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15/03/2005 | CEDH | N°38704/03

CEDH | VEERMAE c. FINLANDE


EN FAIT
Le requérant, M. Mairold Veermäe, est un ressortissant estonien né en 1977 qui purge actuellement une peine d’emprisonnement en Finlande. Il est représenté devant la Cour par Me M. Lehtinen, avocate à Lahti. Le gouvernement défendeur est représenté par son agent, M. A. Kosonen, directeur au ministère des Affaires étrangères.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties et tels qu’ils ressortent des documents, peuvent se résumer comme suit.
Le 6 septembre 2001, le requéran

t, qui était détenu depuis le 19 janvier 2001, fut reconnu coupable d’infraction ag...

EN FAIT
Le requérant, M. Mairold Veermäe, est un ressortissant estonien né en 1977 qui purge actuellement une peine d’emprisonnement en Finlande. Il est représenté devant la Cour par Me M. Lehtinen, avocate à Lahti. Le gouvernement défendeur est représenté par son agent, M. A. Kosonen, directeur au ministère des Affaires étrangères.
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties et tels qu’ils ressortent des documents, peuvent se résumer comme suit.
Le 6 septembre 2001, le requérant, qui était détenu depuis le 19 janvier 2001, fut reconnu coupable d’infraction aggravée à la législation sur les stupéfiants par un tribunal de district finlandais, qui le condamna à neuf ans d’emprisonnement. Le 28 janvier 2002, la Direction de l’immigration (ulkomaalaisvirasto, utlänningsverket) ordonna son expulsion vers l’Estonie. Le jugement et l’arrêté d’expulsion devinrent tous deux définitifs.
Le 5 décembre 2002, le Service de l’application des peines (rikosseuraamusvirasto, brottspåföljdsverket) proposa au ministère de la Justice que le requérant purge le reste de sa peine en Estonie. L’intéressé et le ministère de l’Intérieur furent invités à soumettre leurs observations. Le premier se dit opposé à son transfèrement, auquel le second donna son accord.
Le 13 mars 2003, le ministère de la Justice ordonna que le requérant purge le reste de sa peine en Estonie. Il se fondait sur l’article 19 § 2 de la loi relative à la coopération internationale dans l’exécution de certaines sanctions pénales (loi no 21/1987, modifiée par la loi no 236/2001) (laki kansainvälisestä yhteistoiminnasta eräiden rikosoikeudellisten seuraamusten täytäntöönpanossa, lag om internationellt samarbete vid verkställighet av vissa straffrättsliga påföljder) et sur le Protocole additionnel à la Convention sur le transfèrement des personnes condamnées (Série des traités européens no 167 ; Série des traités finlandais no 42/2001). Il estimait notamment qu’aucun lien particulier n’unissait le requérant à la Finlande et que l’intéressé avait davantage d’attaches sociales avec l’Estonie qu’avec la Finlande.
Le requérant saisit le tribunal administratif (hallinto-oikeus, förvaltningsdomstolen) d’Helsinki d’un recours en annulation de la décision du ministère de la Justice. Il alléguait qu’en Finlande il pourrait obtenir une libération conditionnelle le 18 juillet 2005, c’est-à-dire après avoir purgé la moitié de sa peine, alors qu’en Estonie il devrait attendre d’en avoir subi les deux tiers. Affirmant que 15 % seulement des personnes détenues dans les établissements pénitentiaires estoniens bénéficiaient d’une telle mesure, toutes les autres purgeant la totalité de leur peine, il ajoutait que même après cette période sa libération conditionnelle resterait très aléatoire. La sanction effectivement subie par lui serait donc plus longue d’un an et demi au moins en Estonie qu’en Finlande, voire deux fois plus longue dans l’hypothèse où il ne bénéficierait pas d’une libération conditionnelle en Estonie. L’intéressé alléguait aussi que certaines prisons estoniennes étaient vétustes et surpeuplées. Il s’appuyait sur les articles 5 et 14 de la Convention, soutenant que son transfèrement vers l’Estonie le placerait dans une situation discriminatoire par rapport aux détenus finlandais et aux ressortissants estoniens détenus en Finlande et non transférés en Estonie. Il invoquait également le principe « ne bis in idem » (article 4 du Protocole no 7 à la Convention).
Dans l’avis qu’il formula devant le tribunal administratif, le ministère de la Justice s’exprima ainsi (déclaration retranscrite par le tribunal) :
« (...) M. Veermäe a été condamné à neuf ans d’emprisonnement, mais, en sa qualité de primodélinquant, il ne purgera que quatre ans et six mois. En Estonie, il pourrait bénéficier d’une libération conditionnelle après avoir accompli les deux tiers de sa peine, soit six ans. Ses chances d’obtenir une libération conditionnelle en Estonie ne sont donc pas beaucoup plus faibles qu’en Finlande, et à cet égard la législation estonienne n’est pas très différente de la nôtre. »
Le 19 juin 2003, le tribunal administratif d’Helsinki débouta le requérant de son recours. Il estima que ni l’exposition de l’intéressé au risque d’avoir à purger une peine d’emprisonnement sensiblement plus longue en Estonie, où les possibilités de libération conditionnelle étaient différentes, ni la vétusté et le surpeuplement allégués des prisons estoniennes ne constituaient en soi une violation de l’article 3 de la Convention. Il écarta en outre la thèse de la discrimination, considérant que la loi relative à la coopération internationale dans l’exécution de certaines sanctions pénales, qui par hypothèse ne s’appliquait qu’aux étrangers, fournissait un motif de transfèrement valable.
