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03/05/2012 | CEDH | N°001-110700

CEDH | CEDH, AFFAIRE YELDEN ET AUTRES c. TURQUIE, 2012, 001-110700


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE YELDEN ET AUTRES c. TURQUIE

(Requête no 16850/09)

ARRÊT

STRASBOURG

3 mai 2012

DÉFINITIF

03/08/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Yelden et autres c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Françoise Tulkens, présidente,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
Isabelle Berro-Lefèvre,


András Sajó,
Işıl Karakaş,
Guido Raimondi, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE YELDEN ET AUTRES c. TURQUIE

(Requête no 16850/09)

ARRÊT

STRASBOURG

3 mai 2012

DÉFINITIF

03/08/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Yelden et autres c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Françoise Tulkens, présidente,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
Isabelle Berro-Lefèvre,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Guido Raimondi, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 avril 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 16850/09) dirigée contre la République de Turquie et dont quatre ressortissants de cet Etat, MM. Halil Yelden et Tansu Halil Yelden, ainsi que Mmes Cennet Yelden et Kudret Çiftçi (« les requérants »), ont saisi la Cour le 12 mars 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants sont représentés par Me T. Aslan, avocate à İzmir. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent.

3. Les requérants se plaignent d’une violation des articles 1, 2, 3, 5, 6 et 13 de la Convention en raison du décès de leur proche, Alpaslan Yelden.

4. Le 14 juin 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérants, MM. Halil Yelden et Tansu Halil Yelden, ainsi que Mmes Cennet Yelden et Kudret Çiftçi, sont des ressortissants turcs nés respectivement en 1935, 1990, 1943 et 1973. Ils résident à İzmir.

6. Le 14 juillet 1999, Alpaslan Yelden, né le 18 janvier 1962, fils de Halil et Cennet Yelden, frère de Kudret Çiftçi et père de Tansu Halil Yelden, décéda à l’hôpital civil de recherche et d’enseignement Atatürk (« l’hôpital civil »), à Izmir, où il avait été transféré le 3 juillet 1999.

A. Le décès d’Alpaslan Yelden

7. Le 2 juillet 1999, A. Yelden fut arrêté à İzmir par des policiers attachés à la direction de la sûreté de cette ville dans le cadre d’une enquête menée sur l’assassinat de Rimin Mete, dont le corps avait été retrouvé le 11 février 1998.

8. Le même jour, à 18 h 20, A. Yelden fut examiné par un médecin à l’hôpital civil. Celui-ci rédigea un rapport aux termes duquel l’intéressé ne présentait aucune trace de violences.

9. A 19 heures, A. Yelden fut placé en garde à vue dans les locaux de la direction de la sûreté d’Izmir.

10. Le 3 juillet 1999, à 19 h 40, il fut examiné par A.M., un médecin de l’hôpital civil. Dans son rapport, A.M. ne fit état d’aucune trace de coups ou de violences.

11. Il ressort du dossier qu’un procès-verbal de remise en liberté, signé par le policier H.E., avait été dressé à 20 h 10. Toutefois, A. Yelden n’avait pas été libéré.

12. Toujours le 3 juillet 1999, vers 23 heures, A. Yelden fut transféré à l’hôpital civil et admis sous une fausse identité. Il y fut examiné par un médecin qui mentionna, dans son rapport établi à 23 h 30, que le pronostic vital du patient était engagé.

13. Toujours le 3 juillet, à minuit, un procès-verbal fut établi et signé par İ. P., T. G., M. Ç., A. A., H. K., Y. O. et U. K., les policiers responsables de la garde à vue d’A. Yelden, et trois témoins, Z.G., İ.A. et K.A. Il ressort du procès-verbal que, après l’examen médical d’A. Yelden, celui-ci avait été reconduit, à 20 h 15, dans les locaux de la direction de la sûreté pour l’accomplissement des formalités liées à la remise en liberté. Toutefois, l’intéressé, informé qu’il serait entendu le lendemain par le procureur, se serait énervé avant de sombrer dans un état dépressif, puis il se serait évanoui et serait tombé sur le dos en se cognant la tête contre le sol. On l’aurait aidé à se relever, mais il serait tombé à nouveau. Il aurait alors été transféré à l’hôpital.

14. A. Yelden fut opéré à l’hôpital civil d’un hématome sous-dural aigu. Le 14 juillet 1999, à 19 heures, il décéda dans cet hôpital.

15. Le 15 juillet 1999, une autopsie fut pratiquée par un médecin légiste et deux assistants, en présence du procureur de la République et d’un secrétaire. M. Halil Yelden, le père du défunt, fut entendu par le procureur. Il identifia le corps, déclara avoir déposé plainte pour torture le 5 juillet 1999 et soutint que son fils avait trouvé la mort à la suite d’actes de torture.

Les parties pertinentes du rapport d’autopsie se lisent ainsi :

« Conclusion : l’examen externe du corps, l’enquête judiciaire, les rapports concernant l’analyse toxicologique et histopathologique et l’autopsie du corps permettent de conclure qu’A. Yelden est décédé des suites d’un hématome sous-dural aigu généré par un traumatisme crânien grave (künt kafa travması) (...) Quant à la détermination de la cause du décès, il convient de demander un rapport auprès de l’institut médico-légal (...) »

Par ailleurs, outre les séquelles postopératoires, le rapport d’autopsie faisait état notamment des séquelles suivantes sur les différentes parties du corps d’A. Yelden : une égratignure avec croûte dans la région de l’oreille droite, des égratignures de 6 x 5 et 4 x 1 cm dans la région occipitale droite, dues éventuellement à une position allongée prolongée, une lésion de 4 x 4 cm similaire à une ecchymose dans la région pariétale gauche, une égratignure de 1 x 0,5 cm dans la région du coude gauche, des égratignures de 1 x 0,5 cm avec croûte sur la main gauche, une lésion de 3 x 3 cm similaire à une ecchymose sur la partie arrière de l’épaule gauche, plusieurs égratignures de 1 x 1 cm et deux lésions sous chacune des omoplates, des égratignures en voie de cicatrisation de 5 et 6 cm de longueur et de 0,4 cm de largeur sur la zone tibiale droite, des égratignures de 1 x 1 et de 2 x 1,5 cm sur la cheville gauche, des ecchymoses de 4 x 4 cm et 5 x 3 cm sur les deux plantes de pied. Plusieurs photographies médico-légales du corps furent prises lors de l’autopsie.

B. Actions publiques

16. A une date non précisée, le requérant H. Yelden déposa une plainte pour homicide contre les policiers responsables de la garde à vue de son fils. Par ailleurs, dans le cadre de l’enquête, le 12 juillet 1999, il fut entendu par le procureur de la République d’Izmir, devant lequel il soutint que son fils avait été torturé par les policiers qui l’avaient interrogé. Il déclara notamment avoir parlé avec un des médecins de l’hôpital Atatürk, qui aurait affirmé que son fils avait trouvé la mort à la suite de deux coups reçus sur la tête et d’un coup sur le coccyx.

