe et du handicap des intéressés.

3. Afin de prévenir toutes les formes d’exploitation, de violence et de maltraitance, les Etats Parties veillent à ce que tous les établissements et programmes destinés aux personnes handicapées soient effectivement contrôlés par des autorités indépendantes.

4. Les Etats Parties prennent toutes mesures appropriées pour faciliter le rétablissement physique, cognitif et psychologique, la réadaptation et la réinsertion sociale des personnes handicapées qui ont été victimes d’exploitation, de violence ou de maltraitance sous toutes leurs formes, notamment en mettant à leur disposition des services de protection. Le rétablissement et la réinsertion interviennent dans un environnement qui favorise la santé, le bien-être, l’estime de soi, la dignité et l’autonomie de la personne et qui prend en compte les besoins spécifiquement liés au sexe et à l’âge.

5. Les Etats Parties mettent en place une législation et des politiques efficaces, y compris une législation et des politiques axées sur les femmes et les enfants, qui garantissent que les cas d’exploitation, de violence et de maltraitance envers des personnes handicapées sont dépistés, font l’objet d’une enquête et, le cas échéant, donnent lieu à des poursuites. »

Article 17 – Protection de l’intégrité de la personne

« Toute personne handicapée a droit au respect de son intégrité physique et morale sur la base de l’égalité avec les autres. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 2, 3 ET 8 DE LA CONVENTION

80. Les requérants estiment que les autorités croates ne leur ont pas offert une protection adéquate contre le harcèlement que leur ont fait subir des enfants de leur quartier. Ils invoquent les articles 2, 3 et 8 de la Convention, dont voici les parties pertinentes :

Article 2

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

(...) »

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Article 8

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...)

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Sur la recevabilité

1. Thèses des parties

a) Le Gouvernement

81. Le Gouvernement estime inapplicables dans les circonstances de l’espèce les articles 2 et 3 de la Convention. Pour ce qui est de l’article 2, la vie des requérants n’aurait jamais été menacée de quelque manière que ce soit. Quant à l’article 3, le degré requis de gravité n’aurait pas été atteint, le harcèlement dénoncé étant surtout verbal et les blessures subies par le premier requérant le 4 avril 2009 étant légères. La volonté exprimée par l’intéressé de se promener montrerait qu’il n’a pas été traumatisé par les événements en cause.

82. Le Gouvernement soutient en outre que les requérants n’ont pas épuisé toutes les voies de recours internes disponibles. Il estime qu’ils auraient dû former une action en réparation au civil contre les enfants en cause et leurs parents, contre l’école où les enfants étaient scolarisés ou contre d’autres autorités. Il ajoute qu’ils auraient pu chercher à engager la responsabilité des parents pour contravention. Il considère de plus qu’ils auraient pu assigner les autorités compétentes au moyen d’une « action contre une voie de fait » en vertu de la loi sur les litiges administratifs. Il expose que, dans le cadre d’une telle action, le juge compétent aurait été tenu de statuer dans l’urgence et que son jugement aurait été exécutoire dans les trois jours à compter de sa date de signification aux parties.

83. S’agissant des faits survenus les 10 avril et 13 mai 2010, le Gouvernement soutient que leurs auteurs allégués, P.B. et Z.B., étaient alors âgés de quatorze ans et que leur responsabilité pénale pouvait donc être engagée. L’enquête pénale étant toujours en cours, tirer un quelconque grief de ces faits serait prématuré.

b) Les requérants

84. Les requérants soutiennent en réponse qu’ils ont été victimes d’un harcèlement constant se caractérisant notamment par des actes de violence physique contre le premier requérant et par des violences verbales contre eux deux. Ce harcèlement aurait perturbé leur vie quotidienne et aurait été constamment pour eux source de vives angoisses et souffrances, surtout compte tenu de l’état de santé du premier requérant. Ces méfaits répétitifs auraient atteint le degré de gravité requis par les articles 3 et 8 de la Convention et l’article 2 de la Convention trouverait lui aussi à s’appliquer du fait de la surenchère dans les violences subies par le premier requérant au vu de sa vulnérabilité extrême et du risque, attesté par les recherches sur les délits « handicapophobes », qu’un harcèlement bénin, si rien n’est fait, dégénère en véritables actes de violence pouvant se solder dans des cas extrêmes par des décès ou par de graves sévices.

85. Sur la question de l’épuisement des recours internes, les requérants estiment que l’ordre juridique croate ne leur offrait aucune voie de droit pour obtenir réparation d’un délit « handicapophobe ». C’est ce que confirmerait la non-production par le Gouvernement d’une quelconque jurisprudence pertinente qui aurait permis d’étayer la thèse, défendue par lui, de la disponibilité et de l’effectivité des recours qu’il évoque.

86. S’agissant de l’éventualité d’engager contre l’administration une action contre une voie de fait sur la base de l’article 67 de la loi sur les litiges administratifs, les requérants soutiennent que, compte tenu de ses conditions de recevabilité – par exemple celles exigeant que la voie de fait soit constitutive d’une violation de la Convention, que l’action ne soit ouverte qu’en dernier ressort et que la voie de fait se poursuive à la date de l’introduction de l’instance –, ce recours est ineffectif en l’espèce.

87. Pour ce qui est de l’éventualité d’une action en réparation au civil contre les parents des enfants en cause, les requérants soutiennent que la Cour a déjà dit dans des affaires croates que, pour décourager effectivement les attaques contre l’intégrité physique d’une personne, il faut des mécanismes efficaces de droit pénal assurant à cet égard une protection adéquate (Sandra Janković c. Croatie, no 38478/05, § 36, 5 mars 2009).

88. En ce qui concerne la procédure pour contravention, les requérants estiment qu’elle ne s’applique qu’aux contraventions contre l’ordre public et qu’un recours de ce type est donc manifestement inadapté aux atteintes à leur intégrité physique et morale.

89. Quant à l’argument tiré par le Gouvernement de ce que la requête ait été introduite prématurément pour ce qui est des événements des 10 avril et 13 mai 2010 au motif que l’enquête conduite à ce sujet serait toujours en cours, les requérants répliquent qu’ils n’ont jamais reçu la moindre information officielle faisant état de l’ouverture d’une quelconque enquête de cette nature et que, en tout état de cause, l’action des autorités a connu des retards injustifiés. De surcroît, l’enquête porterait sur des incidents isolés et non sur la situation globale dans laquelle ils se trouvaient.

