ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre élargie)
12 mai 2021 ( *1 )
« Aides d’État – Aide mise en exécution par le Luxembourg en faveur d’Amazon – Décision déclarant l’aide incompatible avec le marché intérieur et illégale et ordonnant sa récupération – Décision fiscale anticipative (tax ruling) – Prix de transfert – Avantage fiscal sélectif – Méthode de fixation des prix de transfert – Analyse fonctionnelle »
Dans les affaires T‑816/17 et T‑318/18,
Grand-Duché de Luxembourg, représenté par M. T. Uri, en qualité d’agent, assisté de Mes D. Waelbroeck, A. Steichen et J. Bracker, avocats,
partie requérante dans l’affaire T‑816/17,
soutenu par
Irlande, représentée par Mme J. Quaney et M. A. Joyce, en qualité d’agents, assistés de MM. P. Gallagher, SC, B. Doherty, barrister, et Mme S. Kingston, SC,
partie intervenante dans l’affaire T‑816/17,
Amazon EU Sàrl, établie à Luxembourg (Luxembourg),
Amazon.com, Inc., établie à Seattle, Washington (États-Unis),
représentées par Mes D. Paemen, M. Petite et A. Tombiński, avocats,
parties requérantes dans l’affaire T‑318/18,
contre
Commission européenne, représentée, dans l’affaire T‑816/17, par MM. P. Stancanelli, P.-J. Loewenthal et Mme F. Tomat, en qualité d’agents, assistés de Me M. Chammas, avocate, et, dans l’affaire T‑318/18, par M. Loewenthal et Mme Tomat,
partie défenderesse,
ayant pour objet des demandes fondées sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision (UE) 2018/859 de la Commission, du 4 octobre 2017, concernant l’aide d’État SA.38944 (2014/C) (ex 2014/NN) mise à exécution par le Luxembourg en faveur d’Amazon (JO 2018, L 153, p. 1),
LE TRIBUNAL (septième chambre élargie),
composé de M. M. van der Woude, président, Mmes V. Tomljenović (rapporteure) et A. Marcoulli, juges,
greffier : Mme S. Spyropoulos, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience des 5 et 6 mars 2020,
rend le présent
Arrêt
I. Antécédents du litige
1 Amazon.com, Inc., dont le siège social est établi aux États-Unis, et les entreprises qui sont placées sous son contrôle (ci-après, dénommées ensemble, le « groupe Amazon ») exercent des activités en ligne, et notamment des opérations de vente au détail en ligne et de fourniture de divers services en ligne. À cette fin, le groupe Amazon gère plusieurs sites Internet en différentes langues de l’Union européenne, parmi lesquels amazon.de, amazon.fr, amazon.it et amazon.es.
2 Avant mai 2006, les activités européennes du groupe Amazon étaient gérées à partir des États-Unis. En particulier, les activités de vente au détail et de services sur les sites Internet européens étaient exploitées par deux entités établies aux États-Unis, à savoir Amazon.com International Sales, Inc. (ci‑après « AIS ») et Amazon International Marketplace (ci‑après « AIM »), ainsi que par d’autres établies en France, en Allemagne et au Royaume-Uni.
3 En 2003, une restructuration des activités du groupe Amazon en Europe a été planifiée. Cette restructuration, qui a effectivement été mise en œuvre en 2006 (ci-après la « restructuration de 2006 »), était articulée autour de la création de deux sociétés établies à Luxembourg (Luxembourg). Plus précisément, il s’agissait, d’une part, d’Amazon Europe Holding Technologies SCS (ci-après « LuxSCS »), une société en commandite simple luxembourgeoise, dont les associés étaient des entreprises
américaines, et, d’autre part, d’Amazon EU Sàrl (ci‑après « LuxOpCo »), qui, comme LuxSCS, avait son siège social à Luxembourg.
4 LuxSCS a, dans un premier temps, conclu plusieurs accords avec certaines entités du groupe Amazon établies aux États-Unis, à savoir :
– des accords de licence et de cession pour les droits de propriété intellectuelle préexistants (License and Assignment Agreements For Preexisting Intellectual Property, ci-après, dénommés ensemble, l’« accord d’entrée ») avec Amazon Technologies, Inc. (ci-après « ATI »), entité du groupe Amazon établie aux États‑Unis ;
– un accord de répartition des coûts (ci-après l’« ARC ») conclu en 2005 avec ATI et A 9.com, Inc. (ci-après « A 9 »), une entité du groupe Amazon établie aux États-Unis. En vertu de l’accord d’entrée et de l’ARC, LuxSCS a obtenu le droit d’exploiter certains droits de propriété intellectuelle et les « travaux dérivés » de ceux-ci, qui étaient détenus et mis au point par A 9 et ATI. Les actifs incorporels visés par l’ARC comportaient essentiellement trois catégories de propriété intellectuelle, à
savoir la technologie, les données clients et les marques. En vertu de l’ARC et de l’accord d’entrée, LuxSCS pouvait également concéder les actifs incorporels en sous-licence, notamment dans le but d’exploiter les sites Internet européens. En contrepartie de ces droits, LuxSCS devait verser des paiements d’entrée et sa quote-part annuelle aux coûts liés au programme de développement de l’ARC.
5 Dans un deuxième temps, LuxSCS a conclu avec LuxOpCo un accord de licence, qui a pris effet le 30 avril 2006, portant sur les actifs incorporels susmentionnés (ci‑après l’« accord de licence »). En vertu de celui-ci, LuxOpCo a obtenu le droit d’utiliser les actifs incorporels en échange du paiement d’une redevance à LuxSCS (ci-après la « redevance »).
6 Enfin, LuxSCS a conclu un accord de licence et de cession de droits de propriété intellectuelle avec Amazon.co.uk Ltd, Amazon.fr SARL et Amazon.de GmbH, en vertu duquel LuxSCS a reçu certaines marques et les droits de propriété intellectuelle sur les sites Internet européens.
7 En 2014, le groupe Amazon a fait l’objet d’une deuxième restructuration et l’arrangement contractuel existant entre LuxSCS et LuxOpCo n’a plus été d’application.
A. Sur la décision fiscale anticipative (DFA) en cause
8 En préparation de la restructuration de 2006, Amazon.com et un conseiller fiscal ont, par lettres des 23 et 31 octobre 2003, demandé à l’administration fiscale luxembourgeoise l’adoption d’une décision fiscale anticipative confirmant le traitement réservé à LuxOpCo et à LuxSCS aux fins de l’impôt luxembourgeois sur le revenu des sociétés.
9 Par sa lettre du 23 octobre 2003, Amazon.com a demandé que soit approuvé le calcul du taux de la redevance que LuxOpCo était censée verser à LuxSCS à partir du 30 avril 2006. Cette demande d’Amazon.com s’appuyait sur un rapport de prix de transfert préparé par ses conseillers fiscaux (ci‑après le « rapport sur les prix de transfert de 2003 »). Les auteurs de ce rapport proposaient, en substance, une méthode de fixation des prix de transfert qui, selon eux, permettait de déterminer la dette de
l’impôt sur le revenu des sociétés dont LuxOpCo devait s’acquitter au Luxembourg. Plus particulièrement, par la lettre du 23 octobre 2003, Amazon.com avait demandé confirmation sur le fait que la méthode de fixation des prix de transfert aux fins de la détermination du taux de la redevance annuelle due par LuxOpCo à LuxSCS au titre de l’accord de licence, telle que cette méthode ressortait du rapport sur les prix de transfert de 2003, procurait à LuxOpCo un « bénéfice approprié et acceptable » au
regard de la politique en matière de prix de transfert et de l’article 56 et de l’article 164, paragraphe 3, de la loi du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, telle que modifiée (ci-après la « LIR »). La méthode de calcul de la redevance due par LuxOpCo à LuxSCS retenue dans la lettre du 23 octobre 2003 était décrite comme suit :
« 1) calculer et attribuer à LuxOpCo le « rendement de LuxOpCo » d’un montant égal au montant le plus faible entre a) [confidentiel] ( 1 ) % du total des charges d’exploitation supportées par LuxOpCo pour l’Union européenne au cours de l’année considérée et b) le résultat d’exploitation réalisé dans l’Union européenne, attribuable aux sites web européens, au cours de cette même année ;
2) la redevance de licence est égale au résultat d’exploitation réalisé dans l’Union européenne, moins le rendement de LuxOpCo, sans pouvoir être inférieure à zéro ;
3) le taux de redevance pour l’année est égal à la redevance de licence divisée par le chiffre d’affaires total réalisé dans l’Union européenne pour l’année ;
4) nonobstant ce qui précède, le montant du rendement de LuxOpCo n’est, quelle que soit l’année, pas inférieur à 0,45 %, ni supérieur à 0,55 % du chiffre d’affaires réalisé dans l’Union européenne ;
5 a) si le rendement de LuxOpCo déterminé à l’étape 1 est inférieur à 0,45 % du chiffre d’affaires réalisé dans l’Union européenne, le rendement de LuxOpCo est ajusté afin qu’il soit égal au montant le plus faible entre i) 0,45 % du chiffre d’affaires ou du résultat d’exploitation réalisé dans l’Union européenne et ii) le résultat d’exploitation réalisé dans l’Union européenne ;
b) si le rendement de LuxOpCo déterminé à l’étape 1 est supérieur à 0,55 % du chiffre d’affaires réalisé dans l’Union européenne, le rendement de LuxOpCo est ajusté afin qu’il soit égal au montant le plus faible entre i) 0,55 % du chiffre d’affaires réalisé dans l’Union européenne et ii) le résultat d’exploitation réalisé dans l’Union européenne. »
10 Par la lettre du 31 octobre 2003 rédigée par un autre conseiller fiscal, Amazon.com a demandé confirmation du traitement fiscal réservé à LuxSCS, à ses associés établis aux États-Unis et aux dividendes perçus par LuxOpCo dans le cadre de cette structure. Il était expliqué dans la lettre que LuxSCS, en tant que société en commandite simple, n’avait pas une personnalité fiscale distincte de celle de ses associés et que, en conséquence, elle n’était assujettie ni à l’impôt sur le revenu des sociétés
ni à l’impôt sur la fortune au Luxembourg.
11 Le 6 novembre 2003, l’Administration des contributions directes du Grand-Duché de Luxembourg (ci‑après l’« administration fiscale luxembourgeoise » ou les « autorités fiscales luxembourgeoises ») a adressé à Amazon.com une lettre (ci‑après la « DFA en cause ») qui se lit, pour partie, comme suit :
« […] Monsieur,
Après avoir pris connaissance de la lettre du 31 octobre 2003, que [votre conseiller fiscal] m’a adressée, ainsi que de votre lettre du 23 octobre 2003 exposant votre position à l’égard du traitement fiscal au Luxembourg dans la perspective de vos futures activités, j’ai le plaisir de vous informer que je peux approuver le contenu des deux lettres. […] »
12 À la demande d’Amazon.com, l’administration fiscale luxembourgeoise a prorogé la validité de la DFA en cause en 2010 et l’a effectivement appliquée jusqu’en juin 2014, lorsque la structure européenne du groupe Amazon a été modifiée. Ainsi la DFA en cause a été appliquée de 2006 à 2014 (ci‑après la « période considérée »).
B. Sur la procédure administrative devant la Commission
13 Le 24 juin 2014, la Commission européenne a demandé au Grand‑Duché de Luxembourg de lui fournir des informations sur les décisions fiscales anticipatives accordées au groupe Amazon. Le 7 octobre 2014, elle a publié la décision d’ouverture d’une procédure formelle d’examen, au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE.
14 Dans le cadre de l’enquête ainsi entamée, la Commission a demandé divers renseignements au Grand-Duché de Luxembourg et à Amazon.com. Parmi les réponses aux demandes de renseignements, Amazon.com a présenté une copie d’un avis de la United States Tax Court (Cour fiscale fédérale des États-Unis) du 23 mars 2017 (ci-après l’« avis de la Cour fiscale fédérale des États-Unis ») qui avait été rendu dans le cadre d’un recours formé par l’Internal Revenue Service (agence de collecte fiscale du
gouvernement fédéral, États-Unis, IRS) au sujet du montant des paiements liés aux accords mentionnés au point 4 ci‑dessus.
15 De plus, Amazon.com a présenté à la Commission un nouveau rapport sur les prix de transfert rédigé par un conseiller fiscal, dont l’objectif était de vérifier a posteriori si la redevance versée par LuxOpCo à LuxSCS, conformément à la DFA en cause, était conforme au principe de pleine concurrence (ci‑après le « rapport sur les prix de transfert de 2017 »).
C. Sur la décision attaquée
16 Le 4 octobre 2017, la Commission a adopté la décision (UE) 2018/859, concernant l’aide d’État SA.38944 (2014/C) (ex 2014/NN) mise à exécution par le Luxembourg en faveur d’Amazon (JO 2018, L 153, p. 1 ; ci-après la « décision attaquée »).
17 L’article 1er de cette décision se lit, en partie, comme suit :
18 « La [DFA en cause], par laquelle le Grand-Duché de Luxembourg a avalisé une méthode de fixation des prix de transfert […] permettant à [LuxOpCo] de déterminer sa dette d’impôt sur le revenu des sociétés au Luxembourg de 2006 à 2014, d’une part, et l’acceptation ultérieure de la déclaration annuelle à l’impôt sur le revenu des sociétés fondée sur ladite décision, d’autre part, constituent une aide d’État […] »
1. Sur la présentation du contexte factuel et juridique
19 Dans la section 2 de la décision attaquée, intitulée « Contexte factuel et juridique », la Commission a opéré notamment une présentation du groupe Amazon, de la DFA en cause, ainsi que du cadre juridique national applicable et des orientations sur les prix de transfert.
a) Sur la présentation du groupe Amazon
20 S’agissant de la présentation du groupe Amazon, la Commission a décrit les activités du groupe Amazon de vente au détail et de services, ainsi que la composition dudit groupe dans la mesure où cela était pertinent pour la décision attaquée.
21 Pour la période considérée, la structure européenne du groupe Amazon a été schématisée par la Commission comme suit :
Image
22 Premièrement, s’agissant de LuxSCS, la Commission a relevé que cette société n’avait aucune présence physique, ni aucun salarié au Luxembourg. Selon la Commission, au cours de la période considérée, LuxSCS intervenait uniquement en tant que société détenant des actifs incorporels pour les activités du groupe Amazon en Europe, dont LuxOpCo était responsable en qualité d’opérateur principal. Elle a indiqué toutefois que LuxSCS avait consenti également des prêts intragroupes à plusieurs entités du
groupe Amazon. La Commission a précisé en outre que LuxSCS était partie à plusieurs accords intragroupe conclus avec ATI, A 9 et LuxOpCo (voir points 3 et 5 ci‑dessus).
23 Deuxièmement, s’agissant de LuxOpCo, la Commission a mis un accent particulier sur le fait que, au cours de la période considérée, LuxOpCo était une filiale à part entière de LuxSCS.
24 Selon la Commission, à compter de la restructuration de 2006 des activités européennes du groupe Amazon, LuxOpCo remplissait les fonctions de siège social du groupe Amazon en Europe et était l’opérateur principal des activités de vente au détail en ligne et de services du groupe Amazon en Europe réalisées par le canal des sites Internet européens. La Commission a indiqué que, en cette qualité, LuxOpCo avait dû gérer la prise de décisions relatives aux activités de vente au détail et de services
menées par l’intermédiaire des sites Internet européens ainsi que les principales composantes physiques des activités de vente au détail. En outre, en sa qualité de vendeur officiel des stocks du groupe Amazon en Europe, LuxOpCo aurait été également responsable de la gestion des stocks sur les sites Internet européens. Elle aurait été propriétaire desdits stocks et en aurait assumé les risques et les pertes. La Commission a précisé, par ailleurs, que LuxOpCo avait enregistré dans ses comptes le
chiffre d’affaires généré aussi bien par les ventes de produits que par le traitement de commandes. Enfin, LuxOpCo aurait également exercé des fonctions de gestion de la trésorerie des activités européennes du groupe Amazon.
25 Ensuite, la Commission a indiqué que LuxOpCo avait détenu des participations dans Amazon Services Europe (ci-après « ASE ») et Amazon Media Europe (ci-après « AMEU »), deux entités du groupe Amazon résidentes au Luxembourg, ainsi que dans les filiales d’Amazon.com constituées au Royaume-Uni, en France et en Allemagne (ci-après les « sociétés liées européennes »), qui auraient fourni divers services intragroupe à l’appui des activités de LuxOpCo. Durant la période considérée, ASE aurait géré le
service du groupe Amazon pour les vendeurs tiers dans l’Union, dénommé « MarketPlace ». AMEU aurait géré quant à elle les « activités numériques » du groupe Amazon dans l’Union, telles que, par exemple, la vente de MP3 et de livres numériques. Les sociétés liées européennes auraient fourni quant à elles des services pour l’exploitation des sites Internet européens.
26 De plus, la Commission a relevé que, pendant la période considérée, LuxOpCo constituait avec ASE et AMEU, lesquelles étaient résidentes au Luxembourg, un groupe fiscal au regard du droit fiscal luxembourgeois, au sein duquel LuxOpCo jouait le rôle de société intégrante. Ces trois entités auraient donc constitué un seul et même contribuable.
27 Enfin, outre l’accord de licence, conclu par LuxOpCo avec LuxSCS, la Commission a décrit de manière détaillée certains autres accords intragroupe auxquels LuxOpCo était partie pendant la période considérée, à savoir certains accords de prestation de services conclus le 1er mai 2006 avec les sociétés liées européennes et des accords de licence sur la propriété intellectuelle conclus le 30 avril 2006 avec ASE et AMEU, en vertu desquels des sous-licences non exclusives sur les actifs incorporels
auraient été accordées à ces deux entités.
b) Sur la présentation de la DFA en cause
28 Après avoir examiné la structure du groupe Amazon, la Commission a décrit la DFA en cause.
29 À cet égard, premièrement, elle a fait état des lettres des 23 et 31 octobre 2003, mentionnées aux points 8 à 10 ci‑dessus.
30 Deuxièmement, la Commission a expliqué le contenu du rapport sur les prix de transfert de 2003, sur la base duquel a été proposée la méthode de détermination du montant de la redevance.
31 Tout d’abord, la Commission a indiqué que le rapport sur les prix de transfert de 2003 fournissait une analyse fonctionnelle de LuxSCS et de LuxOpCo aux termes de laquelle il était indiqué que les activités principales de LuxSCS se seraient limitées à celles d’une société détenant des actifs incorporels et d’un participant au développement constant des actifs incorporels dans le cadre de l’ARC. LuxOpCo aurait été décrite dans ce rapport comme gérant la prise de décisions stratégiques relatives
aux activités de vente au détail et de services des sites Internet européens ainsi que des principales composantes physiques des activités de vente au détail.
32 Ensuite, la Commission a indiqué que le rapport sur les prix de transfert de 2003 comportait une section relative à la sélection de la méthode de fixation des prix de transfert la plus appropriée pour déterminer la conformité du taux de redevance avec le principe de pleine concurrence. Deux méthodes auraient été examinées dans le rapport : l’une fondée sur la méthode du prix comparable sur le marché libre (ci-après la « méthode CUP ») et l’autre sur la méthode du partage des bénéfices résiduels.
33 D’une part, en application de la méthode CUP, un intervalle de pleine concurrence pour le taux de redevance de 10,6 à 13,6 % aurait été calculé dans le rapport sur les prix de transfert de 2003, sur la base d’une comparaison avec un certain accord conclu par Amazon.com avec un détaillant des États-Unis, à savoir l’accord [confidentiel].
34 D’autre part, en application de la méthode du partage des bénéfices résiduels, le rapport sur le prix de transfert de 2003 aurait contenu une estimation du rendement associé aux « fonctions courantes de LuxOpCo dans son rôle de société d’exploitation européenne » sur la base de la marge sur les coûts supportés par LuxOpCo. Pour ce faire, il aurait été considéré que la « marge nette sur coûts » (net cost plus mark up) aurait été l’indicateur de bénéfice permettant de déterminer la rémunération de
pleine concurrence pour les fonctions prévues de LuxOpCo. Il aurait été proposé d’appliquer une marge de [confidentiel] sur les charges d’exploitation corrigées de LuxOpCo. La Commission a fait observer que, selon le rapport sur les prix de transfert de 2003, la différence entre ce rendement et le résultat d’exploitation de LuxOpCo aurait correspondu au bénéfice résiduel, qui aurait été entièrement imputable à l’utilisation des actifs incorporels donnés en licence par LuxSCS. La Commission a
également précisé que, sur la base de ce calcul, les auteurs du rapport sur les prix de transfert de 2003 avaient conclu qu’un taux de redevance compris entre 10,1 et 12,3 % du chiffre d’affaires net de LuxOpCo aurait satisfait au critère de pleine concurrence, conformément aux lignes directrices de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE).
35 Enfin, la Commission a indiqué que les auteurs du rapport sur les prix de transfert de 2003 avaient considéré que les résultats étaient convergents et avaient mentionné le fait que l’intervalle de pleine concurrence pour le taux de la redevance due par LuxOpCo à LuxSCS allait de 10,1 à 12,3 % des ventes de LuxOpCo. Les auteurs du rapport sur les prix de transfert de 2003 auraient toutefois considéré que l’analyse du partage des bénéfices résiduels aurait été davantage fiable et qu’il convenait
donc de la retenir.
36 Troisièmement, dans une section 2.2.5 de la décision attaquée, intitulée « Conséquences de la DFA en cause », la Commission a indiqué que, par la DFA en cause, l’administration fiscale luxembourgeoise avait confirmé que la méthode de détermination du taux de la redevance, qui, lui-même, avait déterminé le revenu annuel imposable de LuxOpCo au Luxembourg, était conforme au principe de pleine concurrence. Elle a ajouté que, pour remplir ses déclarations fiscales annuelles, LuxOpCo s’était fondée
sur la DFA en cause.
c) Sur la présentation du cadre juridique national applicable
37 S’agissant du cadre juridique national applicable, la Commission a cité l’article 164, paragraphe 3, de la LIR. Selon cette disposition, « les distributions cachées de bénéfices [étaie]nt à comprendre dans le revenu imposable » et « il y a[vait] distribution cachée de bénéfices notamment si un associé, sociétaire ou intéressé re[cevai]t directement ou indirectement des avantages d’une société ou d’une association dont normalement il n’aurait pas bénéficié s’il n’avait pas eu cette qualité ». Dans
ce contexte, la Commission a exposé notamment que, pendant la période considérée, l’article 164, paragraphe 3, de la LIR aurait été interprété par l’administration fiscale luxembourgeoise en ce sens qu’il consacrait le « principe de pleine concurrence » en droit fiscal luxembourgeois.
d) Sur la présentation du cadre de l’OCDE sur les prix de transfert
38 Aux considérants 244 à 249 de la décision attaquée, la Commission a présenté le cadre de l’OCDE sur les prix de transfert. Selon elle, les « prix de transfert », tels que compris par l’OCDE dans des lignes directrices publiées par cette organisation en 1995, en 2010 et en 2017, sont les prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels, actifs incorporels, ou rend des services à des entreprises associées. En vertu du principe de pleine concurrence, tel qu’appliqué aux fins de
l’imposition des sociétés, les administrations fiscales nationales ne devraient accepter les prix de transfert convenus entre les entreprises associées au sein d’un groupe pour leurs transactions intragroupe que s’ils correspondent à ce qui aurait été convenu dans le cadre de transactions sur le marché libre, c’est-à-dire des transactions entre des entreprises indépendantes négociant dans des circonstances comparables sur le marché. En outre, la Commission a précisé que le principe de pleine
concurrence reposait sur l’approche de l’entité distincte, selon laquelle, à des fins fiscales, les membres d’un groupe d’entreprises étaient traités comme des entités distinctes.
39 La Commission a également relevé que, pour établir une approximation des prix de pleine concurrence pour les transactions intragroupe, les lignes directrices de l’OCDE (dans leurs versions de 1995, de 2010 et de 2017) énuméraient cinq méthodes. Seules trois d’entre elles auraient été pertinentes dans le cadre de la décision attaquée, à savoir la méthode CUP, la méthode transactionnelle de la marge nette (ci-après la « MTMN ») et la méthode du partage des bénéfices. Aux considérants 250 à 256 de
la décision attaquée, la Commission a décrit en quoi ces méthodes consistaient.
2. Sur l’appréciation portée sur la DFA en cause
40 Au considérant 154 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que la DFA en cause confirmait que la méthode de fixation des prix de transfert aux fins de la détermination du taux de la redevance annuelle que LuxOpCo devait verser à LuxSCS au titre de l’accord de licence, qui, lui-même, avait déterminé le revenu annuel imposable de LuxOpCo au Luxembourg, était conforme au principe de pleine concurrence. Au considérant 155 de la décision attaquée, elle a également indiqué que LuxOpCo s’était
fondée sur la DFA en cause au cours de la période considérée, afin de déterminer le montant annuel dû au titre de l’impôt sur le revenu des sociétés, lorsqu’elle avait rempli ses déclarations fiscales annuelles au Luxembourg. Ainsi qu’il résulte de manière explicite de l’article 1er de la décision attaquée et malgré une certaine imprécision figurant aux considérants 605 et 606 de cette décision, selon la Commission, l’aide d’État consistait donc en l’espèce dans la DFA en cause lue en lien avec
l’acceptation des déclarations fiscales annuelles de LuxOpCo (par opposition à la DFA en cause en tant que telle).
41 La section 9 de la décision attaquée, intitulée « Appréciation de la mesure contestée », était destinée à démontrer que la DFA en cause ainsi que l’acceptation des déclarations fiscales annuelles de LuxOpCo, prises ensemble, constituaient effectivement une aide d’État.
42 Pour ce faire, après avoir rappelé les conditions d’existence d’une aide d’État prévues à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, la Commission a relevé que la première condition de l’existence d’une aide d’État, selon laquelle il devait s’agir d’une intervention de l’État ou de ressources d’État, était remplie en l’espèce. À cet égard, elle a relevé, d’une part, que la DFA en cause était imputable au Grand-Duché de Luxembourg. D’autre part, elle a considéré que la DFA en cause aurait entraîné une
réduction de l’impôt dû par LuxOpCo au Luxembourg par rapport à ce que devaient payer des sociétés contribuables se trouvant dans une situation similaire. La DFA en cause aurait donné donc lieu à une perte de ressources d’État, dès lors qu’elle avait amené le Grand-Duché de Luxembourg à renoncer à une recette fiscale qu’il aurait autrement été en droit de percevoir auprès de LuxOpCo.
43 S’agissant des deuxième et quatrième conditions d’existence d’une aide d’État, la Commission a estimé, d’une part, que la DFA en cause devait être considérée comme affectant les échanges au sein de l’Union, dès lors que LuxOpCo avait fait partie du groupe Amazon exerçant ses activités dans plusieurs États membres et qu’elle exploitait des activités de vente au détail par le canal des sites Internet de l’Union. La Commission a ajouté que, en accordant un « traitement fiscal favorable à Amazon »,
le Grand-Duché de Luxembourg avait potentiellement détourné des investissements d’États membres qui n’offraient pas un traitement fiscal aussi favorable à des sociétés appartenant à un groupe multinational. D’autre part, la Commission a indiqué que, dans la mesure où la DFA en cause avait exonéré LuxOpCo de l’impôt sur le revenu des sociétés qu’elle aurait normalement été tenue de payer, cette décision constituait une aide au fonctionnement. Ainsi, la DFA en cause, en libérant des ressources
financières pour LuxOpCo que cette dernière aurait pu utiliser pour investir dans ses activités commerciales, aurait faussé la concurrence sur le marché.
44 S’agissant de la troisième condition d’existence d’une aide d’État, la Commission a exposé que, lorsqu’une DFA avalisait un résultat qui ne reflétait pas de manière fiable le résultat qui aurait été obtenu en appliquant normalement le régime de droit commun, sans justification, une telle décision procurait un avantage sélectif à son destinataire, dans la mesure où ce traitement sélectif entraînait une diminution de l’impôt dû par le contribuable par comparaison avec les entreprises se trouvant
dans une situation juridique et factuelle similaire. La Commission a également considéré que, en l’espèce, la DFA en cause avait conféré un avantage sélectif à LuxOpCo en réduisant l’impôt sur le revenu des sociétés qu’elle devait payer au Luxembourg.
a) Sur l’analyse de l’existence d’un avantage
45 Dans la section 9.2 de la décision attaquée, intitulée « Avantage », la Commission a exposé les motifs pour lesquels elle avait considéré que la DFA en cause conférait un avantage à LuxOpCo.
46 À titre liminaire, la Commission a rappelé que, s’agissant de mesures fiscales, un avantage, au sens de l’article 107 TFUE, pouvait être procuré à un contribuable du fait d’une réduction de sa base imposable ou du montant de l’impôt dû par celui-ci. Elle a rappelé, au considérant 402 de la décision attaquée, que, selon la jurisprudence de la Cour, pour examiner si la détermination de revenus imposables procurait un avantage au bénéficiaire, il y avait lieu de comparer ledit régime à celui de
droit commun fondé sur la différence entre produits et charges pour une entreprise exerçant ses activités dans des conditions de libre concurrence. En conséquence, selon la Commission, une « [décision fiscale anticipative] permettant à un contribuable d’utiliser, dans des transactions intragroupe, des prix de transfert qui ne refl[étai]ent pas les prix [qui auraient été] pratiqués dans des conditions de libre concurrence entre des entreprises indépendantes négociant dans des conditions
comparables selon le principe de pleine concurrence, procur[ait] un avantage à ce contribuable en ce qu’elle débouch[ait] sur une réduction de ses revenus imposables et, partant, de sa base imposable dans le cadre du système commun de l’impôt sur les sociétés ».
47 Au regard de ces appréciations, la Commission a conclu, au considérant 406 de la décision attaquée, que, pour établir que la DFA en cause conférait un avantage économique à LuxOpCo, elle devait démontrer que la méthode de fixation des prix de transfert avalisée dans la DFA en cause produisait un résultat qui s’écartait d’une approximation fiable d’un résultat fondé sur le marché, ce qui avait eu pour effet de réduire la base imposable de LuxOpCo aux fins du calcul de l’impôt sur le revenu des
sociétés. Selon la Commission, la DFA en cause avait produit un tel résultat.
48 Cette conclusion repose sur un constat principal et trois constats subsidiaires.
1) Sur le constat principal de l’avantage
49 Dans la section 9.2.1 de la décision attaquée, intitulée « Premier constat de l’existence de l’avantage économique », la Commission a estimé que, en approuvant une méthode de fixation des prix de transfert qui attribuait une rémunération à LuxOpCo uniquement pour des fonctions dites « courantes » et qui attribuait la totalité du bénéfice généré par LuxOpCo au-delà de cette rémunération à LuxSCS sous la forme d’une redevance, la DFA avait produit un résultat qui s’écartait d’une approximation
fiable d’un résultat de marché.
50 En substance, par son constat principal, la Commission a considéré que l’analyse fonctionnelle de LuxOpCo et de LuxSCS retenue par les auteurs du rapport de prix de transfert de 2003 et, en fin de compte, par l’administration fiscale luxembourgeoise était erronée et ne permettait pas d’aboutir à un résultat de pleine concurrence. Au contraire, l’administration fiscale luxembourgeoise aurait dû conclure que LuxSCS n’exerçait pas des fonctions « uniques et de valeur » en rapport avec les actifs
incorporels pour lesquels elle ne détenait que le titre de propriété légale.
51 Aux fins de sa démonstration, la Commission a examiné les fonctions exercées, les actifs utilisés et les risques assumés par LuxSCS et par LuxOpCo.
52 Ensuite, ainsi qu’il ressort du considérant 519 de la décision attaquée, sur la base de son analyse fonctionnelle de LuxOpCo et de LuxSCS, la Commission a examiné le choix de la méthode de prix de transfert la plus appropriée en l’espèce.
53 S’agissant de la méthode CUP, la Commission a estimé, aux termes d’une analyse fondée sur cinq critères de comparabilité, qui auraient été énoncés dans les lignes directrices de l’OCDE, que l’application de cette méthode, telle qu’énoncée dans le rapport sur le prix de transfert de 2003, avait donné lieu à un résultat exagéré qui avait exposé LuxOpCo au risque de subir des pertes.
54 Selon la Commission, en l’espèce, c’est la MTMN qui aurait été la méthode de prix de transfert la plus appropriée pour évaluer la redevance due par LuxOpCo au titre de l’accord de licence. Elle a considéré que la partie exerçant des fonctions uniques et de valeur était LuxOpCo et non LuxSCS. En conséquence, la partie à tester aux fins de l’application de la MTMN aurait dû être LuxSCS et non LuxOpCo.
55 Enfin, dans la section 9.2.1.4 de la décision attaquée, la Commission a procédé à sa propre application de la MTMN en l’espèce.
56 Selon elle, c’est LuxSCS qui aurait dû être l’entité à tester. L’administration fiscale luxembourgeoise aurait dû rejeter l’affirmation d’Amazon.com selon laquelle la simple propriété légale des actifs incorporels constituait une « contribution unique » pour laquelle LuxSCS aurait dû percevoir une rémunération composée de pratiquement tous les bénéfices tirés des activités commerciales de LuxOpCo. À cet égard, la Commission a notamment renvoyé à sa propre analyse fonctionnelle de LuxSCS et de
LuxOpCo (section 9.2.1. de la décision attaquée).
57 S’agissant du choix de l’indicateur du niveau de bénéfice, la Commission a estimé que, LuxSCS n’enregistrant aucune vente et n’assumant aucun risque lié aux actifs incorporels, l’indicateur du niveau de bénéfice pertinent aurait dû être une marge sur les coûts totaux considérés (considérant 550 de la décision attaquée).
58 En ce qui concerne la base de coûts à laquelle une marge devait être appliquée en l’espèce, la Commission a considéré en substance que LuxSCS n’aurait exercé qu’une fonction d’intermédiaire, en transmettant à LuxOpCo les coûts supportés en relation avec l’accord d’entrée et l’ARC et en transférant une partie des redevances (la redevance de licence) reçue de LuxOpCo au titre de l’accord de licence à A 9 et à ATI à concurrence de ces coûts (considérant 551 de la décision attaquée).
59 Compte tenu de ces appréciations, au considérant 555 de la décision attaquée, la Commission a conclu que la rémunération de LuxSCS aurait dû avoir deux composantes. La première composante aurait dû, selon la Commission, correspondre à la refacturation, à LuxOpCo, des coûts liés à l’accord d’entrée et à l’ARC, auxquels aucune marge n’aurait dû être appliquée. La deuxième composante aurait dû consister selon la Commission, en une marge sur une base de coûts composée uniquement des coûts supportés
pour les services externes contractés pour conserver sa propriété légale sur les actifs incorporels, dans la mesure où ces coûts représentaient en réalité des fonctions réellement exercées au nom de LuxSCS. Ce niveau de rémunération aurait garanti, selon la Commission, un résultat dans des conditions de pleine concurrence, car il aurait reflété correctement les contributions de LuxSCS à l’accord de licence.
60 S’agissant de la détermination de la marge appropriée, la Commission a relevé que, si un tel exercice exigeait normalement une analyse de comparabilité, il n’aurait pas été possible, en l’espèce, d’effectuer une analyse fiable.
61 En lieu et place d’une analyse de comparabilité, la Commission a estimé qu’elle pouvait se fonder sur les conclusions du rapport de 2010 du forum conjoint sur les prix de transfert (ci‑après le « rapport FCPT »). Le forum conjoint sur les prix de transfert est un groupe d’experts constitué par la Commission en 2002 et destiné à l’assister sur des questions liées aux prix de transfert. Selon ledit rapport, une marge pour les « services intragroupe à faible valeur ajoutée », comprise entre 3
et 10 %, aurait été observée par les administrations fiscales des États membres participant au forum conjoint sur les prix de transfert. La marge la plus souvent observée en pratique aurait été de 5 % sur les coûts des « prestations de tels services ». En conséquence, la Commission a estimé utile d’appliquer une telle marge aux coûts externes supportés par LuxSCS pour la conservation de sa propriété légale sur les actifs incorporels.