17. Le 30 septembre 1999, le procureur de la République d’Izmir chargé du dossier mit en accusation neuf policiers, responsables de la garde à vue d’A. Yelden, devant la cour d’assises d’Izmir (« la cour d’assises ») pour homicide involontaire, au sens de l’article 452 du code pénal, et torture, au sens de l’article 243 du code pénal (action no 1). Il requit en outre la condamnation d’un policier pour négligence dans l’exercice de ses fonctions, au sens de l’article 230 du code pénal.

18. Le 16 décembre 1999, le procureur de la République d’Izmir engagea une deuxième action contre huit policiers responsables de la garde à vue d’A. Yelden pour abus de fonctions et négligence dans l’exercice de leurs fonctions (action no 2). Il leur reprocha d’avoir tardé à emmener A. Yelden à l’hôpital et d’avoir dissimulé son identité.

19. Entre le 8 octobre 1999 et le 17 mai 2006, la cour d’assises tint trente-quatre audiences, au cours desquelles elle entendit les accusés et les témoins. Les requérants se constituèrent partie intervenante à la procédure pénale.

20. Le 15 mai 2000, la Cour de cassation décida de joindre les actions nos 1 et 2.

21. Le 17 octobre 2001, à la suite de la demande de la cour d’assises, un comité spécialisé, composé de huit médecins et médecins légistes auprès de l’institut médico-légal, établit un rapport d’expertise qui fut versé au dossier. Ce rapport comporte cinq pages, en grande partie consacrées à l’établissement des faits et à l’analyse des rapports médicaux, y compris le rapport d’autopsie. Après avoir résumé les faits, les experts concluaient ainsi :

« (...) Conclusion :

1. Le décès est dû aux complications survenues à la suite d’un hématome sous-dural aigu résultant d’un traumatisme crânien.

2. Hormis deux changements traumatiques[1] constatés sur la partie postérieure de la tête, aucune autre trace de trauma n’a été constatée sur les autres parties de la tête ni aucune fracture du crâne. A l’exception des séquelles résultant d’une position allongée, aucun changement traumatique majeur n’a été décelé sur le corps. [Par conséquent], le traumatisme crânien grave ayant provoqué le décès a pu se produire tant à la suite d’un choc à la tête dû à une chute sur un sol dur qu’à un trauma direct sur la tête. Le rapport conclut, à l’unanimité, que, du point de vue médical, aucune de ces pistes ne peut être privilégiée. »

22. Le 28 janvier 2003, le docteur A. S., qui avait examiné A. Yelden à l’hôpital, déposa ses déclarations écrites. Il affirma que, à son arrivée à l’hôpital, A. Yelden présentait de nombreuses séquelles sur son corps. Il énuméra notamment celles-ci : une égratignure de 2 x 2 cm avec croûte sur la région de l’oreille droite, une zone ecchymotique de 5 x 6 x 7 cm sur la région temporale droite, une blessure d’égratignure linéaire de 8 x 1 cm sous l’oreille droite et descendant vers le cou, une blessure linéaire d’égratignure de 7 cm sur la zone tibiale droite, des zones ecchymotiques sur le front au-dessus du sourcil gauche, des ecchymoses sur le bras droit, des zones ecchymotiques sur la région scapulaire droite, une égratignure sur la région tibiale droite et la cheville gauche, des ecchymoses sur la cheville droite, des zones d’hyperkératose sur les deux plantes de pied et des lésions à l’extrémité des pieds.

23. Le 22 décembre 2003, la cour d’assises d’İzmir demanda à l’institut médico-légal une nouvelle expertise aux fins d’établir la cause exacte du décès.

24. Le 9 septembre 2004, l’assemblée générale de l’institut médico-légal, composée de trente-six médecins et médecins-légistes, adopta un rapport de seize pages. Après avoir analysé l’ensemble des pièces du dossier, les médecins concluaient en ces termes :

« Conclusion :

Il ressort des documents médicaux et juridiques concernant A. Yelden que :

1. Le décès est dû aux complications survenues à la suite d’un hématome sous-dural aigu résultant d’un traumatisme crânien.

2. D’après les photos, les traumas ayant provoqué l’hématome constaté sur les zones postpariétale et pariétale droites sont mortels.

3. Les changements traumatiques ayant causé le décès, décelés sur la partie arrière de la tête, ne peuvent être la conséquence d’une simple chute ; mais ils peuvent résulter d’une chute brutale de la personne, de son propre fait ou occasionnée par un tiers, ou d’un trauma direct sur la tête. Toutefois, il est médicalement impossible de faire primer une de ces hypothèses.

Une partie des égratignures superficielles et des ecchymoses mentionnées dans le rapport d’autopsie et qui sont visibles sur les photos peuvent s’expliquer par les lésions dues à une position allongée ayant duré plus de quinze jours.

Les docteurs Ü.D. et A.S., dans leurs dépositions du 5 août 1999, ont affirmé avoir vu le corps de la personne alors qu’elle était couchée dans son lit ou pendant qu’ils la lavaient et ils ont déclaré n’avoir constaté que les changements traumatiques à la tête et les lésions dans la zone du coccyx dues à une position allongée. Le docteur Ü.D., dans ses dépositions du 14 novembre 2002, et le docteur A.S., dans sa note du 28 janvier 2003, ont déclaré que, si l’on admet que les autres changements traumatiques constatés dans le rapport d’autopsie se sont produits avant le séjour de l’intéressé à l’hôpital, il conviendra d’admettre qu’ils ne pouvaient provoquer le décès et qu’ils pouvaient être dus à une chute de la personne, occasionnée de son propre fait ou par un tiers, ou qu’ils pouvaient s’être produits lors du transfert à l’hôpital ou même à la suite d’un trauma direct ; toutefois, d’un point de vue médical, aucune de ces pistes ne peut être privilégiée.

Lors de l’autopsie, des zones d’hyperkératose sur la plante des pieds avaient été constatées. Sur les photos, elles apparaissent comme des ecchymoses. Ces lésions peuvent être dues au placement [prolongé d’un objet contre la plante des pieds] ou à des coups assenés au moyen d’un objet dur.

(...)

6. Etant donné que l’examen médical effectué avant le placement de l’intéressé en garde à vue et celui effectué le 3 juillet 1999, à 19 h 40, à la sortie de la garde à vue, ne mentionnaient pas de changement traumatique, et étant donné les lésions décrites lors de l’autopsie, il convient d’admettre que les changements traumatiques décelés lors de l’arrivée [du patient] à l’hôpital sont survenus le 3 juillet 1999, entre 19 h 40 et 23 heures, heure de son arrivée à l’hôpital. Cette hypothèse est corroborée par la manière dont les changements traumatiques aigus ont évolué.

