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11/06/2025 | CJUE | N°T-681/22

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal, Royaume d'Espagne contre Commission européenne., 11/06/2025, T-681/22


 ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre élargie)

11 juin 2025 ( *1 )

« Politique commune de la pêche – Article 9 du règlement (UE) 2016/2336 – Règlement d’exécution (UE) 2022/1614 – Méthodes et critères de détermination des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des écosystèmes marins vulnérables – Établissement d’une liste des zones où la présence d’écosystèmes marins vulnérables est avérée ou probable – Établissement de zones de protection – Exception d’illégalité – Proportionnalité »

Dans l

’affaire T‑681/22,

Royaume d’Espagne, représenté par Mmes A. Gavela Llopis et M. J. Ruiz Sánchez, en qualité d’agents,

pa...

 ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre élargie)

11 juin 2025 ( *1 )

« Politique commune de la pêche – Article 9 du règlement (UE) 2016/2336 – Règlement d’exécution (UE) 2022/1614 – Méthodes et critères de détermination des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des écosystèmes marins vulnérables – Établissement d’une liste des zones où la présence d’écosystèmes marins vulnérables est avérée ou probable – Établissement de zones de protection – Exception d’illégalité – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑681/22,

Royaume d’Espagne, représenté par Mmes A. Gavela Llopis et M. J. Ruiz Sánchez, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. A. Dawes et Mme I. Galindo Martín, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Parlement européen, représenté par M. I. Terwinghe, Mmes C. Ionescu Dima et C. Burgos, en qualité d’agents,

et par

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme L. Hamtcheva, MM. F. Naert et G. Rugge, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

LE TRIBUNAL (septième chambre élargie),

composé de M. S. Papasavvas, président, Mme K. Kowalik‑Bańczyk, MM. E. Buttigieg, I. Dimitrakopoulos (rapporteur) et Mme B. Ricziová, juges,

greffier : Mme P. Nuñez Ruiz, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 4 juillet 2024,

rend le présent

Arrêt

1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le Royaume d’Espagne demande l’annulation du règlement d’exécution (UE) 2022/1614 de la Commission, du 15 septembre 2022, déterminant les zones existantes de pêche en eau profonde et établissant une liste des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des écosystèmes marins vulnérables (JO 2022, L 242, p. 1, ci-après le « règlement attaqué »), en ce qui concerne l’établissement de cette liste visée à l’article 2 et dans l’annexe II dudit
règlement.

Antécédents du litige

2 Le règlement (UE) no 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2013, relatif à la politique commune de la pêche, modifiant les règlements (CE) no 1954/2003 et (CE) no 1224/2009 du Conseil et abrogeant les règlements (CE) no 2371/2002 et (CE) no 639/2004 du Conseil et la décision 2004/585/CE du Conseil (JO 2013, L 354, p. 22), détermine notamment les objectifs et les principes de la politique commune de la pêche (PCP). Il prévoit, entre autres, l’adoption des mesures pour la
conservation et l’exploitation durable des ressources biologiques de la mer.

3 Le règlement (UE) 2016/2336 du Parlement européen et du Conseil, du 14 décembre 2016, établissant des conditions spécifiques pour la pêche des stocks d’eau profonde dans l’Atlantique du Nord-Est ainsi que des dispositions relatives à la pêche dans les eaux internationales de l’Atlantique du Nord-Est et abrogeant le règlement (CE) no 2347/2002 du Conseil (JO 2016, L 354, p. 1, ci-après le « règlement de base »), a pour objet de contribuer à la réalisation des objectifs du règlement no 1380/2013, en
ce qui concerne les espèces et les habitats d’eau profonde, à savoir garantir que les activités de pêche soient durables à long terme sur le plan environnemental et gérées en cohérence avec les objectifs visant à obtenir des retombées positives en matière économique, sociale et d’emploi, ainsi qu’à contribuer à la sécurité de l’approvisionnement alimentaire.

4 L’article 7, paragraphe 1, du règlement de base dispose que, au plus tard le 13 juillet 2017, les États membres dont les navires se sont vu délivrer, conformément à l’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) no 2347/2002 du Conseil, du 16 décembre 2002, établissant des conditions spécifiques d’accès aux pêcheries des stocks d’eau profonde et fixant les exigences y afférentes (JO 2002, L 351, p. 6), un permis de pêche en eau profonde et pour autant que celui-ci concerne des activités de pêche de
navires capturant plus de 10 tonnes d’espèces d’eau profonde par année civile, informent la Commission européenne, au moyen des données du système de surveillance des navires (VMS) ou, si les données VMS ne sont pas disponibles, par d’autres moyens pertinents et vérifiables, du lieu des activités de pêche ciblant des espèces d’eau profonde menées par ces navires au cours des années civiles 2009-2011.

5 L’article 9, paragraphe 6, du règlement de base prévoit l’adoption, par la Commission, d’actes d’exécution afin de dresser une liste des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des écosystèmes marins vulnérables (ci-après les « EMV »). Selon l’article 9, paragraphe 9, dudit règlement, la pêche avec les engins de fond est interdite dans toutes les zones recensées conformément au paragraphe 6.

6 En avril 2017, la Commission a lancé un appel à données, conformément à l’article 7, paragraphe 1, du règlement de base. En réponse à cet appel, les États membres ont transmis des données VMS ainsi que d’autres données pertinentes et vérifiables du lieu des activités de pêche ciblant des espèces d’eau profonde menées par ces navires au cours des années civiles 2009-2011.

7 En juillet 2017, sur la base des données communiquées par les États membres, la Commission a demandé au Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) d’émettre un avis afin de déterminer les zones existantes de pêche en eau profonde et d’établir une liste des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV.

8 Le 5 janvier 2021, après avoir obtenu, de la part des États membres, des données supplémentaires sur les EMV et le VMS, sur une période allant jusqu’en 2018, voire même, pour certaines données, jusqu’en 2020, le CIEM a émis un avis dans lequel il a déterminé les zones existantes de pêche en eau profonde pour les engins de fond opérant à une profondeur comprise entre 400 et 800 mètres et a établi une liste des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV (ci-après l’« avis du CIEM de
2021 »).

9 Le 17 novembre 2021, la Commission a demandé au CIEM de publier un avis supplémentaire contenant les coordonnées des zones existantes de pêche en eau profonde et la liste des zones qui abritent des EMV situées exclusivement dans les eaux de l’Union de l’Atlantique du Nord-Est. Ledit avis a été émis le 7 février 2022.

10 Le 15 septembre 2022, sur la base de ces informations, la Commission a adopté le règlement attaqué, fondé notamment sur l’article 9, paragraphe 6, du règlement de base.

11 L’article 2, paragraphe 1, du règlement attaqué énonce :

« La liste des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV est établie conformément aux coordonnées indiquées à l’annexe II. »

Conclusions des parties

12 Le Royaume d’Espagne conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler le règlement attaqué, en ce qui concerne l’établissement de la liste des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV, visée à l’article 2 et dans l’annexe II dudit règlement d’exécution ;

– à titre subsidiaire, constater l’invalidité de l’article 9, paragraphes 6 et 9, du règlement de base, conformément à l’article 277 TFUE ;

– condamner la Commission aux dépens.

13 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours comme partiellement irrecevable et, en tout état de cause, comme non fondé ;

– condamner le Royaume d’Espagne aux dépens.

14 Le Conseil de l’Union européenne conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le deuxième moyen relatif à l’exception d’illégalité de l’article 9, paragraphes 6 et 9, du règlement de base ;

– condamner le Royaume d’Espagne aux dépens.

15 Le Parlement européen conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le deuxième moyen, tiré de la prétendue illégalité de l’article 9, paragraphes 6 et 9, du règlement de base, en ce qu’il est en partie irrecevable et, en tout état de cause, non fondé ;

– condamner le Royaume d’Espagne aux dépens.

En droit

16 À l’appui du recours, le Royaume d’Espagne invoque deux moyens. Le premier moyen est tiré de la violation du règlement de base et du principe de proportionnalité par le règlement attaqué, en ce qu’il établit la liste des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV.

17 Par le second moyen, le Royaume d’Espagne soulève, à titre subsidiaire, une exception d’illégalité de l’article 9, paragraphes 6 et 9, du règlement de base.

Sur le premier moyen, tiré de la violation du règlement de base et du principe de proportionnalité en ce que le règlement attaqué établit les zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV

18 Ce moyen est composé de deux branches, tirées de ce que la Commission aurait violé le règlement de base et le principe de proportionnalité, d’une part, en s’abstenant d’analyser l’incidence des engins de pêche dormants en eau profonde et, d’autre part, par la méthode ainsi utilisée.

Sur la première branche, tirée de la violation du règlement de base et du principe de proportionnalité du fait de l’absence d’analyse de l’incidence des engins de pêche dormants en eau profonde

19 Le Royaume d’Espagne prétend que l’article 2, paragraphe 1, du règlement attaqué viole les dispositions du règlement de base et le principe de proportionnalité en ce qu’il établit une liste des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV, sans s’appuyer sur une analyse de l’incidence des engins de pêche dormants. À cet égard, le Royaume d’Espagne souligne que l’objectif du règlement de base et, à cette fin, de la liste desdites zones est, selon son article 1er, d’éviter des effets
néfastes « notables » sur les EMV dans le cadre de la pêche en eau profonde et de veiller à la conservation à long terme des stocks de poissons d’eau profonde. Une telle approche ressortirait également des différents instruments internationaux auxquels le règlement de base fait référence, tels que les résolutions 61/105 et 64/72 adoptées par l’Assemblée générale des Nations unies ou encore les directives internationales sur la gestion de la pêche profonde en haute mer de l’Organisation des
Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), du 29 août 2008 (ci-après les « directives de la FAO de 2008 »). Le Royaume d’Espagne soutient que la Commission a déterminé, dans ledit règlement d’exécution, des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV sur la base de l’avis du CIEM de 2021 qui a utilisé une méthodologie pondérée fondée sur l’appréciation de plusieurs approches possibles de gestion de la pêche, mais qui a omis d’apprécier l’incidence d’une partie
fondamentale de l’activité de pêche, à savoir celle utilisant des engins dormants. Cette méthodologie ne serait conforme ni au règlement de base ni au principe de proportionnalité, au regard des piliers de la PCP concernant les retombées en matière économique, sociale et d’emploi.

20 La Commission, soutenue par le Conseil et par le Parlement, conteste les allégations du Royaume d’Espagne.

21 S’agissant du grief tiré de la violation du règlement de base, il convient de relever que la question posée est relative à l’interprétation de l’article 9, paragraphe 6, dudit règlement, notamment pour déterminer s’il est nécessaire d’examiner, dans le cadre de l’adoption par la Commission d’un règlement établissant la liste des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV, les effets néfastes notables des engins dormants dans chaque zone incluse dans cette liste, dans le contexte
d’une approche de gestion de la pêche qui comprend l’évaluation des conséquences des mesures de protection des EMV sur les activités de pêche et sur la vie économique et sociale.

22 Il y a lieu, eu égard aux allégations susmentionnées du Royaume d’Espagne (voir point 19 ci-dessus), de procéder à l’interprétation de l’article 9, paragraphe 6, du règlement de base, afin de définir les critères de détermination des zones abritant ou susceptibles d’abriter des EMV qui font l’objet de l’annexe II du règlement attaqué et, en particulier, de déterminer si ladite disposition exige une évaluation des effets néfastes de la pêche avec des engins dormants dans les zones visées.

23 En premier lieu, il convient de relever que cette interprétation doit être faite à l’aune de certaines définitions ressortant directement de l’article 4 du règlement de base et que cet article renvoie aux définitions figurant à l’article 4 du règlement no 1380/2013 et à l’article 2 du règlement (CE) no 734/2008 du Conseil, du 15 juillet 2008, relatif à la protection des écosystèmes marins vulnérables de haute mer contre les effets néfastes de l’utilisation des engins de pêche de fond (JO 2008,
L 201, p. 8).

