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24/04/2012 | CEDH | N°001-110451

CEDH | CEDH, AFFAIRE MATHLOOM c. GRECE, 2012, 001-110451


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE MATHLOOM c. GRÈCE

(Requête no 48883/07)

ARRÊT

STRASBOURG

24 avril 2012

DÉFINITIF

24/07/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Mathloom c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Nina Vajić, présidente,
Peer Lorenzen,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,


Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,

et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 avril 2012,...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE MATHLOOM c. GRÈCE

(Requête no 48883/07)

ARRÊT

STRASBOURG

24 avril 2012

DÉFINITIF

24/07/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Mathloom c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Nina Vajić, présidente,
Peer Lorenzen,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,

et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 avril 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 48883/07) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant irakien, M. Kareem Mathloom (« le requérant »), a saisi la Cour le 27 octobre 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, est représenté par Mes V. Papadopoulos et D. Aggeli, avocats au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M. S. Spyropoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l’Etat, et Mme Z. Chatzipavlou, auditrice auprès du Conseil juridique de l’Etat.

3. Le requérant alléguait en particulier une violation des articles 3 et 5 §§ 1 et 4 de la Convention.

4. Le 6 novembre 2009, la présidente de la première section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1945 et réside à Athènes.

6. Le 4 décembre 1997, il fut arrêté par la police grecque pour viol et abus sexuel incestueux. Le 2 juin 2000, la cour d’appel d’Athènes le condamna définitivement à une peine de quinze ans et six mois de réclusion et ordonna son expulsion à l’issue de sa peine (arrêt no 294-297/2000).

A. Procédure interne relative à l’expulsion du requérant

7. Le 25 janvier 2005, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Tripoli constata que le requérant avait purgé les trois cinquièmes de sa peine et que selon les articles 105 et suivants du code pénal, il pouvait bénéficier d’une mise en liberté conditionnelle. Elle suspendit alors le restant de sa peine (à savoir six ans, un mois et vingt-neuf jours) et ordonna sa libération (ordonnance no 4/2005). Cependant, le requérant fut en pratique maintenu en détention à la prison en vue d’être expulsé.

8. Le 3 février 2005, il fut transféré au centre de détention pour étrangers d’Helliniko. Il y fut détenu pendant presque quinze mois.

9. Dans le cadre de la procédure d’expulsion, le 1er avril 2005, le requérant fut emmené au consulat d’Irak afin d’obtenir des documents de voyage. Le consulat refusa de lui fournir ces documents car il ne pouvait pas établir que le requérant possédait la nationalité irakienne.

10. Le 14 novembre 2005, le requérant forma un recours auprès du procureur près le tribunal correctionnel d’Athènes contre la prolongation de sa détention et son expulsion. Il se fondait sur l’article 565 du code de procédure pénale. Le jour suivant, le procureur demanda des informations auprès de la direction des étrangers d’Attique, concernant l’exécution de l’expulsion du requérant. Le 27 décembre 2005, la direction des étrangers informa le procureur que l’expulsion du requérant était impossible, car celui-ci ne disposait pas de documents de voyage.

11. Le 17 janvier 2006, le procureur introduisit le recours formé par le requérant en vertu de l’article 565 du code de procédure pénale devant le tribunal correctionnel d’Athènes. Le jour même, le tribunal rejeta le recours (décision no 3244/2006). En particulier, il considéra que :

« Sur le fondement de l’article 565 du code de procédure pénale sont soulevées des objections quant à l’exécution d’un arrêt nées après que celui-ci soit devenu définitif. En l’espèce, les objections du requérant sont mal fondées pour les raisons qui suivent : a) le requérant est détenu légalement, en vertu d’un arrêt judiciaire, puisqu’au cas où l’expulsion ne peut pas être exécutée immédiatement, le détenu n’est pas mis en liberté directement mais reste en détention ; b) les objections en question concernent l’expulsion du requérant, qui constitue une mesure de sûreté, et sont hors du champ d’application de l’article 565, en vertu duquel peuvent être soulevées des objections quant au caractère exécutoire de l’arrêt pénal, nées après que celui-ci soit devenu définitif. »

Cette décision fut mise au net et certifiée conforme le 6 juin 2008.

12. Le 6 février 2006, la direction des étrangers informa le procureur près la cour d’appel d’Athènes que l’expulsion du requérant était impossible et que ce dernier devait être placé dans un lieu spécial de détention, conformément à l’article 74 § 4 du code de procédure pénale, afin que son expulsion éventuelle soit assurée.

13. En avril 2006, le requérant fut transféré au centre de détention d’Amygdaleza, où il fut détenu pendant cinq mois.

14. Le 19 septembre 2006, le procureur près la cour d’appel d’Athènes demanda à l’administration de la prison de Korydallos de placer le requérant dans un lieu spécial de détention. Le 22 septembre 2006, celle-ci le plaça dans une cellule d’isolement de l’aile C’ de la prison.

15. Le 13 février 2007, le requérant fut transféré à l’aile E’ de la même prison, où étaient détenus d’autres étrangers visés par une mesure d’expulsion.

16. Lors de sa détention à la prison de Korydallos, le 13 novembre 2006, le requérant déposa une demande auprès de la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Tripoli en vue d’obtenir la modification de l’ordonnance no 4/2005 et le remplacement de la détention par celle de l’interdiction de quitter le domicile permanent.

