ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre)
13 octobre 2021 ( *1 )
« Marque de l’Union européenne – Procédure d’opposition – Demande de marque de l’Union européenne figurative représentant une flèche avec aile – Marque de l’Union européenne figurative antérieure représentant une flèche avec aile – Motif relatif de refus – Rejet partiel de l’opposition – Limitation de la portée de l’opposition dans le cadre du recours devant la chambre de recours – Retrait partiel de l’opposition – Moyen relevé d’office par la chambre de recours – Interdiction de statuer ultra
petita »
Dans l’affaire T‑712/20,
Škoda Investment a.s., établie à Plzeň (République tchèque), représentée par Me L. Lorenc, avocat,
partie requérante,
contre
Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. D. Gája, en qualité d’agent,
partie défenderesse,
l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant
Škoda Auto a.s., établie à Mladá Boleslav (République tchèque), représentée par Me J. Fesenmair, avocat,
ayant pour objet un recours formé contre la décision de la quatrième chambre de recours de l’EUIPO du 6 octobre 2020 (affaire R 284/2020‑4), relative à une procédure d’opposition entre Škoda Investment et Škoda Auto,
LE TRIBUNAL (dixième chambre),
composé de MM. A. Kornezov, président, G. Hesse et D. Petrlík (rapporteur), juges,
greffier : M. E. Coulon,
vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 3 décembre 2020,
vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 2 février 2021,
vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 10 février 2021,
rend le présent
Arrêt
Antécédents du litige
1 Le 26 novembre 2018, l’intervenante, Škoda Auto a.s., a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1), assortie d’une revendication de priorité d’une demande de marque libanaise no 88468, elle-même déposée le 30 mai 2018 (ci-après la « demande de marque
libanaise »).
2 La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe figuratif suivant :
Image
3 Les produits et services pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 9, 12 et 36 à 39 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à un vaste ensemble de produits et de services.
4 La demande de marque libanaise porte sur un signe figuratif identique à celui figurant au point 2 ci-dessus et désigne des produits et des services relevant des classes 9, 12 et 36 à 39.
5 La demande de marque a été publiée au Bulletin des marques de l’Union européenne no 2019/031, du 14 février 2019.
6 Le 13 mai 2019, la requérante, Škoda Investment a.s., a formé opposition, au titre de l’article 46 du règlement 2017/1001, à l’enregistrement de la marque demandée pour le vaste ensemble de produits et de services visé au point 3 ci-dessus.
7 Cette opposition était fondée sur une demande de marque de l’Union européenne déposée le 27 août 2018 et assortie d’une revendication de priorité d’une demande de marque tchèque no 550086, elle-même déposée le 24 août 2018, lesdites demandes désignant des produits et des services relevant des classes 9, 12 et 36 à 39 et portant sur le signe figuratif suivant :
Image
8 Les motifs invoqués à l’appui de l’opposition étaient ceux visés à l’article 8, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement 2017/1001.
9 Le 14 juin 2019, l’EUIPO a indiqué à la requérante qu’il ressortait de l’examen de son opposition que celle-ci était irrecevable, en vertu de l’article 5, paragraphes 2 et 3, du règlement délégué (UE) 2018/625 de la Commission, du 5 mars 2018, complétant le règlement 2017/1001 et abrogeant le règlement délégué (UE) 2017/1430 (JO 2018, L 104, p. 1).
10 Après avoir reçu les observations de la requérante, la division d’opposition a, par décision du 9 décembre 2019, rejeté l’opposition comme irrecevable. D’une part, elle a relevé que la marque demandée était fondée sur la revendication de priorité de la demande de marque libanaise, qui était antérieure à la revendication de priorité présentée par la requérante. D’autre part, elle a considéré que toutes les conditions prévues à l’article 34 du règlement 2017/1001 pour une revendication de priorité
de la demande de marque libanaise étaient remplies.
11 Le 6 février 2020, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 66 à 71 du règlement 2017/1001, contre la décision de la division d’opposition.