24 À cet égard, d’une part, l’article 4, paragraphe 2, sous j), du règlement de base dispose qu’on entend par « indicateurs d’EMV » les espèces figurant à l’annexe III dudit règlement. L’article 4, paragraphe 2, sous h), de ce règlement prévoit que sont considérées comme des « rencontres » les captures de quantités d’espèces indicatrices d’EMV qui sont supérieures aux seuils fixés par l’annexe IV du même règlement. Plus particulièrement, il ressort, tout d’abord, de l’annexe III en cause une
énumération des types d’habitats d’EMV, accompagnés des taxons les plus susceptibles de s’y trouver, considérés comme des indicateurs d’EMV. Ensuite, l’annexe IV susmentionnée, sous a) et b), définit la rencontre d’un éventuel EMV soit par rapport aux chaluts et aux engins de pêche autres que les palangres (indiquant comme pertinente la présence de plus de 30 kg de corail vivant ou de 400 kg d’éponge vivante d’indicateurs d’EMV), soit par rapport aux palangres (indiquant comme pertinente la
présence d’indicateurs d’EMV sur 10 hameçons par segment de 1000 hameçons ou par 1200 mètres de palangre, la moindre longueur étant retenue). Partant, conformément à ces dispositions, la présence d’EMV est démontrée ou indiquée par des éléments liés à la nature et à la quantité des espèces « rencontrées » tant par des engins mobiles que par des engins dormants. Lesdits éléments sont pertinents et importants non seulement en cas de rencontre fortuite d’un EMV, conformément à l’article 9,
paragraphes 2 et 3, du règlement de base, mais également pour l’établissement des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV, conformément aux dispositions de l’article 9, paragraphes 4 et 6, du même règlement, ainsi qu’il sera analysé ci-après (voir points 36 à 44 ci‑après).

25 D’autre part, s’agissant des notions d’« engins de fond » et d’« effets néfastes notables », elles font partie intégrante de la définition de l’EMV, conformément à l’article 2 du règlement no 734/2008, auquel l’article 4 du règlement de base renvoie.

26 Premièrement, selon l’article 2, sous d), du règlement no 734/2008 constituent des engins de fond « les engins déployés au cours du déroulement normal des opérations de pêche, en contact avec le fond marin », qui sont, dans ledit article, exemplifiés (« y compris les chaluts de fond, les dragues, les filets maillants de fond, les palangres de fond, les casiers et les pièges »). Il en découle clairement que les « engins de fond », au sens de la définition susmentionnée, comprennent des engins de
fond dormants, y compris des palangres.

27 Deuxièmement, aux termes de l’article 2, sous b), du règlement no 734/2008, les « effets néfastes notables » qui mettent en péril l’intégrité de l’écosystème, selon les précisions portées par l’article 2, sous c), du même règlement, résultent d’un contact physique du fond marin avec les engins de fond en général, au cours du déroulement normal des opérations de pêche. Dans ce contexte, l’expression « au cours du déroulement normal des opérations de pêche » est liée à celle de « contact physique
avec les engins de fond », figurant à l’article 2, sous b), dudit règlement, et n’implique pas une évaluation des activités de pêche pratiquées dans les espaces maritimes concernés. Cette interprétation est corroborée par l’article 2, sous d), dudit règlement, selon lequel les « engins de fond » sont « les engins déployés au cours du déroulement normal des opérations de pêche, en contact avec le fond marin ».

28 Troisièmement, la définition figurant à l’article 2, sous b), du règlement no 734/2008 inclut également une énumération non limitative des EMV, qui comprennent « des récifs, des monts sous-marins, des cheminées hydrothermales, des coraux d’eau froide ou des bancs d’éponges d’eau froide ». À ce dernier égard, ainsi que le soutient la Commission devant le Tribunal, sans que cela soit contesté, cette énumération correspond aux types d’habitats d’EMV mentionnés à l’annexe III du règlement de base
qui, comme cela est indiqué ci‑dessus, sont définis à partir de taxons représentatifs, indépendamment du type d’engins de pêche susceptibles de les affecter. Partant, la caractérisation des zones abritant ou susceptibles d’abriter des EMV résulte de l’application de critères objectifs liés à la présence avérée ou probable des espèces protégées telles qu’énumérées, leur protection étant assurée par rapport aux dangers liés aux effets d’une pêche par des « engins de fond » en général. En effet, le
type, mobile ou dormant, des engins de fond n’a pas d’incidence sur les indicateurs de ces zones et sur les types d’habitats d’EMV identifiés par le législateur dans l’annexe III du règlement de base. Il en découle, ainsi que l’a soutenu à juste titre la Commission à l’audience, que cette dernière n’avait pas de pouvoir d’appréciation quant à la question de savoir si les habitats marins, expressément inclus dans l’énumération de la définition susmentionnée [article 2, sous b), du règlement
no 734/2008] et repris dans l’annexe III du règlement de base, constituaient ou non des EMV, en fonction des données portant sur les types d’engins de fond utilisés au cours du déroulement normal des opérations de pêche réalisées dans les zones concernées.

29 Quatrièmement, selon l’article 2, sous c), du règlement no 734/2008, les « effets néfastes notables » susmentionnés sont évalués individuellement, en combinaison ou cumulativement. Partant, il n’est pas nécessaire d’examiner de manière distincte les effets néfastes des engins de fond dormants, dans la mesure où les effets néfastes notables sur des zones abritant des EMV peuvent déjà être constatés ou sont prévisibles sur la base des engins mobiles et ne seraient, ainsi, tout au plus, que
renforcés en cas de constatation d’effets néfastes additionnels dus aux engins dormants. Comme cela est indiqué au point 28 ci-dessus, la présence avérée ou probable des espèces protégées mène à la qualification des zones pertinentes de zones abritant ou susceptibles d’abriter des EMV de sorte à assurer leur protection contre les « engins de fond » en général.

30 Il convient d’en conclure que, contrairement aux allégations du Royaume d’Espagne, selon l’article 2 du règlement no 734/2008, une zone peut être qualifiée de zone abritant ou susceptible d’abriter des EMV, en raison des effets néfastes notables résultant de la seule utilisation des engins de fond mobiles ou de l’utilisation des engins de fond en général, sans que cette qualification puisse être mise en question par rapport aux engins de fond dormants, eu égard à leurs effets (potentiellement
moins) néfastes sur l’écosystème concerné.

31 En deuxième lieu, dans la mesure où le Royaume d’Espagne souligne que l’article 9, paragraphe 4, du règlement de base renvoie aux directives de la FAO de 2008, aux fins de l’évaluation annuelle des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV, il convient de relever que les facteurs qui devraient être utilisés comme critères pour l’identification des EMV ressortent des points 14, 15 et 42 de ces directives.

32 Il y est notamment indiqué que ces facteurs, qui sont liés aux caractéristiques des écosystèmes proprement dits, en particulier à leurs aspects biologiques et structurels, sont les suivants :

– caractère unique et rareté [i] ;

– importance fonctionnelle de l’habitat [ii] ;

– fragilité [iii] ;

– caractéristiques du cycle biologique des espèces qui composent cet habitat et qui en rendent difficile la récupération [iv] ;

– complexité structurelle [v].

33 Il en découle que la classification d’un écosystème marin comme vulnérable ne présuppose pas un examen des effets néfastes des engins de fond dormants. Certes, conformément au paragraphe 15 des directives de la FAO de 2008, la vulnérabilité d’un écosystème est appréciée au regard des activités anthropiques et peut varier en fonction des types d’engins de pêche utilisés. Toutefois, cela n’implique pas que la classification d’un écosystème comme vulnérable présuppose l’appréciation de sa fragilité
au regard spécifiquement de chaque type d’engin utilisé ou qu’elle puisse être limitée à certains types d’engins, à l’exclusion d’autres, étant donné que cette classification s’appuie sur les caractéristiques de l’écosystème proprement dit, celles-ci n’étant pas susceptibles de varier en fonction de l’effet de chaque type d’engins utilisés.

34 En outre, il ressort des paragraphes 17, 18 et 47 des directives de la FAO de 2008 que l’évaluation des effets néfastes de la pêche pratiquée ou envisagée dans les zones concernées succède à l’identification des EMV et relève d’un stade ultérieur de la procédure relative à leur protection, qui concerne la prise des mesures de gestion et de conservation appropriées, destinées à prévenir tout effet néfaste notable sur les EMV.

35 Partant, les directives de la FAO de 2008 ne fournissent pas d’éléments d’interprétation susceptibles d’étayer la thèse avancée par le Royaume d’Espagne portant sur la nécessité d’évaluer l’éventuelle incidence de tout type de pêche et des engins à utiliser.

36 En troisième lieu, il convient d’effectuer une analyse téléologique et systémique de l’article 9, paragraphe 6, du règlement de base.

37 Premièrement, il convient d’observer que les recensements par les États membres des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV, prévus par l’article 9, paragraphe 4, du règlement de base et pris en considération par la Commission aux fins de l’établissement de la liste de ces zones, sont fondés notamment sur les informations biogéographiques et les informations sur les rencontres d’EMV, qui dépendent de la quantité de certaines espèces (voir dispositions des annexes III et IV dudit
règlement) capturées au cours d’une opération de pêche. Il s’agit alors des informations qui concernent plutôt les caractéristiques biologiques et structurelles des habitats concernés que des caractéristiques ou des effets des différents types d’engins de fond utilisés.

38 Deuxièmement, il convient de considérer que, alors même que l’article 9, paragraphe 6, du règlement de base, en ce qu’il porte sur le fait de dresser une liste des zones abritant ou susceptibles d’abriter des EMV, instaure une condition de conservation des EMV, il s’agit néanmoins d’un élément distinct de celui concernant l’adoption de mesures spécifiques pour la conservation et l’exploitation durable des ressources biologiques de la mer.

39 À cet égard, ainsi qu’il ressort notamment de l’article 4, paragraphe 1, point 20, et de l’article 7, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1380/2013, le type d’engins de pêche utilisé ou encore ses caractéristiques, relatives à son utilisation, peuvent faire l’objet de « mesures techniques » visant à réguler les incidences des activités de pêche sur les composants des écosystèmes. Constitue une telle mesure, relevant de la « gestion des pêcheries », celle prévue par l’article 9, paragraphe 9, du
règlement de base, selon lequel « la pêche avec des engins de fond est interdite dans toutes les zones recensées conformément au paragraphe 6 ».

40 De même, la possibilité, prévue par l’article 9, paragraphe 6, deuxième phrase, du règlement de base, relative au retrait d’une zone de la liste des EMV, sur la base d’une étude d’impact et à la suite de l’adoption de mesures de conservation et de gestion appropriées, visant à garantir que, dans cette zone, les effets néfastes notables sur les EMV sont évités, présuppose précisément que de telles mesures ont été adoptées. Ainsi, contrairement à ce que le Royaume d’Espagne soutient, il ne saurait
être déduit de cette disposition qu’une approche de gestion, qui comprendrait l’exigence d’évaluer les conséquences des mesures de conservation des EMV sur les activités de pêche et sur la vie économique et sociale (voir point 19 ci-dessus), devrait être appliquée par rapport à l’établissement de la liste des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV.

41 Troisièmement, une telle approche, préconisée par le Royaume d’Espagne, serait incompatible avec la notion d’« acte d’exécution », dès lors qu’elle modifierait ou compléterait le règlement de base en ses éléments essentiels concernant la protection des EMV (voir, en ce sens, arrêt du28 février 2023, Fenix International, C‑695/20, EU:C:2023:127, points 44 et 48 à 51) et irait bien au-delà du pouvoir conféré à la Commission par l’article 9, paragraphe 6, première phrase, du règlement de base.

42 Cette considération ne saurait être remise en cause par l’article 9, paragraphe 4, du règlement de base, en vertu duquel l’évaluation des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV est effectuée selon l’approche de précaution en matière de gestion de pêche, visée à l’article 4, paragraphe 1, point 8, du règlement no 1380/2013, selon lequel « l’absence de données scientifiques pertinentes ne devrait pas servir de justification pour ne pas adopter ou pour reporter l’adoption de
mesures de gestion visant à conserver les espèces cibles, les espèces associées ou dépendantes, les espèces non cibles et leur environnement ». En effet, l’application de ladite approche, quant à l’établissement de la liste des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV, est justifiée, d’une part, par le fait que l’identification de ces zones fait partie intégrante de leur protection et, d’autre part, par la probabilité d’absence de données scientifiques suffisantes (ou
suffisamment fiables et crédibles) quant aux caractéristiques des écosystèmes concernés, qui doivent être prises en considération pour l’identification des EMV. Cette approche implique que l’absence de telles données ne devrait pas exclure que la Commission, en exerçant son pouvoir d’appréciation dans ce domaine (voir, par analogie, arrêt du 22 juin 2023, Arysta LifeScience Great Britain/Commission, C‑259/22 P, non publié, EU:C:2023:513, point 45), qualifie des zones concernées de susceptibles
d’abriter des EMV, le cas échéant en prenant en considération des éléments ayant trait aux activités de pêche pratiquées, afin d’apprécier la probabilité de l’existence continue d’EMV.