62 En conclusion de son premier constat de l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, la Commission a indiqué que la « rémunération de pleine concurrence » pour LuxSCS en vertu de l’accord de licence aurait dû être égale à la somme des coûts d’entrée et des coûts au titre de l’ARC, supportés par cette société, sans marge, majorée de tous les coûts pertinents supportés directement par LuxSCS, auxquels une marge de 5 % devait être appliquée, dans la mesure où ces coûts
correspondaient à des fonctions réellement exercées au nom de LuxSCS. Ce niveau de rémunération correspondait à ce qu’une partie indépendante, dans une situation similaire à LuxOpCo, aurait été disposée à payer pour les droits et obligations assumés en vertu de l’accord de licence. En outre, selon la Commission, ce niveau de rémunération aurait été suffisant pour permettre à LuxSCS de couvrir ses obligations de paiement au titre de l’accord d’entrée et de l’ARC (considérants 559 et 560 de la
décision attaquée).
63 Or, selon la Commission, dans la mesure où le niveau de rémunération de LuxSCS calculé par la Commission aurait été inférieur au niveau de rémunération de LuxSCS résultant de la méthode de fixation des prix de transfert avalisée par la DFA en cause, ladite décision aurait conféré un avantage à LuxOpCo sous la forme d’une réduction de sa base imposable aux fins de l’impôt luxembourgeois sur le revenu des sociétés, par rapport au chiffre d’affaires des sociétés dont le bénéfice imposable
correspondait à des prix négociés selon le principe de pleine concurrence (considérant 561 de la décision attaquée).
2) Sur les constats subsidiaires de l’avantage
64 Dans la section 9.2.2 de la décision attaquée, intitulée « Constatation subsidiaire de l’existence d’un avantage économique », la Commission a exposé sa constatation subsidiaire de l’avantage, selon laquelle, à supposer même que l’administration fiscale luxembourgeoise ait eu raison d’accepter l’analyse des fonctions de LuxSCS effectuée dans le rapport sur les prix de transfert de 2003, la méthode de fixation des prix de transfert approuvée par la DFA en cause aurait été, en tout état de cause,
fondée sur des choix méthodologiques inappropriés qui auraient produit un résultat s’écartant d’une approximation fiable d’un résultat fondé sur le marché. Elle a précisé que son raisonnement suivi dans la section 9.2.2 de la décision attaquée ne visait pas à déterminer une rémunération de pleine concurrence exacte pour LuxOpCo, mais qu’il visait davantage à démontrer que la DFA en cause avait conféré un avantage économique, étant donné que la méthode de fixation des prix de transfert avalisé
reposait sur trois choix méthodologiques erronés qui auraient conduit à une diminution du revenu imposable de LuxOpCo par rapport aux entreprises dont le bénéfice imposable reflétait des prix négociés sur le marché dans des conditions de pleine concurrence.
65 Dans ce cadre, la Commission a opéré trois constats subsidiaires distincts.
66 Dans le cadre de son premier constat subsidiaire, la Commission a affirmé que LuxOpCo avait été à tort considérée comme exerçant uniquement des fonctions de gestion « courantes » et que la méthode du partage des bénéfices, avec l’analyse des contributions, aurait dû être appliquée.
67 Dans le cadre de son deuxième constat subsidiaire, la Commission a retenu que le choix des coûts d’exploitation, en tant qu’indicateur des bénéfices, était erroné.
68 Dans le cadre de son troisième constat subsidiaire concernant l’avantage, la Commission a considéré que l’inclusion d’un plafond de 0,55 % du chiffre d’affaires réalisé dans l’Union n’était pas appropriée.
b) Sur la sélectivité de la mesure
69 Dans la section 9.3 de la décision attaquée, intitulée « Sélectivité », la Commission a exposé les motifs pour lesquels elle avait considéré que la mesure en cause était sélective.
c) Sur l’identification du bénéficiaire de l’aide
70 Dans la section 9.5 de la décision attaquée, intitulée « Bénéficiaire de l’aide », la Commission a constaté que tout traitement fiscal favorable accordé à LuxOpCo avait également profité au groupe Amazon tout entier, en lui fournissant des ressources supplémentaires, de sorte que le groupe devait être considéré comme étant une entité unique bénéficiaire de la mesure d’aide en cause.
71 Dans la section 10 de la décision attaquée, intitulée « Récupération », la Commission a affirmé que, la mesure d’aide ayant été octroyée chaque année où la déclaration annuelle de l’impôt de LuxOpCo avait été acceptée par les autorités fiscales, le groupe Amazon ne pouvait se prévaloir des règles de prescription afin de s’opposer à la récupération de l’aide. Aux considérants 639 à 645 de la décision attaquée, la Commission a exposé la méthode de récupération.
II. Procédure et conclusions des parties
A. Sur la procédure dans l’affaire T‑816/17
72 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 décembre 2017, le Grand-Duché de Luxembourg a introduit le recours dans l’affaire T‑816/17.
1. Sur la composition de la formation de jugement et sur le traitement prioritaire
73 Par décision du 12 avril 2018, le président de la septième chambre du Tribunal a décidé d’accorder à l’affaire T‑816/17 le traitement prioritaire en vertu de l’article 67, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal.
74 Par acte déposé au greffe le 11 mai 2018, le Grand-Duché de Luxembourg a demandé que l’affaire T‑816/17 soit jugée par la septième chambre du Tribunal dans sa formation de jugement élargie.
75 En application de l’article 28, paragraphe 5, du règlement de procédure, l’affaire T‑816/17 a été renvoyée devant la septième chambre élargie.
76 Un membre de la septième chambre élargie du Tribunal ayant été empêché de siéger, par décision du 21 juin 2018, le président du Tribunal a désigné le vice-président du Tribunal pour compléter la formation de jugement. À la suite de la nomination d’un membre de la formation de jugement, le 6 octobre 2020, comme juge à la Cour, le juge le moins ancien au sens de l’article 8 du règlement de procédure s’est abstenu de participer aux délibérations et le présent arrêt a été délibéré par les trois juges
dont il porte la signature, conformément à l’article 22 dudit règlement.
2. Sur l’intervention
77 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 16 avril 2018, l’Irlande a demandé à intervenir dans l’affaire T‑816/17 au soutien des conclusions du Grand-Duché de Luxembourg.
78 Par ordonnance du 29 mai 2018, le président de la septième chambre élargie du Tribunal a fait droit à la demande en intervention de l’Irlande.
3. Sur les demandes de traitement confidentiel
79 Par acte déposé le 14 mai 2018 au greffe du Tribunal, le Grand-Duché de Luxembourg a demandé le traitement confidentiel, à l’égard de l’Irlande, de certaines données mentionnées dans la requête, dans certaines des annexes de cette dernière ainsi que dans le mémoire en défense.
80 Par acte déposé le 6 juin 2018 au greffe du Tribunal, le Grand-Duché de Luxembourg a demandé le traitement confidentiel, à l’égard de l’Irlande, d’une partie de la réplique.
81 Par acte déposé le 13 septembre 2018 au greffe du Tribunal, le Grand‑Duché de Luxembourg a demandé le traitement confidentiel, à l’égard de l’Irlande, d’une partie de la duplique.
82 À la suite de son admission en tant qu’intervenante, l’Irlande a reçu uniquement des versions non confidentielles des pièces de procédure visées par les demandes de traitement confidentiel du Grand-Duché de Luxembourg formulées à son égard et n’a soulevé aucune objection à l’encontre desdites demandes.
4. Sur les conclusions des parties
83 Le Grand-Duché de Luxembourg conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– à titre subsidiaire, annuler la décision attaquée en ce qu’elle ordonne la récupération de l’aide ;
– condamner la Commission aux dépens.
84 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours comme non fondé ;
– condamner le Grand-Duché de Luxembourg aux dépens.
85 L’Irlande conclut à ce qu’il plaise au Tribunal d’annuler la décision attaquée en tout ou partie, conformément aux conclusions du Grand‑Duché de Luxembourg.
B. Sur la procédure dans l’affaire T‑318/18
86 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 mai 2018, Amazon EU S.à.r.l. et Amazon.com (ci‑après, dénommées ensemble, « Amazon ») ont introduit le recours dans l’affaire T‑318/18.
1. Sur la composition de la formation de jugement et sur le traitement prioritaire
87 Par décision du 9 juillet 2018, le président de la septième chambre du Tribunal a décidé d’accorder à l’affaire T‑318/18 le traitement prioritaire en vertu de l’article 67, paragraphe 2, du règlement de procédure.
88 Sur proposition de la septième chambre du Tribunal, le Tribunal a décidé le 11 juillet 2018, en application de l’article 28 du règlement de procédure, de renvoyer l’affaire T‑318/18 devant une formation de jugement élargie.
89 Un membre de la septième chambre élargie ayant été empêché de siéger, par décision du 19 juillet 2018, le président du Tribunal a désigné le vice-président du Tribunal pour compléter la formation de jugement. À la suite de la nomination d’un membre de la formation de jugement, le 6 octobre 2020, comme juge à la Cour, le juge le moins ancien au sens de l’article 8 du règlement de procédure s’est abstenu de participer aux délibérations et le présent arrêt a été délibéré par les trois juges dont il
porte la signature, conformément à l’article 22 dudit règlement.
2. Sur les demandes de traitement confidentiel
90 Par acte déposé au greffe le 12 juillet 2018, Amazon a demandé le traitement confidentiel, à l’égard du public, d’une partie de la requête ainsi que de certaines pièces annexées à celle-ci.
3. Sur les conclusions des parties
91 Amazon conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler les articles 1er à 4 de la décision attaquée ;
– à titre subsidiaire, annuler les articles 2 à 4 de la décision attaquée ;
– condamner la Commission aux dépens.
92 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner Amazon aux dépens dans l’affaire T‑318/18.
C. Sur la jonction des affaires et sur la phase orale de la procédure
93 Par actes déposés au greffe du Tribunal les 7 août 2018 et 25 avril 2019, le Grand‑Duché de Luxembourg a demandé la jonction des affaires T‑816/17 et T‑318/18 aux fins de la phase orale de la procédure et de la décision mettant fin à l’instance.
94 Par actes déposés au greffe les 10 août 2018 et 21 mai 2019, Amazon a demandé la jonction des affaires T‑816/17 et T‑318/18 aux fins de la phase orale de la procédure et de la décision mettant fin à l’instance.
95 Par décision du 14 septembre 2018, le président de la septième chambre élargie du Tribunal a décidé de ne pas joindre, à ce stade de la procédure, les affaires T‑816/17 et T‑318/18.
96 Par ordonnance du 3 octobre 2019, le président de la septième chambre élargie du Tribunal a décidé de joindre les affaires T‑816/17 et T‑318/18 aux fins de la phase orale de la procédure.
97 Sur proposition de la juge rapporteure, le Tribunal a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, a demandé aux parties de répondre à des questions écrites. Les parties ont répondu à cette mesure d’organisation de la procédure dans le délai imparti.
98 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience des 5 et 6 mars 2020. En outre, les parties ont été entendues lors de l’audience sur une jonction éventuelle des affaires T‑816/17 et T‑318/18 aux fins de la décision mettant fin à l’instance, ce dont le Tribunal a pris acte dans le procès‑verbal de l’audience. Le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon ainsi que l’Irlande ont indiqué qu’elles n’avaient pas
d’objections à une telle jonction. La Commission a précisé qu’elle n’était pas favorable à une éventuelle jonction des affaires aux fins de la décision mettant fin à l’instance.
III. En droit
99 Les recours introduits dans les affaires T‑816/17 et T‑318/18 tendent à l’annulation de la décision attaquée, en ce qu’elle qualifie la DFA en cause ainsi que sa mise en œuvre annuelle d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et en ce qu’elle ordonne la récupération des sommes qui n’auraient pas été collectées par le Grand‑Duché de Luxembourg auprès de LuxOpCo au titre de l’impôt sur le revenu des sociétés.
A. Sur la jonction des affaires T‑816/17 et T‑318/18 au regard de la décision mettant fin à l’instance
100 En vertu de l’article 19, paragraphe 2, du règlement de procédure, le président de la septième chambre élargie du Tribunal a déféré la décision sur la jonction des affaires T‑816/17 et T‑318/18 aux fins de la décision mettant fin à l’instance, qui relevait de sa compétence, à la septième chambre élargie du Tribunal.
101 Les parties ayant été entendues lors de l’audience à l’égard d’une jonction éventuelle, il y a lieu de joindre aux fins de la décision mettant fin à l’instance les affaires T‑816/17 et T‑318/18, pour cause de connexité.
B. Sur les moyens et les arguments invoqués
102 À l’appui de leurs recours, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon soulèvent respectivement cinq et neuf moyens, lesquels se recoupent en majeure partie. Dans son mémoire en intervention, l’Irlande se prononce sur quatre des cinq moyens avancés par le Grand-Duché de Luxembourg. En substance, les moyens du Grand-Duché de Luxembourg et d’Amazon peuvent être présentés de la manière suivante.
103 En premier lieu, dans le cadre du premier moyen dans l’affaire T‑816/17 ainsi que des premier à quatrième moyens dans l’affaire T‑318/18, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon contestent, en substance, le constat principal de la Commission quant à l’existence d’un avantage en faveur de LuxOpCo, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
104 En deuxième lieu, dans le cadre du troisième grief de la deuxième branche du premier moyen dans l’affaire T‑816/17 et du cinquième moyen dans l’affaire T‑318/18, le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon contestent les constats subsidiaires de la Commission portant sur l’existence d’un avantage fiscal en faveur de LuxOpCo au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
105 En troisième lieu, dans le cadre du deuxième moyen dans l’affaire T‑816/17 et des sixième et septième moyens dans l’affaire T‑318/18, le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon contestent les constats principaux et subsidiaires de la Commission portant sur la sélectivité de la DFA en cause.
106 En quatrième lieu, dans le cadre du troisième moyen dans l’affaire T‑816/17, le Grand‑Duché de Luxembourg fait valoir que la Commission a violé la compétence exclusive des États membres en matière de fiscalité directe.
107 En cinquième lieu, dans le cadre du quatrième moyen dans l’affaire T‑816/17 et dans le cadre du huitième moyen dans l’affaire T‑318/18, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon soutiennent que la Commission a violé leurs droits de la défense.
108 En sixième lieu, dans le cadre de la deuxième branche du premier moyen ainsi que du premier grief de la deuxième branche du deuxième moyen dans l’affaire T‑816/17 et du huitième moyen dans l’affaire T‑318/18, le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon contestent le fait que les lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 2017, telles qu’utilisées par la Commission aux fins de l’adoption de la décision attaquée, soient pertinentes en l’espèce.
109 En septième lieu, dans le cadre du cinquième moyen, invoqué au soutien des conclusions présentées à titre subsidiaire dans l’affaire T‑816/17 et du neuvième moyen dans l’affaire T‑318/18, le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon remettent en question le bien‑fondé du raisonnement de la Commission visant la récupération de l’aide ordonnée par cette institution.
110 Dans son mémoire en intervention, l’Irlande invoque, premièrement, la violation de l’article 107 TFUE en ce que la Commission n’a pas établi l’existence d’un avantage en faveur de LuxOpCo, deuxièmement, la violation de l’article 107 TFUE en ce que la Commission n’a pas prouvé la sélectivité de la mesure, troisièmement, la violation des articles 4 et 5 TUE en ce que la Commission a procédé à une harmonisation fiscale déguisée et, quatrièmement, la violation du principe de sécurité juridique en ce
que la décision attaquée ordonne la récupération de l’aide.
111 Afin de répondre de manière utile aux moyens des parties principales ainsi qu’aux arguments soulevés par l’Irlande dans le cadre de son mémoire en intervention, il y a lieu, d’abord, d’exposer certaines questions de droit qui sont d’application pour tous les griefs et moyens invoqués par les parties (points 112 à 129 ci‑après).
1. Observations préliminaires
112 Selon une jurisprudence constante, même si la fiscalité directe relève, en l’état actuel du développement du droit de l’Union, de la compétence des États membres, ces derniers doivent néanmoins exercer cette compétence dans le respect du droit de l’Union (voir arrêt du 12 juillet 2012, Commission/Espagne, C‑269/09, EU:C:2012:439, point 47 et jurisprudence citée). Ainsi, les interventions des États membres en matière de fiscalité directe, quand bien même elles porteraient sur des questions qui
n’ont pas fait l’objet d’une harmonisation dans l’Union, ne sont pas exclues du champ d’application de la réglementation relative au contrôle des aides d’État (arrêt du 24 septembre 2019, Pays‑Bas e.a./Commission, T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669, point 142).
113 Il en découle que la Commission peut qualifier une mesure fiscale d’aide d’État pour autant que les conditions d’une telle qualification soient réunies (voir, en ce sens, arrêts du 2 juillet 1974, Italie/Commission, 173/73, EU:C:1974:71, point 28, et du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:416, point 81). En effet, les États membres doivent exercer leur compétence en matière fiscale en conformité avec le droit de l’Union (arrêt du 3 juin 2010,
Commission/Espagne, C‑487/08, EU:C:2010:310, point 37). Par conséquent, ils doivent s’abstenir de prendre, dans ce contexte, toute mesure susceptible de constituer une aide d’État incompatible avec le marché intérieur (arrêt du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission, T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669, point 143).
a) Sur la détermination des conditions d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE dans le contexte des mesures fiscales nationales
114 Une mesure par laquelle les autorités publiques accordent à certaines entreprises un traitement fiscal avantageux qui, bien que ne comportant pas un transfert de ressources d’État, place les bénéficiaires dans une situation financière plus favorable que celle des autres contribuables constitue une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 15 mars 1994, Banco Exterior de España, C‑387/92, EU:C:1994:100, point 14 ; voir, également, arrêts du 8 septembre 2011, Paint Graphos
e.a., C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, point 46 et jurisprudence citée, et du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission, T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669, point 145 et jurisprudence citée).
115 Dans le cas des mesures fiscales, l’existence même d’un avantage ne peut être établie que par rapport à une imposition dite « normale » (arrêt du 6 septembre 2006, Portugal/Commission, C‑88/03, EU:C:2006:511, point 56). Partant, une telle mesure confère un avantage économique à son bénéficiaire dès lors qu’elle allège les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise et qui, de ce fait, sans être une subvention au sens strict du mot, est de même nature et a des effets identiques
(arrêts du 9 octobre 2014, Ministerio de Defensa et Navantia, C‑522/13, EU:C:2014:2262, point 22, et du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission, T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669, point 146).
116 En conséquence, afin de déterminer s’il existe un avantage fiscal, il convient de comparer la situation du bénéficiaire résultant de l’application de la mesure en cause avec celle de celui-ci en l’absence de la mesure en cause (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2018, Cellnex Telecom et Telecom Castilla-La Mancha/Commission, C‑91/17 P et C‑92/17 P, non publié, EU:C:2018:284, point 114) et en application des règles normales d’imposition (arrêt du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission,
T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669, point 147).
117 Dans le contexte de la détermination de la situation fiscale d’une société intégrée qui fait partie d’un groupe d’entreprises, il y a lieu de relever d’emblée que les prix des transactions intragroupe effectuées par celle‑ci n’ont pas été déterminés dans des conditions de marché. En effet, ces prix sont convenus entre sociétés appartenant au même groupe, de sorte qu’ils ne sont pas soumis aux forces du marché (arrêt du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission, T‑760/15 et T‑636/16,
EU:T:2019:669, point 148).
118 Or, lorsque le droit fiscal national n’opère pas de distinction entre les entreprises intégrées et les entreprises autonomes aux fins de leur assujettissement à l’impôt sur le revenu des sociétés, ce droit entend imposer le bénéfice résultant de l’activité économique d’une telle entreprise intégrée comme s’il résultait de transactions effectuées à des prix de marché. Dans ces conditions, il convient de constater que, lorsqu’elle examine dans le cadre de la compétence que lui confère
l’article 107, paragraphe 1, TFUE une mesure fiscale octroyée à une telle entreprise intégrée, la Commission peut comparer la charge fiscale d’une telle entreprise intégrée résultant de l’application de ladite mesure fiscale avec la charge fiscale résultant de l’application des règles d’imposition normales du droit national d’une entreprise, placée dans une situation factuelle comparable, exerçant ses activités dans des conditions de marché (arrêt du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission,
T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669, point 149).
119 Par ailleurs, ces conclusions sont corroborées par l’arrêt du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission (C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:416), qui concernait le droit fiscal belge, lequel prévoyait que les sociétés intégrées et les sociétés autonomes soient traitées dans les mêmes conditions. En effet, la Cour a reconnu au point 95 de cet arrêt la nécessité de comparer un régime d’aides dérogatoire à celui de « droit commun fondé sur la différence entre produits et charges pour une
entreprise exerçant ses activités dans des conditions de libre concurrence » (arrêt du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission, T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669, point 150).
120 Dans ce cadre, si, par le biais de la mesure fiscale octroyée à une société intégrée, les autorités nationales ont accepté un certain niveau de prix d’une transaction intragroupe, l’article 107, paragraphe 1, TFUE permet à la Commission de contrôler si ce niveau de prix correspond à celui qui aurait été pratiqué dans des conditions de marché, afin de vérifier s’il en résulte un allégement des charges grevant normalement le budget de l’entreprise en cause, lui conférant ainsi un avantage au sens
dudit article.
121 Il convient en outre de préciser que, lorsque la Commission fait application du principe de pleine concurrence afin de contrôler si le bénéfice imposable d’une entreprise intégrée en application d’une mesure fiscale correspond à une approximation fiable d’un bénéfice imposable dégagé dans des conditions de marché, elle ne peut constater l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE qu’à condition que l’écart entre les deux facteurs de comparaison aille au‑delà des
imprécisions inhérentes à la méthode appliquée pour obtenir ladite approximation (arrêt du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission, T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669, point 152).
122 Même si la Commission ne saurait être formellement liée par les lignes directrices de l’OCDE, il n’en demeure pas moins que ces lignes directrices se fondent sur des travaux réalisés par des groupes d’experts, qu’elles reflètent le consensus atteint à l’échelle internationale en ce qui concerne les prix de transfert et qu’elles revêtent de ce fait une importance pratique certaine dans l’interprétation des questions relatives aux prix de transfert (arrêt du 24 septembre 2019, Pays-Bas
e.a./Commission, T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669, point 155).
123 Dans ce contexte, il y a lieu de relever que, si la Commission détecte une erreur méthodologique dans la mesure fiscale soumise à l’examen, il ne saurait être conclu que le seul non‑respect de prescriptions méthodologiques aboutit nécessairement à une diminution de la charge fiscale. Encore faut-il que la Commission démontre que les erreurs méthodologiques qu’elle a identifiées dans la décision fiscale anticipative concernée ne permettent pas d’aboutir à une approximation fiable d’un résultat de
pleine concurrence et qu’elles ont abouti à une réduction du bénéfice imposable par rapport à la charge fiscale résultant de l’application des règles d’imposition normales du droit national à une entreprise placée dans une situation factuelle comparable à celle de la société concernée et exerçant ses activités dans des conditions de marché. Ainsi, le seul constat d’une erreur méthodologique ne suffit pas, en principe, à lui seul, à démontrer qu’un rescrit fiscal ait conféré un avantage à une
certaine société et, partant, à établir l’existence d’une aide d’État au sens de l’article 107 TFUE (arrêt du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission, T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669, point 201).
124 En effet, ainsi que l’a relevé, en substance, le Grand‑Duché de Luxembourg, selon une jurisprudence constante, l’article 107, paragraphe 1, TFUE définit une mesure d’allègement des charges pesant normalement sur une entreprise en fonction de ses effets (voir arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 85 et jurisprudence citée). L’existence d’une aide d’État ne saurait être ni présumée ni déduite d’une erreur de calcul sans incidence sur le
résultat.
b) Sur la charge de la preuve
125 Il importe de rappeler que, dans le cadre du contrôle des aides d’État, il appartient, en principe, à la Commission de rapporter, dans la décision attaquée, la preuve de l’existence d’une telle aide (voir, en ce sens, arrêts du 12 septembre 2007, Olympiaki Aeroporia Ypiresies/Commission, T‑68/03, EU:T:2007:253, point 34, et du 25 juin 2015, SACE et Sace BT/Commission, T‑305/13, EU:T:2015:435, point 95). Dans ce contexte, la Commission est tenue de conduire la procédure d’examen des mesures en
cause de manière diligente et impartiale, afin de disposer, lors de l’adoption d’une décision finale établissant l’existence et, le cas échéant, l’incompatibilité ou l’illégalité de l’aide, des éléments les plus complets et fiables possibles (arrêt du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission, T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669, point 194 ; voir également, en ce sens, arrêts du 2 septembre 2010, Commission/Scott, C‑290/07 P, EU:C:2010:480, point 90, et du 3 avril 2014, France/Commission,
C‑559/12 P, EU:C:2014:217, point 63).
126 Il en découle que, dans la décision attaquée, il incombait à la Commission de démontrer que les conditions d’existence d’une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, étaient réunies. À cet égard, il y a lieu de constater que, s’il est constant que l’État membre dispose d’une marge d’appréciation dans l’approbation des prix de transfert, cette marge d’appréciation ne saurait toutefois conduire à priver la Commission de sa compétence pour contrôler que les prix de transfert en
cause ne conduisent pas à l’octroi d’un avantage sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Dans ce contexte, la Commission doit tenir compte du fait que le principe de pleine concurrence lui permet de vérifier si un prix de transfert avalisé par un État membre correspond à une approximation fiable d’un résultat fondé sur le marché et si l’écart éventuellement constaté dans le cadre de cet examen ne va pas au-delà des imprécisions inhérentes à la méthode appliquée pour obtenir ladite
approximation (arrêt du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission, T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669, point 196).
c) Sur l’intensité du contrôle à opérer par le Tribunal
127 S’agissant de l’intensité du contrôle à opérer par le Tribunal en l’espèce, il convient de relever que, ainsi qu’il résulte de l’article 263 TFUE, l’objet du recours en annulation est le contrôle de la légalité des actes adoptés par les institutions de l’Union qui y sont énumérées. Dès lors, l’analyse des moyens soulevés dans le cadre d’un tel recours n’a ni pour objet ni pour effet de remplacer une instruction complète de l’affaire dans le cadre d’une procédure administrative (arrêt du
24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission, T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669, point 197 ; voir également, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2010, Commission/Deutsche Post, C‑399/08 P, EU:C:2010:481, point 84).
128 S’agissant du domaine des aides d’État, il y a lieu de rappeler que la notion d’aide d’État, telle qu’elle est définie dans le traité FUE, présente un caractère juridique et doit être interprétée sur la base d’éléments objectifs. Pour cette raison, le juge de l’Union doit, en principe et compte tenu tant des éléments concrets du litige qui lui est soumis que du caractère technique ou complexe des appréciations portées par la Commission, exercer un entier contrôle en ce qui concerne la question
de savoir si une mesure entre dans le champ d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (arrêts du 4 septembre 2014, SNCM et France/Corsica Ferries France, C‑533/12 P et C‑536/12 P, EU:C:2014:2142, point 15 ; du 30 novembre 2016, Commission/France et Orange, C‑486/15 P, EU:C:2016:912, point 87, et du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission, T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669, point 198).
129 Quant à la question de savoir si une méthode de détermination d’un prix de transfert d’une société intégrée est conforme au principe de pleine concurrence, il convient de rappeler, ainsi qu’il a été déjà indiqué ci‑dessus, que, lorsqu’elle utilise cet outil dans le cadre de son appréciation au titre de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, la Commission doit tenir compte de sa nature approximative. Le contrôle du Tribunal tend donc à vérifier que les erreurs identifiées dans la décision attaquée,
sur la base desquelles la Commission a fondé la constatation d’un avantage, vont au‑delà des imprécisions inhérentes à l’application d’une méthode destinée à obtenir une approximation fiable d’un résultat fondé sur le marché (arrêt du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission, T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669, point 199).
2. Sur les moyens et arguments tendant à contester le constat principal de l’avantage
130 Ainsi qu’exposé au point 103 ci-dessus, par la deuxième branche du premier moyen dans l’affaire T‑816/17, ainsi que par les premier à quatrième moyens dans l’affaire T‑318/18, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon font valoir que la Commission a violé l’article 107, paragraphe 1, TFUE lorsqu’elle a conclu à l’existence d’un avantage pour LuxOpCo dans le cadre du constat principal de l’avantage figurant dans la section 9.2.1 de la décision attaquée (considérants 409 à 561 de la décision
attaquée). Plus précisément, par ces moyens et arguments, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon tendent à contester le raisonnement de la Commission figurant aux considérants 394, 395 et 401 à 579 de la décision attaquée et selon lequel la mise en œuvre de la DFA en cause, pendant la période considérée, aurait abouti à une diminution de la rémunération de LuxOpCo, et ainsi de sa charge fiscale, par rapport à celle qu’elle aurait dû percevoir en l’absence de ladite décision, si elle avait été
traitée comme toute autre société contribuable se trouvant dans une situation comparable. Par leurs arguments soulevés quant au constat principal de l’avantage, le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon visent à remettre en cause notamment la constatation de la Commission selon laquelle LuxSCS aurait dû être considérée comme étant la partie à tester dans le cadre de l’application de la MTMN. Ils visent également à contester l’exactitude de l’application de la MTMN à LuxOpCo opérée par la
Commission.
131 Ainsi qu’il a été relevé au point 110 ci‑dessus, dans son mémoire en intervention, l’Irlande argumente au soutien du premier moyen invoqué par le Grand-Duché de Luxembourg.
132 Dans ce cadre, l’Irlande prend position sur de nombreuses questions de droit soulevées par l’interprétation de la notion de « principe de pleine concurrence », tel qu’appliqué par la Commission, en l’espèce, ainsi que dans certaines affaires d’aides d’État récentes en matière fiscale. En particulier, l’Irlande fait valoir que la jurisprudence du juge de l’Union, à savoir l’arrêt du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission (C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:416), « ne dit pas que les États
membres sont obligés d’appliquer le [principe de pleine concurrence] ». Selon cet État membre, ladite jurisprudence ne donne pas non plus de fondement à l’obligation imposée au Luxembourg d’appliquer le principe de pleine concurrence (dans la version défendue par la Commission) dans le droit national luxembourgeois. Enfin, l’Irlande soutient que, dans l’arrêt du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission (C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:416), la Cour n’a pas identifié de principe de pleine
concurrence propre au droit de l’Union indépendamment de ce que prévoit le droit national.
a) Sur la recevabilité de certains arguments de l’Irlande en ce qui concerne l’existence d’un avantage
133 La Commission excipe de l’irrecevabilité des arguments soulevés par l’Irlande à l’appui du premier moyen avancé par le Grand‑Duché de Luxembourg. En effet, selon elle, les arguments de l’Irlande tendent à faire valoir qu’elle aurait retenu une interprétation erronée de la notion d’avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en utilisant un critère inapproprié, à savoir un principe de pleine concurrence « sui generis », alors que, en réalité, par son premier moyen, le Grand‑Duché de
Luxembourg énoncerait plutôt que la Commission aurait procédé à une application erronée du principe de pleine concurrence.
134 À cet égard, il convient de rappeler que, si l’article 40, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et les articles 142, paragraphe 3, et 145, paragraphe 2, sous b), du règlement de procédure du Tribunal ne s’opposent pas à ce qu’un intervenant présente des arguments nouveaux ou différents de ceux de la partie qu’il soutient, sous peine de voir son intervention limitée à répéter les arguments avancés dans la requête, il ne saurait être admis que ces dispositions
lui permettent de modifier ou de déformer le cadre du litige défini par la requête en soulevant des moyens nouveaux (voir arrêt du 20 septembre 2019, Le Port de Bruxelles et Région de Bruxelles-Capitale/Commission, T‑674/17, non publié, EU:T:2019:651, point 44 et jurisprudence citée).
135 En d’autres termes, ces dispositions confèrent à la partie intervenante le droit d’exposer de manière autonome non seulement des arguments, mais aussi des moyens, pour autant que ceux-ci viennent au soutien des conclusions d’une des parties principales et ne soient pas d’une nature totalement étrangère aux considérations qui fondent le litige tel qu’il a été constitué entre la partie requérante et la partie défenderesse, ce qui aboutirait à en altérer l’objet (voir arrêt du 20 septembre 2019, Le
Port de Bruxelles et Région de Bruxelles-Capitale/Commission, T‑674/17, non publié, EU:T:2019:651, point 45 et jurisprudence citée).
136 En l’espèce, il convient de constater que, par ses arguments, l’Irlande vise en substance le fondement juridique invoqué par la Commission quant à l’obligation imposée au Grand-Duché de Luxembourg d’appliquer le principe de pleine concurrence. L’Irlande remet en cause donc les sources de droit de ce principe, tel qu’appliqué par la Commission dans la décision attaquée. De surcroît, les arguments de l’Irlande ont trait à l’interprétation du contenu de ce principe et non à son application par
l’intermédiaire d’une méthode de détermination de prix de transfert.
137 Or, il est constant que le principe de pleine concurrence, tel qu’applicable en l’espèce, peut être tiré de l’article 164, paragraphe 3, de la LIR concernant l’impôt sur le revenu, telle que modifiée. Cet élément ressort notamment du considérant 241 de la décision attaquée, sans que cette conclusion ait été remise en cause par les parties. Le premier moyen du Grand‑Duché de Luxembourg n’a pas trait à la question de savoir quelle est la source de droit dudit principe, ni à des questions
d’interprétation de ce principe. De fait, par son premier moyen, le Grand‑Duché de Luxembourg invoque l’existence de prétendues erreurs dans l’application, par la Commission, de certaines méthodes de détermination de prix de transfert dans le cadre de son raisonnement concernant l’existence d’un avantage, sachant que ces méthodes permettent de constater en fin de compte si une redevance correspond à un résultat de pleine concurrence.
138 Il s’ensuit que les arguments soulevés par l’Irlande au soutien du premier moyen du Grand‑Duché de Luxembourg sont étrangers aux considérations qui fondent son premier moyen. De ce fait, ils doivent être rejetés comme étant irrecevables.
b) Sur le bien‑fondé des moyens et arguments du Grand‑Duché de Luxembourg et d’Amazon visant le constat principal de l’avantage
139 En complément des éléments exposés au point 130 ci‑dessus, il y a lieu de relever que, dans le cadre de la première branche du premier moyen dans l’affaire T‑816/17, ainsi que du premier moyen dans l’affaire T‑318/18, le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon remettent en cause le bien‑fondé du refus de la Commission d’appliquer la méthode CUP dans le cadre d’une analyse ex post sur la base des accords comparables présentés à la Commission par Amazon.com.
140 Dans le cadre des premier et deuxième griefs de la deuxième branche du premier moyen dans l’affaire T‑816/17, ainsi que du deuxième moyen dans l’affaire T‑318/18, le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon font valoir que l’analyse fonctionnelle menée par la Commission dans le cadre de son application de la MTMN est erronée en ce qu’elle a conclu que LuxSCS était la partie la moins complexe et que l’application de la MTMN par la Commission reposait sur des choix méthodologiques erronés.
141 Dans le cadre de la deuxième branche du premier moyen dans l’affaire T‑816/17, ainsi que du troisième moyen dans l’affaire T‑318/18, le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon soutiennent que la Commission a opéré, dans son analyse principale, une sélection arbitraire et partiale parmi les témoignages issus de la procédure américaine mentionnée au point 14 ci‑dessus.
142 Dans le cadre de la troisième branche du premier moyen dans l’affaire T‑816/17 ainsi que de la sixième branche du deuxième moyen et du quatrième moyen dans l’affaire T‑318/18, le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon affirment que le résultat obtenu par la Commission dans la décision attaquée s’écarte d’une approximation fiable d’un résultat de pleine concurrence.
