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22/05/2012 | CEDH | N°001-110981

CEDH | CEDH, AFFAIRE SANTOS NUNES c. PORTUGAL, 2012, 001-110981


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE SANTOS NUNES c. PORTUGAL

(Requête no 61173/08)

ARRÊT

STRASBOURG

22 mai 2012

DÉFINITIF

22/08/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Santos Nunes c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Françoise Tulkens, présidente,
Danutė Jočienė,
Isabelle Berro-Lefèvre,
András Sajó,

l Karakaş,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE SANTOS NUNES c. PORTUGAL

(Requête no 61173/08)

ARRÊT

STRASBOURG

22 mai 2012

DÉFINITIF

22/08/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Santos Nunes c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Françoise Tulkens, présidente,
Danutė Jočienė,
Isabelle Berro-Lefèvre,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 avril 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 61173/08) dirigée contre la République portugaise et dont un ressortissant de cet Etat, M. Baltasar Santos Nunes (« le requérant »), a saisi la Cour le 16 décembre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me J.L. Martins, avocat à Coimbra (Portugal). Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme M.F. Carvalho, procureur général adjoint.

3. Le requérant allègue en particulier que l’inaction et le manque de diligence des autorités portugaises dans l’exécution de la décision lui octroyant la garde de son enfant a porté atteinte au droit au respect de sa vie familiale.

4. Le 9 mars 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1979 et réside à Sertã (Portugal).

A. La genèse de l’affaire

6. Le requérant eut une relation occasionnelle avec A., une ressortissante brésilienne, sans avoir toutefois jamais cohabité avec elle. De cette relation est née, le 12 février 2002, une fillette E. Le requérant prétend n’avoir été informé de la grossesse de A. que peu avant la naissance de l’enfant. L’enfant ayant été enregistré au registre des naissances comme étant fille de père inconnu, le ministère public près le tribunal de Sertã engagea une action en recherche de paternité. Le 24 février 2003, le requérant reconnut, à la suite d’une expertise génétique, la paternité de E.

B. La demande visant à l’attribution de l’autorité parentale

7. Le 27 février 2003, le requérant s’adressa au ministère public près le tribunal de Sertã demandant l’attribution de l’autorité parentale sur E. Il soutint toutefois ne pas savoir où se trouvait l’enfant. Le 12 juin 2003, le requérant s’adressa de nouveau au ministère public en indiquant que l’enfant avait été confié par sa mère à la garde d’un couple G., résidant à Torres Novas. Entendu par un procureur le 8 juillet 2003, le requérant indiqua souhaiter demander la garde de E.

8. Le 16 octobre 2003, le ministère public ouvrit une procédure en réglementation de l’autorité parentale. Le procureur chargé de l’affaire indiqua qu’il y avait des indices permettant de penser que E. aurait été confiée, le 28 mai 2002, par sa mère à la garde des époux G.

9. Un entretien avec les parents (conferência de pais) eut lieu le 30 octobre 2003 devant le juge du tribunal de Torres Novas. Celui-ci constata qu’aucun accord entre les parents de E. n’était possible.

10. Les époux G. furent entendus par le juge le 15 décembre 2003. Ils déclarèrent avoir pris connaissance en mai 2002 que A. souhaitait confier son bébé à d’autres personnes, faute de conditions économiques pour élever l’enfant. Ne pouvant pas procréer et ayant été mis en relation avec A., le couple G. indiqua avoir recueilli l’enfant le 28 mai 2002, après la signature par A. d’une déclaration de consentement. Les époux G. indiquèrent enfin avoir demandé en septembre 2003 leur inscription sur les registres de la sécurité sociale comme candidats à l’adoption.

11. Le 4 janvier 2004, le juge fixa une audience au 7 mai 2004. L’audience eut lieu le jour dit et se poursuivit les 19 et 28 mai 2004. M. et Mme G. furent entendus en tant que témoins.

12. Par un jugement du 13 juillet 2004, le juge accorda la garde de l’enfant au requérant. Le juge souligna que ce dernier disposait de meilleures conditions pour enlever l’enfant que A. Il indiqua ensuite que si la situation économique des époux G. était meilleure que celle du requérant, ils avaient toutefois recueilli E. faisant fi des lois et règlements applicables. Dans de telles conditions, c’était le père biologique qui devait avoir la garde de l’enfant. Le juge fixa ensuite un droit de visite en faveur de A.