43 En outre, le Royaume d’Espagne invoque également l’article 9, paragraphe 8, du règlement de base, selon lequel « [d]e nouvelles études d’impact sont requises si des changements notables sont apportés aux techniques utilisées pour pratiquer la pêche avec des engins de fond, ou s’il y a des informations scientifiques nouvelles signalant la présence d’EMV dans une zone donnée ». Il avance que si les différentes techniques utilisées pour la pêche utilisant des engins de fond constituent un élément
important pour la révision de la liste des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV, il doit nécessairement s’agir d’un élément important pour l’élaboration de ladite liste. Cependant, il convient d’écarter cet argument. En effet, l’article 9, paragraphe 8, du règlement de base exige de nouvelles « études d’impact », alors que de telles études ne sont pas requises pour l’établissement desdites zones en application de l’article 9, paragraphe 6, première phrase, dudit règlement,
mais plutôt pour le retrait d’une zone de la liste, en application de la seconde phrase de cette disposition, qui prévoit des conditions procédurales et matérielles.

44 Il ressort de l’ensemble de ces considérations, figurant aux points 19 à 43 ci-dessus, que, contrairement à ce que le Royaume d’Espagne prétend, l’article 9, paragraphe 6, première phrase, du règlement de base n’exige ni une évaluation des effets néfastes notables d’engins dormants dans chaque zone qui abrite ou est susceptible d’abriter des EMV incluse dans la liste en cause ni une approche de gestion des pêches, voire de gestion comprenant l’évaluation des conséquences des mesures de protection
des EMV concernés sur les activités de pêche et sur la vie économique et sociale.

45 S’agissant du grief tiré de la violation du principe de proportionnalité, auquel renvoie le règlement no 1380/2013 (voir point 42 ci-dessus), lui-même mentionné par le règlement de base, il convient de rappeler qu’il résulte d’une jurisprudence constante que le principe de proportionnalité fait partie des principes généraux du droit de l’Union et exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la
réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre (voir, en ce sens, arrêt du 8 juin 2010, Vodafone e.a., C‑58/08, EU:C:2010:321, point 51 et jurisprudence citée).

46 À cet égard, il y a également lieu de rappeler que le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause (voir arrêt du 11 janvier 2017, Espagne/Conseil, C‑128/15, EU:C:2017:3, point 71 et jurisprudence citée). Il est de jurisprudence constante que, pour satisfaire au test de proportionnalité, une mesure doit être de nature
à contribuer à l’objectif poursuivi et non nécessairement à l’atteindre à elle seule ( arrêt du 13 juin 2018, Deutscher Naturschutzring, C‑683/16, EU:C:2018:433, point 49 et jurisprudence citée).

47 En l’espèce, dans la mesure où le Royaume d’Espagne focalise ses arguments sur la question de savoir si les « effets négatifs » sur l’environnement marin des différents types d’engins de pêche, en particulier des engins dormants, étaient « notables » ou encore « considérables », compromettant l’intégrité de l’écosystème (voir, également, point 19 ci-dessus), ce qui exclurait la prise en compte de ces derniers engins, et quant à son allégation présentée dans la réplique, selon laquelle il n’était
pas raisonnable d’accepter la prémisse en vertu de laquelle la vulnérabilité des écosystèmes était une question inhérente à ceux-ci et objective ne dépendant que de l’écosystème et de ses caractéristiques, il a déjà été constaté au point 33 ci-dessus qu’il convenait de se baser, lors de la création d’une liste des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV, sur les caractéristiques des écosystèmes proprement dits, y compris leur fragilité, en tenant compte du risque de dommages
liés aux effets néfastes notables résultant, en général, de l’utilisation des « engins de fond ». Ainsi, l’absence d’analyse, par le CIEM et la Commission, des effets nuisibles des engins dormants, sur les zones incluses dans ladite liste figurant à l’annexe II du règlement attaqué, ne constitue pas non plus une violation du principe de proportionnalité.

48 Pour les raisons indiquées aux points 21 à 47 ci-dessus, le Royaume d’Espagne n’est pas fondé à soutenir que, au regard de la PCP et du principe de proportionnalité, il n’y avait pas lieu de développer un pilier, relatif à l’environnement, sans prendre en considération les deux autres, à savoir les piliers économique et social. En particulier, il convient encore de souligner que la Commission, en dressant la liste des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV conformément à
l’article 9, paragraphe 6, du règlement de base, ne pouvait pas procéder, dans le cadre des compétences qui lui étaient attribuées pour adopter un règlement d’exécution, à une quelconque mise en balance entre la protection des EMV et d’autres objectifs de la PCP (voir point 41 ci‑dessus). Ne saurait ainsi être suivie l’allégation du Royaume d’Espagne, selon laquelle « l’interdiction de la pêche avec des engins dormants prévue par le règlement d’exécution [attaqué ne serait] pas justifiée par
l’objectif de protection des EMV dès lors que l’incidence négative majeure n’a pas été démontrée » et elle serait « disproportionnée par rapport à cet objectif et aux autres finalités de la PCP, empêchant ainsi une partie substantielle de la flotte de pêche […] de contribuer à la richesse économique et à la sécurité de l’approvisionnement alimentaire ».

49 À cet égard, il y a lieu d’ajouter que, contrairement à ce que le Royaume d’Espagne avance, l’option 1 du scénario 2, qui figure dans l’avis du CIEM de 2021 et qui a été par la suite adoptée par la Commission dans le règlement attaqué, n’est pas fondée sur une telle mise en balance entre la protection des EMV et d’autres objectifs de la PCP ou encore sur une approche de gestion de la pêche.

50 En effet, il ressort dudit avis du CIEM, que sa base de données contient deux sortes de données, à savoir, d’une part, celles qui confirment l’existence d’EMV, enregistrées comme habitats d’EMV, et, d’autre part, celles qui ne fournissent pas la même certitude quant à la présence d’EMV, car elles n’ont pas été directement observées sur les fonds marins, mais souvent échantillonnées à distance. Pour ces enregistrements, le CIEM a mis au point une méthode visant à combiner des enregistrements
individuels au sein d’une zone marine spécifique (un « carré C »), sur la base des critères de la FAO et de toutes les données disponibles sur l’abondance dans un « indice EMV » présentant une probabilité élevée, moyenne et faible d’un « carré C » contenant un habitat réel d’EMV.

51 Sur cette base, l’avis du CIEM de 2021 identifie plusieurs « approches de gestion » liées à l’établissement de la liste des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV.

52 Conformément aux résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies et aux directives de la FAO de 2008, le CIEM a élaboré deux scénarios, chacun d’eux comportant deux options. Ainsi qu’il ressort du tableau 1 de l’avis du CIEM de 2021, celui-ci a prévu quatre différentes façons de délimiter des zones comportant des EMV (selon le scénario et l’option pertinents), dans la première colonne du tableau, ainsi que les implications sur leur gestion, dans sa seconde colonne.

53 Il ressort de ces éléments de l’avis du CIEM de 2021 ainsi que des explications qui les accompagnent que le niveau d’activité de pêche n’a pas été pris en compte dans le cadre d’une approche de gestion de la pêche ou de pondération des intérêts concurrents, mais plutôt pour apprécier la probabilité de l’existence d’un EMV dans les zones avec un indice « faible » de présence, qui pouvait déjà être endommagé de manière irréversible de sorte que la poursuite des activités de pêche ne soit pas de
nature à causer d’autres effets néfastes notables. En particulier, il ressort de l’avis du CIEM de 2021 que le scénario 2 tenait compte des seuils « swept-area ratio » (ratio de surface balayée, ci-après « SAR »), établis sur la base de données empiriques, pour le niveau d’activité de pêche, liés aux incidences négatives notables et, partant, permettaient d’évaluer les effets de la pêche sur la présence ou l’absence d’EMV. Comme il a été expliqué au point 44 ci-dessus, une telle approche est
compatible avec l’article 9, paragraphe 6, du règlement de base.

54 Même en tenant compte de la seconde colonne du tableau 1 de l’avis du CIEM de 2021, concernant l’option 1 du scénario 2 et portant sur les « [i]mplications pour la gestion », il n’en ressort pas une logique différente. En effet, mention y est faite de ce que cette option « accorde la priorité à la protection des EMV lorsque leur présence est “avérée” ou “probable” » et inclut « les carrés C à faible indice d’EMV où l’activité de pêche est également faible et où les incidences négatives
importantes (SAI) dues aux activités de pêche passées sont moins probables ». Ces éléments indiquent, dans l’ensemble, une approche liée aux caractéristiques des zones concernées. En tout état de cause, la partie finale de cette description des implications pour la gestion, selon laquelle cela « offre une protection de l’EMV à faible coût pour le pêcheur et une protection maximale des EMV dans l’empreinte de pêche », constitue simplement une appréciation des effets dudit scénario quant à la
protection des EMV et à son incidence sur la pêche, qui n’a pas pour autant été utilisée comme facteur additionnel de la détermination des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV en plus des éléments indiqués à la page 5 de l’avis du CIEM de 2021, qui coïncident avec les autres facteurs indiqués au point 32 ci-dessus et à la première colonne du tableau 1, figurant à la page 6 de cet avis.

55 De surcroît, il convient d’ajouter, s’agissant de la méthode utilisée par le CIEM, qu’il ressort de son avis de 2021, que celui-ci a expressément indiqué n’avoir pu tenir compte que de l’intensité de la pêche par rapport aux engins mobiles, ceux-ci étant les seuls pour lesquels il disposait des informations pertinentes (c’est-à-dire des données portant sur l’intensité de la pêche), alors même qu’il a été expressément constaté que de telles informations manquaient par rapport aux engins dormants.
Or, le Royaume d’Espagne ne conteste pas, de manière claire et précise, l’absence d’informations suffisamment précises portant sur l’intensité de la pêche par les engins dormants dans le milieu marin concerné.

56 S’agissant de l’argument du Royaume d’Espagne, selon lequel, en substance, le CIEM aurait pris la décision, par rapport à certaines zones entourant les Açores (Portugal), de ne pas les inclure dans son avis de 2021 concernant l’établissement de la liste des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV, et ce alors même qu’il s’agissait précisément des zones dans lesquelles la pêche était principalement réalisée avec des engins dormants, il suffit de relever que, d’une part, c’est
l’absence d’informations suffisantes permettant de prévoir l’existence avérée ou probable desdites zones qui était pertinente et, d’autre part, ainsi que l’a indiqué la Commission devant le Tribunal sans que ce fait soit contesté, une analyse additionnelle a été demandée au CIEM, dans cette zone géographique, de sorte qu’une liste des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV la couvrant puisse être préparée dans le futur. Ainsi, la non-inclusion de cette zone dans la liste des
zones en cause figurant dans l’annexe II du règlement attaqué n’est pas de nature à démontrer une quelconque violation du principe de proportionnalité.

57 Enfin, s’agissant de l’argument du Royaume d’Espagne, selon lequel, en substance, la Commission disposait d’alternatives autres que celle qu’elle a finalement adoptée, sur la base même de l’avis du CIEM de 2021, lequel prévoyait expressément « la possibilité de combiner différents scénarios dans diverses zones en fonction de leurs différentes caractéristiques, en particulier des données relatives aux activités de pêche », et de la proposition du Royaume d’Espagne d’un choix « d’un scénario et
d’une option permettant que les zones à faibles indicateurs de présence d’EMV et d’activité de pêche avec des engins dormants ne soient pas fermées », conformément aux objectifs de la PCP et au principe de proportionnalité, il convient de relever que l’option ainsi préconisée par le Royaume d’Espagne se fonde sur une approche de gestion de la pêche et non sur celle visant une désignation de zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV au regard de leurs caractéristiques inhérentes.
De surcroît, le Royaume d’Espagne n’établit pas que la méthodologie suivie n’était pas appropriée, qu’elle n’était pas de nature à contribuer à l’objectif poursuivi (au sens de la jurisprudence rappelée au point 46 ci-dessus) ou encore qu’une autre méthodologie aurait été plus efficace pour la délimitation desdites zones.