143 Ainsi, en substance, les arguments invoqués par le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon à l’encontre du constat principal de l’avantage tendent à contester, d’une part, le fait que la Commission ait écarté l’utilisation de la méthode CUP et, d’autre part, l’application de la MTMN effectuée par la Commission.
144 S’agissant des arguments tendant à contester le fait que la Commission ait écarté l’utilisation de la méthode CUP, il convient de relever qu’il est constant que la DFA en cause n’a pas fait application de cette méthode. En effet, quand bien même cette méthode aurait été examinée dans le rapport sur les prix de transfert de 2003, fourni aux autorités fiscales à l’appui de la demande de DFA, elle n’a pas été retenue dans la lettre du 23 octobre 2003 par laquelle Amazon a sollicité l’approbation de
la méthode de calcul de la redevance (voir point 9 ci-dessus). Ainsi qu’il ressort en particulier du considérant 542 de la décision attaquée, dans son analyse visant à démontrer l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, la Commission s’est uniquement fondée sur la MTMN. En revanche, les appréciations de la Commission visant à écarter l’applicabilité de la méthode CUP (considérants 521 à 538 de la décision attaquée) ne sont pas de nature à démontrer l’existence de la
première condition de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Compte tenu du fait que c’est à la Commission de démontrer l’existence d’un avantage (voir points 125 à 126 ci‑dessus) et vu le fait que les appréciations de la Commission visant à écarter l’applicabilité de la méthode CUP ne tendent pas à une telle démonstration, il n’est pas utile d’aborder les arguments et les moyens des parties requérantes concernant la méthode CUP.
145 S’agissant des arguments visant à contester le bien‑fondé des appréciations de la Commission en ce qui concerne l’application de la MTMN effectuée par cette institution (voir points 146 à 297 ci‑après), il y aura lieu, premièrement, de relever quelle est la version pertinente des lignes directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert (voir points 146 à 155 ci‑après). Deuxièmement, il conviendra de vérifier si le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon sont en droit de soutenir que la
Commission a commis des erreurs lors de l’application de la MTMN dans la décision attaquée, qui aurait invalidé son constat principal relatif à l’avantage (voir points 156 à 297 ci‑après).
1) Sur la pertinence, dans le temps, de certaines lignes directrices de l’OCDE utilisées par la Commission aux fins de l’application de la MTMN
146 Afin de démontrer l’existence d’un avantage, la Commission a, dans la section 9.2 de la décision attaquée, appliqué une série d’orientations de l’OCDE en matière de prix de transfert dans différentes versions de celles-ci.
147 Dans le cadre du premier grief de la deuxième branche de son deuxième moyen, le Grand-Duché de Luxembourg fait en substance valoir que, en l’espèce, c’est le contexte économique et le cadre réglementaire tels qu’ils prévalaient en 2003 qui doivent être pris en compte. Sans compter le fait que, au moment de l’adoption de la DFA en cause, en 2003, tout comme au moment de sa dernière prorogation en 2010, les lignes directrices de l’OCDE ne constituaient que des orientations indicatives pour les
autorités luxembourgeoises, dépourvues de toute force contraignante pour ces dernières, les seules lignes directrices de l’OCDE qui auraient été disponibles au moment de l’adoption de la DFA étaient les lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995. Dans la décision attaquée, la Commission se serait toutefois référée aux lignes directrices de l’OCDE dans leurs versions de 2010 et de 2017, ce qui équivaudrait à une application ratione temporis inappropriée du cadre de référence, lequel
devrait être déterminé sur la base des faits et des méthodes de calcul de prix qui existaient à la date de l’adoption des mesures en cause.
148 Amazon ajoute que les lignes directrices de l’OCDE dans leurs versions de 2010 et de 2017 ont apporté plusieurs modifications importantes par rapport à leur version de 1995, telles que l’introduction de la méthode d’analyse des fonctions « Développement, amélioration, entretien, protection et exploitation » (Development, Enhancement, Maintenance, Protection and Exploitation, ci‑après les « fonctions DEMPE »). Amazon conteste, en particulier, la pertinence de l’application, par la Commission, de
cette méthode, dans la mesure où elle ne serait apparue que postérieurement à la date de l’adoption de la DFA en cause, à savoir dans la version de 2017 des lignes directrices de l’OCDE.
149 La Commission conteste ces arguments.
150 Elle indique d’abord que la décision attaquée n’applique pas les lignes directrices de l’OCDE comme si elles constituaient des normes contraignantes, mais comme s’il s’agissait d’un outil l’aidant à appliquer le critère établi par la Cour au point 95 de l’arrêt du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission (C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:416). Selon la Commission, contrairement à ce que le Grand‑Duché de Luxembourg semble avancer, l’administration fiscale luxembourgeoise s’est régulièrement
fondée sur ces lignes directrices pour interpréter le principe de pleine concurrence, de sorte que les principes de l’OCDE demeurent pertinents en l’espèce.
151 La Commission ajoute ensuite que toutes les constatations formulées dans la décision attaquée reposent sur les lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995 et que les références aux lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 2010 et de 2017 ne sont évoquées que lorsque ces versions ultérieures clarifient les lignes directrices dans leur version de 1995 sans pour autant modifier ces dernières.
152 En l’espèce, il résulte d’un certain nombre de notes en bas de page de la décision attaquée que la Commission a fondé, ne serait‑ce que partiellement, ses appréciations relatives à l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE non seulement sur les lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995, mais également sur lesdites lignes dans leurs versions de 2010 et de 2017. S’agissant des versions des lignes directrices de l’OCDE de 1995, de 2010 et de 2017, il y a
lieu de constater que celles‑ci divergent sur plusieurs points, et ce dans une mesure différente. Ces différences vont de simples précisions n’ayant aucune incidence sur la substance des versions antérieures à des ampliations inédites, à savoir des préconisations qui n’étaient pas contenues, y compris de manière implicite, dans les versions antérieures. Une des ampliations inédites des lignes directrices de l’OCDE qui n’est apparue que dans la version de 2017 est la méthode d’analyse des
fonctions DEMPE (voir point 148 ci‑dessus). Dans le cadre du constat principal de l’existence d’un avantage économique, la Commission s’est axée notamment sur cette méthode d’analyse.
153 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il ressort de l’article 1er et – de manière implicite – notamment des considérants 394 et 620 de la décision attaquée, la mesure en cause, telle qu’identifiée par la Commission, est la DFA en cause ainsi que l’acceptation ultérieure des déclarations annuelles à l’impôt sur le revenu des sociétés de LuxOpCo fondées sur ladite décision. Pendant la période considérée, LuxOpCo a effectué ses déclarations fiscales sur la base de la méthode de calcul
avalisée dans la DFA en cause et ladite décision a été prorogée en 2006 et en 2010.
154 Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de constater que la Commission pouvait fonder ses appréciations concernant l’existence d’un avantage sur les orientations – qui ne sont, d’ailleurs, qu’un outil non contraignant – qui résultaient des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995. En revanche, dans la mesure où la Commission s’est fondée sur les lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 2010, cette dernière version n’est pas pertinente, à moins qu’il ne s’agisse que d’une
clarification utile, sans autre ampliation, des orientations déjà dégagées en 1995. Du reste, du fait qu’elles ont été publiées après la période considérée et dans la mesure où les préconisations y figurant ont largement évolué par rapport aux orientations de 1995, les lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 2017 ne sont pas pertinentes en l’espèce.
155 En ce qui concerne, en particulier, la méthode d’analyse des fonctions DEMPE, celle‑ci ne saurait être considérée comme étant pertinente d’un point de vue temporel, en l’espèce, car elle constitue un outil qui n’a été élaboré que dans les lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 2017.
2) Sur les prétendues erreurs commises par la Commission lors de l’application de la MTMN dans la décision attaquée
156 Ainsi qu’exposé au point 9 ci-dessus, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon contestent toute une série d’appréciations de la Commission liées à l’application de la MTMN dans le cadre du constat principal de l’avantage.
157 Pour rappel, la MTMN est une méthode indirecte de détermination des prix de transfert. Ainsi que décrit au point 3.26 des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995, cette méthode consiste à déterminer, à partir d’une base appropriée, le bénéfice net que réalise un contribuable au titre d’une transaction contrôlée ou au titre de transactions contrôlées qui sont étroitement liées ou continues. Afin de déterminer cette base appropriée, il y a lieu de choisir un indicateur de niveau de
bénéfice, tel que les coûts, les ventes ou les actifs. L’indicateur du bénéfice net obtenu par le contribuable au titre d’une transaction contrôlée doit être déterminé par référence à l’indicateur du bénéfice net que le même contribuable ou une entreprise indépendante réalise au titre de transactions comparables sur le marché libre.
158 Ainsi qu’il ressort du point 3.26 des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995, la MTMN implique d’identifier une partie à la transaction pour laquelle un indicateur de niveau de bénéfice est testé, par exemple une marge sur coûts. Cette partie est désignée comme étant la « partie à tester ». Il s’agit de la partie dont la marge dite de « pleine concurrence » doit être déterminée. En règle générale, la partie à tester est celle à qui une méthode de prix de transfert peut être
appliquée de la manière la plus fiable possible et pour laquelle les comparables les plus fiables possibles peuvent être trouvés.
159 Le choix de la partie à tester se fait sur la base d’une analyse fonctionnelle des parties à la transaction intragroupe. Selon le point 3.43 des lignes directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert dans leur version de 1995, la partie à tester sera le plus souvent celle dont l’analyse fonctionnelle est la moins complexe. Selon une compréhension existant déjà à l’époque à laquelle les lignes directrices de 1995 s’appliquaient, l’analyse fonctionnelle implique le plus souvent d’examiner
les fonctions exercées par une entité, les actifs détenus et les risques assumés.
160 En outre, il y a lieu de relever que la MTMN est considérée comme une méthode appropriée pour tester la rémunération de pleine concurrence de la partie qui n’apporte aucune contribution unique ou de valeur en lien avec la transaction qui fait l’objet de l’analyse des prix de transfert.
161 En l’espèce, le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon ne contestent pas, en tant que tel, le choix, par la Commission, de la MTMN. En revanche, ils contestent uniquement le fait que l’application de cette méthode, telle qu’effectuée par la Commission, ait été correcte. Premièrement, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon contestent l’analyse fonctionnelle opérée par la Commission et le choix de LuxSCS en tant que partie à tester aux fins de l’application de la MTMN, deuxièmement, le calcul de la
rémunération de LuxSCS, à savoir le choix de l’indicateur de niveau de bénéfice et du taux de marge retenu par la Commission en application de la MTMN, et, troisièmement, la fiabilité du résultat obtenu.
i) Sur l’analyse fonctionnelle et le choix, par la Commission, de LuxSCS en tant que partie à tester
162 Les considérants 409 à 561 de la décision attaquée, à savoir ceux portant sur le constat principal de l’avantage, tendent à démontrer, pour l’essentiel, que, en l’espèce, les autorités fiscales luxembourgeoises auraient dû appliquer la MTMN, en retenant LuxSCS en tant que partie à tester, puisque celle‑ci serait, au regard de l’analyse fonctionnelle opérée par la Commission, la partie la « moins complexe ». Il résulte également de ces considérants que, selon la Commission, si les autorités
fiscales luxembourgeoises avaient fait une application de la MTMN en retenant LuxSCS comme partie à tester, la rémunération de LuxOpCo aurait été supérieure à la rémunération déterminée en application de la DFA en cause. Selon la Commission, en conséquence, l’application de la MTMN en retenant LuxSCS comme partie à tester aurait abouti à une moindre redevance pour LuxSCS et ainsi à une rémunération supérieure pour LuxOpCo.
163 Dans le cadre de la deuxième branche du premier moyen dans l’affaire T‑816/17 et du deuxième moyen dans l’affaire T‑318/18, le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon contestent l’analyse fonctionnelle opérée par la Commission. Ils font notamment valoir que les fonctions de LuxSCS ainsi que les actifs mobilisés et les risques assumés par celle-ci ont été minimisés par la Commission. Selon eux, LuxSCS détenait les actifs incorporels et exerçait des fonctions uniques et de valeur et ne pouvait, de ce
fait, être retenue comme l’entité à tester aux fins de l’application de la MTMN opérée par la Commission.
164 Dans ce contexte, il y a lieu de souligner que, par leur argumentation concernant le constat principal de l’avantage, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon ne remettent pas en cause le bien‑fondé du choix, opéré par la Commission, de la MTMN comme étant la méthode appropriée pour la détermination du caractère de pleine concurrence de la redevance. Lorsqu’ils remettent en cause les appréciations de la Commission en ce qui concerne l’analyse fonctionnelle de LuxSCS figurant dans la
section 9.2.1.1 de la décision attaquée, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon tendent donc, en substance, à contester l’affirmation de la Commission selon laquelle LuxSCS aurait dû être considérée par les autorités fiscales luxembourgeoises comme étant la partie la « moins complexe » et donc la partie à tester dans le cadre de l’application de la MTMN.
165 Pour répondre à ces arguments du Grand‑Duché de Luxembourg et d’Amazon selon lesquels la Commission n’aurait pas été en droit de conclure que les autorités fiscales luxembourgeoises auraient dû appliquer la MTMN en retenant LuxSCS en tant que partie à tester, il n’est pas nécessaire de vérifier le bien‑fondé de l’analyse fonctionnelle de LuxOpCo. En revanche, dans la mesure où la Commission a cherché à appliquer la MTMN en retenant LuxSCS en tant que partie à tester, il suffit de vérifier le
bien‑fondé de l’analyse fonctionnelle de LuxSCS, telle que cette analyse ressort de la section 9.2.1.1 de la décision attaquée, et si, au regard de cette analyse, il était possible d’appliquer de manière suffisamment fiable la MTMN à LuxSCS.
166 À cet égard, il y a lieu de rappeler à titre liminaire que, selon le point 3.43 des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995, la partie à laquelle la MTMN est appliquée « devra être l’entreprise pour laquelle des données fiables sur les transactions les plus étroitement comparables peuvent être identifiées », que cela « impliquera souvent de choisir l’entreprise associée qui est la moins complexe des entreprises concernées par la transaction et qui ne possède pas d’actifs
incorporels uniques et de valeur » et que, « [t]outefois, le choix pourra être limité par l’insuffisance de données disponibles ». Selon ce point, en d’autres termes, si, en règle générale, l’entité pour laquelle il existe le plus d’éléments fiables aux fins de l’identification de comparables est souvent l’entité la « moins complexe », la finalité de l’application de la MTMN n’est pas forcément de faire dépendre cette application de l’identification de l’entité la « moins complexe ». En
revanche, ce qui importe dans l’application de cette méthode, c’est d’avoir identifié la partie pour laquelle les données les plus fiables peuvent être trouvées, d’une part, et la question de savoir si la MTMN peut être appliquée de manière fiable à cette partie, d’autre part.
167 En conséquence de ce qui vient d’être exposé au point 166 ci‑dessus, et ainsi qu’il résulte, en particulier, des points 3.26, 3.28, 3.29, 3.34 et 3.43 des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995, l’application de la MTMN implique nécessairement de trouver des données fiables pour la comparaison avec la partie à tester. Ainsi, l’intégralité des appréciations concernant l’analyse fonctionnelle, l’examen des fonctions, les considérations concernant des actifs et des risques assumés,
ainsi que toutes les considérations concernant le caractère « unique et de valeur » des actifs mis en œuvre ne sont que des critères à prendre en compte dans le choix de la partie à tester afin de s’assurer d’aboutir à un résultat fiable.
168 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les griefs tendant à contester l’analyse fonctionnelle de LuxSCS opérée par la Commission ainsi que sa conclusion selon laquelle cette entité devait être l’entité à tester.
169 À cet égard, il convient de rappeler que, dans la section 9.2.1.1.1 de la décision attaquée (considérants 419 à 429 de cette décision), la Commission a décrit les fonctions exercées par LuxSCS dans le cadre de la transaction contrôlée.
170 En substance, ainsi que résumé au considérant 418 de la décision attaquée, l’analyse de la Commission repose sur les trois affirmations principales suivantes. Tout d’abord, celle-ci a considéré que LuxSCS n’avait pas exercé de fonctions « actives » liées à la mise au point, l’amélioration, la gestion et l’exploitation des actifs incorporels, qu’elle n’y était pas habilitée, du fait de la licence exclusive concédée à LuxOpCo, et qu’elle n’en avait pas non plus la capacité. Ensuite, la Commission
a indiqué que, selon elle, LuxSCS n’avait pas utilisé d’actifs liés à ces actifs incorporels, mais avait simplement détenu passivement la propriété desdits actifs et une licence sur ces derniers en vertu de l’ARC. Enfin, elle a relevé que LuxSCS n’avait assumé ni contrôlé les risques liés à ces activités, pas plus qu’elle n’avait eu la capacité opérationnelle et financière de le faire.
171 Au considérant 429 de la décision attaquée, la Commission a conclu que, au cours de la période considérée, les seules fonctions qui auraient pu effectivement être considérées comme ayant été exercées par LuxSCS étaient des fonctions liées au maintien de sa « propriété légale » des actifs incorporels, bien que même ces fonctions aient été exercées sous le contrôle de LuxOpCo. De fait, ainsi qu’il ressort des considérants 418 et 430 de la décision attaquée, LuxSCS se serait bornée à détenir
« passivement » les actifs incorporels.
172 Ensuite, dans la section 9.2.1.1.2 de la décision attaquée, intitulée « Actifs utilisés par LuxSCS », et en particulier au considérant 430 de cette décision, la Commission a, en substance, à nouveau, rappelé que LuxSCS n’était que le détenteur passif des actifs incorporels. Au considérant 431 de la décision attaquée, la Commission a contesté le fait que LuxSCS aurait utilisé les actifs incorporels en les cédant sous licence à LuxOpCo. Au considérant 432 de la décision attaquée, elle a réitéré
son avis selon lequel, en tout état de cause, LuxSCS n’avait pas la capacité d’utiliser effectivement les actifs incorporels.
173 Enfin, dans la section 9.2.1.1.3 de la décision attaquée (considérants 436 à 446 de cette décision), intitulée « Risques assumés par LuxSCS », la Commission a analysé les risques encourus par LuxSCS dans la mesure où ces risques étaient pertinents dans le cadre de l’accord de licence. Au considérant 446 de ladite décision, elle a conclu à cet égard que LuxSCS ne pouvait être considérée comme ayant effectivement assumé les risques liés à la mise au point, à l’amélioration, à la gestion et à
l’exploitation des actifs incorporels d’Amazon et qu’elle n’avait pas la capacité financière d’assumer de tels risques.
174 De plus, dans la section 9.2.1.4.1 de la décision attaquée, intitulée « La partie testée devrait être LuxSCS », la Commission a affirmé, en substance, qu’il convenait d’éviter de confondre la complexité des actifs détenus et la complexité des fonctions exercées par les parties à la transaction intragroupe concernée (considérant 546 de la décision attaquée). Elle a ensuite soutenu que rien ne permettrait d’affirmer qu’une société liée appartenant à un groupe qui cède sous licence un actif
incorporel à une autre société du groupe exerce des fonctions plus complexes que cette société du simple fait qu’elle détient la propriété légale d’un actif complexe (considérant 546 de la décision attaquée). En conséquence, selon elle, l’administration fiscale luxembourgeoise aurait dû rejeter l’affirmation d’Amazon selon laquelle la simple propriété légale des actifs incorporels constituait en soi une « contribution unique ». Elle aurait dû plutôt exiger une analyse fonctionnelle démontrant
que LuxSCS exerçait des « fonctions uniques et de valeur » (considérant 547 de la décision attaquée). Enfin, selon la Commission, bien que LuxSCS fût le propriétaire légal des actifs incorporels au cours de la période considérée, l’analyse fonctionnelle effectuée à la section 9.2.1.1 de la décision attaquée démontrerait que cette société n’a exercé aucune fonction « active » et essentielle en rapport avec la mise au point, l’amélioration, l’entretien ou l’exploitation de ceux-ci (considérant 548
de la décision attaquée).
175 Les appréciations de la Commission relatives aux fonctions de LuxSCS se recoupent pour une grande partie avec celles relatives aux actifs utilisés par LuxSCS. Il en est de même s’agissant des arguments soulevés par le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon à l’encontre de ces appréciations. Il convient donc d’analyser conjointement ces arguments, puis ceux relatifs aux risques assumés par LuxSCS afin d’examiner si la Commission a correctement considéré que cette dernière devait être retenue comme
l’entité à tester.
– Sur les fonctions et actifs de LuxSCS
176 Le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon contestent les affirmations de la Commission concernant les fonctions de LuxSCS. En revanche, s’agissant des actifs incorporels de LuxSCS, ils s’accordent à considérer que ces derniers étaient « uniques et de valeur », sans toutefois prendre le soin de définir ces termes.
177 Premièrement, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon reprochent à la Commission de ne pas avoir tenu compte du fait que les lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995 disposaient que la partie détenant les actifs incorporels ne serait généralement pas la partie testée pour l’application de la MTMN. À cet égard, le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon insistent sur le fait que LuxSCS détenait des actifs incorporels uniques et de valeur. La technologie mise à disposition par LuxSCS
aurait joué un rôle central dans le développement des activités du groupe Amazon en Europe. Ces actifs incorporels auraient été indispensables pour toutes les activités du groupe Amazon en Europe. En outre, le Grand-Duché de Luxembourg souligne que, par l’octroi d’une licence sur les actifs incorporels à LuxOpCo, LuxSCS a fait bénéficier LuxOpCo des activités de développement réalisées par ATI et A 9 aux États-Unis et lui a permis d’exploiter de manière optimale ces actifs. Par conséquent,
LuxOpCo devrait rémunérer LuxSCS non seulement pour ses contributions, mais également indirectement les entités américaines du groupe Amazon pour leurs contributions.
178 Deuxièmement, le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon contestent la position de la Commission consistant à distinguer entre des fonctions dites « actives » et des fonctions dites « passives » et à ne retenir que ces dernières aux fins de l’analyse fonctionnelle. Ils reprochent à la Commission, dans ce contexte, également de ne pas avoir pris en compte, dans l’analyse des fonctions, le fait que LuxSCS ait mis les actifs incorporels à disposition de LuxOpCo, dans le cadre de la transaction
contrôlée. Amazon ajoute que la mise à disposition des actifs incorporels par l’octroi à LuxOpCo d’une licence constitue une exploitation de ces actifs par LuxSCS, comme le préconise le point 6.32 des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 2017.
179 Troisièmement, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon font valoir que LuxSCS a, contrairement à ce qu’invoque la Commission, exercé des fonctions uniques et de valeur. Dans ce contexte, ils indiquent notamment que, au travers de sa participation à l’ARC, LuxSCS contribuait au développement continu des actifs incorporels, et ce quand bien même elle n’aurait pas eu de salariés. Toujours selon le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon, les contributions des entités américaines ATI et A 9, à savoir le
développement et les améliorations continues de la propriété intellectuelle, doivent être attribuées à LuxSCS ou considérées comme faisant partie des contributions de LuxSCS. Selon eux, LuxSCS aurait ainsi exercé des fonctions « uniques et de valeur » qui justifieraient de la considérer comme la partie la plus complexe à la transaction. Amazon fait valoir, en outre, que le fait que LuxSCS ait eu ou non la capacité d’exploiter une entreprise de commerce électronique entièrement seule et sans
accorder de licence sur les actifs incorporels à une autre entité serait sans pertinence pour apprécier le caractère unique de ses fonctions.
180 La Commission conteste ces arguments.
181 La Commission insiste sur le fait que LuxSCS n’ait fait que détenir « passivement » les actifs incorporels et qu’elle ne les ait pas effectivement utilisés. La simple propriété d’un actif incorporel unique et de valeur ne suffirait pas à considérer que cette entité est complexe. En l’espèce, elle ne suffirait pas non plus à justifier l’attribution à LuxSCS de la quasi‑totalité des bénéfices générés par LuxOpCo, quand bien même aucune des activités de LuxOpCo ne pourrait être exercée sans accès
aux actifs incorporels. Après la conclusion de l’accord de licence, LuxSCS n’aurait plus été habilitée à utiliser les actifs, pas plus qu’elle n’en aurait eu la capacité. Ce serait uniquement LuxOpCo qui aurait utilisé les actifs incorporels dans le cadre de ses activités commerciales. Dans ce contexte, la Commission rappelle également que LuxSCS ne disposait pas de salariés et n’avait pas la capacité d’exercer les fonctions en lien avec le développement, l’amélioration et l’exploitation des
actifs incorporels.
182 Qui plus est, selon la Commission, le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon se réfèrent à tort aux contributions des entités du groupe Amazon situées aux États-Unis (voir point 179 ci‑dessus), dans la mesure où ces dernières ne sont pas concernées par l’accord de licence et agissent indépendamment de LuxSCS. Toute fonction éventuelle de ces entités en rapport avec les actifs incorporels, la circonstance que Amazon.com orientait LuxSCS ou LuxOpCo ou encore les caractéristiques de l’accord d’entrée
et de l’ARC seraient donc dénuées de pertinence pour l’analyse fonctionnelle de LuxSCS. Les fonctions de développement opérées par ATI et A 9 ne pourraient donc être attribuées à LuxSCS, dans la mesure où les différentes parties à l’ARC agissent pour leur compte et à leurs risques. La Commission fait valoir que, en tout état de cause, l’accord d’entrée et l’ARC fixaient déjà la rémunération de pleine concurrence pour les fonctions exercées par ATI et A 9 en lien avec les actifs incorporels.
Toute autre transaction intragroupe entre les entités américaines et LuxOpCo en lien avec les actifs incorporels, dont ni le Grand-Duché de Luxembourg ni Amazon n’auraient, en tout état de cause, démontré l’existence, ne saurait justifier le versement des bénéfices résiduels de LuxOpCo à LuxSCS.
183 À cet égard, en premier lieu, il importe de rappeler que, ainsi qu’il a d’ores et déjà été relevé au point 166 ci‑dessus, selon le point 3.43 des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995, l’« entreprise associée à laquelle la méthode transactionnelle de la marge nette est appliquée devrait être l’entreprise pour laquelle des données fiables sur les transactions les plus étroitement comparables peuvent être identifiées » et cela « impliquera[it] souvent de choisir l’entreprise
associée qui [serait] la moins complexe des entreprises concernées par la transaction et qui ne posséde[rait] pas d’actifs incorporels de valeur ou des actifs uniques ». La notion d’« actifs uniques » ou « de valeur » n’est pas expressément explicitée dans les lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995.
184 Il découle du point 3.43 des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995 que ces lignes préconisaient de ne pas retenir la partie détenant des actifs uniques et de valeur comme étant la partie à tester aux fins de l’application de la MTMN, mais de lui préférer une autre entité partie à la transaction contrôlée. La logique sous-jacente audit point 3.43 est celle suivant laquelle, en général, il est davantage compliqué de pouvoir trouver des comparables fiables afin d’examiner la partie
à la transaction contrôlée qui possède des actifs incorporels uniques et de valeur. Cette compréhension ressortait également du point 6.26 des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995. Selon ce point, en présence de biens incorporels de grande valeur, il pouvait être difficile d’identifier des transactions comparables entre entreprises indépendantes. Il ressort de ce même point que l’identification de comparables serait plus difficile du fait de la simple possession d’actifs
incorporels uniques ou de valeur. Il convient de relever que le point 6.26 des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995 repose sur la prémisse selon laquelle un actif incorporel peut être réputé comme étant « unique » quand il n’y a pas de comparable pour cet actif. Un actif incorporel est « de valeur » quand il permet de générer des recettes importantes. Par ailleurs, il convient de constater que cette compréhension correspond à la définition de la notion qui figure au point 6.17
des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 2017. Il résulte de ce point que les « actifs incorporels uniques et de valeur » sont ceux, premièrement, qui ne sont pas comparables aux actifs incorporels utilisés par les parties à des transactions potentiellement comparables et, deuxièmement, dont l’utilisation dans les affaires opérations devrait produire des bénéfices économiques futurs plus importants que ceux que l’on pourrait atteindre en l’absence desdits actifs incorporels.
185 En l’espèce, premièrement, il est constant que LuxSCS détenait les droits sur les actifs incorporels du groupe Amazon en Europe et qu’elle mettait ces actifs à disposition de LuxOpCo, en vertu de l’accord de licence.
186 À cet égard, il convient de relever en complément des éléments indiqués aux points 4 et 5 ci‑dessus que, en vertu de l’accord de cession conclu entre ATI et LuxSCS le 1er janvier 2005, lequel est une des composantes de l’accord d’entrée, LuxSCS s’est vu transférer la propriété d’une partie de ces actifs (voir points 3.1 et 3.2 dudit accord), à savoir, notamment et essentiellement, les noms de domaines Internet en Europe, tels que amazon.co.uk, amazon.fr et amazon.de.
187 Ensuite, en vertu de l’accord de licence conclu entre ATI et LuxSCS le 1er janvier 2005, LuxSCS a reçu le droit d’utiliser, en Europe, la majeure partie des actifs incorporels du groupe Amazon préexistant en 2005, à savoir la technologie, les inventions, les brevets, les marques, les droits liés aux clients, etc., sans que ce droit de licence de LuxSCS ait été un droit exclusif.
188 De plus, en vertu du point 6.2, sous a), et du point 6.3, sous a), de l’ARC, LuxSCS détenait une licence non exclusive sur la propriété intellectuelle de A 9 et d’ATI, développée après 2005, ainsi que la propriété des droits dérivés, développée après 2005, à partir des actifs incorporels dont LuxSCS est le titulaire légal.
189 Enfin, LuxSCS a également conclu des accords de licence et de cession de droits de propriété intellectuelle (Intellectual Property Assignment and License Agreement) avec les sociétés liées européennes, en vertu desquels elle a reçu les marques déposées et les droits de propriété intellectuelle sur les sites Internet européens que celles-ci détenaient.
190 Ainsi, les actifs incorporels sur lesquels LuxSCS détenait des droits incluaient les trois catégories de propriété intellectuelle suivantes : la technologie, les actifs incorporels liés au marketing et les données clients. La technologie comprenait un éventail complet englobant tous les aspects de l’activité du groupe Amazon et notamment les technologies pour la plateforme logicielle de ce groupe, l’apparence du site, le catalogue, le traitement des commandes, la logistique, les fonctionnalités
de recherche et de navigation, le service clientèle et les fonctionnalités de personnalisation.
191 Deuxièmement, il y a lieu de relever que, si la Commission soutient que LuxSCS n’exerçait pas de « fonctions uniques et de valeur » en lien avec les actifs incorporels, elle ne conteste pas le caractère « unique et de valeur des actifs incorporels » détenus par LuxSCS et mis à disposition de LuxOpCo dans le cadre de la transaction contrôlée.
192 En particulier, la Commission n’a pas contesté, de manière étayée, l’affirmation d’Amazon selon laquelle la technologie était unique, car il n’y avait pas de comparables et selon laquelle elle jouait un rôle essentiel dans les différents aspects des activités commerciales du groupe Amazon en Europe et permettait donc de générer des recettes importantes. De plus, il y a lieu de relever que n’est pas remis en question, ainsi que le soutient Amazon, le fait que les activités commerciales du groupe
n’auraient pu acquérir une telle envergure et obtenir un tel succès en Europe – comme d’ailleurs dans d’autres régions du monde – sans la technologie. Est convaincante également l’allégation du Grand‑Duché de Luxembourg suivant laquelle, pendant la période considérée, le groupe Amazon s’est appuyé sur sa technologie, qui était « au cœur d[e son] “business model”» (modèle d’entreprise), en tant que différentiateur concurrentiel, en ce sens que c’est précisément cette technologie qui a constitué
le contributeur unique et précieux qui a permis (et permet encore) au groupe Amazon de continuer à être compétitif dans un environnement hautement concurrentiel caractérisé par des marges étroites. Il ressort, par ailleurs, du considérant 338 de la décision attaquée que même une partie des concurrents du groupe Amazon admettent que, en raison d’une stratégie « très agressive d’investissement dans la technologie », la plateforme de vente au détail du groupe Amazon « constitue aujourd’hui un
avantage concurrentiel difficile à égaler ». En ce qui concerne la technologie, il s’agissait donc d’un actif pour lequel il n’avait pas de comparable.
193 À cet égard et par ailleurs, il convient de souligner qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les arguments de la Commission tendant à faire valoir que la seule technologie n’était pas suffisante pour exploiter les activités commerciales du groupe Amazon en Europe et que les fonctions humaines réalisées par les employés de LuxOpCo étaient également importantes. En effet, ces arguments, à les supposer fondés, ne remettent pas en cause le constat selon lequel la technologie jouait un rôle essentiel
dans les activités commerciales du groupe Amazon en Europe et constituait ainsi un actif unique et de valeur.
194 S’agissant des marques enregistrées en Europe, il y a lieu de constater que, à la date à laquelle LuxSCS s’est vu transférer ces actifs, qui bénéficiaient déjà de la renommée internationale du groupe Amazon, il ne ressort pas des éléments du dossier qu’il existait des actifs comparables sur le marché européen. Il convient donc de considérer que les marques en question étaient uniques. Il est constant que leur utilisation a permis de générer des recettes importantes en Europe. Ces marques étaient
donc également « de valeur ». En ce qui concerne les données clients, celles-ci n’avaient pas non plus de comparables et elles permettaient de générer des bénéfices importants. Il y a donc lieu de considérer que ces actifs incorporels étaient également uniques et de valeur.
195 Dans ces conditions, compte tenu du point 3.43 des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995 et au vu du fait que les actifs incorporels du groupe Amazon et notamment la technologie constituaient des actifs uniques et de valeur mis en œuvre par LuxSCS dans le cadre de la transaction contrôlée, il ne pouvait être reproché aux autorités fiscales luxembourgeoises d’avoir considéré, tout comme les auteurs du rapport sur les prix de transfert de 2003, qu’il était correct, selon les
lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995, de choisir une société autre que LuxSCS comme étant la partie à tester. Par ailleurs, si, ainsi que l’a suggéré la Commission à la note en bas de page no 681 de la décision attaquée, selon les lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 2017, un détenteur passif ne peut être la partie la plus complexe et peut donc être la partie à tester dans le cadre de l’application de la MTMN, force est de constater que cela n’était pas le cas dans
la période considérée, laquelle doit être examinée en l’espèce au regard des seules lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995.
196 Au point 83 du mémoire en défense dans l’affaire T‑318/18, la Commission semble vouloir insister sur le fait que, selon le point 3.43 des principes de l’OCDE dans leur version de 1995, ce n’est que « souvent » que le choix de la partie à tester impliquera de choisir l’entreprise associée qui est la « moins complexe des entreprises concernées par la transaction et qui ne possède pas d’actifs incorporels de valeur ou des actifs uniques », sans toutefois qu’il s’agisse d’une règle absolue à cet
égard. Dans la mesure où la Commission entend affirmer que la règle contenue au point 3.43 des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995 n’est pas une règle absolue, mais une règle qui peut être écartée si des circonstances particulières tenant à la transaction contrôlée concernée le justifient, force est de constater qu’elle n’a pas expliqué, dans la décision attaquée, en quoi cette préconisation devait, en l’espèce, être écartée. La Commission n’a pas démontré que les autorités
fiscales luxembourgeoises auraient dû se départir de la règle contenue au point 3.43 des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995 en raison d’une particularité propre à la transaction contrôlée concernée en l’espèce, à savoir l’accord de licence.
197 En deuxième lieu, et en tout état de cause, il y a lieu de constater que la Commission a erronément considéré que, outre des fonctions de maintien de sa propriété intellectuelle, LuxSCS n’exerçait aucune fonction « active et critique » en lien avec les actifs incorporels (voir le considérant 420 de la décision attaquée) ou « aucune fonction active et essentielle » en rapport avec les actifs incorporels (voir le considérant 548 de ladite décision) ou encore « aucune fonction accroissant la valeur
des actifs incorporels » (voir le considérant 526 de la même décision).