13. Le 16 juillet 2004, le requérant demanda au tribunal l’exécution de la décision, alléguant que le couple G. s’était refusé à lui confier l’enfant. Par une ordonnance du même jour, le juge décida d’attendre la fin de la période des vacances judiciaires, indiquant que son jugement du 13 juillet n’était pas encore définitif, l’affaire ne revêtant pas par ailleurs un caractère d’urgence.

14. Le même jour, les époux G. introduisirent un appel devant la cour d’appel de Coimbra contre le jugement du 13 juillet 2004. Le juge du tribunal de Torres Novas déclara cependant l’appel irrecevable, faute de qualité pour agir. Les époux G. déposèrent le 27 juillet 2004 une réclamation devant le président de la cour d’appel de Coimbra contre la décision d’irrecevabilité. Par une ordonnance du 15 septembre 2004, le président de la cour d’appel rejeta la réclamation. Les époux G. introduisirent alors un recours constitutionnel. Toutefois, par une ordonnance du 6 octobre 2004, le président de la cour d’appel déclara le recours constitutionnel irrecevable. Le 19 octobre 2004, les époux G. déposèrent une réclamation contre cette décision devant le Tribunal constitutionnel. Par une décision du 19 janvier 2005, le Tribunal constitutionnel annula l’ordonnance du président de la cour d’appel de Coimbra et décida qu’il y avait lieu d’examiner au fond le recours constitutionnel.

15. Entre-temps, le requérant demanda à plusieurs reprises – les 6 octobre, 5 novembre et 3 décembre 2004 – l’exécution forcée de la décision de lui octroyer la garde de E. Le 30 septembre 2004, il s’était déplacé, en compagnie de deux agents de la police de sécurité publique (PSP), au lieu de résidence présumé du couple G., à Entroncamento, mais personne ne leur avait ouvert la porte.

16. Le 20 octobre 2004, le tribunal de Torres Novas transmit le dossier au tribunal d’Entroncamento, lieu supposé de résidence de E. Toutefois, par une ordonnance du 2 novembre 2004, le juge du tribunal d’Entroncamento déclina sa compétence pour se saisir de l’affaire, estimant que l’exécution du jugement du 13 juillet 2004 devrait se dérouler devant le tribunal ayant prononcé ce même jugement. Le dossier fut donc renvoyé devant le tribunal de Torres Novas. Par une ordonnance du 3 décembre 2004, le juge de ce dernier tribunal, prenant en considération les circonstances particulières de l’affaire, accepta de se saisir du dossier.

17. Le 6 décembre 2004, le requérant informa le tribunal du nouveau refus des époux G. de lui remettre l’enfant et réitéra sa demande d’assistance de la force publique.

18. Par une ordonnance du 3 février 2005, le juge invita les époux G. à comparaître dans les locaux du tribunal afin de remettre E. au requérant.

19. Le 9 mars 2005, M. G. se présenta seul au tribunal de Torres Novas. Il refusa de dire où se trouvait son épouse et E. Le juge demanda alors à la PSP de procéder à des investigations.

20. Le 22 juin 2005, le requérant insista sur l’exécution de la décision et fournit des renseignements sur des membres de la famille des époux G.

21. Le 27 juin 2005, le commandant de la PSP d’Entroncamento informa que malgré les recherches effectuées, notamment auprès de crèches et garderies de la ville de Torres Novas, nouveau lieu supposé de résidence de l’enfant E., il n’avait pas été possible de localiser Mme G. ou l’enfant mais que ses services poursuivaient des efforts à cette fin.

22. Par une ordonnance du 19 juillet 2005, le juge décida qu’il n’y avait pas lieu de considérer l’affaire comme urgente, la procédure devant attendre la fin de la période des vacances judiciaires. Le 29 juillet 2005, le requérant fit appel de cette décision. Ce recours fut par la suite jugé dépourvu d’effet utile, par une ordonnance du juge du 6 juin 2006, vu la décision d’attribuer un caractère d’urgence à la procédure (paragraphe 23 ci-dessous).

23. Le 31 mars 2006, le requérant demanda au tribunal d’inviter la PSP à donner des informations sur les mesures entreprises en vue de la localisation de Mme G. et de E. Le 29 mai 2006, le juge accepta cette demande. Le 6 juin 2006, le juge, constatant que les derniers actes d’investigation de la PSP remontaient à juillet 2005, attribua un caractère d’urgence à la procédure. Le 28 juin 2006, le juge dessaisit la PSP de l’affaire et le confia à la police judiciaire.