17. Le 26 avril 2007, la chambre d’accusation fit droit à la demande du requérant en soulignant que le délai raisonnable applicable à la détention d’une personne visée par une mesure d’expulsion avait expiré depuis longtemps (ordonnance no 13/2007). En particulier, elle considéra que :

« (...) Conformément aux dispositions qui régissent l’expulsion judiciaire, au cas où a été ordonnée la libération conditionnelle d’un détenu visé par une mesure d’expulsion judiciaire, les autorités pénitentiaires ne doivent pas libérer ce dernier directement, mais prolonger sa détention pour les besoins de l’exécution de l’expulsion. La libération du détenu ne s’effectue que quand l’expulsion se révèle impossible, auquel cas le détenu a le droit d’être mis en liberté conditionnelle et son temps de mise à l’épreuve commence à courir. La détention d’une personne aux fins d’expulsion (art. 74 § 4, 99 § 1 et 105 § 4 du code de procédure pénale), qui ne doit pas dépasser le délai raisonnable d’un mois, est nécessaire pour l’exécution de l’expulsion et conforme aux dispositions légales nationales et internationales qui la régissent (avis du Procureur de la Cour de cassation 3/2006, avis du Médiateur de la République hellénique 1382/2000).

(...)

[En l’occurrence], le délai raisonnable d’un mois est depuis longtemps dépassé, et le requérant, qui est resté pendant toute cette période en détention, avait droit à être mis en liberté afin que son temps de mise à l’épreuve commence à courir. Partant, il faut modifier l’ordonnance no 4/2005 et imposer au requérant des mesures de restriction. (...) »

18. Le 27 avril 2007, le requérant fut libéré sous condition.

B. Conditions de détention dans les centres d’Helliniko et d’Amygdaleza

1. La version du requérant

19. En ce qui concerne le centre d’Helliniko, le requérant affirme qu’il y était détenu avec seize à vingt autres personnes dans une cellule petite, insalubre et insuffisamment aérée et ensoleillée, qui ne disposait pas de chaises ou n’avait le moindre espace libre. Les détenus étaient obligés de rester confinés sur leurs lits. Le requérant soutient que pendant les sept premiers jours de sa détention, il dormait par terre à cause du manque d’espace.

20. Le centre se composait de sept cellules, qui donnaient sur un couloir d’une longueur de 20 mètres et d’une largeur de 2 mètres. Les 120-140 personnes qui y étaient détenues pouvaient sortir dans le couloir pendant quatre heures le matin et quatre heures l’après-midi. Certains gardiens leur interdisaient cependant de sortir dans le couloir, et les détenus ne pouvaient pas contester cette interdiction, puisque le centre n’avait ni secrétariat, ni service social ni directeur.

21. Le requérant allègue en outre que le centre disposait de cinq toilettes et de deux douches pour tous les détenus, qui étaient privés de chauffage et d’eau chaude pendant les mois estivaux. Le centre ne fournissait pas de produits d’hygiène et les détenus n’en obtenaient que par les visiteurs.

22. Le requérant note que les détenus buvaient l’eau des robinets des toilettes. Ils recevaient un sandwich pour le petit déjeuner, un plat de faible valeur nutritionnelle pour le déjeuner et une soupe pour le dîner. Le requérant relève enfin l’absence de tout moyen de distraction comme les journaux, la télévision ou la radio.

23. Selon lui, les conditions de détention dans le centre d’Amygdaleza étaient identiques à celles du centre pour étrangers d’Helliniko.

2. La version du Gouvernement

24. Le Gouvernement allègue que le centre de détention pour étrangers d’Helliniko dispose de sept cellules d’une capacité totale de 120 personnes et celui d’Amygdaleza de quatre cellules d’une capacité totale de 40 personnes. Les deux centres disposent d’un petit espace pour la promenade.

25. Les détenus ont à leur disposition des produits d’hygiène et de l’eau chaude pendant toute la journée. Ils se voient servir trois repas par jour et bénéficient d’une nourriture conforme à leurs convictions religieuses. De plus, la direction des deux centres garantit la distribution d’eau potable tous les jours. Les détenus ont accès à des moyens de distraction à leurs propres frais.

26. Enfin, le Gouvernement affirme que tous les mois, des officiers de la Direction des étrangers effectuent des inspections dans ces centres, afin d’assurer le bon fonctionnement de ceux-ci.

C. Conditions de détention dans la prison de Korydallos

1. Aile C’ de la prison de Korydallos

27. D’après le requérant, la cellule de l’aile C’ de la prison de Korydallos était exiguë et ne comportait qu’un lit et des toilettes. Sa porte était toujours fermée. La cellule ne disposait pas de fenêtre. Le requérant ne sortait de sa cellule qu’une fois par jour pour une heure dans un très petit couloir et il n’avait pas de contact avec d’autres personnes.

28. Selon le Gouvernement, le requérant fut placé dans la cellule d’isolement afin que sa sécurité personnelle soit assurée, puisque les détenus qui ont commis des délits de nature sexuelle, comme le requérant, font l’objet d’agressions de la part de leurs codétenus, selon les codes tacites de la population carcérale. Le Gouvernement affirme en outre que bien que le requérant ait été placé dans la cellule d’isolement, il suivait le programme régulier de la prison et n’était pas soumis à un régime disciplinaire. Par ailleurs, le Gouvernement précise que toutes les cellules de l’aile C’ de la prison ont une surface de huit mètres carrés et qu’elles comportent un ou deux lits, plus toilettes et lavabo. Les détenus ont accès à une salle de bains commune, une cabine téléphonique et un patio de douze mètres carrés. Les détenus ont le droit de recevoir des visites fréquentes. La distribution des repas s’effectue trois fois par jour.

