ARRÊT DU TRIBUNAL (grande chambre)
11Â septembre 2024Â ( *1 )
« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inscription du nom des requérants sur la liste – Obligation de déclaration des fonds ou des ressources économiques qui appartiennent aux requérants ou qu’ils possèdent,
détiennent ou contrôlent – Obligation de coopération avec l’autorité nationale compétente – Participation à des activités ayant pour objet ou pour effet de contourner les mesures restrictives – Article 9, paragraphes 2 et 3, du règlement (UE) no 269/2014 – Recours en annulation – Qualité pour agir – Affectation directe – Acte réglementaire ne comportant pas de mesure d’exécution – Intérêt à agir – Recevabilité – Détournement de pouvoir – Compétence du Conseil – Proportionnalité – Sécurité
juridique »
Dans l’affaire T‑644/22,
Gennady Nikolayevich Timchenko, demeurant à Genève (Suisse),
Elena Petrovna Timchenko, demeurant à Genève,
représentés par Mes S. Bonifassi, E. Fedorova, T. Bontinck, A. Guillerme, L. Burguin et J. Bastien, avocats,
parties requérantes,
contre
Conseil de l’Union européenne, représenté par M. M. Bishop, en qualité d’agent, assisté de Mes B. Maingain et A. Vandevelde, avocats,
partie défenderesse,
soutenu par
Commission européenne, représentée par MM. H. Krämer, C. Giolito, Mmes M. Carpus Carcea et L. Puccio, en qualité d’agents,
partie intervenante,
LE TRIBUNAL (grande chambre),
composé de MM. M. van der Woude, président, S. Papasavvas, D. Spielmann, Mmes M. J. Costeira, K. Kowalik‑Bańczyk, MM. S. Gervasoni, L. Madise, Mmes N. Półtorak, M. Brkan, MM. I. Gâlea, I. Dimitrakopoulos, D. Kukovec, Mme S. Kingston, MM. T. Tóth (rapporteur) et S. L. Kalėda, juges,
greffier : Mme H. Eriksson, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 11 janvier 2024,
rend le présent
Arrêt
1 Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérants, M. Gennady Nikolayevich Timchenko et Mme Elena Petrovna Timchenko, demandent, en substance, l’annulation de l’article 1er, point 4, du règlement (UE) 2022/1273 du Conseil, du 21 juillet 2022, modifiant le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 194, p. 1, ci-après le « règlement
attaqué »), en ce qu’il modifie l’article 9 du règlement (UE) no 269/2014 du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6), en y insérant des obligations de déclaration des fonds et de coopération avec les autorités compétentes à cet égard (article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié) et en assimilant le non-respect de
ces obligations à un contournement des mesures de gel des fonds (article 9, paragraphe 3, du règlement no 269/2014, tel que modifié) (ci-après les « dispositions attaquées »).
Antécédents du litige
2 M. Timchenko est un homme d’affaires, marié à Mme Timchenko. Les requérants sont, tous deux, de nationalités russe et finlandaise.
3 En mars 2014, la Fédération de Russie a annexé la République autonome de Crimée ainsi que la ville de Sébastopol et mène depuis lors des actions de déstabilisation continues dans l’est de l’Ukraine. Des mouvements séparatistes prorusses sont parallèlement entrés en conflit armé avec le gouvernement ukrainien dans les régions de Donetsk et de Lougansk.
4 Le 17 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement notamment de l’article 29 TUE, la décision (PESC) 2014/145 du Conseil, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16). Le même jour, il a adopté, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement no 269/2014. Dans les jours suivants, les forces armées russes ont entrepris des opérations de
guerre dans l’ensemble de l’Ukraine, opérations qui se poursuivent à ce jour.
5 Le 21 février 2022, le président de la Fédération de Russie a signé un décret reconnaissant l’indépendance et la souveraineté de la « République populaire de Donetsk » et de la « République populaire de Lougansk », autoproclamées, et a ordonné le déploiement des forces armées russes dans ces zones.
6 Le 22 février 2022, le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (ci-après le « haut représentant ») a publié une déclaration au nom de l’Union condamnant ces actions, dès lors qu’elles constituaient une violation grave du droit international. Il a annoncé que l’Union réagirait à ces dernières violations par la Fédération de Russie en adoptant de toute urgence des mesures restrictives supplémentaires.
7 Dans ce contexte, le Conseil a adopté plusieurs séries de mesures restrictives. Les noms des requérants ont été ajoutés, respectivement, en ce qui concerne M. Timchenko, le 28 février 2022,par l’adoption de la décision (PESC) 2022/337 du Conseil, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 59, p. 1), et du règlement d’exécution (UE)
2022/336 du Conseil, mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 58, p. 1), et, en ce qui concerne Mme Timchenko, le 8 avril 2022, par l’adoption de la décision (PESC) 2022/582 du Conseil, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 110, p. 55), et du règlement d’exécution (UE) 2022/581 du Conseil, mettant en œuvre le
règlement no 269/2014 (JO 2022, L 110, p. 3), puis ont été successivement maintenus sur les listes des personnes, des entités et des organismes faisant l’objet de mesures restrictives qui figuraient à l’annexe de la décision 2014/145 et à l’annexe I du règlement no 269/2014. Ces mesures restrictives ont fait l’objet de recours en annulation devant le Tribunal (affaires T‑252/22, Timchenko/Conseil et T‑361/22, Timchenko/Conseil).
8 À la date de l’adoption des actes mentionnés au point 7 ci-dessus, l’article 2 du règlement no 269/2014 disposait ce qui suit :
« 1.   Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes physiques ou morales, entités ou organismes, ou aux personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui leur sont associés, énumérés à l’annexe I, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes physiques ou morales, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.
2.   Aucun fonds ni aucune ressource économique ne sont mis, directement ou indirectement, à la disposition des personnes physiques ou morales, entités ou organismes, ou des personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui leur sont associés, énumérés à l’annexe I, ni dégagés à leur profit. »
9 L’article 8, paragraphe 1, de ce règlement énonçait ce qui suit :
« 1.   Sans préjudice des règles applicables en matière de communication d’informations, de confidentialité et de secret professionnel, les personnes physiques et morales, les entités et les organismes :
a) fournissent immédiatement toute information susceptible de faciliter le respect du présent règlement, notamment les informations concernant les comptes et montants gelés en vertu de l’article 2, à l’autorité compétente de l’État membre dans lequel ils résident ou sont établis et transmettent cette information à la Commission, directement ou par l’intermédiaire de l’État membre ; et
b) coopèrent avec l’autorité compétente aux fins de toute vérification de cette information. »
10 L’article 9 dudit règlement prévoyait qu’« [i]l [était] interdit de participer sciemment et volontairement à des activités ayant pour objet ou pour effet de contourner les mesures énoncées à l’article 2 ».
11 L’article 15 de ce même règlement disposait ce qui suit :
« 1.   Les États membres arrêtent le régime des sanctions à appliquer en cas d’infraction aux dispositions du présent règlement et prennent toutes les mesures nécessaires pour en garantir la mise en œuvre. Les sanctions prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives.
2.   Les États membres notifient le régime visé au paragraphe 1 à la Commission sans délai après l’entrée en vigueur du présent règlement et lui notifient toute modification ultérieure de ce régime. »
12 Le 3 juin 2022, le Conseil a adopté le règlement (UE) 2022/880, modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 153, p. 75), considérant notamment qu’il y avait lieu de préciser et de renforcer les dispositions relatives aux sanctions nationales infligées en cas de violation des mesures prévues dans ledit règlement (deuxième considérant du règlement 2022/880).
