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09/03/2004 | CEDH | N°40299/98

CEDH | AFFAIRE BOZTAS ET AUTRES c. TURQUIE


QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE BOZTAŞ ET AUTRES c. TURQUIE
(Requête no 40299/98)
ARRÊT
(Règlement amiable)
STRASBOURG
9 mars 2004
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme. 
En l’affaire Boztaş et autres c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 10 février 2004 en une chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président,   MM. M. Pellonpää,    R. Türmen,    J. Casadevall,    S. Pavlovschi,    J. Borrego Borrego,   Mme E. Fura-

Sandström, juges,  et de F. Elens-passos, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du con...

QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE BOZTAŞ ET AUTRES c. TURQUIE
(Requête no 40299/98)
ARRÊT
(Règlement amiable)
STRASBOURG
9 mars 2004
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme. 
En l’affaire Boztaş et autres c. Turquie,
La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 10 février 2004 en une chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président,   MM. M. Pellonpää,    R. Türmen,    J. Casadevall,    S. Pavlovschi,    J. Borrego Borrego,   Mme E. Fura-Sandström, juges,  et de F. Elens-passos, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 février 2004,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 40299/98) dirigée contre la République de Turquie et dont trois ressortissants de cet Etat, M. Rıza Boztaş, Mmes Hatiye Boztaş et Nuriye Boztaş (« les requérants »), avaient saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 20 janvier 1998 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérants sont représentés devant la Cour par Me Kazım Genç, avocat au barreau d’Ankara. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par sa coagente et M. E. İşcan, ministre plénipotentiaire, directeur général adjoint pour le Conseil de l’Europe et les Droits de l’Homme.
3.  Invoquant les articles 2 et 6 de la Convention et 1 du Protocole no 1,  les requérants dénonçaient notamment les blessures graves qu’ils avaient subies et la perte de leurs biens lors d’une opération militaire ayant visé leur village. Ils se plaignaient aussi de l’inefficacité des recours internes pour faire valoir leurs griefs et, eu égard à ces différents points, s’estimaient victime d’une discrimination contraire à l’article 14 de la Convention.
4.  L’affaire a été transférée à la Cour le 1er novembre 1998 en vertu de l’article 5 § 2 du Protocole no 11 à la Convention puis attribuée à la première section (article 52 § 1 du règlement de la Cour). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’ancien article 26 § 1 du règlement.
5.  Le 15 février 2000, la Cour (première section) a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement en application de l’article 54 § 2 b) du règlement.
6.  Le Gouvernement et les requérants ont fait parvenir des observations écrites respectivement les 17 juillet et 11 septembre 2000. 
7.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement) et la présente requête a été attribuée à la quatrième section ainsi remaniée (article 52 § 1).
8.  Par une lettre du 4 mars 2003, la Cour a informé les parties qu’elle se prononcerait en application de l’article 29 §§ 1 et 3 de la Convention, tant sur la recevabilité que sur le fond de la requête. A la demande des parties, le greffier de section a en outre informé ces dernières des possibilités et des modalités concernant la conclusion d’un règlement amiable.
Après un échange de correspondance, les parties ont ultérieurement présenté des déclarations formelles d’acceptation d’un règlement amiable de l’affaire.
EN FAIT
9.  A l’époque des faits, les requérants habitaient dans le village de Karşılar du département de Tunceli, alors soumis au régime d’état d’urgence décrété dans le Sud-Est de l’Anatolie, où de graves troubles entres les forces de sécurité et les membres de l’organisation armée illégale, PKK, faisaient rage depuis 1985. 
10.   Le 30 juillet 1997, vers 22 ou 23 heures, des troupes du commandement de la gendarmerie à Geyiksuyu effectuèrent des tirs au mortier dans la direction de Karşılar, sis à environ quinze kilomètres de leur base. Une vingtaine d’habitations dont celles des requérants, furent touchées par six obus et détruites, de même que tous les biens se trouvant à l’intérieur. Plusieurs villageois, y compris les requérants, furent blessés lors de cette attaque.
11.  Le lendemain, une enquête fut initiée d’office par le poste de la gendarmerie de Karşılar. Les gendarmes chargés des investigations établirent les faits et recueillirent les témoignages des villageois.
A cette occasion, les requérants portèrent plainte contre les responsables de l’incident et réclamèrent réparation de leurs préjudices.
12.  Le 2 août 1997, M. Kamer Genç, député de Tunceli, donna une conférence de presse où il exposa certains éclats de shrapnel, déclarant n’accorder aucun crédit à l’hypothèse, selon laquelle une attaque terroriste serait à l’origine des incidents.
13.  Une semaine après l’attaque, le commandant de la base militaire de Geyiksuyu, accompagné de quelques soldats, se rendit à Karşılar et s’entretint avec les villageois pour en finir avec la déclaration suivante :