58 Au vu de ce qui précède, il convient de rejeter la première branche du premier moyen, tirée de la violation du règlement de base et du principe de proportionnalité du fait de l’absence d’analyse de l’incidence des engins de pêche dormants en eau profonde, comme non fondée.

Sur la seconde branche du premier moyen, tirée de la violation du règlement de base et du principe de proportionnalité par la méthode de détermination des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV

59 Les allégations du Royaume d’Espagne dans le cadre de la présente branche du premier moyen peuvent être réparties en quatre griefs. En premier lieu, selon le Royaume d’Espagne, certaines des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV, désignées par la Commission dans le règlement attaqué, se trouveraient à moins de 400 mètres de profondeur, ce qui serait contraire au règlement de base. En deuxième lieu, le Royaume d’Espagne critique la méthodologie utilisée dans l’avis du CIEM de
2021, basée sur l’unité « carré C ». En troisième lieu, le Royaume d’Espagne conteste l’établissement des « buffer zones » (zones de protection), consistant, en substance, à ajouter un « demi-carré C » aux « carrés C » identifiés comme contenant des EMV. En quatrième lieu, le Royaume d’Espagne critique la fermeture à la pêche des zones, prétendument sans présence d’EMV, enfermées entre des « carrés C » identifiés comme contenant des EMV.

– Sur le premier grief, relatif aux zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV se trouvant à moins de 400 mètres de profondeur

60 Le Royaume d’Espagne souligne que l’article 2 du règlement attaqué dresse, par renvoi à son annexe II, la liste des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV, conformément à l’article 9 du règlement de base. Ledit article 9, paragraphe 1, du règlement de base s’applique aux opérations de pêche utilisant des engins de fond à une profondeur supérieure à 400 mètres. Par ailleurs, l’article 9, paragraphe 9, de ce même règlement dispose que la pêche avec des engins de fond est
interdite dans toutes les zones recensées conformément au paragraphe 6 du même article. Néanmoins, selon le Royaume d’Espagne, le règlement attaqué semble prévoir une interdiction générale de la pêche avec des engins de fond dans les zones visées dans la liste, et ce indépendamment de la question de savoir si la profondeur est supérieure à 400 mètres. De fait, certaines zones, dont les zones 4, 6, 17, 23, 31, 35, 39, 40, 48 et 78, comprises dans l’annexe II dudit règlement d’exécution, se
trouveraient à moins de 400 mètres de profondeur. Partant, l’article 9 du règlement de base et, plus particulièrement encore, l’interdiction de la pêche avec des engins de fond prévue dans son paragraphe 9 ne devraient pas leur être applicables. L’inclusion de ces zones dans la liste irait au-delà de ce que permet le règlement de base, lequel impose de respecter ledit article 9, dans son intégralité, uniquement pour les zones de plus de 400 mètres de profondeur.

61 La Commission conteste cette argumentation.

62 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, si le libellé de l’article 9, paragraphe 6, du règlement de base ne contient pas de référence limitative quant à la profondeur des zones relevant de la liste des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV, l’article 9, paragraphe 1, du règlement de base dispose qu’il s’applique aux opérations de pêche utilisant des engins de fond à une profondeur supérieure à 400 mètres. L’article 9, paragraphe 2, de ce règlement concerne cette même
catégorie d’opérations de pêche et indique les données à prendre en considération pour l’évaluation et l’identification des EMV. Il peut en être déduit que les zones visées par l’article 9, paragraphe 6, dudit règlement doivent se trouver à tout le moins en partie à une profondeur supérieure à 400 mètres, comme l’admet d’ailleurs la Commission.

63 En effet, en réponse aux questions posées par le Tribunal dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, la Commission a affirmé que l’ensemble des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV, telles que délimitées dans l’annexe II du règlement attaqué, incluant celles mises en exergue par le Royaume d’Espagne, se trouvaient, à tout le moins en partie, à plus de 400 mètres de profondeur. Aucune d’entre elles ne se trouvait, dans sa totalité, à 400 mètres ou moins de
profondeur. La Commission a joint à sa réponse un tableau, indiquant la profondeur minimale et maximale de chacune des zones énumérées dans l’annexe II du règlement attaqué conformément aux données du réseau européen des observations de données maritimes (ci-après l’« EMODnet »), qui étaient également à la disposition des États membres.

64 De surcroît, ainsi qu’il ressort notamment du considérant 6 du règlement attaqué, l’avis du CIEM de 2021 visait à répertorier les EMV « ayant un indice de présence élevée, moyenne ou faible dans les carrés C à une profondeur comprise entre 400 et 800 mètres ». L’avis du CIEM de 2021 explique les raisons pour lesquelles, dans certains cas, certaines parties des « carrés C » pouvaient se trouver en dehors des profondeurs allant de 400 à 800 mètres.

65 En outre, la Commission a soutenu que si les zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV, énumérées à l’annexe II du règlement attaqué, englobaient toutes celles dans lesquelles il était probable ou avéré que des EMV soient présents, l’interdiction de pêche ne s’appliquait, en revanche, qu’à une profondeur excédant 400 mètres, conformément aux dispositions de l’article 9, paragraphes 1 et 9, du règlement de base. Lors de l’audience, la Commission a d’ailleurs confirmé que cette même
logique s’appliquait tant aux « carrés C » qu’aux zones tampons.

66 Il ressort des données et des informations fournies par la Commission que, si, certes, la profondeur des zones désignées comme abritant ou susceptibles d’abriter des EMV pouvait varier, de sorte qu’une partie desdites zones puisse même se trouver en dehors de la limite des 400 à 800 mètres, aucune des zones en cause n’était dans son ensemble située à une profondeur comprise entre 0 et 400 mètres. Or, les données susmentionnées, fournies par la Commission, n’ont pas été contestées de manière
concrète et précise par le Royaume d’Espagne. Dès lors, il n’est pas établi que le critère de profondeur, posé à l’article 9, paragraphe 1, du règlement de base (voir point 62 ci-dessus), a été méconnu en l’espèce.

67 Dans ces circonstances, le premier grief du Royaume d’Espagne, dans la mesure où il vise la prétendue inclusion, par la Commission, dans la liste en cause (conformément aux coordonnées indiquées à l’annexe II du règlement attaqué), de zones situées complètement à une profondeur non comprise entre 400 et 800 mètres, doit être rejeté.

– Sur le deuxième grief, relatif à la méthodologie utilisée dans l’avis du CIEM de 2021, basée sur l’unité « carré C »

68 Le Royaume d’Espagne critique l’avis du CIEM de 2021 en ce qu’il utilise une méthodologie entérinée en substance par le règlement attaqué, basée sur l’unité « carré C », à 0.05 degré, créant, selon lui, des cellules de 15 à 25 kilomètres carrés, selon la latitude. En substance, ainsi que le reconnaîtrait le CIEM, ce système supposerait que les cellules ne soient pas uniformes selon la latitude. Au surplus, cette méthodologie fermerait des zones excessivement étendues autour de celles où des EMV
ont été détectés, en particulier des zones de plateforme continentale étroite, comme dans le Nord de l’Espagne, à la différence de zones très étendues, telles que la plateforme continentale de la mer du Nord. Par l’emploi de cette méthodologie, les points de présence d’EMV, identifiés par vidéo ou photographie (dans le cas d’habitats) ou par d’autres techniques telles que les chaluts (dans les cas des indicateurs physiques d’EMV), se combinent avec le quadrillage de cellules de « carrés C » afin
d’établir les zones de fermeture. L’ensemble de ce qui précède supposerait qu’un même « carré C » puisse prendre en compte divers indicateurs d’EMV, zones de pêche et bathymétries. Ce manque de définition appauvrirait tout type d’analyse. L’avis du CIEM de 2021 lui‑même reconnaîtrait que cette méthodologie présente d’importantes limitations concernant l’éventuelle incidence d’une échelle inférieure de séparation entre l’existence d’EMV et le chevauchement avec l’activité de pêche.

69 Le Royaume d’Espagne soutient que le règlement de base exige que la liste élaborée par la Commission aux fins de son article 9 se limite aux zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV, alors que, en dehors de telles zones, la pêche serait permise sous réserve d’une autorisation. Rien ne justifierait une fermeture indiscriminée, en raison d’une méthodologie peu précise ne tenant pas compte des meilleures informations scientifiques et techniques disponibles, de zones adjacentes, dans
lesquelles de tels écosystèmes n’auraient pas été identifiés. Selon le Royaume d’Espagne, des informations plus précises existaient et auraient été tenues à la disposition du CIEM pour l’élaboration de son avis.

70 La Commission conteste les allégations du Royaume d’Espagne.

71 À titre liminaire, il convient de relever que le règlement attaqué est fondé sur l’avis du CIEM de 2021, duquel il ressort que :

« Le système des carrés C est un système de grille. Le CIEM utilise une résolution carré C de 0.05° de longitude [par] 0.05° de latitude [environ 15 km2 (3 km × 5 km) à une latitude de 60° Nord]. Cette résolution constitue une échelle pratique pour rassembler, explorer et évaluer les données relatives aux activités de pêche dans le milieu marin. »

72 Il convient d’observer, en outre, que l’article 9 du règlement de base (y compris les directives de la FAO de 2008 auxquelles il renvoie) ne contient pas de règles spécifiques quant à la méthodologie concrète devant être utilisée lors de la préparation de la liste des zones abritant ou susceptibles d’abriter des EMV, notamment en ce qui concerne le quadrillage technique ou le système de coordonnées devant être utilisés comme référentiel cartographique. Il convient donc de considérer que ceux-ci
relèvent de la marge d’appréciation dont la Commission jouit quant à l’application des critères d’établissement de la liste desdites zones (voir point 42 ci‑dessus). Dans un tel cadre, afin de pouvoir poursuivre efficacement l’objectif qui lui est assigné, et en considération des évaluations techniques complexes qu’elle doit opérer, un large pouvoir d’appréciation doit être reconnu à la Commission (voir, par analogie, arrêt du 19 janvier 2012, Xeda International et Pace International/Commission,
T‑71/10, non publié, EU:T:2012:18, point 69 et jurisprudence citée). Compte tenu de ces éléments, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée dans ce domaine, par rapport à l’objectif que la Commission entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure dans le cadre de l’examen, par le Tribunal, du respect du principe de proportionnalité (voir, par analogie, arrêt du 9 septembre 2020, Slovénie/Commission, T‑626/17, EU:T:2020:402, point 173).

73 C’est au regard de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner les arguments du Royaume d’Espagne.

74 Premièrement, le CIEM a expliqué dans son avis de 2021 que, en substance, l’approche en question, à savoir l’utilisation du système des « carrés C » d’une résolution de 0.05° de longitude [par] 0.05° de latitude [environ 15 km2 (3 km × 5 km) à une latitude de 60° Nord], constituait une échelle pratique pour rassembler, explorer et évaluer les données relatives aux activités de pêche dans le milieu marin (voir point 71 ci‑dessus). Il a fait référence, dans ce contexte, aux données de bathymétries
de l’EMODnet modélisées ainsi qu’aux travaux de l’Organisation des pêches de l’Atlantique du Nord-Ouest (OPANO), soulignant effectivement certaines imprécisions ou insuffisances ressortant de l’utilisation de la méthodologie des « carrés C ». Le CIEM a conclu sur ce point néanmoins que certaines variations critiquables ressortant de l’utilisation de la méthodologie en question « ne [pouvaient] pas être résolues avec les données disponibles et [nécessitaient] des modifications fondamentales de
l’appel à données du VMS du CIEM [ou] de l’analyse à échelle précise par les différents États membres de l’Union ».