198 Premièrement, s’agissant de la distinction opérée par la Commission entre la détention dite « passive » (considérants 418 et 430 de la décision attaquée) et la détention « active » des actifs incorporels, ainsi qu’entre des fonctions « actives » et « passives » (considérant 548 de la décision attaquée), il convient de constater, à l’instar du Grand‑Duché de Luxembourg et d’Amazon, que les lignes directrices de l’OCDE pertinentes en l’espèce ne prévoient pas une telle distinction.
199 En effet, les lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995 se bornent à indiquer, en leur point 1.20, que, en général, lorsqu’il y a lieu de déterminer le caractère de pleine concurrence d’une rémunération établie dans le cadre d’une transaction contrôlée, il convient d’examiner si cette rémunération correspond « aux fonctions assumées par chaque entreprise » et de « comparer les fonctions exercées par les parties ».
200 Certes, il n’est pas exclu que le point 1.20 des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995 puisse être interprété en ce sens que le terme « exercées » renvoie à des fonctions dites « actives ».
201 Toutefois, il ne découle pas clairement du point 1.20 des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995 que seules des fonctions « actives » pouvaient être prises en compte aux fins de l’analyse fonctionnelle des parties à la transaction. Il ne résulte pas non plus de ce point qu’une entité ne peut être considérée comme « assumant » ou « exerçant » des fonctions lorsqu’elle détient certains actifs et se borne à financer, par exemple, leur mise au point ou leurs améliorations.
202 De plus, il y a lieu de souligner que selon le point 1.22 des lignes directrices de l’OCDE, il peut être « intéressant et utile, lorsque l’on identifie et l’on compare les fonctions exercées, de prendre en compte les actifs qui sont ou seront mis en œuvre » et qu’« il convient à cet égard d’envisager le type d’actifs utilisés (usines, équipements, éléments incorporels, etc.) et les caractéristiques de ces actifs (âge, valeur marchande, localisation, existence de droits de propriété industrielle,
etc.) ». En d’autres termes, il est préconisé de prendre en compte le fait qu’une société mette à disposition des actifs dans le cadre de la transaction contrôlée pour l’examen des fonctions exercées. Il en découle donc que, contrairement à ce qu’affirme la Commission, la mise à disposition d’actifs incorporels devait être prise en compte pour examiner les fonctions exercées ou assumées par une partie à une transaction intragroupe, sans qu’une distinction entre des fonctions « actives » et
« passives » soit pertinente.
203 Deuxièmement, à supposer que la Commission pût effectivement opérer une distinction entre les fonctions « passives » et « actives », elle a erronément conclu, ainsi qu’il ressort du considérant 420 de la décision attaquée, que LuxSCS était un simple détenteur passif des actifs incorporels, qu’elle s’était bornée à maintenir les actifs incorporels et qu’aucune autre fonction active ne pouvait lui être attribuée.
204 D’une part, la Commission a omis de prendre en compte le fait que LuxSCS a bel et bien exploité lesdits actifs en les mettant à disposition à LuxOpCo en contrepartie du paiement d’une redevance par le biais de l’accord de licence.
205 En effet, il est constant que, en vertu de l’accord de licence, LuxSCS a donné en licence à LuxOpCo l’ensemble des actifs incorporels d’Amazon sur le territoire européen. Cet accord portait non seulement sur l’intégralité des actifs incorporels visés dans l’accord d’entrée et l’ARC, mais également sur les actifs incorporels, et notamment les marques, qu’elle avait reçus en 2006 auprès des sociétés européennes liées, ainsi que les droits dérivés qui en découlaient. Or, le fait de donner en
licence les actifs incorporels à LuxOpCo en contrepartie du paiement de la redevance constitue une exploitation de ces actifs, ce qui équivaut à exercer une fonction active.
206 Cette exploitation correspond à une utilisation des actifs incorporels au sens de l’utilisation, par LuxSCS, dont la prétendue absence est déplorée par la Commission aux considérants 430 à 432 de la décision attaquée.
207 L’exploitation des actifs incorporels par LuxSCS par l’intermédiaire de leur mise à disposition à LuxOpCo dans le cadre de l’accord de licence satisfait également au critère qui a été suggéré par la Commission au point 83 de son mémoire en défense dans l’affaire T‑318/18. Selon ce critère, la règle contenue au point 3.43 des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995, telle que mentionnée aux points 183 et 184 ci‑dessus, aurait été créée par les auteurs desdites lignes directrices
« en partant du postulat que la partie à une transaction contrôlée qui détient des actifs incorporels de valeur est […] celle qui les utilise […] dans le cadre de l’exercice de fonctions actives en rapport avec cette transaction ». À cet égard, sans qu’il soit besoin d’établir si la Commission est fondée à considérer qu’il y a lieu d’interpréter ledit point comme s’il requérait une certaine utilisation des actifs incorporels, force est de constater que le fait de mettre les actifs incorporels de
LuxSCS à disposition de LuxOpCo dans le cadre de l’accord de licence constitue une utilisation au sens retenu par la Commission.
208 D’autre part, il y a lieu de relever que LuxSCS a contribué au développement des actifs incorporels par le biais de sa participation financière au titre de l’ARC. Dans ce contexte, il convient de rappeler que, ainsi qu’il a d’ores et déjà été relevé à la dernière phrase du deuxième tiret du point 4 ci‑dessus, LuxSCS devait verser une quote-part annuelle aux coûts liés au programme de développement de l’ARC.
209 À cet égard, il convient de souligner qu’il ne ressort pas des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995 que la participation financière à un accord de répartition des coûts ne peut être considérée comme une véritable participation au développement des actifs faisant l’objet d’un tel accord. Au contraire, il découle du point 8.15 des lignes directrices de l’OCDE dans la version de 1995, lequel indique, s’agissant des accords de répartition des coûts, qu’« [i]l n’est probablement pas
facile de déterminer la valeur relative de la contribution de chaque participant sauf lorsque toutes les contributions sont intégralement versées en numéraire », qu’une contribution financière à un tel accord de répartition des coûts peut bel et bien être une contribution valide et de valeur, et ce, donc, sans égard à la question de savoir si l’entité ayant fourni la contribution financière apporte également des contributions d’une autre nature. En effet, dans certains cas, il n’est pas exclu
que la contribution financière à une transaction intragroupe puisse être le moteur unique du succès (commercial) de la transaction.
210 De surcroît, en application du point 6.3, sous b), et du point 6.4 de l’ARC, en contrepartie de sa participation aux coûts, LuxSCS devenait copropriétaire, avec A 9, d’une partie des actifs incorporels qui étaient constamment développés et améliorés aux États‑Unis. Ces développements et améliorations étaient mis à disposition par LuxSCS à LuxOpCo constamment au titre de l’accord de licence, de telle manière qu’il est permis de considérer que, du point de vue de LuxOpCo, elles étaient imputables
à LuxSCS et non aux entités américaines. Dans le cadre de l’accord de licence, les résultats des développements et des améliorations des actifs incorporels sont attribués à LuxSCS.
211 Il ressort donc de ce qui précède que la Commission a erronément considéré, au considérant 429 de la décision attaquée, que les « seules fonctions qui auraient pu effectivement être considérées comme ayant été exercées par LuxSCS étaient des fonctions liées au maintien de sa propriété légale sur les actifs incorporels ». D’une part, le critère utilisé par la Commission et visant la distinction entre des fonctions actives et passives n’est pas pertinent. D’autre part, même s’il y avait lieu de
retenir ce critère, il y a lieu de constater que LuxSCS a mis à disposition de LuxOpCo les actifs incorporels et a contribué à leur développement de par sa contribution financière à l’ARC. Ces fonctions auraient dû être prises en compte par la Commission dans son analyse fonctionnelle de LuxSCS ainsi qu’aux fins du choix de la partie à tester.
212 Cette conclusion n’est pas remise en cause par les autres arguments invoqués par la Commission.
213 Premièrement, l’appréciation faite par la Commission aux considérants 420 et 421 de la décision attaquée et réitérée dans le cadre du présent recours (voir point 181 ci‑dessus) selon laquelle LuxSCS « ne pouvait […] exercer aucune fonction active et critique en rapport avec [la] mise au point, [l’]amélioration, [la] gestion ou [l’]exploitation [des actifs incorporels] », car LuxSCS « n’était plus habilitée à exploiter économiquement les actifs incorporels dans le cadre des activités européennes
[du groupe] Amazon » ne saurait prospérer.
214 En effet, la Commission a fondé ce constat sur l’affirmation, réitérée à plusieurs reprises dans la décision attaquée, selon laquelle LuxOpCo avait reçu de LuxSCS une licence « irrévocable » et « exclusive » (voir, par exemple, considérants 116, 419, 431, 438, 442 et 450 de la décision attaquée), ce qui aurait privé LuxSCS de toute possibilité d’exploiter les actifs incorporels.
215 À cet égard, il suffit de rappeler que le fait de donner en licence constitue déjà une exploitation.
216 Deuxièmement, la conclusion mentionnée au point 211 ci‑dessus n’est pas remise en cause par l’appréciation faite par la Commission au considérant 421 de la décision attaquée et réitérée dans le cadre du présent recours (voir point 181 ci‑dessus) selon laquelle LuxSCS n’aurait pas la capacité d’exercer des fonctions, car elle n’aurait pas eu de salariés.
217 À cet égard, il y a lieu de relever que, contrairement à ce qu’invoque la Commission, le fait que LuxSCS ait ou non eu la capacité d’exploiter une entreprise de commerce électronique entièrement seule est dénué de pertinence pour apprécier les fonctions de LuxSCS en lien avec l’exploitation des actifs incorporels. En effet, ainsi qu’exposé au point 204 ci‑dessus, LuxSCS a effectivement exploité les actifs incorporels en les cédant sous licence à LuxOpCo.
218 En outre, contrairement à ce que fait valoir la Commission, il n’était pas nécessaire que LuxSCS eût ses propres salariés pour contribuer au développement continu des actifs incorporels. En effet, LuxSCS y contribuait du fait de sa participation financière à l’ARC.
219 Troisièmement, la conclusion mentionnée au point 211 ci‑dessus n’est pas remise en cause par l’argument de la Commission selon lequel la contribution financière de LuxSCS au développement des actifs incorporels aurait été, quant à elle, purement artificielle, car le financement du développement des actifs incorporels provenait des comptes de LuxOpCo, ce qui aurait signifié que LuxOpCo aurait exercé toutes les fonctions attribuées par l’ARC à LuxSCS.
220 En effet, l’origine du capital utilisé par LuxSCS pour répondre aux obligations financières lui incombant en vertu de l’ARC, et donc le fait que ce capital provenait du paiement de la redevance par LuxOpCo, n’est pas pertinente. Les lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995 n’exigent pas que le capital investi provienne d’une source précise. Il n’est pas exclu que ce capital trouve son origine dans une redevance, telle que celle en cause, ou provienne d’une autre source de revenus,
telle que, par exemple, un prêt.
221 En tout état de cause, il est constant que LuxSCS disposait, outre les revenus tirés de la redevance, d’un capital propre. Or, ainsi que l’a relevé le Grand‑Duché de Luxembourg, c’est grâce à son capital propre que LuxSCS a pu absorber les pertes subies au cours de ses premières années d’exploitation sans intervention de LuxOpCo. En 2006, le montant de la redevance payée par LuxOpCo à LuxSCS était d’ailleurs largement inférieur aux paiements effectués par LuxSCS au titre de l’accord d’entrée et
de l’ARC.
222 En troisième lieu, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon contestent l’appréciation de la Commission, opérée notamment aux considérants 407 et 547 de la décision attaquée, selon laquelle LuxSCS ne pouvait être considérée comme ayant exercé des fonctions « uniques et de valeur » (voir notamment considérants 407 et 547 de la décision attaquée).
223 S’agissant de la notion de « fonctions uniques et de valeur », il y a lieu de souligner que les lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995 n’utilisent pas ces termes. Seule l’expression « actifs uniques et de valeur » est utilisée, à plusieurs reprises, notamment dans les sections relatives à la MTMN et à la méthode du partage des bénéfices, le plus souvent pour faire référence à des actifs incorporels (développement ou propriété) (voir, par exemple, points 1.8, 3.19, 3.43 et 6.26
desdites lignes).
224 En revanche, ce n’est que dans la version de 2017 des lignes directrices de l’OCDE, qui ne sont pas pertinentes en l’espèce, qu’il est clairement question de fonctions ou de contributions « uniques et de valeur » et qu’une distinction est opérée entre, d’une part, les « fonctions uniques et de valeur » et, d’autre part, les « fonctions de routine ». Ainsi qu’il a, d’ores et déjà, été relevé au point 184 ci‑dessus, à leur point 6.17, les lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 2017
contiennent une définition de la notion d’« actifs uniques et de valeur ». En revanche, si les auteurs des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 2017 utilisent souvent la notion de « fonctions uniques et de valeur », ils ne fournissent aucune définition à cet égard.
225 Les parties principales ont précisé ce qu’elles entendaient par les expressions « fonctions de routine » ou « fonctions courantes ». Lors de l’audience, le Grand‑Duché de Luxembourg a relevé qu’une entité exerce des « fonctions de routine » lorsqu’elle exerce des fonctions usuelles, à savoir des fonctions que d’autres entreprises pourraient exercer également. Il s’agit donc, en substance, de fonctions pour lesquelles on peut facilement trouver des comparables. Amazon a, quant à elle, souligné
lors de l’audience que la notion de « fonction de routine » ne voulait pas dire que les fonctions en question n’avaient pas de valeur, mais qu’elles pouvaient facilement être évaluées (en anglais « benchmarked ») et rémunérées. La Commission n’a pas remis en cause cette compréhension. Il ressort du point 14 (note en bas de page no 18) du mémoire en défense dans l’affaire T‑318/18 que, d’après la Commission, le terme « courantes » renvoie à des fonctions qui ne sont pas uniques et pour lesquelles
il existe des éléments de comparaison sur le marché libre. De manière similaire, au point 17 (note en bas de page no 21) du mémoire en défense dans l’affaire T‑816/17, la Commission oppose les fonctions « courantes » à celles qui « ne sont pas uniques et de valeur ».
226 En l’espèce, il n’y a pas lieu de déterminer si, sur la base des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995, il était déjà loisible pour la Commission de vérifier le caractère de pleine concurrence d’un prix en opérant avec la notion de « fonctions uniques et de valeur », car cette notion aurait déjà été d’application à l’époque à laquelle les lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995 s’appliquaient, et ce même si elles ne faisaient pas état de cette notion expressément,
ou si ce n’est qu’à partir de l’adoption des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 2017 que le critère lié aux « fonctions uniques et de valeur » pouvait être pris en compte à cet effet.
227 En effet et en tout état de cause, les parties principales n’ont pas remis en cause la pertinence de ce critère, mais s’accordent à mettre ce critère au cœur de leurs arguments comme étant un paramètre pertinent pour juger de leur situation. À cet égard, il convient de relever que, tout comme c’est le cas de la notion d’« actifs uniques et de valeur » (voir point 176 ci‑dessus), les parties n’ont pas pris le soin de définir les termes « fonctions uniques et de valeur ».
228 S’agissant de la signification des termes « fonctions uniques et de valeur », à l’instar de ce qui a été relevé au point 184 ci‑dessus, et compte tenu de l’acception de ces termes retenue par les parties (voir point 225 ci‑dessus), il convient de retenir aux fins de la présente affaire que la notion de « fonction unique » renvoie à la situation dans laquelle il n’y a pas de comparable pour une certaine fonction. La notion de « fonction de valeur » a trait notamment au fait que la fonction en
cause permet de générer des recettes importantes. À cet égard, il y a lieu de constater que, si le fait de désigner une certaine fonction d’« unique » exclut que la même fonction puisse être qualifiée comme étant « de routine » ou encore « courante », le même raisonnement ne saurait s’appliquer pour ce qui est de la notion de « fonction de valeur ». Il existe également des « fonctions de routine » ou « courantes » qui permettent de générer des recettes importantes et qui méritent, de ce fait,
d’être qualifiées de « fonctions de valeur ».
229 En l’espèce, d’une part, ainsi qu’exposé au point 191 ci-dessus, il n’est pas contesté que les actifs incorporels faisant l’objet de l’accord de licence étaient uniques et de valeur.
230 D’autre part, LuxSCS a non seulement exploité, mais également contribué financièrement au développement de ces actifs incorporels uniques et de valeur dont elle était le titulaire. En conséquence, il découle de ce qui vient d’être indiqué aux points 203 à 211 ci‑dessus que toutes les fonctions de LuxSCS en rapport avec les actifs incorporels auraient dû être considérées par la Commission comme étant uniques et de valeur. L’affirmation faite au considérant 547 de la décision attaquée selon
laquelle l’administration fiscale luxembourgeoise aurait dû exiger une analyse fonctionnelle démontrant que LuxSCS aurait exercé des « fonctions uniques et de valeur » n’est donc pas justifiée et doit, de ce fait, être écartée. En conséquence, compte tenu des fonctions et des actifs de LuxSCS, la conclusion de la Commission selon laquelle LuxSCS aurait dû être considérée comme étant la partie à tester ne convainc pas.
– Sur les risques assumés par LuxSCS
231 Le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon font en substance valoir que LuxSCS supportait les risques liés aux actifs incorporels en tant que tels, tandis que LuxOpCo ne supportait que les risques liés à ses activités de détaillant. LuxSCS aurait en outre assumé des risques financiers en lien avec les actifs incorporels, puisqu’elle devait honorer l’obligation qui lui incombait en vertu de l’accord d’entrée et de l’ARC de payer les frais d’entrée et les frais au titre de l’ARC à ATI et à A 9.
232 La Commission conteste ces arguments.
233 Elle soutient en particulier que ni les décisions du gérant unique de LuxSCS ni les comptes rendus des assemblées générales de LuxSCS ne mentionnent de décisions critiques ayant trait à la gestion des risques. En réalité, LuxSCS n’aurait eu ni la capacité financière ni la capacité opérationnelle d’assumer ces risques. LuxSCS n’aurait pu supporter les coûts liés à l’accord d’entrée et à l’ARC que grâce au financement perçu annuellement par le biais des redevances payées par LuxOpCo dans le cadre
de l’accord de licence, de sorte que le capital de LuxSCS n’aurait jamais été exposé au risque. Qui plus est, LuxSCS aurait bénéficié d’une capitalisation initiale importante de la part de sa société mère, laquelle a couvert le paiement d’entrée. En toute hypothèse, LuxSCS aurait, en vertu de l’accord de licence, transféré les risques financiers à LuxOpCo. Dès lors, les risques retenus par LuxSCS seraient théoriques dans la mesure où LuxSCS avait la possibilité de résilier l’accord de licence et
d’accorder une licence à une autre partie liée ou indépendante. Les risques financiers de LuxSCS auraient été théoriques également, parce que sa participation financière à l’ARC était financée par la redevance payée par LuxOpCo et que le montant des paiements au titre de l’ARC était corrélé aux recettes de LuxOpCo.
234 À cet égard, il y a lieu de relever d’emblée, que, dans la mesure où LuxSCS avait obtenu la pleine propriété d’une partie des actifs incorporels conformément au point 3.1 de l’accord de cession conclu avec ATI le 1er janvier 2005, elle supportait la totalité des risques liés à l’existence des actifs incorporels en tant que tels. Il s’agissait, par exemple, de risques tels que la contestation par un tiers ou la déchéance des actifs incorporels. Cela est la conséquence logique du fait que LuxSCS
était propriétaire de ces actifs. Du point de vue de l’accord de licence conclu avec ATI le 1er janvier 2005, LuxSCS assumait également les risques liés au développement des actifs incorporels par les entités américaines ATI et A 9.
235 Dans la mesure où elle avait, durant la période considérée, une licence sur l’autre partie des actifs incorporels, visés au point 3.1 de l’accord de licence conclu avec ATI le 1er janvier 2005, ainsi qu’aux points 6.1 et 6.2 de l’ARC, LuxSCS supportait des risques financiers en lien avec ces actifs utilisés du fait de sa participation à l’ARC. Plus précisément, la répartition des coûts entre les parties à l’ARC était prévue conformément aux points 4 et 5 de l’ARC. En vertu de ces points de
l’ARC, LuxSCS avait l’obligation de supporter les coûts liés au développement des actifs incorporels. Si la répartition des coûts était fonction de la part des bénéfices réalisés en Europe par comparaison aux bénéfices réalisés au niveau mondial, les coûts en tant que tels étaient totalement indépendants du niveau des bénéfices réalisés en Europe. À cet égard, il y a lieu de relever que, si les coûts liés au développement étaient plus élevés que la redevance versée par LuxOpCo, c’est LuxSCS qui
aurait dû supporter les conséquences financières résultant de cet écart. Ainsi, dans le cas où LuxOpCo aurait enregistré des pertes ou des bénéfices faibles, la redevance n’aurait pas suffi pas à couvrir les coûts fixes supportés par LuxSCS, à savoir essentiellement les paiements au titre de l’accord d’entrée et de l’ARC. En d’autres termes, LuxSCS risquait de ne pas avoir de revenus suffisants pour effectuer les paiements d’entrée et de répartition des coûts prévus par l’accord d’entrée et
l’ARC.
236 S’agissant de ces risques financiers, il convient de souligner que, en dépit d’une affirmation non étayée faite par elle lors de l’audience, la Commission n’a pas établi que l’obligation de LuxSCS d’effectuer les paiements dus au titre de l’ARC était effectivement exactement corrélée au versement par LuxOpCo du montant de la redevance. Au contraire, et ainsi que l’a d’ailleurs relevé la Commission elle‑même au considérant 445 de la décision attaquée, les montants perçus par LuxSCS au titre de la
redevance ne correspondaient pas directement aux montants dus par LuxSCS au titre de l’ARC. Ainsi, en 2006, le montant de la redevance payée par LuxOpCo à LuxSCS était largement inférieur aux paiements d’entrée et de partage des coûts effectués par LuxSCS.
237 Toujours s’agissant des risques financiers supportés par LuxSCS, la Commission n’a pas été en mesure de démontrer que cette société ne disposait pas de fonds propres substantiels. En ce qui concerne le capital initial de LuxSCS, écarté par la Commission au considérant 445 de la décision attaquée comme étant non pertinent, il est constant que, à tout le moins pour l’année 2006, c’est grâce à ce capital que LuxSCS a pu absorber les pertes subies au cours de ses premières années d’exploitation,
sans intervention de LuxOpCo.
238 Enfin, il est vrai que, selon les points 2.3 et 9.2 de l’accord de licence, LuxOpCo avait l’obligation de protéger les actifs incorporels. En effet, d’une part, selon les termes du point 2.3 dudit accord, LuxOpCo était tenue de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les droits de LuxSCS sur les actifs incorporels et, d’autre part, en vertu du point 9.2 de ce même accord, LuxOpCo avait l’obligation de prévenir et de traduire en justice, à ses propres frais, toute utilisation non
autorisée des actifs incorporels. LuxOpCo assumait donc les risques liés à la protection des actifs incorporels.
239 Il n’en demeure pas moins que les autres risques liés aux actifs incorporels étaient supportés par LuxSCS du fait de sa participation financière à l’ARC.
240 En effet, il ne ressort pas des dispositions de l’accord de licence que LuxSCS ait transféré à LuxOpCo des risques autres que ceux découlant des points 2.3 et 9.2 dudit accord, à savoir ceux relatifs à l’obligation de protéger les actifs incorporels. Ainsi, contrairement à ce que suggère la Commission, l’accord de licence ne contient aucune clause sur le transfert, en tant que tel, de l’ensemble des risques liés aux actifs incorporels de LuxSCS à LuxOpCo. En particulier, l’accord de licence ne
contient aucune clause relative au transfert des risques liés au développement des actifs incorporels.
241 N’étant pas étayée par les dispositions de l’accord de licence, la conclusion exprimée par la Commission, notamment au considérant 438 de la décision attaquée, selon laquelle LuxSCS a transféré à LuxOpCo les risques en lien avec la mise au point, la gestion et l’exploitation des actifs incorporels la propriété intellectuelle ne saurait donc être retenue.
242 Il ressort donc de ce qui précède que le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon sont fondés à affirmer que LuxSCS supportait les risques liés à la propriété et au développement des actifs incorporels utilisés pour exploiter les activités européennes, y compris les risques financiers liés à l’exploitation de ces actifs incorporels, tandis que LuxOpCo ne supportait essentiellement que les risques liés à ses propres activités de détaillant et, en particulier, les risques liés aux ventes et aux
services de place de marché.
– Conclusion sur l’analyse fonctionnelle de LuxSCS et l’incidence de cette conclusion sur le choix de cette société comme étant la partie à tester
243 Compte tenu des considérations figurant aux points 162 à 242 ci‑dessus, il y a lieu d’opérer deux constats.
244 En premier lieu, l’analyse fonctionnelle de LuxSCS effectuée par la Commission ne saurait être entérinée. La Commission a sous‑estimé les fonctions de LuxSCS. En ce qui concerne les actifs incorporels, la Commission a notamment négligé de prendre en compte le fait que, tant selon les arrangements contractuels que dans les faits, LuxSCS mettait à disposition des actifs incorporels qui n’avaient pas de comparables sur le marché et qui étaient donc uniques et de valeur. Selon les lignes directrices
de l’OCDE dans leur version pertinente en l’espèce, cet élément suffisait, en principe, pour pouvoir conclure que LuxSCS ne pouvait être considérée comme étant la partie la moins complexe et donc la partie à tester.
245 En tout état de cause, s’il y avait lieu de considérer, ainsi que la Commission le fait valoir, que les autorités fiscales luxembourgeoises auraient dû prendre en compte des « fonctions uniques et de valeur », force est de constater que la Commission a ignoré la circonstance que LuxSCS exploitait bel et bien les actifs incorporels dans le cadre de la transaction contrôlée examinée. La mise à disposition des actifs incorporels ayant une valeur de pointe correspondait au fait d’exercer une
fonction unique et de valeur dans le cadre de l’accord de licence (la transaction contrôlée). Ainsi qu’il résulte des points 203 à 242 ci‑dessus, LuxSCS a exercé une série de fonctions dans le cadre de la transaction contrôlée autres que le fait de mettre à la disposition de LuxOpCo les actifs incorporels. La Commission a négligé ces fonctions, qui pouvaient être considérées comme étant uniques et de valeur.
246 La Commission n’a pas non plus dûment pris en compte le fait que, tant selon les arrangements contractuels que dans les faits, LuxSCS assumait la totalité des risques liés à ces actifs et à leur développement dans le cadre de l’accord de licence, et ce indépendamment de la question de savoir si LuxSCS était elle-même contrôlée par les entités américaines et si c’est LuxSCS qui développait techniquement les actifs incorporels ou si, LuxSCS contribuant financièrement, les développements de la
propriété intellectuelle étaient les résultats des efforts techniques des entités américaines ATI et A 9. Ce faisant, la Commission a minimisé également la description des risques assumés par LuxSCS.
247 Dans ces conditions, il ne saurait être reproché aux autorités fiscales luxembourgeoises d’avoir considéré, tout comme les auteurs du rapport sur les prix de transfert de 2003, qu’il était correct, selon les lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995, de ne pas avoir choisi LuxSCS comme étant la partie à tester.
248 En second lieu, en toute hypothèse, même s’il y avait lieu d’accepter l’affirmation de la Commission selon laquelle LuxSCS était un simple détenteur passif des actifs incorporels et non une société ayant exercé des fonctions actives en rapport avec ceux‑ci, force est de constater que la Commission a erronément considéré que LuxSCS aurait dû être retenue en tant que partie à tester.
249 En effet, il y a lieu de rappeler que, de manière générale, la partie à tester est celle à laquelle la MTMN peut être appliquée de la manière la plus fiable et pour laquelle les éléments de comparaison les plus fiables peuvent être trouvés.
250 En l’espèce, force est de constater que la Commission n’a pas démontré qu’il était davantage facile de trouver des entreprises comparables à LuxSCS que des entreprises comparables à LuxOpCo, ni le fait que retenir LuxSCS en tant qu’entité à tester aurait permis d’obtenir des données de comparaison davantage fiables.
251 Ainsi qu’il résulte du considérant 557 de la décision attaquée, la Commission aurait dû admettre, lorsqu’elle a cherché la marge appropriée pour la redevance, qu’il n’y avait pas de comparables pour LuxSCS.
252 Il s’ensuit qu’il y a lieu d’accueillir l’argumentation du Grand-Duché de Luxembourg et d’Amazon selon laquelle la Commission a erronément considéré que LuxSCS devait être retenue comme l’entité à tester aux fins de l’application de la MTMN. Cela étant, les considérations précédentes sont suffisantes pour accueillir l’intégralité de l’argumentation soulevée par le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon en ce qui concerne le constat principal de la Commission visant l’existence de l’avantage, et ce
sans qu’il soit besoin de procéder à une analyse fonctionnelle de LuxOpCo, ni de la question de savoir si la Commission était fondée à écarter la CUP.
253 Cependant, dans un souci d’exhaustivité, il y a lieu de relever que les appréciations de la Commission concernant l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE doivent également être écartées pour des motifs autres que ceux liés aux choix de la partie à tester et à l’analyse fonctionnelle de LuxSCS, tels qu’ils viennent d’être exposés. Ainsi, même s’il y avait lieu d’accepter la conclusion non justifiée de la Commission selon laquelle LuxSCS aurait été la partie à
tester, l’argumentation du Grand‑Duché de Luxembourg et d’Amazon devrait être accueillie par ailleurs, et ce pour les motifs suivants.
ii) Sur la rémunération calculée par la Commission pour LuxSCS en partant de la prémisse qu’elle était la partie à tester
254 Aux considérants 550 à 560 de la décision attaquée, la Commission a cherché à opérer sa propre application de la MTMN en retenant LuxSCS en tant que partie à tester. Au terme de son analyse, au considérant 559 de la décision attaquée, la Commission a conclu que la « rémunération de pleine concurrence » pour LuxSCS, au titre de l’accord de licence, devait être égale à la somme de deux composantes, à savoir, d’une part, des coûts d’entrée et des coûts au titre de l’ARC, supportés par LuxSCS, en
rapport avec les actifs incorporels sans marge, et, d’autre part, des coûts généraux d’exploitation, supportés directement par LuxSCS pour assurer les fonctions liées au maintien de sa propriété légale des actifs incorporels (ci-après les « coûts de maintien »), majorés de 5 % (ci-après la « rémunération de LuxSCS »). Il importe à cet égard de relever que la rémunération de LuxSCS correspond en réalité à la redevance qui, selon la Commission, aurait dû être perçue par LuxSCS auprès de LuxOpCo.
255 Par le deuxième grief de la deuxième branche du premier moyen et par la troisième branche du premier moyen dans l’affaire T‑816/17 ainsi que par le quatrième moyen dans l’affaire T‑318/18, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon soutiennent en substance que, même s’il y avait lieu d’accepter que LuxSCS pouvait être considérée comme étant la partie à tester dans le cadre de la méthode MTMN (quod non), la Commission aurait commis d’autres erreurs lors de l’application de la MTMN. En effet, le
calcul effectué par la Commission pour déterminer la « rémunération de pleine concurrence » pour LuxSCS, à savoir la redevance due par LuxOpCo à LuxSCS, ne saurait convaincre.
256 Il convient d’aborder cette argumentation en tenant compte des deux composantes distinguées par la Commission (voir point 254 ci‑dessus).
– Sur la première composante de la redevance due à LuxSCS (coûts d’entrée et coûts de l’ARC)
257 S’agissant de la première composante de la redevance due à LuxSCS (voir point 254 ci‑dessus), le Grand‑Duché de Luxembourg fait valoir dans le cadre du premier grief de la deuxième branche du premier moyen que la redevance payée par LuxOpCo à LuxSCS devrait refléter non seulement les coûts de développement, mais également la valeur des actifs incorporels. Cette valeur serait décorrélée de ces coûts et donc des paiements opérés par LuxSCS au titre de l’ARC. Au point 73 de la requête et aux
points 32 et suivants de la réplique dans l’affaire T‑318/18, Amazon invoque, en substance, le même grief. De plus, selon le Grand‑Duché de Luxembourg, les coûts liés à l’ARC et à l’accord d’entrée, qui seraient la contrepartie de la mise à disposition par LuxSCS des actifs incorporels par l’accord de licence, auraient dû être inclus dans les coûts auxquels une marge est appliquée.
258 La Commission réfute ces arguments.
259 Elle soutient que l’objectif d’un accord de répartition des coûts tel que l’ARC réside dans le partage des coûts liés à la mise au point des actifs incorporels, et non dans l’obtention d’un bénéfice d’exploitation sur les activités européennes. Ainsi, ATI et A 9 ne devraient obtenir aucune part des bénéfices tirés des activités commerciales en Europe en dehors du remboursement des coûts d’entrée et au titre de l’ARC. Ce serait donc à bon droit que la décision attaquée a déterminé la rémunération
de LuxSCS comme comprenant un remboursement des paiements d’entrée et des coûts de développement de l’ARC. La Commission rappelle dans ce contexte que, selon elle, la raison de l’existence de LuxSCS était purement fiscale. L’accord de licence n’aurait pas été directement conclu entre les entités américaines et LuxOpCo, mais entre LuxSCS et LuxOpCo, afin d’éviter que les redevances ne soient soumises à l’impôt aux États-Unis. Si LuxSCS n’avait pas existé, ATI et A 9 auraient conclu un accord de
répartition des coûts avec LuxOpCo (et non un accord de licence), de sorte que seule LuxOpCo aurait dû s’acquitter des paiements. De plus, l’activité de LuxSCS se serait limitée à la simple détention des actifs incorporels. LuxSCS n’aurait pas exercé, elle‑même directement, des fonctions de développement de la propriété intellectuelle et n’aurait donc pas dû percevoir de rémunérations à ce titre. Elle n’aurait joué aucun rôle dans l’utilisation ou le développement des actifs incorporels, ni
n’aurait exercé aucun contrôle sur ces fonctions de développement et sur les risques afférents. Selon la Commission, il ne fallait donc pas appliquer de marge aux coûts d’entrée et aux coûts de l’ARC, dans la mesure où il ne s’agit que de coûts répercutés par LuxSCS à LuxOpCo et où LuxSCS n’exerce aucune fonction en lien avec les actifs incorporels. Au contraire, la rémunération de LuxSCS aurait dû refléter le fait que les fonctions et les risques attribués à LuxSCS au titre de l’ARC étaient en
fait supportés par LuxOpCo. En tout état de cause, la Commission n’aurait pas ignoré, dans son analyse fonctionnelle, le fait que LuxSCS était le propriétaire légal des actifs incorporels.
260 À titre liminaire, il convient de relever que l’exercice consistant à examiner si une redevance telle que celle en cause en l’espèce correspond à un résultat de marché présuppose, selon les lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995, de se rattacher à la valeur des actifs incorporels et non aux coûts de développement et de mise au point de ceux-ci. En effet, il ressort du point 6.27 desdites lignes que, si les coûts de développement des actifs incorporels peuvent être pris en compte
aux fins de la détermination de la comparabilité ou de la valeur relative de la contribution des différentes parties à une transaction, il n’existe pas de lien nécessaire entre ces coûts et la valeur des actifs incorporels. En particulier, la valeur équitable effective d’un bien incorporel n’est souvent pas mesurable en fonction des dépenses encourues pour la mise au point et la préservation du bien incorporel. Ainsi qu’il résulte du point 6.2 desdites lignes, les « biens incorporels » peuvent
avoir une valeur considérable même s’ils n’ont pas de valeur comptable dans le bilan de la société. Enfin, ainsi qu’il résulte, respectivement, des points 1.22 et 6.27 desdites lignes, il s’agit à cet égard de ce qu’il est convenu d’appeler la « valeur marchande » ou « valeur vénale ». Par ailleurs, il y a lieu de souligner que cette valeur peut être sujette à des fluctuations dans le temps.