13 L’article 15, paragraphe 1, du règlement no 269/2014 a ainsi été modifié comme suit :
« Les États membres arrêtent le régime des sanctions, y compris des sanctions pénales le cas échéant, à appliquer en cas d’infractions aux dispositions du présent règlement et prennent toutes les mesures nécessaires pour en garantir la mise en œuvre. Les sanctions prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. Les États membres prévoient également des mesures appropriées de confiscation des produits de ces infractions. »
14 Le 21 juillet 2022, le Conseil a adopté, sur le fondement notamment de l’article 29 TUE, la décision (PESC) 2022/1272, modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 193, p. 219). Par cette décision, il a introduit de nouvelles dérogations au gel des avoirs et à l’interdiction de mettre des fonds et des ressources économiques à la disposition de personnes et d’entités désignées.
15 Le même jour, le règlement attaqué a été adopté, notamment, sur le fondement de l’article 215 TFUE. Ce règlement précise, dans son cinquième considérant, que :
« Afin d’assurer une mise en œuvre efficace et uniforme du règlement (UE) no 269/2014, et compte tenu de la complexité croissante des systèmes permettant d’échapper aux sanctions, qui empêchent cette mise en œuvre, il est nécessaire d’obliger les personnes et entités désignées détenant des avoirs relevant de la juridiction d’un État membre à les déclarer et à coopérer avec l’autorité compétente pour la vérification de ces déclarations. Il convient également de renforcer les dispositions relatives
aux obligations de déclaration incombant aux opérateurs de l’Union européenne, en vue de prévenir la violation et le contournement du gel des avoirs. Le non-respect de cette obligation constituerait un contournement du gel des avoirs et serait passible de sanctions pour autant que les conditions pour imposer de telles sanctions soient remplies en vertu des règles et procédures nationales applicables. »
16 Le règlement attaqué a modifié le règlement no 269/2014 en prévoyant, dans son article 1er, points 1 à  3, les dérogations prévues par la décision 2022/1272. Dans son article 1er, point 4, ce règlement prévoit que l’article 9 du règlement no 269/2014 est remplacé par le texte suivant :
« Article 9
1.   Il est interdit de participer, sciemment et volontairement, à des activités ayant pour objet ou pour effet de contourner les mesures visées à l’article 2.
2.   Les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes inscrits sur la liste figurant à l’annexe I :
a) déclarent avant le 1er septembre 2022 ou dans un délai de six semaines à compter de la date de l’inscription sur la liste figurant à l’annexe I, la date la plus tardive étant retenue, les fonds ou ressources économiques relevant de la juridiction d’un État membre qui leur appartiennent ou qu’ils possèdent, détiennent ou contrôlent, à l’autorité compétente de l’État membre dans lequel se trouvent ces fonds ou ressources économiques ; et
b) coopèrent avec l’autorité compétente aux fins de toute vérification de cette information.
3.   Le non-respect du paragraphe 2 est considéré comme une participation, telle que visée au paragraphe 1, à des activités ayant pour objet ou pour effet de contourner les mesures visées à l’article 2.
[...] »
Conclusions des parties
17 Les requérants demandent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler l’article 9, paragraphes 2 et 3, du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement attaqué ;
– condamner le Conseil aux dépens.
18 Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner les requérants aux dépens.
19 La Commission européenne conclut au rejet du recours comme étant irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme étant non fondé.
En droit
Sur la recevabilité du recours
20 Le Conseil, soutenu par la Commission, soulève l’irrecevabilité du recours au motif que les requérants n’ont pas intérêt à agir, ni qualité pour agir en annulation des dispositions attaquées, ce que contestent les requérants.
21 S’agissant du défaut de qualité pour agir, qu’il convient d’analyser en premier lieu, le Conseil, soutenu par la Commission, fait valoir que les dispositions attaquées ne satisfont pas aux conditions prévues par l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.
22 À cet effet, le Conseil indique, notamment et en substance, que les requérants ne prouvent pas que les dispositions attaquées ne feraient pas l’objet de mesures d’exécution.
23 Les requérants contestent ces arguments.
24 Aux termes de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas, un recours contre les actes dont elle est le destinataire (premier membre de phrase) ou qui la concernent directement et individuellement (deuxième membre de phrase) ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution (troisième membre de phrase).
25 La condition de l’affectation directe est commune aux deuxième et troisième membres de phrase de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE et, selon la jurisprudence, cette condition revêt la même signification dans chacun de ces membres de phrase (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil, C‑348/20 P, EU:C:2022:548, point 73). Selon une jurisprudence constante, la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par la
mesure faisant l’objet du recours requiert la réunion de deux critères cumulatifs, à savoir que la mesure contestée, d’une part, produise directement des effets sur la situation juridique de cette personne et, d’autre part, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de la mettre en œuvre, cette mise en œuvre ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires [voir arrêt du 22 juin 2021,
Venezuela/Conseil (Affectation d’un État tiers), C‑872/19 P, EU:C:2021:507, point 61 et jurisprudence citée ; arrêt du 13 septembre 2018, Rosneft e.a./Conseil, T‑715/14, non publié, EU:T:2018:544, point 65].
26 En outre, selon la jurisprudence constante de la Cour, l’expression « qui ne comportent pas de mesures d’exécution », au sens de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE, doit être interprétée à la lumière de l’objectif de cette disposition qui consiste, ainsi qu’il ressort de sa genèse, à éviter qu’un particulier soit contraint d’enfreindre le droit pour pouvoir accéder à un juge. Or, lorsqu’un acte réglementaire produit directement des effets sur la situation juridique
d’une personne physique ou morale sans requérir des mesures d’exécution, cette dernière risque d’être dépourvue d’une protection juridictionnelle effective si elle ne dispose pas d’une voie de recours devant le juge de l’Union aux fins de mettre en cause la légalité de cet acte réglementaire. En effet, en l’absence de mesures d’exécution, une personne physique ou morale, bien que directement concernée par l’acte en question, ne serait en mesure d’obtenir un contrôle juridictionnel de cet acte
qu’après avoir violé les dispositions dudit acte en se prévalant de l’illégalité de celles-ci dans le cadre des procédures ouvertes à son égard devant les juridictions nationales (arrêts du 19 décembre 2013, Telefónica/Commission, C‑274/12 P, EU:C:2013:852, point 27, et du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci, C‑622/16 P à  C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 58). La Cour a, par ailleurs, itérativement
jugé que, aux fins d’apprécier si un acte réglementaire comportait des mesures d’exécution, il y avait lieu de s’attacher à la position de la personne invoquant le droit de recours au titre de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE (voir arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci, C‑622/16 P à  C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 61 et jurisprudence citée).
27 En l’espèce, les dispositions attaquées présentent un caractère réglementaire au sens de l’article 263, quatrième alinéa, dernier membre de phrase, TFUE en ce qu’elles ont une portée générale et en ce qu’elles ont été adoptées sur le fondement de l’article 215 TFUE, conformément à la procédure non législative prévue à cette disposition [voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2021, Venezuela/Conseil (Affectation d’un État tiers), C‑872/19 P, EU:C:2021:507, point 92].
28 En outre, les dispositions attaquées concernent les personnes physiques ou morales, entités ou organismes inscrits sur la liste figurant à l’annexe I du règlement no 269/2014, tel que modifié.
29 Or, lors de l’introduction de leur recours, les noms des requérants figuraient dans cette annexe I, depuis l’adoption du règlement d’exécution 2022/336 en ce qui concerne M. Timchenko, et du règlement d’exécution 2022/581 en ce qui concerne Mme Timchenko (voir point 7 ci-dessus).
