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09/07/2025 | CJUE | N°T-534/24

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal, MK contre Ministarstvo financija Republike Hrvatske, Samostalni sektor za drugostupanjski upravni postupak., 09/07/2025, T-534/24


 ARRÊT DU TRIBUNAL (chambre préjudicielle)

9 juillet 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Droits d’accise – Directive 2008/118/CE – Article 7 – Exigibilité des droits d’accise – Mise à la consommation – Produits énergétiques – Survenance de l’exigibilité des droits d’accise – Livraison fictive de produits soumis à accise et figurant sur de fausses factures »

Dans l’affaire T‑534/24, [Gotek] ( i ),

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE

, introduite par l’Upravni sud u Osijeku (tribunal administratif d’Osijek, Croatie), par décision du 30 septembre 2024, parvenue à la C...

 ARRÊT DU TRIBUNAL (chambre préjudicielle)

9 juillet 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Droits d’accise – Directive 2008/118/CE – Article 7 – Exigibilité des droits d’accise – Mise à la consommation – Produits énergétiques – Survenance de l’exigibilité des droits d’accise – Livraison fictive de produits soumis à accise et figurant sur de fausses factures »

Dans l’affaire T‑534/24, [Gotek] ( i ),

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Upravni sud u Osijeku (tribunal administratif d’Osijek, Croatie), par décision du 30 septembre 2024, parvenue à la Cour le 8 octobre 2024, dans la procédure

MK

contre

Ministarstvo financija Republike Hrvatske, Samostalni sektor za drugostupanjski upravni postupak,

LE TRIBUNAL (chambre préjudicielle),

composé de M. S. Papasavvas, président, Mme N. Półtorak (rapporteure), M. M. Sampol Pucurull, Mme G. Steinfatt et M. D. Petrlík, juges,

avocat général : M. J. Martín y Pérez de Nanclares,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la transmission par la Cour de la demande préjudicielle au Tribunal le 17 octobre 2024, en application de l’article 50 ter, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne,

vu la matière visée à l’article 50 ter, premier alinéa, sous b), du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et l’absence de question indépendante d’interprétation au sens de l’article 50 ter, deuxième alinéa, dudit statut,

vu la phase écrite de la procédure,

considérant les observations présentées :

– pour le gouvernement croate, par Mme G. Vidović Mesarek, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par M. M. Björkland et Mme A. Koričić, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 7 et 8 de la directive 2008/118/CE du Conseil, du 16 décembre 2008, relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE (JO 2009, L 9, p. 12).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant MK, une personne physique, au Ministarstvo financija Republike Hrvatske, Samostalni sektor za drugostupanjski upravni postupak (ministère des Finances de la République de Croatie, service chargé de la procédure administrative de second niveau) au sujet du recouvrement des droits d’accise dus par MK.

Cadre juridique

Droit de l’Union

3 La directive 2008/118 a été abrogée, avec effet au 13 février 2023, par la directive (UE) 2020/262 du Conseil, du 19 décembre 2019, établissant le régime général d’accise (JO 2020, L 58, p. 4), qui l’a remplacée. Toutefois, compte tenu de la date des faits en cause dans le litige au principal, le présent renvoi préjudiciel doit être examiné au regard des dispositions de la directive 2008/118.

4 Le considérant 8 de la directive 2008/118 énonçait ce qui suit :

« Étant donné qu’il reste nécessaire, pour le bon fonctionnement du marché intérieur, que la notion d’exigibilité de l’accise et les conditions [qui] y [sont] afférentes soient identiques dans tous les États membres, il importe de préciser au niveau communautaire à quel moment les produits soumis à accise sont mis à la consommation et qui est le redevable de la taxe. »

5 L’article 7 de la directive 2008/118 disposait ce qui suit :

« 1.   Les droits d’accise deviennent exigibles au moment de la mise à la consommation et dans l’État membre où celle-ci s’effectue.

2.   Aux fins de la présente directive, on entend par “mise à la consommation” :

a) la sortie, y compris la sortie irrégulière, de produits soumis à accise, d’un régime de suspension de droits ;

b) la détention de produits soumis à accise en dehors d’un régime de suspension de droits pour lesquels le droit d’accise n’a pas été prélevé conformément aux dispositions communautaires et à la législation nationale applicables ;

c) la production, y compris la production irrégulière, de produits soumis à accise en dehors d’un régime de suspension de droits ;

d) l’importation, y compris l’importation irrégulière, de produits soumis à accise, sauf si les produits soumis à accise sont placés, immédiatement après leur importation, sous un régime de suspension de droits.