2. Appréciation de la Cour

a) Quant à l’applicabilité aux circonstances de l’espèce des articles 2, 3 et 8 de la Convention

i. A l’égard du premier requérant

90. La Cour prend note des incidents répétés de comportements violents dont a été victime le premier requérant. Les faits dénoncés concernent des cas fréquents de harcèlement survenus entre le 31 juillet 2008 et le mois de février 2011, soit pendant environ deux ans et demi. Il s’agit d’un harcèlement autant verbal que physique, à l’occasion duquel notamment le premier requérant a eu les mains brûlées à l’aide de cigarettes, s’est fait plaquer contre un grillage en fer et a été frappé avec un ballon. Les incidents en l’espèce se rattachant tous à une série de faits commis par un groupe d’enfants et s’étalant sur une longue période, la Cour les examinera comme une situation continue.

91. La Cour relève que les faits de harcèlement commis contre le premier requérant par des enfants du quartier et des enfants scolarisés dans une école primaire voisine sont bien établis, notamment par des procès-verbaux de police et des rapports médicaux. Ceux-ci attestent des conséquences néfastes de ces incidents sur la santé physique et mentale de l’intéressé. Les documents relatifs à ce dernier indiquent qu’il souffre de graves troubles mentaux mais qu’il est une personne pacifique et inoffensive qui ne peut pas et ne sait pas se défendre contre ses tourmenteurs. En raison du harcèlement constamment subi par lui, il a dû suivre une psychothérapie, a souvent peur et vit dans l’angoisse. Il a été recommandé qu’il sorte de cette spirale de harcèlement.

92. Le premier requérant allègue de manière crédible que, pendant longtemps, il a été l’objet de menaces d’atteinte à son intégrité physique et morale et a bel et bien été harcelé ou agressé à plusieurs reprises.

93. La Cour en conclut que les autorités croates avaient l’obligation positive de protéger le premier requérant du comportement violent des enfants en cause. Au vu des circonstances de l’espèce, cette obligation était née sur le terrain tant de l’article 3 que de l’article 8 de la Convention mais la Cour estime, toujours compte tenu de ces circonstances, qu’il suffit d’analyser les griefs de l’intéressé sous l’angle du seul article 3.

94. La Cour rappelle qu’un mauvais traitement doit atteindre un seuil minimal de gravité pour tomber sous le coup de l’article 3. L’appréciation de ce seuil est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la nature et du contexte du traitement, de sa durée et de ses conséquences physiques ou mentales ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (Costello-Roberts c. Royaume-Uni, 25 mars 1993, § 30, série A no 247‑C, et A. c. Royaume-Uni, 23 septembre 1998, § 20, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VI).

95. La Cour a estimé un traitement « inhumain », notamment pour avoir été appliqué avec préméditation pendant des heures et avoir causé sinon de véritables lésions, du moins de vives souffrances physiques et morales (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 120, CEDH 2000‑IV). Elle a considéré qu’un traitement était « dégradant » en ce qu’il était de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier et à les avilir et à briser éventuellement leur résistance physique ou morale (Hurtado c. Suisse, 28 janvier 1994, avis de la Commission, § 67, série A no 280-A et Wieser c. Autriche, no 2293/03, § 36, 22 février 2007).

96. La Cour considère que le harcèlement du premier requérant – à cause duquel il a subi au moins une fois des blessures physiques et qui, de surcroît, a fait naître en lui un sentiment de crainte et d’impuissance – est suffisamment sérieux pour atteindre le degré de gravité nécessaire pour relever de l’article 3 de la Convention et que, dès lors, cette disposition est applicable en l’espèce (Price c. Royaume-Uni, no 33394/96, § 24, CEDH 2001‑VII, et Milanović c. Serbie, no 44614/07, § 87, 14 décembre 2010).

ii. A l’égard de la seconde requérante

97. En ce qui concerne la seconde requérante, la Cour constate qu’elle n’a été exposée à aucune forme de violence contre son intégrité physique. Cela dit, il ne fait aucun doute que le harcèlement constant subi par le premier requérant, son fils handicapé dont elle a la charge, et que les incidents de harcèlement qui l’ont touchée personnellement elle aussi, fût-ce plus modérément, ont été source de perturbations dans le déroulement de sa vie quotidienne et ont porté atteinte à sa vie privée et familiale. En effet, la notion de vie privée englobe l’intégrité morale de la personne, ainsi que les relations des individus entre eux.

98. Il s’ensuit que l’article 8 est applicable aux circonstances de l’espèce pour ce qui est des griefs relatifs à la seconde requérante.

b) Quant à l’épuisement des recours internes

99. La Cour rappelle que la finalité de l’article 35 est de ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne soient soumises aux organes de la Convention. Les Etats n’ont donc pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. La règle de l’épuisement des recours internes visée à l’article 35 de la Convention impose au requérant de ne se prévaloir que des seuls recours normalement disponibles et suffisants pour lui permettre d’obtenir réparation des violations qu’il allègue. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, §§ 74 et 75, CEDH 1999‑V).

100. L’article 35 prévoit une répartition de la charge de la preuve. Il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible, était susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 68, Recueil 1996‑IV).

101. La Cour souligne qu’elle doit appliquer la règle de l’épuisement des recours internes en tenant dûment compte du contexte. Elle a ainsi reconnu que l’article 35 doit s’appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif (Cardot c. France, 19 mars 1991, § 34, série A no 200). Elle a de plus admis que cette règle ne s’accommode pas d’une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu ; en en contrôlant le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause (Van Oosterwijck c. Belgique, 6 novembre 1980, § 35, série A no 40). Cela signifie notamment que la Cour doit tenir compte de manière réaliste non seulement des recours prévus en théorie dans le système juridique de la Partie contractante concernée, mais également du contexte juridique et politique dans lequel ils se situent ainsi que de la situation personnelle des requérants (Akdivar et autres, précité, § 69).

102. Pour ce qui est de la présente affaire, la Cour relève que le Gouvernement dit que les requérants auraient dû former une action en réparation au civil contre les parents des enfants impliqués dans les actes de harcèlement et de violence perpétrés contre le premier requérant, ajoutant qu’ils avaient également la possibilité de chercher à engager la responsabilité de ces mêmes parents pour contravention.