30 Dès lors, depuis le 21 juillet 2022, date d’entrée en vigueur du règlement attaqué, les requérants sont soumis aux obligations en cause, à savoir l’obligation qu’ils ont de déclarer leurs fonds ou ressources économiques avant le 1er septembre 2022 et l’obligation de coopérer avec les autorités nationales compétentes, en application de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié. De plus, en application de l’article 9, paragraphe 3, de ce même règlement, le non-respect
desdites obligations est qualifié de participation à des activités ayant pour objet ou pour effet de contourner les mesures restrictives de gels des fonds.
31 Force est ainsi de constater que les dispositions attaquées affectent directement les requérants, dès lors qu’elles produisent directement des effets sur leur situation juridique. En effet, les obligations de déclaration et de coopération, ainsi que les effets de leur non-respect, s’appliquent aux requérants en tant que personnes inscrites sur la liste figurant en annexe I du règlement no 269/2014 au moment de l’entrée en vigueur desdites dispositions. En outre, l’application de ces dispositions
à l’égard des requérants ne nécessite l’adoption d’aucune mesure d’exécution au niveau de l’Union ou des États membres, ce qui a été admis par le Conseil lors de l’audience, et ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de sa mise en œuvre, de sorte qu’elles affectent de façon purement automatique la situation juridique des requérants.
32 Il s’ensuit que les dispositions attaquées constituent des actes réglementaires qui concernent directement les requérants et qui ne comportent pas de mesures d’exécution au sens de la jurisprudence applicable.
33 La référence du Conseil à l’arrêt du 28 janvier 2016, Azarov/Conseil (T‑332/14, non publié, EU:T:2016:48, points 59 et 60), et la solution d’irrecevabilité pour défaut d’affectation directe du requérant retenue dans cet arrêt n’infirment pas ce constat. En effet, dans ledit arrêt, le recours était dirigé notamment contre des actes qui modifiaient les critères de désignation pour le gel des fonds visant les personnes responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien. Il a été
jugé irrecevable en ce qu’il était dirigé contre lesdits actes, dès lors que, en substance, ces actes ne comportaient des effets juridiques qu’à l’égard de catégories de personnes et d’entités envisagées de manière générale et abstraite et ne concernaient ni individuellement ni directement le requérant dans cette affaire.
34 En l’espèce, en revanche, les dispositions attaquées produisent directement et immédiatement des effets sur la situation juridique des requérants, sans requérir l’adoption de mesures d’exécution par les autorités chargées de mettre en œuvre lesdites obligations. Les requérants risqueraient ainsi d’être dépourvus d’une protection juridictionnelle effective s’ils ne disposaient pas d’une voie de recours devant le juge de l’Union aux fins de mettre en cause la légalité desdites dispositions.
35 Partant, les requérants ont qualité pour agir en annulation à l’encontre des dispositions attaquées.
36 S’agissant, en second lieu, du défaut d’intérêt à agir, le Conseil fait valoir que les requérants ne justifient pas d’un tel intérêt, dès lors qu’ils se sont acquittés de leur obligation de déclaration auprès des autorités nationales compétentes. Quant à l’argument des requérants selon lequel ils ne sont pas à l’abri de sanctions de la part des autorités nationales, le Conseil indique qu’ils se prévalent d’une situation future et hypothétique.
37 Les requérants contestent cette argumentation.
38 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la recevabilité d’un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale est subordonnée à la condition que cette dernière ait un intérêt à voir annuler l’acte attaqué. Un tel intérêt suppose que l’annulation de cet acte soit susceptible, par elle-même, d’avoir des conséquences juridiques et que le recours puisse ainsi, par son résultat, procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir, en ce sens,
arrêt du 27 février 2014, Stichting Woonlinie e.a./Commission, C‑133/12 P, EU:C:2014:105, point 54 et jurisprudence citée, et ordonnance du 18 janvier 2023, Seifert/Conseil, T‑166/22, non publiée, EU:T:2023:13, point 22 et jurisprudence citée). L’intérêt à agir d’une partie requérante doit être né et actuel et ne peut concerner une situation future et hypothétique (voir arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 56 et jurisprudence citée).
39 En l’espèce indépendamment du fait que les requérants ou d’autres personnes aient ou non déclaré ou gelé les fonds ou ressources économiques en cause et, le cas échéant, coopéré avec les autorités compétentes, les requérants conservent un intérêt à obtenir l’annulation des dispositions attaquées, qui leur imposent des obligations de déclaration et de coopération dont le non-respect peut entraîner de lourdes conséquences pour eux. En effet, l’intérêt à agir ne disparaît pas au motif que la partie
requérante a exécuté les obligations qu’elle conteste (voir, en ce sens, arrêts du 19 septembre 1985, Hoogovens Groep/Commission, 172/83 et 226/83, EU:C:1985:355, point 19, et du 15 décembre 1999, Kesko/Commission, T‑22/97, EU:T:1999:327, points 55 à  65), ni même au motif qu’elles ont été exécutées par un tiers (voir, en ce sens, arrêt du 6 mars 1979, Simmenthal/Commission, 92/78, EU:C:1979:53, point 32). Par conséquent, l’intérêt à agir des requérants reste établi sans qu’ils aient à démontrer
qu’ils ont enfreint leurs obligations.
40 En outre, il est constant que respecter l’obligation de déclaration n’entraîne pas l’extinction de toutes les obligations prescrites par cet article. En effet, une fois les fonds ou ressources économiques déclarés auprès de l’autorité nationale compétente, l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié, oblige les personnes qui ont déclaré les fonds ou ressources économiques qu’elles possèdent, détiennent ou contrôlent, à coopérer avec cette autorité nationale aux fins de
toute vérification. Il en résulte que les requérants conservent un intérêt né et actuel à agir à l’encontre des dispositions de l’article 9, paragraphe 2, du règlement n° 269/20124, tel que modifié.
41 Quant aux dispositions de l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 269/2014, tel que modifié, la qualification de participation à un contournement des mesures restrictives qu’elles prévoient est consubstantielle aux obligations prévues par l’article 9, paragraphe 2, de ce règlement, de sorte que les requérants justifient d’un intérêt né et actuel à agir à l’encontre de ces dispositions.
42 Eu égard aux éléments mentionnés aux points 39 à  41 ci-dessus, il y a lieu de conclure que les requérants justifient d’un intérêt né et actuel à agir à l’encontre des dispositions attaquées et que, partant, le présent recours est recevable.
Sur le fond
43 Les requérants soulèvent quatre moyens, tirés, le premier, d’un défaut de base légale, le deuxième d’un détournement de pouvoir, le troisième, d’une violation du principe de proportionnalité et, le quatrième, d’une violation du principe de sécurité juridique.
Sur le premier moyen, tiré d’un défaut de base légale
44 Le premier moyen s’articule en deux branches, tirées, la première, d’une violation des articles 24, 29 et 40 TUE et, la seconde, d’une violation de l’article 40 TUE et de l’article 83, paragraphe 1, TFUE.
– Sur la première branche du premier moyen, tirée d’une violation des articles 24, 29 et 40 TUE
45 Par la première branche du premier moyen, les requérants font valoir que, en adoptant l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement attaqué, le Conseil a excédé les compétences qui lui étaient dévolues en vertu de l’article 215, paragraphe 2, TFUE et a ainsi violé l’article 24, paragraphe 2, TUE, et les articles 29 et 40 TUE.
46 À cet effet, en premier lieu, les requérants affirment que, dès lors que la décision 2014/145 ne prévoit pas les obligations de déclaration et de coopération prévues par l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié, ces obligations ne constituent pas des mesures nécessaires pour donner effet à la décision 2014/145. De telles obligations ne sauraient en conséquence être considérées comme étant des mesures de « mise en œuvre » de cette décision.