7. A la lumière des considérations exposées ci-dessus, le rapport conclut, à la majorité que [les changements traumatiques décelés à la tête et ayant provoqué le décès] ont pu se produire à la suite tant d’un trauma direct sur la tête que d’une chute brutale de la personne, de son propre fait ou occasionnée par l’acte d’un tiers. Les autres changements traumatiques ont pu se produire lors du transfert à l’hôpital ou sont dus à une position allongée. »

25. Trois médecins légistes déclarèrent ne pas partager l’opinion de la majorité quant au point 7, lequel devait, selon eux, être formulé comme suit :

« Les changements traumatiques superficiels ou mortels décrits lors de l’autopsie peuvent être dus à des actes de torture infligés le 3 juillet 1999, entre 19 h 40 et 23 heures, heure de l’arrivée à l’hôpital, ou être consécutifs à une chute brutale de la personne, de son propre fait ou provoquée par l’acte d’un tiers. En outre, les autres changements traumatiques peuvent être intervenus lors du transfert à l’hôpital ou avoir été occasionnés par une position allongée. D’un point de vue médical, aucune de ces pistes ne peut être privilégiée. »

26. Le 29 juin 2001, l’Ordre des médecins infligea au docteur A.M., médecin de l’hôpital civil, une sanction disciplinaire consistant en l’interdiction d’exercer sa profession pendant trois mois au motif qu’il avait établi, le 3 juillet 1999, entre 18 et 20 heures, un rapport médical au sujet du défunt sans avoir procédé à un examen détaillé (paragraphe 10 ci-dessus).

27. Le 26 février 2002, sur demande de l’avocate des requérants, trois médecins légistes désignés par l’Ordre des médecins établirent un rapport sur la cause éventuelle du décès. Dans leur rapport, ils considéraient notamment que, après examen du dossier, l’hypothèse d’une chute était peu plausible, dans la mesure où de nombreuses lésions constatées sur le corps du défunt demeuraient inexpliquées. Par ailleurs, ils notaient que le défunt présentait trois lésions sur la tête et des ecchymoses près de l’oreille. Ils concluaient que ces séquelles et les autres changements traumatiques correspondaient aux effets d’éléments définissant la torture.

28. Le 31 janvier 2005, sur demande de l’avocate des requérants, un deuxième rapport fut établi par les docteurs S. K. F., professeur de médecine légale, Ü. B., agrégé de médecine légale, H. G., agrégé de neurologie, désignés par le Conseil national de l’Ordre des médecins. Ce rapport de huit pages comporte un résumé et une analyse de l’ensemble des rapports médicaux établis avant et après le décès d’A. Yelden. A l’issue de leur examen, les médecins confirmèrent les conclusions du rapport initial du 26 février 2002. Ils constataient notamment ce qui suit :

« (...) 3. Deux lésions de 3 x 3 cm décrites dans la région occipitale et observées sur les photos en annexe ne correspondent pas à l’hypothèse d’une chute, car elles se situent sur le sommet du crâne. Par ailleurs, [les lésions en question,] l’égratignure et l’érosion constatées sur le pavillon de l’oreille droite et l’égratignure linéaire, partiellement avec et sans croûte, descendant vers le cou doivent être évaluées ensemble et se sont produites dans un laps de temps relativement court. Par conséquent, il existe au moins trois lésions consécutives à un traumatisme crânien grave, ainsi que des lésions dues à des ecchymoses et à des érosions sur le corps qui se sont produites durant le même laps de temps que ce traumatisme et qui ne peuvent pas être expliquées par une position en décubitus. Une évaluation de l’ensemble des séquelles en question et des circonstances de l’espèce permet de conclure que celles-ci correspondent à la description des effets de la torture telle qu’elle est définie dans la Déclaration de Tokyo de l’Association médicale mondiale.

4. (...)

5. (...) Par ailleurs, il ressort des déclarations des médecins que les lésions et œdèmes étaient présents sur la plante des pieds et sur les talons lorsque [A. Yelden] a été emmené à l’hôpital. Cette information confirme notre conclusion de « torture » et correspond à la falaka [coups assénés sur la plante des pieds].

(...)

7. Au vu des données émanant des sources médicales internationales, l’on n’attend pas chez les sujets jeunes, conscients et en bonne santé, la survenue d’un hématome sous-dural aigu suite à une chute de son propre fait (...) Par ailleurs, en l’absence d’éléments donnant à penser que le sujet souffrait d’épilepsie ou d’une autre maladie, l’hypothèse d’une chute n’est pas vraisemblable. Il est conclu que, pour qu’un hématome sous-dural puisse apparaître chez un sujet jeune, étant donné la densité du trauma [susceptible de causer un tel hématome], ce sujet doit avoir subi un trauma direct sur la tête (...) »

Ce rapport fut versé au dossier.

29. Lors de l’audience du 16 septembre 2005, le procureur de la République présenta son réquisitoire. Il considéra que les preuves du dossier ne permettaient pas d’établir que le défunt avait subi des violences lors de sa garde à vue. En revanche, il demanda la condamnation d’I. P., de M. Ç., d’A. A., de H. K. et d’U. K. pour omission à leurs fonctions au motif qu’ils avaient tardé à conduire A. Yelden à l’hôpital et omis de déclarer sa véritable identité. Quant aux autres accusés, il requit leur acquittement, faute de preuve à charge suffisante.

30. Par un arrêt du 17 mai 2006, la cour d’assises, à la majorité, tint pour établi qu’A. Yelden était décédé des suites des mauvais traitements qu’il avait subis et elle condamna İ. P., T. G., M. Ç., A. A., H. K., Y. O., H. E. et U. K. à une peine d’emprisonnement de trois ans et quatre mois. Elle acquitta N.S., faute de preuve permettant d’établir avec certitude la culpabilité de celui-ci, et mit fin pour prescription à la procédure diligentée contre C.B.

Pour établir la culpabilité des policiers susmentionnés, la cour d’assises tint compte notamment du comportement anormal des policiers qui avaient conduit A. Yelden à l’hôpital. Elle observa en effet que, le 3 juillet 1999, à 23 heures, lorsque les accusés I. P. et H. E. avaient conduit A. Yelden à l’hôpital, ils avaient dissimulé son identité et fait une fausse déclaration sur la manière dont celui-ci avait été blessé. Elle nota que les témoins entendus par la cour d’assises avaient déclaré qu’I. P. et H. E. semblaient pressés et anxieux lorsqu’ils avaient déposé A. Yelden à l’hôpital. Par ailleurs, s’agissant des témoignages de Z.G., İ.A. et K.A, qui avaient déclaré avoir été présents lors de l’incident dans les locaux de la sûreté (paragraphe 13 ci-dessus), la cour d’assises ne les jugea pas crédibles. Pour ce faire, d’une part, elle observa que ces témoignages étaient stéréotypés et en contradiction avec les déclarations des autres témoins et, d’autre part, elle releva que Z.G. et İ.A. étaient issus du même village.