12 Le 27 avril 2020, la requérante a déposé auprès de l’EUIPO un mémoire exposant les motifs du recours, dans lequel elle a soutenu que la décision de la division d’opposition était erronée, puisque, en violation de l’article 34, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, ladite division n’avait pas respecté l’exigence d’identité des produits et des services désignés par la demande de marque de l’Union européenne avec ceux désignés par la marque fondant le droit de priorité. Elle a admis qu’un grand
nombre de produits et de services désignés par la marque demandée étaient soit identiques soit inclus dans les produits et services désignés par la demande de marque libanaise. En revanche, elle a considéré que certains produits et services relevant des classes 9, 38 et 39, désignés par la marque demandée, à savoir les « équipements d’information ; équipements de navigation, de contrôle, de suivi, de guidage et de cartographie ; logiciels de navigation », relevant de la classe 9, la
« transmission électronique de données ; mise à disposition de services de communication électronique », relevant de la classe 38, et l’« organisation de voyages ; organisation de services de transport », relevant de la classe 39, n’étaient ni identiques aux produits et aux services désignés par la demande de marque libanaise ni inclus dans ceux-ci. Elle a, dès lors, estimé que la marque demandée ne pouvait bénéficier de la revendication de priorité pour ces produits et services relevant des
classes 9, 38 et 39. Par conséquent, elle a conclu, dans le même mémoire, à l’annulation partielle de la décision de la division d’opposition dans la mesure où elle concernait ces seuls produits et services.
13 Par décision du 6 octobre 2020 (ci-après la « décision attaquée »), la quatrième chambre de recours de l’EUIPO a procédé à l’annulation partielle de la décision de la division d’opposition dans la mesure où cette dernière avait rejeté l’opposition comme irrecevable pour les produits et services relevant des classes 9, 38 et 39, mentionnés au point 12 ci-dessus, et a renvoyé l’affaire à la division d’opposition afin de poursuivre l’examen pour ces produits et services. Elle a constaté que l’acte
d’opposition satisfaisait à toutes les exigences de recevabilité énoncées à l’article 2 du règlement délégué 2018/625, de sorte que l’opposition était recevable.
Conclusions des parties
14 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– annuler la décision de la division d’opposition ;
– renvoyer l’affaire à la division d’opposition, en relation avec tous les produits et services pour lesquels la marque demandée a été déposée ;
– condamner l’EUIPO aux dépens.
15 L’EUIPO et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
16 Au point 15 de la décision attaquée, la chambre de recours a constaté que, dans le mémoire exposant les motifs du recours, la requérante avait limité la portée de celui-ci en demandant, d’une part, l’annulation de la décision de la division d’opposition dans la mesure où celle-ci avait rejeté l’opposition pour les produits et services relevant des classes 9, 38 et 39, mentionnés au point 12 ci-dessus, et, d’autre part, de poursuivre la procédure d’opposition relative à ces produits et services.
Elle en a déduit que la requérante avait retiré ce recours en ce qui concernait les autres produits et services désignés par la marque demandée. Au point 16 de ladite décision, elle a considéré que ce retrait partiel avait pour effet que les produits et services non mentionnés dans le mémoire exposant les motifs du recours ne faisaient plus partie de la procédure d’opposition et que, à leur égard, le rejet de l’opposition était devenu définitif.
17 La requérante soutient que la chambre de recours a commis une erreur de droit dans la détermination des effets juridiques de l’illégalité de nature procédurale dont est entachée la décision de la division d’opposition, à savoir la constatation de l’irrecevabilité de l’opposition. Une telle illégalité constituerait une violation des formes substantielles, devant être relevée d’office, qui aurait dû entraîner d’office l’annulation totale de cette décision, afin que tous les effets qu’elle a
produits sur les parties soient intégralement éliminés de l’ordre juridique.