47 Ils ajoutent que ces obligations de déclaration et de coopération ne sauraient non plus être considérées comme étant de simples « modalités » des mesures restrictives. En effet, lesdites obligations s’ajouteraient aux mesures restrictives pour les mettre en œuvre ou les exécuter et leur violation serait considérée comme étant une participation à un contournement, en vertu de l’article 9, paragraphe 3, de ce règlement, ce que ne prévoiraient pas les autres régimes de mesures restrictives.
48 En particulier, les requérants indiquent que, sur la base de l’article 29 TUE, rien ne justifie l’adoption par le Conseil de ces obligations, alors que, antérieurement au règlement attaqué, l’article 8 du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement (UE) no 476/2014 du Conseil, du 12 mai 2014 (JO 2014, L 137, p. 1), prévoyait déjà des obligations de déclaration et de coopération, lesquelles étaient moins strictes en termes de délais et de sanctions.
49 En second lieu, les requérants indiquent ne pas nier que, certes, le Conseil dispose, en vertu de l’article 26 TUE d’une compétence en matière de mise en œuvre de la politique étrangère et de sécurité commune (ci-après la « PESC »). Les requérants ajoutent que, contrairement à l’affirmation du Conseil, l’article 2, paragraphe 2, TFUE ne confère pas pour autant à cette institution une compétence pour adopter des mesures d’exécution des mesures restrictives, alors même que l’article 24,
paragraphe 2, TUE prévoit que l’exécution de la PESC est, notamment, dévolue aux États membres. Ils en concluent que, en adoptant les obligations contestées, le Conseil a violé la clé de répartition des compétences déterminée par l’article 40 TUE, dans la mesure où il n’appartient pas à cette institution de décider de la manière dont les mesures restrictives seront exécutées sur le territoire des États membres.
50 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste cette argumentation.
51 Il convient de rappeler que, aux termes de l’article 24, paragraphe 1, deuxième alinéa, TUE, la PESC est soumise à des règles et procédures spécifiques et est « définie et mise en œuvre par le Conseil européen et le Conseil, qui statuent à l’unanimité, sauf dans les cas où les traités en disposent autrement ». En outre, cette politique est exécutée par le haut représentant et par les États membres, conformément aux traités. En application de l’article 29 TUE, le Conseil « adopte des décisions qui
définissent la position de l’Union sur une question particulière de nature géographique ou thématique ».
52 Les mesures restrictives sont adoptées, dans le cadre de la PESC, par une décision du Conseil prise à l’unanimité sur le fondement de l’article 29 TUE et leur mise en œuvre s’effectue, dans le cadre du traité FUE, par le biais d’un règlement adopté, en application de l’article 215 TFUE, par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, sur proposition conjointe du haut représentant et de la Commission. D’une part, l’article 215, paragraphe 1, TFUE vise l’adoption par le Conseil des mesures
nécessaires à l’interruption ou la réduction, en tout ou en partie, des relations économiques et financières avec un ou plusieurs pays tiers prévue par une décision adoptée conformément au chapitre 2 du titre V du traité UE. D’autre part, selon l’article 215, paragraphe 2, TFUE, lorsqu’une décision adoptée conformément au chapitre 2 du titre V du traité UE le prévoit, le Conseil peut adopter des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales, de groupes ou d’entités non
étatiques.
53 Selon la jurisprudence, il ressort des articles 24 et 29 TUE que, en règle générale, le Conseil a vocation à définir, dans les décisions prises en matière de PESC et en statuant à l’unanimité, l’objet des mesures restrictives que l’Union adopte dans le domaine de la PESC. Compte tenu de la vaste étendue des buts et des objectifs de la PESC, tels qu’exprimés à l’article 3, paragraphe 5, TUE et à l’article 21 TUE ainsi qu’aux dispositions spécifiques relatives à la PESC, notamment aux articles 23
et 24 TUE, le Conseil dispose d’une grande latitude en définissant cet objet (arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 88).
54 Quant à l’article 215 TFUE, qui établit une passerelle entre les objectifs du traité UE en matière de PESC et les actions de l’Union comportant des mesures économiques relevant du traité FUE (voir, en ce sens, arrêt du 19 juillet 2012, Parlement/Conseil, C‑130/10, EU:C:2012:472, point 59), il permet l’adoption de règlements par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition conjointe du haut représentant et de la Commission, pour mettre en œuvre ou donner effet à des mesures
restrictives lorsque celles‑ci relèvent du champ d’application du traité FUE, ainsi que, notamment, afin d’en garantir l’application uniforme dans tous les États membres (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, points 89 et 90).
55 Ainsi, les décisions adoptées sur le fondement de l’article 29 TUE arrêtent la position de l’Union en ce qui concerne les mesures restrictives à adopter, tandis que les règlements pris sur la base de l’article 215 TFUE se rattachent, au regard de leurs objectifs et de leur contenu, auxdites décisions et constituent l’instrument pour leur donner effet à l’échelle de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 19 juillet 2012, Parlement/Conseil, C‑130/10, EU:C:2012:472, points 72 et 76, et du 28 mars
2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 90).
56 En l’espèce, les dispositions attaquées ont été adoptées sur le fondement de l’article 215 TFUE, et, plus précisément, de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, comme le reconnaissent d’ailleurs les parties principales.
57 Il y a lieu de rappeler que, selon le cinquième considérant du règlement attaqué, les dispositions attaquées ont été adoptées afin de remédier « [...] [à ] la complexité croissante des systèmes [qui] permett[ent] d’échapper aux sanctions [et] qui empêchent [la] mise en œuvre [des mesures restrictives] ». Dès lors, pour assurer la mise en œuvre efficace et uniforme de ce règlement, le Conseil a souligné la nécessité « d’obliger les personnes et entités désignées détenant des avoirs relevant de la
juridiction d’un État membre à les déclarer et à coopérer avec l’autorité compétente pour la vérification de ces déclarations ».
58 À cet égard, le Conseil a souligné, d’une part, que, en comparaison avec les régimes de mesures restrictives mis en œuvre eu égard à la situation existant dans d’autres pays, le nombre de personnes visées par les mesures restrictives adoptées dans le cadre du régime relatif à la situation en Ukraine n’avait jamais été aussi important et, d’autre part, que ces mesures restrictives avaient fait l’objet de contournement, voire de violations, pour éviter leur application effective. Au surplus, ainsi
qu’il ressort des débats lors de l’audience, l’adoption des obligations en cause apparaissait d’autant plus justifiée que, auparavant, peu d’États membres avaient adopté des dispositions nationales prévoyant de telles obligations, notamment l’obligation de déclaration des fonds ou ressources économiques possédés, détenus ou contrôlés.
59 Il en résulte que les obligations de déclaration et de coopération ont, en l’espèce, été instituées pour garantir l’application uniforme du règlement no 269/2014 sur le territoire de l’Union et mettre en échec les stratégies de contournement des mesures restrictives, rendues possibles, notamment, par le recours à des systèmes juridiques et financiers complexes.
60 Ainsi, dès lors que les mesures prévues par l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié, se rattachent à la décision 2014/145, en ce qu’elles sont de nature à assurer, à l’échelle de l’Union, la mise en œuvre efficace et uniforme des mesures restrictives prévues par cette décision, il convient de rejeter l’argument des requérants selon lequel elles violent l’article 215, paragraphe 2, TFUE, au motif qu’elles ne seraient pas nécessaires et qu’elles ne pourraient être
adoptées sans figurer dans une décision du Conseil se fondant sur l’article 29 TUE.