Il considéra par ailleurs que le transfèrement du requérant vers l’Estonie n’emporterait pas non plus violation de l’article 5 de la Convention, puisque la peine qu’il y purgerait effectivement ne serait pas plus longue que la sanction prononcée par les juridictions finlandaises. La décision du tribunal administratif n’était pas susceptible d’appel.
Le 26 septembre 2003, le ministère de la Justice finlandais invita le ministère de la Justice estonien à consentir à l’exécution de la condamnation en Estonie. Lors du dépôt de ses observations à la Cour, le Gouvernement déclara qu’il n’avait pas encore reçu l’accord de l’Estonie.
Le 24 août 2004, le requérant fut transféré dans un établissement pénitentiaire ouvert, toujours en Finlande.
B.  La législation et la pratique internes et internationales pertinentes
1.  Le régime finlandais de la libération conditionnelle
En vertu de l’article 13 (modifié par la loi no 521/2003) du chapitre 2 de la loi relative à l’exécution des peines (laki rangaistusten täytäntöönpanosta, lag om verkställighet av straff), un détenu peut bénéficier d’une libération conditionnelle après avoir purgé les deux tiers ou, exceptionnellement, la moitié de sa peine ; dans ce dernier cas, il ne doit pas avoir subi de peine d’emprisonnement au cours des trois années ayant précédé l’infraction. Parmi les facteurs à prendre en considération pour décider s’il convient ou non d’accorder la libération conditionnelle figurent la nature et les mobiles de l’infraction, le passé du détenu, son comportement en détention et la situation qui l’attend à sa sortie.
Bien que l’octroi de la libération conditionnelle soit laissé à l’appréciation des autorités, il est très rare que cette mesure soit différée en Finlande. Un primodélinquant est généralement libéré après avoir purgé la moitié de sa peine.
Les articles 1 et 2 du chapitre 7 (tels que modifiés par la loi no 580/2001) prévoient qu’un détenu peut saisir un tribunal de district, notamment, pour contester le report de sa libération conditionnelle lorsqu’il a déjà subi la moitié ou les deux tiers de sa peine (selon la durée applicable en vertu de l’article 13 du chapitre 2).
Dans un de ses rapports (no 2001:6), la commission des peines privatives de liberté s’exprima comme suit (à la page 11) :
« (...) Dans les années 90, [la libération conditionnelle] n’était presque jamais repoussée. Depuis la diffusion, en 1995, d’une instruction (no 9/011/95) élaborée par la direction de l’administration pénitentiaire du ministère de la Justice, les reports sont très rares et pratiquement tous décidés avec le consentement du détenu. (...) »
Elle indiqua également (à la page 245) :
« [Les propositions faites aujourd’hui] ne changeraient pas la législation actuellement en vigueur pour ce qui est de la possibilité de bénéficier d’une libération conditionnelle après avoir purgé les deux tiers de sa peine. Elles ne modifieraient pas non plus la situation des détenus non condamnés à une peine d’emprisonnement au cours des trois années ayant précédé leur infraction, lesquels sont libérables une fois accomplie la moitié de leur peine. (...) »
2.  La Convention sur le transfèrement des personnes condamnées et son Protocole additionnel
La Convention sur le transfèrement des personnes condamnées (« la Convention sur le transfèrement » – Série des traités européens no 112 et Série des traités finlandais no 13/1987) et son Protocole additionnel visent à renforcer la coopération internationale en matière pénale, à servir les intérêts d’une bonne administration de la justice et à favoriser la réinsertion sociale des personnes condamnées. Selon le préambule de la convention, les étrangers qui sont privés de leur liberté à la suite d’une infraction pénale devraient avoir la possibilité de subir leur condamnation dans leur milieu social d’origine.
La Convention sur le transfèrement est entrée en vigueur à l’égard de la Finlande le 1er mai 1987, et son Protocole additionnel le 1er août 2001. Les deux textes sont entrés en vigueur à l’égard de l’Estonie le 1er août 1997 et le 1er juin 2000 respectivement. Par conséquent, ils étaient en vigueur le 6 septembre 2001, date à laquelle le requérant fut condamné par le tribunal de district.
L’article 3 § 1 de ladite convention permet le transfèrement d’un condamné de « l’Etat de condamnation » vers « l’Etat d’exécution » à certaines conditions, dont les suivantes : le condamné doit être ressortissant de l’Etat d’exécution ; l’intéressé (ou, dans certains cas, son représentant) doit consentir au transfèrement ; les actes ou omissions qui ont donné lieu à la condamnation doivent constituer une infraction pénale au regard du droit de l’Etat d’exécution ou devraient en constituer une s’ils survenaient sur son territoire ; enfin, l’Etat de condamnation et l’Etat d’exécution doivent s’être mis d’accord sur ce transfèrement.
L’article 9 (« Conséquences du transfèrement pour l’Etat d’exécution ») énonce :
« 1.  Les autorités compétentes de l’Etat d’exécution doivent :
a)  soit poursuivre l’exécution de la condamnation immédiatement ou sur la base d’une décision judiciaire ou administrative, dans les conditions énoncées à l’article 10 ;
b)  soit convertir la condamnation, par une procédure judiciaire ou administrative, en une décision de cet Etat, substituant ainsi à la sanction infligée dans l’Etat de condamnation une sanction prévue par la législation de l’Etat d’exécution pour la même infraction, dans les conditions énoncées à l’article 11.