« J’étais en congé. Si j’étais présent, cet événement n’aurait pas eu lieu. Ceux qui ont causé l’incident sont les soldats ici présents. Prenez-les, faites-en ce qu’il vous plaira, tuez-les si vous voulez ».
14.  Le 13 août 1997, le procureur de la République entendit quatre villageois qui réitérèrent leurs dires devant les gendarmes. Le 26 septembre 1997, il se déclara toutefois incompétent ratione personae et transmis le dossier au gouverneur de l’état d’urgence de Tunceli, en vertu de la loi sur la poursuite des fonctionnaires. 
15.  L’inspecteur chargé par le gouverneur de continuer l’enquête, à savoir un commandant de la gendarmerie, recueillit les déclarations d’une douzaine d’habitants de Karşılar ainsi que des vingt-deux soldats ayant participé à l’opération.
16.  Entre-temps, les requérants furent soignés à l’hôpital universitaire de Fırat d’où ils obtinrent des rapports médicaux faisant état de leurs blessures ainsi que des séquelles dont ils ont été frappées.
17.  Le 15 janvier 1998, le commandant inspecteur rendit une ordonnance de non-lieu, au motif notamment que les troupes militaires mises en cause avaient, de fait, bombardé le village d’Istıran dans le but de parer un raid terroriste menaçant Geyiksuyu et qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes pour conclure qu’ils aient eu l’intention de viser Karşılar ou qu’ils l’aient touché par imprudence.
18.  Le 13 février 1999, les requérants formèrent opposition contre cette ordonnance. Toutefois, ils ne furent jamais informés de la suite donnée à leur recours. 
Cependant, le 28 janvier 2000, le Conseil d’Etat, s’étant saisi d’office, confirma le non-lieu du 15 janvier 1998.
EN DROIT
19.  Les requérants allèguent que l’opération militaire contre leur village a emporté violation de l’article 2 de la Convention, du fait des blessures et des séquelles qui leur ont été causées, ainsi que de l’article 1 du Protocole no 1, à raison de la destruction de leurs biens. Invoquant l’article 6 de la Convention, ils se plaignent en outre de l’absence d’une enquête efficace au sujet des incidents dénoncés en l’espèce. Sur ces différents points, ils estiment avoir été victimes d’un traitement discriminatoire fondé sur leur appartenance à la communauté kurde, les zaza, et à l’ordre musulman des alevi, ce en violation de l’article 14.
A.  Sur la recevabilité
20.  Le Gouvernement reproche aux requérants d’avoir omis d’exercer les voies de recours civiles et administratives afin d’obtenir la réparation de leur préjudice tant moral que matériel du fait de l’incident du 30 juillet 1997. Il souligne aussi qu’il était loisible aux requérants de s’adresser au fonds d’entraide et de solidarité sociale, instauré aux fins du redressement des torts des victimes d’actes de terrorisme. En outre, la requête devrait être écartée comme étant prématurée, dès lors qu’elle a été introduite le 20 janvier 1998, soit avant l’aboutissement des investigations criminelles menées en l’espèce.
21.  Les requérants contestent les thèses du Gouvernement, s’estimant dispensés d’épuiser les voies de recours invoquées, compte tenu de la situation régnante, à l’époque, dans la région de Sud-Est de la Turquie. Faisant remarquer que l’ordonnance de non-lieu a été rendue le 15 janvier 1998, ils soutiennent également que leur requête devrait passer pour avoir été introduite dans le délai prescrit à l’article 35 de la Convention.
22.  En ce qui concerne l’ensemble des voies de réparation dont se prévaut le Gouvernement pour exciper du non épuisement, la Cour estime suffisant de renvoyer à sa jurisprudence bien établie en la matière et réaffirme que les requérants qui ont déposé le jour même de l’incident des plaintes auprès des gendarmes venus enquêter dans leur village, doivent passer pour avoir exercé une voie qui, eu égard à leurs griefs, constituait un recours adéquat et suffisant aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention (voir, Sabri Oğraş et autres c. Turquie (déc.), no 39978/98, 7 mai 2002). Partant, il y lieu de rejeter cette exception préliminaire.
23.  Pour ce qui est du volet de l’exception, tiré du caractère prématuré de la requête, la Cour rappelle qu’il n’est pas exclu qu’un requérant, ayant fait usage d’un recours interne, n’ait connaissance que plus tard des circonstances qui rendent ce recours inefficace et qu’en pareil cas, le délai de six mois peut se calculer à partir du moment où le requérant a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance de telles circonstances (voir, par exemple, Bayram et Yıldırım c. Turquie (déc.), no 38587/97, CEDH 2002-III). Or toute question pouvant surgir quant à savoir si les intéressés étaient à même de concevoir que l’enquête pénale critiquée se révèlerait inefficace bien avant l’introduction de la présente requête, dépend de l’examen du bien-fondé du grief formulé sous l’angle de l’article 6 qui doit être examiné sur le terrain de l’article 13 de la Convention, pertinent en l’espèce.
Il convient donc de déclarer la requête recevable.
B.  Sur le fond
24.  Au cas où la requête serait déclarée recevable, le Gouvernement a exprimé son souhait d’aboutir, dans cette affaire, à un règlement amiable et, à cette fin, il a adressé à la Cour la déclaration suivante :