Par ailleurs, la cour d’assises nota qu’A. Yelden était en bonne santé et qu’il ne souffrait pas d’épilepsie lorsqu’il avait été placé en garde à vue. Elle nota en outre que l’examen global des preuves médicales, à savoir les rapports établis par l’institut médico-légal ainsi que ceux dressés par le Conseil national de l’Ordre des médecins, permettait de conclure que le contenu des déclarations des accusés ne pouvait coïncider avec un cours normal de la vie. Par conséquent, la cour d’assises conclut en ces termes :

« Le défunt a subi une force externe, indépendante de son action. Si l’on combine l’existence de cette force externe et le rapport établi par l’assemblée générale de l’institut médico-légal, il peut passer pour établi que le défunt s’est cogné la tête au sol et qu’il a succombé à ses blessures dues à l’enchaînement des différentes circonstances concomitantes imprévisibles et indépendantes de la volonté de l’auteur. »

Un des juges s’opposa à la condamnation des policiers en question. Il déclara notamment qu’il était incompatible avec les droits de la défense d’imputer aux fonctionnaires – lorsque les événements en cause étaient connus exclusivement de ceux-ci – la responsabilité pénale de tout décès survenu pendant la période de détention en question, et ce en l’absence de preuves tangibles.

31. Le 18 juin 2008, la Cour de cassation confirma l’arrêt de première instance pour autant qu’il concernait N.S. (acquittement) et C.B. (extinction de l’action pénale). En revanche, elle infirma l’arrêt pour autant qu’il portait sur la condamnation des autres policiers. Pour ce faire, se référant aux conclusions du rapport du 9 septembre 2004, elle considéra notamment qu’il y avait lieu d’acquitter les policiers en cause, faute de preuve permettant d’établir avec certitude leur culpabilité.

32. Par un arrêt du 6 novembre 2008, la cour d’assises d’Izmir suivit la Cour de cassation et, à la majorité, acquitta les policiers en question, faute de preuve suffisante. Pour ce faire, elle se référa également au rapport établi par l’institut médico-légal le 9 septembre 2004. Elle considéra notamment qu’il était incompatible avec les droits de la défense d’imputer aux fonctionnaires – lorsque les événements en cause étaient connus exclusivement de ceux-ci – la responsabilité pénale de tout décès survenu pendant la période de détention en question, et ce en l’absence de preuves tangibles.

33. Se référant notamment aux motifs de l’arrêt de la cour d’assises adopté le 17 mai 2006, le président du tribunal s’opposa à l’acquittement. Il considéra notamment ce qui suit :

« Il est établi que l’accusé A. Yelden ne présentait aucune maladie avant l’incident en question. Selon les procès-verbaux dressés par la police, il a été arrêté le 2 juillet 1999, à 18 h 45 ; vers 19 heures, après l’établissement du rapport médical, il a été placé en garde à vue ; le 3 juillet 1999, à 20 h 10, la garde à vue a pris fin, le procès-verbal d’élargissement a été préparé et un rapport médical a été établi. [Conduit à l’hôpital] le 3 juillet 1999, à 23 h 30, il a été inscrit sous le nom d’un homme inconnu car son identité avait été dissimulée. En effet, les commissaires I. P. et H. E. ayant conduit A. Yelden à l’hôpital ont déclaré aux policiers U.T. et O.S., travaillant à l’hôpital, qu’ils avaient trouvé cette personne au bord de la route. Ce n’est que lorsqu’ils avaient appris la gravité de l’état d’A. Yelden qu’ils avaient déclaré sa véritable identité (...)

Ces agissements démontrent clairement que les accusés voulaient cacher quelque chose d’important. Par ailleurs, les témoignages de Z.G., İ.A. et K.A. (...) étaient stéréotypés. [Il ressort de l’ensemble des éléments qui entouraient les témoignages] que ces témoins ne sont pas des témoins oculaires. Une telle succession de hasards [à savoir ceux qui ressortent des témoignages] ne peut coïncider avec un cours normal de la vie (...) »

34. Le 14 avril 2010, la Cour de cassation confirma l’arrêt de première instance.

C. Procédure disciplinaire

35. Le Gouvernement a informé la Cour qu’une procédure disciplinaire avait été engagée par le Conseil supérieur de discipline auprès du ministère de l’Intérieur contre les policiers responsables de la garde à vue d’A. Yelden. Sans donner de précisions sur les motifs de ces sanctions, il a déclaré que, le 20 avril 2001, le Conseil supérieur de discipline a décidé de suspendre I. P. de ses fonctions pendant six mois. Il a en outre indiqué que ce dernier a fait l’objet d’une retenue de salaire et que sa promotion a été suspendue, et que les policiers H. E., T. G., M. Ç., A. A., Y. O., H. K. et U. K. se sont vus infliger un blâme.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

36. L’institut médico-légal a été créé en vertu de la loi no 2659 du 14 avril 1982, publiée au Journal officiel le 20 avril 1982. Il dépend du ministère de la Justice. En vertu de l’article 2 de cette loi, il fournit aux tribunaux une expertise sur les questions médico-légales.

Dans le système judiciaire turc, l’institut médico-légal, composé de cinq chambres de spécialistes, est l’autorité qui a compétence pour délivrer des rapports d’expertise médicale définitifs dans le domaine judiciaire.

La loi no 2659 confirme le rattachement de l’institut médico-légal au ministère de la Justice et précise que sa fonction principale est de procéder aux expertises commandées par les tribunaux et, selon les cas, par les parquets.

Au cas où une expertise fournie par l’une des chambres de spécialistes est jugée insuffisante pour former une conviction ou lorsqu’il y a divergence entre les avis des chambres, il appartient à la chambre plénière de l’institut, qui peut être saisie par le procureur ou le juge, de trancher (article 15 de la loi no 2659).

A ce propos, l’article 23-C § 3 de la loi précise que, si les conclusions de la chambre plénière sont définitives, cela ne restreint aucunement le pouvoir discrétionnaire des juges en matière d’appréciation des preuves.

EN DROIT

I. SUR L’EXCEPTION DU GOUVERNEMENT

37. Les requérants allèguent qu’A. Yelden a été torturé lors de sa garde à vue, qu’il est mort des suites de blessures infligées par des fonctionnaires de la police et que les autorités de l’Etat ont failli à mener une enquête approfondie et effective. Ils soutiennent par ailleurs qu’A. Yelden n’a pas bénéficié des droits accordés aux personnes arrêtées.

Ils invoquent les articles 1, 2, 3, 5, 6 et 13 de la Convention.

38. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes au motif que la procédure pénale était toujours pendante à la date d’introduction de la requête.

39. Les requérants combattent cette thèse.

40. La Cour rappelle d’emblée sa jurisprudence selon laquelle, si un requérant a, en principe, l’obligation de tenter loyalement divers recours internes avant de saisir la Cour, elle tolère que le dernier échelon de ces recours soit atteint après le dépôt de la requête, mais avant qu’elle ne soit appelée à se prononcer sur la recevabilité (Ringeisen c. Autriche, 16 juillet 1971, § 91, série A no 13, et E.K. c. Turquie (déc.), no 28496/95, 28 novembre 2000).