2.  L’Etat d’exécution doit, si la demande lui en est faite, indiquer à l’Etat de condamnation, avant le transfèrement de la personne condamnée, laquelle de ces procédures il suivra.
3.  L’exécution de la condamnation est régie par la loi de l’Etat d’exécution et cet Etat est seul compétent pour prendre toutes les décisions appropriées.
L’article 10 (« Poursuite de l’exécution ») prévoit ce qui suit :
« 1.  En cas de poursuite de l’exécution, l’Etat d’exécution est lié par la nature juridique et la durée de la sanction telles qu’elles résultent de la condamnation.
2.  Toutefois, si la nature ou la durée de cette sanction sont incompatibles avec la législation de l’Etat d’exécution, ou si la législation de cet Etat l’exige, l’Etat d’exécution peut, par décision judiciaire ou administrative, adapter cette sanction à la peine ou mesure prévue par sa propre loi pour des infractions de même nature. Cette peine ou mesure correspond, autant que possible, quant à sa nature, à celle infligée par la condamnation à exécuter. Elle ne peut aggraver par sa nature ou par sa durée la sanction prononcée dans l’Etat de condamnation ni excéder le maximum prévu par la loi de l’Etat d’exécution. »
L’article 11 (« Conversion de la condamnation ») se lit ainsi :
« 1.  En cas de conversion de la condamnation, la procédure prévue par la législation de l’Etat d’exécution s’applique. Lors de la conversion, l’autorité compétente :
a)  sera liée par la constatation des faits dans la mesure où ceux-ci figurent explicitement ou implicitement dans le jugement prononcé dans l’Etat de condamnation ;
b)  ne peut convertir une sanction privative de liberté en une sanction pécuniaire ;
c)  déduira intégralement la période de privation de liberté subie par le condamné ; et
d)  n’aggravera pas la situation pénale du condamné, et ne sera pas liée par la sanction minimale éventuellement prévue par la législation de l’Etat d’exécution pour la ou les infractions commises.
2.  Lorsque la procédure de conversion a lieu après le transfèrement de la personne condamnée, l’Etat d’exécution gardera cette personne en détention ou prendra d’autres mesures afin d’assurer sa présence dans l’Etat d’exécution jusqu’à l’issue de cette procédure. »
L’article 3 § 1 du Protocole additionnel est libellé en ces termes :
« Sur demande de l’Etat de condamnation, l’Etat d’exécution peut, sous réserve de l’application des dispositions de cet article, donner son accord au transfèrement d’une personne condamnée sans le consentement de cette dernière lorsque la condamnation prononcée à l’encontre de celle-ci, ou une décision administrative prise à la suite de cette condamnation, comporte une mesure d’expulsion ou de reconduite à la frontière ou toute autre mesure en vertu de laquelle cette personne, une fois mise en liberté, ne sera plus admise à séjourner sur le territoire de l’Etat de condamnation. »
3.  La procédure finlandaise de transfèrement
La loi relative aux juridictions administratives (hallinto-oikeuslaki, lag om förvaltningsdomstolarna, 430/1999) prévoit que ces juridictions examinent et tranchent les questions de nature administrative (recours, litiges, etc.) qui relèvent de leur compétence en vertu de la loi relative à la procédure judiciaire administrative (hallintolainkäyttölaki, förvaltningsprocesslag, 586/1996) ou d’autres textes législatifs. L’article 24 de la loi relative à la coopération internationale dans l’exécution de certaines sanctions pénales dispose que les décisions des tribunaux administratifs sont insusceptibles de recours. Le projet de loi concernant le Protocole additionnel à la Convention sur le transfèrement des personnes condamnées (HE 1/2001, p. 19) comporte le passage suivant :
« Lors de l’examen d’une demande de transfèrement, le ministère de la Justice doit notamment prêter attention aux conditions de détention dans l’Etat d’exécution (vers lequel il est demandé que le condamné soit transféré pour y subir sa peine). Dans sa décision, le ministère doit aussi prendre en compte, entre autres, la date la plus probable à laquelle l’intéressé bénéficierait d’une libération conditionnelle en vertu des lois de l’Etat d’exécution. Si les chances de libération conditionnelle sont beaucoup plus faibles dans l’Etat d’exécution qu’en Finlande, il n’est peut-être pas raisonnable de demander le transfèrement de la personne condamnée. »
Après avoir examiné le projet de loi, la commission des lois s’exprima comme suit dans son rapport (LaVM 2/2001) :
« Les conditions de détention dans l’Etat d’exécution doivent être telles que le détenu soit assuré de ne pas faire l’objet de peines ou traitements inhumains ou dégradants. Au minimum, les conditions dans lesquelles la peine doit être subie et sa durée ne doivent pas se distinguer de manière significative de ce qu’elles seraient en Finlande. Par conséquent, il ne faut pas non plus procéder à un transfèrement lorsque la législation de l’Etat d’exécution relative à l’application des peines est très différente de la législation finlandaise, par exemple en ce qui concerne les possibilités de libération conditionnelle. »
4.  Existence d’un précédent dans la jurisprudence de la Cour
La présente affaire est la deuxième affaire finlandaise de ce genre déférée à la Cour. La première (Altosaar c. Finlande (déc.), no 9764/03, 15 juin 2004) fut déclarée irrecevable au motif que le requérant, qui avait bénéficié d’une libération conditionnelle en Finlande, ne pouvait plus être considéré comme victime d’une violation, au sens de l’article 34 de la Convention. Les paragraphes qui suivent résument la description de la législation et de la pratique internes pertinentes que le gouvernement estonien avait donnée dans l’affaire Altosaar.