103. Sur ce point, la Cour rappelle qu’il est question en l’espèce non pas de la responsabilité individuelle des parents des enfants en cause mais de l’absence alléguée de réaction adéquate des autorités compétentes de l’Etat face à des actes répétés de harcèlement et de violence commis par des enfants à l’égard desquels, compte tenu de leur jeune âge, le droit national excluait toute poursuite pénale.

104. Pour ce qui est de l’argument tiré par le Gouvernement de ce que la requête ait été introduite prématurément au motif que les enfants P.B., Z.B. et I.S., présentés comme impliqués dans les événements des 10 avril et 13 mai 2010, étaient alors âgés de quatorze ans et donc pénalement responsables, la Cour rappelle tout d’abord que la question de la responsabilité pénale individuelle ne se pose pas en l’espèce. En tout état de cause, les incidents en question ont eu lieu en avril et mai 2010, et le Gouvernement n’a pas démontré que des mesures autres que les interrogatoires de ces enfants conduits par la police en juillet, août et septembre 2010 eussent été prises.

105. Cependant, la question de l’effectivité, au vu des circonstances particulières de l’espèce, de certains autres recours évoqués par le Gouvernement mérite examen. La Cour relève que les articles 67 à 76 de la loi sur les litiges administratifs prévoient l’« action contre une voie de fait » (paragraphes 66 et 67 ci-dessus), un recours en justice ouvert à toute personne estimant que les pouvoirs publics ont porté atteinte à ses droits ou libertés garantis par la Constitution et qu’aucun autre recours judiciaire ne lui est disponible. Ce recours ainsi que celui prévu par l’article 66 de cette même loi contre un « acte individuel définitif » (paragraphe 65 ci-dessus) sont des voies de dernier ressort qui ne peuvent être empruntées qu’en l’absence de toute autre protection judiciaire contre les décisions ou les autres actions ou omissions (factuelles) de l’administration susceptibles de violer des droits ou libertés garantis par la Constitution. L’idée qui sous-tend ces recours est que les droits et libertés constitutionnels sont si précieux que le juge ne saurait les laisser sans protection.

106. La Cour relève en outre que le droit de ne pas être victime de mauvais traitements et le droit au respect de la vie privée et familiale de chacun sont l’un comme l’autre garantis par la Constitution croate. De plus, il ressort de la jurisprudence pertinente des tribunaux croates que les recours ci-dessus peuvent également être formés en cas d’inaction, comme dans le cas présent où les requérants reprochent aux autorités nationales de ne pas avoir pris les mesures appropriées. Toutefois, certaines questions se posent quant à l’effectivité d’une telle action au vu des circonstances de l’espèce.

107. Tout d’abord, le Gouvernement ne précise pas quelle autorité pouvait être tenue pour responsable d’un défaut d’adoption de mesures adéquates. Le recours qu’il évoque étant une « action contre une voie de fait » (y compris une omission), il aurait été nécessaire d’établir quel organe était tenu d’agir et sur la base de quelle loi. Ensuite, un recours dirigé contre une omission ne peut être introduit que contre l’agent public à qui la loi donnait obligation d’agir. Or il eût été difficile en l’espèce de désigner nommément l’agent public investi d’une telle obligation. De surcroît, le Gouvernement est muet à ce sujet. La Cour relève à cet égard que les requérants tirent notamment grief de ce que la loi n’imposât à aucune instance de l’Etat de prendre une quelconque mesure dans la situation dénoncée.

108. Le recours en question, fondé sur la loi sur les litiges administratifs, aurait nécessité la saisine des tribunaux civils ordinaires. Le Gouvernement n’a pas indiqué si, dans le cadre d’un tel recours, il eût été possible d’appliquer une mesure provisoire de quelque type que ce fût. Or la situation dénoncée par les requérants montre que ceux-ci étaient continuellement harcelés, parfois presque quotidiennement, et ils tirent essentiellement grief de ce que, bien que conscientes de cette situation, les autorités nationales n’aient pas pris les mesures qui s’imposaient pour empêcher la répétition du harcèlement. La situation appelait donc une réaction immédiate des autorités de l’Etat. Or le Gouvernement n’a pas démontré que l’un quelconque des recours évoqués par lui eût permis une réaction immédiate de ce type face à cette situation de harcèlement.

109. Dès lors, pour ce qui est de l’« action contre une voie de fait » et de l’action en réparation au civil contre l’Etat en vertu de la loi sur les obligations civiles, le Gouvernement n’a pas démontré que ces recours eussent permis l’adoption des mesures promptes et appropriées qu’imposaient les circonstances de l’espèce.

110. A ce stade, la Cour rappelle que l’obligation d’épuiser les voies de recours internes repose sur le caractère subsidiaire des instruments de la Convention, c’est-à-dire sur le principe voulant que les autorités nationales doivent au préalable avoir eu la possibilité de remédier aux violations dénoncées. A cet égard, elle relève que la seconde requérante s’est plainte à plusieurs reprises de ce harcèlement constant auprès de diverses autorités nationales, par exemple la police et le parquet, le centre d’aide sociale compétent et l’école où étaient scolarisés les enfants en cause. Elle estime donc que, ayant ainsi donné aux autorités compétentes une possibilité adéquate de réagir à ces allégations et de mettre fin au harcèlement dénoncé, l’intéressée a épuisé les recours internes disponibles.

111. De plus, les requérants ont fait état de lacunes dans le système croate de protection des personnes handicapées contre les actes de harcèlement et de violence, notamment quant au régime encadrant l’action des autorités compétentes et aux mécanismes prévus. A cet égard, la Cour estime que le Gouvernement n’a pas démontré que ces questions eussent pu être examinées dans le cadre de l’un quelconque des recours qu’il évoque.

112. Il s’ensuit que les requérants n’étaient pas tenus d’épuiser aussi les recours évoqués par le Gouvernement. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a pris en considération les circonstances particulières de l’espèce ainsi que le fait qu’un droit aussi fondamental que celui de ne pas être soumis à un traitement inhumain ou dégradant est en jeu et que la Convention est censée garantir des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (voir, par exemple, Matthews c. Royaume-Uni [GC], no 24833/94, § 34, CEDH 1999‑I). Aussi y a-t-il lieu de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement.

c) Conclusion

113. La Cour conclut que les griefs soulevés sur le terrain des articles 3 et 8 de la Convention ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il y a donc lieu de les déclarer recevables.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Les requérants

114. Les requérants s’attachent tout d’abord à la question des violences subies par le premier requérant, en tant que délit « handicapophobe ». Les études consacrées à ce problème montreraient que, en proportion, les handicapés sont bien plus souvent victimes d’abus et de violences que le reste de la population et que ces méfaits sont très répandus. Les violences contre les personnes mentalement handicapées prendraient le plus souvent les formes suivantes : coups de pied, morsures, invectives, tracasseries, vols, bourrades, menaces, jets d’objets, exhortations à quitter un bâtiment, heurts, hurlements dans leur direction, insultes, extorsion d’argent, tirage de cheveux, jets de pierres, crachats, doigts enfoncés, coups de poing, passages à tabac et têtes cognées contre les murs. Les personnes handicapées seraient souvent victimes de violences continues perpétrées par les mêmes individus. Les sévices seraient souvent le fait de bandes de jeunes qui ciblent systématiquement la même personne, comme ici.

