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17/04/2012 | CEDH | N°001-110478

CEDH | CEDH, AFFAIRE MELIS c. GRECE, 2012, 001-110478


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE MELIS c. GRÈCE

(Requête no 30604/07)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

STRASBOURG

17 avril 2012

DÉFINITIF

17/07/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Melis c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant une chambre composée de :

Nina Vajić, présidente,
Anatoly Kovler,
Peer Lorenzen,
Elisabeth Steiner,
Khanla

r Hajiyev,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE MELIS c. GRÈCE

(Requête no 30604/07)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

STRASBOURG

17 avril 2012

DÉFINITIF

17/07/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Melis c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant une chambre composée de :

Nina Vajić, présidente,
Anatoly Kovler,
Peer Lorenzen,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 mars 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 30604/07) dirigée contre la République hellénique par un ressortissant américain d’origine grecque, M. Nikolaos Melis (« le requérant »), qui a saisi la Cour le 12 juillet 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Par un arrêt du 22 juillet 2010 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé qu’il y avait eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. En particulier, la Cour a considéré que l’interprétation et l’application, par les juridictions saisies dans l’affaire du requérant, du droit interne en matière de demande tendant à la révision d’un procès civil en appel, ont emporté violation du droit de l’intéressé d’avoir accès à un tribunal.

3. En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, le requérant réclamait une satisfaction équitable de 1 000 000 euros (EUR) au titre du dommage matériel qu’il aurait subi, 80 000 EUR au titre du préjudice moral et 39 940,20 EUR au titre des frais et dépens, dont 30 000 EUR pour le remboursement des frais de ses trois voyages des Etats-Unis en Grèce pour les besoins de la procédure.

4. La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et le requérant à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 33, et point 3 du dispositif).

5. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations.

EN DROIT

6. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

1. Thèses des parties

a) Le requérant

7. Le requérant réclame d’abord la restitution de sa propriété. En cas d’impossibilité de restitution, il réclame 1 000 000 EUR pour son préjudice matériel. Il prétend que cette dernière somme est fondée sur la valeur objective actuelle du terrain, sur la valeur estimée de celui-ci lors de la procédure civile devant les juridictions grecques (1 400 000 drachmes, soit 4 108 EUR environ) ainsi que sur le fait que le terrain est situé près du rivage sur une île qui a connu un développement touristique considérable ces dernières années.

8. Le requérant souligne que l’arrêt de la Cour au principal est définitif et obligatoire pour l’Etat défendeur, qui doit rétablir la situation telle qu’elle existait avant la violation. Il déplore que l’arrêt de la Cour ne puisse pas entraîner l’annulation de l’arrêt de la Cour de cassation, du 17 janvier 2007, et que la Grèce n’ait pas adopté une loi permettant la réouverture d’une procédure en matière civile, suite à un arrêt de violation de la Cour.

9. Le requérant réclame aussi 80 000 EUR pour dommage moral.

b) Le Gouvernement

10. Le Gouvernement allègue que dans le domaine civil, la réouverture d’une procédure après un arrêt de la Cour se heurte au principe de la force de la chose jugée. Si l’Etat grec a prévu, dès 2001, la réouverture d’une procédure pénale suite à un arrêt de condamnation de la Cour, elle ne l’a pas fait pour les procédures civiles, en raison des conséquences que celles-ci peuvent avoir à l’égard des tiers. La sécurité juridique en matière de droits réels exige que les tiers qui ont pu acquérir des droits soient protégés de toute atteinte imprévisible postérieure à l’acquisition. L’ordre juridique grec prévoit la possibilité de la révision d’un procès civil, qui constitue un recours effectif à la disposition de l’intéressé, même si dans le cas d’espèce, le requérant n’a pas pu en bénéficier en raison des circonstances exceptionnelles propres à l’affaire.

11. Le Gouvernement souligne, en outre, que le requérant s’est constitué partie civile dans la procédure pénale qui s’est terminée avec la condamnation d’A.P. pour faux témoignage. Le requérant avait réclamé une indemnité d’un montant de 10 000 EUR pour dommage moral, que les juridictions pénales lui ont accordée. Toutefois, il n’a pas soumis devant ces juridictions les prétentions civiles pour la perte de sa propriété qu’il présente maintenant devant la Cour. Or, le requérant aurait pu introduire une action en dommages-intérêts contre les héritiers de la partie adverse initiale, E.G., ainsi que contre tous ceux qui avaient été reconnus comme copropriétaires avec E.G. par l’arrêt no 446/2002 de la Cour de cassation. Par conséquent, le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes.

12. Le Gouvernement prétend que la Cour ne peut pas spéculer sur ce qu’aurait été l’issue de la procédure quant au fond, à savoir la restitution de la propriété ou le paiement d’une indemnité correspondant à la totalité de la valeur de celle-ci, si la demande de révision n’avait pas été rejetée pour tardiveté.

13. En ce qui concerne la somme réclamée, le Gouvernement affirme qu’elle n’a pas de lien de causalité avec la violation constatée et qu’elle est arbitraire et excessive car elle a comme base le montant de 1 200 000 drachmes demandé par le requérant dans son action de 1989 et actualisé par la seule invocation du développement touristique de l’île de Chios. Il soumet un document émis par les services fiscaux de Chios selon lequel la valeur objective actuelle du bien du requérant s’élève à 21 762,11 EUR.