5.  La législation et la pratique estoniennes pertinentes
L’article 4 du code pénal, qui a remplacé le code criminel le 1er septembre 2002, distingue entre infractions du premier degré et infractions du second degré. Les infractions du premier degré sont celles que le code pénal punit d’une peine d’emprisonnement maximale supérieure à cinq ans, de la réclusion à perpétuité ou d’une dissolution obligatoire. Les infractions du second degré sont celles passibles d’une peine privative de liberté n’excédant pas cinq ans ou d’une sanction pécuniaire.
En vertu de la loi d’application du code pénal, entrée en vigueur le 1er septembre 2002, un fait qui a été commis avant l’entrée en vigueur du code pénal et qui constitue une infraction au regard tant du code criminel que du code pénal tombe sous le coup des dispositions pertinentes du code criminel en vigueur au moment de sa commission. Si, après l’entrée en vigueur du code pénal, une sanction doit être infligée pour une infraction commise avant l’entrée en vigueur du code pénal, elle doit être déterminée en fonction de celle prévue à l’article correspondant du code criminel en vigueur au moment des faits chaque fois que celle-ci est plus légère.
Passible de un à cinq ans d’emprisonnement du 1er septembre 2002 au 1er janvier 2004 (article 184 du code pénal), ce qui en faisait une infraction du second degré en vertu du code pénal, le trafic illicite de grandes quantités de stupéfiants ou de substances psychotropes est, depuis le 1er janvier 2004, puni de un à dix ans d’emprisonnement et appartient donc à la catégorie des infractions du premier degré. Le code criminel, qui a déployé ses effets jusqu’au 31 août 2002 et était en vigueur à l’époque où le requérant commit son infraction (9 septembre 2000-19 janvier 2001), prévoyait une échelle des peines allant de trois à sept ans d’emprisonnement.
La libération conditionnelle est régie par l’article 76 du code pénal. Toute personne reconnue coupable d’une infraction du second degré, ou d’une infraction du premier degré non intentionnelle, peut se voir accorder une libération conditionnelle par le tribunal lorsqu’elle a effectivement purgé la moitié au minimum de sa peine et, en tout état de cause, au moins six mois. Si une personne est reconnue coupable d’avoir commis intentionnellement une infraction pénale du premier degré, le tribunal peut la faire bénéficier d’une libération conditionnelle lorsqu’elle a effectivement purgé les deux tiers au moins de sa peine. Pour statuer, le tribunal doit prendre en considération les circonstances de l’infraction, la personnalité du condamné, son passé, son comportement en détention, ses conditions de vie et les conséquences qu’une libération conditionnelle peuvent avoir pour lui.
Dans l’ensemble des affaires de transfèrement qu’elle a eu à traiter, l’Estonie a appliqué la procédure de conversion des condamnations, car la législation pénale de l’Etat de condamnation prévoyait toujours une peine plus lourde que la législation estonienne pour la même infraction pénale. Les affaires de transfèrement sont examinées par le tribunal de Tallinn, qui remplace la peine prononcée dans l’Etat de condamnation par la peine que prévoit le droit estonien pour une infraction analogue. Dans l’affaire Altosaar, le gouvernement estonien déclara ne pouvoir spéculer sur la nature de la peine qui devrait être exécutée en Estonie, cette question relevant de la compétence exclusive du tribunal. Tenant compte des dispositions légales pertinentes et de la pratique généralement suivie dans les affaires de transfèrement, il estima cependant que la peine infligée en Estonie serait vraisemblablement moins lourde que celle prononcée en Finlande et que la durée de détention effective ne serait pas plus longue en Estonie qu’en Finlande. A cet égard, il fit observer qu’à l’époque où elle avait été commise l’infraction était passible de trois à sept ans d’emprisonnement. Toutefois, selon les dispositions du code pénal en vigueur jusqu’au 1er janvier 2004, l’auteur d’une telle infraction encourait de un à cinq ans d’emprisonnement ; cette sanction étant moins sévère, elle devait donc se substituer à celle qui était prévue par le code criminel. Par conséquent, l’infraction constituait à l’époque une infraction du second degré et le condamné pourrait bénéficier d’une libération conditionnelle après avoir purgé la moitié de sa peine.
En 2003, six détenus furent transférés de la Suède vers l’Estonie pour y subir le reliquat de leur peine. Dès lors que la sanction prévue en Suède était sensiblement plus lourde (détention plus longue) que celle que prévoyait le droit estonien pour des infractions analogues, l’article 9 § 1 b) de la Convention sur le transfèrement fut chaque fois appliqué. Dans l’affaire Altosaar, le gouvernement estonien fit référence à un jugement rendu par le tribunal de Tallinn le 12 juin 2003 dans une affaire où un ressortissant estonien avait, en Suède, été reconnu coupable d’une infraction grave à la législation sur les stupéfiants et condamné à neuf ans d’emprisonnement. Le tribunal de Tallinn avait converti la condamnation et infligé une peine de cinq ans d’emprisonnement. Dans la plupart des procédures de conversion, le tribunal de Tallinn a amélioré la situation des personnes transférées, réduisant la durée des peines d’emprisonnement prononcées initialement. Dans l’affaire Altosaar, le gouvernement estonien déclara n’avoir aucune raison de penser qu’il en irait autrement dans le cas d’espèce que dans d’autres affaires comparables. Un détenu transféré avait la possibilité de saisir le tribunal de Tallinn et de lui communiquer toute information susceptible d’entrer en ligne de compte dans la décision concernant la conversion de la condamnation. Cette décision pouvait être contestée devant la cour d’appel.