115. Les handicapés seraient habituellement harcelés parce qu’ils sont perçus comme inférieurs. Les violences et l’hostilité pourraient avoir des conséquences très diverses, oscillant par exemple entre les séquelles émotionnelles, physiques et sexuelles et le décès de la victime. Les personnes handicapées seraient parfois contraintes de réorganiser leur vie quotidienne afin de pallier les risques.

116. Dans leurs observations, les requérants invoquent également les matériaux internationaux précités, en particulier la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées et les obligations qui en découlent.

117. Les requérants disent que, parce qu’ils sont d’origine serbe et que le premier requérant est handicapé, un groupe d’enfants non identifiés pour la plupart leur ont fait constamment subir un harcèlement et des sévices pendant plus de cinq ans. Le harcèlement aurait surtout consisté en des insultes verbales et en d’autres formes d’incivilités, par exemple des crachats, des bruits, des messages d’insulte écrits sur le trottoir et des dommages causés au lieu de résidence des intéressés. Ces derniers en auraient beaucoup souffert. Outre le préjudice physique ainsi subi, le harcèlement constant aurait eu des conséquences particulièrement néfastes sur le bien-être mental du premier requérant, comme l’aurait attesté son psychothérapeute.

118. De plus, les requérants auraient été contraints de changer leur routine quotidienne. Se promener chaque jour au parc, s’y asseoir sur un banc et parler aux gens serait essentiel au premier requérant pour qu’il puisse peu à peu vivre de manière autonome et se sentir inséré dans la société. Or, parce que des enfants de son quartier le harcelaient constamment, il aurait été contraint de mettre fin à toutes ces activités.

119. S’appuyant largement sur la jurisprudence de la Cour concernant les obligations positives que font peser sur l’Etat les articles 3 et 8 de la Convention, les requérants soutiennent que les autorités compétentes croates étaient tenues de prendre des mesures positives pour les protéger de ces dommages perpétrés par des tiers. Alors que la seconde requérante leur aurait signalé à plusieurs reprises les mauvais traitements auxquels ils étaient exposés, les autorités n’auraient quasiment rien fait pour empêcher la répétition de ces sévices. Elles auraient donc su que le harcèlement subi par le premier requérant était répétitif.

120. Or, bien qu’au fait de la situation des requérants, les autorités compétentes n’auraient pas fait cesser le harcèlement et les exactions en question comme elles en avaient l’obligation. Les requérants soutiennent que l’on ne pouvait pas savoir précisément quelle autorité avait compétence pour régler leur problème. S’agissant de l’argument tiré par le Gouvernement de ce que la police ait réagi comme il le fallait à toutes les plaintes formulées par la seconde requérante, ils estiment que la police n’a pas pris toute la mesure de ces méfaits continus ni empêché leur répétition. La police n’aurait pas procédé à l’identification des malfaiteurs. Elle se serait contentée d’arriver sur les lieux et de les exhorter à partir. Le laxisme dont elle aurait ainsi fait preuve n’aurait eu aucun effet dissuasif. De plus, la police aurait traité chaque cas de harcèlement comme un incident isolé, sans saisir le caractère continu de la situation. Elle n’aurait pris non plus aucune des mesures qui s’imposaient, par exemple ouvrir une action pour contraventions contre les parents des enfants impliqués.

121. Les requérants considèrent que le centre d’aide sociale compétent aurait dû enquêter sur ce dossier et établir les faits pertinents, inviter les parents des enfants en cause à une réunion de manière à faire la lumière sur leurs cas personnels, prendre des mesures de protection pour empêcher la répétition des violences, conseiller ou contraindre les auteurs des faits et leurs parents à consulter un spécialiste, contrôler la situation et rendre compte des mesures prises. Or le centre d’aide sociale de Susedgrad n’aurait rien fait de tout cela. Certes, en 2009, il aurait pris des mesures contre l’un des mineurs impliqués dans l’incident concernant les brûlures de cigarettes et l’aurait mis sous la surveillance d’une assistante sociale avant de saisir le juge afin de le placer pendant une année dans un établissement pour enfants au comportement problématique. Mais il aurait fait tout cela en raison non pas de l’agression subie par le premier requérant mais de l’ensemble des problèmes de comportement de l’enfant en question.

122. Quant aux autorités de l’établissement où les enfants en cause étaient scolarisés, les requérants disent qu’elles n’ont pris aucune des mesures disciplinaires adoptables contre les élèves au comportement violent, par exemple prononcer un avertissement, une réprimande, une réprimande sévère ou l’exclusion de l’école. Certes, lesdites autorités auraient bien pris certaines autres mesures, par exemple inviter les parents et les enfants à faire en sorte que les comportements violents contre les requérants cessent ou organiser des réunions pour faire part aux élèves de ce qu’il faut faire et de ce qu’il ne faut pas faire avec les personnes ayant des besoins spéciaux. Elles auraient aussi organisé des entretiens avec les élèves concernés. Or ces mesures n’auraient pas permis d’empêcher la répétition des violences contre les requérants.

123. De même, aucune des autres autorités n’aurait fait grand-chose pour empêcher les violences et le harcèlement subis par les requérants.

b) Le Gouvernement

124. Le Gouvernement soutient que, mis à part les incidents signalés à la police et attestés par les procès-verbaux dressés par celle-ci, les requérants n’ont prouvé l’existence d’aucun autre incident. Il estime que les autorités compétentes ont pris toutes les mesures qui s’imposaient pour protéger les intéressés du harcèlement. A chaque fois, la seconde requérante aurait appelé la police puis celle-ci serait arrivée dans les meilleurs délais et aurait interrogé les enfants en cause avant de les mettre en garde contre leur mauvais comportement. Un procès-verbal aurait été chaque fois dressé puis communiqué au parquet.