61 Pour les mêmes raisons que celles mentionnées aux points 57 à  60 ci-dessus, dès lors que les dispositions de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié, étaient de nature à assurer à l’échelle de l’Union une application uniforme des obligations que ces dispositions prévoient et, en conséquence, la mise en œuvre efficace et uniforme de la décision 2014/145, il y a lieu de rejeter l’argument des requérants selon lequel ces obligations relèveraient de la compétence
d’exécution des États membres et caractériseraient l’existence d’une violation de l’article 24, paragraphe 2, TUE. En outre, dès lors que l’article 40 TUE ne concerne pas la répartition des compétences entre l’Union et ses États membres, les requérants ne sauraient faire valoir que l’adoption des obligations litigieuses violerait cette disposition au motif qu’elle relèverait de la compétence d’exécution des États membres.
62 De même, contrairement à ce que font valoir les requérants, la seule référence faite aux mesures restrictives par l’article 215, paragraphe 2, TFUE n’a pas pour conséquence de limiter les mesures prévues par ladite disposition à des obligations de ne pas faire. En effet, ainsi qu’il a été rappelé au point 54 ci-dessus, cette disposition a pour objet de permettre au Conseil de mettre en œuvre une décision adoptée en matière de PESC, afin d’en garantir l’application uniforme dans tous les États
membres.
63 Or, en l’espèce, dès lors que les obligations prévues par l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié, ont pour objet d’assurer l’efficacité des mesures de gel des fonds prévues par la décision 2014/145 et de les mettre en œuvre, il y a lieu de considérer que le Conseil pouvait, sur la base de l’article 215, paragraphe 2, TFUE et sans violer l’article 29 TUE, adopter de telles obligations par un règlement de l’Union, indépendamment du fait que ces obligations n’étaient
pas expressément prévues dans la décision s’y rapportant.
64 Enfin, il y a lieu de relever que, certes, antérieurement à l’adoption de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié, l’article 8 du règlement no 269/2014, mentionné au point 9 ci-dessus, prévoyait déjà une obligation de déclaration. Toutefois, cet article se réfère aux obligations de confidentialité et de secret professionnel auxquelles seraient tenus les personnes physiques ou morales ainsi que les entités et organismes, donc principalement les opérateurs économiques
chargés d’assurer la mise en œuvre des mesures de gel des fonds et non les personnes inscrites sur la liste des mesures restrictives. Cela est d’ailleurs confirmé par le fait que ledit article 8 n’utilise pas la formulation employée dans ce règlement pour désigner les personnes faisant l’objet de mesures restrictives, à savoir les « personnes énumérées à l’annexe I [dudit] règlement ». Ainsi, dès lors que l’article 8 du règlement no 269/2014 n’avait pas vocation à s’appliquer aux personnes
faisant l’objet de mesures restrictives, qui sont pourtant les plus à même de renseigner les autorités nationales compétentes sur la consistance de leur patrimoine, dans le contexte rappelé aux points 57 à  60 ci-dessus, l’argument des requérants selon lequel, en substance, l’adoption de l’article 9, paragraphe 2, du règlement était injustifiée doit être rejeté.
65 Il résulte ainsi des points 56 à  64 ci-dessus que, dès lors que les dispositions de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié, relèvent du pouvoir de mise en œuvre d’une décision adoptée en matière de PESC, le Conseil a pu les adopter sur la base d’un règlement de l’Union pris au titre de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, indépendamment du fait que les obligations en cause soient des obligations de faire mises à la charge des requérants et qu’elles n’étaient pas
prévues par une décision adoptée sur le fondement de l’article 29 TUE.
66 Il convient, en conséquence, de rejeter la première branche du premier moyen.
– Sur la seconde branche du premier moyen, tirée d’une violation de l’article 40 TUE et de l’article 83, paragraphe 1, TFUE
67 Par la seconde branche du premier moyen, les requérants font, en substance, valoir que, en adoptant l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 269/2014, tel que modifié, le Conseil a violé l’article 40 TUE ainsi que l’article 83, paragraphe 1, TFUE.
68 À cet effet, ils affirment que, en prévoyant, à l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement attaqué, que le non-respect de l’obligation de déclaration est considéré comme une participation à des activités ayant pour objet ou pour effet de contourner les mesures restrictives et en modifiant l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/880, le Conseil s’est substitué aux États membres pour décider de la manière
selon laquelle les mesures restrictives seraient mises en œuvre et sanctionnées sur le territoire des États membres, notamment en les obligeant à prévoir des mesures de confiscation.
69 Ils soulignent que, en application de l’article 83 TFUE, le Conseil n’est pas compétent pour harmoniser, au niveau de l’Union, les sanctions applicables en cas de violation de mesures restrictives adoptées dans le domaine de la PESC, dès lors que seules des directives, adoptées selon la procédure législative ordinaire, peuvent établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans le domaine concerné.
70 Une telle analyse serait d’ailleurs confirmée par le fait que, au niveau de l’Union, la directive 2014/42/UE du Parlement et du Conseil, du 3 avril 2014, concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne (JO 2014, L 127, p. 39), harmonise déjà la confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union.
71 De plus, postérieurement à l’adoption des dispositions attaquées, le Conseil aurait, le 28 novembre 2022, adopté la décision (UE) 2022/2332, relative à l’identification de la violation des mesures restrictives de l’Union en tant que domaine de criminalité qui remplit les critères visés à l’article 83, paragraphe 1, [TFUE] (JO 2022, L 308, p. 18). Dans cette décision, le Conseil aurait décidé que la violation des mesures restrictives était un domaine de criminalité au sens de l’article 83,
paragraphe 1, deuxième alinéa, TFUE. Ce serait sur la base de cette décision que la Commission aurait, le 2 décembre 2022, adopté une proposition de directive relative à la définition des infractions pénales et des sanctions applicables en cas de violation des mesures restrictives de l’Union [COM(2022) 684 final], aux termes de laquelle le rapprochement des définitions et des sanctions pénales ne pourrait se faire sur la base juridique de l’article 215 TFUE.
72 Quant à l’argumentation du Conseil selon laquelle il ne serait pas possible de contester le régime des sanctions applicables, au motif que l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/880, ne fait pas l’objet du présent recours et que les requérants seraient ainsi hors délai pour contester ces dispositions, ces derniers font valoir qu’il n’ont été en mesure de contester cet article qu’une fois que les dispositions attaquées avaient été adoptées. Ils
indiquent que, en tout état de cause, ils contestent ledit article 15, paragraphe 1, du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/880, par voie d’exception d’illégalité.
73 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste cette argumentation.
74 S’agissant, en premier lieu, de l’exception d’illégalité soulevée par les requérants à l’encontre de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/880, pour être recevable, une telle exception doit concerner des dispositions qui constituent la base juridique de l’acte attaqué ou qui entretiennent un lien juridique direct avec cet acte (voir, en ce sens, arrêts du 8 septembre 2020, Commission et Conseil/Carreras Sequeros e.a., C‑119/19 P et C‑126/19 P,
EU:C:2020:676, point 69 et jurisprudence citée, et du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 33 et jurisprudence citée).
75 Or, en l’espèce, outre le fait que l’exception d’illégalité n’a été soulevée qu’au stade de la réplique, il y a lieu de constater que les dispositions de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/880, ne constituent pas la base juridique de l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 269/2014. Ces premières dispositions n’entretiennent pas non plus un lien juridique direct avec ces secondes dispositions, dès lors que les premières ont vocation Ã
s’appliquer de manière générale aux sanctions applicables en cas d’infraction audit règlement et non spécifiquement aux secondes. Il s’ensuit que l’exception d’illégalité doit être rejetée comme irrecevable.
