TROISIÈME SECTION
AFFAIRE MOCANU c. MOLDOVA
(Requête no 12708/05)
ARRÊT
STRASBOURG
17 mai 2011
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Mocanu c. Moldova,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en un comité composé de :
Egbert Myjer, président, Luis López Guerra, Mihai Poalelungi, juges, et de Marialena Tsirli, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 avril 2011,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 12708/05) dirigée contre la République de Moldavie et dont une ressortissante de cet État, Mme Valentina Mocanu (« la requérante »), a saisi la Cour le 5 mars 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante est représentée par Me P. Zamfir, avocat à Chişinău. Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, V. Grosu.
3. La requérante allègue une violation de son droit à un procès équitable et une atteinte à son droit à la protection de ses biens en raison de l’inexécution d’un arrêt définitif rendu en sa faveur.
4. Le 8 novembre 2007 la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l’affaire.
5. Le 4 octobre 2010, la Cour informa le Gouvernement du fait que l’affaire faisait partie d’une jurisprudence bien établie de la Cour et la requête fut attribuée à un Comité de trois juges.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6. La requérante est née en 1965 et réside à Cahul.
7. En 1997, la maison de la requérante fut gravement endommagée suite à des intempéries. Après une procédure entamée par la requérante, le tribunal de Cahul obligea la mairie de Cahul, par un arrêt du 19 septembre 2003, à transférer à la requérante la propriété sur un appartement de deux pièces. La mairie de Cahul n’interjeta pas appel et l’arrêt devint définitif le 4 octobre 2003.
8. Le 22 octobre 2008, le tribunal de Cahul changea la modalité d’exécution de l’arrêt définitif du 19 septembre 2003, obligeant la mairie de Cahul à verser à la requérante la somme de 31 000 euros (EUR).
9. Le 23 décembre 2009, ce montant fut transféré sur le compte bancaire de la requérante.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
10. Les dispositions de droit interne pertinent ont été recensées par la Cour dans l’affaire Prodan c. Moldova (no 49806/99, § 31, CEDH 2004-III (extraits)).
EN DROIT
I. OBSERVATION PRÉLIMINAIRE
11. Par une lettre du 26 novembre 2010, le Gouvernement porta à la connaissance de la Cour que l’arrêt définitif rendu en faveur de la requérante avait été exécuté le 23 décembre 2009. Ce fait était confirmé par un récépissé signé par la requérante le 19 janvier 2010, portant la mention manuscrite que celle-ci n’avait plus de prétentions quant à l’exécution de l’arrêt en question. Selon le Gouvernement, cette mention écrite signifie que la requérante n’entend plus maintenir sa requête devant la Cour. Il demanda à la Cour de rayer la requête du rôle en vertu de l’article 37 § 1 a) de la Convention.
12. La Cour observe que, bien que le récépissé du 19 janvier 2010 porte une telle mention manuscrite, la requérante n’a jamais exprimé, dans sa correspondance avec la Cour, le souhait de ne plus maintenir sa requête au sens de l’article 37 § 1 a) de la Convention.
13. Au vu de ce qui précède, la Cour ne saurait accepter l’argument du Gouvernement quant à la nécessité de rayer l’affaire du rôle.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION ET DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
14. La requérante allègue que l’inexécution de l’arrêt du 19 septembre 2003 a enfreint son droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi que son droit à la protection de ses biens, tel que garanti par l’article 1 du Protocole no 1. Les dispositions invoquées sont ainsi libellées :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Article 1 du Protocole no1
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens (...) »
A. Sur la recevabilité
15. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il considère qu’il était loisible à la requérante de saisir les tribunaux d’une action à l’encontre des autorités responsables de la non-exécution de l’arrêt définitif rendu en sa faveur afin d’obtenir des dommages-intérêts.
16. La Cour a traité à maintes reprises des affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté qu’il n’y avait pas, en droit moldave, de voies de recours internes effectives pour remédier à l’inexécution d’un arrêt définitif (voir, parmi beaucoup d’autres, Prodan précité). Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent.
17. Partant, la Cour rejette l’exception soulevée par Gouvernement.
18. A la lumière des faits de l’espèce et de la jurisprudence, la Cour estime que les griefs formulés sur le terrain des articles 6 de la Convention et 1 du Protocole no 1 soulèvent des questions de fait et de droit au regard de la Convention qui nécessitent un examen au fond. Elle relève qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.
B. Sur le fond
19. Le Gouvernement fait valoir que l’huissier de justice a pris des mesures appropriées pour assurer l’exécution dudit arrêt. Aux yeux du Gouvernement, une période d’inexécution d’environ cinq ans ne saurait passer pour déraisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Il soulève le même argument en ce qui concerne la violation alléguée de l’article 1 du Protocole no 1.
20. La Cour rappelle que, dans la présente affaire, bien que la requérante ait obtenu le 19 septembre 2003 une décision interne définitive ordonnant au conseil local de lui transférer le droit de propriété sur un logement, cette décision ne fut exécutée que le 23 décembre 2009, soit avec un retard de six ans, deux mois et vingt-trois jours. La Cour a traité à maintes reprises des affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi que de l’article 1 du Protocole no1 (voir, parmi beaucoup d’autres, Prodan précité), résultant de l’exécution tardive d’un arrêt définitif.
21. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce l’État, responsable pour l’exécution de l’arrêt définitif en faveur de la requérante, ne s’est pas acquitté des ses obligations.
22. Partant, il y a eu violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
23. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
24. La Cour observe que les prétentions de la partie requérante au titre de la satisfaction équitable ont été reçues après l’expiration du délai imparti à cet effet par l’article 60 du règlement de la Cour et qu’aucune explication n’a été fournie pour le non-respect de ce délai. La Cour estime donc qu’il n’y a pas lieu d’octroyer de somme au titre de l’article 41 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;
4. Rejette la demande de la satisfaction équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 mai 2011, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Marialena Tsirli Egbert Myjer Greffière adjointe Président
ARRÊT MOCANU c. MOLDOVA
ARRÊT MOCANU c. MOLDOVA