En 2003, 2 205 détenus au total sortirent des prisons estoniennes, 357 d’entre eux, soit 16,6 %, dans le cadre de la libération conditionnelle. Les libérations conditionnelles représentent en moyenne 15 à 18 % de l’ensemble des élargissements, et la proportion ne varie guère d’une année à l’autre.
GRIEFS
S’appuyant sur les mêmes arguments que dans la procédure interne, le requérant soutient que si la Finlande devait le transférer en Estonie pour qu’il y purge le reliquat de sa peine elle violerait les articles 3, 5 et 14 de la Convention. Il invoque aussi l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention.
EN DROIT
Outre les griefs formulés sur le terrain des articles 3, 5 et 14 de la Convention et de l’article 4 du Protocole no 7, la Cour se propose d’examiner d’office si la requête soulève une question sous l’angle de l’article 6 de la Convention.
A.  Article 3 de la Convention
Le requérant plaide que son expulsion vers l’Estonie aux fins d’exécution dans ce pays du reliquat de sa peine emporterait violation de l’article 3 de la Convention, qui se lit ainsi :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
Selon une jurisprudence bien établie de la Cour, les Etats contractants ont le droit de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux. Cependant, l’extradition – ou toute autre forme d’éloignement – d’un étranger par un Etat contractant peut soulever un problème au regard de l’article 3, donc engager la responsabilité de cet Etat, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé courra, dans le pays de destination, un risque réel d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Toutefois, une simple possibilité́ de mauvais traitements n’entraîne pas en soi une infraction à l’article 3 (voir, par exemple, Soering c. Royaume-Uni, arrêt du 7 juillet 1989, série A no 161 ; et Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 30 octobre 1991, série A no 215).
La Cour estime que les preuves produites en l’espèce n’étayent pas suffisamment le grief pour révéler une apparence de risque réel pour le requérant de subir des traitements interdits par l’article 3 en cas de transfèrement dans un établissement pénitentiaire estonien. La Cour ajoute que l’intéressé aurait la possibilité d’introduire une requête contre l’Estonie s’il devait s’estimer victime dans ce pays de traitements contraires à l’article 3 ou à toute autre disposition de la Convention.
Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en vertu de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
B.  Articles 5, 6 et 14 de la Convention
Le requérant se plaint aussi que son transfèrement aux fins d’exécution du reliquat de sa peine en Estonie emporterait violation des articles 5 et 14 de la Convention.
L’article 5 énonce :
« 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
a)  s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;
Quant à l’article 14, il se lit ainsi :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
Le transfèrement de l’intéressé pourrait aussi soulever une question au regard de l’article 6 de la Convention, dont le premier paragraphe est ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »
1.  Arguments du Gouvernement
Le Gouvernement affirme que la décision de transférer le requérant n’implique pas une nouvelle privation de liberté et que, par conséquent, ni l’article 5 ni l’article 6 ne sont applicables. L’article 14 ne trouverait donc pas non plus à s’appliquer. Si la Cour devait en juger autrement, la requête serait de toute manière manifestement mal fondée pour les motifs suivants.
La Convention sur le transfèrement viserait à renforcer la coopération internationale basée sur la confiance mutuelle des Etats européens dans leurs systèmes juridiques. Pareil renforcement serait aussi dans l’intérêt des personnes faisant l’objet de mesures légales. Si le transfèrement de détenus condamnés n’était possible qu’entre deux Etats européens partageant la même législation pénale et les mêmes dispositions en matière d’exécution des peines, la Convention sur le transfèrement perdrait toute raison d’être, et en pratique aucun détenu ne pourrait jamais être transféré. Concrètement, une exigence de conformité risquerait de conduire à un alignement progressif des systèmes pénaux et des régimes d’exécution des peines sur les dispositions les plus sévères et à la suppression par voie législative de la possibilité d’accorder des libérations à mi-peine. Une telle évolution serait contraire à l’objectif de ladite convention.
Le Gouvernement note que la condamnation initiale du requérant fut prononcée par un tribunal de district dans le respect des exigences des articles 5 et 6 de la Convention. En droit finlandais, la libération conditionnelle serait un privilège. Tant en droit finlandais qu’en droit estonien, elle serait, en définitive, discrétionnaire, même si un report contre la volonté du condamné serait extrêmement rare en Finlande. Cependant, le délai d’épreuve ne serait pas fixé avec une rigidité telle qu’il serait impossible de le modifier parfois. La libération conditionnelle pourrait ainsi être différée dans les cas où le détenu est reconnu coupable d’un manquement à la discipline, au sens de l’article 10 du chapitre 2 de la loi relative à l’exécution des peines, sanctionné par la perte, pour le calcul du délai d’épreuve, d’une partie de la période de détention déjà subie par le condamné, avec pour conséquence l’allongement dudit délai. L’article 10 a) fixerait à vingt le nombre maximal de jours de détention pouvant ainsi être annulés. En pratique, rares seraient les sanctions disciplinaires entraînant la perte de plus de dix jours. Le report de la libération conditionnelle d’un détenu n’aurait jamais pour effet de prolonger la durée globale de la peine initialement prononcée par le tribunal.