125. L’établissement où les enfants en cause étaient scolarisés aurait lui aussi toujours promptement réagi aux allégations de harcèlement des requérants. Les membres de son personnel auraient souvent discuté des personnes ayant des besoins spéciaux avec les élèves et leurs parents. Ils auraient dit à ces derniers d’en parler avec leurs enfants et le directeur de l’école leur aurait adressé une lettre à cet effet.

126. Pour ce qui est de l’incident du 4 avril 2009, le Gouvernement soutient que les autorités nationales ont pris toutes les mesures qui s’imposaient pour identifier l’auteur des faits. Elles auraient finalement découvert que la personne qui avait brûlé les mains du premier requérant à l’aide d’une cigarette était I.M., un enfant âgé de moins de quatorze ans. Ce dernier étant pénalement irresponsable du fait de son âge, elles auraient conseillé aux requérants de former une action en réparation devant le juge civil. Le parquet compétent aurait communiqué ses conclusions tant à la médiatrice pour l’enfance qu’au centre d’aide sociale compétent.

127. S’agissant des faits survenus les 10 avril et 13 mai 2010, ainsi que des allégations faisant état d’un harcèlement constant subi par le premier requérant, la police aurait interrogé les enfants P.B., Z.B. et I.S. L’enquête se poursuivrait et, ces derniers étant tous déjà âgés de plus de quatorze ans à la date des faits allégués, leur responsabilité pénale pourrait être engagée.

128. Le Gouvernement conclut de ces éléments que les autorités nationales ont agi avec promptitude et diligence à l’égard de chaque plainte formulée par les requérants et pris toutes mesures pour empêcher la répétition du harcèlement. Depuis juin 2010, il n’y aurait eu aucune autre plainte.

129. Le Gouvernement tient à ajouter que les parents ont une grande responsabilité pour ce qui est d’empêcher leurs enfants de mal se comporter. Les autorités de l’école, ainsi que les services sociaux, auraient toujours signalé aux parents des enfants en cause les problèmes causés par ceux-ci.

130. Par ailleurs, la seconde requérante, en tant que mère du premier requérant, porte elle aussi une certaine responsabilité dans la prise en charge de son fils. Il aurait été établi que le premier requérant a besoin d’une aide pour marcher et de la présence constante de sa mère près de lui, qu’il souffre d’épilepsie et que sa vue est mauvaise. Les services sociaux ayant averti sa mère de ne pas le laisser sortir seul de l’appartement, le Gouvernement estime que le respect de cette mise en garde aurait réglé tous les problèmes tenant aux contacts physiques de l’intéressé avec autrui et que, si la seconde requérante l’avait toujours accompagné à l’extérieur, elle aurait pu sensibiliser les autres enfants à la situation de son fils.

c) Le tiers intervenant

131. Le European Disability Forum voit les questions qui se posent en l’espèce sous l’angle des délits « handicapophobes ». Il dit que reconnaître un délit inspiré par la haine des handicapés représente un défi pour bon nombre d’ordres juridiques étant donné que, à cause de leur vulnérabilité, les services répressifs et les tribunaux ont moins tendance à qualifier ces méfaits de délits motivés par la haine. Deux études distinctes au Royaume‑Uni montreraient que, si les personnes handicapées risquent quatre fois plus que les autres d’être agressées verbalement et physiquement, elles risquent deux fois moins de signaler ces méfaits à la police.

132. Le tiers intervenant ajoute que les comportements hostiles à l’égard des handicapés donnant lieu à des agressions violentes sont par nature discriminatoires puisque les victimes ont été choisies à cause de leur handicap visible. Il soutient que la crainte des personnes ayant un tel handicap et dont l’apparence est considérée comme « dérangeante et déplaisante » est la raison principale pour laquelle elles sont victimes de violences. Ces personnes passeraient souvent pour inférieures ou responsables de leur propre état, faisant peser le fardeau sur la société dans son ensemble.

133. La crainte de ce qui est « différent » ne serait nourrie que lorsque la victime potentielle est considérée comme vulnérable. Les auteurs de méfaits de ce type profiteraient de la vulnérabilité des handicapés pour les attaquer, surtout lorsque ceux-ci sont agressés aux fins non pas de les dévaliser mais de les humilier et de les atteindre dans leur individualité.

134. Le European Disability Forum ajoute que la reconnaissance du délit « handicapophobe » en tant que tel est une tendance récente. Invoquant l’article 5 de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (précitée), il estime que cette disposition confirme le droit pour toutes les personnes handicapées à être protégées au même titre que les autres. Sur ce fondement, l’Etat pourrait reconnaître la discrimination fondée sur le handicap de la victime et y remédier. Cela supposerait qu’il ait une connaissance suffisante des handicaps pour permettre l’application de la loi en satisfaisant les besoins des personnes qui en souffrent. Dans certains cas, le respect du principe de non-discrimination pourrait imposer de reconnaître la spécificité de la situation des personnes handicapées par rapport aux autres. Le deuxième paragraphe de l’article 5 ferait mention de l’obligation incombant à l’Etat de protéger lesdites personnes contre les discriminations, quel que soit leur fondement. Une nouvelle fois, pour que cette obligation soit respectée, il faudrait que les agents de l’Etat soient particulièrement bien formés.

135. Le tiers intervenant souligne par ailleurs que la Convention des Nations unies oblige les Etats parties à prendre « toutes mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher (...) que des personnes handicapées » ne soient soumises à des violences, ce qui nécessiterait là aussi une formation pour les personnes travaillant dans l’administration de la justice.

136. En conclusion, le European Disability Forum soutient que, jusqu’à présent, les délits « handicapophobes » n’ont pas suffisamment attiré l’attention du législateur et des autorités chargées de l’application de la loi. De ce fait, les délits de ce type ne seraient pas reconnus en tant que tels et ces phénomènes seraient peu signalés et mal compris. Les autorités devraient réagir à ce problème non plus en aval mais en amont et chercher à protéger les personnes handicapées de tous les actes de violence.

2. Appréciation de la Cour

a) En ce qui concerne le premier requérant

i. Principes généraux

137. La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention doit être considéré comme l’une des dispositions primordiales de la Convention et comme consacrant l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l’Europe (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 49, CEDH 2002‑III). Contrastant avec les autres dispositions de la Convention, l’article 3 est libellé en termes absolus, ne prévoyant ni exceptions ni conditions, et d’après l’article 15 de la Convention il ne souffre nulle dérogation (voir, entre autres, Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 79, Recueil 1996‑V).