24. Le 12 décembre 2006, M. G. fut mis en détention provisoire (voir § 46 ci-dessous).

25. Par un arrêt du 30 janvier 2007, le Tribunal constitutionnel annula les décisions du président de la cour d’appel concluant au défaut de qualité pour agir des époux G. et invita la cour d’appel à examiner le recours introduit par ces derniers le 16 juillet 2004 contre le jugement du 13 juillet 2004.

26. Le même jour, le juge du tribunal de Torres Novas organisa une réunion entre le requérant, la mère biologique de l’enfant et M. G. Cette réunion n’aboutit à aucun accord.

27. Par une ordonnance du 5 mars 2007, le juge ordonna la transmission du recours introduit par les époux G. le 16 juillet 2004 à la cour d’appel, indiquant qu’il n’avait pas d’effet suspensif. Le juge fixa par ailleurs une nouvelle réunion entre les intéressés au 10 avril 2007 et invita les époux G. à s’assurer que E. serait examinée, avant une telle date, par une équipe multidisciplinaire du service de pédopsychiatrie de l’hôpital de Coimbra.

28. Le 21 mars 2007, Mme G. se présenta avec E. audit service de pédopsychiatrie, où elle fut examinée. Le requérant, la mère biologique de E. et les époux G. furent également observés à l’hôpital de Coimbra, à des dates diverses.

29. Le 10 avril 2007, eut lieu la nouvelle réunion entre les intéressés – le requérant, la mère biologique de E. et les époux G. – mais aucun accord ne fut trouvé.

30. Par une ordonnance du 16 avril 2007, le juge fixa un régime transitoire en vue de l’exécution du jugement du 13 juillet 2004. Il décida ainsi que E. continuerait à résider avec les époux G. mais attribua un droit de visite au requérant. L’enfant serait suivi par le service de pédopsychiatrie de l’hôpital de Coimbra, les experts devant faire un rapport d’étape dans les 45 jours. Cette période de transition se terminerait lorsqu’il serait considéré par les experts que l’enfant serait prête à être remise au requérant.

31. Le 27 avril 2007, le requérant visita sa fille pour la première fois.

32. Le 25 septembre 2007, la cour d’appel de Coimbra rendit son arrêt sur le recours introduit par les époux G. contre le jugement du 13 juillet 2004. Il confirma l’octroi de l’autorité parentale au requérant et décida que la fillette serait remise à celui-ci à l’issue d’une période transitoire pendant laquelle elle serait suivie par les services sociaux et par l’hôpital de Coimbra. Suite à des demandes d’éclaircissement déposées par les parties, la cour d’appel fixa la fin de la période transitoire au 19 avril 2008.

33. Les époux G. se pourvurent en cassation mais la Cour suprême décida, par un arrêt du 27 mai 2008, que le recours était irrecevable, la législation applicable ne permettant pas son intervention en la matière.

34. Le 18 avril 2008, le juge du tribunal de Torres Novas, se fondant notamment sur l’avis de l’équipe du service de pédopsychiatrie de l’hôpital de Coimbra, décida qu’il y avait lieu de reporter la remise de E. pour une période de 90 jours. Le juge considéra cependant, compte tenu de la position exprimée par l’équipe en question ainsi que de la dégradation des rapports entre cette dernière et le requérant, qu’il convenait de la dessaisir du dossier. Le juge chargea dès lors le service de pédopsychiatrie de l’hôpital de Santarém de suivre l’enfant pendant la période de 90 jours en question.

35. Le 16 juillet 2008, le juge décida d’entendre, à titre confidentiel et sans la connaissance des parties, l’enfant E. L’audition eut lieu le 17 juillet 2008, les parties – dont le requérant – ayant été informées de l’audition le lendemain.

36. Par une ordonnance du 23 juillet 2008, le juge décida de suspendre la remise de E. au requérant jusqu’à la décision sur la demande en modification de la réglementation de l’autorité parentale entre-temps déposée par la mère biologique de l’enfant (voir § 41 ci-dessous). Sur appel du requérant, la cour d’appel de Coimbra annula cette décision par un arrêt du 11 novembre 2008.

37. Par une ordonnance du 17 décembre 2008, le nouveau juge du tribunal de Torres Novas chargé de l’affaire – l’ancien ayant été muté – décida que E. passerait la période de Noël avec le requérant.