2. Aile E’ de la prison de Korydallos

29. Le requérant affirme que les conditions de détention dans ladite aile étaient meilleures par rapport aux conditions précédentes. Il souligne toutefois que les produits d’hygiène étaient payants et qu’il n’avait pas les moyens d’en acheter. Il note en outre qu’il n’y avait pas de moyens de distraction disponibles.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE NATIONAUX PERTINENTS

A. Le droit national

30. Les dispositions pertinentes du code pénal, telles qu’elles étaient en vigueur à l’époque des faits, sont ainsi libellées :

Article 74

« 1. Le tribunal peut ordonner l’expulsion d’un étranger qui s’est vu condamner en vertu des articles 52 et 53 du code pénal, pour autant que les obligations internationales du pays soient respectées. Un étranger qui séjourne légalement en Grèce ne peut être expulsé que s’il a été condamné à une peine d’emprisonnement d’au moins trois mois. L’expulsion a lieu dès que l’étranger a fini de purger sa peine ou est relâché. Les mêmes conditions s’appliquent lorsque l’expulsion est ordonnée à titre de peine accessoire. (...)

4. L’étranger reste détenu dans des espaces spéciaux des prisons ou des établissements de rétention jusqu’à ce que son expulsion ait lieu. »

Article 99

« (...)

2. (...) Le sursis à l’exécution de la peine prend effet à partir du moment de l’accomplissement de l’expulsion de l’étranger. Dans ce cas, la durée de sa détention, conformément à l’article 74 § 4 du code pénal, est déduite du restant de la peine suspendue.

(...) »

Article 105

« 1. Sous réserve de révocation, ceux qui ont été condamnés à une peine privative de liberté peuvent être libérés conformément aux dispositions suivantes à condition qu’ils aient purgé :

(...)

b) les trois cinquièmes de leur peine s’il s’agit d’une peine de réclusion,

(...)

4. Si une décision judiciaire a ordonné l’expulsion d’une personne condamnée, celle-ci s’effectue aussitôt après sa libération conditionnelle. Dans le cas où l’expulsion est impossible, le condamné est mis en liberté et le temps de mise à l’épreuve commence à courir.

(...) »

Article 106

« 1. La libération sous condition est obligatoirement accordée (οπωσδήποτε), sauf s’il a été jugé par motivation spéciale que le comportement du détenu, au cours de l’exécution de la peine, rendait absolument nécessaire la continuation de la détention pour l’empêcher de commettre de nouvelles infractions.

2. Certaines obligations peuvent être imposées au détenu mis en liberté par rapport à son mode de vie, et notamment le lieu de sa résidence. Ces obligations peuvent à tout moment être levées ou modifiées sur demande de l’intéressé. »

31. Les articles pertinents du code de procédure pénale disposent :

Article 565

Tout doute ou objection quant à l’exécution du jugement ainsi qu’à la nature ou la durée de la peine est levé par le tribunal correctionnel du lieu de l’exécution de la peine. Le procureur et le condamné peuvent se pourvoir en cassation contre cette décision. »

Article 572

« 1. Le procureur près le tribunal correctionnel du lieu où la peine est purgée exerce les compétences prévues par le code [de procédure pénale] concernant le traitement des détenus et contrôle l’exécution des peines et l’application des mesures de sécurité, conformément aux dispositions du présent code, du code pénal et des lois y afférentes.

2. En vue d’exercer les fonctions susmentionnées, le procureur près le tribunal correctionnel visite les prisons au moins une fois par semaine. Lors de ces visites, il entend les détenus qui ont préalablement sollicité une audition. »

32. Les dispositions pertinentes du code pénitentiaire (loi no 2776/1999) se lisent ainsi :

Article 6

« 1. Les détenus ont le droit de s’adresser par écrit et dans un délai raisonnable au conseil de la prison, en cas d’acte ou d’ordre illégal à leur encontre et si les dispositions du présent code ne prévoient pas d’autre recours. Dans les quinze jours suivant la notification d’une décision de rejet ou un mois après le dépôt de la demande, si l’administration a omis de prendre une décision, les détenus ont le droit de saisir le tribunal compétent de l’exécution des peines. Si le tribunal fait droit au recours, il ordonne les mesures susceptibles de remédier à l’acte ou à l’ordre illégal (...).

Article 86

(...) 2. Chaque tribunal de l’exécution des peines est compétent pour les affaires concernant les détenus dans son ressort (...) ».

33. Il ressort de la jurisprudence que tant la demande devant le conseil de la prison que l’appel devant le tribunal de l’exécution des peines peuvent porter sur les conditions d’incarcération dans l’établissement pénitentiaire, telles que, à titre d’exemple, l’espace de la cellule, le caractère de son aération et de son chauffage et les modalités de communication de l’intéressé avec des tierces personnes (voir, parmi d’autres, les décisions nos 2075/2002 et 175/2003 de la chambre d’accusation du tribunal correctionnel du Pirée).

34. La disposition pertinente de l’arrêté ministériel no 58819/2003 se lit ainsi :

Article 7

« 1. Le procureur-superviseur ou son adjoint exerce des compétences juridictionnelles, disciplinaires et de contrôle. En particulier, le procureur :

(...) Entend les détenus, leurs proches et les avocats des premiers, à leur demande. (...) Examine les questions de protection juridictionnelle des détenus en indiquant aux intéressés les démarches à suivre et fait suivre aux autorités compétentes les demandes d’aide juridictionnelle de la part des détenus (...)