138. La Cour rappelle que, sur le point de savoir si la responsabilité de l’Etat peut être engagée sur le terrain de l’article 3 à raison de mauvais traitements infligés par des entités autres que lui, l’obligation que l’article 1 de la Convention fait aux Hautes Parties contractantes de garantir à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés consacrés par la Convention leur commande, en combinaison avec l’article 3, de prendre des mesures propres à empêcher que lesdites personnes ne soient soumises à des tortures ou à des traitements inhumains ou dégradants, même administrés par des particuliers (voir, mutatis mutandis, H.L.R. c. France, 29 avril 1997, § 40, Recueil 1997‑III). Ces dispositions doivent permettre une protection efficace, notamment des enfants et autres personnes vulnérables, et inclure des mesures raisonnables pour empêcher des mauvais traitements dont les autorités avaient ou auraient dû avoir connaissance (voir, mutatis mutandis, Osman c. Royaume-Uni, 28 octobre 1998, § 116, Recueil 1998-VIII, et E. et autres c. Royaume-Uni, no 33218/96, § 88, 26 novembre 2002).

139. Eu égard aux difficultés pour la police d’exercer ses fonctions dans les sociétés contemporaines, à l’imprévisibilité du comportement humain et aux choix opérationnels à faire en termes de priorités et de ressources, il faut toutefois interpréter cette obligation positive de manière à ne pas imposer aux autorités un fardeau insupportable ou excessif. Toute menace présumée contre la vie n’oblige pas les autorités, au regard de la Convention, à prendre des mesures concrètes pour en prévenir la réalisation. Pour que l’on puisse parler d’une obligation positive, il doit être établi que les autorités avaient ou auraient dû avoir connaissance à l’époque de l’existence d’un risque réel et immédiat pour un individu identifié de subir des mauvais traitements du fait des actes criminels d’un tiers et qu’elles sont restées en défaut de prendre, dans le cadre de leurs pouvoirs, des mesures qui auraient raisonnablement pu être réputées de nature à éviter ce risque. Une autre considération pertinente est la nécessité de s’assurer que la police exerce son pouvoir de juguler et de prévenir la criminalité en respectant pleinement les voies légales et autres garanties qui limitent légitimement l’étendue de ses actes d’investigations criminelles et de traduction des délinquants en justice, y compris les garanties figurant à l’article 8 de la Convention (Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, no 13178/03, § 53, CEDH 2006‑XI, Membres de la Congrégation des témoins de Jéhovah de Gldani et autres c. Géorgie, no 71156/01, § 96, 3 mai 2007, et Milanović, précité, § 84 ; voir aussi, mutatis mutandis, Osman, précité, § 116).

140. La Cour va donc rechercher si, lorsqu’il s’est occupé du cas du premier requérant, l’Etat défendeur a manqué aux obligations positives que fait peser sur lui l’article 3.

ii. Application en l’espèce des principes susmentionnés

141. La Cour relève d’emblée que les actes de violence contraires à l’article 3 de la Convention appellent normalement des mesures de droit pénal contre leurs auteurs (Beganović c. Croatie, no 46423/06, § 71, 25 juin 2009, pour ce qui est de l’article 3, et Sandra Janković, précité, § 47, pour ce qui est de l’article 8).

142. Or, en l’espèce, la plupart des infracteurs allégués étaient des enfants âgés de moins de quatorze ans à l’égard desquels le droit national interdisait toute sanction de droit pénal. De plus, au vu des circonstances particulières de la cause, il est question d’incidents de harcèlement qui, si aucun d’entre eux n’est peut-être constitutif en lui-même d’une infraction pénale, pourraient dans leur globalité être incompatibles avec les exigences de l’article 3 de la Convention. Dès lors, la présente espèce se distingue des affaires relatives aux obligations procédurales de droit pénal incombant à l’Etat à raison des faits de mauvais traitements contraires à l’article 3 de la Convention et lui imposant de conduire d’office une enquête complète, effective et indépendante.

143. La présente affaire porte sur la question des obligations positives de l’Etat dans un autre type de situation, hors de la sphère du droit pénal, où, alors qu’elles étaient au fait d’un cas de harcèlement grave, voire de violences, contre une personne atteinte de handicaps physiques et mentaux, les autorités compétentes de l’Etat n’auraient pas apporté à cette situation une réponse adéquate qui eût permis de remédier comme il convenait aux méfaits déjà survenus et d’en empêcher la répétition.

144. Au vu de ces éléments, la Cour va rechercher tout d’abord si les autorités compétentes étaient ou auraient dû être au fait du harcèlement et des violences dont le premier requérant était victime.

145. A cet égard, la Cour constate qu’il ressort du dossier que, dès le 31 juillet 2008, la seconde requérante signala à la police le harcèlement que des enfants du quartier faisaient sans cesse subir à son fils. Elle relata également à la police de nombreux autres incidents, notamment celui du 4 avril 2009, au cours duquel les mains de son fils avaient été brûlées à l’aide de cigarettes. En avril 2009, elle fit part de ce même incident à la médiatrice pour les personnes handicapées. Entre mai et juillet 2009, la police avisa le parquet ainsi que le centre d’aide sociale compétent des sévices dont aurait été victime le premier requérant et, au mois de septembre 2009, les autorités scolaires en furent dûment informées elles aussi.

146. Au vu de ces éléments, la Cour est convaincue que les autorités nationales étaient au fait du harcèlement que faisaient sans cesse subir au premier requérant des enfants de son quartier et des enfants scolarisés dans une école voisine. Elle va donc rechercher si ces mêmes autorités ont pris toutes mesures raisonnables eu égard aux circonstances de l’espèce pour protéger le requérant de ces méfaits.

147. Dans le cas d’espèce, où des incidents de violence ont persisté pendant un certain temps, la Cour estime que les autorités compétentes n’ont pas pris de mesures suffisantes permettant de jauger la gravité du problème et d’en empêcher la répétition.