38. E. fut remise au requérant le 19 décembre 2008, dans les locaux du tribunal.

39. Le 26 décembre 2008, le requérant requit le tribunal de prononcer la fin de la période transitoire en vue de la remise de l’enfant.

40. Le 8 janvier 2009, le juge s’entretint avec l’enfant. Par une ordonnance du même jour, il mit fin à la période transitoire et décida que E. vivrait dorénavant avec le requérant, procédant ainsi à l’exécution du jugement du 13 juillet 2004. Un droit de visite en faveur des époux G. fut ultérieurement fixé.

C. La demande en modification de l’autorité parentale

41. Le 26 février 2007, A., la mère biologique d’E., déposa une demande en modification de l’attribution de l’autorité parentale visant à octroyer cette dernière aux époux G.

42. En mars 2009, A. modifia sa demande et sollicita l’octroi de l’autorité parentale en sa faveur.

43. Par un jugement du 8 juin 2010, le tribunal rejeta la demande.

D. Les procédures pénales

1. Contre M. G.

44. Le 22 juillet 2004, le requérant déposa devant le Procureur général de la République une plainte pénale contre les époux G., les accusant des infractions de soustraction de mineur et de séquestration.

45. Le 21 juillet 2005, le parquet de Torres Novas présenta des réquisitions contre les époux G., les accusant des infractions en cause. La procédure s’est déroulée ultérieurement contre le seul mari G., Mme G. étant à l’époque introuvable.

46. A l’ouverture du procès devant le tribunal criminel de Torres Novas, le 12 décembre 2006, M. G. fut mis en détention provisoire.

47. Le 16 janvier 2007, le tribunal jugea M. G. coupable de séquestration aggravée et le condamna à la peine de six ans d’emprisonnement ainsi qu’au paiement de 30 000 euros (EUR) au requérant à titre de dommages et intérêts.

48. Par un arrêt du 9 mai 2007, la cour d’appel de Coimbra accueillit partiellement le recours de l’accusé et ramena la condamnation à trois ans d’emprisonnement avec sursis, sous condition pour l’accusé de présenter l’enfant E. à chaque demande des autorités. Le même jour, l’accusé fut mis en liberté conditionnelle.

49. Par un arrêt du 10 janvier 2008, la Cour suprême accueillit partiellement le pourvoi formé par l’accusé. La haute juridiction annula la condamnation pour séquestration, jugea l’accusé coupable de l’infraction de soustraction de mineur et ramena la peine à deux ans d’emprisonnement avec sursis. La Cour suprême maintint cependant tant les conditions dont le sursis était assorti (présentation de l’enfant aux autorités compétentes) que la condamnation au paiement des dommages et intérêts.

2. Contre Mme G.

50. Mme G. s’étant présentée volontairement au tribunal le 26 mars 2007, la procédure pénale dans laquelle elle était accusée reprit son cours.

51. Par un jugement du 27 janvier 2009, Mme G. fut jugée coupable de soustraction de mineur et condamnée à la peine de deux ans d’emprisonnement avec sursis ainsi qu’au paiement de dommages et intérêts au requérant.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

52. Les dispositions de la loi sur les mineurs, adoptée par le décret-loi nº 314/78 du 27 octobre 1978, présentant un intérêt pour la présente affaire sont les suivantes :

Article 160

« Les procédures civiles dont le retard pourrait nuire à l’intérêt du mineur se déroulent également pendant les vacances judiciaires. »

Article 180

« 1. Le jugement décidera l’exercice de l’autorité parentale en fonction des intérêts du mineur ; celui-ci peut être confié à la garde de l’un des deux parents, d’une tierce personne ou d’un établissement d’éducation ou d’assistance.

2. Un droit de visite sera établi, à moins qu’exceptionnellement l’intérêt du mineur ne le conseille pas.

(...) »

Article 181

« 1. Lorsque l’un des deux parents n’exécute pas ce qui a été accordé ou décidé relativement au mineur, l’autre parent peut demander au tribunal d’ordonner les démarches nécessaires à l’exécution forcée ainsi que la condamnation du fautif à une amende pouvant aller jusqu’à 249,49 euros et au versement de dommages et intérêts au demandeur, au mineur ou aux deux.

2. Après le versement au dossier d’une telle demande, le juge convoquera les parents à un entretien ou ordonnera la citation à comparaître du défendeur afin que ce dernier soumette, dans un délai de deux jours, les observations qu’il estime pertinentes.