41. La Cour observe que les requérants ont introduit leur requête devant elle le 12 mars 2009, alors que la procédure pénale était toujours pendante devant la Cour de cassation. Elle note toutefois qu’il n’est pas contesté que, le 14 avril 2010, soit avant que la Cour eût statué sur la recevabilité de l’affaire, la Cour de cassation avait confirmé l’arrêt de première instance. Ainsi, la procédure pénale, à laquelle les requérants s’étaient constitués partie intervenante, s’est soldée définitivement par l’acquittement des policiers en cause à l’issue d’une procédure qui a duré plus de dix ans.

42. Au vu de ce qui précède, rien dans le dossier ne permet de considérer que les requérants n’ont pas tenté loyalement la voie pénale interne. Dans ces conditions, la Cour estime que l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement ne saurait être retenue.

43. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION

44. Les requérants allèguent que leur proche, Alpaslan Yelden, est mort des suites de blessures infligées par les policiers et que les autorités ont failli à mener une enquête approfondie et effective. Ils dénoncent une violation de l’article 2 de la Convention, ainsi libellé :

Article 2

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

2. La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :

a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;

b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ;

c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »

A. Thèses des parties

45. Les requérants allèguent qu’A. Yelden a été torturé lors de sa garde à vue et qu’il est décédé des suites de blessures infligées par des fonctionnaires de la police. A cet égard, ils se réfèrent notamment à l’arrêt du 17 mai 2006 rendu par la cour d’assises, qui a, selon eux, confirmé leur thèse, et aux rapports établis par trois médecins légistes désignés par l’Ordre des médecins. Ils précisent que ces médecins, jugeant peu plausible l’hypothèse d’une chute, ont conclu que les séquelles présentes sur les différentes parties du corps d’A. Yelden et les autres changements traumatiques correspondaient aux effets d’éléments définissant la torture.

46. Par ailleurs, les requérants reprochent aux autorités de l’Etat d’avoir failli à mener une enquête approfondie et effective.

47. S’appuyant sur le rapport de l’institut médico-légal du 9 septembre 2004, le Gouvernement réfute la thèse des requérants. Selon lui, il n’a pas pu être établi médicalement si les chocs traumatiques ayant causé le décès d’A. Yelden étaient dus à une chute qu’il aurait faite ou s’ils étaient liés à des actes de torture, ce qui serait la thèse des requérants. A ce sujet, le Gouvernement rappelle que, dans son arrêt du 6 novembre 2008, la cour d’assises a prononcé l’acquittement des prévenus au bénéfice du doute.

48. Le Gouvernement soutient également que les autorités ont mené une enquête effective en vue d’établir la cause du décès d’A. Yelden. Il précise que, le 3 juillet 1999, ce dernier a été examiné par un médecin de l’hôpital à 19 h 40, que, après sa chute, il a été conduit à l’hôpital vers 23 heures et que, après son décès, une autopsie a été pratiquée. Il indique en outre que les témoins ont été entendus, qu’une action pénale a été engagée contre les policiers responsables de la garde à vue, et que de nombreux rapports médico-légaux ont été dressés et déposés au dossier. Il ajoute enfin que, à la lumière des preuves recueillies, les juridictions internes ont acquitté les policiers puisque leur responsabilité dans la cause du décès d’A. Yelden n’aurait pas pu être établie au-delà de tout doute raisonnable.

49. Le Gouvernement indique enfin que les policiers ont fait l’objet d’une procédure disciplinaire en 2001.

B. Appréciation de la Cour

1. Sur le décès d’A. Yelden

a) Principes pertinents en l’espèce

50. La Cour rappelle que, pour apprécier les preuves, elle a généralement adopté le critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » (Salman c. Turquie [GC], no 21986/93, § 100, CEDH-VII). Elle réitère qu’un « doute raisonnable » n’est pas un doute fondé sur une possibilité purement théorique ; c’est un doute dont les raisons peuvent être tirées des faits présentés (Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie, no 6378/02, § 338, CEDH 2005-III). Quant à la preuve, elle peut résulter d’un faisceau d’indices ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants.

51. La Cour rappelle également que, lorsqu’un individu est placé en garde à vue alors qu’il se trouve en bonne santé et qu’il meurt par la suite, il incombe à l’Etat de fournir une explication plausible sur les faits qui ont conduit au décès. A cet égard, toute blessure ou mort survenue pendant cette période de détention donne lieu à de fortes présomptions de fait. Il convient en vérité de considérer que la charge de la preuve pèse sur les autorités, qui doivent fournir une explication satisfaisante et convaincante (Anguelova c. Bulgarie, no 38361/97, § 110, CEDH 2002-IV).

52. De plus, la Cour réitère que les personnes en garde à vue sont en situation de vulnérabilité et que les autorités ont l’obligation de justifier le traitement qui leur est infligé. Ayant par ailleurs jugé que l’article 3 de la Convention impose à l’Etat de protéger la santé et l’intégrité physique des personnes privées de liberté, notamment par l’administration des soins médicaux requis (Slimani c. France, no 57671/00, § 27, CEDH 2004-IX), elle estime que, lorsqu’un détenu décède à la suite d’un problème de santé, l’Etat doit fournir des explications quant aux causes de cette mort et aux soins qui ont été prodigués à l’intéressé avant qu’elle ne survienne.

53. D’une manière générale, le seul fait qu’un individu décède dans des conditions suspectes alors qu’il est privé de sa liberté est de nature à poser une question quant au respect par l’Etat de son obligation de protéger le droit à la vie de cette personne (H.Y. et Hü.Y c. Turquie, no 40262/98, § 104, 6 octobre 2005).

54. A cet égard, la Cour doit se montrer particulièrement vigilante dans les cas où sont alléguées des violations des articles 2 et 3 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Ribitsch c. Autriche, 4 décembre 1995, § 32, série A no 336). Lorsque celles-ci ont donné lieu à des poursuites pénales devant les juridictions internes, il ne faut pas perdre de vue que la responsabilité pénale se distingue de la responsabilité de l’Etat au titre de la Convention. La compétence de la Cour se borne à déterminer la seconde. La responsabilité au regard de la Convention découle des dispositions de celle-ci, qui doivent être interprétées à la lumière de l’objet et du but de la Convention et eu égard à toute règle ou tout principe de droit international pertinent. Il ne faut pas confondre responsabilité d’un Etat à raison des actes de ses organes, agents ou employés et questions de droit interne concernant la responsabilité pénale individuelle, dont l’appréciation relève des juridictions internes. Il n’entre pas dans les attributions de la Cour de rendre des verdicts de culpabilité ou d’innocence au sens du droit pénal (Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, § 182, 24 mars 2011).

55. Eu égard à l’importance de la protection offerte par l’article 2 (Salman, précité, § 97) et compte tenu du fait qu’il s’agit d’un décès survenu sous le strict contrôle de l’Etat, la Cour doit examiner avec la plus grande vigilance les faits de la cause, en prenant en considération l’ensemble des circonstances pertinentes et en les examinant à la lumière de tous les éléments qu’elle possède.

b) Application de ces principes au cas d’espèce

56. La Cour observe qu’A. Yelden a été arrêté le 2 juillet 1999 dans le cadre d’une enquête menée sur un assassinat. Il ressort du rapport médical établi le jour de son arrestation que l’intéressé ne présentait aucune trace de violences sur son corps (paragraphes 7-9 ci-dessus). Par ailleurs, la Cour relève que l’intéressé était en bonne santé avant sa garde à vue.