18 En outre, la requérante relève que, lorsqu’elle a délimité le périmètre du recours auprès de l’EUIPO, elle avait pleine confiance dans la régularité formelle de la décision de la division d’opposition. Elle estime être ainsi en droit de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime au sujet de la compétence de cette division pour connaître de la question de la validité de la revendication de priorité de la marque demandée au stade initial de la procédure d’opposition. Elle
soutient que la motivation de ladite décision a créé l’impression que cette décision était correcte sur le plan procédural, l’illégalité relevée par la chambre de recours n’étant pas manifeste au sens de la jurisprudence. Elle ajoute que c’est la raison pour laquelle elle s’est concentrée exclusivement sur le fond et, partant, sur les produits et services désignés par ladite demande de marque qui n’étaient ni identiques ni compris dans les produits et services désignés par la demande de marque
libanaise.
19 L’EUIPO et l’intervenante considèrent qu’il convient d’écarter l’argumentation de la requérante.
20 À cet égard, il est tout d’abord constant que la requérante n’a demandé, dans le mémoire exposant les motifs du recours, qu’une annulation partielle de la décision de la division d’opposition dans la mesure où celle-ci a rejeté l’opposition pour les produits et services relevant des classes 9, 38 et 39, mentionnés au point 12 ci‑dessus, uniquement.
21 Ensuite, il convient de relever que, conformément à l’article 95, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, l’examen du fond du recours par la chambre de recours est limité aux moyens invoqués et aux demandes présentées par les parties. De même, l’article 47, paragraphe 5, première phrase, de ce règlement énonce que, s’il résulte de l’examen de l’opposition que la marque est exclue de l’enregistrement pour tout ou partie des produits ou des services pour lesquels la marque de l’Union européenne est
demandée, la demande est rejetée pour les produits ou les services concernés. En outre, l’article 21, paragraphe 1, sous e), du règlement délégué 2018/625 précise que l’acte de recours déposé conformément à l’article 68, paragraphe 1, dudit règlement doit contenir, lorsque la décision objet du recours n’est attaquée que partiellement, une indication claire et sans équivoque des produits et services pour lesquels la décision objet du recours est attaquée.
22 Il ressort d’une lecture combinée des dispositions mentionnées au point 21 ci‑dessus et de l’article 71, paragraphe 1, première phrase, du règlement 2017/1001 que la chambre de recours, dans le cadre d’un recours portant sur un motif relatif de refus d’enregistrement d’une marque et formé contre une décision de la division d’opposition, ne peut statuer au-delà de l’objet du recours formé devant elle. Cette chambre ne peut ainsi annuler une telle décision que dans les limites des conclusions qu’un
requérant a formulées dans le recours contre cette dernière décision ou, le cas échéant, que le défendeur a formulées dans ses observations en réponse [voir, en ce sens, arrêts du 14 décembre 2006, Gagliardi/OHMI – Norma Lebensmittelfilialbetrieb (MANŪ MANU MANU), T‑392/04, non publié, EU:T:2006:400, point 45, et du 19 septembre 2018, Eddy’s Snack Company/EUIPO – Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (Eddy’s Snackcompany), T‑652/17, non publié, EU:T:2018:564, point 20].
23 Par ailleurs, selon la Cour, dans le système du contentieux de la légalité devant le juge de l’Union européenne, ce sont les parties qui ont l’initiative du procès et qui circonscrivent l’objet du litige, notamment en identifiant dans leurs conclusions l’acte, ou la partie de l’acte, qu’elles entendent soumettre à ce contrôle juridictionnel (arrêt du 14 novembre 2017, British Airways/Commission, C‑122/16 P, EU:C:2017:861, point 87). Le Tribunal estime que ces principes s’appliquent, mutatis
mutandis, en ce qui concerne les recours portés devant les chambres de recours dans une procédure concernant des motifs relatifs de refus d’enregistrement d’une marque. En effet, ainsi qu’il ressort des dispositions citées au point 21 ci-dessus et de la jurisprudence rappelée au point 22 ci-dessus, à l’image des compétences du juge de l’Union dans le système du contentieux de la légalité, lesdites chambres ne peuvent, dans le cadre d’une procédure d’opposition, annuler la décision de la division
d’opposition que dans les limites des conclusions qu’un requérant a formulées dans le recours contre cette dernière décision.