[...] »

6 Aux termes de l’article 8 de la directive 2008/118 :

« 1.   La personne redevable des droits d’accise devenus exigibles est :

a) en ce qui concerne la sortie de produits soumis à accise d’un régime de suspension de droits visée à l’article 7, paragraphe 2, [sous] a) :

i) l’entrepositaire agréé, le destinataire enregistré ou toute autre personne procédant à la sortie des produits soumis à accise du régime de suspension de droits ou pour le compte de laquelle il est procédé à cette sortie ou, en cas de sortie irrégulière de l’entrepôt fiscal, toute autre personne ayant participé à cette sortie ;

ii) en cas d’irrégularité lors d’un mouvement de produits soumis à accise sous un régime de suspension de droits, telle que définie à l’article 10, paragraphes 1, 2 et 4 : l’entrepositaire agréé, l’expéditeur enregistré ou toute autre personne ayant garanti le paiement des droits conformément à l’article 18, paragraphes 1 et 2, ou toute personne ayant participé à la sortie irrégulière et qui était consciente ou dont on peut raisonnablement penser qu’elle aurait dû être consciente du caractère
irrégulier de la sortie ;

b) en ce qui concerne la détention de produits soumis à accise visée à l’article 7, paragraphe 2, [sous] b) : la personne détenant les produits soumis à accise ou toute autre personne ayant participé à leur détention ;

c) en ce qui concerne la production de produits soumis à accise visée à l’article 7, paragraphe 2, [sous] c) : la personne produisant les produits soumis à accise ou, en cas de production irrégulière, toute autre personne ayant participé à leur production ;

d) en ce qui concerne l’importation de produits soumis à accise visée à l’article 7, paragraphe 2, [sous] d) : la personne qui déclare les produits soumis à accise ou pour le compte de laquelle ils sont déclarés au moment de l’importation, ou, en cas d’importation irrégulière, toute autre personne ayant participé à l’importation.

2.   Lorsque plusieurs débiteurs sont redevables d’une même dette liée à un droit d’accise, ils sont tenus au paiement de cette dette à titre solidaire. »

Droit croate

7 L’article 7 du Zakon o trošarinama (loi sur les droits d’accise), du 21 novembre 2018 (Narodne novine, br. 106/18), dans sa version applicable au litige au principal, intitulé « Calcul des droits d’accise », prévoit ce qui suit :

« (1)   Sauf si la présente loi en dispose autrement, les droits d’accise deviennent exigibles au moment de la mise à la consommation des produits soumis à accise sur le territoire de la République de Croatie [...] »

8 Aux termes de l’article 12 de la loi sur les droits d’accise, intitulé « Calcul et paiement des droits d’accise en cas de comportement illégal » :

« (1)   Les droits d’accise deviennent également exigibles lorsqu’est constaté :

1. un comportement illicite avec des objets imposables ;

2. que les produits soumis à accise sont mis illégalement à la consommation sur le territoire de la République de Croatie [...]

[...]

(2)   Au sens de la présente loi, constituent un comportement illicite la production, la transformation, la détention, la réception, l’expédition, l’importation, l’introduction, le transport, l’utilisation, la vente, l’achat ou la détention d’objets imposables sur lesquels des droits d’accise n’ont pas été portés en compte et payés conformément aux dispositions de la présente loi, ou sur lesquels des droits d’accise n’ont pas été portés en compte et payés dans leur totalité, ainsi que tout autre
abus de droit dans le mouvement ou la disposition des objets imposables. Est également considéré comme un comportement illicite tout comportement dont les dispositions de la présente loi prescrivent spécifiquement qu’il est considéré comme étant illégal. Il est considéré qu’une personne agit illégalement avec des objets imposables lorsqu’elle ne peut pas prouver la régularité de l’acquisition, de la détention ainsi que de toute autre disposition de fait ou de droit et qu’il ressort des
circonstances de l’espèce qu’elle a agi de manière illicite avec des objets imposables.