B. L’avis no 3/2006 du procureur près la Cour de cassation

35. Dans son avis no 3/2006 portant sur l’expulsion judiciaire des étrangers, le procureur près la Cour de cassation a conclu qu’il ressortait des dispositions régissant les expulsions judiciaires que dans le cas où un détenu étranger faisant l’objet d’une décision d’expulsion judiciaire était libéré sous condition, les autorités pénitentiaires ne devaient pas le libérer de façon automatique, c’est-à-dire aussitôt après l’adoption de l’ordonnance de mise en liberté, mais prolonger sa détention aux fins de l’exécution de l’expulsion. La détention de courte durée des étrangers (articles 74 § 4, 99 § 1 et 105 § 4 du code pénal) aux fins d’expulsion, qui ne dépassait pas le délai raisonnable d’un mois, était nécessaire pour l’exécution des expulsions, conformément aux dispositions légales (nationales et internationales) qui s’y appliquaient.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

36. Le requérant allègue avoir été victime d’un traitement inhumain et dégradant en raison de ses conditions de détention dans les centres de détention pour étrangers d’Helliniko et d’Amygdaleza ainsi que dans la prison de Korydallos. Il invoque l’article 3 de la Convention, aux termes duquel :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Sur la recevabilité

1. Conditions de détention du requérant dans les centres d’Helliniko et d’Amygdaleza

a) Thèses des parties

37. Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité pour non-respect du délai de six mois, en affirmant que le requérant a soulevé ledit grief pour la première fois dans sa lettre du 7 mai 2008 et non pas dans sa requête du 27 octobre 2007. Le requérant conteste cette thèse.

b) Appréciation de la Cour

38. La Cour rappelle que la date de l’introduction d’une requête est celle de la première lettre indiquant l’intention d’introduire une requête et donnant quelques indications quant à la nature de celle-ci (Chalkley c. Royaume-Uni (déc.), no 63831/00, 26 septembre 2002). En ce qui concerne les griefs non contenus dans la requête initiale, le cours du délai de six mois n’est interrompu qu’à la date où le grief est présenté pour la première fois devant la Cour (Paroisse Greco Catholique Sâmbata Bihor c. Roumanie (déc.), no 48107/99, 25 mai 2004).

39. La Cour constate qu’en l’espèce, par sa première lettre à la Cour, du 27 octobre 2007, le requérant a exprimé son intention de soulever un grief sous l’angle de l’article 3 de la Convention, dont il exposait brièvement la base factuelle. Dans une lettre ultérieure du 7 mai 2008, il a présenté de façon plus détaillée le fondement de la violation alléguée. La Cour estime donc que la référence faite par le requérant au grief tiré de l’article 3 de la Convention dans sa lettre du 27 octobre 2007 suffit pour interrompre le délai de six mois.

40. La Cour observe en revanche qu’une question se pose quant à l’applicabilité et au respect de la règle des six mois pour ce qui est de la partie du grief du requérant relative aux conditions de détention dans les centres d’Helliniko et d’Amygdaleza, vu que sa détention dans lesdits locaux a pris fin en avril et septembre 2006 respectivement.

41. La Cour note qu’elle a déjà examiné la manière dont il convient d’appliquer la règle des six mois dans les affaires de ce type (Seleznev c. Russie, no 15591/03, § 35, 26 juin 2008). Renvoyant à la jurisprudence pertinente, elle a ainsi indiqué qu’il n’y avait pas lieu de considérer des conditions de détention comme une situation continue dans la mesure où le grief y afférent porte sur un épisode, un traitement ou un régime de détention spécifique, lié à une période de détention identifiée ; au contraire, il y a situation continue si le grief concerne des aspects généraux et des conditions de détention qui sont restés sensiblement similaires malgré le transfert du requérant (ibidem, § 36).

42. La Cour note qu’en l’espèce, le requérant se plaint des conditions générales de détention dans les centres d’Helliniko et d’Amygdaleza, qui d’ailleurs, selon lui, étaient identiques. Il se plaint également des conditions de détention à la prison de Korydallos, où il a été transféré par la suite et dans laquelle les conditions de détention étaient clairement différentes, comme il ressort des allégations du requérant.

43. Dès lors, s’il convient, assurément, de se garder de scinder artificiellement une période de détention continue en plusieurs parties du simple fait qu’est intervenu un transfert du détenu, la Cour estime néanmoins qu’en l’espèce, on doit considérer que le transfert du requérant du centre de détention d’Amygdaleza à la prison de Korydallos en septembre 2006 a apporté un changement notable dans les conditions de sa détention, et conclure qu’il ne s’agit pas d’une situation continue (voir dans ce sens, Mariana Marinescu c. Roumanie, no 36110/03, §§ 57-58, 2 février 2010).

44. Vu les considérations qui précédent, la Cour estime qu’il convient de rejeter la partie du grief du requérant concernant les conditions de détention avant septembre 2006 dans les centres d’Helliniko et d’Amygdaleza pour tardiveté, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

2. Conditions de détention du requérant à la prison de Korydallos

a) Thèses des parties

45. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes relatives à ses conditions de détention. Il affirme à cet égard que l’ordre interne prévoit un cadre juridique complet qui permettait au requérant de se plaindre auprès des instances administratives et judiciaires de ses conditions de détention à la prison de Korydallos. En premier lieu, selon le Gouvernement, le requérant pouvait s’adresser par écrit au conseil de la prison pour se plaindre des conditions de sa détention. De surcroît, en cas de rejet de ce recours, le requérant aurait pu saisir le tribunal de l’exécution des peines compétent. Si ladite juridiction avait fait droit à ce recours, les autorités pénitentiaires auraient été tenues de remédier à la situation jugée attentatoire à la dignité du requérant. En outre, le Gouvernement allègue que le requérant ne s’est jamais plaint auprès du procureur superviseur de la prison de Korydallos. Le Gouvernement souligne, sur ce point, que selon l’article 572 du code de procédure pénale combiné avec l’arrêté ministériel no 58819/2003, le procureur est tenu de recevoir au moins une fois par semaine les détenus, leurs proches ou leurs avocats et d’entendre les griefs éventuels concernant leurs conditions de détention. S’il considère que leurs allégations sont fondées, il indique aux autorités pénitentiaires les mesures nécessaires à adopter afin de mettre un terme à la situation incriminée.