261 En l’espèce, se pose la question de savoir si la première composante de la rémunération de LuxSCS, telle que calculée par la Commission dans la décision attaquée, à savoir, premièrement, le paiement d’entrée sans marge et, deuxièmement les paiements au titre de l’ARC toujours sans marge, reflète effectivement la valeur des actifs incorporels donnés en licence à LuxOpCo.
262 En premier lieu, il peut, certes, être considéré que le paiement d’entrée qui a été versé par LuxSCS aux entités américaines en contrepartie du transfert de propriété d’une partie des actifs incorporels préexistants et d’une licence sur le reste des actifs incorporels préexistants (voir point 4 ci‑dessus) reflète bien la valeur des actifs incorporels au moment de la conclusion de l’accord d’entrée, soit en 2005.
263 En effet, si le montant du paiement d’entrée ne constitue pas un prix qui a été négocié librement sur le marché, il s’agit, ainsi qu’Amazon l’indique au point 73 de la requête dans l’affaire T-318/18, du prix versé en contrepartie de l’acquisition des actifs incorporels préexistant en 2005. Un tel versement, à la différence des coûts de développement, est susceptible de refléter la valeur des actifs incorporels faisant l’objet du transfert de propriété, à savoir les actifs incorporels
préexistant en 2005.
264 Néanmoins, il convient de souligner que, ainsi que cela a été affirmé notamment par le Grand‑Duché de Luxembourg, sans être contredit sur ce point par la Commission, durant la période considérée, les actifs incorporels ont gagné en valeur de manière significative grâce à l’innovation permanente dans la technologie développée notamment par les entités américaines par Amazon US ainsi que grâce au développement de la notoriété de la marque Amazon et donc des actifs incorporels liés au marketing en
Europe et dans le monde. La simple addition des coûts de développement sans marge (paiements au titre de l’ARC) au prix payé pour l’obtention des actifs incorporels préexistants (paiement d’entrée), opérée par la Commission au considérant 555 de la décision attaquée, ne prend pas en compte le fait que, en l’espèce, la valeur des actifs incorporels préexistants a augmenté pendant la période considérée, dans la mesure où ces actifs ont été développés et améliorés au fur et à mesure par les entités
américaines et remplacés, pour partie. La simple répercussion du paiement au titre de l’accord d’entrée, invoquée par la Commission, qui peut être acceptée comme étant leur valeur initiale des actifs incorporels en 2005, ne reflète donc pas la valeur vénale desdits actifs incorporels pendant la totalité de la période considérée.
265 Qui plus est, c’est à tort que la Commission a considéré que les paiements effectués par LuxSCS au titre de l’accord d’entrée pourraient être répercutés à LuxOpCo sans application d’une marge. L’absence de marge ne reflète pas ce que des parties indépendantes auraient accepté dans le cadre d’une transaction libre sur le marché et constitue donc une erreur dans le calcul de la rémunération de LuxSCS. En effet, il est raisonnable de considérer, et il ressort, par ailleurs, notamment du point 6.14
des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995, que les parties indépendantes agissant sur le marché cherchent à tirer des profits de la mise à disposition de leurs actifs. De ce fait, l’application d’une marge dans le cadre du calcul d’une rémunération telle que celle en cause apparaît comme une situation courante sur le marché. Or, ainsi que le fait valoir Amazon au point 98 de la requête dans l’affaire T-318/18, si la Commission avait examiné les options qui s’offraient à LuxSCS,
ainsi que le préconise ledit point 6.14, elle aurait pu constater qu’il existait de nombreux opérateurs d’activité de commerce en ligne en Europe, de sorte que LuxSCS aurait pu valoriser les actifs incorporels au-delà de leurs seuls coûts de développement.
266 Ensuite, en second lieu, s’agissant des paiements au titre de l’ARC, il convient de relever que, ainsi qu’il a été exposé ci-dessus, il ressort du point 6.27 des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995 que, si les coûts de développement des actifs incorporels peuvent être pris en compte aux fins de la détermination de la comparabilité ou de la valeur relative de la contribution des différentes parties à une transaction, il n’existe pas de lien nécessaire entre les coûts de
développement et la valeur d’actifs incorporels. La simple répercussion du paiement au titre de l’ARC suggérée par la Commission correspond uniquement au remboursement des coûts que doit supporter LuxSCS aux fins du développement des actifs incorporels et ne reflète pas la valeur des actifs incorporels améliorés. Le seul remboursement des coûts de développement, sans qu’une marge soit appliquée, relève d’une approche qui ne correspond pas à un résultat de marché.
267 Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que l’objet de la transaction contrôlée faisant l’objet de l’examen de la Commission est la licence des actifs incorporels donnée par LuxSCS à LuxOpCo, étant rappelé que LuxSCS était partie à l’ARC. Il est constant qu’ATI et A 9 exerçaient des fonctions de mise au point d’une partie des actifs incorporels. Toutefois, l’argument de la Commission selon lequel ATI et A 9 étaient « rémunérées » par les paiements au titre de l’ARC pour ces fonctions traduit
une compréhension erronée de l’ARC par la Commission. Il ressort du point 4.3 de l’ARC que les paiements effectués par LuxSCS au titre de l’ARC étaient uniquement calculés en tant que pourcentage des coûts de développement engagés par les parties à l’ARC. Certes, la participation de LuxSCS aux coûts de développement est proportionnelle aux bénéfices réalisés par les entités détenues par LuxSCS, et ainsi par LuxOpCo, par rapport aux bénéfices réalisés par ATI et A 9. Il n’en reste pas moins que
les paiements au titre de l’ARC correspondent ainsi à une fraction des coûts de développement des actifs incorporels développés dans le cadre de l’ARC et mis à disposition de LuxOpCo conformément à l’accord de licence et qu’ils ne reflètent donc pas la valeur de marché de ces actifs incorporels. Or, c’est cette valeur qu’une redevance de pleine concurrence au titre de l’accord de licence devrait refléter.
268 Au regard de ce qui précède, la circonstance que LuxSCS n’ait pas exercé les fonctions de développement directement elle-même ne remet pas en cause le constat que le montant de la redevance versée par LuxOpCO doit refléter la valeur des actifs incorporels.
269 Dès lors, il était inapproprié pour la Commission d’affirmer que la rémunération de LuxSCS pouvait être calculée sur la base d’une simple répercussion des coûts de développement des actifs incorporels.
270 La conclusion mentionnée au point 269 ci‑dessus n’est pas remise en cause par les autres arguments de la Commission.
271 Premièrement, la Commission a fait valoir que LuxSCS ne serait qu’un intermédiaire et qu’elle n’aurait fait que transmettre à LuxOpCo les coûts supportés en relation avec l’accord d’entrée et l’ARC, pour transférer, ensuite, une partie de la redevance reçue de LuxOpCo au titre de l’accord de licence à A 9 et à ATI à concurrence de ces coûts. La différence entre les montants perçus au titre de la redevance et les paiements effectués au titre de l’ARC a été attribuée à LuxSCS, puis éventuellement
remontée par ses associés, sans que LuxSCS ait exercé aucune fonction qui justifierait que ces montants lui fussent attribués.
272 Toutefois, même s’il y avait lieu de considérer que LuxSCS n’était qu’un simple intermédiaire, à savoir qu’elle était interposée entre LuxOpCo et les entités américaines ATI et A 9, qui n’avait pas exercé des fonctions de développement, il n’en reste pas moins que le montant de la redevance qu’aurait dû payer LuxOpCo, et ainsi la rémunération de LuxSCS, aurait dû refléter la valeur marchande des actifs incorporels mis à disposition en vertu de l’accord de licence. Or, la simple répercussion du
paiement au titre de l’ARC, invoquée par la Commission, ne correspond qu’au remboursement des coûts que devait supporter LuxSCS aux fins du développement des actifs incorporels et ne reflète pas la valeur marchande desdits actifs incorporels.
273 Si, par les arguments mentionnés au point 271 ci‑dessus, la Commission entend faire valoir que la base imposable de LuxOpCo aurait été diminuée du fait de l’interposition de LuxSCS entre LuxOpCo et les entités américaines ATI et A 9, et de la conclusion de l’accord de licence avec LuxSCS – par opposition à la conclusion d’un accord de licence avec lesdites entités, il y a lieu de relever que, dans la décision attaquée, la Commission ne s’est pas appuyée sur un tel raisonnement pour démontrer
l’existence de l’avantage en faveur de LuxOpCo.
274 De plus, il n’est pas établi que, si l’accord de licence avait été conclu par LuxOpCO directement avec les entités américaines, sans que LuxSCS soit interposée entre ces sociétés, le montant d’une redevance payée auxdites entités aurait été différent du montant de la redevance due à LuxSCS.
275 Deuxièmement, la conclusion mentionnée au point 269 ci‑dessus n’est pas remise en cause par l’argument soulevé par la Commission lors de l’audience, selon lequel l’ARC aurait pu être directement conclu avec LuxOpCo.
276 À cet égard, il convient de relever que le raisonnement selon lequel, si LuxSCS n’avait pas existé, un accord de répartition des coûts aurait été conclu avec LuxOpCo, est purement hypothétique et relève, de fait, du domaine de la spéculation.
277 De plus, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas fondé son raisonnement sur le fait que LuxOpCo aurait pu ou aurait dû être directement partie à l’ARC. En effet, force est de constater que nulle part dans la décision attaquée la Commission n’a remis en cause l’existence de LuxSCS, en tant que telle, pas moins que la validité, au regard du droit luxembourgeois, du montage qui résultait de la conclusion de l’ARC et de l’accord de licence, au motif que ce montage aurait permis de diminuer
la dette fiscale de LuxOpCo. La Commission s’est en effet bornée à contester le montant de la redevance due par LuxOpCo à LuxSCS.
278 Troisièmement, la conclusion mentionnée au point 269 ci‑dessus n’est pas remise en cause par l’argument soulevé par la Commission lors de l’audience suivant lequel LuxSCS aurait été créée pour des raisons purement fiscales.
279 Le simple fait qu’une entité appartenant à un groupe de sociétés ait été créée seulement à des fins d’optimisation fiscale et qu’elle perçoive une redevance pour des actifs incorporels développés au sein du groupe de sociétés en question ne suffit pas, en tant que tel, pour conclure qu’il y a eu un avantage fiscal au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE pour le débiteur de la redevance et ne démontre donc pas nécessairement l’existence d’une aide d’État en faveur du débiteur de la
redevance.
280 En l’espèce, certes, le traitement fiscal de LuxSCS variant entre le Luxembourg (LuxSCS était « fiscalement transparente » au Luxembourg) et les États‑Unis (LuxSCS était « non transparente fiscalement » aux États‑Unis) est dû à une « asymétrie hybride », c’est‑à‑dire une différence dans les réglementations fiscales applicables au Luxembourg et aux États-Unis s’agissant de l’identification du contribuable.
281 Mais, ainsi que l’a relevé la Commission elle‑même dans la note en bas de page no 16 qui accompagne le point 13 du mémoire en défense de l’affaire T‑816/17, les conséquences de cette asymétrie (la non‑imposition des bénéfices) ne font pas l’objet de la décision attaquée. La question pertinente dans le cadre du présent recours n’est donc pas de savoir si la raison d’être de LuxSCS est purement fiscale, ni, par ailleurs, si les revenus qu’elle a générés ont effectivement été taxés aux États‑Unis
dans les mains de ses associés, mais celle de savoir si LuxOpCo a payé une redevance dont le montant a été surévalué et si, de ce fait, la rémunération de LuxOpCo et, partant, sa base imposable ont été artificiellement diminuées.
282 Quatrièmement, la conclusion mentionnée au point 269 ci‑dessus n’est pas remise en cause par l’affirmation faite par la Commission lors de l’audience, à la supposer avérée, suivant laquelle LuxSCS aurait été une société « fictive ».
283 À cet égard, il y a lieu de constater que LuxSCS avait bel et bien une existence juridique, ce que la Commission ne remet pas en cause. LuxSCS était établie au Luxembourg et figurait dans le registre commercial du Grand-Duché de Luxembourg en tant que société luxembourgeoise.
284 Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de retenir que la conclusion figurant au considérant 555 de la décision attaquée, selon laquelle la première composante de la « rémunération de LuxSCS » aurait dû consister en une « refacturation des coûts répercutés liés à l’accord d’entrée et à l’ARC (soit les coûts d’entrée et liés à l’ARC) » est entachée d’erreur, car une telle redevance ne correspond pas à un résultat de marché. Cette erreur dans l’application de la MTMN suffit également pour
considérer que le constat principal de la Commission en ce qui concerne l’avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ne peut être entériné. Cependant, il convient de poursuivre l’examen des arguments des parties comme suit.
– Sur la seconde composante de la rémunération de LuxSCS (coûts de maintien)
285 S’agissant de la deuxième composante de la rémunération de LuxSCS (voir point 254 ci‑dessus), le Grand‑Duché de Luxembourg considère que l’appréciation figurant au considérant 555 de la décision attaquée, à savoir la thèse selon laquelle « LuxSCS devrait être rémunérée par une marge sur une base des coûts composée uniquement des coûts supportés pour les services externes contractés pour conserver sa propriété légale sur les actifs incorporels », est erronée. À cet égard, le Grand-Duché de
Luxembourg soutient que c’est à tort que la Commission fixe la marge de « pleine concurrence » à 5 % des coûts externes sur la base du rapport FCPT. Plus précisément, selon le Grand‑Duché de Luxembourg, la marge de 5 %, réputée être la marge de « pleine concurrence », est arbitraire, tout comme l’analyse sommaire sur laquelle cette marge se fonde. Le rapport FCPT reposerait, quant à lui, sur une analyse des pratiques observées par les administrations fiscales des États membres et non sur une
analyse de la pratique luxembourgeoise relative à l’article 164, paragraphe 3, de la LIR. Sans compter le fait qu’il n’aurait aucune valeur en droit luxembourgeois et qu’il aurait été adopté postérieurement à la DFA en cause et n’aurait donc pas été disponible à l’époque de l’adoption de cette décision, le rapport FCPT se référerait à des marges observées dans le cadre de transactions intragroupes et ne pourrait donc être utilisé comme base pour déterminer une marge de pleine concurrence, à
savoir la marge correspondant à des conditions existant sur le marché libre.
286 La Commission conteste ces arguments.
287 Elle souligne que la deuxième composante de la redevance due par LuxOpCo à LuxSCS en représente une part minime, de sorte qu’elle n’a pas réellement d’incidence sur la « rémunération » de LuxSCS calculée par la Commission. Selon elle, il n’était pas nécessaire, en l’espèce, de faire une véritable analyse de prix de transfert et de déterminer quel aurait dû être le montant exact de la rémunération de LuxOpCo. En revanche, le rapport FCPT pourrait être utilisé comme une « sphère de sécurité » et
permettrait de fixer le montant de transactions intragroupe à faible valeur, pour lesquelles il serait trop coûteux et fastidieux de réaliser une véritable analyse de prix de transfert. Le Grand‑Duché de Luxembourg ferait partie du forum conjoint sur les prix de transfert et le rapport FCPT se fonderait également sur la pratique luxembourgeoise. Si les marges constatées dans le rapport FCPT ont été observées pour des transactions intragroupe, il s’agit, selon la Commission, des marges –
généralement acceptées par les administrations fiscales – en ce qu’elles reflètent la rentabilité d’entreprises dans des conditions de marché. Enfin, la Commission indique que le rapport FCPT, s’il date de 2010, se fonde sur des données relatives à la période comprise entre 1999 et 2007, ajoutant que ces données peuvent être utilisées, dans la mesure où la DFA en cause n’a été mise en œuvre qu’à compter de 2006.
288 À titre liminaire, ainsi qu’exposé au point 254 ci-dessus, la deuxième composante de la « rémunération » de LuxSCS, calculée par la Commission, correspond à des coûts qui pourraient être désignés comme des « coûts de maintien », majorés de 5 %. Ce rendement de 5 % a été retenu par la Commission sur la base du rapport FCPT, dans la mesure où il s’agit du taux de rendement le plus souvent observé pour des prix de transfert, relatif à des prestations de services intragroupe à faible valeur ajoutée.
289 Ainsi que le soutiennent le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon, l’approche retenue par la Commission est problématique à plusieurs égards.
290 Tout d’abord, la Commission a elle-même reconnu au considérant 557 de la décision attaquée qu’il n’existait pas de comparables pour évaluer la rémunération de LuxSCS pour ses fonctions correspondant au maintien de sa propriété sur les actifs incorporels.
291 Or, selon le point 3.26 des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995, lorsqu’il s’agit d’appliquer la MTMN, la « marge nette obtenue par le contribuable au titre d’une transaction contrôlée […] devrait théoriquement être déterminée par référence à la marge nette que le même contribuable réalise au titre de transactions comparables sur le marché libre ». L’absence de comparable aurait dû conduire à ce que la Commission n’appliquât pas la MTMN à LuxSCS.
292 Certes, l’approche retenue par la Commission visant à utiliser le rapport FCPT, au lieu d’effectuer sa propre recherche de comparabilité ainsi que sa propre analyse des marges nettes comparables existant sur le marché, n’est pas incompatible avec les règles d’application de la MTMN, telles que celles-ci découlent des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995. En effet, d’une part, ainsi qu’il ressort notamment des points 3.29 et 3.30 de ces lignes directrices, il est notoire qu’il
est difficile de trouver des informations suffisamment précises concernant les marges nettes existant sur le marché libre ainsi que les paramètres utilisés souvent sur le marché libre comme indicateurs de bénéfices. D’autre part, la forme et la nature des sources d’informations utilisées à cet effet n’ont, en tant que telles, aucune pertinence. S’il existe une publication portant sur les indicateurs de bénéfices ou sur les marges nettes observés dans un certain domaine de l’activité économique,
cette publication peut, en principe, être utilisée, sans toutefois qu’il doive s’agir à cet égard nécessairement d’une « sphère de sécurité », telle que celle dont fait état la Commission dans le cadre de son argumentaire mentionné au point 287 ci‑dessus.
293 Pourtant, l’utilisation d’un tel rapport ne saurait être retenue que si les données y figurant sont pertinentes et fiables. En particulier, le moins que l’on puisse demander à un tel rapport est que les données qui y sont contenues aient trait à des transactions comparables à la transaction contrôlée ainsi qu’à des fonctions comparables à celles de l’entité testée, de manière à ce que la comparaison soit effectivement fiable.
294 En l’espèce, force est de constater que la marge retenue par la Commission sur la base du rapport FCPT correspond à la marge généralement observée, selon les auteurs de ce rapport, pour certains « services intragroupe à faible valeur ajoutée ». Or, LuxSCS n’a pas fourni de tels services. Les fonctions liées au maintien de sa propriété sur les actifs incorporels ne sauraient en effet être assimilées à une prestation de service intragroupe « à faible valeur ajoutée ». Il s’ensuit que, si, en
principe, l’utilisation du rapport FCPT ne soulève pas de difficultés d’ordre méthodologique, il n’en demeure pas moins que les informations contenues dans ce rapport n’avaient aucun lien avec les fonctions de LuxSCS dans le cadre de la transaction contrôlée concernée en l’espèce, à savoir l’accord de licence.
295 Compte tenu des considérations figurant aux points 257 à 292 ci‑dessus, il convient d’accueillir l’argumentation soulevée par le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon tendant à faire valoir que la Commission a commis des erreurs dans l’analyse fonctionnelle de LuxSCS, ce qui aurait eu un impact sur sa conclusion relative au fait de choisir LuxSCS en tant que partie à tester dans le cadre de l’application de la MTMN. La Commission a également commis une erreur dans la détermination de la marge
nette appropriée applicable à la transaction contrôlée en l’espèce.
3) Conclusion sur le constat principal
296 À l’aune de ces différentes considérations, il convient d’accueillir l’argumentation du Grand-Duché de Luxembourg et d’Amazon tendant à contester le constat principal de l’avantage. D’une part, la Commission a erronément considéré que LuxSCS devait être retenue en tant que partie à tester. D’autre part, le calcul de la « rémunération de LuxSCS » opéré par la Commission, sur la base de la prémisse selon laquelle LuxSCS devait être l’entité à tester, est entaché de nombreuses erreurs et ne saurait
être considéré comme étant suffisamment fiable, ni comme permettant d’aboutir à un résultat de pleine concurrence. Dans la mesure où la méthode de calcul retenue par la Commission doit être écartée, cette méthode ne saurait fonder le constat de la Commission selon lequel la redevance payée par LuxOpCo à LuxSCS aurait dû être inférieure à celle effectivement perçue, en application de la DFA en cause, pendant la période contestée. Les éléments contenus dans le constat principal de l’avantage ne
permettent donc pas d’établir que la charge fiscale de LuxOpCo a été artificiellement diminuée du fait d’une surévaluation de la redevance.
297 Par conséquent, les premier et deuxième griefs de la deuxième branche et la troisième branche du premier moyen dans l’affaire T‑816/17 ainsi que les deuxième et quatrième moyens dans l’affaire T‑318/18, visant à faire valoir que la Commission n’a pas démontré l’existence d’un avantage dans le cadre de son constat principal doivent être accueillis, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens et arguments tendant à contester le constat principal.
3. Sur les moyens et arguments tendant à contester le raisonnement subsidiaire concernant l’avantage
298 Dans le cadre du troisième grief de la deuxième branche du premier moyen dans l’affaire T‑816/17 et du cinquième moyen dans l’affaire T‑318/18, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon contestent le raisonnement subsidiaire de la Commission portant sur l’existence d’un avantage fiscal en faveur de LuxOpCo.
299 Afin d’examiner en détail ces moyens, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’exposé aux points 65 à 68 ci-dessus, dans le cadre de son raisonnement subsidiaire relatif à l’existence d’un avantage, la Commission a opéré trois constats, selon lesquels la méthode de prix de transfert avalisée par la DFA en cause repose sur trois choix méthodologiques erronés.
300 Tout d’abord, par son premier constat subsidiaire (considérants 565 à 569 de la décision attaquée), la Commission a identifié une erreur dans le choix de la méthode de prix de transfert avalisée par la DFA en cause. À cet égard, il importe de rappeler que les parties s’accordent sur le fait que la méthode appliquée dans le rapport sur les prix de transfert de 2003 correspondait, en réalité, à la MTMN. En revanche, contrairement à ce qui ressort du rapport sur les prix de transfert de 2003
lui-même, les auteurs de ce rapport n’ont pas choisi, ni effectivement appliqué la méthode du partage des bénéfices. Amazon a confirmé, dans ses réponses aux questions écrites, que la méthode de prix de transfert avalisée dans la DFA en cause consistait, dans un premier temps, à calculer la rémunération de LuxOpCo en application de la MTMN et, dans un second temps, à attribuer la totalité des bénéfices résiduels à LuxSCS afin de la rémunérer pour les actifs incorporels. Par ailleurs, le fait que
les auteurs du rapport sur les prix de transfert de 2003 ont, en réalité, utilisé la MTMN et non la méthode du partage des bénéfices dans la variante de l’analyse résiduelle a été mentionné par la Commission au considérant 540 de la décision attaquée.
301 À l’appui de son premier constat subsidiaire, la Commission a exposé que, à supposer que LuxSCS ait exercé effectivement des fonctions uniques et de valeur, ce qu’elle conteste, les autorités fiscales luxembourgeoises ne pouvaient ignorer que LuxOpCo exerçait également des fonctions uniques et de valeur en lien avec la propriété intellectuelle et avec les activités commerciales du groupe Amazon en Europe, et non des fonctions de gestion courante. En conséquence, la Commission a considéré que la
méthode de détermination retenue dans la DFA en cause ne permettait pas d’aboutir à un résultat fiable et que la méthode du partage des bénéfices avec une analyse des contributions était davantage appropriée. Or, selon la Commission, si cette dernière méthode avait été utilisée, la rémunération et, par conséquent, le revenu imposable de LuxOpCo auraient été plus importants.
302 Ensuite, dans le cadre de son deuxième constat subsidiaire (considérants 570 à 574 de la décision attaquée), la Commission a considéré que le choix de l’indicateur de niveau de bénéfice avalisé dans la DFA en cause était erroné. Plus spécifiquement, elle a considéré que, à supposer même que l’analyse fonctionnelle contenue dans le rapport sur les prix de transfert de 2003 fût correcte, en acceptant une marge sur les charges d’exploitation et non sur les coûts totaux, la DFA en cause avait réduit
de manière inappropriée le revenu imposable de LuxOpCo, lui conférant ainsi un avantage économique.
303 Enfin, dans le cadre de son troisième constat subsidiaire (considérants 574 à 578 de la décision attaquée), la Commission a conclu que, en tout état de cause, l’inclusion d’un plafond dans la méthode de prix aux fins de déterminer la base imposable de LuxOpCo, telle qu’avalisée dans la décision attaquée, n’était pas appropriée, ni justifiée économiquement. Selon la Commission, dans la mesure où elle avait abouti à une diminution du revenu imposable de LuxOpCo, pour les exercices fiscaux 2006,
2007, 2011, 2012 et 2013, l’inclusion d’un tel plafond avait conféré un avantage économique à cette société.
304 Il importe de relever que chacun des constats subsidiaires figurant aux titres 9.2.2.1 à 9.2.2.3 de la décision attaquée est indépendant l’un de l’autre. Chacun est donc susceptible d’établir l’existence d’un avantage. La Commission a confirmé, tant dans ses réponses aux questions écrites que lors de l’audience, que chacun des constats subsidiaires corroborait de manière indépendante et autonome la constatation de l’existence d’un avantage.
a) Observations préliminaires sur les trois constats subsidiaires
305 Au considérant 564 de la décision attaquée, la Commission a précisé que l’appréciation à laquelle elle avait procédé dans le cadre de la section 9.2.2, relatif aux constatations subsidiaires de l’avantage, ne visait pas à déterminer une rémunération de pleine concurrence « précise » pour LuxOpCo, mais à démontrer que la DFA en cause conférait un avantage économique à LuxOpCo en avalisant des choix méthodologiques erronés qui conduisaient à une diminution de son revenu imposable.
306 À cet égard, en complément de ce qui a été exposé aux points 123 à 126 ci‑dessus, il importe de clarifier, au regard du contenu de l’arrêt du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission (T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669), le niveau de preuve qui pèse sur la Commission dans le cadre de l’examen de l’existence d’une aide d’État dans le contexte d’un rescrit fiscal tel que la DFA en cause.
307 Tout d’abord, au point 152 de l’arrêt du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission (T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669), le Tribunal a précisé que, lorsque la Commission fait application du principe de pleine concurrence afin de contrôler si le bénéfice imposable d’une entreprise intégrée en application d’une mesure fiscale (premier facteur de comparaison) correspond à une approximation fiable d’un bénéfice imposable dégagé dans des conditions de marché (deuxième facteur de comparaison), elle
ne peut constater l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE qu’à condition que l’écart entre les deux facteurs de comparaison aille au‑delà des imprécisions inhérentes à la méthode appliquée pour obtenir ladite approximation.
308 Il en découle que, pour démontrer qu’une décision fiscale anticipée utilisée pour calculer la rémunération d’une entreprise confère un avantage économique, la Commission doit établir que cette rémunération s’écarte d’un résultat de pleine concurrence, dans des proportions telles qu’elle ne peut être considérée comme une rémunération qui aurait été perçue sur le marché dans des conditions de concurrence.
309 Ensuite, aux points 201 et 211 de l’arrêt du 24 septembre 2019, Pays‑Bas e.a./Commission (T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669), le Tribunal a précisé que le seul non-respect de prescriptions méthodologiques n’aboutissait pas nécessairement à une diminution de la charge fiscale. Encore fallait-il que la Commission démontrât que les erreurs méthodologiques qu’elle avait identifiées dans la décision fiscale anticipée ne permettaient pas d’aboutir à une approximation fiable d’un résultat de pleine
concurrence et qu’elles avaient abouti à une réduction du bénéfice imposable. Le Tribunal a ainsi conclu que le seul constat d’erreurs dans le choix ou l’application de la méthode de détermination des prix de transfert ne suffisait pas, en principe, à lui seul, à démontrer l’existence d’un avantage et, partant, à établir l’existence d’une aide d’État au sens de l’article 107 TFUE.
310 Il importe de relever, à cet égard, que, s’il appartient à la Commission de démontrer de manière concrète que l’erreur méthodologique a abouti à une diminution de la charge fiscale du bénéficiaire de la décision fiscale anticipée, le Tribunal n’a pas exclu que, dans certains cas, une erreur méthodologique soit telle qu’elle ne permette aucunement d’aboutir à une approximation d’un résultat de pleine concurrence et qu’elle conduise nécessairement à une sous-évaluation de la rémunération qui
aurait dû être perçue dans des conditions de marché.
311 Une telle lecture de l’arrêt du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission (T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669), ressort de l’utilisation de l’expression « en principe » aux points 201 et 211 ainsi que du point 212 de cet arrêt, dans lequel il est précisé que, dans cette affaire, la Commission n’avait invoqué aucun élément permettant de conclure, sans que soit opérée une comparaison avec le résultat qui aurait été obtenu en application de la méthode préconisée par elle, que le choix de la
méthode avalisée dans la décision fiscale anticipée en cause aboutissait nécessairement à un résultat trop bas.
312 Compte tenu de ce qui précède, et en l’absence de comparaison dans la décision attaquée entre, d’une part, le résultat qui aurait été obtenu en application de la méthode de prix de transfert préconisée par la Commission et, d’autre part, le résultat obtenu en application de la DFA en cause, l’approche de la Commission, exposée au considérant 564 de la décision attaquée, au terme de laquelle celle-ci se borne à identifier des erreurs dans l’analyse des prix de transfert, est, en principe,
insuffisante pour établir qu’il y a effectivement eu une diminution de la charge fiscale de LuxOpCo.
313 Néanmoins, il y a lieu de vérifier si, en dépit de l’affirmation contenue au considérant 564 de la décision attaquée, le raisonnement subsidiaire de la Commission relatif à l’avantage contient des éléments concrets permettant d’établir que les erreurs dans l’analyse des prix de transfert identifiées par la Commission ont abouti à une véritable diminution de la charge fiscale de LuxOpCo.
b) Sur le premier constat subsidiaire concernant l’avantage
314 Dans le cadre du troisième grief de la deuxième branche du premier moyen dans l’affaire T‑816/17, et du cinquième moyen dans l’affaire T‑318/18, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon contestent le premier constat subsidiaire de la Commission portant sur l’existence d’un avantage fiscal en faveur de LuxOpCo (section 9.2.2.1 de la décision attaquée). En substance, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon contestent l’affirmation selon laquelle la méthode de prix de transfert préconisée par la
Commission, à savoir la méthode du partage des bénéfices avec l’analyse des contributions, était appropriée. Ils font valoir que c’est à tort que la Commission a conclu que LuxOpCo exerçait des fonctions uniques et de valeur. Le Grand-Duché de Luxembourg souligne que la Commission n’a d’ailleurs pas cherché à appliquer, elle-même, la méthode du partage des bénéfices.
315 La Commission conteste ces arguments.
316 Selon la Commission, la décision attaquée a, à bon droit, relevé des choix méthodologiques inadéquats s’agissant de la méthode de fixation des prix de transfert avalisée dans la DFA en cause. Elle est d’avis que, même si LuxSCS était considérée comme exerçant des fonctions uniques et de valeur en lien avec les actifs incorporels, cela serait également le cas de LuxOpCo, de sorte qu’une détermination des prix de transfert fondée sur la méthode du partage des bénéfices représenterait une méthode
de prix de transfert plus appropriée et aboutirait à une rémunération de LuxOpCo supérieure à celle confirmée par la DFA en cause.
317 En l’espèce, il convient de constater que, aux considérants 565 à 568 de la décision attaquée, la Commission a indiqué, en substance, que, même s’il y avait lieu d’accepter la thèse selon laquelle LuxSCS exerçait des fonctions uniques et de valeur en rapport avec les actifs incorporels, le fait que LuxOpCo assumait également de telles fonctions aurait signifié que, en l’espèce, la méthode du partage des bénéfices, dans la variante de l’analyse des contributions, aurait dû être préférée à la
méthode MTMN.
318 À cet égard, il importe de préciser deux choses différentes.
319 Premièrement, la Commission a indiqué au considérant 565 de la décision attaquée que, loin d’exécuter au cours de la période considérée des fonctions de gestion « courantes », LuxOpCo assumait toute une série de fonctions uniques et de valeur en rapport avec les actifs incorporels et exerçait les activités commerciales du groupe Amazon en Europe.
320 Dans ce contexte, il convient de souligner également que la Commission n’a pas constaté que certaines des fonctions de LuxOpCo, telles qu’identifiées dans le cadre de sa propre analyse fonctionnelle, auraient pu être qualifiées de courantes ou de routine, ni que de telles fonctions auraient dû, en dépit de ce caractère de routine, faire l’objet d’une rémunération supplémentaire.
321 Deuxièmement, au considérant 568 de la décision attaquée, la Commission a conclu que l’application de l’analyse des contributions, en l’espèce, aurait conduit à une rémunération de LuxOpCo pour toutes ses fonctions ainsi que tous ses actifs et risques, tels qu’analysés à la section 9.2.1.2 de la décision attaquée, et donc à une rémunération supérieure à celle validée dans la DFA en cause. Ce faisant, la Commission a considéré que le fait d’avaliser la MTMN dans la DFA en cause aurait entraîné
une diminution du revenu imposable de LuxOpCo par rapport à des sociétés dont le bénéfice imposable reflétait les prix négociés sur le marché. En particulier, ainsi qu’il ressort du considérant 566 de la décision attaquée, selon la Commission, il n’était pas approprié d’avaliser une méthode de fixation des prix de transfert prévoyant l’imputation à LuxSCS de l’intégralité du bénéfice résiduel réalisé par LuxOpCo excédant [confidentiel] de ses charges d’exploitation.
322 Par ailleurs, il ressort du point 45 des réponses de la Commission aux questions écrites du Tribunal que, selon elle, la rémunération de LuxOpCo était « nécessairement » plus élevée avec l’application de la méthode du partage des bénéfices, dans la variante de l’analyse des contributions, car cette méthode aurait permis de rémunérer les fonctions uniques et de valeur de LuxOpCo.
323 C’est sur la base des considérations figurant aux points 316 à 322 ci‑dessus qu’il convient d’examiner les griefs du Grand-Duché de Luxembourg et d’Amazon tendant à contester le premier constat subsidiaire.
324 Ainsi qu’il ressort du point 314 ci-dessus, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon soulèvent trois griefs, lesquels tendent à contester, premièrement, l’affirmation selon laquelle LuxOpCo exerçait des fonctions uniques et de valeur, deuxièmement, le constat selon lequel la DFA en cause avait erronément avalisé l’utilisation de la MTMN et la méthode du partage des bénéfices dans la variante de l’analyse des contributions devait être utilisée dans le cas d’espèce et, troisièmement, la conclusion
selon laquelle l’utilisation de la méthode du partage des bénéfices, dans la variante de l’analyse des contributions, aurait « nécessairement » abouti à une rémunération plus importante.
1) Sur l’exercice, par LuxOpCo, de fonctions dites « uniques et de valeur »
325 Avant toute chose, il convient de relever que le premier constat subsidiaire renvoie expressément aux sections 9.2.1.2.1 et 9.2.1.2.2, 9.2.1.2.3 et 9.2.1.4 de la décision attaquée, dans lesquelles la Commission a procédé à sa propre analyse fonctionnelle de LuxOpCo, et repose directement sur les constats contenus dans ces sections.