(3)   Le calcul et le paiement des droits d’accise en vertu du présent article sont déterminés par un avis d’imposition.

[...] »

9 L’article 124 de la loi sur les droits d’accise dispose ce qui suit :

« (1)   Est considéré comme un abus de droit dans le mouvement ou la disposition d’objets imposables tout comportement de personnes impliquées d’une manière ou d’une autre, directement ou indirectement, dans le mouvement ou la disposition d’objets imposables qui vise à :

1. dissimuler l’intention, le but ou le motif réels du mouvement ou de la disposition des objets imposables ;

2. éluder le paiement des droits d’accise ou d’autres charges publiques, y compris créer des conditions permettant d’éluder le paiement de ces droits ou de ces autres charges publiques.

(2)   Sont considérées comme abusant du droit au mouvement ou à la disposition d’objets imposables les personnes qui, de quelque manière que ce soit, sont impliquées directement ou indirectement dans un mouvement ou une disposition de tels objets lorsqu’elles :

1. concluent des actes juridiques fictifs en lien avec un mouvement ou une disposition d’objets imposables ou participent à la conclusion ou à l’exécution de tels actes juridiques en quelque qualité que ce soit ;

2. organisent des livraisons, des réceptions, des mouvements ou des dispositions fictifs d’objets imposables ou y participent directement ou indirectement ;

3. abusent du système d’informatisation des mouvements et des contrôles des produits soumis à accise pour représenter des mouvements ou des dispositions fictifs ;

4. participent directement ou indirectement à l’établissement de faux documents commerciaux, de transport ou d’autres documents en lien avec le mouvement ou la disposition d’objets imposables ou avec l’utilisation de tels faux documents ;

5. utilisent de manière non autorisée ou illicite des données d’autres personnes physiques ou morales afin de remplir ou de créer les conditions pour réaliser des actes, des comportements, des mouvements ou des dispositions d’objets imposables ;

6. réalisent des actes, des comportements, des mouvements ou des dispositions d’objets imposables, ou bien créent les conditions pour de tels actes, comportements, mouvements ou dispositions, par abus de confiance ou par des actes frauduleux, faux ou trompeurs.

(3)   Au sens du présent article, est considérée comme disposition d’objets imposables toute disposition de fait ou de droit, y compris en effectuant exclusivement des transactions ou des opérations financières qui impliquent l’émission, la certification ou l’authentification de tout document comptable, la conclusion de contrats ou la participation à des relations contractuelles ou l’émission, la certification ou l’authentification d’un document de transport ou de tout autre document en qualité
d’acheteur, de vendeur, d’intermédiaire, de transporteur, de destinataire ou d’expéditeur d’objets imposables. »

10 L’article 125 de la loi sur les droits d’accise énonce ce qui suit :

« (1)   Si la base pour déterminer l’exigibilité de l’accise est un abus de droit dans le mouvement ou la disposition d’objets imposables et si, dans ce cadre, est constatée l’existence d’un acte juridique fictif ou d’une livraison, d’une réception, d’un mouvement ou d’une disposition fictifs d’objets d’imposables, la base pour déterminer les droits d’accise dus est alors l’acte juridique fictif ou bien la livraison, la réception, le mouvement ou la disposition fictifs des objets imposables.
Toute personne qui, directement ou indirectement, participe à l’abus de droit dans la conclusion ou l’exécution d’un acte juridique fictif ou d’une livraison, d’une réception, d’un mouvement ou d’une disposition fictifs d’objets imposables répond, en tant que débiteur solidaire, du paiement des droits d’accise devenus exigibles.

(2)   Toute personne pour laquelle les circonstances objectives laissent apparaître qu’elle savait ou était tenue de savoir qu’elle participe, par ses actes ou en s’abstenant de prendre les mesures requises, à un abus de droit dans le mouvement ou la disposition d’objets imposables répond, en tant que débiteur solidaire, du paiement des droits d’accise devenus exigibles.

[…] »

Litige au principal et question préjudicielle

11 MK est propriétaire d’une entreprise d’artisanat de droit croate exerçant une activité de découpe du bois et de services accessoires dans le secteur forestier.

