SUR LA RECEVABILITÉ sur la requête No 20384/92 présentée par Simon LEFEVRE contre la France La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 2 mars 1994 en présence de MM. S. TRECHSEL, Président H. DANELIUS G. JÖRUNDSSON J.-C. SOYER H.G. SCHERMERS Mme G.H. THUNE MM. F. MARTINEZ L. LOUCAIDES J.-C. GEUS M.A. NOWICKI I. CABRAL BARRETO J. MUCHA D. SVÁBY M. K. ROGGE, Secrétaire de la Chambre ; Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 4 mars 1992 par Simon LEFEVRE contre la France et enregistrée le 27 juillet 1992 sous le No de dossier 20384/92 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Le requérant, de nationalité française, né en 1961, est actuellement détenu à la maison centrale de Saint Maur. Les faits, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit : En janvier 1986, le requérant, préalablement condamné à trois ans d'emprisonnement, fit l'objet d'une libération conditionnelle sous contrôle judiciaire et fut placé dans un foyer de réinsertion. En raison des idées néo-nazies qu'il professait, le juge d'application des peines l'aurait fait examiner par un psychiatre hospitalier qui aurait conclu, après un entretien avec lui, à l'absence de maladie mentale. Premier internement : En juillet 1986, à la suite d'une altercation avec le directeur du foyer de réinsertion, le requérant fit l'objet, à la demande de ce dernier, d'une décision préfectorale d'internement d'office au centre psychiatrique hospitalier de Navarre à Evreux. Il fut attaché à son lit pendant une semaine et contraint de subir des injections puis par la suite de prendre des neuroleptiques qui entraînèrent des effets secondaires pendant plusieurs mois. Après trois mois d'internement, il fut libéré grâce à l'intervention d'une amie. Pendant son internement, il n'exerça pas l'action en sortie immédiate prévue par l'article L 351 du Code de la santé publique. Par ailleurs, il ne forma aucun recours devant la juridiction administrative contre la mesure de placement d'office elle-même. Le 1er janvier 1988, le requérant tua l'un de ses amis qu'il avait surpris avec sa compagne. Placé sous mandat de dépôt le 2 janvier, il fut renvoyé devant la cour d'assises du chef d'homicide volontaire le 21 mars 1989. Lors de l'instruction, il fit l'objet d'une expertise psychiatrique puis, à sa demande, d'une contre-expertise. Les deux rapports remis par les experts conclurent qu'il ne présentait aucune maladie mentale et qu'il n'était pas en état de démence, au sens de l'article 64 du Code pénal, au moment des faits. Par arrêt du 24 mai 1989, la cour d'assises de L'Eure le reconnut coupable des faits reprochés en lui accordant des circonstances atténuantes. En conséquence, elle le condamna à quinze ans de réclusion criminelle. Second internement : Un mois après sa condamnation, le requérant fut transféré à la centrale sanitaire de Château-Thierry, un établissement pénitentiaire psychiatrique où il serait resté vingt-cinq mois sans recevoir aucun traitement médicamenteux ni psychothérapique. Il ne fut pas informé des raisons de cet internement. A sa sortie de l'établissement le 17 juillet 1991, il fut retransféré à la maison d'arrêt d'Evreux puis à celle de Saint Maur, où il purge actuellement sa peine. Le requérant n'a exercé aucune voie de recours contre cet internement. Il indique n'avoir pas eu communication de documents relatifs à cet internement. Ayant pu faire consulter son dossier médical par le psychiatre de la prison, il a été informé par celui-ci que ledit dossier ne contenait qu'un feuillet relatif au placement d'office de 1986.
GRIEFS
1. Le requérant invoque la violation de l'article 3 de la Convention en ce que des traitements médicamenteux lui auraient été administrés de force et en ce qu'il aurait été maintenu attaché sur son lit durant une semaine au cours de son premier internement.
2. Il se plaint en substance d'avoir été interné illégalement contrairement à l'article 5 par. 1 e) de la Convention.
3. Il invoque en substance la violation de l'article 5 par. 2 de la Convention en ce qu'il n'aurait pas été informé des motifs de son internement.
4. Il invoque en substance la méconnaissance de l'article 5 par. 4 en ce qu'il n'aurait pas eu de voie de recours pour faire statuer sur la légalité de son internement.
5. Il se plaint ensuite de ce que ces internements auraient constitué une sanction de ses opinions et invoque la violation des droit à la liberté de pensée et d'expression reconnus par les articles 9 et 10 de la Convention.
6. Il estime ne pas avoir été en mesure d'exercer de recours contre les deux mesures d'internement et invoque à cet égard la violation de l'article 13 de la Convention.
7. Il se plaint enfin d'avoir fait l'objet d'une discrimination en raison de ses opinions, contraire à l'article 14 de la Convention.
EN DROIT Le requérant se plaint, à l'égard des deux internements qu'il a subis, de la violation des articles 3, 5, 9, 10, 13 et 14 (art. 3, 5, 9, 10, 13, 14) de la Convention. Aux termes de l'article 26 (art. 26) de la Convention, la Commission ne peut être saisie qu'après épuisement des voies de recours internes et dans le délai de six mois à compter de la décision interne définitive. Il lui appartient d'examiner si les conditions posées par cet article sont remplies en l'espèce.
Premier internement du requérant : La Commission relève que le requérant n'a exercé aucun recours devant la juridiction administrative contre la décision d'internement dont il a fait l'objet en 1986 et qu'il n'a pas introduit auprès du président du tribunal de grande instance l'action en sortie immédiate prévue par l'article L 351 du Code de la santé publique. Dès lors, il n'a pas épuisé les voies de recours internes au sens de l'article 26 (art. 26) de la Convention. Au surplus, la Commission note que le premier internement dont le requérant se plaint a eu lieu en 1986 alors que la requête a été introduite le 4 mars 1992, soit largement en dehors du délai de six mois mentionné à l'article 26 (art. 26) de la Convention. Il en résulte que cette partie de la requête doit être déclarée irrecevable en application de l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention.
Second internement du requérant : La Commission observe que le second internement dont le requérant a fait l'objet a pris fin le 17 juillet 1991 et que le requérant n'a introduit aucun recours à cet égard. La Commission n'estime pas nécessaire de trancher la question de savoir si le requérant disposait de voies de recours qu'il aurait pu exercer dans la mesure où elle considère qu'en tout état de cause, la requête n'a pas été introduite dans le délai de six mois prévu à l'article 26 (art. 26) de la Convention. La Commission rappelle à cet égard sa jurisprudence constante selon laquelle, lorsque les violations alléguées concernent une situation continue, le délai de six mois court à compter du moment où elle a pris fin (cf. N° 6852/74, déc. 5.12.78, D.R. 15 p. 5 ; N° 8130/78, déc. 10.5.79, D.R. 16 pp. 120, 140 ; N° 9303/81, déc. 13.10.86, D.R. 49 p. 44 ; N° 11192/84, déc. 14.5.87, D.R. 52 p. 227 ; N° 12015/86, déc. 6.7.88, D.R. 57 p. 108 ; N° 11660/85, déc. 19.1.89, D.R. 59 p. 85). La Commission observe que l'internement psychiatrique du requérant a pris fin le 17 juillet 1991 et qu'il n'a introduit sa requête que le 4 mars 1992, soit en dehors du délai de six mois précité. Elle n'a en outre décelé en l'espèce aucune circonstance de nature à interrompre ou suspendre le cours dudit délai. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être déclarée irrecevable conformément à l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention. Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire de la Le Président de la Deuxième Chambre Deuxième Chambre (K. ROGGE) (S. TRECHSEL)