46. Le requérant rétorque que les recours invoqués par le Gouvernement ne lui étaient pas accessibles, parce qu’il n’était pas représenté par un avocat. De plus, le requérant affirme qu’à l’époque il se trouvait dans un état fragile, qu’il ne parlait pas bien le grec et que ses proches ne lui rendaient pas visite à la prison.

b) Appréciation de la Cour

47. La Cour rappelle que le fondement de la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée dans l’article 35 § 1 de la Convention consiste en ce qu’avant de saisir un tribunal international, le requérant doit avoir donné à l’Etat responsable la faculté de remédier aux violations alléguées par des moyens internes, en utilisant les ressources judiciaires offertes par la législation nationale, pourvu qu’elles se révèlent efficaces et suffisantes (voir, entre autres, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH 1999–I). En effet, l’article 35 § 1 de la Convention ne prescrit l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, parmi beaucoup d’autres, Dalia c. France, 19 février 1998, § 38, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I).

48. En l’occurrence, la Cour estime utile de rappeler tout d’abord qu’elle a déjà conclu à l’irrecevabilité de requêtes concernant les conditions de détention dans des prisons grecques, faute pour les requérants d’avoir épuisé les voies de recours que leur offrait le droit interne. En particulier, dans les arrêts Vaden c. Grèce (no 35115/03, §§ 30-33, 29 mars 2007) et Tsivis c. Grèce (no 11553/05, §§ 18-20, 6 décembre 2007), elle a relevé que les requérants n’avaient pas utilisé les recours prévus par l’article 572 du code de procédure pénale combiné avec l’arrêté ministériel no 58819/2003 (saisine du procureur chargé de l’exécution des peines et de l’application des mesures de sécurité) et par les articles 6 et 86 de la loi no 2776/1999 (saisine du conseil de la prison et appel devant le tribunal d’exécution des peines).

49. A la différence des affaires précitées, dans un arrêt récent Nisiotis c. Grèce (no 34704/08, 10 février 2011), la Cour, en s’inscrivant dans la lignée des arrêts Mamedova c. Russie, (no 7064/05, § 56, 1er juin 2006) et Kalachnikov c. Russie (déc.) (no 47095/99, CEDH 2001‑XI (extraits), a rejeté l’exception du Gouvernement tirée de la règle de l’épuisement des voies de recours internes. Elle a estimé, en particulier, que le requérant ne se plaignait pas uniquement de sa situation personnelle, mais alléguait être personnellement affecté par les conditions prévalant dans l’enceinte de la prison. La Cour a conclu que les recours indiqués par le Gouvernement ne suffisaient pas à eux seuls à remédier à la situation dénoncée (Nisiotis, précité, § 29).

50. La Cour constate qu’en l’espèce, le requérant se plaint de sa situation personnelle à la prison de Korydallos et ne formule pas d’allégations ayant trait à des problèmes généraux, connus aux autorités et touchant l’ensemble des détenus. Partant, la Cour estime qu’à la lumière des affaires Vaden (précité) et Tsivis (précité), le droit interne offrait divers recours que le requérant était censé exercer afin de donner l’occasion aux autorités de redresser la situation dont il se plaint. En particulier, le requérant aurait pu s’adresser au procureur de la prison en ce qui concernait les conditions de sa détention. Il aurait pu également saisir le conseil de la prison de Korydallos, faculté prévue par l’article 6 de la loi no 2776/1999. Or, le requérant n’a exercé aucun des recours précités. Il échet sur ce point de souligner que le requérant était représenté par un avocat tout au long de la procédure devant les instances internes. De plus, le droit interne lui offrait la possibilité de s’informer auprès du procureur compétent des démarches et recours disponibles.

51. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que les autorités nationales n’ont pas eu la possibilité de se pencher sur les conditions de détention du requérant à la prison de Korydallos afin de redresser la situation dont il se plaint devant la Cour. Il s’ensuit que ce volet du grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

II. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION

52. Le requérant se plaint qu’entre le 25 janvier 2005 et le 27 avril 2007 il a été détenu sans aucune base légale. Il affirme que, bien que selon le droit grec, la période maximale de détention d’une personne en instance d’expulsion judiciaire ne puisse dépasser un mois, il a été détenu pendant vingt-sept mois. Il se plaint également de l’absence d’un recours effectif en droit interne qui lui aurait permis de se plaindre de l’illégalité de sa détention. Il invoque les paragraphes 1 et 4 de l’article 5 de la Convention, ainsi libellés :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;

(...)

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

(...)

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

(...) »

A. Sur la recevabilité

53. Le Gouvernement affirme, à titre principal, que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours que lui offrait le droit grec. Il allègue à cet égard que la demande de modification de l’ordonnance no 4/2005 formée par le requérant le 13 novembre 2006, était un recours effectif. Le Gouvernement affirme également que le recours de l’article 565 du code de procédure pénale, exercé par le requérant le 14 novembre 2005, n’était pas une voie de recours appropriée.