(...)

4. Si aucun entretien n’est convoqué ou si les parents ne sont pas d’accord, le juge ordonne la réalisation d’une enquête sommaire ainsi que toute autre mesure nécessaire, suite à quoi il décidera. »

53. L’article 249 du code pénal concerne la soustraction de mineurs. Dans sa rédaction introduite par le décret-loi nº 48/95 du 15 mars 1995, cette disposition s’applique au mineur soustrait des mains de ceux qui exercent l’autorité parentale ou auxquels il a été confié.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

54. Le requérant allègue que l’inaction et le manque de diligence des autorités portugaises, ainsi que la durée excessive de la procédure en vue de l’exécution de la décision de lui octroyer la garde de son enfant, portent atteinte aux articles 6 § 1 et 8 de la Convention.

55. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

56. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour estime d’emblée que l’affaire doit être examinée à la lumière du seul article 8 de la Convention, lequel exige que le processus décisionnel débouchant sur des mesures d’ingérence assure le respect des intérêts protégés par cette disposition et que l’Etat prenne les mesures propres à réunir le parent et l’enfant concernés (Havelka et autres c. République tchèque, no 23499/06, §§ 34-35, 21 juin 2007 ; Kutzner c. Allemagne, no 46544/99, § 56, CEDH 2002-I ; Wallová et Walla c. République tchèque, no 23848/04, § 47, 26 octobre 2006).

57. L’article 8 dispose :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...).

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Sur la recevabilité

58. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

59. Le requérant relève d’emblée que quatre années et cinq mois se sont écoulés entre la date du jugement du tribunal de Torres Novas qui lui accorda la garde de l’enfant, le 13 juillet 2004, et celle à laquelle cette décision reçut exécution, le 8 janvier 2009. Ce délai nettement excessif est en soi, d’après le requérant, contraire à l’article 8 de la Convention.

60. Le requérant indique que ce délai se doit surtout à l’inertie et au manque de diligence des autorités portugaises. Il se plaint à cet égard du fait que ce n’est qu’à partir de juin 2006 que le juge a décidé de considérer l’affaire urgente, ceci malgré les demandes réitérées du requérant en ce sens avant une telle date.

61. Le requérant s’en prend à l’inaction des autorités de police, lesquelles auraient mis peu d’efforts afin de trouver la trace de l’enfant, alors même que M. G., militaire du rang, avait le devoir de coopérer avec ces autorités.

62. Le Gouvernement considère que les autorités judiciaires et de police ont pris, dans les circonstances concrètes auxquelles elles ont dû faire face, toutes les mesures possibles, raisonnables et proportionnées afin de rendre effective la remise de l’enfant au requérant.

63. Pour le Gouvernement, c’est le couple G. qui a rendu impossible de retrouver la trace de l’enfant E. plus tôt. Le Gouvernement souligne à cet égard que plusieurs forces de police, dont la police judiciaire, spécialisée dans l’investigation criminelle, ont suivi des pistes et mené des recherches afin de trouver la trace de l’enfant, malheureusement sans succès. L’enfant n’a été finalement présenté par le couple G. aux autorités qu’à l’issue de la mise en détention provisoire de M. G., dans le cadre de la procédure pénale introduite à son encontre.

64. A partir de ce moment-là, les autorités se sont efforcées, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, d’organiser la remise de E. à l’issue d’une période de transition, sous la direction du tribunal et avec l’implication directe des travailleurs sociaux. Le Gouvernement qualifie le travail des autorités d’exemplaire, se référant aux difficultés soulevées en l’espèce par les passions que l’affaire a déclenchées dans l’opinion publique. Cette période transitoire fut couronnée de succès, l’enfant vivant à l’heure actuelle avec le requérant.

65. Le Gouvernement conclut à l’absence de violation de l’article 8 de la Convention.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

66. La Cour rappelle que, pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale et que des mesures internes qui les en empêchent constituent une ingérence dans le droit protégé par l’article 8 de la Convention (K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 151, CEDH 2001-VII). Pareille ingérence méconnaît l’article 8 sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du second paragraphe de cette disposition et est « nécessaire, dans une société démocratique » pour les atteindre. La notion de « nécessité » implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et, notamment, proportionnée au but légitime recherché (Couillard Maugery c. France, no 64796/01, § 237, 1er juillet 2004).