76 S’agissant, en second lieu, de la question de savoir si les dispositions de l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement attaqué, lu conjointement avec l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/880, seraient de nature à créer une incrimination de nature pénale et, ainsi, à violer l’article 83, paragraphe 1, TFUE, il y a lieu de relever d’emblée que l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 269/2014, tel
que modifié, se borne à qualifier le non-respect des obligations de déclaration et de coopération, prévues par l’article 9, paragraphe 2, de ce même règlement, de participation à un contournement, au sens de l’article 9, paragraphe 1, de ce règlement.
77 Or, force est de constater que la qualification de participation à des activités de contournement, telle que prévue par l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 269/2014, tel que modifié, ne saurait, en tant que telle, être considérée comme constituant une incrimination de nature pénale.
78 Quant à l’argument des requérants selon lequel les dispositions de l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement attaqué, interprétées à la lumière des dispositions de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/880, constitueraient une incrimination de nature pénale du fait des sanctions pénales prévues par ces secondes dispositions, il y a lieu de relever que l’article 15, paragraphe 1, du règlement
no 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/880, laisse aux États membres le soin d’arrêter le régime des sanctions, « y compris des sanctions pénales le cas échéant ».
79 Or, l’emploi d’une telle formulation implique que la détermination de la nature des sanctions applicables aux infractions au règlement no 269/2014 ressort de la compétence des autorités nationales et donc du droit national, y compris en cas d’application de la sanction de confiscation du produit des infractions (voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2020,  Agro In 2001 , C‑234/18, EU:C:2020:221, points 60 et 61).
80 À cet égard, il y a lieu de relever que, s’agissant spécifiquement de l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 269/2014, tel que modifié, la compétence conférée aux États membres pour déterminer la nature civile, administrative ou pénale des sanctions est confirmée par la dernière phrase du cinquième considérant du règlement attaqué, selon laquelle, en substance, le contournement des mesures restrictives, prévu par l’article 9, paragraphe 3, de ce règlement, serait passible de sanctions « pour
autant que les conditions pour imposer de telles sanctions soient remplies en vertu des règles et procédures nationales applicables ».
81 Il résulte ainsi des points 79 et 80 ci-dessus que les dispositions de l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 269/2014, tel que modifié, ne sauraient être considérées comme constituant une incrimination de nature pénale et partant, comme ayant été adoptées en violation de l’article 83 TFUE.
82 Une telle conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument des requérants selon lequel l’adoption, par la Commission, de la proposition de directive, mentionnée au point 71 ci-dessus, confirmerait la nature pénale des dispositions de l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 269/2014, tel que modifié.
83 En effet, il y a lieu de relever que les dispositions de cette proposition de directive, laquelle, conformément à l’article 83, paragraphe 1, troisième alinéa, TFUE, a nécessité, préalablement à son adoption, une décision du Conseil identifiant un nouveau domaine de criminalité, prévoyaient d’obliger les autorités nationales à introduire des règles minimales relatives à la définition des infractions et des sanctions pénales en cas de non-respect des obligations de déclaration et de coopération
prévues par des mesures restrictives. Or, pour les raisons déjà mentionnées aux points 76 à  80 ci-dessus, force est de constater que tel n’est pas le cas des dispositions de l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 269/2014, tel que modifié.
84 Enfin, il convient de relever que tant l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 269/2014, tel que modifié, que l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/880, laissent aux autorités nationales la compétence pour déterminer la nature pénale, civile ou administrative attachée à l’infraction de participation à des activités de contournement et aux sanctions attachées à cette infraction. Il en résulte que, pour les mêmes raisons que celles
mentionnées aux points 51 à  55 ci-dessus, lesdites dispositions pouvaient être adoptées par le Conseil sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE et qu’il ne saurait être reproché au Conseil de s’être indûment substitué aux États membres dans l’exercice de leur compétence législative.
85 En outre, dès lors que le régime juridique applicable aux obligations litigieuses et aux sanctions applicables en cas d’infraction ne relève pas de la matière pénale, il ne saurait être reproché au Conseil d’avoir violé l’article 83 TFUE, de sorte que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, le Conseil n’a également pas violé l’article 40 TUE. Partant, il convient d’écarter la seconde branche du premier moyen et le premier moyen dans son intégralité.
Sur le deuxième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir
86 Par leur deuxième moyen, les requérants font valoir, en substance, que, en incitant les États membres à sanctionner le non-respect des obligations prévues par l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié, par une peine de confiscation, le Conseil a commis un détournement de pouvoir.
87 En effet, selon les requérants, il s’agirait désormais non plus uniquement de geler les fonds, mais de les confisquer, comme le confirment les déclarations du président du Conseil européen, du haut représentant, de la présidente de la Commission ainsi que les conclusions du Conseil européen des 20 et 21 octobre 2022. En procédant ainsi, alors que les mesures restrictives produisent, en pratique, des effets similaires à ceux des autres régimes de sanctions, le Conseil essayerait de dénaturer les
mesures de gel des fonds en organisant leur confiscation qui serait déléguée aux États membres.
88 Les requérants font également valoir que l’adoption ultérieure de la décision 2022/2332, qui a ajouté à la liste des infractions prévues à l’article 83, paragraphe 1, TFUE la violation des mesures restrictives, ainsi que l’adoption, par la Commission, de la proposition de directive, relative à la définition des infractions pénales et des sanctions applicables en cas de violation des mesures restrictives de l’Union, sont de nature à confirmer l’existence d’un détournement de pouvoir.
89 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste cette argumentation.
90 Selon une jurisprudence constante, un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été pris dans le but exclusif, ou à tout le moins déterminant, d’atteindre des fins autres que celles excipées ou d’éluder une procédure spécialement prévue par le traité pour parer aux circonstances de l’espèce (voir arrêt du 23 octobre 2008, People’s Mojahedin Organization of Iran/Conseil, T‑256/07, EU:T:2008:461, point 151 et
jurisprudence citée).
91 En l’espèce, en premier lieu, il y a lieu de relever que, ainsi que cela résulte des points 76 à  83 ci-dessus, les dispositions attaquées ne sont pas de nature pénale et mettent en œuvre les mesures de gel des fonds uniformément sur le territoire de l’Union. Cela implique que les requérants ne sauraient utilement invoquer un détournement de pouvoir en ce qui concerne l’adoption de ces dispositions par la voie d’un règlement du Conseil, régulièrement adopté sur la base de l’article 215,
paragraphe 2, TFUE.
92 En second lieu, force est de constater que les éléments mentionnés aux points 56 à  64 ci-dessus mettent en évidence que les déclarations dont se prévalent les requérants ne constituent pas la cause exclusive, sinon déterminante, de l’adoption des mesures contestées. Il en résulte que les conditions rappelées au point 90 ci-dessus ne sont pas réunies.
93 Ainsi et dès lors que les dispositions attaquées ont été adoptées conformément à la procédure prévue à cet effet et non pas, comme l’affirment les requérants, dans l’unique but de confisquer les avoirs gelés en application des mesures restrictives, il ne saurait être reproché au Conseil d’avoir commis un détournement de pouvoir.
94 Il en résulte que le deuxième moyen doit être rejeté.
Sur le troisième moyen, relatif à la violation du principe de proportionnalité
95 Par leur troisième moyen, les requérants font valoir que l’obligation de déclaration imposée par l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié, n’est pas apte à réaliser les objectifs poursuivis par la réglementation concernée et excède ce qui est nécessaire pour les atteindre, dans des circonstances où le Conseil n’établit pas que le régime des mesures restrictives institué par la décision 2014/145 nécessite l’adoption d’une obligation de déclaration de la part des
personnes qui en font l’objet.