54. La Cour constate d’emblée que le requérant a en effet exercé les recours qui lui étaient disponibles. Elle note en outre que l’argumentation du Gouvernement porte plutôt sur l’efficacité desdits recours et non pas sur une quelconque omission du requérant de les exercer. Dès lors, la Cour estime qu’il y a lieu de rejeter l’exception tirée du principe de l’épuisement des voies de recours internes. Elle relève en outre que les griefs formulés au titre de l’article 5 de la Convention ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

B. Sur le fond

1. Article 5 § 1 de la Convention

a) Thèses des parties

55. Dans ses observations, le Gouvernement procède à une analyse du droit interne régissant la libération conditionnelle d’un étranger ainsi que la procédure d’expulsion judiciaire. Il ressort de l’article 74 § 4 en combinaison avec l’article 99 § 2 du code pénal qu’en cas de libération conditionnelle d’un étranger à l’encontre duquel une expulsion judiciaire a été ordonnée, sa libération s’effectue lorsque l’expulsion est accomplie. Jusqu’à ce moment, l’étranger reste détenu dans des espaces spéciaux de l’établissement de détention. La durée de la détention est déduite du restant de la peine suspendue.

56. Le Gouvernement rappelle qu’après avoir purgé les trois cinquièmes de sa peine, le requérant, qui devait être libéré en vertu de l’ordonnance no 4/2005, a été maintenu en détention en vue d’être expulsé. Il souligne qu’au moment de sa libération conditionnelle, le requérant n’avait pas purgé la totalité de sa peine et que son maintien en détention avait comme base légale l’arrêt de condamnation no 294-297/2000 ordonnant son expulsion.

57. Le Gouvernement fait valoir en outre que les autorités internes ont entrepris toutes les démarches nécessaires afin d’assurer l’exécution de l’expulsion du requérant, mais qu’elles ont rencontré des difficultés qui empêchaient l’exécution rapide de l’expulsion. Toutefois, celle-ci ne s’est pas révélée impossible au sens de l’article 105 § 4 du code de procédure pénale – ce qui les aurait alors forcées à libérer le requérant. En ce qui concerne la durée de la détention du requérant, étant donné que celle-ci a été inférieure au restant de la peine infligée, le Gouvernement estime qu’aucun problème de légalité ne peut se poser.

58. Le requérant allègue que du 25 janvier 2005, date à laquelle la chambre d’accusation a ordonné sa libération conditionnelle, au 19 septembre 2006, date à laquelle le procureur a ordonné son placement dans la prison de Korydallos, il est resté détenu sans aucune base légale. S’opposant aux allégations du Gouvernement, il soutient que l’arrêt no 294-297/2000 avait ordonné son expulsion et non sa mise en détention, de sorte qu’il ne saurait être considéré comme une base légale pour celle-ci.

59. Le requérant dénonce également la durée excessive de sa détention, du 25 janvier 2005 au 27 avril 2007. Il souligne que les autorités n’ont pas fait preuve de diligence et qu’elles n’ont pas pris les mesures adéquates afin d’assurer l’exécution de l’expulsion.

b) Appréciation de la Cour

i) Principes généraux

60. La Cour rappelle que l’article 5 consacre un droit fondamental de l’homme, la protection de l’individu contre les atteintes arbitraires de l’Etat à sa liberté (Aksoy c. Turquie, 18 décembre 1996, § 76, Recueil 1996-VI). Il précise explicitement que les garanties qu’il consacre s’appliquent à « toute personne ».

61. Les alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 contiennent une liste exhaustive des motifs pour lesquels une personne peut être privée de sa liberté ; pareille mesure n’est pas régulière si elle ne relève pas de l’un de ces motifs (Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, § 43, 29 janvier 2008). Enoncée à l’alinéa f) de l’article 5 § 1, l’une des exceptions au droit à la liberté permet aux Etats de restreindre celle des étrangers dans le cadre du contrôle de l’immigration (ibidem, § 64).

62. Il est bien établi dans la jurisprudence de la Cour relative aux alinéas de l’article 5 § 1 que toute privation de liberté doit non seulement relever de l’une des exceptions prévues aux alinéas a) à f), mais aussi être « régulière ». En matière de « régularité » d’une détention, y compris l’observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure.

63. A cet égard, la Cour rappelle qu’en exigeant que toute privation de liberté soit effectuée « selon les voies légales », l’article 5 § 1 impose, en premier lieu, que toute arrestation ou détention ait une base légale en droit interne. Toutefois, ces termes ne se bornent pas à renvoyer au droit interne ; ils concernent aussi la qualité de la loi ; ils la veulent compatible avec la prééminence du droit, notion inhérente à l’ensemble des articles de la Convention. Pareille qualité implique qu’une loi nationale autorisant une privation de liberté soit suffisamment accessible et précise afin d’éviter tout danger d’arbitraire (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 50, Recueil 1996‑III).

64. Quant à la notion d’arbitraire, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’une mesure privative de liberté prise sur le fondement de l’article 5 § 1 f) doit être mise en œuvre de bonne foi ; elle doit aussi être étroitement liée au motif de détention invoqué par le Gouvernement ; en outre, le lieu et les conditions de détention doivent être appropriés ; enfin, la durée de cette mesure ne doit pas excéder le délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi (voir, mutatis mutandis, Saadi, précité, § 74).

ii) Application des principes en l’espèce

65. La Cour prend note de l’argument du Gouvernement selon lequel le jour de sa libération conditionnelle, le requérant n’avait pas purgé la totalité de sa peine, et que son maintien en détention avait comme base légale l’arrêt de condamnation no 294-297/2000. La libération conditionnelle du requérant s’effectuerait avec son expulsion. D’après le Gouvernement, la période litigieuse de détention du requérant relèverait de l’alinéa a) de l’article 5 § 1, à savoir la détention régulière après condamnation.