12 Le 1er juillet 2019, à la suite d’un contrôle fiscal de l’entreprise de MK, la Porezna uprava, Područni ured Virovitica (administration fiscale, bureau d’imposition de Virovitica, Croatie) a émis un avis d’imposition infligeant à MK un rappel de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) d’un montant de 135603,57 kunas croates (HRK) (environ 18000 euros), majoré des intérêts de retard qui y étaient afférents. L’administration fiscale a en effet constaté que, pour la période comprise entre le 1er octobre
2016 et le 31 décembre 2017, MK avait déduit la TVA sur le fondement de factures, pour des livraisons de produits pétroliers, qui s’étaient avérées être de faux documents. En particulier, il a été constaté que, en réalité, aucune livraison de produits pétroliers n’avait eu lieu. Par conséquent, MK s’est vu refuser le droit à déduction de la TVA en amont.

13 En outre, dans la procédure administrative ayant précédé le litige au principal, les agents de l’administration douanière ont effectué un contrôle du paiement des droits d’accise dus par MK, conformément, notamment, aux dispositions de la loi sur les droits d’accise. Il a ainsi été constaté que, durant la période contrôlée, 36 factures émises au cours de l’année 2016 et 119 factures émises au cours de l’année 2017 aux fins de l’achat de carburant Eurodiesel, présentées par MK, étaient de fausses
factures et que les livraisons concernées n’avaient pas eu lieu. Dans ce contexte, les autorités douanières ont considéré que MK avait commis un abus de droit dans les mouvements de produits soumis à accise, à savoir des produits pétroliers, pour une quantité s’élevant à 63435,23 litres, au sens des dispositions de l’article 124, paragraphe 2, de la loi sur les droits d’accise. En conséquence, par avis d’imposition du 22 octobre 2019, l’administration douanière a fixé les droits d’accise sur les
produits énergétiques dus par MK, pour la période allant du 10 octobre 2016 au 31 décembre 2017, à un montant de 226837,09 HRK (environ 30125 euros).

14 Par décision administrative du 31 mars 2022, le ministère des Finances de la République de Croatie, service chargé de la procédure administrative de second niveau, a rejeté la réclamation introduite par MK contre l’avis d’imposition du 22 octobre 2019. MK a ensuite introduit un recours contre cette décision de rejet de sa réclamation devant la juridiction de renvoi, l’Upravni sud u Osijeku (tribunal administratif d’Osijek, Croatie).

15 D’abord, la juridiction de renvoi indique que, par jugement de l’Općinski sud u Virovitici (tribunal municipal de Virovitica, Croatie) du 19 mars 2019, MK a été condamné pénalement à une peine d’emprisonnement avec sursis et civilement au paiement d’une somme d’un montant correspondant à celui de sa dette fiscale pour faux en écritures et fraude fiscale ou douanière.

16 La juridiction de renvoi indique également que, indépendamment de l’imposition de droits d’accise, le 21 avril 2021, l’administration douanière a infligé à MK une amende de 45000 HRK (environ 6000 euros), en application des dispositions de la loi sur les droits d’accise et en raison de l’infraction administrative commise, à savoir l’abus de droit dans les mouvements de produits soumis à accise.

17 Ensuite, la juridiction de renvoi précise que les dispositions de la loi sur les droits d’accise, telles qu’interprétées par les juridictions et administrations nationales, permettent d’établir des droits d’accise sur des produits énergétiques indépendamment des règles générales relatives à la naissance des droits d’accise et, notamment, de l’existence de mouvements concernant des produits soumis à accise.

18 Enfin, après avoir relevé que MK indique que les produits pétroliers en cause au principal n’ont jamais existé, la juridiction de renvoi rappelle que les droits d’accise constituent une taxe frappant la consommation d’un bien spécifique. Elle émet donc des doutes sur la conformité au droit de l’Union européenne d’une législation nationale, telle qu’interprétée par les autorités nationales, consistant à établir des droits d’accise dans une situation telle que celle en cause au principal, dans
laquelle il n’y a indubitablement pas eu de mouvements concernant des produits soumis à accise et dans laquelle de fausses factures ont été émises dans le but d’exercer illégalement le droit à déduction de la TVA en amont.