Le Gouvernement ajoute que la décision de transfèrement du requérant adoptée par le ministère de la Justice finlandais le 13 mars 2003 et le jugement du 19 juin 2003 par lequel le tribunal administratif, saisi d’une demande d’annulation de cette décision, confirma les modalités du transfèrement se fondaient tous deux sur la législation nationale en vigueur. Après le transfèrement du requérant vers l’Estonie, les décisions concernant la durée de la peine qu’il lui resterait à purger et sa libération conditionnelle seraient prises par un tribunal compétent conformément au droit estonien. Exigeant la présence du condamné, cette procédure ne pourrait être engagée avant le transfèrement. Les dispositions pertinentes relatives aux transfèrements y étant assez récentes, l’Estonie ne disposerait pas d’une jurisprudence bien établie concernant le transfèrement de condamnés détenus dans des prisons finlandaises. La durée précise de la peine du requérant ne pourrait être connue qu’après son transfert et la conversion de sa condamnation par un tribunal. Dans l’hypothèse où le ministère de la Justice estonien donnerait son accord au transfèrement à un moment où l’échelle des sanctions actuelle serait toujours en vigueur, la présente affaire tomberait sous le coup de l’ancien code criminel estonien, qui définirait une échelle de peines comprises entre trois et sept ans d’emprisonnement et serait donc plus clément que l’actuel code pénal, qui prévoirait des sanctions allant de un à dix ans d’emprisonnement. Quant au code pénal finlandais, en vertu duquel le requérant aurait été reconnu coupable et condamné, il prévoirait de un à dix ans de détention ; il serait donc probable que l’Estonie convertisse la condamnation du requérant en prenant pour base une échelle de sanctions plus légère que celle appliquée en Finlande. Par conséquent, la peine serait normalement moins sévère en Estonie qu’en Finlande. A supposer que la justice estonienne substitue à la sanction infligée en Finlande la peine d’emprisonnement maximale applicable à l’infraction (comme elle l’a fait pour les détenus transférés de Suède), la peine du requérant passerait de neuf à sept ans. Si, après conversion, la peine restait supérieure à cinq ans, le requérant pourrait bénéficier d’une libération conditionnelle après en avoir subi les deux tiers, soit quatre ans et huit mois. Le Gouvernement précise qu’en Finlande l’intéressé ne pourrait être libéré qu’après quatre ans et six mois de détention. Même si la peine prononcée en Finlande devait être remplacée par la peine maximale applicable en Estonie, la différence entre les deux durées d’emprisonnement serait si faible qu’elle ne devrait pas entrer en ligne de compte dans l’appréciation de l’opportunité du transfèrement. Celui-ci n’emporterait donc pas une privation de liberté arbitraire et il respecterait l’esprit général des articles 5 et 6 de la Convention.
En ce qui concerne l’article 14, le Gouvernement fait remarquer que cette disposition n’interdit pas toute forme de différence de traitement. L’objectif affiché de la Convention sur le transfèrement serait de permettre à une personne condamnée à l’étranger de purger sa peine dans son pays d’origine. Par conséquent, les détenus finlandais subissant leur peine dans leur pays n’entreraient pas dans le champ d’application de cette convention. La situation du requérant ne serait pas non plus comparable à celle des détenus estoniens ne purgeant qu’une courte peine : seules les longues peines laisseraient aux autorités le temps de prendre les dispositions nécessaires au transfèrement des détenus avant leur libération conditionnelle. Faute de temps, les autorités renonceraient au transfèrement des personnes condamnées à de courtes peines. De nombreux détenus condamnés à des peines relativement longues auraient même obtenu leur libération conditionnelle avant la fin de la procédure visant à leur transfèrement. Cela expliquerait qu’aucun ressortissant estonien détenu en Finlande n’ait encore été transféré vers l’Estonie pour y purger sa peine. La différence de traitement entre les détenus estoniens condamnés à de courtes peines et ceux condamnés à de longues peines se fonderait, en tout état de cause, sur la justification objective et raisonnable qui vient d’être donnée. Le requérant aurait été traité de la même manière que les autres détenus estoniens purgeant une longue peine. La décision de le transférer ne serait pas le résultat d’une simple procédure administrative : elle aurait été réexaminée par un tribunal indépendant et impartial. Le requérant aurait bénéficié de l’assistance d’un défenseur et de l’aide judiciaire gratuite tout au long de la procédure. Soulignant que les proches du requérant vivent en Estonie, le Gouvernement soutient par ailleurs que le transfèrement servirait l’objectif consistant à favoriser la réinsertion sociale des détenus. Il relève de surcroît qu’en application de l’arrêté d’expulsion l’intéressé serait de toute manière transféré vers son pays après sa libération.
Le Gouvernement estime dans ces conditions que le transfèrement poursuit un but légitime, conforme à différents accords internationaux et à la législation interne des deux pays concernés, et qu’il existe un rapport de proportionnalité raisonnable entre les moyens employés et le but recherché.
2.  Arguments du requérant
Le requérant allègue que le Gouvernement n’a présenté aucune preuve des cas dans lesquels le tribunal de Tallinn aurait réduit la peine initiale de détenus transférés vers l’Estonie. Quoi qu’il en soit, ce tribunal posséderait des pouvoirs discrétionnaires, et l’argumentation du Gouvernement reposerait donc sur des bases purement théoriques.