326 Les constatations opérées dans les sections 9.2.1.2.1 et 9.2.1.2.2, 9.2.1.2.3 et 9.2.1.2.4 de la décision attaquée ainsi que le constat selon lequel LuxOpCo exerçait des fonctions uniques et de valeur font l’objet du troisième grief de la deuxième branche du premier moyen dans l’affaire T‑816/17 et du cinquième moyen renvoyant aux deuxième et troisième moyens dans l’affaire T‑318/18, tendant à contester l’analyse fonctionnelle de LuxOpCo opérée par la Commission.
327 Il y a lieu d’examiner conjointement l’ensemble des arguments du Grand-Duché de Luxembourg et d’Amazon tendant à contester le bien‑fondé de l’analyse fonctionnelle de LuxOpCo, opérée par la Commission, et le constat selon lequel LuxOpCo exerçait des fonctions uniques et de valeur.
328 Tout d’abord, selon le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon, LuxOpCo n’avait pas de fonctions significatives relatives à la mise au point, l’amélioration, la gestion et l’exploitation des actifs incorporels en Europe, mais était seulement en charge de l’exploitation de l’entreprise. En effet, l’essentiel du développement, de la gestion et de l’amélioration des actifs incorporels aurait eu lieu aux États-Unis.
329 Ensuite, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon font valoir, en substance, que les fonctions de LuxOpCo en lien avec l’activité commerciale du groupe Amazon en Europe constituaient des contributions de routine et non des contributions uniques et de valeur, dans la mesure où elles reposaient largement sur les actifs incorporels mis à disposition par LuxSCS. Les fonctions de LuxOpCo en lien avec les activités commerciales du groupe Amazon en Europe se seraient limitées ainsi à des fonctions de
gestion.
330 Enfin, s’agissant des actifs et des risques assumés par LuxOpCo, Amazon soutient que les risques liés aux activités commerciales de LuxOpCo étaient gérés et atténués par la technologie.
331 La Commission conteste ces arguments.
332 Tout d’abord, elle fait valoir, en substance, que c’est LuxOpCo qui, avec le soutien des sociétés affiliées européennes, a exercé toutes les fonctions pertinentes uniques et de valeur relatives aux trois composantes des actifs incorporels, à savoir la technologie, les données clients et le marketing.
333 Ensuite, elle fait valoir que les fonctions « humaines » n’auraient été remplacées par la technologie ni dans la fixation des prix, ni dans les relations du groupe Amazon avec les vendeurs et les clients, ni dans la gestion des stocks, ni dans les décisions concernant les stocks. La Commission soutient que le fait que LuxOpCo utilisait les actifs incorporels dans le cadre de l’exercice de ces fonctions ne signifiait pas que ces dernières ne pouvaient pas être considérées comme uniques et de
valeur.
334 Enfin, en ce qui concerne les actifs utilisés et les risques assumés par LuxOpCo, d’une part, la Commission relève que le Grand-Duché de Luxembourg n’a formulé aucune critique directe à l’encontre des considérants de la décision attaquée portant sur ces deux éléments et, d’autre part, elle conteste l’argument d’Amazon selon lequel la technologie a permis de gérer les risques de LuxOpCo sans nécessiter la moindre intervention humaine.
335 À titre liminaire, il importe de souligner que l’examen de la question de savoir si LuxOpCo exerçait effectivement des « fonctions uniques et de valeur », ainsi que la Commission le soutient, ou bien seulement des « fonctions de routine », ainsi que le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon le font valoir, doit être opéré au regard des notions qui ont été abordées au point 227 ci-dessus. La notion de « fonctions uniques et de valeur », bien qu’elle ne soit pas expressément explicitée dans les
lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995, s’oppose à la notion de « fonctions de routine », lesquelles sont des fonctions qui peuvent être facilement évaluées. Ainsi qu’il a été relevé au point 228 ci‑dessus, la notion de « fonction unique » renvoie à la situation dans laquelle il n’y a pas de comparable pour une certaine fonction. La notion de « fonction de valeur » a trait notamment au fait que la fonction en cause permet de générer des recettes importantes.
336 Par ailleurs, il convient également de relever, dans la mesure où la Commission a essentiellement fondé son analyse fonctionnelle de LuxOpCo sur les déclarations des employés de cette dernière, issues du contentieux porté devant la United States Tax Court (Cour fiscale fédérale des États-Unis) (ci‑après les « témoignages des employés d’Amazon »), que, dans la requête dans l’affaire T-816/17, le Grand‑Duché de Luxembourg fait valoir que ces témoignages datent de 2014 et portent sur les activités
du groupe Amazon entre 2005 et 2014, de sorte que les autorités luxembourgeoises ne pouvaient en aucun cas avoir connaissance de ces informations au moment de l’octroi de la DFA en cause.
337 Il importe de relever à cet égard, tout d’abord, que cet argument du Grand-Duché prend le contre-pied de la position qu’il a retenue dans ses réponses aux questions écrites du Tribunal. En effet, s’agissant de la possibilité de prendre en compte l’avis de la Cour fiscale fédérale des États-Unis et le rapport sur les prix de transfert de 2017, celui-ci a affirmé que, pour déterminer si LuxOpCo avait bénéficié d’un avantage, il était nécessaire d’examiner quel aurait été l’impôt qu’elle aurait dû
supporter en l’absence de la DFA en cause, ce qui implique nécessairement de prendre en compte des informations postérieures à l’octroi de la DFA en cause.
338 Certes, dans l’arrêt du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission (T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669, points 247 et 250), le Tribunal a considéré que l’examen de l’existence d’un avantage conféré par un accord préalable sur les prix faisant l’objet de la décision attaquée devrait être fait au regard du contexte de l’époque au cours de laquelle celui-ci a été conclu. Toutefois, le Tribunal a fondé ce constat sur le fait que, dans cette affaire, la mesure contestée par la Commission était
uniquement l’accord préalable sur les prix.
339 En l’espèce, il y a lieu de constater que la mesure des autorités luxembourgeoises faisant l’objet de la décision attaquée est non seulement la DFA en cause, laquelle a été adoptée en 2003, puis prorogée en 2004 et en 2010, mais également l’acceptation ultérieure de la déclaration annuelle de LuxOpCo, fondée sur ladite décision, de sorte que les informations relatives à la situation effective de LuxOpCo pendant la période concernée étaient nécessairement des informations disponibles pour les
autorités fiscales lorsqu’elles ont adopté les mesures faisant l’objet de la décision fiscale anticipée.
340 Il s’ensuit que, dans les circonstances de l’espèce, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir fondé son analyse sur les témoignages des employés d’Amazon. Il convient donc de prendre en compte ces éléments aux fins d’apprécier les griefs formulés par le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon en ce qui concerne l’analyse fonctionnelle de LuxOpCo.
i) Sur les fonctions exercées par LuxOpCo en ce qui concerne les actifs incorporels (section 9.2.1.2.1 et considérants 449 à 472 de la décision attaquée)
341 De manière générale, les parties s’opposent sur la question de savoir si LuxOpCo avait exercé des fonctions significatives, « uniques et de valeur », en ce qui concerne les actifs incorporels. Selon la Commission, tel aurait été le cas, parce que LuxOpCo aurait été responsable pour les adaptations de la technologie aux spécificités du marché européen, pour le développement des données clients et pour des activités en lien avec les actifs de marketing.
342 Dans le cadre de la section 9.2.1.2.1 de la décision attaquée, la Commission a considéré que, en vertu de l’accord de licence, LuxOpCo avait été chargée d’exercer des fonctions « uniques et de valeur » en rapport avec les actifs incorporels. Ces fonctions incluaient, selon elle, la mise au point, l’amélioration et la gestion de la propriété intellectuelle de manière générale, mais également au niveau de chacune des trois composantes des actifs incorporels, à savoir de la technologie, des données
clients et de la marque déposée, au moyen d’innovations technologiques et commerciales européennes indépendantes, de la création et de la gestion des données clients ainsi que du développement et du maintien de la marque déposée. Ainsi, en substance, selon la Commission, LuxOpCo ne s’est pas contentée d’exploiter la technologie pour gérer les sites européens, mais aurait activement contribué à sa mise au point, à son amélioration et à sa gestion au cours de la période considérée
(considérants 449, 450 et 465 de la décision attaquée).
343 Premièrement, la Commission a relevé que LuxOpCo bénéficiait d’une licence exclusive et irrévocable sur les actifs incorporels, et ainsi du droit de continuer de mettre au point, améliorer, entretenir et protéger ces actifs incorporels, bien que LuxSCS restât propriétaire des travaux dérivés créés par LuxOpCo (considérant 450 de la décision attaquée).
344 Deuxièmement, la Commission a constaté que, de manière générale, LuxOpCo aurait contribué à la mise au point, à l’entretien et à la gestion des actifs incorporels à travers le « EU IP Steering Committee » (comité d’organisation concernant la propriété intellectuelle dans l’Union) (considérants 452 à 455 de la décision attaquée). Selon la Commission, le EU IP Steering Committee était un forum au sein duquel les dirigeants de LuxOpCo et d’ASE, chargés des activités commerciales et de la
technologie, se rencontraient pour discuter et recommander des actions concernant les actifs incorporels en Europe, telles qu’elles leur étaient présentées par les juristes du groupe Amazon. Les décisions effectives concernant la mise au point, l’amélioration, la gestion et l’exploitation des actifs incorporels étaient alors prises par les membres de LuxOpCo et d’ASE faisant partie de ce comité, en leur qualité de gérants décideurs chargés des activités de vente au détail et de services du
groupe Amazon en Europe (considérants 452 à 455 de la décision attaquée).
345 Troisièmement, la Commission a exposé que LuxOpCo avait contribué au développement de la technologie (considérants 466 à 472 de la décision attaquée). Elle a relevé que, certes, la technologie mise à disposition de LuxOpCo par LuxSCS aurait été la « technologie existante d’Amazon US », telle que « développée en permanence aux États-Unis » (considérants 456 et 461 de la décision attaquée). Toutefois, selon elle, plusieurs fonctions des logiciels d’Amazon, utilisés aux États-Unis, auraient dû être
adaptées pour être déployées en Europe. En particulier, la Commission a exposé que, pour mener à bien les activités commerciales européennes du groupe Amazon en Europe, LuxOpCo aurait mis au point, amélioré et géré cette technologie américaine avec le soutien de ses filiales pendant la période considérée (considérants 456 à 460 de la décision attaquée). En outre, LuxOpCo et ses sociétés liées européennes auraient spécialement développé une technologie importante utilisée pour les activités de
vente au détail et de services européennes. Un exemple de ce type de technologie aurait été le « European Fulfilment Network » (réseau de distribution européenne, EFN), technologie qui avait permis de mutualiser les stocks du groupe Amazon situés dans divers États membres et d’associer les centres de traitement des commandes européens, si bien que, grâce à cet outil, les clients de tout pays de l’Union étaient en mesure d’acheter des articles à partir de n’importe quel site Internet national du
groupe Amazon en Europe (considérants 462 et 463 de la décision attaquée).
346 Quatrièmement, en ce qui concerne les données clients, la Commission a constaté que, même si les données clients des sites Internet européens étaient la propriété légale de LuxSCS, LuxOpCo avait exercé des fonctions actives et critiques en rapport avec la mise au point, l’amélioration et la gestion de ces données au cours de la période considérée (considérants 466 à 468 de la décision attaquée). Elle a relevé, à cet égard, que LuxOpCo avait activement accumulé ces données à titre de service pour
LuxSCS et devait en assurer l’entretien et garantir le respect des lois applicables en matière de protection des données.
347 Cinquièmement, en ce qui concerne la « marque déposée » (considérants 469 à 470), à savoir les marques d’Amazon, dans la mesure où elles ont été déposées dans l’Union, la Commission a relevé que, bien que cette marque fût bien reconnue et qu’une forte identification d’une marque au niveau mondial fût un atout majeur pour attirer des clients, la valeur de cette marque commerciale aurait été d’une importance secondaire pour la bonne mise en œuvre en Europe des trois piliers des activités du groupe
Amazon, à savoir l’assortiment, le prix et la facilité d’utilisation (ci‑après les « trois piliers »). Compte tenu du fait que la marque et la réputation du groupe Amazon se seraient appuyées fortement sur la prestation constante par LuxOpCo et les sociétés liées européennes d’un service hautement satisfaisant aux clients, il conviendrait de conclure, selon la Commission, que, en réalité, la valeur de la marque Amazon en Europe aurait été générée au niveau de LuxOpCo et des sociétés liées
européennes et non au niveau de LuxSCS (considérants 469 et 470 de la décision attaquée). En outre, les activités de marketing auraient été assurées par LuxOpCo et les sociétés européennes, sur la base d’un savoir-faire local (considérant 472 de la décision attaquée).
348 Dans la mesure où le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon contestent chacun des cinq points de l’analyse de la Commission, il convient d’examiner séparément les arguments relatifs à chacune de ces questions.
349 Avant de procéder à un tel examen, il y a lieu de relever, à titre liminaire, que le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon ne contestent pas que LuxOpCo ait exercé certaines fonctions en lien avec le développement des actifs incorporels, et notamment la technologie, mais contestent uniquement que LuxOpCo ait pris une part importante dans le développement des actifs incorporels et ainsi qu’elle exerçait des fonctions uniques et de valeur en lien avec ces actifs.
350 En effet, dans leurs écritures, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon concèdent que LuxOpCo a exercé des fonctions de développement qu’ils désignent comme étant « minimales », ou encore qu’elle a joué un rôle, qui serait, toutefois « secondaire », dans la création de la valeur des actifs incorporels.
351 Il en découle donc que, même selon les dires du Grand-Duché de Luxembourg et d’Amazon, LuxOpCo a bel et bien exercé des fonctions, ne serait‑ce que de nature secondaire, en lien avec le développement des actifs incorporels.
– Sur la nature de la licence conférée à LuxOpCo (considérant 450 de la décision attaquée)
352 Ainsi qu’il a d’ores et déjà été relevé au point 343 ci‑dessus, aux fins de démontrer l’importance des fonctions de LuxOpCo en lien avec le développement des actifs incorporels, la Commission a insisté, au considérant 450 de la décision attaquée, sur le fait que LuxOpCo avait « un droit de continuer à mettre au point, à améliorer, à entretenir […] les actifs incorporels pour toute leur durée d’utilité ». Dans ce contexte, la Commission a affirmé au point 100 du mémoire en défense présenté dans
l’affaire T‑816/17 que LuxOpCo avait un « droit exclusif de poursuivre la mise au point, [d’]améliorer [et d’]entretenir les actifs incorporels » d’Amazon.
353 Certes, le terme « exclusive » a été utilisé au point 2.1 de l’accord de licence, pour décrire la licence concédée à LuxOpCo, laquelle ne couvrait, en tout état de cause, que le territoire européen. Ce point 2.1, sous a), se lit comme suit :
« Concession de licence de propriété intellectuelle exclusive »
[LuxSCS] accorde irrévocablement à [LuxOpCo], en vertu de tous les droits de propriété intellectuelle de [LuxSCS] sur ou comprenant la propriété intellectuelle de [LuxSCS], qu’ils existent actuellement ou à l’avenir, le droit unique et exclusif et la licence suivants sur la propriété intellectuelle de [LuxSCS] pendant la durée [de l’accord de licence], [...] »
354 Toutefois, au vu des arrangements contractuels existant entre LuxSCS et les entités américaines, il convient de constater que, dans les faits, LuxOpCo n’était pas la seule entité à détenir le droit d’améliorer et de mettre au point ces actifs incorporels.
355 En effet, les droits dont LuxOpCo bénéficiait au regard du développement des actifs incorporels en vertu de l’accord de licence étaient nécessairement non exclusifs, dans la mesure où les autres parties à l’ARC, à savoir ATI et A 9, avaient conservé le droit de développer, d’améliorer et d’exploiter la technologie. Le fait que les autres parties à l’ARC, à savoir ATI et A 9, avaient conservé le droit de développer et d’améliorer la technologie n’est d’ailleurs pas contesté par la Commission.
356 À cet égard, il y a lieu de rappeler que les droits que LuxOpCo avait obtenus en vertu de l’accord de licence n’étaient pas limités aux actifs incorporels existant au moment où cet accord a été conclu, mais couvraient également tous les actifs incorporels futurs, créés à la suite des efforts constants de développement, d’entretien et d’amélioration réalisés sous la direction des entités américaines ATI et A 9. Cela démontre bien que LuxOpCo n’était pas la seule entité habilitée à développer et
améliorer les actifs incorporels couverts par l’accord de licence.
357 La Commission admet d’ailleurs que les actifs, tels que transférés à LuxSCS, le 1er janvier 2005, au titre de l’accord d’entrée, ont fait l’objet d’un « remplacement progressif » par des actifs incorporels, développés et améliorés ultérieurement, au titre de l’ARC, au cours de la période considérée. Elle reconnaît également que la technologie détenue par LuxSCS, et donnée en licence à LuxOpCo, était mise au point par les entités américaines, en particulier ATI et A 9.
358 Il découle donc de ce qui précède que la Commission a erronément considéré que LuxOpCo bénéficiait d’un droit exclusif de poursuivre la mise au point des actifs incorporels. Ce constat ne suffit néanmoins pas à invalider le raisonnement de la Commission selon lequel LuxOpCo a exercé des fonctions significatives, voire des fonctions uniques et de valeur en lien avec le développement des actifs incorporels. En effet, le fait pour LuxOpCo de ne pas avoir un droit exclusif d’utilisation sur les
actifs incorporels ne joue ni en faveur ni en défaveur de l’affirmation de la Commission selon laquelle LuxOpCo aurait exercé des fonctions uniques et de valeur par rapport au développement des actifs incorporels.
– Sur le EU IP Steering Committee (considérants 452 à 455 de la décision attaquée)
359 En substance, le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon contestent que le EU IP Steering Committee ait eu le rôle que la Commission lui a attribué (point 344 ci‑dessus). Selon eux, ce comité n’a pas pris de décisions quant au développement ou à l’amélioration des actifs incorporels. De plus, non seulement la majorité des participants audit comité aurait relevé du personnel américain, mais, dans les faits, les décisions du EU IP Steering Committee auraient été prises par des employés du groupe
Amazon aux États-Unis et plus particulièrement par le vice-président chargé de la propriété intellectuelle.
360 La Commission conteste ces arguments.
361 Aux considérants 452 et 453 de la décision attaquée, la Commission a exposé que le EU IP Steering Committee a été créé aux fins de fournir des orientations techniques et commerciales concernant la mise au point et le déploiement de la propriété intellectuelle en Europe. La Commission a relevé qu’il ressortirait du « EU Policies and Procedures Manual » (manuel des politiques et des procédures pour l’Union), d’une part, que ce comité se réunissait notamment pour examiner le portefeuille de
propriété intellectuelle d’Amazon ainsi que la stratégie commerciale de l’entreprise, dans la mesure où elle avait trait à la mise au point et au déploiement de la propriété intellectuelle. D’autre part, ce comité aurait été composé, notamment, du vice-président des services pour l’Union, du directeur juridique pour l’Union (employé par LuxOpCo), du conseiller du groupe Amazon en propriété intellectuelle et du vice-président chargé des activités européennes.
362 Ensuite, la Commission a indiqué que le fait qu’il ne s’agissait que d’un organe consultatif, ainsi qu’Amazon l’aurait expliqué lors de la procédure administrative, ne signifiait pas que ses recommandations n’avaient pas d’incidence sur la mise au point, l’entretien et la gestion des actifs incorporels. Elle a relevé que, dans les faits, le EU IP Steering Committee se réunissait pour, premièrement, formuler des recommandations sur les demandes visant à protéger les actifs incorporels (et, ce
faisant, les droits exclusifs de LuxOpCo découlant de l’accord de licence conclu entre LuxSCS et LuxOpCo), deuxièmement, examiner l’état d’avancement des procédures judiciaires en Europe concernant les actifs incorporels et, troisièmement, dispenser des formations aux salariés européens en ce qui concerne l’utilisation de la technologie et d’autres actifs incorporels (considérant 454 de la décision attaquée).
363 Enfin, en se fondant sur le témoignage du vice-président chargé de la propriété intellectuelle, employé aux États-Unis, la Commission a conclu que le EU IP Steering Committee était un forum dans lequel les dirigeants de LuxOpCo se rencontraient pour discuter des actions concernant les actifs incorporels, telles qu’elles étaient présentées par les juristes du groupe Amazon et que les décisions effectives concernant la mise au point, l’amélioration, la gestion et l’exploitation des actifs
incorporels étaient alors prises par les membres de LuxOpCo et d’ASE faisant partie de ce comité, en leur qualité de gérants décideurs chargés des activités de vente au détail et de services du groupe Amazon en Europe (considérant 455 de la décision attaquée).
364 Force est de constater, à la lecture des considérants 452 à 455 de la décision attaquée, que la Commission est restée en défaut d’établir, dans la décision attaquée, que le EU IP Steering Committee prenait des décisions significatives portant sur le développement ou l’amélioration des actifs incorporels.
365 Tout d’abord, la Commission admet aux considérants 452 et 453 de la décision attaquée que le rôle du EU IP Steering Committee était limité, dans la mesure où il se bornait à fournir des « orientations techniques et commerciales » et une « aide » à la prise de décisions stratégiques concernant la mise au point de la propriété intellectuelle détenue par LuxSCS, ou à la conclusion de plusieurs accords de licence avec des tiers.
366 Il ressort d’ailleurs du manuel des politiques et des procédures pour l’Union du groupe Amazon que le EU IP Steering Committee ne disposait pas de pouvoirs de décision en tant que tels, mais constituait uniquement un organe destiné à assister le développement et le déploiement de la propriété intellectuelle en Europe. Cela est d’ailleurs implicitement admis par la Commission au considérant 454 de la décision attaquée lorsqu’elle évoque l’« incidence » que les « recommandations » de ce comité
avaient sur la mise au point, l’entretien et la gestion des actifs incorporels.
367 Ensuite, il ressort du considérant 454 de la décision attaquée (voir point 362 ci-dessus) ainsi que du témoignage du vice-président chargé de la propriété intellectuelle, employé aux États‑Unis, auquel il est fait référence au considérant 455 de ladite décision, que, dans la pratique, le EU IP Steering Committee se limitait à examiner les questions liées à la protection et au maintien des droits sur les actifs incorporels et que la question du développement ou des améliorations des actifs
incorporels en tant que telle n’y était pas discutée.
368 Enfin, pour autant que le EU IP Steering Committee puisse avoir été un forum de discussion sur les améliorations et le développement des actifs incorporels, force est de constater que les décisions relatives au développement des actifs incorporels n’étaient pas adoptées par ce comité, mais, en principe par les employés du groupe Amazon aux États-Unis et plus particulièrement par le vice-président chargé de la propriété intellectuelle. Cette affirmation faite par le Grand‑Duché de Luxembourg n’a
pas été contestée par la Commission.
369 Par ailleurs, s’agissant de la composition dudit comité, contrairement à ce que la Commission fait valoir dans ses écritures, des employés exerçant des fonctions de direction au sein des entités américaines, et notamment le vice-président en charge de la propriété intellectuelle d’Amazon US, assistaient au EU IP Steering Committee et en dirigeaient même les réunions.
370 Il découle de ce qui précède que les constatations de la Commission relatives au EU IP Steering Committee ne permettent pas de soutenir sa conclusion, au point 455 de la décision attaquée, selon laquelle les décisions relatives à la mise au point et à l’amélioration des actifs incorporels étaient adoptées par le personnel de LuxOpCo et d’ASE faisant partie de ce comité, en leur qualité de gérants décideurs chargés des activités de vente au détail et de services du groupe Amazon en Europe.
371 Tout au plus, la Commission est parvenue à démontrer que LuxOpCo exerçait des fonctions en lien avec la gestion et la protection des actifs incorporels et que les employés de LuxOpCo décidaient des mesures appropriées, telles que par exemple le dépôt d’un brevet, sur la base des recommandations discutées dans le cadre du EU IP Steering Committee.
372 Il ressort de ce qui précède que les allégations de la Commission relatives au EU IP Steering Committee ne suffisent pas à établir que LuxOpCo a exercé des fonctions de développement des actifs incorporels qui pourraient être qualifiées d’« uniques et de valeur ».
– Sur les fonctions de LuxOpCo concernant le développement de la technologie
373 Au considérant 449 de la décision attaquée, la Commission a relevé que les fonctions de LuxOpCo incluaient la mise au point, l’amélioration et la gestion de la technologie.
374 Au soutien de cette affirmation, elle a tout d’abord indiqué, au considérant 456 de la décision attaquée, en substance, que la technologie développée aux États-Unis n’avait pas pu être exploitée telle quelle en Europe et que des adaptations avaient été nécessaires afin de répondre aux besoins spécifiques européens. Elle a exposé que le développement des activités commerciales du groupe Amazon en Europe exigeait une technologie spécifique (logiciels différents, adaptations locales).
375 Ensuite, la Commission a souligné que LuxOpCo avait les ressources technologiques nécessaires pour mener des activités de recherche et développement. Elle a notamment relevé qu’une soixantaine de personnes auraient exercé des tâches à caractère technologique, une équipe de « localisation » et de traduction exerçait des fonctions d’adaptation des sites Internet européens aux préférences locales, une dizaine de personnes supplémentaires auraient été employées comme « Technical Program Manager »
(gestionnaire de programme technique), dont le rôle était de convertir dans des termes techniques les besoins en technologie identifiés par les équipes locales chargées de la vente au détail. Selon la Commission, ce serait ce processus qui aurait permis que la technologie soit sans cesse développée et adaptée en fonction du marché local.
376 À cet égard, la Commission a, certes, reconnu, au considérant 461 de la décision attaquée, que les ressources techniques établies au sein de LuxOpCo étaient limitées. Elle a toutefois souligné que, en réalité, la valeur unique de la technologie aurait résulté du savoir-faire local, de la définition de nouveaux besoins de l’entreprise et de leur traduction dans le projet de logiciel, et non du codage en tant que tel.
377 Enfin, la Commission a indiqué que LuxOpCo a également contribué à l’élaboration de catalogues, de technologie de traduction et d’adaptations locales. Ces tâches auraient été effectuées par d’anciennes équipes des sociétés liées européennes ou par de nouveaux recrutements. En outre, elle a relevé que les sociétés liées européennes avaient également joué un rôle important dans le développement de nouvelles technologies spécifiques aux marchés nationaux européens.
378 La Commission a ajouté que, en particulier, LuxOpCo et les sociétés liées européennes auraient contribué au développement de l’EFN. Cette technologie aurait répondu à un besoin spécifique des activités européennes, en permettant aux clients européens d’acheter des articles à partir de n’importe quel site Internet européen du groupe Amazon.
379 Le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon font valoir que LuxOpCo n’a exercé aucune fonction importante de développement, d’amélioration ou d’entretien se rapportant aux actifs incorporels liés à la technologie. Ils réfutent notamment les affirmations de la Commission selon lesquelles LuxOpCo aurait joué un rôle majeur dans le développement de l’EFN et font valoir que cette technologie, bien que spécifique à l’Europe, aurait été développée aux États-Unis et que LuxOpCo n’aurait participé ni à sa
conception ni à sa création.
380 La Commission conteste ces arguments et maintient sa position exprimée aux considérants 456 à 465 de la décision attaquée, telle qu’exposée aux points 373 à 378 ci-dessus.
381 À titre liminaire, il importe de constater que, contrairement à ce que suggèrent le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon, la Commission n’a pas affirmé, dans la décision attaquée, que LuxOpCo était le principal développeur de la technologie, que ce soit à l’échelle mondiale ou au seul niveau européen, mais, ainsi qu’exposé aux considérants 449 et 465 de la décision attaquée, que LuxOpCo a activement contribué à la mise au point, l’amélioration et la gestion de la technologie au cours de la
période considérée. La Commission ne conteste pas non plus que la technologie a été développée en permanence aux États-Unis.
382 À cet égard, il est vrai que, ainsi que le font valoir le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon, les outils technologiques étaient principalement développés par les entités américaines et mis à disposition des activités européennes dans leur forme définitive. Le logiciel utilisé par les différents sites européens était d’ailleurs commun.
383 D’une part, il ressort du dossier que l’essentiel des décisions relatives au développement des actifs incorporels et à la priorisation des projets à développer, y compris de la technologie spécifique à l’Europe, était décidé aux États-Unis.
384 D’autre part, il est constant que le nombre le plus important de techniciens et d’ingénieurs contribuant au développement de la technologie se situait aux États-Unis. Pas moins de [confidentiel] salariés du groupe Amazon contribuaient au développement des actifs incorporels, dont plus de [confidentiel] salariés, étaient employés aux États‑Unis pour des emplois liés à la technologie au cours de la période considérée. La Commission ne conteste pas ces données. En outre, il ressort des pièces du
dossier, et notamment des différents témoignages des salariés du groupe Amazon, que les services centraux et des techniciens américains ont été en charge du développement des outils spécifiques au marché européen.
385 Ensuite, en ce qui concerne la contribution de LuxOpCo en rapport avec le développement de la technologie, il convient de relever les éléments suivants.
386 En premier lieu, la Commission a correctement établi que des adaptations étaient parfois nécessaires afin de mettre en œuvre la technologie en Europe.
387 En effet, bien que, ainsi que le font valoir le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon, le modèle d’activité et la technologie sous‑jacente soient les mêmes aux États-Unis qu’en Europe, il ressort des différents témoignages des employés du groupe Amazon fournis par les parties, et notamment du témoignage du vice-président directeur, responsable des activités de commerce en détail à l’international, employé aux États-Unis, que, en raison des spécificités du marché européen par rapport au marché
américain, la technologie développée aux États-Unis ne pouvait pas toujours être utilisée telle quelle sur les sites Internet européens. Ainsi, outre l’EFN, technologie spécialement développée pour les activités européennes du groupe Amazon, des adaptations ou « localisations » étaient nécessaires. Il ressort des pièces du dossier que ces adaptations incluaient notamment des efforts de traduction [confidentiel].
388 En deuxième lieu, il ressort des témoignages des salariés du groupe Amazon, que, bien qu’une grande partie des adaptations de la technologie au marché européen ait été effectuée aux États-Unis, notamment lorsqu’il s’agissait du travail sur les logiciels, LuxOpCo avait, dans une certaine mesure, contribué à ces adaptations.
389 En effet, ainsi que le confirme, d’ailleurs, Amazon dans la requête dans l’affaire T-318/18, à la fin de la période considérée, tout au plus une soixantaine de personnes occupaient des postes liés à la technologie au Luxembourg.
390 À cet égard, il ressort des pièces du dossier, et notamment des témoignages du vice-président directeur, responsable des activités de commerce au détail à l’international, employé aux États‑Unis, et de l’ancien responsable des programmes tiers en Europe (et notamment de MarketPlace), que, au plus tard à partir de l’année qui a suivi la restructuration de 2006, LuxOpCo a commencé à bénéficier de ses propres techniciens. Plus précisément, LuxOpCo a employé, au cours de la période considérée, des
développeurs de logiciel (software developers) qui ont contribué au développement de programmes spécifiques pour les activités européennes et ont travaillé sur les ajustements locaux.
391 De même, il ressort du témoignage de l’ancien responsable des programmes tiers en Europe (et notamment de MarketPlace) que [confidentiel].
392 Dans ce contexte, s’agissant de l’équipe de localisation et de traduction, identifiée par la Commission au considérant 459 de la décision attaquée, il convient de constater qu’il ressort des éléments du dossier que cette équipe était chargée de l’adaptation des sites Internet européens, notamment de la traduction, et qu’elle avait contribué au développement de logiciels. En effet, il ressort des témoignages des employés du groupe Amazon [confidentiel]. Toutefois, même si ces activités et cette
dernière technologie avaient joué un rôle important pour les activités commerciales de LuxOpCo, il n’en reste pas moins qu’elles occupaient une place mineure par rapport au reste de la technologie développée aux États-Unis.
393 Ensuite, s’agissant des activités de développement du catalogue, identifiées par la Commission au considérant 456 de la décision attaquée, il convient de constater que, ainsi que le font valoir Amazon et le Grand-Duché de Luxembourg, lesdites activités ne comprenaient pas la conception des logiciels sous‑tendant le catalogue, celle-ci étant effectuée aux États-Unis. Les activités liées au catalogue développées au Luxembourg [confidentiel]. Le travail local sur le développement du catalogue
[confidentiel].
394 Il ressort du témoignage du vice-président directeur, responsable des activités de commerce au détail à l’international, employé aux États-Unis que [confidentiel]. Ainsi, si des opérations sur les logiciels en lien avec le catalogue avaient pu être réalisées par LuxOpCo, ces opérations restaient très limitées par rapport aux développements réalisés par les services centraux du groupe Amazon.
395 Il ressort de ce qui précède que LuxOpCo a contribué au développement de la technologie en procédant à certaines adaptations, principalement liées à la traduction, et, uniquement dans une moindre mesure, au développement de certains logiciels et fonctionnalités. En outre, l’essentiel du travail d’adaptation de la technologie aux activités européennes était largement dépendant des services centraux du groupe Amazon. Il s’ensuit que les contributions de LuxOpCo au développement de la technologie
n’ont pu jouer qu’un rôle mineur dans la création de la valeur de cette technologie. Il en découle que, si la Commission a correctement affirmé, au considérant 461 de la décision attaquée, que les adaptations requises en Europe ont été élaborées à proximité des marchés locaux, il était erroné de donner une telle importance aux contributions de LuxOpCo auxdites adaptations et d’en tirer la conclusion que ces contributions étaient uniques et de valeur.
396 En troisième lieu, ainsi que la Commission l’a relevé aux considérants 460 à 461 de la décision attaquée, outre les adaptations effectuées localement par les équipes luxembourgeoises, LuxOpCo contribuait également au développement de la technologie du fait de son implication dans le processus d’identification des nouveaux besoins technologiques de l’entreprise et de leur traduction dans des projets de logiciel.
397 À cet égard, LuxOpCo disposait de gestionnaires de programmes (technical program managers), dont la fonction était de traduire en termes techniques les besoins commerciaux afin qu’un ingénieur (software developer) puisse les coder (voir considérant 460 de la décision attaquée). Le Grand-Duché de Luxembourg ne conteste d’ailleurs pas que les spécifications fonctionnelles et techniques des outils et des adaptations requises en Europe ont été élaborées à proximité des marchés locaux.
398 Certes, ainsi que la Commission l’a souligné, en substance au considérant 461 de la décision attaquée, la définition des besoins commerciaux et la formulation de spécifications jouaient un rôle important dans le développement de la technologie. En effet, il ressort des pièces du dossier que la valeur de la technologie du groupe Amazon repose sur la capacité de cette technologie à servir les trois piliers du groupe Amazon, à savoir les prix bas, l’assortiment et la facilité d’utilisation (voir
point 347 ci‑dessus), et ainsi à répondre aux besoins des clients. Ainsi, la valeur de la technologie d’Amazon réside également, dans une certaine mesure, dans l’adaptation aux besoins locaux, et, notamment, dans la capacité des équipes locales à formuler les spécifications pour obtenir les adaptations de la technologie aux besoins des consommateurs.
399 Toutefois, il importe de relever que, ainsi que le soutient Amazon, seule une douzaine de gestionnaires de programmes étaient employés au Luxembourg, contre [confidentiel] aux États-Unis et [confidentiel] de ces personnes employées au Luxembourg ne l’ont été qu’à la fin de la période considérée ([confidentiel]).
400 De plus, si LuxOpCo a identifié les besoins technologiques de l’entreprise et les spécifications relatives à ces besoins, la conception et la création de la technologie ont, quant à elles, été développées aux États-Unis. Dans ce contexte, contrairement à ce que la Commission semble suggérer au point 103 du mémoire en défense dans l’affaire T‑318/18, les activités des entités américaines ne se limitaient pas à de simples activités de codage, mais à de véritables activités de développement.
401 Enfin, ainsi que le soutient Amazon, l’écrasante majorité des décisions stratégiques concernant la mise au point de la technologie, notamment en ce qui concerne l’Europe, étaient prises par les entités américaines et non par LuxOpCo.