57. Le lendemain, le 3 juillet, à 19 h 40, A. Yelden a été examiné par un autre médecin qui a également mentionné l’absence de toute trace de coups ou de violences (paragraphe 10 ci-dessus). Il ressort du dossier que, alors qu’A. Yelden aurait ensuite dû être libéré, il est demeuré aux mains de la police. Vers 23 heures, il a été transféré à l’hôpital civil où il a été constaté que son pronostic vital était engagé. Par ailleurs, les policiers qui avaient conduit A. Yelden à l’hôpital ont fait une fausse déclaration quant aux circonstances ayant entraîné ses blessures et quant à son identité (paragraphe 30 ci-dessus).

58. A l’hôpital, A. Yelden a été opéré à la tête. Le 14 juillet 1999, il est décédé des suites d’un traumatisme crânien ayant provoqué un hématome sous-dural aigu (paragraphe 14 ci-dessus). Du 2 juillet au 3 juillet à 23 heures, l’intéressé est demeuré sous le strict contrôle des forces de l’ordre et nul ne prétend que le traumatisme mortel ait pu se produire à une période antérieure à l’arrestation.

59. La Cour note que, pour les requérants, A. Yelden est décédé des suites de tortures qu’il aurait subies lors de sa garde à vue.

60. Quant au Gouvernement, il combat cette thèse et se réfère aux conclusions des rapports établis par l’institut médico-légal.

61. La Cour prend note du procès-verbal dressé le 3 juillet, à minuit, c’est-à-dire bien après l’incident (paragraphe 13 ci-dessus). Selon ce document signé non seulement par les policiers mais aussi par trois témoins, A. Yelden avait été conduit le 3 juillet, vers 20 h 15, dans les locaux de la direction de la sûreté pour l’accomplissement des formalités précédant sa remise en liberté. L’individu se serait énervé avant de sombrer dans un état dépressif, puis il se serait évanoui et serait tombé sur le dos en se cognant la tête contre le sol. On l’aurait aidé à se relever, mais il serait tombé à nouveau. Il aurait alors été transféré à l’hôpital.

62. Cependant, s’agissant des témoins ayant confirmé la version des policiers et ayant cosigné le procès-verbal précité (paragraphe 13 ci-dessus), la Cour observe que, dans son arrêt du 17 mai 2006, la cour d’assises ne les a pas jugés crédibles au vu du caractère stéréotypé de leurs témoignages et des contradictions apparues entre ceux-ci et les déclarations des autres témoins. A cet égard, la Cour juge important de souligner qu’aucun tribunal interne n’a conclu à la véracité de la version présentée dans ce procès-verbal ni à la crédibilité des déclarations des trois témoins précités. Elle observe en effet que, dans leurs décisions d’acquittement, la Cour de cassation d’abord et la cour d’assises ensuite se sont référées de manière abstraite au principe de la présomption d’innocence sans se soucier d’expliquer les contradictions existant entre les rapports médicaux versés au dossier ou procéder à une nouvelle évaluation des preuves. L’on pouvait cependant légitimement attendre de ces juridictions qu’elles n’affirment leur conviction relativement aux faits de la cause qu’après avoir minutieusement examiné les éléments de preuve. Or ces juridictions ne se sont même pas prononcées sur la valeur probante des éléments médicaux, qui confirmaient pour certains qu’A. Yelden avait subi des violences pendant qu’il était aux mains de la police et qu’il n’était atteint d’aucune maladie (telle que l’épilepsie) qui aurait pu expliquer une chute soudaine.

63. La Cour note également que, selon le rapport d’autopsie du 15 juillet 1999, le décès d’A. Yelden est dû aux complications survenues à la suite d’un « hématome sous-dural aigu » généré par un traumatisme crânien grave (paragraphe 15 ci-dessus). Elle observe que, contrairement à la thèse du Gouvernement, selon laquelle les experts ont déterminé la cause du décès, les conclusions des rapports dressés par ces experts, médecins légistes attachés à l’institut médico-légal, ne s’accordent que sur l’existence d’un doute quant à l’origine du traumatisme mortel. En effet, les rapports médico-légaux du 17 octobre 2001 et du 9 septembre 2004 ne précisent pas suffisamment l’origine du traumatisme mortel : ils concluent qu’il peut s’agir tant de la survenance d’un traumatisme direct sur la tête (coup) que d’une chute accidentelle ou provoquée par un tiers, sans toutefois privilégier l’une ou l’autre hypothèse (paragraphes 21 et 24 ci-dessus).

64. Or la Cour observe que de nombreux éléments du dossier sont en complète opposition avec l’hypothèse d’une chute soudaine. Tout d’abord, comme le confirment le rapport d’autopsie (paragraphe 15 ci-dessus) et les déclarations du docteur A. S. – médecin ayant examiné A. Yelden à l’hôpital (paragraphe 22 ci-dessus) –, ce dernier présentait, au moment de son arrivée à l’hôpital, de nombreuses égratignures, avec ou sans croûte, et de nombreuses ecchymoses sur le visage, les bras, les mains, le dos et les jambes et la plante des pieds.

65. Par ailleurs, la Cour doit examiner les constatations des rapports établis par l’institut médico-légal à la lumière de deux contre-expertises réalisées par les experts nommés par l’Ordre des médecins, sur demande des requérants. Elle observe que les contre-expertises ont clairement jugé peu plausible l’hypothèse d’une chute, étant donné la densité du trauma susceptible de causer un tel hématome et les circonstances de l’incident (paragraphes 27 et 28 ci-dessus).

66. Quant aux experts attachés à l’institut médico-légal, la Cour relève qu’ils ont laissé planer le doute non seulement sur l’origine du trauma (chute ou coups), mais aussi sur l’origine « des zones d’hyperkératose sur la plante des pieds ». Selon ces experts, ces lésions pouvaient être dues au placement prolongé d’un objet contre la plante des pieds ou à des coups assenés au moyen d’un objet dur. Or il ressort clairement des déclarations du docteur A. S. que ces lésions étaient présentes à l’arrivée d’A. Yelden à l’hôpital. En outre, la Cour juge regrettable que, nonobstant l’existence de multiples autres séquelles qu’A. Yelden présentait sur son corps, les experts aient privilégié plusieurs versions hypothétiques sans se soucier d’appuyer celles-ci par des preuves tangibles, en particulier en ce qui concerne les ecchymoses présentes sur les talons d’A. Yelden, compatibles avec l’application de la falaka, comme le précise la contre-expertise, qui a qualifié les traitements en question de torture (paragraphe 28 ci-dessus).