148. Certes, la police a interrogé quelques-uns des enfants présentés comme étant impliqués dans certains des incidents et les autorités scolaires ont discuté du problème avec les élèves et leurs parents. Cependant, aucune initiative sérieuse n’a été prise pour apprécier la nature réelle de la situation dénoncée et pour pallier l’absence de prise en compte de ces faits comme un tout, ce pourquoi aucune mesure adéquate et globale n’a été adoptée. Ainsi, les constats de la police n’ont donné lieu à aucune autre action concrète : aucune décision de principe n’a été adoptée, et aucun mécanisme de surveillance n’a été mis en place pour constater et empêcher la poursuite du harcèlement. La Cour est frappée par le manque d’implication réelle des services sociaux et par l’absence de tout élément faisant état d’une consultation d’experts en la matière, lesquels auraient pu faire les recommandations nécessaires et travailler avec les enfants concernés. De même, aucune prise en charge n’a été proposée au premier requérant pour l’aider. La Cour constate que, en réalité, à part avoir réagi à certains incidents précis, les autorités compétentes n’ont adopté aucune mesure générale digne de ce nom pour s’attaquer au problème de fond alors qu’elles savaient que le premier requérant était systématiquement ciblé et que les agressions allaient très vraisemblablement se répéter à l’avenir.

149. La Cour en conclut que les autorités compétentes de l’Etat n’ont pas pris toutes mesures raisonnables pour empêcher les exactions dont le premier requérant a été victime, alors que le risque que celles-ci se poursuivent était réel et prévisible.

150. Il y a donc eu violation de l’article 3 de la Convention à l’égard du premier requérant.

b) En ce qui concerne la seconde requérante

i. Principes généraux

151. Si l’article 8 tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’Etat de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée et familiale, qui peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux (X et Y c. Pays-Bas, 26 mars 1985, § 23, série A no 91, Botta c. Italie, 24 février 1998, § 33, Recueil 1998‑I, Mikulić c. Croatie, no 53176/99, § 57, CEDH 2002‑I, et Sandra Janković, précité, § 44).

152. La Cour a déjà jugé, dans différents contextes, que la notion de vie privée englobe l’intégrité morale de la personne. Dans certaines circonstances, l’article 8 donne obligation à l’Etat de protéger l’intégrité morale d’une personne des actes commis par autrui. La Cour a dit aussi que l’Etat a l’obligation positive d’assurer le respect de la dignité humaine et, à certains égards, de la qualité de vie (L. c. Lituanie, no 27527/03, § 56, CEDH 2007‑IV, et, mutatis mutandis, Pretty, précité, § 65).

ii. Application en l’espèce des principes susmentionnés

153. La Cour considère que les faits de harcèlement continu évoqués ci‑dessus ont également porté atteinte à la vie privée et familiale de la seconde requérante. Elle a conclu que les autorités de l’Etat n’avaient pas pris de mesures appropriées et utiles pour empêcher que le premier requérant ne fût de nouveau harcelé. De la même manière, les autorités de l’Etat n’ont offert à sa mère aucune protection adéquate sur ce point. Il y a donc également eu violation de l’article 8 de la Convention à l’égard de la seconde requérante.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION

154. Les requérants soutiennent par ailleurs que les exactions commises à leur encontre et la réaction des autorités compétentes étaient également discriminatoires en ce qu’elles auraient été motivées par leur origine ethnique serbe et par le handicap du premier requérant. Ils invoquent l’article 14 de la Convention, ainsi libellé :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

Sur la recevabilité

1. Thèses des parties

155. Le Gouvernement soutient que les requérants auraient pu former une action fondée sur la loi de prévention des discriminations, ce qui leur aurait permis de demander la reconnaissance de toute discrimination éventuelle visée dans cette loi, une décision ordonnant la cessation de cette discrimination et de ses conséquences, ainsi qu’une indemnisation.

156. Les requérants rétorquent qu’une action sur la base de la loi de prévention des discriminations ne constitue pas un recours effectif parce qu’ils n’auraient pas pu tirer grief de la situation particulière dénoncée. Ils ajoutent que, deux ans après l’entrée en vigueur de cette loi, aucune jurisprudence pertinente ne montrerait soit qu’une action introduite sur la base de cette loi ait gagné la confiance du justiciable, soit que les procédures ouvertes dans ce cadre aient progressé avec une célérité adéquate.

2. Appréciation de la Cour

157. La Cour rappelle que l’article 14 n’a pas d’existence autonome, mais joue un rôle important de complément des autres dispositions de la Convention et de ses Protocoles puisqu’il protège les individus, placés dans des situations analogues, contre toute discrimination dans la jouissance des droits énoncés dans ces autres dispositions (Dudgeon c. Royaume-Uni, 22 octobre 1981, § 67, série A no 45, Chassagnou et autres c. France [GC], nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, § 89, CEDH 1999‑III, et Timichev c. Russie, nos 55762/00 et 55974/00, § 53, CEDH 2005‑XII). L’article 14 peut entrer en jeu même sans un manquement aux exigences desdites dispositions et, dans cette mesure, possède une portée autonome, mais il ne saurait trouver à s’appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l’empire de l’une au moins de ces dispositions (voir, par exemple, Van Buitenen c. Pays-Bas, no 11775/85, décision de la Commission du 2 mars 1987, non publiée, et Cha’are Shalom Ve Tsedek c. France [GC], no 27417/95, § 86, CEDH 2000‑VII).

158. La Cour a également jugé que, quand bien même aucune disposition matérielle de la Convention ne serait applicable, l’article 14 peut néanmoins trouver à s’appliquer (Savez crkava « Riječ života » et autres c. Croatie, no 7798/08, § 58, 9 décembre 2010). Dès lors, les questions de recevabilité touchant l’article 14 peuvent faire l’objet d’un examen distinct.

159. En l’espèce, la Cour examinera sur le terrain de l’article 14 la question de l’épuisement des recours internes au regard de la loi de prévention des discriminations. A cet égard, elle rappelle avoir déjà analysé la question de l’épuisement des recours internes pour un grief de discrimination séparément de cette même question touchant le grief principal (Valkov et autres c. Bulgarie, nos 2033/04, 19125/04, 19475/04, 19490/04, 19495/04, 19497/04, 24729/04, 171/05 et 2041/05, §§ 104-108, 25 octobre 2011). Cette approche va de pair avec le principe selon lequel, lorsque la Cour a constaté une violation séparée d’une disposition normative de la Convention, invoquée devant elle à la fois isolément et conjointement avec l’article 14, elle n’a en général pas besoin d’examiner aussi l’affaire sous l’angle de cet article, mais il en va autrement si une nette inégalité de traitement dans la jouissance du droit en cause constitue un aspect fondamental du litige (Dudgeon, précité, § 67, Chassagnou et autres, précité, § 89, et Timichev, précité, § 53).