402 Il en découle que la réalisation de ces développements et améliorations de la technologie, aux fins d’améliorer l’expérience des clients, reposait principalement sur le modèle développé aux États-Unis, qui est le même en Europe et aux États-Unis, et uniquement dans une moindre mesure, sur les spécifications techniques qui pouvaient être formulées par les équipes locales.
403 Il ressort de ce qui précède que, si la Commission a correctement considéré que LuxOpCo avait contribué au développement des actifs incorporels par l’élaboration de spécifications techniques, à l’échelle de la technologie faisant l’objet de l’accord de licence, lesdites contributions restaient limitées. En outre, dans la mesure où, avant 2006, ces fonctions étaient déjà exercées par les sociétés liées, il y a lieu de constater, à l’instar de ce que fait valoir le Grand-Duché de Luxembourg au
point 109 de la requête dans l’affaire T-816/17, que celles-ci ne sauraient être considérées comme étant uniques, mais qu’il s’agit de fonctions courantes.
404 En quatrième lieu, la Commission a considéré que LuxOpCo avait contribué au développement de l’EFN, la seule technologie proprement spécifique aux activités européennes du groupe Amazon.
405 Ainsi que la Commission l’a exposé au considérant 463 de la décision attaquée, l’EFN est une combinaison d’avancées technologiques, telles que l’introduction de nouvelles fonctionnalités, et d’optimisations logistiques.
406 Il n’est pas contesté que l’EFN a joué un rôle essentiel pour les activités commerciales de vente au détail et de services européens. Ainsi que la Commission l’a relevé au considérant 462 de la décision attaquée, et qu’Amazon l’a elle-même affirmé dans son mémoire post procès déposé devant la United States Tax Court (Cour fiscale fédérale des États‑Unis), la création de l’EFN visait à résoudre le problème que posait l’existence de sites Internet multiples associés à des centres de traitement des
commandes nationaux. Cette technologie a permis d’associer les centres de traitement des commandes européens et la mutualisation des stocks, donnant ainsi la possibilité aux clients de toute l’Union d’acheter des articles à partir de n’importe quel site Internet d’Amazon en Europe.
407 Il ressort d’ailleurs des témoignages des employés d’Amazon, ainsi que du mémoire post procès déposé devant la United States Tax Court (Cour fiscale fédérale des États-Unis) par Amazon que l’EFN a été déterminant afin de pouvoir lancer les activités dans deux nouveaux pays européens, à savoir l’Espagne et l’Italie.
408 Or, il ressort du dossier que la Commission était effectivement en droit de considérer que LuxOpCo était impliquée dans le développement de l’EFN (voir point 404 ci-dessus).
409 En effet, dans le mémoire post procès déposé dans le cadre de la procédure devant la United States Tax Court (Cour fiscale fédérale des États-Unis), Amazon a, elle-même, [confidentiel]. Selon les termes de ce mémoire, « AEHT » (c’est-à-dire Amazon Europe Holding Technology, terme qui correspond à la désignation officielle de LuxSCS) [confidentiel]. Il convient de souligner, à cet égard, qu’aucune différence n’a été opérée, dans le cadre de la procédure américaine mentionnée au point 14
ci‑dessus, entre les différentes entités luxembourgeoises du groupe et que, dans cette procédure, le terme « AEHT » a été utilisé de manière indifférenciée pour désigner LuxOpCo ou LuxSCS. Or, s’agissant de la participation au développement de l’EFN, il est clair qu’Amazon faisait référence à LuxOpCo et non à LuxSCS.
410 Ce constat est, d’ailleurs, corroboré par les témoignages des employés du groupe Amazon, et notamment de celui du vice-président directeur des activités de commerce en détail à l’international, employé aux États-Unis, lequel confirme que, à l’époque, le chef des activités de commerce en détail en Europe, employé par LuxOpCo, avait activement contribué à l’élaboration et à la conceptualisation de l’EFN.
411 Néanmoins, il doit être précisé qu’il serait erroné de considérer que LuxOpCo a pris en charge l’ensemble du processus de développement de l’EFN.
412 D’une part, il ressort du dossier que le siège américain a joué un rôle décisionnaire dans le lancement du projet de l’EFN.
413 D’autre part, ainsi que le fait valoir le Grand-Duché de Luxembourg et ainsi qu’il ressort des témoignages des employés du groupe Amazon et de l’avis de la Cour fiscale fédérale des États-Unis, le développement de l’EFN a été réalisé avec le soutien des entités américaines. Plus particulièrement, le travail en lien avec le développement des logiciels sous-tendant l’EFN aurait été opéré par les techniciens des équipes centrales et, notamment, sur la base des spécifications formulées par les
équipes de LuxOpCo. En outre, la Commission ne conteste pas que, d’un point de vue opérationnel, les définitions et les exigences de l’entrepôt sur lesquelles reposaient cet outil, auraient également été établies aux États‑Unis.
414 Bien que, au considérant 462 de la décision attaquée, la Commission expose que « l’EFN a été développé en Europe » sans autres précisions, la contribution des entités américaines n’a toutefois pas été totalement ignorée par la Commission. Elle cite notamment, à la note en bas de page no 481 de la décision attaquée, un des témoignages selon lequel la technologie aurait été développée en Europe avec l’aide des équipes technologiques centrales.
415 Il découle donc de ce qui précède que, bien que l’EFN ait reposé en grande partie sur la technologie développée aux États-Unis, LuxOpCo a également activement contribué au développement de cette technologie. Or, au regard de l’importance de cette technologie pour l’expansion des activités européennes du groupe Amazon, la Commission n’a pas commis d’erreur en analysant ces contributions comme étant uniques et de valeur. Même si LuxSCS était, in fine, le propriétaire de cette technologie, il n’en
reste pas moins que le développement de celle-ci a été également le fruit des efforts de LuxOpCo.
416 Il ressort donc des constatations opérées aux points 386 à 415 ci-dessus que, outre l’EFN au développement duquel LuxOpCo a activement participé, les adaptations les plus importantes de la technologie étaient effectuées aux États-Unis, en dialogue avec les équipes européennes qui formulaient leurs besoins, et que, en sus, certaines adaptations mineures pouvaient être effectuées directement par les équipes locales.
417 Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que si la Commission a correctement considéré que du fait de sa participation au développement de l’EFN, LuxOpCo a exercé des fonctions uniques et de valeur en lien avec la technologie, pour le reste, elle a exagéré l’importance des fonctions de LuxOpCo en lien avec le développement de la technologie. En effet, outre le développement de l’EFN, les fonctions de LuxOpCo se limitaient principalement à des adaptations et à l’élaboration de
spécifications techniques. Dès lors, la conclusion opérée au considérant 465 de la décision attaquée, et notamment l’affirmation selon laquelle LuxOpCo a procédé à des améliorations importantes de la technologie, ne peut donc être entérinée dans son intégralité.
418 Dans la mesure où ce constat repose sur les témoignages des employés d’Amazon, il n’apparaît pas nécessaire d’examiner en détail les arguments du Grand-Duché de Luxembourg et d’Amazon selon lesquels la Commission aurait fait une utilisation erronée des témoignages, notamment pour dire que la technologie était développée en Europe (en particulier l’EFN), alors qu’elle l’était aux États-Unis. En effet, quand bien même l’analyse de la Commission ne saurait être entérinée dans son intégralité, les
erreurs commises par la Commission ne sont pas de nature à remettre en cause le constat selon lequel LuxOpCo a effectivement contribué au développement des actifs incorporels, et notamment de l’EFN.
– Sur les données clients (considérants 466 à 468 de la décision attaquée)
419 Le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon contestent le bien‑fondé du constat de la Commission selon lequel LuxOpCo a exercé des fonctions actives et critiques en rapport avec la mise au point, l’amélioration et la gestion des données clients. En substance, ils font valoir que les données clients étaient collectées de manière automatique, à l’aide de la technologie développée aux États-Unis, et sans intervention des employés de LuxOpCo.
420 La Commission réfute ces arguments.
421 À titre liminaire, il y a lieu de relever que les parties s’opposent sur la question de savoir si LuxOpCo a activement contribué au développement de la base de données regroupant les informations sur les clients, telles que, par exemple, les historiques de ventes. Il s’agit donc de déterminer si l’accumulation des données clients au cours de la période considérée, ainsi que leur protection, est attribuable à LuxOpCo.
422 Premièrement, il importe de relever que, ainsi que la Commission l’a illustré dans le tableau 19 de la décision attaquée, pendant la période considérée, le décompte de clients uniques par année a largement augmenté, en passant de 17 millions de clients en 2006 à plus de 60 millions en 2014.
423 Deuxièmement, à l’instar de la Commission, il importe de constater que les données clients sont un actif clé pour un acteur du commerce électronique tel que le groupe Amazon, notamment en ce qui concerne le marketing. En effet, certains outils, notamment l’utilisation de la technologie des recommandations et des similarités, sont tributaires des données clients. Les données clients constituent ainsi un actif incorporel unique et de valeur.
424 Troisièmement, il est constant que LuxOpCo est l’entité qui a collecté les données clients et qu’elle est, en outre, chargée du respect de la réglementation applicable à ces données. Le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon ne contestent d’ailleurs pas l’affirmation figurant au considérant 468 de la décision attaquée selon laquelle LuxOpCo a accumulé les données clients des sites Internet européens à titre de service pour LuxSCS.
425 Certes, il est important de relever, à l’instar d’Amazon, que la collecte des données clients était automatisée et que c’est au moyen de la technologie développée aux États-Unis et fournie par LuxSCS à LuxOpCo que cette dernière pouvait recueillir les données des clients.
426 Toutefois, ainsi que la Commission le souligne au point 107 de son mémoire en défense dans l’affaire T‑318/18, c’est LuxOpCo qui contribuait activement à l’accumulation des données clients par la mise en œuvre des trois piliers de la stratégie du groupe Amazon (voir point 347 ci‑dessus), permettant d’attirer les clients sur ses sites Internet et de collecter davantage de données clients. En effet, la collecte des données clients est nécessairement fonction de l’attrait des sites Internet du
groupe Amazon pour les clients. Or, l’augmentation de la fréquentation des sites Internet européens, et ainsi des données clients collectées, était elle-même liée à la mise en œuvre des trois piliers susmentionnés, à savoir le prix, l’assortiment et la facilité d’utilisation, par LuxOpCo. S’il n’est pas contestable que la technologie développée aux États-Unis jouait un rôle essentiel dans la bonne mise en œuvre de ces trois piliers, il n’en reste pas moins que LuxOpCo avait joué un rôle actif et
critique en rapport avec l’accumulation de nouvelles données clients et avait ainsi contribué au développement de ces actifs incorporels uniques et de valeur.
427 Par ailleurs, il convient de relever que la Commission a correctement considéré, au considérant 468 de la décision attaquée, que LuxOpCo devait assurer l’entretien des données clients et assurer le respect des lois applicables en matière de protection de données. Si le fait de protéger la base de données des clients est une activité importante pour un modèle commercial qui s’attache à la vente au détail et à des services fournis notamment à des consommateurs finaux, et ce pour les raisons
exposées par la Commission au considérant 466 de la décision attaquée, il s’agit néanmoins d’une activité habituelle pour tout preneur de licence travaillant avec ce type de base de données.
428 Au regard de ce qui précède, il convient d’entériner les constats de la Commission opérés aux considérants 466 à 468 de la décision attaquée, au moins en ce que LuxOpCo a exercé des fonctions actives et critiques en rapport avec l’amélioration des données clients au cours de la période considérée. À cet égard, il y a lieu de constater que, en accumulant les données clients, lesquelles ont été multipliées par trois entre 2006 et 2014 ainsi qu’il ressort du point 422 ci-dessus, LuxOpCo a contribué
à la valeur de cet actif incorporel, lequel constitue un actif incorporel unique et de valeur. LuxOpCo a ainsi exercé des fonctions uniques et de valeur.
– Sur « la marque Amazon » (considérants 469 à 472 de la décision attaquée)
429 Le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon remettent en question l’affirmation de la Commission selon laquelle la valeur de « la marque » Amazon est générée au niveau de LuxOpCo et des sociétés liées européennes.
430 La Commission conteste ces arguments.
431 Premièrement, il y a lieu de souligner que, ainsi que l’a implicitement admis la Commission aux considérants 469 et 471 de la décision attaquée, la marque Amazon est bien reconnue et bénéficie d’une forte identification au niveau mondial, ce qui était un atout majeur pour attirer des clients. Il convient de constater que cette réputation était préexistante à la création de LuxOpCo. Toutefois, le constat de la Commission, formulé aux considérants 469 et 470 de la décision attaquée, selon lequel
la marque commerciale n’est pas l’élément central du modèle du groupe Amazon, la stratégie commerciale dudit groupe étant focalisée sur les trois piliers (prix, facilité d’utilisation, catalogue de produits) doit être entériné. En effet, la valeur de la marque déposée en Europe est également fonction de la capacité à fournir un assortiment de qualité, des prix avantageux et une grande facilité d’utilisation. Amazon souligne d’ailleurs elle-même que la valeur des actifs incorporels de marketing
du groupe Amazon en Europe dépend de la satisfaction des clients.
432 Deuxièmement, il y a lieu de constater que, ainsi que le font valoir le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon, la technologie joue un rôle important, si ce n’est déterminant, dans le développement de la marque commerciale d’Amazon. En effet, d’une part, la technologie est centrale dans la mise en œuvre des trois piliers. La satisfaction des clients est ainsi en grande partie tributaire de la technologie. D’autre part, la technologie joue un rôle crucial dans le marketing et permet de maximiser la
possibilité que le nom « Amazon » apparaisse dans les recherches des potentiels clients. Il est constant que cette technologie est développée aux États-Unis.
433 Néanmoins, la seule technologie ne suffit pas à la mise en œuvre des trois piliers. En effet, ces derniers ont été également mis en œuvre par LuxOpCo, du fait de la prise de décisions stratégiques nécessaires à l’exercice des activités commerciales du groupe Amazon en Europe.
434 Il convient à cet égard de relever qu’il ressort de son mémoire post procès, que dans le cadre de la procédure devant la United States Tax Court (Cour fiscale fédérale des États-Unis) (voir point 14 ci‑dessus), Amazon a, en substance, fait valoir que [confidentiel].
435 En particulier, Amazon a affirmé dans le mémoire post procès déposé devant la United States Tax Court (Cour fiscale fédérale des États-Unis) qu’[confidentiel] et, dans le cadre d’une section consacrée aux actifs incorporels de marketing, qu’[confidentiel]
436 Dans son avis, la United States Tax Court (Cour fiscale fédérale des États-Unis) a d’ailleurs conclu que « AEHT » assumait la seule responsabilité de maintenir et de développer les actifs incorporels liés au marketing et qu’elle payait, par le biais du partage des coûts, les améliorations technologiques nécessaires à maintenir la valeur de ces actifs incorporels. Certes, dans le mémoire post procès et dans l’avis de la Cour fiscale fédérale des États-Unis, Amazon et cette dernière se réfèrent à
« AEHT ». Néanmoins, dans la mesure où aucune différence n’est opérée, dans le cadre de la procédure américaine mentionnée au point 14 ci‑dessus, entre les différentes entités luxembourgeoises du groupe et que le terme « AEHT » est utilisé de manière indifférenciée pour désigner LuxOpCo ou LuxSCS, il convient de comprendre, dans ce contexte précis, que « AEHT » vise LuxOpCo et non LuxSCS. En effet, il ressort du dossier que LuxSCS n’a pas exercé de telles fonctions.
437 Par ailleurs, il importe de relever que ni le Grand-Duché de Luxembourg ni Amazon ne contestent l’affirmation opérée au considérant 472 de la décision attaquée, selon laquelle, en Europe, c’était LuxOpCo et les sociétés liées qui assuraient le marketing en ligne du groupe Amazon en s’appuyant sur leur savoir-faire local.
438 Dans ces conditions, s’il est vrai que la marque Amazon bénéficiait, en Europe, d’une renommée établie antérieurement à la création de LuxOpCo et qu’elle bénéficiait de la renommée internationale du groupe Amazon, il y a lieu de conclure que c’est à bon droit que la Commission a établi que, au cours de la période considérée, le maintien et le développement de la valeur de la marque étaient, à tout le moins, en partie générés au niveau de LuxOpCo et des entités européennes.
439 Il y a d’ailleurs lieu de relever à cet égard, à l’instar de la Commission, qu’Amazon était connue comme vendeur de livres et de médias lorsqu’elle est entrée sur le marché européen et que les équipes locales ont dû fournir des efforts considérables pour faire évoluer la réputation de la marque en ce qui concerne d’autres catégories de produits.
440 En conséquence, il y a lieu d’entériner les appréciations de la Commission contenues aux considérants 469 à 472 de la décision attaquée. À cet égard, il y a lieu de constater, à la lumière des constatations opérées aux points 433 à 438 ci-dessus, que LuxOpCo contribuait au développement de la valeur de la marque et des actifs de marketing et exerçait, de ce fait, des fonctions de valeur. En revanche, rien ne permet de considérer que ces fonctions avaient un caractère unique. Au regard de ce qui
précède, il convient de considérer que la Commission a correctement conclu que LuxOpCo avait contribué au développement des actifs incorporels, pour chacune de ses trois composantes. En ce qui concerne le développement de la technologie, la contribution de LuxOpCo se résumait principalement à des adaptations et à l’élaboration de spécifications techniques. En revanche, la participation de LuxOpCo au développement de l’EFN peut être assimilée à une fonction unique et de valeur. En outre, LuxOpCo
a joué un rôle important dans l’accumulation des données clients, notamment par la mise en œuvre des trois piliers, et a ainsi activement contribué au développement de cet actif unique et de valeur. En ce qui concerne les actifs de marketing, LuxOpCo a joué un rôle important dans l’augmentation de la réputation de la marque Amazon en Europe et a ainsi exercé des fonctions de valeur. Il ne ressort toutefois pas du dossier que ces dernières fonctions puissent être qualifiées d’uniques.
441 Il y a donc lieu de conclure que la Commission a correctement affirmé, aux considérants 414 et 415 de la décision attaquée, que l’administration luxembourgeoise aurait dû prendre en compte le fait que LuxOpCo exerçait des fonctions uniques et de valeur en lien avec les actifs incorporels. En revanche, toutes les fonctions de LuxOpCo en lien avec les actifs incorporels n’étaient pas uniques et de valeur.
442 Il importe d’ailleurs à cet égard de constater que ces fonctions auraient dû être prises en compte, si ce n’est au moment de l’adoption de la DFA en cause, tout du moins au moment de la mise en œuvre annuelle de celle-ci. En effet, tout changement de situation, ce qui inclut l’exercice de fonctions supplémentaires, aurait dû être pris en compte.
ii) Sur les fonctions exercées par LuxOpCo dans le cadre des activités de vente au détail et de services du groupe Amazon en Europe (section 9.2.1.2.2 et considérants 473 à 499 de la décision attaquée)
443 S’agissant des fonctions exercées par LuxOpCo dans le cadre des activités de vente au détail et de services du groupe Amazon en Europe, dans la décision attaquée, la Commission a, en substance, mis en exergue le fait que, tant selon le rapport sur les prix de transfert de 2003 que dans les faits, LuxOpCo jouait le rôle de siège social européen et était l’entreprise en charge desdites activités. Ce serait donc LuxOpCo qui aurait dû prendre et qui prenait les décisions stratégiques relatives aux
opérations commerciales du groupe Amazon en Europe (considérants 473 à 478 de la décision attaquée).
444 Plus particulièrement, la Commission a constaté que LuxOpCo exerçait toutes les fonctions stratégiques liées aux activités de vente au détail et des services en ligne du groupe Amazon au cours de la période considérée et qu’elle prenait toutes les décisions stratégiques concernant les articles et la fixation des prix, enregistrait les ventes et agissait en tant que partie contractante à l’égard des consommateurs. Elle absorbait ainsi les coûts correspondants et supportait les risques liés aux
ventes et aux stocks (considérant 475 de la décision attaquée).
445 La Commission a ainsi considéré que LuxOpCo prenait, en toute indépendance, toutes les décisions pertinentes concernant chacun des trois piliers de la stratégie du groupe Amazon en Europe (considérant 478 de la décision attaquée).
446 Les parties s’accordent sur le fait que LuxOpCo exerçait des activités de détaillant en ligne et de prestataire de services. Il n’est pas non plus contesté que LuxOpCo occupait les fonctions de siège des activités européennes du groupe Amazon.
447 Néanmoins, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon contestent le fait que LuxOpCo exerçait des fonctions d’exploitation importantes. Selon eux, les activités de LuxOpCo reposaient largement sur la technologie développée aux États-Unis et s’apparentaient à des fonctions de gestion des activités européennes ou des fonctions de soutien commercial courantes, lesquelles généraient peu de valeur ajoutée.
448 Plus particulièrement, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon soutiennent que les fonctions humaines auraient été remplacées par la technologie dans le cadre des activités commerciales du groupe Amazon et que les prix étaient fixés de manière automatique. Ils ajoutent qu’il était impossible que des individus fixent activement le prix des millions d’articles disponibles sur les sites du groupe Amazon, que les relations avec les vendeurs et les clients étaient presque intégralement automatisées,
que, dans les centres de traitement des commandes, la localisation des stocks et l’ordre de collecte des achats étaient des fonctions définies par des technologies et les employés des centres n’avaient qu’à suivre les instructions données par la technologie et que les décisions concernant l’inventaire (décisions d’achat, lieu de stockage, etc.) étaient automatisées, alors que les employés devaient uniquement exécuter les indications fournies sur la base de la technologie.
449 Il convient donc d’examiner si la Commission a considéré à juste titre que LuxOpCo exerçait des fonctions d’exploitation importantes et prenait des décisions stratégiques en lien avec chacun des trois piliers de la stratégie du groupe Amazon, de sorte qu’elle ne pouvait être assimilée à une entreprise exerçant de simples fonctions de gestion.
– Sur l’assortiment (considérants 479 à 489 de la décision attaquée)
450 La Commission a constaté, au considérant 479 de la décision attaquée, que le développement et le maintien du plus large assortiment possible étaient cruciaux pour le succès du groupe Amazon en Europe. Elle a ajouté que la décision quant aux catégories de produits à vendre était prise sur la base de la connaissance du marché. Elle aurait donc requis une intervention humaine, la seule technologie n’étant pas suffisante.
451 En particulier, la Commission a relevé, d’une part, que LuxOpCo avait pu s’appuyer sur un nombre important de salariés employés par les sociétés liées européennes, lesquels seraient intervenus pour constituer l’assortiment en Europe et élargir les gammes de nouvelles familles de produits disponibles sur la base de leur connaissance du marché, des produits et des consommateurs locaux (correspondant ainsi à leur « savoir-faire local ») (considérants 470 à 482 de la décision attaquée). D’autre
part, LuxOpCo aurait joué un rôle déterminant dans l’acquisition d’acteurs locaux, l’établissement de partenariats avec les fournisseurs et l’établissement de programmes de tiers pour le développement de MarketPlace (considérants 483 à 489 de la décision attaquée).
452 Le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon ne remettent pas en cause la constatation d’ordre général figurant au considérant 483 de la décision attaquée, selon laquelle Amazon constitue son assortiment en rachetant d’autres détaillants présents sur le marché, en concluant des partenariats avec des fournisseurs et en établissant des programmes de tiers, tels que MarketPlace.
453 Il ressort d’ailleurs du témoignage de l’ancien responsable des programmes tiers en Europe (et notamment de MarketPlace), que le travail des recruteurs locaux était crucial pour permettre le lancement de nouveaux produits sur les sites Internet.
454 Le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon ne contestent pas non plus le fait que c’est LuxOpCo, avec l’appui de ses sociétés liées européennes, qui a assumé ces activités « générales » du groupe Amazon, a procédé aux acquisitions de certaines entreprises de vente au détail européennes, a conclu des partenariats avec des fournisseurs européens, en définissant des stratégies et de bonnes pratiques en vue de la sélection et du lancement de nouvelles familles de produits, et a même établi les clauses
contractuelles standards pour les fournisseurs (voir considérant 485 de la décision attaquée).
455 Il découle d’ailleurs du témoignage du vice-président directeur, responsable des activités de commerce au détail à l’international, employé aux États-Unis, que [confidentiel]. Ainsi, même si LuxOpCo ne décidait pas de manière totalement autonome des catégories de produits, elle avait un rôle significatif dans le lancement d’une nouvelle catégorie de produits. Il ressort, à cet égard, du témoignage de l’ancien chef des activités de commerce en détail en Europe, employé par LuxOpCo, que, dans le
cadre du lancement d’une nouvelle catégorie de produits, celui-ci était [confidentiel].
456 La restructuration de 2006 a ainsi permis une gestion davantage autonome des activités européennes.
457 Il convient de conclure que la Commission a correctement considéré que LuxOpCo prenait des décisions importantes liées à l’assortiment et que la seule technologie n’était pas suffisante pour mettre en œuvre en Europe ce pilier de la stratégie du groupe Amazon.
– Sur les prix (considérants 490 à 493 de la décision attaquée)
458 S’agissant des prix, la Commission a affirmé que, si la fixation des prix était automatisée et reposait sur l’utilisation d’un algorithme, il ne s’agissait que d’un outil permettant de mettre en œuvre une politique de tarification donnée, qui était définie par LuxOpCo en Europe.
459 En particulier, la Commission a relevé que, sans le concours individuel, fondé sur la connaissance du marché local, des sociétés liées européennes, l’algorithme de calcul des prix n’aurait pas fonctionné efficacement. En Europe, c’est LuxOpCo qui s’en serait chargé, avec l’appui de ses sociétés liées européennes.
460 Le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon contestent ces affirmations. Ils font notamment valoir que les activités commerciales de LuxOpCo reposent en grande partie sur l’automatisation et que la participation des salariés de LuxOpCo était minimale, notamment en ce qui concerne les prix.
461 Certes, il n’est pas discutable que, ainsi que le fait valoir le Grand‑Duché de Luxembourg, sans la technologie, les activités de LuxOpCo auraient été bien moindres.
462 Néanmoins, il convient de constater que, ainsi qu’il ressort du considérant 168 de la décision attaquée, jusqu’en 2009, le groupe Amazon utilisait essentiellement la tarification manuelle. Ce n’est qu’à partir de 2009 que les prix étaient fixés à partir d’un algorithme. À cet égard, la Commission a donc correctement constaté que l’algorithme ne se suffisait pas à lui-même s’agissant de la fixation des prix et qu’il permettait de mettre en œuvre la politique de tarification définie, en Europe,
par LuxOpCo (voir considérant 490 de la décision attaquée).
463 Tout d’abord, ainsi que la Commission l’a relevé au considérant 491 de la décision attaquée, sans le concours individuel de LuxOpCo, fondé sur la connaissance du marché local des sociétés liées européennes, l’algorithme de calcul des prix n’aurait pu fonctionner efficacement.
464 Ensuite, ainsi que la Commission l’a identifié au considérant 492 de la décision attaquée, il ressort du manuel des procédures et des politiques pour l’Union du groupe Amazon, que la fixation des prix était établie au Luxembourg par un comité de fixation des prix de détail dans l’Union se composant des cadres dirigeants de LuxOpCo. Ce comité était seul compétent pour la fixation d’orientations en matière de prix pour les produits que le groupe Amazon proposait sur ses sites Internet européens.
Le rôle de LuxOpCo dans la détermination des politiques de prix est également confirmé par les témoignages des salariés de LuxOpCo.
465 En outre, il n’est pas contesté que LuxOpCo employait un tarifeur européen, lequel devait approuver les prix, en particulier lorsqu’ils s’écartaient de ceux fixés par l’algorithme, ni qu’une équipe était chargée de veiller à [confidentiel] au niveau mondial. Cette équipe, installée au Luxembourg au sein de LuxOpCo, suivait les prix [confidentiel] et examinait les prix proposés à l’échelle mondiale, y compris aux États-Unis (voir considérant 492 de la décision attaquée).
466 Enfin, le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon ne remettent pas en cause de manière étayée le fait que LuxOpCo a dû développer toute une stratégie particulière pour générer des recettes et pour se distinguer de ses concurrents. À cet égard, l’influence de LuxOpCo et de ses sociétés liées européennes sur les décisions en matière de fixation des prix se reflétait dans des promotions qui étaient applicables à certains articles vendus sur les sites Internet dans l’Union (voir considérant 493 de la
décision attaquée). Il n’est pas contesté que, au cours de ses premières années d’activité en Allemagne, le site « Amazon.de » avait même inventé la « garantie du prix bas » afin d’encourager un retour d’information sur les prix de la part des clients, en contrepartie d’une remise sur leurs achats, et que, au Royaume-Uni, certains types de promotions sur les prix fréquents sur le marché, comme les [confidentiel], ont rendu l’exercice d’une concurrence [confidentiel] plus ardu, [confidentiel].
S’agissant de la vente de livres en France et en Allemagne, LuxOpCo a mis en place un système d’expédition gratuite. À cet égard, il s’agit d’exemples de décisions de fixation de prix en rapport avec les concurrents sur le marché et, partant, de décisions stratégiques propres à un détaillant.
467 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que LuxOpCo a adopté des décisions stratégiques en ce qui concerne la fixation des prix et a ainsi exercé des fonctions importantes. S’il est vrai que la tarification des prix était tributaire de la technologie du groupe Amazon, il n’en reste pas moins que l’intervention des collaborateurs de LuxOpCo était également cruciale.
– Sur la « facilité d’utilisation » (considérants 494 à 499 de la décision attaquée)
468 S’agissant de la « facilité d’utilisation », la Commission a constaté que LuxOpCo était chargée d’assurer la facilité d’utilisation de l’offre de vente au détail et de place de marché du groupe Amazon en Europe. Plus précisément, LuxOpCo aurait compté une équipe dite équipe « Localisation et traduction » censée vérifier et adapter la traduction automatique et permettre notamment la mise en commun des différents catalogues européens afin de créer et de gérer l’EFN (considérant 495 de la décision
attaquée). Ce serait LuxOpCo et les sociétés européennes liées qui auraient détenu et développé le savoir-faire par rapport à la logistique locale, notamment pour l’envoi d’articles (considérant 496 de la décision attaquée).
469 Selon la Commission, la technologie est un préalable à la « facilité d’utilisation », notamment à la traduction des catalogues d’articles européens, à la livraison et au service d’assistance pour les clients (voir considérants 494 à 499 de la décision attaquée). Le personnel de LuxOpCo aurait joué un rôle tant au niveau des catalogues d’articles qu’en ce qui concerne la livraison des produits et le service d’assistance pour les clients. À cet égard, le savoir-faire aurait appartenu à LuxOpCo et
aux sociétés liées européennes (voir considérant 496 de la décision attaquée).
470 Ces éléments ne sont, au demeurant, pas contestés par le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon de manière étayée et il convient de les entériner.
471 Il découle donc de ce qui précède que LuxOpCo a pris des décisions stratégiques en lien avec l’exploitation des activités commerciales du groupe Amazon en Europe et était ainsi le principal responsable de la mise œuvre des trois piliers de la stratégie dudit groupe pour cette zone géographique. La Commission a donc correctement considéré que, en dépit de l’importance de la technologie, LuxOpCo avait également joué un rôle essentiel dans l’exploitation et l’expansion de ces activités de vente au
détail et places de marché et, ainsi, qu’elle avait exercé des fonctions de valeur. Toutefois, il ne ressort pas du dossier que de telles fonctions revêtaient un caractère unique.
iii) Sur les actifs utilisés par LuxOpCo (considérants 500 à 505 de la décision attaquée)
472 S’agissant des actifs utilisés par LuxOpCo, la Commission a relevé, au considérant 500 de la décision attaquée, que LuxOpCo avait utilisé des « actifs importants » pour assumer les fonctions décrites dans les sections 9.2.1.2.1 (fonctions en lien avec les actifs incorporels) et 9.2.1.2.2 (fonctions exercées dans le cadre des activités de vente au détail et de service) de sa décision.
473 D’une part, la Commission a constaté, au considérant 501 de la décision attaquée, que LuxOpCo possédait et gérait l’intégralité de l’assortiment (sur la période considérée, les stocks représentaient [confidentiel] milliards d’euros) et qu’elle détenait la totalité des parts d’ASE, d’AMEU et des sociétés européennes liées auxquelles elle consentait des financements.
474 D’autre part, la Commission a affirmé que la structure de coûts de LuxOpCo démontrait que des actifs importants auraient été utilisés pour absorber les coûts liés à la mise au point et l’amélioration des actifs incorporels dans l’exercice de ses fonctions (considérant 502 de la décision attaquée). En particulier, en ce qui concerne la marque déposée, LuxOpCo aurait supporté des coûts de marketing direct élevés (par exemple les coûts liés aux promotions) (considérants 503 à 504 de la décision
attaquée). En conséquence, la Commission a estimé que, en l’absence de tout remboursement identifiable de la part de LuxOpCo, ces coûts devraient être considérés comme effectivement supportés par LuxOpCo.
475 La Commission a ainsi conclu que LuxOpCo avait supporté les coûts correspondant à l’exploitation économique des actifs incorporels, ainsi qu’à la mise au point, l’amélioration et la gestion de ceux-ci. Selon la Commission, la totalité de ces coûts ne saurait être considérée comme étant des frais supportés au nom de LuxSCS (considérant 505 de la décision attaquée).
476 Le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon, au demeurant, ne contestent pas ces constatations de manière étayée, sauf en ce qui concerne le fait que LuxOpCo aurait supporté les coûts liés à la mise au point, l’amélioration et la gestion des actifs incorporels. À cet égard, il suffit de renvoyer au point 235 ci‑dessus. À l’exception de l’affirmation selon laquelle LuxOpCo aurait supporté les coûts liés à l’ARC et à l’accord d’entrée, il y a lieu d’entériner les appréciations faites par la Commission
aux considérants 500 à 505 de la décision attaquée.
iv) Sur les risques assumés par LuxOpCo (considérants 506 à 517 de la décision attaquée
477 S’agissant des risques assumés par LuxOpCo, la Commission a estimé, aux considérants 506 à 517 de la décision attaquée, que cette société supportait, tant selon les dispositions des accords conclus avec LuxSCS que dans les faits, d’une part, les risques liés à la mise au point, à l’amélioration et à la gestion des actifs incorporels. D’autre part, LuxOpCo aurait contrôlé et géré tous les risques commerciaux et entrepreneuriaux correspondants, liés aux activités de vente au détail et de service
exercées par le groupe Amazon en Europe, parmi lesquels le risque de crédit, le risque lié aux collections, le risque de gestion des stocks, le risque du marché, le risque de perte ou encore les risques liés au maintien d’une main d’œuvre capable de vendre des articles et de fournir des services de manière efficiente et dans les délais requis.
478 La Commission a ensuite écarté l’affirmation d’Amazon, formulée lors de la procédure administrative, selon laquelle LuxOpCo s’était appuyée en grande partie sur la technologie pour gérer et supporter les risques (considérants 506 et 508 de la décision attaquée).
479 Tout d’abord, selon la Commission, même si la technologie permettait de minimiser les risques, LuxOpCo supportait lesdits risques du fait de son rôle de siège européen et de ses activités de vente au détail et de service (considérants 509 et 510 de la décision attaquée). Elle relève que, même si LuxOpCo comptait sur la technologie aux fins de la gestion des risques commerciaux, cela ne découlait que d’une décision stratégique de sa part (considérant 511 de la décision attaquée).
480 En outre, il ne serait pas établi, que ce soit dans le rapport sur les prix de transfert de 2003 ou dans un autre document, que les risques stratégiques, financiers et opérationnels auxquels LuxOpCo devait faire face dans le cadre de ses opérations journalières auraient été gérés par une politique de groupe en matière de gestion des risques (considérant 512 de la décision attaquée). Au contraire, les risques tels que la perte d’activité économique auraient été gérés au niveau local, avec LuxOpCo
comme principal responsable en Europe (considérants 513 à 515 de la décision attaquée).