67. Dans son analyse du rapport d’expertise du 9 septembre 2004, la Cour porte une attention particulière au paragraphe 7 de ce document. A ses yeux, le constat selon lequel « les autres changements traumatiques ont pu se produire lors du transfert à l’hôpital ou sont dus à une position allongée » est en complète contradiction avec les déclarations du docteur A. S. et les constatations du rapport d’autopsie, qui faisaient une nette distinction entre les séquelles postopératoires et celles dues à la position en décubitus (paragraphes 15 et 22 ci-dessus). A cet égard, la Cour accorde du poids au fait que, selon trois médecins légistes membres de l’assemblée générale de l’institut médico-légal, « [l]es changements traumatiques superficiels ou mortels décrits lors de l’autopsie peuvent être dus à des actes de torture infligés le 3 juillet 1999, entre 19 h 40 et 23 heures, heure de l’arrivée à l’hôpital, ou être consécutifs à une chute brutale de la personne, de son propre fait ou provoquée par l’acte d’un tiers » (paragraphe 25 ci-dessus).

68. Eu égard à ce qui précède, la Cour est d’avis que le Gouvernement n’a fourni d’explication plausible ni à propos de la discordance, voire la contradiction, existant entre les rapports médicaux établis par l’institut médico-légal et ceux dressés par les experts nommés par l’Ordre des médecins, ni à propos de l’origine des blessures constatées sur les différentes parties du corps d’A. Yelden, ni sur l’origine du traumatisme crânien. Elle observe qu’en tout état de cause il n’est pas contesté que les séquelles en question sont survenues lorsqu’A. Yelden se trouvait aux mains de la police. Elle estime dès lors que le Gouvernement n’a pas donné d’explication convaincante quant au décès d’A. Yelden.

69. La Cour est également frappée par le caractère extrêmement inapproprié de la manière dont A. Yelden a été traité avant et pendant sa conduite à l’hôpital. Alors que le traumatisme crânien était survenu aux environs de 20 h 15, l’intéressé a été conduit à l’hôpital vers 23 heures, soit près de trois heures plus tard. La Cour relève par ailleurs le comportement anormal des policiers qui avaient conduit A. Yelden à l’hôpital : ils ont non seulement dissimulé l’identité d’A. Yelden, mais encore, en déclarant avoir trouvé A. Yelden au bord de la route, donné de fausses informations sur la manière dont celui-ci avait été blessé (paragraphe 33 ci-dessus). Un tel comportement a nécessairement contribué à accélérer l’issue fatale.

70. La Cour a ainsi constaté qu’A. Yelden est décédé à la suite d’un traumatisme crânien alors qu’il se trouvait sous la responsabilité de l’Etat et que le Gouvernement n’est pas en mesure d’expliquer l’origine de ce traumatisme ni d’établir avec certitude que la blessure à la tête était due à une chute. Au vu de l’ensemble des circonstances, la Cour conclut à la responsabilité de l’Etat quant au décès en cause.

Il y a donc eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet matériel.

2. Sur l’enquête

a) Principes pertinents en l’espèce

71. La Cour rappelle que l’obligation de protéger le droit à la vie qu’impose l’article 2 de la Convention, combinée avec le devoir général incombant à l’Etat en vertu de l’article 1 de « reconna[ître] à toute personne relevant de [sa] juridiction les droits et libertés définis [dans] la (...) Convention », implique et exige de mener une forme d’enquête effective lorsque le recours à la force a entraîné mort d’homme. L’enquête doit notamment être complète, impartiale et approfondie (McCann et autres c. Royaume-Uni, 27 septembre 1995, §§ 161-163, série A no 324, et Çakıcı c. Turquie [GC], no 23657/94, § 86, CEDH 1999-IV).

72. La Cour rappelle ensuite que, pour qu’une enquête menée au sujet d’un homicide illégal commis par des agents de l’Etat puisse passer pour effective, on peut considérer, d’une manière générale, qu’il est nécessaire que les personnes responsables de l’enquête et celles effectuant les investigations soient indépendantes de celles impliquées dans les événements (voir, par exemple, Güleç c. Turquie, 27 juillet 1998, §§ 81-82, Recueil des arrêts et décisions 1998‑IV). Cela suppose non seulement l’absence de tout lien hiérarchique ou institutionnel mais également une indépendance pratique (voir, par exemple, Paul et Audrey Edwards c. Royaume-Uni, no 46477/99, § 70, CEDH 2002‑II).

73. L’enquête menée doit également être effective en ce sens qu’elle doit permettre de déterminer si la force utilisée était ou non justifiée dans les circonstances de la cause (voir, par exemple, Kaya c. Turquie, 19 février 1998, § 87, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I) et de conduire à l’identification et à la punition des responsables (Oğur c. Turquie [GC], no 21594/93, § 88, CEDH 1999‑III). Il s’agit là d’une obligation non de résultat, mais de moyens. Les autorités doivent en outre avoir pris les mesures qui leur étaient raisonnablement accessibles pour garantir la collecte des preuves relatives à l’incident, notamment les déclarations des témoins oculaires, les relevés de la police technique et scientifique et, le cas échéant, une autopsie fournissant un descriptif complet et précis des lésions subies par la victime ainsi qu’une analyse objective des constatations cliniques, en particulier de la cause du décès (voir, par exemple, Salman, précité, § 106, Tanrıkulu c. Turquie [GC], no 23763/94, § 109, CEDH 1999-IV, et Gül c. Turquie, no 22676/93, § 89, 14 décembre 2000). Tout défaut de l’enquête susceptible de nuire à sa capacité à établir la cause du décès de la victime ou à identifier la ou les personnes responsables peut faire conclure à son ineffectivité (Hugh Jordan c. Royaume-Uni, no 24746/94, § 127, CEDH 2001‑III).

74. En particulier, les conclusions de l’enquête doivent être basées sur une analyse méticuleuse, objective et impartiale de tous les éléments pertinents. L’omission de suivre une piste d’investigation qui s’impose de toute évidence compromet de façon décisive la capacité de l’enquête à établir les circonstances de l’affaire et l’identité des personnes responsables (Kolevi c. Bulgarie, no 1108/02, § 201, 5 novembre 2009). Il n’en demeure pas mois que la nature et le degré de l’examen répondant au critère minimum d’effectivité de l’enquête dépendent des circonstances de l’espèce. Ils s’apprécient sur la base de l’ensemble des faits pertinents et eu égard aux réalités pratiques du travail d’enquête. Il n’est pas possible de réduire la variété des situations pouvant se produire à une simple liste d’actes d’enquête ou à d’autres critères simplifiés (Velcea et Mazǎre c. Roumanie, no 64301/01, § 105, 1er décembre 2009).

b) Application de ces principes

75. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour remarque d’emblée que la procédure diligentée contre les policiers mis en accusation a été très longue : elle a donné lieu, plus de dix ans après les faits, le 14 avril 2010, à un arrêt de la Cour de cassation confirmant l’acquittement des accusés. A cet égard, la Cour rappelle que, lorsqu’il s’agit d’une enquête sur le décès d’une personne détenue, une réponse rapide des autorités peut généralement être considérée comme essentielle pour préserver la confiance du public dans le principe de légalité et pour éviter toute apparence de complicité ou de tolérance relativement à des actes illégaux (voir, mutatis mutandis, Paul et Audrey Edwards, précité, § 72).