75 Deuxièmement, certes, le Royaume d’Espagne soutient qu’il disposait d’informations plus précises, principalement issues des projets Indemares et Intemares, de connaissances du milieu marin pour la gestion des espaces du réseau Natura 2000 cofinancés par l’Union et des campagnes de recherche destinées à répondre aux stratégies marines. Selon lui, ces informations géoréférencées et précises auraient été communiquées à l’EMODnet qui permettait d’accéder aux données marines européennes classées en
sept disciplines (bathymétrie, biologie, chimie, géologie, activités humaines, physique et habitats du fond marin) et à la base de données OSPAR constituant un mécanisme par lequel quinze gouvernements et l’Union coopéraient afin de protéger le milieu marin de l’Atlantique Nord-Est. Selon le Royaume d’Espagne, la Commission reconnaîtrait également que la méthode fondée sur les « carrés C » ne serait pas la plus précise qui soit et ne fournirait pas de réponse concernant la différence de taille
des cellules résultant de la latitude, au détriment du Royaume d’Espagne. Enfin, selon le Royaume d’Espagne, les allégations de la Commission concernant la communication prétendument tardive des données par les États membres au CIEM n’étaient pas pertinentes. La décision unilatérale du CIEM de fonder ses avis exclusivement sur sa propre base de données concernant les EMV, en ignorant les données produites par les États membres à travers différents réseaux et infrastructures d’échange de données
de l’Union, constituerait, selon le Royaume d’Espagne, une nouvelle restriction à l’utilisation des meilleures informations scientifiques et techniques disponibles.

76 Or, ces éléments ne suffisent pas à considérer que la Commission aurait manifestement dépassé sa marge d’appréciation en utilisant la méthodologie du « carré C », c’est-à-dire celle prise en considération par le CIEM dans son avis de 2021, ou qu’elle n’aurait pas utilisé les meilleures informations scientifiques et techniques disponibles (voir points 69 et 75, in fine, ci-dessus). En effet, la Commission se fonde dans son argumentation non seulement sur le fait qu’elle était contrainte d’utiliser
les données disponibles, constituées au moyen de ladite méthodologie, mais soutient également que son approche prenait en considération les caractéristiques de la pêche de fond ainsi que la nécessité d’assurer une application uniforme du règlement de base. À cet égard, elle a fait référence à la méthode fondée sur les « carrés C », utilisée tant par les États membres pour recenser des activités de pêche que par des organisations telles que la Commission des pêches de l’Atlantique du Nord-Est
(CPANE), dont l’Union est membre, pour délimiter des interdictions de pêche liées aux EMV, semblables à celle établie par le règlement de base. En outre, le Royaume d’Espagne n’indique pas d’alternative efficace et réaliste, au regard de la nécessité d’harmoniser les approches des États membres et de mettre en œuvre de manière uniforme l’article 9, paragraphe 6, du règlement de base.

77 Il ne ressort pas non plus des méthodes proposées par le Royaume d’Espagne (voir point 75 ci-dessus) qu’elles seraient plus précises pour l’ensemble des espaces maritimes pertinents, pris en considération par le CIEM dans son avis de 2021 et par la Commission dans le règlement attaqué, notamment à la date de l’adoption de ce dernier, ou encore, qu’une ou plusieurs données concrètes, utilisées par le CIEM et par la Commission, pourraient être considérées comme rendant leur méthodologie
manifestement inappropriée sur la base des informations fournies par le Royaume d’Espagne ou en raison de la possibilité d’utiliser d’autres méthodes, telles que la « méthode Kernel » évoquée à l’audience comme étant une méthode d’estimation de densité, méthode quantitative permettant de déterminer la distribution et l’étendue de zones abritant des EMV prétendument utilisée par l’OPANO. De surcroît, il convient de relever que, contrairement à ce que soutient le Royaume d’Espagne (voir point 75
ci-dessus), le CIEM s’est notamment fondé, dans son avis de 2021, sur des données de bathymétrie tirées précisément de la base de données de l’EMODnet, mise en avant par le Royaume d’Espagne. Par ailleurs, ainsi que la Commission l’a souligné à l’audience sans être contredite par le Royaume d’Espagne, alors même que l’article 9, paragraphe 6, du règlement de base prévoyait que les États membres pouvaient élaborer une liste des zones abritant ou susceptibles d’abriter des EMV sur laquelle la
Commission pouvait se fonder (outre l’avis du CIEM), le Royaume d’Espagne ne lui a pas proposé une telle liste.

78 Partant, il convient de rejeter le second grief du Royaume d’Espagne critiquant la méthodologie utilisée dans l’avis du CIEM de 2021 basée sur l’unité « carré C » comme non fondé.

– Sur le troisième grief, relatif à l’établissement des zones de protection par l’ajout d’un « demi-carré C » aux « carrés C »

79 Selon le Royaume d’Espagne, les « carrés C » identifiant la présence d’EMV seraient complétés par des zones contiguës de sécurité correspondant à un « demi-carré C », afin d’assurer la protection des habitats situés dans la limite dudit « carré C ». Il s’agit d’une distance de sécurité qui excède, selon lui, celle recommandée dans d’autres avis antérieurs, comprise entre deux et trois fois la profondeur de la zone concernée. Or, selon le Royaume d’Espagne, ces fermetures se fondent sur des
considérations clairement associées aux engins de pêche mobiles. Il en résulterait une liste de zones conduisant, en pratique, à des fermetures beaucoup plus étendues que ce que requiert le règlement de base, ce qui violerait ses dispositions et le principe de proportionnalité. En effet, le règlement de base ne permettrait que la fermeture des zones abritant ou susceptibles d’abriter des EMV, en tenant compte de l’effet néfaste notable que les activités de pêche pourraient avoir sur lesdits
écosystèmes. En plus, la fermeture de zones tampon d’un « demi-carré C » autour de chaque « carré C » ferait échec à l’objectif visant à maintenir une activité de pêche durable et à obtenir des retombées positives économiques et sociales, ainsi qu’à celui visant à contribuer à la sécurité de l’approvisionnement alimentaire à des prix raisonnables.

80 La Commission conteste les allégations du Royaume d’Espagne.

81 À titre liminaire, il convient de relever que, s’agissant des tampons spatiaux autour des « carrés C » fermés, l’avis du CIEM de 2021 indique ce qui suit :

« Les systèmes de navigation modernes fournissent une localisation très précise des navires de pêche en mer. Toutefois, lorsque la pêche est effectuée à des profondeurs comprises entre 400 et 800 mètres, l’emplacement de l’engin de pêche peut différer sensiblement de celui du navire. Le CIEM estime qu’un tampon de la moitié d’un carré C autour de chaque carré C serait approprié pour garantir la protection des habitats d’EMV répartis en bordure du carré C. Le choix d’un tampon d’un demi-carré C
plutôt que d’une autre distance a été fait principalement pour sa facilité de mise en œuvre (CIEM, 2020b). Auparavant, le CIEM avait recommandé (CIEM, 2013) que, pour les EMV présents sur les fonds marins plats ou non, une zone tampon d’environ deux (inférieure à 500 m de profondeur) ou trois fois (supérieureà 500 m de profondeur) la profondeur locale […]. Compte tenu de la complexité de l’application de cette recommandation dans l’avis actuel, le CIEM a opté pour un tampon d’un demi-carré C
autour de chaque carré C. »

82 En l’espèce, il convient de constater que l’établissement de zones de protection était nécessaire afin d’assurer l’effet utile de l’article 9, paragraphes 6 et 9, du règlement de base et la protection efficace des EMV poursuivie par l’application combinée de ces dispositions. En effet, au regard des explications pertinentes figurant dans l’avis du CIEM de 2021, l’établissement de ces zones tampons tend à garantir, conformément au principe de précaution, la protection des habitats d’EMV qui
pourraient être adjacents aux « carrés C » et seraient donc susceptibles d’être menacés par les activités de pêche des navires qui se trouveraient à proximité desdits « carrés C », en raison de la différence probable entre l’emplacement du navire et celui de l’engin de pêche, potentiellement significative, au regard des profondeurs pertinentes (entre 400 et 800 mètres).

83 Par conséquent, bien que ces zones tampons ne contiennent pas d’indicateurs d’EMV et ne sont donc pas susceptibles d’abriter des EMV, selon les données accessibles par le CIEM et la Commission, leur établissement, en tant que partie essentielle des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV, est conforme aux objectifs de la protection desdits EMV, poursuivis par l’article 9 du règlement de base, et est nécessaire pour la mise en œuvre efficace et uniforme de celui-ci. Ainsi, le
grief du Royaume d’Espagne, selon lequel l’inclusion des zones tampons dans les zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV, établies par le règlement attaqué, violerait l’article 9, paragraphe 6, du règlement de base, ne saurait prospérer.

84 En outre, étant donné que la protection des EMV visée par l’article 9 du règlement de base concerne le risque lié à la pêche avec des engins de fond en général, le fait qu’il concerne davantage les engins mobiles que les engins dormants n’est pas de nature à exclure ou à limiter la possibilité pour la Commission d’établir de telles zones. En tout état de cause, ainsi qu’il ressort des points 135 et 138 ci-après, il ne peut être exclu que, en raison des courants d’eau ou des mouvements latéraux
lors de leur récupération, les engins dormants puissent se déplacer (ou même être perdus) accidentellement, de sorte à causer des dommages sur des EMV.

85 En ce qui concerne le grief du Royaume d’Espagne, rappelé au point 79 ci-dessus, qui porte sur la violation du principe de proportionnalité (voir, également, points 45 et 46 ci-dessus), en raison de l’étendue des zones tampons, il convient d’observer, en premier lieu, que celles-ci sont aptes à réaliser l’objectif légitime poursuivi par la réglementation concernée, qui est lié à la prévention du risque lié à la pêche avec des engins de fond, tel que rappelé au point 82 ci-dessus.

86 En second lieu, quant au caractère démesuré de ces zones par rapport à l’objectif susmentionné, compte tenu du caractère essentiellement technique de cet élément de la méthodologie suivie par la Commission, le contrôle du Tribunal se limite, conformément à la jurisprudence rappelée au point 72 ci‑dessus, à un examen du caractère manifestement disproportionné de la taille de ces zones par rapport à l’objectif de leur établissement, qui est relatif à la prévention du risque probable lié à la pêche
avec des engins de fond en général. Cependant, le Royaume d’Espagne n’a pas démontré le caractère manifestement disproportionné de la taille des zones en cause. À ce dernier égard, le seul argument concret présenté par le Royaume d’Espagne est tiré des différences qui existent dans les avis consécutifs du CIEM, quant à l’étendue des zones tampons. Il convient de le rejeter comme non fondé. En effet, ces différences semblent être liées à une méthode alternative de calcul, servant de base à la
délimitation des zones tampons. En particulier, comme cela ressort également de l’avis du CIEM de 2021 (voir point 81 ci-dessus), alors que, auparavant, la question était traitée en fonction de la profondeur que présentaient les zones abritant ou susceptibles d’abriter des EMV (avis du CIEM de 2013), par la suite, la zone de sécurité a été délimitée en référence à un « demi-carré C » additionnel principalement pour la facilité et donc l’efficacité de la mise en œuvre de ladite mesure. En tout
état de cause, la modification d’un élément de la méthodologie proposée dans les avis du CIEM n’est pas en tant que telle susceptible de démontrer que la mesure en cause irait manifestement au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

87 Dans ces circonstances, le Royaume d’Espagne n’a pas apporté suffisamment d’éléments concrets et circonstanciés, à partir desquels il serait possible de déduire que l’approche, portant sur l’option consistant à ajouter une zone tampon d’un « demi-carré C » autour de chaque « carré C », basée sur la différence, potentiellement significative, entre l’emplacement du navire et celui de l’engin de pêche, lors de la pêche effectuée à des profondeurs comprises entre 400 et 800 mètres, violait le
principe de proportionnalité.

88 Partant, le troisième grief du Royaume d’Espagne, relatif à l’établissement des zones de protection par l’ajout d’un « demi-carré C » aux « carrés C », doit être rejeté comme non fondé.

– Sur le quatrième grief, relatif à la fermeture des zones prétendument sans présence d’EMV, entre des « carrés C » identifiés comme contenant des zones abritant ou susceptibles d’abriter des EMV

89 Selon le Royaume d’Espagne s’ajouterait aux éléments qu’il critique par ses trois premiers griefs la fermeture des zones « de moins de trois carrés C » sans présence d’EMV, enfermées dans des zones fermées, au motif que des zones ouvertes « de moins de trois carrés C “ne sont pas pratiques” ». Outre l’invocation, par analogie, des arguments rappelés au point 79 ci-dessus, le Royaume d’Espagne fait plus particulièrement valoir que ces fermetures seraient fondées sur des considérations clairement
associées aux engins de pêche mobiles.