En ce qui concerne la différence entre les durées de détention effectives, le requérant plaide qu’en Finlande il accomplirait la moitié de sa peine, soit quatre ans et six mois, alors qu’en Estonie il devrait peut-être en subir les deux tiers, soit six ans, avant de pouvoir bénéficier d’une libération conditionnelle. Il ajoute qu’en Estonie les condamnés purgent souvent leur peine en totalité.
Estimant que la peine prononcée à son encontre risque de devenir plus lourde que ne pouvait le prévoir le tribunal, le requérant rapproche son cas de celui des requérants dans l’affaire Ezeh et Connors c. Royaume-Uni ([GC], nos 39665/98 et 40086/98, CEDH 2003-X). Il considère que, dans les faits, sa peine sera plus courte et moins difficile à supporter s’il la purge en Finlande, où les établissements pénitentiaires répondraient à des standards plus exigeants et seraient moins peuplés qu’en Estonie. L’intéressé allègue en outre que s’il est transféré vers l’Estonie il n’aura aucune possibilité de se plaindre de ses conditions de détention et de les faire changer. Il ne bénéficierait donc d’aucune protection propre à lui permettre de défendre ses droits relativement à ses conditions de détention.
Affirmant que les détenus étrangers ne sont pas tous transférés vers leur pays d’origine, que les détenus finlandais ne sont jamais transférés et que les détenus estoniens ne sont transférés que dans certains cas, de manière aléatoire, le requérant soutient par ailleurs que son transfèrement constituerait une mesure discriminatoire. La législation finlandaise ne comporterait pas de dispositions définissant avec précision les cas dans lesquels les transfèrements doivent avoir lieu. Or de telles dispositions permettraient au tribunal de tenir compte, au moment de fixer la peine, de la possibilité d’un transfèrement ultérieur, ce qui préviendrait les différences de traitement.
3.  Appréciation de la Cour
La Cour note qu’en Finlande le requérant peut espérer bénéficier d’une libération conditionnelle à mi-peine. Elle constate que l’application de la Convention sur le transfèrement peut, en théorie, conduire l’intéressé à passer davantage de temps en détention avant de pouvoir obtenir une libération conditionnelle que s’il reste en Finlande, mais observe qu’il apparaît hors de question que la peine elle-même soit alourdie en vertu de la loi.
La compatibilité avec l’article 5 de la Convention de la privation de liberté infligée au requérant en Finlande ne prête pas à controverse. Nul ne conteste par ailleurs que la peine initiale prononcée le 6 septembre 2001 fut imposée à l’intéressé dans des conditions répondant aux exigences de l’article 6. La question est de savoir si, compte tenu du risque d’allongement de la période de détention effective qu’il présenterait, le transfèrement du requérant emporterait violation de l’article 5, et si la détermination des modalités de transfèrement nécessite une procédure offrant les garanties prévues à l’article 6.
En ce qui concerne l’article 5, la privation de liberté du requérant doit être évaluée sous l’angle du paragraphe 1 a). Il ne fait aucun doute que la condamnation de l’intéressé fut prononcée par un tribunal compétent au sens de cette disposition. Toutefois, la jurisprudence de la Cour établit qu’à l’article 5 § 1 a) le mot « après » n’implique pas un simple ordre chronologique de succession entre « condamnation » et « détention » : la seconde doit de surcroît résulter de la première, se produire à la suite et par suite – ou en vertu – de celle-ci. En bref, il doit exister entre elles un lien de causalité suffisant (Weeks c. Royaume-Uni, arrêt du 2 mars 1987, série A no 114, p. 23, § 42).
Etant donné qu’en cas de transfèrement la détention du requérant aura toujours pour base la condamnation prononcée contre lui en Finlande, le lien de causalité devant nécessairement exister entre sa condamnation et sa privation de liberté sera préservé. A supposer même que le lien de causalité doive être jugé inexistant lorsque la possibilité d’un transfèrement n’était pas prévisible à l’époque de la condamnation, tel n’est pas le cas en l’espèce. De fait, la Cour note que le Protocole additionnel à la Convention sur le transfèrement est entré en vigueur à l’égard de la Finlande le 1er août 2001, soit avant la condamnation du requérant.
La Cour doit toutefois également s’assurer de l’absence d’arbitraire. Ainsi qu’elle l’a déclaré à plusieurs reprises, en effet, une privation de liberté arbitraire ne saurait être jugée compatible avec l’article 5 (Van Droogenbroeck c. Belgique, arrêt du 24 juin 1982, série A no 50, pp. 21-22, § 40). Elle rappelle à cet égard que la Convention doit s’interpréter non pas « dans le vide », mais à la lumière de son caractère particulier de traité sur les droits de l’homme et des règles pertinentes du droit international (voir, mutatis mutandis, Loizidou c. Turquie (fond), arrêt du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, p. 2231, § 43), et de manière à pouvoir se concilier avec les autres règles du droit international, dont elle fait partie intégrante (Al-Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, § 55, CEDH 2001-XI). En l’espèce, la Cour doit notamment prendre en compte la Convention sur le transfèrement et son Protocole additionnel.
La Convention européenne des Droits de l’Homme n’oblige pas les Parties contractantes à imposer ses normes aux Etats ou territoires tiers. Etablir un principe strict selon lequel la peine purgée dans le pays d’exécution ne doit pas être plus lourde que la peine qui aurait été subie dans le pays de condamnation irait par ailleurs à l’encontre de la tendance actuelle au renforcement de la coopération internationale dans le domaine judiciaire, en principe favorable aux personnes concernées et dont la Convention sur le transfèrement est un exemple (Drozd et Janousek c. France et Espagne, arrêt du 26 juin 1992, série A no 240, pp. 34-35, § 110). En conséquence, tant que la peine à purger n’est pas plus lourde que celle prononcée à l’issue du procès la possibilité d’une période de détention plus longue dans l’Etat d’exécution ne suffit pas à rendre la privation de liberté arbitraire. Dans ce contexte, il convient aussi de mentionner, comme garantie contre l’arbitraire, la possibilité de contester la décision de transfèrement devant une juridiction administrative.