67. Si l’article 8 tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il met de surcroît à la charge de l’Etat des obligations positives inhérentes au « respect » effectif de la vie familiale. Ainsi, là où l’existence d’un lien familial se trouve établie, l’Etat doit en principe agir de manière à permettre à ce lien de se développer et prendre les mesures propres à réunir le parent et l’enfant concernés (voir, par exemple, Eriksson c. Suède, 22 juin 1989, § 71, série A no 156 ; Olsson c. Suède (no 2), 27 novembre 1992, § 90, série A no 250 ; Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, no 31679/96, § 94, CEDH 2000-I ; Gnahoré c. France, no 40031/98, § 51, CEDH 2000-IX et, dernièrement, Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 140, CEDH 2010). La frontière entre les obligations positives et négatives de l’Etat au titre de l’article 8 ne se prête pas à une définition précise ; les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents - ceux de l’enfant, ceux des deux parents et ceux de l’ordre public - (Maumousseau et Washington c. France, no 39388/05, § 62, CEDH 2007‑XIII), en tenant compte toutefois de ce que l’intérêt supérieur de l’enfant doit constituer la considération déterminante (dans ce sens Gnahoré, précité, § 59, CEDH 2000-IX), pouvant, selon sa nature et sa gravité, l’emporter sur celui des parents (Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 66, CEDH 2003-VIII). L’intérêt de ces derniers, notamment à bénéficier d’un contact régulier avec l’enfant, reste néanmoins un facteur dans la balance des différents intérêts en jeu (Haase c. Allemagne, no 11057/02, § 89, CEDH 2004-III (extraits), ou Kutzner c. Allemagne, précité, § 58). Dans les deux hypothèses, l’Etat jouit d’une certaine marge d’appréciation (voir, par exemple, W., B. et R. c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987, série A no 121, §§ 60 et 61, et Gnahoré, précité, § 52).

68. La Cour rappelle que l’obligation des autorités nationales de prendre des mesures à cette fin n’est pas absolue car il arrive que la réunion d’un parent avec son enfant qui a vécu depuis un certain temps avec d’autres personnes ne puisse avoir lieu immédiatement, et requière des préparatifs. Leur nature et leur étendue dépendent des circonstances de chaque espèce, mais la compréhension et la coopération de l’ensemble des personnes concernées en constituera toujours un facteur important. Si les autorités nationales doivent s’évertuer à faciliter pareille collaboration, leur obligation de recourir à la coercition en la matière doit être limitée : il leur faut tenir compte des intérêts et des droits et libertés de ces mêmes personnes, et notamment des intérêts supérieurs de l’enfant et des droits que lui reconnaît l’article 8 de la Convention. Dans l’hypothèse où des contacts avec le parent risquent de menacer ces intérêts ou de porter atteinte à ces droits, il revient aux autorités nationales de veiller à un juste équilibre entre eux. Le point décisif consiste à savoir si les autorités nationales ont pris, pour faciliter le regroupement, toutes les mesures nécessaires que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles en l’occurrence (voir Hokkanen c. Finlande, 23 septembre 1994, § 58, série A no 299‑A et Zawadka c. Pologne, no 48542/99, § 56, 23 juin 2005).

69. La Cour rappelle par ailleurs que, dans les affaires touchant la vie familiale, le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables sur les relations entre l’enfant et le parent qui ne vit pas avec lui. En effet, la rupture de contact avec un enfant très jeune peut conduire à une altération croissante de sa relation avec son parent (Maire c. Portugal, no 48206/99, § 74, CEDH 2003-VI).

b) Application de ces principes au cas d’espèce

70. Se penchant sur le cas d’espèce, la Cour constate que le tribunal accorda la garde de l’enfant E. au requérant le 13 juillet 2004. Cette décision ne reçut exécution que le 8 janvier 2009, quelques jours après la remise de E. au requérant, le 19 décembre 2008, à titre provisoire. Quatre années et cinq mois se sont donc écoulés avant que la décision judiciaire en question n’ait été exécutée.

71. La Cour admet à titre préliminaire, avec le Gouvernement, que le déroulement de la procédure litigieuse a sans conteste été marqué par le manque de coopération du couple G., qui s’est dérobé successivement aux nombreuses convocations des autorités judiciaires et de police. Elle relève cependant qu’un tel manque de coopération ne saurait dispenser les autorités compétentes de mettre en œuvre tous les moyens susceptibles de permettre le maintien du lien familial (Reigado Ramos c. Portugal, no 73229/01, § 55, 22 novembre 2005).