90 La Commission conteste les allégations du Royaume d’Espagne.

91 Ainsi, d’une part, les explications données par le CIEM dans l’avis de 2021 portent sur le fait qu’il était peu probable que des navires de pêche soient en mesure de pêcher efficacement dans de très petites zones sans risquer d’impacter des zones fermées adjacentes et qu’il convenait d’éviter le risque de préjudice dans les zones abritant ou susceptibles d’abriter des EMV provenant des activités de pêche effectuées dans les zones adjacentes (voir avis du CIEM de 2021, page 16). Partant, ces
considérations sont analogues à celles déjà analysées dans le contexte des zones tampons d’un « demi-carré C » et relèvent de l’objectif d’assurer un effet utile à la protection desdites zones.

92 D’autre part, dans son avis de 2021, le CIEM a également relevé que les zones enclavées en cause « étaient plus susceptibles de contenir des EMV que d’autres zones dépourvues de données, puisqu’elles étaient entourées de zones (carrés C) avec des EMV ». Il en a été déduit qu’elles pouvaient, simplement, présenter un manque de données par rapport aux EMV présents. Une telle explication quant aux raisons de la fermeture de ces zones est suffisante au regard du principe de précaution, tout en tenant
compte de la marge d’appréciation qu’avait la Commission dans ce domaine (voir point 42 ci-dessus).

93 Au vu de ce qui précède, il n’est pas établi que la Commission a violé l’article 9, paragraphe 6, du règlement de base ou le principe de proportionnalité en incluant les zones susmentionnées dans l’annexe II du règlement attaqué. Dans ces circonstances, il convient de rejeter le quatrième grief du Royaume d’Espagne.

94 Il découle de ce qui précède qu’il y a également lieu de rejeter la seconde branche du premier moyen et, par voie de conséquence, celui-ci dans son ensemble.

Sur le second moyen, tiré de l’exception d’illégalité de l’article 9, paragraphes 6 et 9, du règlement de base

Considérations liminaires sur l’exception d’illégalité

95 Dans le cadre du second moyen, le Royaume d’Espagne soulève une exception d’illégalité du règlement de base dans l’hypothèse où le premier moyen ne serait pas accueilli. Ce moyen est articulé en deux branches. La première branche est tirée de la violation de l’article 291 TFUE en ce que l’article 9, paragraphe 6, du règlement de base renvoie à un acte d’exécution pour compléter des éléments essentiels qu’il prévoit. La seconde branche est tirée de la violation des règles de la PCP et du principe
de proportionnalité du fait de l’interdiction indiscriminée de la pêche avec des engins de fond dans les zones déterminées par l’article 9, paragraphe 9, du même règlement.

96 Un lien de connexité entre le règlement attaqué et les normes dont l’illégalité est excipée existerait. D’une part, la Commission aurait adopté ledit règlement d’exécution afin de mettre en œuvre les dispositions de l’article 9 du règlement de base et, plus particulièrement, son paragraphe 6, qui lui confie l’élaboration de la liste des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV. D’autre part, l’inclusion dans ladite liste, conformément à l’article 9, paragraphe 9, de ce règlement,
emporterait interdiction de la pêche avec des engins de fond dans la zone concernée.

97 La Commission, soutenue par le Conseil et le Parlement, estime que le second moyen est irrecevable dans la mesure où il soulève une exception d’illégalité, au titre de l’article 277 TFUE, de l’article 9, paragraphe 9, du règlement de base. Or, en substance, l’article 2 du règlement attaqué serait fondé uniquement sur l’article 9, paragraphe 6, du règlement de base.

98 Il ressort de la jurisprudence que l’article 277 TFUE n’ayant pas pour but de permettre à une partie de contester l’applicabilité de quelque acte de portée générale que ce soit à la faveur d’un recours quelconque, l’acte dont l’illégalité est soulevée doit être applicable, directement ou indirectement, à l’espèce qui fait l’objet du recours (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 1966, Italie/Conseil et Commission, 32/65, EU:C:1966:42, p. 594 ; voir, également, arrêt du 16 mars 2023,
Commission/Calhau Correia de Paiva, C‑511/21 P, EU:C:2023:208, point 45 et jurisprudence citée ).

99 Par ailleurs, un lien juridique direct entre l’acte attaqué et l’acte général en question, dont l’illégalité est soulevée existe notamment lorsque l’acte général constitue la base juridique de la mesure, individuelle ou réglementaire, directement attaquée (voir, arrêt du 17 décembre 2020, BP/FRA, C‑601/19 P, non publié, EU:C:2020:1048, point 29, en ce qui concerne les mesures individuelles).

100 En l’espèce, il convient de relever qu’il n’est pas contesté que l’article 9, paragraphe 6, du règlement de base constitue la base juridique de l’article 2 du règlement attaqué, lequel s’y réfère dans ses visas, ce qui rend l’exception d’illégalité recevable à l’égard de ladite disposition, conformément à la jurisprudence citée aux points 98 et 99 ci-dessus.

101 En revanche, s’agissant de la fin de non-recevoir soulevée par la Commission ainsi que par le Conseil et le Parlement, quant à l’exception d’illégalité de l’article 9, paragraphe 9, du règlement de base, le Tribunal estime opportun d’apprécier le bien-fondé de ladite exception sans examiner la question de sa recevabilité.

Sur la première branche du second moyen, tirée de la violation de l’article 291 TFUE en ce que l’article 9, paragraphe 6, du règlement de base renverrait à un acte d’exécution pour compléter ses éléments essentiels

102 Premièrement, selon le Royaume d’Espagne, il convient de relever l’incohérence interne du règlement de base. En effet, l’article 17, paragraphes 2, 3 et 6, dudit règlement fait référence, à de multiples reprises, aux « actes délégués » visés à l’article 9, paragraphe 6, du même règlement. Il ressortirait, toutefois, de la teneur de ses considérants 13 et 14 que le règlement de base prétendait déléguer des pouvoirs à la Commission, conformément aux termes de l’article 290 TFUE, en vue de la
modification de la liste des indicateurs d’EMV figurant à l’annexe III, à laquelle fait référence l’article 9, paragraphe 7, du règlement de base. L’article 17 de ce règlement viserait l’article 9, paragraphe 7, et non le paragraphe 6, de ce même règlement. Toutefois, à défaut de modification ou de rectification, afin d’adopter l’un quelconque des actes visés à l’article 9, paragraphe 6, du règlement de base, la Commission aurait dû soumettre ledit acte à la procédure des objections du Parlement
et du Conseil, ce qu’elle n’a pas fait.

103 Deuxièmement, même en admettant que le règlement de base renvoie à un acte d’exécution, le Royaume d’Espagne estime que cette attribution de pouvoirs enfreint l’article 291, paragraphe 2, TFUE, lequel limite les actes d’exécution aux hypothèses dans lesquelles des conditions uniformes d’exécution des actes de l’Union juridiquement contraignants sont requises. En particulier, en matière de PCP, constituerait une décision politique fondamentale la décision de protéger les EMV des différentes
activités de pêche en fonction du degré de conservation souhaité et selon une pondération des intérêts représentant l’objectif primordial de la PCP, à savoir une activité de pêche durable au sein de l’Union. Selon le Royaume d’Espagne, en l’espèce, pour déterminer les zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV, la Commission a choisi l’un des différents scénarios proposés dans l’avis du CIEM de 2021, au moyen, précisément, d’une pondération entre différents degrés de protection
des écosystèmes et d’affectation concomitante des activités de pêche sans toutefois prendre en considération les différents engins de pêche existants. La Commission aurait adopté de surcroît certaines décisions concernant l’établissement de la liste desdites zones, qui mettent en évidence l’exercice de pouvoirs discrétionnaires d’appréciation, ce qui irait au-delà de l’exercice prescrit par l’article 9, paragraphe 6, du règlement de base, notamment en excluant les zones environnant les Açores,
ainsi que certaines autres zones pouvant abriter des EMV. Partant, l’article 9, paragraphe 6, du règlement de base procéderait à une attribution illicite de pouvoirs à la Commission, pour la détermination d’un élément essentiel des régimes de la protection des EMV.

104 La Commission, soutenue par le Conseil et le Parlement, conteste les allégations du Royaume d’Espagne.

105 À cet égard, en premier lieu, au regard du libellé clair de l’article 9, paragraphe 6, du règlement de base, qui renvoie à un acte d’exécution, ainsi qu’au regard des considérants 13 et 14 de ce règlement, la référence, effectuée par le Royaume d’Espagne, à l’article 17 dudit règlement, relatif à l’adoption d’actes délégués par la Commission, et à son libellé (voir point 102 ci-dessus) ne saurait mener à une constatation d’une incohérence interne du règlement de base ni, par conséquent, à celle
du bien-fondé de l’exception d’illégalité. Par ailleurs, ce dernier article a entre-temps fait l’objet d’une rectification, afin de remplacer la mention initialement erronée de l’article 9, paragraphe 6, du règlement de base par celle de l’article 9, paragraphe 7, du même règlement [rectificatif au règlement 2016/2336 (JO 2023, L 39, p. 63)].

106 En deuxième lieu, quant aux limites des compétences d’exécution mentionnées à l’article 291, paragraphe 2, TFUE, il convient de rappeler que l’adoption des règles essentielles d’une matière est réservée à la compétence du législateur de l’Union. Il s’ensuit que les dispositions établissant les éléments essentiels d’une réglementation de base, dont l’adoption nécessite d’effectuer des choix politiques relevant des responsabilités propres à ce législateur, ne sauraient être arrêtées dans des actes
d’exécution, ni d’ailleurs dans des actes délégués, visés à l’article 290 TFUE (arrêt du 28 février 2023, Fenix International, C‑695/20, EU:C:2023:127, point 41).

107 Par ailleurs, l’identification des éléments d’une matière qui doivent être qualifiés d’essentiels doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel et impose de prendre en compte les caractéristiques et les particularités du domaine concerné (arrêt du 28 février 2023, Fenix International, C‑695/20, EU:C:2023:127, point 42).

108 Les compétences d’exécution conférées à la Commission et au Conseil au titre de l’article 291, paragraphe 2, TFUE comportent, en substance, le pouvoir d’adopter des mesures qui sont nécessaires ou utiles pour la mise en œuvre uniforme des dispositions de l’acte législatif sur le fondement duquel elles sont adoptées et qui se bornent à en préciser le contenu, dans le respect des objectifs généraux essentiels poursuivis par cet acte, sans le modifier ou le compléter, en ses éléments essentiels ou
non essentiels (arrêt du 28 février 2023, Fenix International, C‑695/20, EU:C:2023:127, point 49).

109 En particulier, il convient de considérer qu’une mesure d’exécution se limite à préciser les dispositions de l’acte législatif concerné lorsqu’elle vise uniquement, de manière générale ou pour certains cas particuliers, à clarifier la portée de ces dispositions ou à en déterminer les modalités d’application, à condition cependant que, ce faisant, cette mesure évite toute contradiction par rapport aux objectifs desdites dispositions et n’altère pas, d’une quelconque manière, le contenu normatif
de cet acte ou le champ d’application de celui-ci (arrêt du 28 février 2023, Fenix International, C‑695/20, EU:C:2023:127, point 50).

110 Dans le cadre de l’analyse de l’exception d’illégalité ciblant l’article 9, paragraphe 6, du règlement de base, il est nécessaire d’examiner si ce dernier tend à l’établissement d’éléments excédant ce que prévoit la jurisprudence susmentionnée.

111 En l’espèce, il convient donc d’examiner la question de savoir si l’article 9 du règlement de base effectue un renvoi à un acte d’exécution uniquement pour préciser ses dispositions ou pour compléter ses éléments essentiels, ou même non essentiels, en violation de l’article 291 TFUE, comme le soutient le Royaume d’Espagne.