66. Toutefois, la Cour observe que selon l’ordonnance no 4/2005, le requérant, ayant purgé les trois cinquièmes de sa peine, pouvait bénéficier d’une mise en liberté conditionnelle. Celle-ci lui fut en l’occurrence accordée le 25 janvier 2005. Son maintien en détention par la suite avait pour seul but d’assurer son expulsion, comme il a été constaté par l’ordonnance no 13/2007 du tribunal correctionnel, et n’était pas lié à l’exécution du restant de sa peine, qui avait été par ailleurs suspendue par l’ordonnance no 4/2005. Partant, la Cour estime que le cas d’espèce tombe sous le coup de l’alinéa f) de l’article 5 § 1.

67. Il appartient maintenant à la Cour de rechercher si la détention du requérant pendant cette période était « régulière » aux fins de l’article 5 § 1 f). En l’espèce, le requérant est resté détenu dans l’attente de son expulsion pendant plus de deux ans et trois mois (du 25 janvier 2005, date à laquelle la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Tripoli a ordonné la libération conditionnelle du requérant, au 27 avril 2007, date à laquelle celui-ci fut réellement libéré suite à l’ordonnance no 13/2007 du tribunal correctionnel).

68. Selon la jurisprudence de la Cour, il est essentiel que les conditions de la privation de liberté en vertu du droit interne soient clairement définies et que la « loi » elle-même soit prévisible dans son application, de façon à remplir le critère de « légalité » fixé par la Convention. Celle-ci exige que toute loi soit suffisamment précise pour permettre au citoyen – en s’entourant au besoin de conseils éclairés – de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences d’un acte déterminé (Baranowski c. Pologne, no 28358/95, §§ 50-52, CEDH 2000‑III ; Medvedyev et autres c. France [GC], no 3394/03, § 80, 29 mars 2010).

69. La Cour relève que l’article 74 du code pénal grec relatif à l’expulsion judiciaire ne prévoit pas de délai maximal de détention au-delà duquel, si l’expulsion n’est pas encore accomplie, elle est présumée impossible. La Cour observe que dans son avis no 3/2006 (paragraphe 35 ci-dessus) le procureur près la Cour de cassation a noté que la détention aux fins d’expulsion judiciaire ne devrait pas dépasser le délai raisonnable d’un mois, qui serait nécessaire pour l’exécution d’une expulsion, conformément aux dispositions légales nationales et internationales qui s’y appliquaient. A cet égard, la Cour rappelle qu’elle a déjà considéré que l’avis d’un procureur de rang élevé ne constitue pas une « loi » de « qualité » suffisante au sens de sa jurisprudence (Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 57, CEDH 2001‑II).

70. En outre, en ce qui concerne la durée de la détention, la Cour rappelle que, dans le contexte de l’article 5 § 1 f), seul le déroulement de la procédure d’expulsion justifie la privation de liberté fondée sur cette disposition et si la procédure n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 113, Recueil 1996‑V; Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, § 74, CEDH 2007‑II ; Efraimidi c. Grèce, no 33225/08, § 54, 21 juin 2011). Force est de constater qu’en l’espèce, le requérant est resté détenu dans l’attente de son expulsion pendant plus de deux ans et trois mois malgré le fait que son expulsion n’était pas possible, faute des documents de voyage nécessaires, ce qui a été officiellement porté à l’attention du procureur près le tribunal correctionnel d’Athènes par la direction des étrangers d’Attique, le 27 décembre 2005, puis le 6 février 2006 et a été soulevé par le requérant dans ses recours des 14 novembre 2005 et 13 novembre 2006. S’il est vrai que le requérant aurait pu former la demande de modification de l’ordonnance no 4/2005 plus tôt, il n’en reste pas moins que les autorités compétentes, déjà averties à plusieurs reprises que l’expulsion du requérant n’était pas possible, n’ont pas fait preuve de la diligence requise. Dans le même esprit, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Tripoli a jugé que : « (...) (En l’occurrence), le délai raisonnable d’un mois est depuis longtemps dépassé, et le requérant, qui est resté pendant toute cette période en détention, avait droit à être mis en liberté afin que son temps de mise à l’épreuve commence à courir. » (ordonnance no 13/2007).

71. A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que les dispositions pertinentes du droit interne régissant la détention des personnes sous expulsion judiciaire ne fixent pas la durée maximale de cette détention et ne répondent pas ainsi à l’exigence de prévisibilité de l’article 5 § 1 de la Convention. S’agissant du cas de l’espèce, la Cour estime que la période de la détention du requérant a excédé le délai raisonnable nécessaire aux fins de l’objectif poursuivi.

Dès lors, il y a eu violation de l’article 5 § 1 f) de la Convention.

2. Article 5 § 4 de la Convention

a) Thèses des parties

72. Le Gouvernement allègue que l’article 106 § 2 du code pénal offrait au requérant une voie de recours conforme aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention, qui a d’ailleurs été utilisée par le requérant le 13 novembre 2006. Selon le Gouvernement, ce recours était accessible et effectif puisque le requérant a obtenu à travers celui-ci sa libération conditionnelle en vertu de l’ordonnance no 13/2007 du 26 avril 2007. Il relève que le requérant aurait pu exercer ce recours beaucoup plus tôt, à savoir juste après le dépassement du délai raisonnable de sa détention. Le Gouvernement souligne enfin que les objections formulées en vertu de l’article 565 du code de procédure pénale étaient un recours ineffectif en l’espèce.