96 À cet égard, les requérants soulignent que le Conseil ne rapporte pas la preuve des difficultés rencontrées dans la mise en œuvre du règlement no 269/2014 dont fait état le cinquième considérant du règlement attaqué.
97 Ils ajoutent que l’introduction de ces dispositions est d’autant plus disproportionnée au regard des objectifs poursuivis par la réglementation que le non-respect des obligations de déclaration et de coopération est, en vertu de l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 269/2014, tel que modifié, considéré comme constituant un contournement des mesures restrictives. Ainsi, par cette disposition, il existe un risque que soit considéré comme constituant un contournement tout oubli de déclaration
d’un bien, indépendamment du caractère involontaire de l’absence de déclaration, ce qui serait de nature à instituer une présomption irréfragable de contournement, contraire au principe du droit à un recours effectif.
98 Selon les requérants, cela pose d’autant plus problème qu’il est fortement probable que le législateur national, encouragé par le Conseil, assortira l’infraction de contournement des mesures restrictives de sanctions pénales, mais aussi, éventuellement, d’une sanction de confiscation, laquelle aura non seulement un caractère « manifestement disproportionné », mais également pour effet d’ôter aux mesures restrictives leur caractère conservatoire et préventif.
99 Les requérants font enfin valoir que le délai prévu pour déclarer leurs biens, en l’espèce le 1er septembre 2022, leur a laissé à peine 41 jours pour accomplir une telle démarche. Or, eu égard à la complexité liée à l’imprécision des notions utilisées pour déterminer l’obligation de déclaration et aux modalités de déclaration qui sont différentes selon chacune des autorités concernées par la déclaration, un tel délai était insuffisant et excédait le principe de proportionnalité.
100 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste cette argumentation.
101 Il y a lieu de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre (arrêts du 13 mars 2012, Melli Bank/Conseil, C‑380/09 P, EU:C:2012:137, point 52, et du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716,
point 56).
102 S’agissant, d’abord, de l’argument selon lequel le Conseil n’aurait pas démontré l’existence de la complexité croissante des systèmes permettant d’échapper aux sanctions, il y a lieu de rappeler que le Conseil a adopté les dispositions attaquées dans le cadre du pouvoir d’appréciation qui lui est reconnu et les a fondées, ainsi que cela ressort du cinquième considérant du règlement attaqué, en vue de mettre en échec le recours à des montages juridiques et financiers complexes qui sont de nature
à rendre sinon plus aisé le contournement de mesures, du moins plus difficile l’identification par les autorités nationales compétentes des fonds ou ressources économiques faisant l’objet de mesures restrictives au titre de la décision 2014/145. Or, la poursuite d’un tel objectif, que le Conseil ne saurait être tenu de justifier par la production d’éléments de preuve, justifie la nécessité de faire peser sur les personnes faisant l’objet de mesures restrictives au titre de cette décision les
obligations de déclaration et de coopération prévues par l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié. Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter ce premier argument.
103 S’agissant, ensuite, de l’argument des requérants selon lequel l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 269/2014, tel que modifié, aurait institué une présomption irréfragable de participation à des activités de contournement des mesures restrictives, il y a lieu de relever que les dispositions de cet article se réfèrent à l’article 9, paragraphe 1, de ce règlement pour définir la nature de la participation à une activité de contournement. Or, dès lors que ces dernières dispositions prévoient
que, pour que soit constituée la participation à des activités de contournement, cette participation doit être faite « sciemment et volontairement », l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 269/2014, tel que modifié, doit s’interpréter comme n’ayant vocation à s’appliquer que pour autant que le non-respect des obligations prévues par l’article 9, paragraphe 2, de ce règlement est intervenu « sciemment et volontairement ». Dès lors, une éventuelle omission involontaire de déclarer certains
fonds ou ressources économiques ne constitue pas une infraction passible de sanctions. Cela est ainsi de nature à exclure toute institution d’une présomption irréfragable de contournement des mesures par ces dispositions. Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter cet argument.
104 S’agissant de l’allégation selon laquelle, en substance, les dispositions attaquées amèneraient les autorités nationales à sanctionner systématiquement par la peine de confiscation toute infraction aux obligations de déclaration et de coopération, telles que prévues par l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement attaqué, et, ainsi, à modifier la nature des mesures restrictives, il y a lieu de constater que, en se référant à l’article 15, paragraphe 1,
du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/880, à des « mesures appropriées » de confiscation des produits des infractions au règlement no 269/2014, le Conseil a laissé une marge d’appréciation aux autorités nationales quant à la définition, à la nature et à la portée de cette confiscation. De plus, la sanction de confiscation du produit des infractions, en ce qu’elle est uniquement susceptible de s’appliquer en cas de non-respect des obligations prévues par l’article 9,
paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement attaqué, ne saurait se confondre avec les mesures restrictives en tant que telles, lesquelles conservent leur caractère conservatoire et temporaire. En tout état de cause, force est de constater que l’objet de la confiscation, telle que prévu par l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/880, en ce qu’il s’applique seulement aux « produits [des] infractions », diffère de
l’objet des mesures restrictives, qui porte sur les fonds et ressources économiques tels que déterminés par l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 269/2014. Il en résulte qu’il convient de rejeter les arguments des requérants tendant à faire constater que les sanctions assortissant le contournement mentionné à l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement attaqué, modifieraient la nature des mesures restrictives et seraient manifestement
disproportionnées.
105 S’agissant du délai de 41 jours donné aux requérants pour déclarer leurs fonds ou ressources économiques, que ces derniers jugent trop court, il ne paraît pas être d’une brièveté telle qu’il aurait mis les personnes concernées par les mesures de gel des fonds dans l’impossibilité de déclarer utilement leurs fonds ou ressources économiques aux autorités nationales compétentes. En effet, il est constant que ce sont les personnes concernées par les mesures restrictives qui sont les plus à même de
connaître la composition de leur patrimoine. De plus, le fait que les requérants ont, en l’espèce, eu à déclarer à quatre autorités nationales compétentes différentes et dans un délai de 41 jours les fonds et ressources économiques qu’ils détiennent, possèdent ou contrôlent n’apparaît pas constituer un délai excessivement court. D’ailleurs, les requérants reconnaissent eux-mêmes avoir satisfait en temps voulu à cette obligation et ils n’allèguent pas non plus que les autorités nationales
compétentes aient relevé à leur égard des défaillances commises à l’occasion de l’exécution de cette obligation.
106 Enfin, pour autant que les requérants mentionnent dans la réplique une atteinte disproportionnée à leur droit de propriété et à leur droit à la vie privée, il y a lieu de relever que ces arguments ne sont pas étayés. De tels arguments doivent dès lors être écartés, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur leur recevabilité.
107 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de rejeter le troisième moyen.
Sur le quatrième moyen, tiré de la violation du principe de sécurité juridique
108 Par leur quatrième moyen, les requérants font valoir que l’obligation de déclaration prévue par l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié, est fondée sur les notions de propriété et de contrôle et enfreint le principe de sécurité juridique.
109 En premier lieu, ces deux notions seraient caractérisées par leur très grande complexité. Cela exposerait les requérants au risque d’être sanctionnés pour absence de déclaration, en cas d’interprétation divergente de ces notions avec celles données par chacune des autorités nationales compétentes. Le flou entourant ces deux notions expliquerait d’ailleurs la raison pour laquelle le Conseil a éprouvé le besoin de recourir à un guide pratique ainsi qu’à une conférence pour préciser leur sens. Une
telle pratique serait inédite, s’agissant de dispositions susceptibles d’être sanctionnées sur un plan pénal.