112 À l’instar de ce qu’affirme la Commission, soutenue par le Conseil et le Parlement, il convient de relever que les actes d’exécution mentionnés par l’article 9, paragraphe 6, première phrase, du règlement de base, concernant l’établissement d’une liste des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV, se limitent à préciser ces zones et donc à concrétiser ratione loci le régime de protection des EMV adopté par cet article, en tenant compte des réalités concernant les fonds et
environnements marins ressortant des données disponibles, et ce sur la base de la procédure et en application des critères matériels prévus par cet article. À cet égard, il y a lieu de rappeler, que les éléments essentiels concernant la définition et les critères d’identification d’un EMV (règlement no 734/2008, directives de la FAO de 2008 et principe de précaution), les indicateurs d’EMV (annexes III et IV du règlement de base) et la procédure d’établissement de la liste de ces écosystèmes (en
tenant compte des meilleures informations scientifiques et techniques disponibles ainsi que des évaluations et des recensements effectués par les États membres et l’organisme consultatif scientifique de la Commission) ressortent déjà de l’article 9 du règlement de base. Comme le soutient à juste titre le Conseil, pour répondre à la nécessité d’édicter des conditions uniformes de mise en œuvre des mesures de protection introduites par cet article, celles-ci devaient être établies à l’échelle de
l’Union.

113 La Commission a dressé la liste des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV, visés par l’article 9, paragraphe 6, du règlement de base, en application de critères matériels des EMV suffisamment clairs et précis et en suivant une procédure également définie par le règlement de base. Certes, ladite disposition lui a conféré une certaine marge d’appréciation quant à l’application de ces critères. Cependant, cela est compatible avec son pouvoir d’exécution, conformément à la
jurisprudence selon laquelle, dans le cadre de l’exécution du règlement de base, la Commission n’est pas dépourvue de tout pouvoir d’appréciation, notamment lors de l’établissement de la méthodologie précise quant à l’application des critères prévus par le législateur dans ledit règlement (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2015, Pays-Bas/Commission, T‑261/13 et T‑86/14, EU:T:2015:671, point 44).

114 En outre, contrairement aux allégations du Royaume d’Espagne, selon lesquelles, en substance, la Commission a procédé, en l’espèce, en effectuant des choix politiques et économiques, en raison d’attribution de pouvoirs enfreignant l’article 291 TFUE (voir arguments rappelés au point 103 ci-dessus), et comme cela a déjà été constaté dans le cadre du premier moyen, la Commission n’a pas été habilitée à effectuer de tels choix relevant de la conservation des écosystèmes marins et des ressources
(voir points 37 à 44 ci-dessus). Par ailleurs, dans la mesure où les allégations susmentionnées du Royaume d’Espagne portent sur l’action effectivement entreprise par la Commission, lors de l’adoption du règlement attaqué, elles sont inopérantes dans le cadre de l’exception d’illégalité visant le règlement de base.

115 De manière plus générale, s’agissant des arguments présentés par le Royaume d’Espagne quant aux pouvoirs de gestion de la politique de la pêche qui auraient été attribués à la Commission (voir point 103 ci-dessus), il a déjà été relevé, dans le cadre du premier moyen, que la Commission se situait bien dans le cadre de ses pouvoirs d’exécution et non de gestion de la politique de la pêche (voir, notamment, points 42 et 44 ci-dessus). Dans ce contexte, il a également été noté qu’elle pouvait
prendre en considération des éléments ayant trait aux opérations de pêche pratiquées afin d’apprécier la probabilité de l’existence (continue) d’EMV, dont l’intégrité pourrait être menacée par les engins de fond présentant des effets néfastes notables. Cette approche relève de l’objectif de prise en compte des réalités concernant les fonds et les environnements marins, ressortant des données disponibles (voir point 112 ci-dessus).

116 Dans ces circonstances, il convient de rejeter la première branche du second moyen, tirée de la violation de l’article 291 TFUE en ce que l’article 9, paragraphe 6, du règlement de base renverrait à un acte d’exécution pour compléter ses éléments essentiels, comme non fondée.

Sur la seconde branche du second moyen, tirée de la violation des règles de la PCP et du principe de proportionnalité du fait de l’interdiction indiscriminée de la pêche avec des engins de fond dans toutes les zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des EMV, ainsi que de l’insuffisance de motivation à cet égard

117 Dans le cadre de la seconde branche du second moyen, le Royaume d’Espagne avance, en substance, que l’interdiction indiscriminée instituée par l’article 9, paragraphe 9, du règlement de base serait incompatible avec les normes de la PCP et le principe de proportionnalité, parce que le législateur l’a adoptée sans opérer une distinction entre les engins de pêche en fonction de leurs incidences, en pondérant les différents objectifs de la PCP, fixés par l’article 2 du règlement no 1380/2013. Une
telle allégation peut également être interprétée comme visant à soulever une critique selon laquelle le législateur aurait manqué à son obligation de motiver le choix de la mesure en cause. Selon le Royaume d’Espagne, la disposition susvisée du règlement de base prévoirait une interdiction sans même connaître à l’avance sa concrétisation en milieu marin, liée à son impact économique et social.

118 À cet égard, le Royaume d’Espagne avance que la fermeture des zones historiques de pêche utilisant des engins dormants aurait des conséquences substantielles, tant sociales qu’économiques, sur les populations côtières de ces zones, qui fondent leur développement sur une pêche artisanale et durable. Or, le secteur n’aurait pas eu l’opportunité de produire son évaluation et ses données d’impact, incluant un déplacement de la flotte vers d’autres zones où il existe déjà une activité de pêche, en
raison de l’absence de toute consultation à cette fin. Selon le Royaume d’Espagne, s’agissant de l’estimation de la Commission, selon laquelle l’effet du règlement attaqué serait limité à 17 % des eaux auxquelles il s’appliquait, une telle fermeture de zones de pêche pourrait avoir un effet réel important, si les zones fermées étaient celles présentant des captures d’une valeur économique élevée, ce qui n’aurait pas véritablement été évalué par la Commission.

119 Dès lors, le Royaume d’Espagne soutient que l’article 9, paragraphe 9, du règlement de base, qui a été mis en œuvre par le règlement attaqué, doit être déclaré contraire aux règles de la PCP et au principe de proportionnalité.

120 La Commission, soutenue par le Conseil et par le Parlement, conteste les allégations du Royaume d’Espagne.

121 À cet égard, il convient de relever, à titre liminaire, qu’il résulte notamment de l’article 2, paragraphes 1 à 3 et paragraphe 5, sous a), f), i) et j), ainsi que de l’article 4, paragraphe 1, points 8 et 9, du règlement no 1380/2013, en substance, que la durabilité à long terme, sur le plan environnemental des activités de pêche, implique de réduire au minimum les incidences de ces activités sur l’écosystème marin, en appliquant l’approche de précaution en matière de gestion des pêches ainsi
que l’approche écosystémique.

122 En particulier, s’agissant de la durabilité, de l’approche de précaution et de l’approche écosystémique, l’article 2 du règlement no 1380/2013, intitulé « Objectifs », est ainsi libellé :

« 1.   La PCP garantit que les activités de pêche et d’aquaculture soient durables à long terme sur le plan environnemental et gérées en cohérence avec les objectifs visant à obtenir des retombées positives économiques, sociales et en matière d’emploi et à contribuer à la sécurité de l’approvisionnement alimentaire.

2.   La PCP applique l’approche de précaution en matière de gestion des pêches et vise à faire en sorte que l’exploitation des ressources biologiques vivantes de la mer rétablisse et maintienne les populations des espèces exploitées au-dessus des niveaux qui permettent d’obtenir le rendement maximal durable.

[...]

3.   La PCP met en œuvre l’approche écosystémique de la gestion des pêches afin de faire en sorte que les incidences négatives des activités de pêche sur l’écosystème marin soient réduites au minimum et vise à faire en sorte que les activités d’aquaculture et de pêche permettent d’éviter la dégradation du milieu marin.

[...] »

123 L’article 4, paragraphe 1, points 9 et 20, du règlement no 1380/2013, intitulé « Définitions », est ainsi libellé :

« 1.   Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

9) “approche écosystémique en matière de gestion des pêches”, une approche intégrée de la gestion des pêches dans des limites écologiquement rationnelles visant à gérer l’utilisation des ressources naturelles, en tenant compte de la pêche et des autres activités humaines, tout en maintenant aussi bien la richesse biologique que les processus biologiques nécessaires pour garantir la composition, la structure et le fonctionnement des habitats de l’écosystème concerné, en tenant compte des
connaissances et des incertitudes concernant les composantes biotiques, abiotiques et humaines des écosystèmes ;

[...]

20) “mesures techniques”, des mesures visant à réglementer la composition des captures par espèce et par taille, ainsi qu’à réguler les incidences des activités de pêche sur les composantes des écosystèmes, en instaurant des conditions pour l’utilisation et la structure des engins de pêche et des restrictions d’accès aux zones de pêche ;

[...] »

124 L’article 6 du règlement no 1380/2013, intitulé « Dispositions générales », relevant du titre « Mesures de conservations », prévoit à son paragraphe 1 ce qui suit :

« 1.   Aux fins de la réalisation des objectifs de la PCP en matière de conservation et d’exploitation durable des ressources biologiques de la mer énoncés à l’article 2, l’Union adopte les mesures de conservation énoncées à l’article 7. »

125 Aux termes de l’article 7 du règlement no 1380/2013, intitulé « Types de mesures de conservation » :

« 1.   Les mesures pour la conservation et l’exploitation durable des ressources biologiques de la mer peuvent inclure, entre autres :

[...]

b) des objectifs pour la conservation et l’exploitation durable des stocks et les mesures correspondantes destinées à minimiser les incidences de la pêche sur le milieu marin ;

[...]

j) des mesures techniques visées au paragraphe 2.

[...]

2.   Les mesures techniques peuvent inclure entre autres :

a) les caractéristiques des engins de pêche et les règles relatives à leur utilisation ;

[...]

c) les limitations ou les interdictions dont font l’objet l’utilisation de certains engins de pêche et les activités de pêche dans certaines zones ou durant certaines périodes ;

[...] »

126 Dans le cadre de la mise en balance des intérêts en cause, qui est inhérente à l’adoption des mesures de conservation des ressources biologiques de la mer (voir, en ce sens, arrêt du 15 avril 2021, Pays-Bas/Conseil et Parlement, C‑733/19, non publié, EU:C:2021:272, point 52), le législateur jouit d’une large marge d’appréciation, qui correspond aux responsabilités politiques que les articles 40 à 43 TFUE lui attribuent. Son choix d’adopter de telles mesures, visant à réduire au minimum les
incidences des activités de pêche sur l’écosystème marin, en appliquant l’approche de précaution en matière de gestion des pêches ainsi que l’approche écosystémique, relève d’un contrôle du juge de l’Union devant se limiter à vérifier si la mesure en cause n’est pas entachée d’erreur manifeste ou de détournement de pouvoir ou si le législateur n’a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation [voir, en ce sens, arrêt du 11 janvier 2024, Friends of the Irish Environment
(Possibilités de pêche supérieures à zéro), C‑330/22, EU:C:2024:19, point 80].

127 Plus spécifiquement, dans ledit cadre, le législateur n’est pas obligé de procéder à une pondération spécifique et motivée de l’intérêt de la protection de l’environnement marin, lié à l’exploitation durable des ressources biologiques de la mer, avec les intérêts des personnes qui mènent des activités de pêche et les aspects socio-économiques de ces activités. En effet, dans le contexte des mesures techniques, l’auteur de l’acte n’est pas tenu de prévoir une motivation spécifique pour son choix
si l’acte contesté fait ressortir l’essentiel de l’objectif poursuivi [arrêt du 16 novembre 2023, Espagne/Conseil (Mesures de conservation complémentaires en Méditerranée occidentale), C‑224/22, non publié, EU:C:2023:891, points 36 et 44]. Dans la mesure où le Royaume d’Espagne semble alléguer, en soulignant que le législateur n’a pas opéré de distinction entre les engins de pêche en fonction de leurs incidences (voir point 117 ci-dessus), que celui-ci aurait manqué à son obligation de motiver
le choix de la mesure en cause, en évaluant spécifiquement les incidences des engins de fond dormants sur les EMV, afin de pondérer l’intérêt de la protection de l’environnement marin contre ces effets avec les aspects socio-économiques des activités de pêche au moyen desdits engins et les conséquences socio-économiques de l’interdiction en cause, ce grief doit être rejeté.