73. Le requérant rétorque que le recours de l’article 106 § 2 n’était pas de nature à garantir le contrôle de la légalité de sa détention. L’ordonnance no 13/2007 n’a pas ordonné sa libération conditionnelle mais a simplement modifié l’ordonnance no 4/2005 en lui imposant des mesures de restriction de sa liberté de mouvement. Sa libération était la conséquence pratique de cette modification. De plus, le recours prévu par l’article 565 n’est pas un recours effectif au sens de la Convention.

b) Appréciation de la Cour

i) Principes généraux

74. L’article 5 § 4 offre une garantie fondamentale contre les détentions arbitraires en exigeant qu’un individu privé de sa liberté ait le droit de faire contrôler par un tribunal la légalité de sa détention. Par « tribunal », cette disposition n’entend pas nécessairement une juridiction de type classique, intégrée aux structures judiciaires ordinaires du pays. Ce terme sert à désigner des organes présentant non seulement des traits fondamentaux communs, au premier rang desquels se place l’indépendance par rapport à l’exécutif et aux parties (...), mais encore les garanties, adaptées à la privation de liberté dont il s’agit, d’une procédure judiciaire dont les modalités peuvent varier d’un domaine à l’autre mais qui doivent inclure la compétence de « statuer » sur la « légalité » de la détention et d’ordonner la libération en cas de détention illégale (Weeks c. Royaume-Uni, 2 mars 1987, § 61, série A no 114 ; A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 202, CEDH 2009 et Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 168, 17 janvier 2012).

75. Les personnes arrêtées ou détenues ont droit à un examen par un tel tribunal de la « légalité » de leur privation de liberté sous l’angle non du seul droit interne, mais aussi du texte de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise l’article 5 § 1 (Brogan et autres c. Royaume-Uni, 29 novembre 1988, § 65, série A no 145‑B). Cela ne garantit pas le droit à un examen judiciaire d’une portée telle qu’il habiliterait le tribunal à substituer, sur l’ensemble des aspects de l’affaire, y compris par des considérations d’opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en faut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables, au regard de la Convention, à la régularité de la détention d’un individu assujetti au type particulier de privation de liberté appliqué au requérant (E. c. Norvège, 29 août 1990, § 50, série A no 181‑A et Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 65, CEDH 2003‑IV).

76. Dans le cadre de la procédure de contrôle, les tribunaux compétents doivent statuer « à bref délai ». La question de savoir si cette exigence est respectée doit – comme pour le « délai raisonnable » des articles 5 § 3 et 6 § 1 – s’apprécier à la lumière des circonstances de chaque affaire (Sanchez-Reisse c. Suisse, 21 octobre 1986, § 55, série A no 107).

ii) Application des principes en l’espèce

77. La Cour constate que les parties s’accordent sur le fait que les objections de l’article 565 du code de procédure pénale ne revêtaient pas dans le cas d’espèce le caractère d’un recours effectif au sens de l’article 5 § 4 de la Convention. Partant, la Cour considère qu’il n’y pas lieu de statuer sur cette question.

78. En ce qui concerne la demande prévue par l’article 106 § 2 du code pénal, la Cour note que la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Tripoli, saisie par le requérant d’une telle demande le 13 novembre 2006, a examiné sous l’angle du droit interne et de la Convention la légalité de la détention du requérant. Après avoir constaté la durée excessive de celle-ci, la chambre a ordonné la modification de l’ordonnance no 4/2005 et a imposé au requérant de simples mesures de restriction de ses mouvements.

79. Toutefois, la Cour relève que le requérant a saisi la chambre d’accusation le 13 novembre 2006 et que celle-ci a rendu son ordonnance no 13/2007 le 26 avril 2007, soit dans un délai de cinq mois et douze jours. Compte tenu de sa jurisprudence concernant l’article 5 § 4 de la Convention, dans laquelle des durées plus courtes que celle-ci peuvent soulever un problème au regard de la Convention (voir, notamment, E. c. Norvège, précité, §§ 63 et suivants, Rehbock c. Slovénie, no 29462/95, §§ 82-88, CEDH 2000‑XII, Mooren c. Allemagne, no 11364/03, §§ 69-74, 13 décembre 2007 et Baudoin c. France, no 35935/03, §§ 116 et suivants, 18 novembre 2010), la Cour juge le délai écoulé en l’espèce excessif. Cela est d’autant plus vrai qu’elle a constaté que la durée de la détention du requérant a été excessive au sens du premier paragraphe de l’article 5 de la Convention. Eu égard à ces considérations, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de trancher la question de l’effectivité du recours quant à l’examen du fond des allégations soulevées par le requérant devant le tribunal correctionnel.

80. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

81. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

82. Le requérant réclame 20 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

83. Le Gouvernement estime que la somme réclamée est excessive et qu’un constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante. Il estime que la somme allouée au requérant ne devrait pas dépasser 3 000 EUR.

84. Compte tenu du nombre et de la gravité des violations constatées dans la présente affaire, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 16 000 EUR pour préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

85. Le requérant demande 600 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes, en plus de l’assistance judiciaire de 850 EUR qu’il a déjà perçue de la part du Conseil de l’Europe pour les frais et dépens devant la Cour. Il ne produit pas de facture ou note d’honoraires.

86. Le Gouvernement fait valoir que les prétentions du requérant ne sont pas accompagnées des justificatifs nécessaires.

87. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux. En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002). La Cour note que le requérant a bénéficié de l’assistance judiciaire devant la Cour et qu’il ne produit aucun document à l’appui de sa prétention concernant les frais et dépens pour la procédure interne. Il convient donc d’écarter sa demande.

C. Intérêts moratoires

88. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 5 §§ 1 et 4 et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 f) de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

4. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 16 000 EUR (seize mille euros), pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 avril 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenNina Vajić
GreffierPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-110451
Date de la décision : 24/04/2012
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûrete (Article 5-1-f - Expulsion;Article 5-4 - Contrôle à bref delai)

Parties
Demandeurs : MATHLOOM
Défendeurs : GRECE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : PAPADOPOULOS V. ; AGGELI D.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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