19 Dans ces conditions, l’Upravni sud u Osijeku (tribunal administratif d’Osijek) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les dispositions de la directive 2008/118[...], en particulier ses articles 7 et 8, [...] doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une pratique nationale (et à une législation nationale) prévoyant l’exigibilité des droits d’accise sur les produits énergétiques lorsque les produits soumis à accise ne sont pas mis en circulation, mais que le droit d’accise est établi pour des produits figurant sur de fausses factures d’achat de produits énergétiques, qui, précisément du
fait qu’elles sont fausses, n’ouvrent pas droit à la déduction de la TVA en amont, parce qu’il s’agit de livraisons fictives de produits énergétiques, ce qui a aussi été constaté définitivement dans le cadre d’une procédure pénale ? »

Sur la question préjudicielle

20 À titre liminaire, il y a lieu de constater que, telle qu’elle est formulée, la question de la juridiction de renvoi porte sur l’interprétation tant de l’article 7 de la directive 2008/118 que de l’article 8 de ladite directive, cette dernière disposition portant sur la détermination de la « personne redevable des droits d’accise devenus exigibles ». Or, il ne ressort pas de la décision de renvoi que ladite juridiction entende interroger le Tribunal sur la question de la détermination de la
personne redevable des droits d’accise devenus exigibles. C’est donc uniquement l’article 7 de la directive 2008/118 qu’il convient d’interpréter afin de fournir une réponse utile à la question transmise au Tribunal.

21 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, par son unique question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7 de la directive 2008/118 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale, telle qu’interprétée par les autorités nationales, qui prévoit l’exigibilité des droits d’accise sur le fondement d’une livraison fictive de produits soumis à accise et figurant sur de fausses factures.

22 À cet égard, il convient de rappeler que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2008/118 dispose que « [l]es droits d’accise deviennent exigibles au moment de la mise à la consommation et dans l’État membre où celle-ci s’effectue ». L’article 7, paragraphe 2, de cette directive définit la « mise à la consommation » par le biais de quatre hypothèses.

23 En outre, il ressort du considérant 8 de la directive 2008/118 qu’il est nécessaire, pour le bon fonctionnement du marché intérieur, que la notion d’« exigibilité de l’accise » et les conditions qui y sont afférentes soient identiques dans tous les États membres.

24 À cet effet, l’article 7 de la directive 2008/118 définit, au niveau de l’Union, le moment auquel les produits soumis à accise sont mis à la consommation. Ainsi que la Cour l’a jugé, cette harmonisation permet, en principe, d’écarter les doubles impositions dans les relations entre États membres (voir, en ce sens, arrêt du 18 avril 2024, Girelli Alcool, C‑509/22, EU:C:2024:341, point 41 ; voir également, par analogie, arrêt du 24 février 2021, Silcompa, C‑95/19, EU:C:2021:128, point 44 et
jurisprudence citée).

25 De plus, la notion de « mise à la consommation », qui détermine le moment de l’exigibilité des droits d’accise, doit être interprétée de manière uniforme dans tous les États membres (voir, en ce sens, arrêt du 8 février 2018, Commission/Grèce, C‑590/16, EU:C:2018:77, point 45).

26 Comme le précise la juridiction de renvoi, le litige au principal s’inscrit dans un contexte de livraisons fictives de produits soumis à accise et figurant sur de fausses factures. Sur la base des éléments fournis par la juridiction de renvoi, il convient de considérer que, dans le litige au principal, les droits d’accise n’ont pas été imposés en raison d’une sortie de produits d’un régime de suspension de droits, d’une détention de produits en dehors d’un régime de suspension de droits, d’une
production en dehors d’un régime de suspension de droits ou d’une importation, qui sont les hypothèses de mise à la consommation prévues à l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2008/118, mentionnées au point 22 ci-dessus. Ils n’ont pas non plus été imposés en raison d’une sortie, d’une production ou d’une importation irrégulières de produits soumis à accise relevant des hypothèses de mise à la consommation prévues à l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2008/118.

27 En effet, ainsi qu’il ressort des éléments fournis par la juridiction de renvoi, dans le litige au principal, les droits d’accise ont été imposés en raison d’un abus de droit au sens des dispositions de l’article 124 de la loi sur les droits d’accise, à savoir, en l’occurrence, l’enregistrement dans la comptabilité d’événements économiques sur la base de fausses factures, alors que les produits énergétiques soumis à accise n’ont été ni mis en circulation ni livrés.