128 En effet, d’une part, il y a lieu de relever que le considérant 1 du règlement de base fait référence au principe de précaution et à l’approche écosystémique.

129 D’autre part, ainsi qu’il ressort du considérant 9 du règlement de base, la mesure prévue à l’article 9, paragraphe 9, de ce règlement vise précisément à réduire au minimum les répercussions possibles des activités de pêche menées en eau profonde sur les EMV. Partant, il s’agit bien d’une mesure relevant du cadre de la mise en œuvre des approches fondamentales énoncées par l’article 2, paragraphes 2 et 3, du règlement no 1380/2013, à laquelle les considérations figurant aux points 126 et 127
ci-dessus sont applicables.

130 Cependant, le Royaume d’Espagne n’est pas parvenu à démontrer que le législateur a manifestement dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation, en adoptant l’interdiction prévue par l’article 9, paragraphe 9, du règlement de base.

131 Premièrement, ainsi qu’il ressort de l’article 9, paragraphe 1, du règlement de base, celui-ci ne s’applique qu’aux opérations de pêche utilisant des engins de fond à une profondeur supérieure à 400 mètres. Par conséquent, l’interdiction visée à l’article 9, paragraphe 9, de ce règlement ne s’applique pas à la pêche avec lesdits engins à une profondeur inférieure ou égale à 400 mètres.

132 Deuxièmement, les considérations du législateur, selon lesquelles les engins dormants sont susceptibles d’avoir des effets néfastes sur les EMV, sont inhérentes à la définition prévue à l’article 2 du règlement no 734/2008, auquel renvoie l’article 4 du règlement de base (voir points 25 à 29 ci-dessus). Le Royaume d’Espagne ne conteste pas la légalité de ces dispositions, qui sont d’ailleurs cohérentes avec l’approche adoptée par la CPANE dans sa recommandation 19:2014 du 23 juin 2014
[Recommendation on area management measures for the protection of vulnerable marine ecosystems in the NEAFC Regulatory Area (Recommandation sur les mesures de gestion des zones établies pour la protection des EMV dans la zone de réglementation de la convention CPANE)].

133 Troisièmement, il convient de constater que le Royaume d’Espagne n’apporte aucun élément de nature à remettre en cause la possibilité que les engins dormants puissent également présenter des risques d’effets néfastes sur les EMV, en particulier lors de leur déploiement répété et de leur récupération. L’existence possible de tels risques est, en outre, mentionnée dans le document intitulé « Atelier sur la gestion des stocks d’eau profonde », daté du 7 décembre 2007, du département thématique des
politiques structurelles et de cohésion du Parlement, auquel ce dernier renvoie dans ses écritures et qui indique que « les engins traînants, mais aussi les filets dormants et les palangres, peuvent en effet être préjudiciables aux coraux d’eau froide » et que « [l]es filets perdus au fond de la mer continueraient notamment à capturer des poissons, un effet connu sous le nom de “pêche fantôme” ». Cette possibilité est, d’ailleurs, également confirmée dans un premier avis du CIEM du 28 juin 2018
[Advice on locations and likely locations of [vulnerable marine ecosystems] in EU waters of the NE Atlantic, and the fishing footprint of 2009–2011 (Conseils sur les emplacements et les emplacements potentiels des EMV dans les eaux de l’Union européenne de l’Atlantique du Nord-Est et sur l’empreinte de pêche 2009-2011)]. En fait, le Royaume d’Espagne avance plutôt que lesdits effets sont beaucoup moins importants que ceux des engins mobiles, toutefois, sans que l’un des éléments de preuve qu’il
présente devant le Tribunal ne démontre une absence complète d’effet néfaste des engins dormants (voir point 138 ci-après).

134 Ainsi, notamment, l’article de Pham, Ch. K., Diogo, H., Menezes, G., Porteiro, F., Braga-Henriques, A., Vandeperre, F., et Morato, T., « Deep-water longline fishing has reduced impact on Vulnerable Marine Ecosystems » (La pêche à la palangre en eau profonde a un impact réduit sur les écosystèmes marins vulnérables), Scientific reports, no 4/4837, avril 2014, faisant l’objet de l’annexe 5 à la requête, admet un certain effet néfaste des engins dormants (longlines, palangres), tout en soulignant,
d’une part, que ce risque est bien moindre en comparaison de celui des engins mobiles et, d’autre part, que les données existantes sur les palangres sont limitées. Il est, de surcroît, constaté que l’impact des palangres pouvait concerner en particulier des organismes présentant une morphologie complexe, avec des effets déstabilisants sur l’écosystème concerné.

135 Des indications similaires quant aux possibles effets négatifs liés à des engins dormants sont présentes dans d’autres éléments de preuve, tels que l’article de Parker, S. J., « Identifying taxonomic groups vulnerable to bottom longline fishing gear in the Ross Sea region » (Identification des groupes taxonomiques vulnérables aux engins de pêche à la palangre de fond dans la région de la mer de Ross), CCAMLR Science, vol. 17, 2010, p. 105 à 127, ou l’article de Clark, M. R., Althaus, F.,
Schlacher, T. A., Williams, A., Bowden, D. A., et Rowden, A. A., « The impacts of deep-sea fisheries on benthic communities : a review » (Les impacts de la pêche en haute mer sur les communautés benthiques : un rapport), ICES Journal of Marine Science, vol. 73, 2016, p. i51 à i69, selon lequel « les études récentes portant sur les palangres démontrent que leur impact est moindre par rapport aux engins mobiles, [mais qu’il peut] néanmoins, toujours être significatif ». Selon ce même article,
« dans certaines circonstances, par exemple lors de la récupération, les engins [dormants] peuvent se déplacer latéralement le long des fonds marins, ce qui a des effets sur l’habitat et le biote » et « [i]l a été observé que les palangres ont un impact sur les coraux et les éponges, par exemple en ce que les ballasts les brisent ou que les lignes les coupent lors des déplacements latéraux pendant la pêche ou la récupération ».

136 Enfin, des éléments similaires ressortent des présentations effectuées lors d’une audition sur la pêche en eau profonde qui s’est tenue devant le Parlement, le 17 juin 2013, et à laquelle celui-ci fait référence dans ses écritures. Ainsi que cela est indiqué, Mme L. D., du Fisheries Ecosystems Advisory Services (Marine Institute) (Service de consultation en écosystèmes marins, Institut Marin), a déclaré en conclusion de sa présentation que les palangres de fond pouvaient également avoir un
impact sur les EMV. Une conclusion identique ressort de la présentation de Morato, T., et Pham, Ch. K., intitulée « The impact of deep-water longline on epibenthic invertebrates » (L’impact de la pêche palangrière en eaux profondes sur les invertébrés épibenthiques), produite par le Parlement.

137 De surcroît, ainsi qu’il ressort de la définition figurant à l’article 2 du règlement no 734/2008, les effets néfastes des engins de fond sont évalués individuellement, en combinaison ou de manière cumulative. Partant, les effets des engins dormants peuvent aggraver ceux des engins mobiles, dont l’importance n’est d’ailleurs pas contestée par le Royaume d’Espagne. Cette approche permet la protection des EMV de manière compatible avec le principe de précaution et l’approche écosystémique en
matière de gestion des pêches, qui font partie intégrante de la PCP, en vertu de l’article 2 du règlement no 1380/2013.

138 Ainsi, le Royaume d’Espagne n’a pas apporté d’éléments de preuve suffisamment précis et convaincants de nature à établir que les engins dormants étaient dépourvus d’effets néfastes, de sorte qu’il soit possible, dans une approche écosystémique et en application du principe de précaution, d’exclure le risque, établi à suffisance de droit par les éléments indiqués aux points 134 à 137 ci-dessus, que ces engins de pêche présentent par rapport aux EMV. Ne sauraient pas non plus être considérées
comme étant concluantes à cet égard les références effectuées à l’audience au fait que les engins dormants, et plus particulièrement encore les palangres, soient fixes et qu’ils soient pourvus de dispositifs de géolocalisation. En effet, comme cela est constaté au point 135 et 136 ci-dessus, il ne peut être exclu que, en raison des courants d’eau ou des mouvements latéraux lors de leur récupération, ils puissent se déplacer (ou même être perdus) accidentellement, de sorte à causer des dommages
sur des EMV, du fait de leur contact avec le fond marin ou avec des récifs qui peuvent être particulièrement sensibles (voir points 133 et 134 ci‑dessus).

139 Au vu de ce qui précède, le législateur de l’Union, en exerçant son large pouvoir d’appréciation en la matière (voir, par analogie, arrêt du 23 mars 2006, Unitymark et North Sea Fishermen’s Organisation, C‑535/03, EU:C:2006:193, point 57), pouvait considérer comme nécessaire pour éviter le risque des effets nuisibles des engins dormants, malgré les effets négatifs socio-économiques probables, l’interdiction de la pêche avec des engins de fond en général dans les zones abritant ou susceptibles
d’abriter des EMV. Dans ce cadre, comme cela est constaté au point 127 ci-dessus, le législateur n’était pas obligé de procéder à une pondération spécifique et motivée de l’intérêt de la protection de l’environnement marin avec les intérêts des personnes qui mènent des activités de pêche et les aspects socio-économiques de ces activités. À cet égard, il convient de rappeler que l’objectif de la durabilité à long terme sur le plan environnemental des activités de pêche constitue un objectif
fondamental de la PCP [article 2, paragraphe 1, du règlement no 1380/2013], dont la réalisation sert non seulement à la protection de l’écosystème marin, mais également à la viabilité, à long terme, sur les plans économique et social, des activités de pêche.

140 Il convient d’ajouter que, ainsi que la Commission l’a soutenu à l’audience et comme cela ressort également des allégations du Conseil et du Parlement, le législateur a agi en tenant compte de l’analyse d’impact préparée par la Commission à partir de plusieurs options ressortant de sa proposition initiale, dont l’une correspondait à celle finalement retenue par celui-ci. L’ensemble de ces éléments a été pris en considération par le législateur dans le cadre de l’exercice de son pouvoir
d’appréciation lors de l’adoption des mesures de conservation.

141 Quatrièmement, ainsi que le fait valoir le Parlement, le choix du législateur était semblable à celui relevant de la réglementation de la CPANE. L’approche du législateur correspondait également, en substance, à l’objectif prévu au paragraphe 83, sous c), de la résolution 61/105 de l’Assemblée générale des Nations unies.

142 Il convient de conclure que le Royaume d’Espagne n’a pas apporté d’éléments permettant d’établir que le législateur aurait violé le principe de proportionnalité, les règles de la PCP ou une prétendue obligation de motivation spécifique aux choix opérés, en interdisant la pêche avec les engins de fond dormants, à une profondeur supérieure à 400 mètres, dans les zones recensées comme abritant ou susceptibles d’abriter des EMV, afin de réduire au minimum les répercussions des activités de pêche
menées en eau profonde sur les EMV, dans le cadre de l’application du principe de précaution et de la mise en œuvre de l’approche écosystémique de la gestion des pêches.

143 Dans ces circonstances, sans qu’il soit nécessaire d’examiner sa recevabilité, il y a lieu de rejeter la seconde branche du second moyen et, partant, le second moyen. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble.

Sur les dépens

144 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Royaume d’Espagne ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

145 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs propres dépens. Partant, le Parlement et le Conseil supporteront leurs propres dépens.

  Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre élargie)

déclare et arrête :

  1) Le recours est rejeté.

  2) Le Royaume d’Espagne supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

  3) Le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne supporteront leurs propres dépens.

Papasavvas

Kowalik-Bańczyk

Buttigieg

  Dimitrakopoulos

Ricziová

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 juin 2025.

Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.


Synthèse
Formation : Septième chambre élargie
Numéro d'arrêt : T-681/22
Date de la décision : 11/06/2025

Analyses

Politique commune de la pêche – Article 9 du règlement (UE) 2016/2336 – Règlement d’exécution (UE) 2022/1614 – Méthodes et critères de détermination des zones qui abritent ou sont susceptibles d’abriter des écosystèmes marins vulnérables – Établissement d’une liste des zones où la présence d’écosystèmes marins vulnérables est avérée ou probable – Établissement de zones de protection – Exception d’illégalité – Proportionnalité.


Parties
Demandeurs : Royaume d'Espagne
Défendeurs : Commission européenne.

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2025:590

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