DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 35757/97
présentée par Giacomo BRUSAMOLINO
contre l'Italie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en chambre le 27 avril 1999 en présence de
M. C. Rozakis, président,
M. M. Fischbach,
M. B. Conforti,
M. G. Bonello,
Mme V. Strážnická,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska,
M. A.B. Baka, juges
et de M. E. Fribergh, greffier de section ;
Vu l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 14 avril 1997 par Giacomo BRUSAMOLINO contre l'Italie et enregistrée le 24 avril 1997 sous le n° de dossier 35757/97 ;
Vu les rapports prévus à l’article 49 du règlement de la Cour ;
Vu les observations présentées par le gouvernement défendeur le 7 octobre 1998 et les observations en réponse présentées par le requérant le 28 novembre 1998 ;
Après en avoir délibéré ;
Rend la décision suivante :
EN FAIT Le requérant est un ressortissant italien, né en 1938 et résidant à Nembro (Bergame).
Il est représenté devant la Cour par Me Antonio Maria Galli, avocat au barreau de Bergame.
La procédure dirigée contre le requérant, qui était le directeur en exercice de l'Entreprise Municipale du service de la voirie de Bergame, concernait des charges de concussion et abus de fonctions.
Le déroulement sommaire de la procédure a été le suivant :
A une date non précisée, des enquêtes préliminaires furent ouvertes par le Procureur de la République de Bergame à l'encontre du requérant et six coaccusés pour concussion et abus de fonctions (procédure n° 276/92-21).
Par des décisions du 7 avril et du 9 avril 1992 respectivement, le Procureur de la République de Bergame ordonna la perquisition inter alia du domicile et des voitures du requérant. Plusieurs documents, un ordinateur et des disquettes furent saisis à cette occasion.
Le 17 avril 1992, le Procureur de la République informa l'avocat du requérant que le 22 avril 1992 un expert serait nommé pour examiner le matériel saisi.
Le 5 mai 1992, le requérant dût démissionner de son poste de directeur en exercice en raison de la pression des médias.
Le 9 mai 1992, le requérant informa le Procureur de la République de sa disponibilité à être interrogé.
Le 15 mai 1992, le requérant fut interrogé par le Substitut du Procureur de la République.
Le 9 juin 1992, le requérant fut arrêté par la Brigade du Fisc et amené au Commissariat, car le 8 juin 1992 une décision de le placer en détention à domicile avait été prise par le juge des enquêtes préliminaires.
Le 17 juin 1992, le requérant interjeta appel de la décision du 8 juin 1992 devant le tribunal de la liberté, qui, par décision du 26 juin 1992, rejeta l'appel.
Le 22 juin 1992, le requérant fut interrogé par le juge des enquêtes préliminaires.
Le 26 juin 1992, le requérant présenta une demande de mise en liberté, qui fut refusée par le juge des enquêtes préliminaires le 29 juin 1992.
Le 6 juillet 1992, le Procureur de la République demanda une prorogation du délai des enquêtes préliminaires en raison de la complexité de l'enquête du point de vue technique.
Le 11 juillet 1992, le requérant fut remis en liberté.
Les 15 et 24 juillet 1992, le Procureur de la République reçut des informations concernant les accusés de la part de la Région Lombardie et d’un témoin respectivement.
Les 12, 13 novembre et 31 décembre 1992, le Procureur de la République reçut les résultats de certaines enquêtes menées par la Brigade du Fisc de Bergame.
Le 27 mai 1993, le Procureur de la République reçut les résultats d’autres enquêtes menées par la Brigade du Fisc de Bergame.
Les 9 février et 6 juin 1994, le Procureur de la République reçut respectivement des informations de l'Entreprise Municipale du service de la voirie de Bergame et de la Province de Bergame.
En date du 14 février 1994, la procédure fut jointe à une autre (n° 147/94-45) qui concernait également l'Entreprise Municipale du service de la voirie de Bergame.
Le 17 mars 1995, le Procureur de la République reçut d’autres informations concernant l’enquête.
Le 26 septembre 1995, la procédure concernant le requérant fut, à la demande de son avocat qui en demandait également le classement sans suite, séparée du restant de la procédure (n° 2580/95-21).
Le 23 décembre 1995, la procédure n° 276/92-21 fut jointe à la procédure n° 1082/93-44. Les sept dossiers contenant le matériel recueilli pendant les enquêtes comptaient 4 759 pages.
Le 25 janvier 1996 le Procureur de la République demanda le classement sans suite de la procédure n° 2580/95-21, au motif que les graves indices contre le requérant n’avaient pas été confirmés de manière décisive par les résultats des enquêtes préliminaires.