24 Enfin, il est vrai que, dans les procédures inter partes, la chambre de recours doit, conformément à l’article 27, paragraphe 2, du règlement délégué 2018/625, examiner d’office les moyens relatifs aux questions de droit qui n’ont pas été soulevés par les parties, mais qui concernent des exigences procédurales essentielles, étant entendu que, parmi de telles exigences, figurent, en particulier, les règles de recevabilité d’une opposition à l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne.
25 Pour autant, une telle compétence de la chambre de recours n’implique nullement que celle-ci soit compétente pour modifier d’office les conclusions qu’un requérant a formulées dans le recours porté devant elle, puisqu’une telle approche méconnaîtrait la distinction entre les moyens et les conclusions d’un recours. En effet, si les moyens constituent le soutien nécessaire des conclusions figurant dans un recours, ils se distinguent néanmoins nécessairement de celles-ci, lesquelles définissent les
limites d’un tel recours (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 14 novembre 2017, British Airways/Commission, C‑122/16 P, EU:C:2017:861, point 89).
26 Ainsi, si, en examinant d’office un moyen relatif aux exigences procédurales essentielles, qui, par principe, n’a pas été invoqué par les parties, la chambre de recours ne sort pas du cadre du litige dont elle est saisie et ne viole en aucune manière les règles de procédure relatives à la présentation de l’objet du litige, il en irait autrement si, à la suite de l’examen de la décision faisant l’objet du recours, cette chambre prononçait, sur la base d’un tel examen d’office, une annulation
allant au-delà de ce qui était demandé dans les conclusions dont elle a été régulièrement saisie, au motif qu’une telle annulation serait nécessaire afin de corriger l’illégalité constatée d’office dans le cadre de ladite analyse (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 14 novembre 2017, British Airways/Commission, C‑122/16 P, EU:C:2017:861, point 90).
27 Dans ces conditions, la requérante n’est pas fondée à soutenir que la chambre de recours aurait dû annuler la décision de la division d’opposition dans son intégralité, car cela aurait eu pour effet que celle-ci statue au-delà de l’objet du litige tel qu’il avait été défini par la requérante elle-même.
28 En ce qui concerne l’argumentation de la requérante tirée de la violation du principe de protection de la confiance légitime, il convient de rappeler que le droit de se prévaloir de ce principe s’étend à tout justiciable à l’égard duquel une autorité administrative a fait naître des espérances fondées du fait d’assurances précises qu’elle lui aurait fournies (voir arrêt du 21 février 2018, Kreuzmayr, C‑628/16, EU:C:2018:84, point 46 et jurisprudence citée).
29 En l’espèce, la prétendue conviction acquise par la requérante que la décision de la division d’opposition était conforme aux règles procédurales, malgré le vice de procédure commis par cette division, ne peut faire naître, à son bénéfice, des espérances fondées dans la régularité formelle de cette décision. En effet, tant qu’une telle décision n’est pas devenue définitive, sa régularité peut, en cas de recours, être examinée par la chambre de recours, ce qui a d’ailleurs été le cas en l’espèce.
Or, le rôle de cette chambre est précisément de corriger de tels vices de procédure et, par conséquent, de prononcer éventuellement l’annulation d’une décision qui en serait entachée.
30 Il résulte de tout ce qui précède que le présent recours doit être rejeté.
Sur les dépens
31 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En l’espèce, la requérante a succombé et l’EUIPO ainsi que l’intervenante ont conclu à la condamnation aux dépens de la requérante dans la présente procédure. Par suite, il y a lieu de condamner la requérante à supporter, outre ses propres dépens, l’intégralité des dépens exposés par l’EUIPO et l’intervenante au titre de la présente
procédure.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (dixième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Škoda Investment a.s. supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) et Škoda Auto a.s. aux fins de la procédure devant le Tribunal.
Kornezov
Hesse
Petrlík
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 octobre 2021.
Signatures
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.