« 1. Le Gouvernement de la République de Turquie regrette la survenance des incidents qui ont conduit à l’introduction de la requête no 40299/98, en particulier l’usage de force militaire excessive ayant causé des blessures très graves aux requérants M. Rıza Boztaş, Mmes Hatiye Boztaş et Nuriye Boztaş, ainsi que la destruction des biens de la famille. Le Gouvernement regrette également l’absence de diligence que pareilles circonstances exigeaient afin de faire aboutir l’instruction judiciaire de l’affaire dans un délai raisonnable, de manière effective et dans le respect des droits y afférents des requérants.
2. Le Gouvernement reconnaît que pareils actes et manquements sont constitutifs de violation notamment des articles 2, 13 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et 1er du Protocole additionnel à celle-ci. Aussi le Gouvernement s’engage-t-il à édicter les instructions appropriées et à adopter toutes les mesures nécessaires notamment pour garantir que le droit à la vie et les exigences d’enquête qu’il impose soient davantage respectés à l’avenir, dans les circonstances similaires.
3. En vue d’un règlement amiable de l’affaire ayant pour origine la requête susmentionnée, le Gouvernement offre, par ailleurs, de verser, ex gratia, aux requérants 61 000 EUR (soixante et un mille euros) au titre de préjudices et 7 500 EUR (sept mille cinq cents euros) au titre des frais et dépens, soit une somme de 68 500 EUR (soixante-huit mille cinq cents euros) au total. Cette somme ne sera soumise à aucun impôt ou charge fiscale en vigueur à l’époque pertinente et sera versée en euros sur un compte bancaire indiqué par les requérants ou par leur conseil dûment autorisé. Elle sera payable dans les trois mois à compter de la notification de l’arrêt de la Cour rendu en vertu des articles 29 et 39 de la Convention. Ce paiement vaudra règlement définitif de l’affaire. A défaut de paiement dans ledit délai, le Gouvernement s’engage à verser, à compter de l’expiration de celui-ci et jusqu’au paiement effectif de la somme en question, un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pour cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
4. Le Gouvernement considère que la surveillance par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe de l’exécution de l’arrêt de la Cour dans cette présente affaire ainsi que de ceux rendus dans les affaires similaires concernant la Turquie, constitue un mécanisme approprié pour garantir l’amélioration constante de la situation en matière de protection des droits de l’homme. Il s’engage à cet égard à poursuivre sa coopération, nécessaire pour atteindre cet objectif.
5. Enfin, le Gouvernement s’engage à ne pas solliciter le renvoi de l’affaire à la Grande Chambre au titre de l’article 43 § 1 de la Convention une fois que la Cour aura rendu son arrêt. »
25.  Du reste, le représentant des requérants a déclaré être, lui aussi, en faveur d’une telle solution et a fait parvenir la déclaration que voici :
« En ma qualité de représentant des requérants M. Rıza Boztaş, Mmes Hatiye Boztaş et Nuriye Boztaş, j’ai pris connaissance des termes de la déclaration formelle, faite par le Gouvernement de la République de Turquie en vue d’un règlement amiable de l’affaire ayant pour origine la requête no 40299/98, en ce compris l’engagement de verser aux intéressés une somme globale de 68 500 EUR (soixante-huit mille cinq cents euros).
Dûment consultés par mes soins, les requérants acceptent les termes de cette déclaration et, en conséquence, renoncent à toute autre prétention à l’encontre de la Turquie à propos des faits à l’origine de la requête. Ils déclarent l’affaire définitivement réglée et s’engagent à ne pas demander, après le prononcé de l’arrêt de la Cour dans cette affaire, le renvoi de celle-ci à la Grande Chambre en application de l’article 43 § 1 de la Convention. »
26.  La Cour prend acte du règlement amiable auquel sont parvenues les parties, au sens de l’article 39 de la Convention. Elle est assurée que ledit règlement s’inspire du respect des droits de l’homme tels que les reconnaissent la Convention ou ses Protocoles (articles 37 § 1 in fine de la Convention et 62 § 3 du règlement de la Cour).
27.  Partant, il convient de rayer l’affaire du rôle.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable ;
2.  Décide de rayer l’affaire de son rôle ;
3.  Prend acte de l’engagement des parties de ne pas demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 mars 2004 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise Elens Passos Nicolas Bratza    Greffière adjointe Président
ARRÊT BOZTAŞ ET AUTRES c. TURQUIE
ARRÊT BOZTAŞ ET AUTRES c. TURQUIE 


Synthèse
Formation : Cour (quatrième section)
Numéro d'arrêt : 40299/98
Date de la décision : 09/03/2004
Type d'affaire : Arrêt (Radiation du rôle)
Type de recours : Radiation du rôle (règlement amiable)

Analyses

(Art. 13) DROIT A UN RECOURS EFFECTIF, (Art. 2-1) VIE, (Art. 35-1) RECOURS INTERNE EFFICACE, (Art. 39) REGLEMENT AMIABLE


Parties
Demandeurs : BOZTAS ET AUTRES
Défendeurs : TURQUIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2004-03-09;40299.98 ?

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