La Cour n’exclut pas que la possibilité d’une peine effectivement subie nettement plus longue dans l’Etat d’exécution puisse soulever un problème au regard de l’article 5 et donc engager la responsabilité de l’Etat de condamnation au titre de cet article. Encore faut-il qu’il y ait des motifs sérieux et avérés de croire que la durée de la peine que le condamné devra purger dans l’Etat d’exécution sera sans commune mesure avec la durée de la peine qu’il aurait subie dans l’Etat de condamnation (voir, mutatis mutandis, Cruz Varas et autres c. Suède, arrêt du 20 mars 1991, série A no 201, p. 28, §§ 69 et 70). Vu les informations dont elle dispose au sujet de la pratique estonienne en matière de conversion de condamnations, notamment l’observation du gouvernement estonien selon laquelle la peine infligée en Estonie serait probablement moins lourde que celle prononcée en Finlande, la Cour estime qu’il n’y a pas de motifs sérieux et avérés de croire que la peine à purger en Estonie serait manifestement disproportionnée, à supposer qu’elle fût disproportionnée tout court. La Cour relève aussi que la cause du requérant serait entendue par un tribunal, à savoir le tribunal de Tallinn, avant la conversion de la condamnation.
La Cour note par ailleurs que la présente espèce peut être distinguée de l’affaire Ezeh et Connors (précitée), à laquelle le requérant renvoie. Elle avait en effet estimé dans cette affaire que la condamnation à des jours de détention supplémentaires prononcée par un directeur de prison devait s’analyser en une nouvelle privation de liberté infligée à des fins punitives.
En ce qui concerne l’article 6, la Cour constate que si le requérant est transféré vers l’Estonie la conversion de sa condamnation sera opérée par le tribunal de Tallinn. Vu la conclusion à laquelle elle est parvenue sur le terrain de l’article 5, elle considère qu’aucune question ne se pose sous l’angle de l’article 6.
Quant à l’allégation de discrimination formulée par le requérant, la Cour rappelle que l’article 14 protège notamment contre toute différence de traitement discriminatoire dans la jouissance des droits et libertés consacrés par la Convention et ses Protocoles les individus placés dans des situations analogues (voir, entre autres, Marckx c. Belgique, arrêt du 13 juin 1979, série A no 31, pp. 15-16, § 32). Or en l’espèce le requérant ne peut être comparé aux détenus d’origine finlandaise purgeant leur peine dans un établissement pénitentiaire finlandais, puisque la Convention sur le transfèrement s’applique aux détenus ramenés dans leur pays d’origine. Le but poursuivi par cette convention constitue une justification objective et raisonnable à la différence de traitement entre l’intéressé et les détenus d’origine finlandaise, d’une part, et entre l’intéressé et les autres détenus d’origine estonienne, d’autre part. La Cour accepte l’argument du Gouvernement selon lequel la différence de traitement pouvant exister entre des détenus de même origine est imputable à la longueur de la procédure, qui représente un obstacle pratique au transfèrement avant leur libération conditionnelle en Finlande des détenus condamnés à de courtes peines.
En conséquence, il n’a pas été établi que, compte tenu des circonstances de la cause, la Convention impose à la Finlande de renoncer à transférer le requérant vers l’Estonie pour qu’il y purge sa peine.
Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
C.  Article 4 du Protocole no 7 à la Convention
Enfin, le requérant dénonce une violation de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention, aux termes duquel :
« 1.  Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat.
2.  Les dispositions du paragraphe précédent n’empêchent pas la réouverture du procès, conformément à la loi et à la procédure pénale de l’Etat concerné, si des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement intervenu.
3.  Aucune dérogation n’est autorisée au présent article au titre de l’article 15 de la Convention. »
La Cour note que, même à admettre que l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention puisse s’appliquer à une procédure relevant de la compétence de plus d’un Etat, les autorités estoniennes n’ont pas encore pris de décision concernant la peine que le requérant devrait subir en Estonie. Quoi qu’il en soit, rien n’indique qu’au-delà de la procédure de conversion de la condamnation l’intéressé serait à nouveau poursuivi pénalement pour la même infraction. Dès lors, la présente espèce ne révèle aucune apparence de violation de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention.
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
DÉCISION VEERMÄE c. FINLANDE
DÉCISION VEERMÄE c. FINLANDE
DÉCISION VEERMÄE c. FINLANDE


Synthèse
Formation : Cour (quatrième section)
Numéro d'arrêt : 38704/03
Date de la décision : 15/03/2005
Type d'affaire : Décision
Type de recours : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 34) VICTIME, (Art. 35-1) RECOURS INTERNE EFFICACE, (Art. 6) PROCEDURE ADMINISTRATIVE, (Art. 6-1) DROITS ET OBLIGATIONS DE CARACTERE CIVIL, (Art. 6-1) TRIBUNAL IMPARTIAL


Parties
Demandeurs : VEERMAE
Défendeurs : FINLANDE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2005-03-15;38704.03 ?
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