76. En outre, la Cour se doit d’exprimer ses doutes quant à la capacité de l’enquête à établir les circonstances de l’affaire et l’identité des personnes responsables.

77. La Cour a conclu dans une affaire à la violation de l’article 2 considéré sous son aspect procédural au motif qu’une enquête au sujet d’un décès survenu dans des circonstances engageant la responsabilité de l’autorité publique avait été menée par les collègues directs des personnes soupçonnées d’être les responsables du décès (Aktaş et autres c. Turquie, no 19264/92, § 301, 30 janvier 2001).

78. A cet égard, la Cour relève que, conformément au droit et pratique internes (paragraphe 36 ci-dessous), la cour d’assises a demandé l’avis de l’institut médico-légal sur la cause du décès. Elle observe que, dans ses deux rapports présentés à la cour d’assises, l’institut a soulevé des probabilités sans pouvoir privilégier l’une ou l’autre des hypothèses envisagées, laissant ainsi planer un doute important quant à l’origine du traumatisme mortel et des autres séquelles présentes sur le corps d’A. Yelden.

79. La Cour observe que les juridictions internes ont prononcé l’acquittement des accusés au bénéfice du doute, en se fondant de manière déterminante sur les avis contenus dans les rapports de l’institut médico-légal. Comme il a été souligné ci-dessus (paragraphe 62), celles-ci n’ont pas cherché à expliquer les contradictions existant entre les conclusions des rapports médicaux établis par l’institut médico-légal et celles exposées dans les rapports dressés par l’Ordre des médecins.

80. Pour autant, aux yeux de la Cour, les juridictions internes auraient dû approfondir leurs investigations ou procéder à une nouvelle évaluation des preuves afin d’expliquer les contradictions existant entre les rapports médicaux versés au dossier. Elles auraient dû d’autant plus effectuer des recherches complémentaires que l’incident en question s’est déroulé intégralement dans les locaux de la direction de la sûreté, ce qu’elles n’ont pas fait. L’on peut conclure que cette déficience a affaibli l’adéquation de l’enquête (voir, mutatis mutandis, Ramsahai et autres c. Pays-Bas [GC], no 52391/99, § 332, CEDH 2007‑II) et a sapé sa capacité à établir les faits liés au décès.

81. En conséquence, la Cour conclut que les autorités n’ont pas mené une enquête effective, en particulier à bref délai, sur les circonstances ayant entouré le décès d’A. Yelden. Partant, il y a eu violation de l’article 2 de la Convention également sous son volet procédural.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 1, 3, 5, 6 ET 13 DE LA CONVENTION

82. Sur la base des mêmes faits, les requérants se plaignent d’une violation des articles 1, 3, 5, 6 et 13 de la Convention.

Ayant pris en compte les allégations des requérants sur le terrain de l’article 2, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément ces griefs sous l’angle des autres dispositions invoquées.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

83. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

84. Les requérants réclament 300 000 euros (EUR) pour préjudice matériel. Compte tenu de l’espérance de vie moyenne en Turquie à cette époque, le calcul effectué selon les tables actuarielles a abouti à la somme capitalisée ci-dessus. La prétention des requérants se ventile comme suit :

– 75 000 EUR pour la perte de revenus pour chacun des requérants Halil et Cennet Yelden, respectivement le père et la mère du défunt,

– 100 000 EUR pour la perte de soutien financier que Tansu Halil Yelden, le fils du défunt, allègue avoir subie ;

– 50 000 EUR pour Kudret Çiftçi, la sœur du défunt.

Les requérants réclament en outre 425 000 EUR en réparation du préjudice moral qu’ils allèguent avoir subi.

85. Le Gouvernement conteste ces demandes et souligne que les requérants n’ont donné aucune précision quant à l’activité professionnelle exercée par A. Yelden avant son décès. Quant aux sommes réclamées à titre de dommage moral, il soutient que les demandes sont excessives et qu’elles ne tiennent nullement compte des réalités socio-économiques du pays.

86. En ce qui concerne le dommage matériel, la Cour observe que les violations en question ont certes lésé les requérants et qu’un lien de causalité manifeste existe entre celles-ci et les préjudices matériels allégués, lesquels peuvent inclure la perte de sources de revenus. Cependant, elle note que le dossier ne contient aucune indication sur les revenus que percevait A. Yelden ni sur l’aide qu’il apportait aux requérants et, le cas échéant, sur d’autres éléments pertinents, et que les prétentions des requérants à cet égard ne sont pas dûment documentées (Kalender c. Turquie, no 4314/02, § 74, 15 décembre 2009). La Cour décidera donc d’allouer une somme raisonnable à ce titre, tout comme au titre du préjudice moral subi par les intéressés.

87. A la lumière de ce qui précède, et compte tenu des liens familiaux existants entre les requérants et la victime, la Cour estime qu’il y a lieu d’octroyer 50 000 EUR à Tansu Halil Yelden, le fils du défunt, 15 000 EUR à chacun des parents, Halil et Cennet Yelden, et 5 000 EUR à la sœur du défunt, Kudret Çiftçi, tous préjudices confondus.

B. Frais et dépens

88. Les requérants demandent également 6 000 EUR pour les frais et dépens engagés dans la procédure devant la Cour, montant couvrant les honoraires et les frais de poste. Ils présentent à cet égard un décompte horaire et font référence au tarif minimum des honoraires d’avocat du barreau d’Izmir.

89. Le Gouvernement demande à la Cour de rejeter la demande de satisfaction équitable.

90. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais confondus et l’accorde aux requérants conjointement.

C. Intérêts moratoires

91. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention, sous son volet matériel, quant au décès d’A. Yelden ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention, sous son volet procédural, quant à l’obligation de l’Etat défendeur de mener une enquête effective ;

4. Dit qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la question sous l’angle des articles 1, 3, 5, 6 et 13 de la Convention ;

5. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement :

i. 50 000 EUR (cinquante mille euros) à Tansu Halil Yelden, 15 000 EUR (quinze mille euros) à chacun des requérants Halil et Cennet Yelden et 5 000 EUR (cinq mille euros) à Kudret Çiftçi, tous préjudices confondus, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt,

ii. 5 000 EUR (cinq mille euros) pour frais et dépens aux requérants conjointement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par eux ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 mai 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithFrançoise Tulkens
GreffierPrésidente

* * *

[1]1. Changement traumatique : modification liée à un trauma.


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-110700
Date de la décision : 03/05/2012
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 2 - Droit à la vie (Article 2-1 - Vie) (Volet matériel);Violation de l'article 2 - Droit à la vie (Article 2-1 - Enquête efficace) (Volet procédural)

Parties
Demandeurs : YELDEN ET AUTRES
Défendeurs : TURQUIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : ASLAN T.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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