28 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il est relevé au point 22 ci-dessus, l’article 7 paragraphe 2, de la directive 2008/118 énonce les hypothèses de « mise à la consommation » d’un produit soumis à accise. Or, il ressort du libellé de cette disposition que ces hypothèses sont énumérées de manière exhaustive. En dehors de ces hypothèses, il ne saurait donc être considéré qu’un tel produit a fait l’objet d’une mise à la consommation. Cette interprétation découle également de la
nécessité, évoquée aux points 24 et 25 ci-dessus, d’interpréter la notion de « mise à la consommation » de manière uniforme dans tous les États membres.

29 Or, force est de constater que l’hypothèse visée au point 27 ci-dessus ne correspond à aucune de celles visées à l’article 7 paragraphe 2, de la directive 2008/118 et ne saurait être considérée comme constituant une mise à la consommation au sens de cette disposition.

30 Par ailleurs, la juridiction de renvoi indique que la législation nationale en cause au principal était justifiée, notamment, par la protection des intérêts fiscaux de la République de Croatie, afin d’empêcher l’usage abusif de certains régimes d’accise et des fraudes fiscales importantes.

31 À cet égard, il convient de rappeler que les États membres ont un intérêt légitime à prendre les mesures appropriées pour protéger leurs intérêts financiers et que la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est un objectif poursuivi par la directive 2008/118 (voir, en ce sens, arrêt du 29 juin 2017, Commission/Portugal, C‑126/15, EU:C:2017:504, point 59).

32 Il n’en demeure pas moins que le pouvoir réglementaire des États membres d’adopter des mesures telles que celles mentionnées au point 31 ci-dessus ne saurait être exercé en méconnaissance des dispositions de la directive 2008/118 et, en particulier, de l’article 7, paragraphes 1 et 2, de celle-ci, sous peine de porter atteinte à l’objectif d’harmonisation poursuivi par le législateur de l’Union et exposé, notamment, au considérant 8 de ladite directive (arrêt du 21 décembre 2023, CDIL, C‑96/22,
EU:C:2023:1025, point 68).

33 Dans ce contexte, le gouvernement croate prétend que les dispositions des articles 124 et 125 de la loi sur les droits d’accise visent à prévenir l’utilisation de produits énergétiques obtenus illégalement. En ce qui concerne cet argument, il suffit de souligner que, ainsi que cela ressort des points 26 et 27 ci-dessus, la taxation à laquelle se rapporte la question posée par la juridiction de renvoi ne concernait pas des produits énergétiques obtenus illégalement.

34 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 7 de la directive 2008/118 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale, telle qu’interprétée par les autorités nationales, qui prévoit l’exigibilité des droits d’accise sur le fondement d’une livraison fictive de produits soumis à accise et figurant sur de fausses factures.

Sur les dépens

35 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations au Tribunal, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (chambre préjudicielle)

dit pour droit :

  L’article 7 de la directive 2008/118/CE du Conseil, du 16 décembre 2008, relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE,

  doit être interprété en ce sens que :

  il s’oppose à une législation nationale, telle qu’interprétée par les autorités nationales, qui prévoit l’exigibilité des droits d’accise sur le fondement d’une livraison fictive de produits soumis à accise et figurant sur de fausses factures.

Papasavvas

Półtorak

Sampol Pucurull

  Steinfatt

Petrlík

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 juillet 2025.

Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le croate.

( i ) Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.


Synthèse
Formation : Chambre préjudicielle
Numéro d'arrêt : T-534/24
Date de la décision : 09/07/2025
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par Upravni sud u Osijeku.

Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Droits d’accise – Directive 2008/118/CE – Article 7 – Exigibilité des droits d’accise – Mise à la consommation – Produits énergétiques – Survenance de l’exigibilité des droits d’accise – Livraison fictive de produits soumis à accise et figurant sur de fausses factures.


Parties
Demandeurs : MK
Défendeurs : Ministarstvo financija Republike Hrvatske, Samostalni sektor za drugostupanjski upravni postupak.

Composition du Tribunal
Avocat général : Martín y Pérez de Nanclares
Rapporteur ?: Półtorak

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2025:682

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