72. Or, la Cour n’est pas convaincue que de tels moyens aient été mis en œuvre de manière efficace par l’ensemble des autorités chargées de l’affaire, au moins jusqu’au 21 mars 2007, date à laquelle Mme G. se présenta avec E. à l’hôpital de Coimbra (paragraphe 28 ci-dessus).

73. A cet égard, la Cour relève d’abord que ce n’est que le 6 juin 2006 que le juge chargé de l’affaire a décidé que l’affaire devait être traitée en priorité, malgré la demande formulée par le requérant à cette fin, le 16 juillet 2004 (paragraphes 13 et 22 ci-dessus). Le requérant a alerté dès cette date les autorités sur le manque de coopération du couple G.

74. Suivirent plusieurs demandes du requérant en vue de l’assistance de la force publique dans l’exécution forcée de la décision. La Cour a pris note des efforts des autorités de police en vue de retrouver la trace de Mme G. et de l’enfant mais s’étonne du manque de résultats de tels efforts. Elle relève à cet égard que les autorités judiciaires nationales ont-elles aussi fait état d’un tel manque de résultats, le juge du tribunal de Torres Novas allant jusqu’à dessaisir la PSP de l’affaire et à confier celle-ci à la police judiciaire (paragraphe 23 ci-dessus).

75. En effet, il a fallu attendre la mise en détention provisoire de M. G., deux ans et cinq mois après l’ouverture des poursuites à son encontre, et sa condamnation à une peine d’emprisonnement ferme, à laquelle le sursis fut ultérieurement accordé, pour que Mme G. se décide à présenter l’enfant aux autorités (paragraphes 28 et 44-47 ci-dessus).

76. La Cour est consciente du caractère délicat de l’affaire litigieuse ainsi que des retombées médiatiques de celle-ci tout au long de la période considérable pendant laquelle la procédure s’est déroulée. Les autorités étaient en effet confrontées à une situation nouvelle, qui allait au-delà d’un conflit entre les parents biologiques eux-mêmes ou entre ceux-ci et l’Etat. Ceci ne les dispensait toutefois pas de déployer tous les efforts nécessaires à l’exécution de la décision d’octroi de la garde de l’enfant au requérant, d’autant que dans ce type d’affaires, comme la Cour l’a déjà relevé, le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables sur les relations entre l’enfant et le parent qui ne vit pas avec lui (Maire, précité, § 74).

77. Tout en rappelant qu’il ne lui revient pas de substituer son appréciation à celle des autorités nationales compétentes quant aux mesures qui auraient dû être prises, car ces autorités sont en principe mieux placées pour procéder à une telle évaluation, et tout en reconnaissant qu’en l’espèce les juridictions internes se sont appliquées, à partir du 21 mars 2007 et malgré quelques vicissitudes – il a notamment fallu changer l’équipe de pédopsychiatres suivant E. (voir le paragraphe 34 ci-dessus) – , de bonne foi à préserver le bien-être de l’enfant, la Cour constate ainsi l’existence de manques de diligence graves dans la procédure.

78. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que les autorités portugaises ont omis de déployer des efforts adéquats et suffisants pour faire respecter les droits du requérant, méconnaissant ainsi son droit au respect de sa vie familiale.

79. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

80. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

81. Le requérant réclame 25 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

82. Le Gouvernement estime qu’il n’y a pas lieu d’octroyer un dédommagement du préjudice moral, le requérant ayant reçu une somme d’argent à ce titre de la part du couple G. dans le cadre de la procédure interne.

83. La Cour constate que le requérant a subi un préjudice moral résultant de la violation, par les autorités nationales, du droit au respect de sa vie familiale. Elle lui octroie à ce titre 15 000 EUR.

B. Frais et dépens

84. Le requérant demande également 5 250 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 6 050 EUR pour ceux engagés devant la Cour.

85. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.

86. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

87. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

3. Dit,

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i) 15 000 EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 mai 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithFrançoise Tulkens
GreffierPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-110981
Date de la décision : 22/05/2012
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect de la vie familiale);Préjudice moral - réparation

Parties
Demandeurs : SANTOS NUNES
Défendeurs : PORTUGAL

Composition du Tribunal
Avocat(s) : MARTINS J.L.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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