SUR LA RECEVABILITÉ de la requête No 19968/92 présentée par I. K. contre l'Autriche La Commission européenne des Droits de l'Homme (Première Chambre), siégeant en chambre du conseil le 2 mars 1994 en présence de MM. A. WEITZEL, Président F. ERMACORA E. BUSUTTIL A.S. GÖZÜBÜYÜK Mme J. LIDDY MM. M.P. PELLONPÄÄ B. MARXER G.B. REFFI B. CONFORTI N. BRATZA I. BÉKÉS E. KONSTANTINOV Mme M.F. BUQUICCHIO, Secrétaire de la Chambre Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 22 juin 1989 par I. K. contre l'Autriche et enregistrée le 11 mai 1992 sous le No de dossier 19968/93 ; Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ; Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Le requérant, ressortissant turc est né en 1938 et réside à Istanbul. Il est actuellement à la retraite pour cause d'invalidité. Les faits, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit. A l'époque des faits, le requérant était ouvrier immigré en Autriche. A la suite d'un accident de travail survenu en date du 24 septembre 1981, il perdit les deux doigts de la main gauche et de ce fait, partiellement, sa capacité de travail. Par décision du 10 septembre 1983, le tribunal d'arbitrage d'assurance sociale de Vienne (Schiedsgericht der Sozialversicherung für Wien) accorda au requérant le droit de percevoir, à partir du 1er octobre 1983, une pension au motif que son taux d'invalidité s'élevait à 20 % (limite minimum prévue par la loi). Le 10 octobre 1983, le requérant s'opposa au taux d'invalidité fixé par le tribunal et soutint que ce taux devait être de 33 %, conformément aux normes internationales établies en cette matière. Par décision du 14 janvier 1986, le tribunal d'arbitrage rejeta l'opposition faite par le requérant et décida également d'arrêter, à partir du 16 juillet 1986, le versement au requérant de sa pension d'invalidité accordée le 10 septembre 1983. Il considéra, se basant sur les rapports médicaux du requérant, que celui-ci avait regagné entre temps sa capacité de travail et que son taux d'invalidité avait été réduit à 10 %, passant ainsi en dessous du seuil minimum prévu par la loi et donnant droit au versement d'une pension. Le 30 juillet 1986, le requérant introduisit une action devant le tribunal de travail de Vienne (Arbeits und Sozialgericht Wien) afin que celui-ci fixe son taux d'invalidité à 30 %. Le 22 avril 1988, le tribunal de travail débouta le requérant de sa demande au motif que les résultats des expertises médicales sur lesquels il avait fondé sa décision du 14 janvier 1986, étaient précis et convaincants. Le 21 juillet 1988, le requérant interjeta appel de cette décision. Le 28 juillet 1988, le tribunal de travail refusa de transmettre cet appel à la cour d'appel pour tardiveté. Le 10 octobre 1988, le requérant réitéra son appel dont la transmission fut également rejetée par le tribunal de travail en date du 15 octobre 1988. Suite à un nouveau recours du requérant, le tribunal de travail envoya le dossier de l'affaire devant la cour d'appel de Vienne (Oberlandesgericht Wien). Par arrêt du 14 avril 1989, la cour d'appel de Vienne rejeta l'appel du requérant pour tardiveté. Le requérant introduisit un recours en rectification de cet arrêt. Par arrêt du 23 janvier 1990, la cour d'appel donna gain de cause au requérant au regard du délai de recours et renvoya l'affaire devant le tribunal de travail afin que celui-ci se prononce sur le fond. Le 23 juillet 1990, le tribunal de travail de Vienne débouta le requérant de sa demande. Il considéra que l'attestation médicale fournie par un établissement en Turquie à la demande du requérant et qui fixait le taux d'invalidité de celui-ci à 16 %, ne constituait pas un élément de preuve modifiant la situation du requérant dans la mesure où l'article 203 de la loi ASVG autrichienne ne prévoyait l'octroi d'une pension d'invalidité que dans le cas où le taux d'invalidité se situe au-dessus de 20 %.
GRIEF Le requérant allègue une violation de son droit au respect de ses biens du fait que les juridictions autrichiennes auraient retiré à tort la pension d'invalidité qui lui avait été accordée. Il se plaint que les juridictions nationales appelées à se prononcer sur sa cause n'ont pas tenu compte de la divergence existant entre les différents rapports médicaux. Il invoque, à cet égard, l'article 1 du Protocole N° 1 de la Convention.
EN DROIT Le requérant se plaint d'une atteinte à son droit au respect de ses biens du fait que les juridictions autrichiennes lui ont retiré sa pension d'invalidité. Il allègue une violation de l'article 1 du Protocole N° 1 (P1-1), qui dispose dans son paragraphe 1 que : "Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international." La Commission rappelle que le fait d'avoir contribué à un système de sécurité sociale peut, dans certains cas, donner ouverture à un droit protégé par l'article 1 du Protocole N° 1 (P1-1), à savoir le droit de tirer bénéfice, le moment venu, dudit système de sécurité sociale (cf. par exemple, No 5849/72, déc. 16.12.74, D.R. 1 p. 46). Elle rappelle d'autre part qu'en ce qui concerne les prétentions à une pension d'invalidité, lorsque la législation sur la sécurité sociale est conçue comme une assurance générale fondée sur un principe de solidarité sociale - qui romprait le lien entre le taux des cotisations et les prestations accordées -, le droit aux prestations ne peut être considéré comme un "bien" au sens de l'article 1 du Protocole N° 1 (P1-1) (cf. No 10503/83, déc. 16.5.85, D.R. 42 p. 162, No 10971/84, déc. 10.7.85, D.R. 43 p. 190). Cependant, la Commission n'estime pas nécessaire, dans le cadre de la présente requête, d'examiner la question de savoir si un droit relatif au "bien" du requérant était en cause, puisque la requête est en tout état de cause irrecevable pour le motif suivant : A supposer que le droit de tirer bénéfice du système de pension d'invalidité puisse donner lieu à un droit au sens de l'article 1 du Protocole N° 1 (P1-1), la Commission rappelle qu'un tel droit est subordonné aux conditions fixées par le législateur national (cf. mutatis mutandis, No 7459/76, déc. 5.10.77, D.R. 11 p. 114). La Commission constate qu'en l'occurrence le requérant a été déchu de son droit à une pension d'invalidité au motif qu'il ne remplissait plus la condition prévue par la loi (les articles 44, 183 et 203 de la loi ASVG autrichienne), à savoir souffrir d'un taux minimum d'invalidité de 20 %. L'examen de cette requête par la Commission, tel qu'elle a été présentée, ne permet donc de déceler aucune apparence de violation de l'article 1 du Protocole N° 1 (P1-1). Il s'ensuit que la requête est manifestement mal fondée, au sens de l'article 27, paragraphe 2 (art. 27-2) de la Convention. Par ce motif, la Commission, à l'unanimité, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE. Le Secrétaire Le Président de la Première Chambre de la Première Chambre (M.F. BUQUICCHIO) (A. WEITZEL)