160. En l’espèce, la Cour constate que la loi de prévention des discriminations vise expressément la discrimination fondée sur l’état de santé, l’invalidité ou l’origine ethnique (article 1 de cette loi). Ce texte ouvre plusieurs voies de recours, notamment la reconnaissance de la discrimination, l’interdiction des faits discriminatoires et la réparation du dommage. Un recours peut également être dirigé contre une autorité nationale accusée de n’avoir pris aucune mesure (paragraphe 74 ci-dessus).

161. Ce sont les tribunaux ordinaires qui doivent être saisis pour obtenir une protection contre les discriminations, et le jugement de première instance est susceptible d’appel. Un recours constitutionnel peut également être formé. Le droit de ne pas être victime d’une discrimination est par ailleurs garanti par la Constitution croate et la Convention est d’applicabilité directe en Croatie. De manière à respecter le principe de subsidiarité, un requérant, avant de porter ses griefs devant la Cour, doit au préalable avoir donné au juge national la possibilité de remédier à sa situation et de trancher les questions dont il souhaite saisir la Cour.

162. Dans ces conditions, la Cour estime qu’une action fondée sur les dispositions de la loi de prévention des discriminations constitue un recours interne effectif et que, dûment introduite, elle aurait pu conduire à la reconnaissance de la violation alléguée et à l’octroi d’une indemnité. S’ils avaient été déboutés par le juge ordinaire, les requérants auraient pu aussi former un recours constitutionnel et saisir de leurs griefs la Cour constitutionnelle. Or ils ne se sont prévalus d’aucun des recours qui leur étaient ouverts.

163. Aussi y a-t-il lieu, conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention, de rejeter ce grief pour défaut d’épuisement des voies de recours internes.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

164. Les requérants soutiennent qu’ils ne disposaient d’aucun recours effectif concernant leurs griefs soulevés sur le terrain de la Convention. Ils invoquent son article 13, ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Sur la recevabilité

1. Sur le grief tiré d’une violation de l’article 13 en ce qui concerne les griefs soulevés par les requérants sur le terrain des articles 3 et 8 de la Convention

165. La Cour constate que le grief tiré d’une violation de l’article 13 en ce qui concerne les griefs soulevés sur le terrain des articles 3 et 8 de la Convention doit lui aussi être déclaré recevable.

2. Sur le grief tiré d’une violation de l’article 13 en ce qui concerne le grief soulevé par les requérants sur le terrain de l’article 14 de la Convention

166. La Cour a déjà établi que, pour ce qui est du grief qu’ils soulèvent sous l’angle de l’article 14 de la Convention, les requérants disposaient d’un recours effectif, en l’occurrence une action fondée sur les dispositions de la loi de prévention des discriminations, et qu’ils n’en avaient pas fait usage. Il s’ensuit que ce volet de la requête est manifestement mal fondé et doit être rejeté conformément à l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

B. Sur le fond

167. Les requérants soutiennent qu’ils ne disposaient d’aucun recours effectif qui leur eût permis d’obtenir une protection contre les actes de harcèlement et de violence dénoncés. La Cour rappelle que le Gouvernement soutenait qu’un certain nombre d’actions leur étaient ouvertes à cet égard. Elle a cependant établi qu’aucune de ces actions n’aurait permis de remédier à la situation des requérants pour ce qui est de leurs griefs soulevés sur le terrain des articles 3 et 8 de la Convention.

168. La Cour en conclut que les requérants ne disposaient d’aucun recours effectif concernant leurs griefs soulevés sous l’angle des articles 3 et 8 de la Convention. Aussi y a-t-il eu violation de l’article 13 à cet égard.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

169. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

170. Les requérants réclament 10 000 euros (EUR) chacun pour dommage moral.

171. Le Gouvernement estime ce montant excessif et infondé.

172. Au vu de l’ensemble des circonstances de la présente affaire, la Cour reconnaît que les requérants ont subi un préjudice moral que le seul constat d’une violation ne suffit pas à réparer. Statuant en équité, elle leur accorde conjointement 11 500 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû par eux à titre d’impôt sur cette somme.

B. Frais et dépens

173. Les requérants, qui ont été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire prévue par le Conseil de l’Europe, réclament également 1 206 EUR pour leurs frais et dépens devant le juge national et 4 997,13 EUR pour ceux engagés devant la Cour.

174. Le Gouvernement soutient que les requérants n’ont produit aucun justificatif à l’appui de leur demande.

175. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant n’a droit au remboursement de ses frais et dépens qu’à condition que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des pièces en sa possession et des critères ci‑dessus, la Cour estime que les frais engagés par les requérants devant les instances nationales pour se plaindre du harcèlement subi par eux visaient essentiellement à remédier aux violations alléguées, devant la Cour, de leurs droits découlant de la Convention et que ces frais peuvent être pris en compte dans l’appréciation de leur demande au titre des dépens (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 284, CEDH 2006‑V, et Medić c. Croatie, no 49916/07, § 50, 26 mars 2009). Eu égard aux éléments en sa possession et aux critères ci-dessus, elle accorde conjointement aux requérants 1 206 EUR pour leurs frais et dépens devant le juge national et 3 500 EUR pour ceux engagés devant elle, moins les 850 EUR déjà perçus par le biais de l’assistance judiciaire du Conseil de l’Europe, plus tout montant pouvant être dû par eux à titre d’impôt sur cette somme.

C. Intérêts moratoires

176. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable pour ce qui est des griefs soulevés sur le terrain des articles 3 et 8 de la Convention, ainsi que du grief relatif à l’article 13 pour autant qu’il se rapporte aux griefs soulevés sous l’angle des articles 3 et 8, et irrecevable pour le reste ;

2.Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à l’égard du premier requérant ;

3.Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention à l’égard de la seconde requérante ;

4.Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;

5. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser conjointement aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. 11 500 EUR (onze mille cinq cents euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû par les requérants à titre d’impôt sur cette somme,

ii. 4 706 EUR (quatre mille sept cent six euros), moins 850 EUR (huit cent cinquante euros), pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû par les requérants à titre d’impôt sur cette somme ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces sommes seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 24 juillet 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenAnatoly Kovler
GreffierPrésident


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