110 À cet égard et en réponse aux arguments de la Commission, selon laquelle les requérants seraient libres de signaler aux autorités compétentes les éventuelles difficultés qu’ils éprouvent dans l’application des dispositions qui leur sont applicables, ces derniers font valoir que leur rôle n’est pas de prévenir les erreurs commises par l’administration, pas plus que d’exercer des recours juridictionnels pour remédier à l’atteinte au droit de propriété dont ils font l’objet.
111 En deuxième lieu, les requérants font valoir que l’article 9 du règlement no 269/2014, tel que modifié, enfreint le principe de sécurité juridique au motif que ses dispositions ne prévoient pas les modalités selon lesquelles la déclaration concernée doit être effectuée devant les autorités compétentes de chacun des États membres. Selon les requérants, l’absence d’un tel dispositif se traduit par une très grande diversité des pratiques administratives au sein de l’Union et, en conséquence, par
une soumission des personnes faisant l’objet des mesures de gel des fonds à l’arbitraire de chacune des administrations concernées.
112 En troisième lieu, les requérants font valoir que rien ne leur permettait de supposer que le Conseil pouvait, à court ou à moyen terme, leur imposer une telle obligation de déclaration et que le délai qui leur a été imparti pour remplir cette obligation, en l’espèce 41 jours, était manifestement insuffisant.
113 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste cette argumentation.
114 Il y a lieu de rappeler que le principe de sécurité juridique implique que la législation de l’Union soit claire et précise et que son application soit prévisible pour tous ceux qui sont concernés (arrêt du 5 mars 2015, Europäisch-Iranische Handelsbank/Conseil, C‑585/13 P, EU:C:2015:145, point 93 ; voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 42).
115 En ce qui concerne, en premier lieu, l’allégation selon laquelle les notions de propriété et de contrôle ne seraient pas suffisamment explicites, à tel point que le Conseil aurait été obligé de définir les contours de ces notions grâce au recours à un guide pratique et à une conférence, il y a lieu de relever d’emblée que les termes utilisés par l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié, renvoient aux notions d’appartenance, de possession, de détention ou de contrôle.
116 À cet égard, dès lors que le règlement no 269/2014 se réfère à ces notions sans opérer de renvoi aux droits nationaux pour les définir, lesdites notions doivent être considérées comme des notions autonomes du droit de l’Union, qui doivent être interprétées de manière uniforme sur le territoire de cette dernière [voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2021, Venezuela/Conseil (Affectation d’un État tiers), C‑872/19 P, EU:C:2021:507, point 42 et jurisprudence citée]. De plus, conformément à une
jurisprudence constante, il y a lieu de tenir compte du libellé et du contexte de ladite disposition ainsi que des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2012, Melli Bank/Conseil, C‑380/09 P, EU:C:2012:137, point 38 et jurisprudence citée).
117 Or, il n’apparaît pas que le recours aux notions d’appartenance, de détention, de possession ou de contrôle dans les dispositions de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié, souffre d’une ambigüité telle qu’elle ne permettrait pas aux personnes faisant l’objet de mesures de gel des fonds de pouvoir lever avec une certitude suffisante des éventuels doutes sur la portée ou le sens de ces notions.
118 En effet, il y a lieu de considérer que, par l’emploi de telles notions, le Conseil a désigné, notamment, le droit de disposer ou de faire usage des fonds ou ressources économiques, tels que définis à l’article 1er, sous d) et g), du règlement no 269/2014.
119 En particulier, quant à la notion de contrôle et de détention, il y a lieu de relever que, s’agissant de sociétés et dans le contexte spécifique des mesures restrictives, il a déjà été jugé qu’une société pouvait être qualifiée de « société détenue ou contrôlée par une autre entité », lorsqu’elle se trouvait dans une situation où cette autre entité était en mesure d’influencer ses choix, même en l’absence de tout lien juridique, de propriété ou de participation dans le capital, entre l’une et
l’autre de ces deux entités économiques (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2019, HTTS/Conseil, C‑123/18 P, EU:C:2019:694, point 75).
120 Les interprétations mentionnées aux points 118 et 119 ci-dessus correspondent au contexte dans lequel les dispositions de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié, ont été adoptées. En effet, l’objectif du Conseil est d’exercer sur les personnes et entités faisant l’objet de mesures restrictives une pression qui se répercute sur les autorités russes et qui vise, notamment, à accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité
territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.
121 Enfin, il y a lieu de relever que le fait que le Conseil ait organisé une conférence ou ait eu recours à un guide des bonnes pratiques destiné aux autorités nationales, aux fins de préciser les notions utilisées dans le domaine des mesures restrictives, n’est pas en soi de nature à caractériser l’existence d’une incertitude juridique relative à l’emploi de telles notions.
122 Il résulte ainsi des points 115 à  121 ci-dessus que la référence faite par l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié, aux notions d’appartenance, de possession, de détention ou de contrôle des fonds ou des ressources économiques permet d’appréhender de manière suffisamment claire et compréhensible ce que recouvrent de telles notions.
123 S’agissant, en deuxième lieu, des incertitudes relatives aux pratiques divergentes des autorités nationales en ce qui concerne les modalités de déclaration, il y a lieu de relever que les données permettant d’identifier chacune des autorités nationales compétentes figurent à l’annexe II du règlement no 269/2014. De plus, le fait que les requérants aient été contraints de se mettre en relation avec ces autorités nationales pour connaître la forme requise pour procéder à la déclaration devant
chacune de ces autorités n’est pas constitutif d’une violation du principe de sécurité juridique, et ce d’autant plus que les requérants ne rapportent aucun élément de preuve qui établirait l’existence de telles difficultés.
124 S’agissant, en troisième lieu, de la prétendue existence de divergences d’interprétation des notions mentionnées au point 115 ci-dessus par les différentes autorités nationales compétentes, ainsi que de la prétendue absence de protection des justiciables contre l’arbitraire des autorités nationales compétentes, dans le contexte des délais très restreints donnés aux requérants pour déclarer leurs fonds et ressources économiques, il y a lieu de rejeter, d’une part, l’argument relatif aux délais
trop restreints, pour les raisons déjà mentionnées au point 105 ci-dessus et, d’autre part, les allégations, par ailleurs aucunement étayées, relatives aux divergences d’interprétation par les différentes autorités nationales, pour les raisons mentionnées aux points 116 à  122 ci-dessus.
125 Ainsi, dès lors qu’aucun des arguments dont se prévalent les requérants n’est de nature à caractériser l’existence d’une violation du principe de sécurité juridique, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen et, en conséquence, le recours dans son ensemble.
Sur les dépens
126 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil, conformément aux conclusions de ce dernier.
127 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs propres dépens. Par conséquent, la Commission supportera ses propres dépens.
 Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (grande chambre)
déclare et arrête :
 1) Le recours est rejeté.
 2) M. Gennady Nikolayevich Timchenko et Mme Elena Petrovna Timchenko supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.
 3) La Commission européenne supportera ses propres dépens.
Van der Woude
Papasavvas
Spielmann
Costeira
Kowalik-Bańczyk
Gervasoni
Madise
Półtorak
Brkan
Gâlea
Â
Dimitrakopoulos
Kukovec
Kingston
Tóth
KalÄ—da
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 septembre 2024.
Le greffier
V. Di Bucci
Le président
D. Spielmann
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( *1 ) Langue de procédure : le français.