Le juge des enquêtes préliminaires, nommé en date du 18 août 1996, fit droit à cette demande en date du 18 octobre 1996. La décision de classement sans suite fut déposée au greffe le 22 octobre 1996.
GRIEF
Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de la durée de la procédure.
PROCÉDURE Le 2 juillet 1998, la Commission européenne des Droits de l’Homme a décidé de porter la requête à la connaissance du gouvernement défendeur, en l’invitant à présenter par écrit des observations sur sa recevabilité et son bien-fondé.
Le Gouvernement a présenté ses observations le 7 octobre 1998 et le requérant y a répondu le 28 novembre 1998.
A compter du 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention, et en vertu de l’article 5 § 2 de celui-ci, la requête est examinée par la Cour, conformément aux dispositions dudit Protocole.
Le requérant et le Gouvernement ont fournis des renseignements complémentaires les 1er et 5 mars 1999 respectivement.
EN DROIT Le grief du requérant au titre de l’article 6 § 1 de la Convention porte sur la durée de la procédure pénale dirigée contre lui.
L’article 6 § 1 dispose que :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) ».
La procédure litigieuse a débuté le 7 avril 1992 et s’est terminée le 22 octobre 1996 par un classement sans suite. La durée de la procédure est donc d’environ 4 années et 6 mois.
Selon le requérant, la durée de la procédure ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable », d’autant plus qu’il s’agissait uniquement d’enquêtes préliminaires. Le requérant fait valoir notamment que l’affaire n’était point complexe, ni en raison des questions de droit et de fait soulevées ni en raison du nombre de coaccusés ; il critique notamment la procédure le concernant qui n’a été séparée du restant des procédures qu’en 1996, alors que depuis 1992 aucun acte d’investigation n’avait été mené.
Le Gouvernement s’oppose à cette thèse. Il fait valoir notamment que les enquêtes étaient très complexes en raison de la nature des chefs d’accusations et du nombre des coaccusés, ainsi que de la nécessité d’élargir les enquêtes. Un certain retard serait dû également à la surcharge de travail du parquet près le tribunal de Bergame.
La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure doit s'apprécier suivant les circonstances de la cause et à l'aide des critères suivants : la complexité de l'affaire, le comportement des parties et le comportement des autorités saisies de l'affaire (cf. Cour eur. D.H., arrêt Pélissier et Sassi c. France du 25 mars 1999, à paraître, § 67).
La Cour rappelle en outre que l’article 6 prescrit la célérité des procédures judiciaires, mais il consacre aussi le principe, plus général, d’une bonne administration de la justice (cf. Cour eur. D.H., arrêt Boddaert c. Belgique du 12 octobre 1992, série A n° 235-D, p. 82, § 39).
La Cour considère en premier lieu que les enquêtes préliminaires revêtaient une certaine complexité. En outre, aucun délai dans la procédure ne saurait être spécialement imputé au requérant.
Quant au comportement des autorités judiciaires compétentes, la Cour observe d’emblée qu’une durée de plus de quatre ans pour des enquêtes préliminaires pourrait paraître excessive. Cependant, la Cour observe que le Procureur de la République paraît avoir recueilli des éléments tout au long de la période à considérer et ne remarque aucune longue période d'inactivité substantielle de la part des autorités judiciaires.
Quant au prétendu retard dans la disjonction de la procédure concernant le requérant du restant des procédures, la Cour considère que, dans les circonstances de la cause, rien n'indique qu’une telle disjonction, déjà en 1992, eût été compatible avec une bonne administration de la justice. La Cour considère dès lors que le comportement des autorités se révèle compatible avec le juste équilibre à ménager entre les divers aspects de cette exigence fondamentale.
La Cour observe de surcroît qu’il est vrai qu’en mai 1992, le requérant dût démissionner de son poste de directeur en exercice en raison de la pression des médias, et que donc l’existence prolongée des poursuites risquait de lui provoquer un préjudice particulièrement important ; la Cour considère cependant que cela fut la conséquence du fait même des poursuites et non de leur durée.
En conclusion, la Cour estime que la durée globale de la procédure ne se révèle pas suffisamment importante pour que l’on puisse conclure à une violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
Il s’ensuit que la requête est manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et doit être rejetée en application de son article 35 § 4.
Par ces motifs, la Cour, à la majorité,
DÉCLARE LA REQUÊTE IRRECEVABLE.
Erik Fribergh Christos Rozakis
Greffier Président
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