14. Quant au dommage moral, le Gouvernement allègue que la somme demandée est excessive et injustifiée et qu’une indemnité à ce titre ne devait pas dépasser 3 000 EUR.

2. Appréciation de la Cour

15. La Cour rappelle, s’agissant en particulier de la réouverture d’une procédure, qu’elle n’a pas, en principe, compétence pour ordonner de telles mesures (voir, parmi d’autres, De Clerck c. Belgique, no 34316/02, § 98, 25 septembre 2007). Toutefois, lorsqu’un particulier a été condamné pénalement à l’issue d’une procédure entachée de manquements aux exigences de l’article 6 de la Convention, la Cour peut indiquer qu’un nouveau procès ou une réouverture de la procédure, à la demande de l’intéressé, représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée (voir, parmi d’autres, Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 27, 23 octobre 2003, Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 210, CEDH 2005‑IV, et Claes et autres c. Belgique, nos 46825/99, 47132/99, 47502/99, 49010/99, 49104/99, 49195/99 et 49716/99, § 53, 2 juin 2005). Cela correspond aux indications du Comité des Ministres qui, dans sa Recommandation R(2000)2, a invité les Etats parties à la Convention à instaurer des mécanismes de réexamen d’une affaire ou de réouverture d’une procédure au niveau interne, considérant que ceux-ci représentent « le moyen le plus efficace, voire le seul, pour réaliser la restitutio in integrum ».

16. La Cour rappelle qu’en l’espèce, le rejet de la demande tendant à la révision du procès civil devant la cour d’appel d’Egée, dont la décision initiale avait été fondée sur un témoignage qui s’est avéré faux par la suite, a empêché le requérant de voir son affaire rejugée au fond et de se faire reconnaître, le cas échéant, propriétaire du terrain litigieux.

17. La Cour note que le 22 septembre 2011, la Cour de cassation, siégeant en formation plénière, a rendu un arrêt qui règle le problème soulevé dans la présente affaire quant au fond et qui avait amené la Cour à conclure à une violation de l’article 6 § 1 de la Convention. La Cour rappelle en effet que dans son arrêt au principal (paragraphe 28), elle a considéré que les juridictions saisies de la demande de révision du requérant avaient procédé à une interprétation qui avait eu comme conséquence de mettre à la charge de celui-ci une obligation qu’il n’était pas en mesure de respecter : obtenir, dans un délai maximal de trois ans à partir de la publication de l’arrêt dont il souhaitait la révision, une décision irrévocable par les juridictions pénales reconnaissant le faux témoignage dont il avait été victime.

18. Dans son arrêt précité, la Cour de cassation a jugé qu’une demande tendant à la révision du procès civil en appel, concernant un jugement ou arrêt fondé sur un élément ultérieurement reconnu comme constituant un faux, est recevable même si elle est introduite plus de trois ans après le prononcé du jugement ou de l’arrêt dont la révision est demandée. Dans ce cas, le délai de trois ans commence à courir à compter du prononcé du jugement ou de l’arrêt établissant le faux.

19. Toutefois, la Cour relève que le requérant ne peut pas se prévaloir de cet arrêt pour demander la révision de l’arrêt le concernant dans la mesure où le délai prévu pour introduire un tel recours, tel qu’il est actuellement interprété par la Cour de cassation, est maintenant dépassé.

20. La Cour relève ensuite que la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside en l’espèce dans le fait que le requérant n’a pas pu jouir des garanties de l’article 6. Elle ne saurait certes spéculer sur ce qu’eût été l’issue du procès dans le cas contraire, mais n’estime pas déraisonnable de penser que l’intéressé a subi une perte de chances (Colozza c. Italie, arrêt du 12 février 1985, série A no 89, § 38 ; Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 80, ECHR 1999-II et Cudak c. Lituanie [GC], no 15869/02, § 79, 23 mars 2010). A quoi s’ajoute un préjudice moral auquel le constat de violation de la Convention figurant dans le présent arrêt ne suffit pas à remédier. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, elle alloue au requérant 25 000 EUR, tous chefs de préjudice confondus.

B. Frais et dépens

21. Le requérant réclame 9 940,20 EUR pour frais de justice plus 30 000 EUR pour frais personnels liés à ses voyages des Etats-Unis en Grèce.

22. Selon le Gouvernement, la somme demandée pour ces frais et dépens, qui ne sont pas prouvés, n’est pas en relation de causalité avec la violation constatée

23. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI).

24. La Cour observe que les prétentions du requérant au titre des frais et dépens ne sont pas accompagnées des justificatifs nécessaires. Il convient donc d’écarter sa demande.

C. Intérêts moratoires

25. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 25 000 EUR (vingt-cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommages matériel et moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 avril 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

André WampachNina Vajić
Greffier adjointPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-110478
Date de la décision : 17/04/2012
Type d'affaire : satisfaction équitable
Type de recours : Dommage matériel et préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral;Dommage matériel;Satisfaction équitable)

Parties
Demandeurs : MELIS
Défendeurs : GRECE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : TZIFRAS N.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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