481 Les parties sont en désaccord en ce qui concerne le point de savoir quelle entité assumait effectivement les risques liés aux actifs incorporels et, plus particulièrement, sur la question de savoir si LuxOpCo a mobilisé des actifs pour absorber les coûts liés à la mise au point de la propriété intellectuelle. De plus, selon le Grand‑Duché de Luxembourg, une partie des risques et des fonctions identifiés par la Commission auraient été assumée par les sociétés européennes liées et non par LuxOpCo.
482 S’agissant des risques liés à la mise au point, l’amélioration et la gestion des actifs incorporels, affirmer, à l’instar de ce qu’a déclaré la Commission au considérant 507 de décision attaquée, que LuxOpCo supportait ces risques, tant selon les dispositions des accords conclus avec LuxSCS que dans les faits, ne saurait convaincre.
483 Ainsi que l’a relevé le Grand‑Duché de Luxembourg à juste titre, au point 104 de la requête dans l’affaire T-816/17, s’il est vrai que, en vertu de l’accord de licence, LuxSCS avait transféré un certain nombre de risques liés à l’exploitation des activités commerciales à LuxOpCo, il n’en reste pas moins que LuxSCS, qui était le propriétaire légal du droit d’exploiter des actifs incorporels pendant la période considérée, supportait toujours les risques liés aux actifs incorporels, puisqu’elle
devait honorer l’obligation qui lui incombait en vertu de l’accord d’entrée et de l’ARC de payer les frais d’entrée et les frais au titre de l’ARC à ATI et à A 9.
484 Ce constat n’est pas contesté de manière étayée par la Commission. S’agissant de la capacité financière de LuxSCS d’assumer les risques s’ils se matérialisaient, la Commission n’a pas été en mesure de démontrer son affirmation selon laquelle LuxSCS ne disposait pas de fonds propres substantiels. En ce qui concerne le capital initial de LuxSCS, écarté par la Commission au considérant 445 de la décision attaquée comme étant non pertinent, il est constant que, à tout le moins pour l’année 2006,
c’est grâce à son capital que LuxSCS a pu absorber les pertes subies au cours de ses premières années d’exploitation sans intervention de LuxOpCo. Ainsi, en 2006, le montant de la redevance payée par LuxOpCo à LuxSCS était largement inférieur aux paiements d’achat et de partage des coûts effectués par LuxSCS.
485 Dans ces conditions, il y a lieu de retenir que LuxOpCo supportait tout au plus une partie des risques liés à l’existence, à la mise au point, à l’amélioration et à la gestion des actifs incorporels.
486 En revanche, s’agissant des autres risques dont il est fait état aux considérants 507 à 517 de la décision attaquée, à savoir les risques propres à une activité de détaillant en ligne et de prestataire de services, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon ne contestent pas de manière étayée que LuxOpCo supportait ces risques, tels que le risque relatif à la perte d’activité économique en tant que telle (voir considérant 514 de ladite décision) et les risques relatifs à la détention des stocks
invendus en Europe, à l’hébergement des serveurs et à la maintenance des centres d’appels, aux créances douteuses et à l’inaccomplissement ou l’inexécution des contrats conclus avec les clients. En particulier, si le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon font valoir que la technologie permettait de minimiser les risques de LuxOpCo en lien avec l’exploitation des activités commerciales, et notamment les risques d’inventaire, force est de constater, à l’instar de ce que la Commission a relevé au
considérant 510 de la décision attaquée, que la technologie n’a pas totalement supprimé ces risques. Il y a donc lieu d’entériner les affirmations de la Commission.
v) Conclusions sur l’analyse fonctionnelle de LuxOpCo
487 Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de constater que l’analyse fonctionnelle de LuxOpCo effectuée par la Commission ne saurait convaincre dans son intégralité.
488 Premièrement, au regard des informations recueillies par la Commission aux fins de l’adoption de la décision attaquée, telles qu’exposées dans cette dernière et dont une partie a été entérinée ci‑dessus, il n’était pas exclu de pouvoir considérer que LuxOpCo exerçait effectivement certaines fonctions uniques et de valeur en ce qui concerne les actifs incorporels. Cela vaut pour ce qui est du développement de l’EFN et de l’accumulation des données clients. Pour le surplus, s’agissant des actifs
de marketing, si les fonctions de LuxOpCo sont de valeur, il n’est pas établi que de telles fonctions puissent être considérées comme étant uniques.
489 Deuxièmement, l’analyse des fonctions de LuxOpCo en tant que détaillant en ligne et en tant que prestataire de services peut être entérinée pour l’essentiel. À cet égard, contrairement à ce que font valoir le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon, LuxOpCo ne se limitait pas à exercer de simples fonctions de « gestion », mais agissait comme un détaillant en ligne et supportait les risques inhérents à ces activités. De telles fonctions étaient effectivement « de valeur », car il s’agissait
d’activités susceptibles de contribuer de manière significative au chiffre d’affaires de LuxOpCo et donc au modèle commercial du groupe Amazon. Toutefois, de telles fonctions ne sauraient être qualifiées d’uniques. En effet, dans la mesure où le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon ont indiqué qu’une entreprise pouvait être considérée comme une entité exerçant des fonctions de routine (par opposition à une entité exerçant des fonctions uniques et de valeur) lorsque ces fonctions pouvaient
facilement être évaluées (en anglais « benchmarked ») (voir point 225 ci‑dessus), il suffit de relever que le rapport [confidentiel], qui a été évoqué par les parties principales, porte sur des activités de détaillant en ligne et aborde la question de la rémunération observée sur le marché pour de tels détaillants.
490 Au regard de ce qui précède, il convient de constater que, si la Commission a pu valablement considérer que certaines fonctions de LuxOpCo, en lien avec les actifs incorporels, étaient uniques et de valeur, sa thèse visant à affirmer que les fonctions de LuxOpCo en lien avec ses activités commerciales étaient uniques et de valeur ne saurait convaincre en totalité. Si la Commission a correctement constaté que LuxOpCo exerçait davantage de fonctions que celles retenues aux fins de l’adoption de la
DFA en cause, à savoir de simples fonctions de « gestion », elle a erronément retenu que les fonctions de LuxOpCo relatives à son activité de détaillant étaient uniques et de valeur.
491 Cette conclusion n’est remise en cause par aucun des autres arguments du Grand-Duché de Luxembourg ou d’Amazon.
492 Premièrement, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon font valoir que le fait que les fonctions de LuxOpCo étaient exercées, avant la restructuration de 2006, par les sociétés liées européennes et que celles-ci étaient rémunérées aux coûts majorés démontre que les fonctions de LuxOpCo ne sont que des fonctions courantes. Il suffit à cet égard de relever que la restructuration de 2006 avait précisément pour objet de créer un siège pour les activités du groupe Amazon en Europe, en attribuant à
LuxOpCo des fonctions bien plus importantes que celles des sociétés liées européennes.
493 Deuxièmement, le Grand-Duché de Luxembourg reproche à la Commission d’avoir attribué à LuxOpCo les fonctions exercées par les sociétés liées européennes. Il suffit de constater à cet égard que les sociétés liées européennes agissaient en tant que prestataires de services auprès de LuxOpCo et étaient d’ailleurs rémunérées comme tels. Les fonctions qu’elles exerçaient l’étaient donc pour le compte et aux risques de LuxOpCo. La Commission pouvait donc attribuer ces fonctions à LuxOpCo.
2) Sur le choix de la méthode
494 Ainsi qu’exposé au point 317 ci‑dessus, la Commission a considéré, en substance, qu’il était erroné d’avoir utilisé la MTMN pour déterminer le montant de la redevance et la rémunération de LuxOpCo et que la méthode du partage des bénéfices dans la variante de l’analyse des contributions aurait dû être utilisée.
495 Plus précisément, au considérant 567 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que, lorsque les deux parties à la transaction intragroupe apportent des contributions uniques et de valeur à ladite transaction, la méthode du partage des bénéfices est généralement considérée comme une méthode plus appropriée pour ce qui est des prix de transfert, dans la mesure où, en pareil cas, des parties indépendantes devraient normalement se répartir les bénéfices générés par cette transaction
proportionnellement à leurs contributions respectives.
496 Dans ce contexte, la Commission a précisé, en renvoyant au considérant 256 de la décision attaquée, que les lignes directrices de l’OCDE distinguaient entre deux méthodes de partage des bénéfices, à savoir l’analyse des contributions et l’analyse résiduelle. S’agissant de l’analyse résiduelle, la Commission a précisé que celle-ci s’appliquait dans le cas où une partie était rémunérée pour ses fonctions courantes en plus de la rémunération qu’elle percevait pour les contributions uniques et de
valeur qu’elle apportait à la transaction. S’agissant de l’analyse des contributions, la Commission a précisé que celle-ci consistait à répartir les bénéfices combinés sur la base de la valeur relative des fonctions exercées (compte tenu des actifs qu’elles employaient et des risques qu’elles assumaient) par chacune des parties aux transactions intragroupe.
497 La Commission a ajouté que, lorsque les deux parties à la transaction contrôlée apportaient des contributions uniques et de valeur et qu’il n’existait pas de transactions moins complexes dont le prix devait être établi séparément, il était plus approprié d’appliquer l’analyse des contributions aux fins de l’imputation des bénéfices combinés. L’analyse résiduelle aurait été appropriée lorsqu’il aurait existé des transactions moins complexes.
498 Sur la base de ces observations, la Commission a conclu que, du fait que LuxSCS et LuxOpCo étaient toutes deux considérées comme exerçant des fonctions uniques et de valeur en rapport avec les actifs incorporels, il convenait de préférer l’analyse des contributions à l’analyse résiduelle.
499 Les parties au litige s’opposent quant à la question de savoir si la Commission avait raison de considérer que la méthode du partage des bénéfices dans la variante de l’analyse des contributions était appropriée en l’espèce, et par conséquent, que le choix de la MTMN n’aurait pas dû être avalisé dans la DFA en cause.
500 Avant toute chose, il importe de rappeler, s’agissant du choix de la méthode de prix de transfert en tant que tel, que, ainsi qu’exposé au point 202 de l’arrêt du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission (T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669), les différentes méthodes de fixation des prix de transfert s’efforcent d’atteindre des niveaux de bénéfices reflétant des prix de transfert de pleine concurrence et qu’il ne peut être conclu, par principe, qu’une méthode ne permet pas d’aboutir à une
approximation fiable d’un résultat de marché.
501 En outre, dans le cadre de l’examen d’une mesure au regard du principe de pleine concurrence, la Commission est libre d’utiliser une autre méthode que celle avalisée par les autorités fiscales nationales. Il ressort du point 154 de l’arrêt du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission (T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669), que, s’il ne peut être reproché à la Commission d’avoir retenu une méthode de détermination des prix de transfert qu’elle considère appropriée dans le cas d’espèce, afin
d’examiner le niveau des prix de transfert pour une transaction ou pour plusieurs transactions étroitement liées, faisant partie de la mesure contestée, il incombe néanmoins à celle-ci de justifier son choix méthodologique.
502 En l’espèce, du fait de l’existence de certaines fonctions uniques et de valeur tant dans le chef de LuxSCS que de LuxOpCo, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir considéré que la méthode du partage des bénéfices avait pu apparaître, de manière générale, appropriée pour examiner la transaction contrôlée.
503 Néanmoins, la conclusion de la Commission visant à retenir l’analyse des contributions ne saurait convaincre. En effet, à cet égard, ainsi qu’il ressort implicitement, mais nécessairement des considérants 256, 567 et 568 de la décision attaquée, la Commission est partie du constat que la circonstance que les parties à la transaction contrôlée exerçaient des fonctions uniques et de valeur ainsi que des fonctions de routine appelait une application de la méthode du partage des bénéfices dans la
variante de l’analyse résiduelle, alors que la méthode du partage des bénéfices dans la variante de l’analyse des contributions n’aurait été adaptée que lorsque les entreprises concernées exerçaient uniquement des fonctions uniques et de valeur. Or, ainsi qu’il ressort des points 488 et 489 ci-dessus, si la Commission avait raison de considérer que certaines des fonctions de LuxOpCo en rapport avec les actifs incorporels étaient uniques et de valeur, elle a erronément considéré que les fonctions
de LuxOpCo en lien avec les activités commerciales étaient uniques et de valeur. De plus, elle n’a pas non plus établi qu’il n’y avait pas de comparables aux activités commerciales de LuxOpCo, ni que la rémunération de ces fonctions n’aurait pu être établie séparément.
504 De plus, il résulte implicitement, mais nécessairement des points 3.6 et 3.8 des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995 que le choix de la méthode du partage des bénéfices, y compris dans la variante de l’analyse des contributions, dépend de manière décisive du fait d’avoir identifié des données externes provenant d’entreprises indépendantes pour déterminer la valeur de la contribution de chaque entreprise associée aux transactions. Or, la Commission n’a pas cherché à identifier
si de telles données fiables étaient disponibles, pour pouvoir conclure que la méthode du partage des bénéfices dans la variante de l’analyse des contributions pouvait être choisie en l’espèce.
505 En outre, la Commission n’a pas justifié en quoi les fonctions de LuxOpCo en lien avec le développement des actifs incorporels étaient telles que c’était l’analyse des contributions qui aurait été la méthode appropriée en l’espèce, et ce par opposition à l’analyse résiduelle (voir considérant 568 de la décision attaquée).
506 Il en découle que, lorsqu’elle a écarté la méthode du partage de bénéfices dans la variante de l’analyse résiduelle et a choisi la variante de l’analyse des contributions, la Commission n’a pas dûment justifié son choix méthodologique et n’a donc pas satisfait aux exigences exposées au point 501 ci-dessus.
507 Dans la mesure où la Commission a fondé son premier constat subsidiaire sur le fait que seule l’analyse des contributions aurait été la méthode appropriée en l’espèce, l’erreur constatée au point 506 ci‑dessus vicie le raisonnement de la Commission relatif à la démonstration de l’existence de l’avantage.
508 Le Tribunal estime néanmoins nécessaire de poursuivre l’examen des arguments des parties requérantes visant à faire valoir que la Commission n’a pas démontré que la rémunération de LuxOpCo aurait dû être plus élevée du fait de l’utilisation de la méthode du partage des bénéfices dans la variante de l’analyse des contributions.
3) Sur la démonstration que la rémunération de LuxOpCo aurait dû être plus élevée du fait de l’utilisation de la méthode du partage des bénéfices (application de l’analyse des contributions)
509 Ainsi qu’exposé ci-dessus, au considérant 568 de la décision attaquée, la Commission a considéré que, si la méthode du partage des bénéfices dans la variante de l’analyse des contributions avait été appliquée, cela aurait nécessairement abouti à une rémunération plus importante pour LuxOpCo. La Commission a ainsi considéré que, en avalisant la méthode de calcul de la redevance proposée par Amazon aboutissant à une sous-évaluation de la rémunération de LuxOpCo, la DFA en cause avait conféré un
avantage à cette dernière. La Commission a néanmoins précisé, au considérant 564 de la décision attaquée, qu’elle n’avait pas cherché à établir quelle aurait été précisément la rémunération de pleine concurrence de LuxOpCo.
510 À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi que relevé aux points 317 à 320 ci-dessus, l’erreur identifiée par la Commission ne repose pas sur le constat que certaines fonctions de LuxOpCo, y compris des fonctions de routine ou courantes, n’ont pas fait l’objet d’une rémunération. En revanche, la Commission est partie du postulat que LuxOpCo assumait une série de fonctions de LuxOpCo uniques et de valeur et que, partant, la méthode du partage des bénéfices dans la variante de l’analyse des
contributions aurait dû être appliquée.
511 Les parties s’opposent sur la question de savoir si la Commission est parvenue sur le fondement du constat mentionné au point 509 ci-dessus à établir l’existence d’un avantage en faveur de LuxOpCo.
512 Pour établir l’existence d’un avantage, la Commission devait démontrer que LuxOpCo aurait dû percevoir une rémunération plus importante si la méthode de partage des bénéfices lui avait été appliquée par rapport à ce qu’elle avait effectivement perçu en application de la DFA en cause.
513 Ainsi qu’exposé au point 310 ci-dessus, il appartient à la Commission de démontrer de manière concrète que les erreurs méthodologiques qu’elle a identifiées dans la décision fiscale anticipée ne permettaient pas d’aboutir à une approximation fiable d’un résultat de pleine concurrence et qu’elles avaient abouti à une réduction du bénéfice imposable, sans qu’il soit exclu que, dans certains cas, une erreur méthodologique soit telle qu’elle ne permette aucunement d’aboutir à une approximation d’un
résultat de pleine concurrence et qu’elle conduise nécessairement à une sous-évaluation de la rémunération qui aurait dû être perçue dans des conditions de marché.
514 Les mêmes considérations doivent s’appliquer lorsque la Commission considère avoir identifié une erreur dans l’analyse fonctionnelle. En effet, il n’est pas exclu que, en dépit d’une erreur dans l’analyse fonctionnelle, la rémunération calculée ne s’écarte pas du résultat de pleine concurrence qui aurait pu être déterminé si les fonctions avaient été correctement prises en compte. Dans ce contexte, il y a lieu de relever que, si certaines fonctions n’ont pas été correctement identifiées et n’ont
pas été prises en compte dans le cadre du calcul de la rémunération, il est probable que ces fonctions auraient dû faire l’objet d’une rémunération et que, du fait de l’absence de la prise en compte de ces fonctions supplémentaires, la rémunération de l’entreprise en cause aurait dû être plus élevée. Néanmoins, la Commission ne saurait aboutir à de telles conclusions sans examiner, de manière concrète, si, dans le cas d’espèce et au regard des spécificités de la transaction en cause, l’erreur
identifiée dans l’analyse fonctionnelle aurait pu aboutir à une rémunération supplémentaire.
515 Enfin, lorsqu’elle examine dans le cadre de la compétence que lui confère l’article 107, paragraphe 1, TFUE une mesure fiscale octroyée à une entreprise intégrée, la Commission doit comparer la charge fiscale d’une telle entreprise intégrée résultant de l’application de la mesure fiscale concernée avec la charge fiscale résultant de l’application des règles d’imposition normales du droit national d’une entreprise, placée dans une situation factuelle comparable, exerçant ses activités dans des
conditions de marché (voir, en ce sens, arrêt du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission, T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669, point 149). Lorsqu’elle identifie des erreurs dans l’analyse fonctionnelle sur laquelle repose une mesure fiscale telle la DFA en cause, il y a lieu pour la Commission de comparer la charge fiscale de l’entreprise intégrée résultant de l’application de la mesure fiscale en question, d’une part, à la charge fiscale d’une entreprise active sur le marché exerçant des
fonctions comparables à celles de l’entreprise intégrée, telles qu’identifiées par la Commission, d’autre part. Il y a lieu de souligner à cet égard qu’une telle comparaison n’implique pas que la Commission doive nécessairement réaliser une toute nouvelle analyse ayant le même niveau de détail que celle effectuée par l’État membre aux fins de l’adoption de la mesure fiscale en question. Pourtant, même si elle ne doit pas procéder à une telle analyse, la Commission est tenue d’identifier, à tout
le moins, un nombre d’éléments concrets permettant de constater avec certitude que la rémunération de pleine concurrence pour les fonctions de la société, telles qu’identifiées par la Commission, était forcément plus importante que la rémunération perçue en application de la mesure fiscale en question.
516 En conséquence de ce qui vient d’être exposé au point 515 ci‑dessus, la Commission aurait dû comparer la rémunération de LuxOpCo obtenue en application de la méthode avalisée dans la DFA en cause avec la rémunération de pleine concurrence qui aurait dû être perçue au regard des fonctions de LuxOpCo que la Commission avait identifiées elle‑même dans sa propre analyse fonctionnelle. À défaut d’une véritable application de la méthode du partage des bénéfices dans la variante de l’analyse des
contributions, la Commission aurait dû identifier, à tout le moins, un nombre d’éléments permettant de conclure que la rémunération de LuxOpCo calculée en application de la DFA en cause était nécessairement inférieure à la rémunération qu’une société opérant sur le marché libre aurait perçue si cette société avait eu des fonctions comparables à celles identifiées par la Commission dans son analyse fonctionnelle. Plus précisément, si elle considérait que l’analyse des contributions était la
méthode de calcul appropriée, au lieu de se borner à de simples présomptions non vérifiées du résultat qui aurait été obtenu en application de la méthode du partage des bénéfices dans la variante de l’analyse des contributions, la Commission aurait dû rechercher si, sur le marché libre, la prise en compte de fonctions et de risques comparables à ceux qui incombaient à LuxOpCo dans le cadre de la transaction contrôlée (notamment ses fonctions et ses risques de détaillant en ligne) se traduisait
effectivement dans une part de bénéfices (pour un détaillant en ligne comparable à LuxOpCo) qui aurait été supérieure à celle à laquelle LuxOpCO avait droit en vertu de la méthode de calcul visée dans la DFA en cause. Si la Commission n’avait, certes, pas à indiquer de chiffres précis, elle était à tout le moins tenue de donner des indices vérifiables à cet égard.
517 En l’espèce, dans la décision attaquée, la Commission s’est bornée à constater que, si la méthode du partage des bénéfices dans la variante de l’analyse des contributions avait été utilisée, LuxOpCo aurait perçu une rémunération plus élevée, sans chercher à faire application de cette méthode. Or, la Commission ne peut présumer quel serait le résultat en application d’une certaine méthode, ni quelle rémunération aurait dû être attribuée à une certaine fonction. En revanche, ainsi qu’il a d’ores
et déjà été relevé aux points 515 et 516 ci‑dessus, elle doit établir que la rémunération avalisée dans la DFA en cause était inférieure à l’approximation fiable d’une rémunération de pleine concurrence qui aurait été obtenue en application de la méthode du partage des bénéfices avec l’analyse des contributions.
518 À cet égard, il y a lieu de relever que la Commission n’a pas cherché à examiner quelle était la bonne clé de répartition des bénéfices combinés de LuxSCS et de LuxOpCo qui aurait convenu si ces parties avaient été des entreprises indépendantes, ni même à identifier des éléments concrets permettant de déterminer que les fonctions de LuxOpCo en lien avec le développement des actifs incorporels ou l’exercice des fonctions de siège aurait donné droit à une part plus importante des bénéfices par
rapport à la part des bénéfices effectivement obtenue en application de la DFA en cause.
519 De plus, il convient de rappeler que, même si les contributions de LuxOpCo en lien avec les actifs incorporels (contribution au développement d’une petite partie de la technologie, contribution à l’expansion de la base de données clients et à la valorisation de la marque) et avec l’exploitation des activités commerciales sont bien réelles, aucun des éléments contenus dans la décision attaquée ne permet de mesurer l’apport de ces fonctions par rapport aux fonctions de LuxSCS (mise à disposition
de la technologie, laquelle joue un rôle crucial pour l’exploitation des activités du groupe Amazon et la génération des bénéfices). Ainsi, sans analyse approfondie, il n’est pas possible de préjuger dans quelle mesure les contributions de LuxOpCo lui donneraient une part plus importante des bénéfices réalisés en Europe que celle obtenue en application de la DFA en cause.
520 Dans ces conditions, il convient de constater que la Commission n’a pas démontré l’existence d’un avantage, mais tout au plus la probabilité de l’existence d’un avantage.
521 Certes, ainsi que la Commission l’a évoqué lors de l’audience, le fait que certains actifs soient transmis gratuitement sans que la rémunération de LuxOpCo, avalisée par la DFA, ne prenne en compte ces fonctions est de nature à démontrer que la rémunération de LuxOpCo est inférieure à ce qu’une entreprise indépendante aurait perçu dans des conditions de marché. Néanmoins, force est de constater que la décision attaquée ne contient pas un tel raisonnement.
522 Certes, il n’est pas exclu que, si LuxOpCo exerçait davantage de fonctions que celles qui ont été prises en compte aux fins du calcul de sa rémunération telle qu’avalisée dans la DFA en cause, LuxOpCo aurait eu droit à une rémunération supplémentaire. Néanmoins, le raisonnement de la Commission, tel qu’exposé dans la décision attaquée, reste théorique et n’est pas suffisant pour établir que LuxOpCo a effectivement perçu un avantage du fait de l’application de la méthode de calcul de sa
rémunération qui a été avalisée par la DFA en cause.
523 Certes, la Commission a affirmé, dans ses réponses aux questions du Tribunal et lors de l’audience, que, en application de la DFA en cause, LuxOpCo n’a perçu qu’environ 20 % des bénéfices combinés de LuxOpCo et de LuxSCS et que, si la méthode du partage des bénéfices dans la variante de l’analyse des contributions lui avait été appliquée, en tenant compte de ses fonctions uniques et de valeur, elle aurait nécessairement perçu une part plus importante de ces bénéfices combinés.
524 Néanmoins, premièrement, il importe de relever que l’affirmation selon laquelle LuxOpCo n’aurait perçu qu’environ 20 % des bénéfices combinés n’apparaît pas dans la partie de la décision attaquée relative au premier constat subsidiaire, ni même dans toute la décision attaquée. Ce chiffre peut tout au plus être calculé sur la base des différentes données chiffrées contenues dans la décision attaquée. À cet égard, il importe de relever que ce chiffre d’environ 20 % des bénéfices combinés de
LuxOpCo et de LuxSCS correspond aux bénéfices d’exploitation de LuxOpCo après déduction de la redevance versée à LuxSCS en application de la DFA en cause.
525 Deuxièmement, la Commission n’apporte aucun élément concret dans la décision attaquée de nature à établir que le fait qu’environ 80 % des bénéfices combinés de LuxOpCo et de LuxSCS étaient attribués à LuxSCS, afin de rémunérer sa contribution, à savoir la mise à disposition des actifs incorporels, n’est pas de pleine concurrence, ni que l’attribution d’environ 20 % des bénéfices combinés ne constitue pas une rémunération suffisante au regard des contributions effectuées par LuxOpCo.
526 Troisièmement, ainsi qu’Amazon l’a relevé lors de l’audience, la Commission n’a pas affirmé, dans la décision attaquée, qu’une rémunération supplémentaire aurait dû être attribuée à LuxOpCo en sus de la rémunération calculée en application de la MTMN. En effet, le constat selon lequel la méthode de la réparation des bénéfices avec analyse des contributions devait être appliquée implique d’écarter la rémunération initialement calculée sur la base de l’application de la MTMN et de procéder à un
tout nouveau calcul. Or, il n’est pas exclu que la rémunération de LuxOpCo calculée en application de la méthode de répartition des bénéfices avec l’analyse des contributions soit inférieure à la rémunération calculée en application de la MTMN, telle qu’avalisée par la DFA en cause.
527 D’une part, il importe de relever que, lors de la procédure administrative, Amazon avait présenté à la Commission un rapport concernant le taux de marge pour des entreprises effectuant des activités de vente au détail en ligne, à savoir le rapport [confidentiel]. Le taux de marge pour les activités de vente au détail en ligne en moyenne était de 0,5 % des coûts totaux des détaillants en ligne. Sans qu’il soit besoin de vérifier si, au regard de cet élément, Amazon était en droit d’affirmer,
comme elle l’a fait lors de l’audience, que ce taux aurait démontré que la rémunération de LuxOpCo dans la période considérée aurait été « confortable », force est de constater que, au regard dudit rapport, la Commission aurait dû approfondir son examen quant à la question de savoir si la rémunération de LuxOpCo correspondait à un résultat de pleine concurrence pour ses fonctions de détaillant en ligne. Sans un tel examen, il n’est pas certain que l’on puisse affirmer que LuxOpCo aurait pu
recevoir une rémunération supérieure pour ses fonctions liées aux activités commerciales.
528 D’autre part, à l’échelle des activités de développement effectuées par le groupe Amazon, les fonctions de LuxOpCo en lien avec les actifs incorporels, notamment en ce qui concerne la technologie, restaient limitées. Il n’est donc pas évident que ces fonctions étaient telles que la part des bénéfices attribuables à LuxOpCo aurait dû être supérieure à 20 % des bénéfices combinés de LuxSCS et de LuxOpCo.
529 En conséquence, en l’absence d’éléments sur la clé de répartition qui aurait dû être retenue, il n’est pas possible d’identifier l’ordre de grandeur de la rémunération que LuxOpCo aurait dû percevoir dans des conditions de pleine concurrence, ni a fortiori de déterminer si cette rémunération est inférieure ou supérieure à celle obtenue en application de la DFA en cause.
530 Il en découle que la Commission n’est pas parvenue à établir que, si la méthode du partage des bénéfices dans la variante de l’analyse des contributions avait été appliquée, la rémunération de LuxOpCo aurait été plus importante. Le premier constat subsidiaire ne permet donc pas de soutenir la conclusion selon laquelle la DFA en cause a conféré un avantage économique à LuxOpCo. En effet, outre le fait que la Commission n’a pas cherché à déterminer quelle aurait été la rémunération de pleine
concurrence de LuxOpCo au regard des fonctions identifiées par la Commission dans sa propre analyse fonctionnelle, le premier constat subsidiaire ne contient pas d’éléments concrets permettant d’établir à suffisance de droit que les erreurs dans l’analyse fonctionnelle ainsi que l’erreur méthodologique identifiée par la Commission, relative au choix de la méthode en tant que telle, ont effectivement abouti à une réduction de la charge fiscale de LuxOpCo.
531 Aucun des autres arguments exposés par la Commission ne saurait remettre ces constats en question.
532 Premièrement, certes, ainsi que l’a exposé la Commission lors de l’audience, il y a une différence entre la démonstration de l’avantage et la quantification de l’avantage. Ainsi, il n’est pas exclu qu’il soit possible de démontrer qu’une erreur méthodologique aboutit nécessairement à une rémunération inférieure sans que ne soit quantifiée cette réduction de rémunération. Néanmoins, ainsi que constaté au point 529 ci-dessus, dans le cas d’espèce, la décision attaquée ne contient pas d’éléments de
nature à démontrer que l’utilisation de la méthode du partage des bénéfices avec l’analyse des contributions, en lieu et place de la MTMN, aurait nécessairement conduit à une rémunération plus élevée.
533 Deuxièmement, certes, ainsi que la Commission l’a relevé lors de l’audience, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon ne nient pas que, si LuxOpCo avait effectué des développements substantiels des actifs incorporels, cela aurait dû mener à une rémunération supplémentaire.
534 Néanmoins, ainsi que Amazon l’a affirmé lors de l’audience et ainsi qu’exposé au point 526 ci-dessus, la thèse de la Commission ne revient pas à considérer qu’une rémunération supplémentaire à celle calculée en application de la DFA en cause aurait dû être calculée. En effet, la Commission a considéré que la méthode des contributions avec analyse résiduelle n’était pas appropriée en l’espèce. Il en découle que la thèse de la Commission se limite à faire valoir que, si la rémunération de LuxOpCo
avait été calculée en application de la méthode du partage des bénéfices selon l’analyse des contributions, cela aurait abouti à une rémunération plus élevée que celle obtenue en application de la MTMN. Dans la mesure où l’analyse des contributions impliquerait de ne pas prendre en compte la rémunération initialement calculée sur la base de l’application de la MTMN et de procéder à un tout nouveau calcul, il n’est pas exclu que la rémunération de LuxOpCo, calculée en application de la méthode de
répartition des bénéfices avec analyse des contributions, soit inférieure à la rémunération calculée en application de la MTMN, telle qu’avalisée par la DFA en cause.
535 Troisièmement, l’argument de la Commission, exposé dans ses écritures, selon lequel l’application de la méthode du partage des bénéfices aurait nécessairement conduit à une rémunération plus élevée de LuxOpCo dans la mesure où cela aurait conduit à un partage du bénéfice résiduel entre LuxOpCo et LuxSCS, plutôt qu’à l’attribution de l’intégralité du bénéfice résiduel à LuxSCS, ainsi que l’argument selon lequel il n’était pas nécessaire d’appliquer la méthode du partage des bénéfices pour établir
l’existence d’un avantage, car cette méthode consiste à partager le bénéfice résiduel, doivent être écartés.
536 En effet, force est de constater qu’une telle répartition du bénéfice résiduel n’est pertinente que dans le cadre de l’utilisation de l’analyse résiduelle. Or, il ressort clairement de la décision attaquée, et notamment de ses considérants 567 et 568, que la Commission a considéré que seule l’analyse de contributions, et non l’analyse résiduelle, pouvait valablement être utilisée, en l’espèce, aux fins de l’application de la méthode du partage des bénéfices. Or, ainsi qu’exposé au point 534
ci‑dessus, l’analyse des contributions consiste à répartir directement les bénéfices combinés entre les différentes parties à la transaction et ne tient pas compte de la rémunération initialement calculée pour LuxOpCo. Il ne peut donc être présumé que l’application de la méthode du partage des bénéfices aurait nécessairement conduit à une rémunération supérieure pour LuxOpCo.
537 Il découle donc de l’ensemble de ce qui précède que la Commission n’est pas parvenue à démontrer, dans le cadre de son premier constat subsidiaire, que la DFA en cause avait conféré un avantage à LuxOpCo.
538 Il convient donc d’accueillir les moyens et arguments tendant à contester le premier constat subsidiaire.
c) Sur le deuxième constat subsidiaire concernant l’avantage
539 Dans le cadre du deuxième constat subsidiaire de l’avantage, et en particulier au considérant 569 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que, même si les autorités fiscales luxembourgeoises avaient accepté, à bon droit, la présomption selon laquelle LuxSCS exerçait des fonctions uniques et de valeur, en rapport avec les actifs incorporels, et même si elles avaient ensuite considéré, à bon droit, que LuxOpCo n’exerçait que des fonctions de gestion courantes, le choix d’un indicateur de
bénéfice fondé sur les charges d’exploitation dans la méthode de fixation des prix de transfert, avalisée par la DFA en cause, n’était pas approprié. Il résulte des considérants 569 à 574 de la décision attaquée que, selon la Commission, si les autorités fiscales luxembourgeoises avaient pris en compte, comme indicateur du niveau de bénéfice, dans le cadre de l’application de la MTMN, les coûts totaux de LuxOpCo, comme cela aurait été fait dans le rapport sur les prix de transfert de 2003, la
rémunération de LuxOpCo aurait été plus élevée que celle retenue dans la DFA en cause. En conséquence, la base imposable de cette société aurait été également plus élevée.
540 À l’appui de son deuxième constat subsidiaire de l’avantage, la Commission a rappelé le fait que la méthode avalisée par la DFA en cause retenait les charges d’exploitation en tant qu’indicateur du niveau de bénéfice, alors que le rapport sur les prix de transfert de 2003, sur lequel se fondait la demande de DFA, aurait utilisé les coûts totaux en tant qu’indicateur du niveau de bénéfice. Ensuite, la Commission a indiqué que, lors de la procédure administrative, Amazon avait reconnu qu’il y
avait une incohérence entre la méthode avalisée dans la DFA en cause et la méthode proposée par le rapport sur les prix de transfert de 2003. À cet égard, Amazon se serait bornée à affirmer que cette incohérence n’avait pas d’incidence sur le résultat, dans la mesure où les coûts d’exploitation représentaient la part la plus importante des coûts totaux des entreprises comparables examinées dans le rapport sur les prix de transfert de 2003 (considérant 571 de la décision attaquée). En réponse à
ces arguments, la Commission a exposé, d’une part, que le choix d’entreprises comparables qui avaient de faibles coûts de marchandises, alors que ces coûts représentaient la majeure partie des coûts de LuxOpCo aurait « dénot[é] » un mauvais choix des entreprises comparables. D’autre part, la Commission a relevé que plusieurs des entreprises comparables retenues pour l’analyse de comparabilité auraient des coûts importants de marchandises, de matières premières et de consommables (considérant 572
de la décision attaquée).
541 La Commission a conclu que, les coûts totaux constituant une base plus importante que les charges d’exploitation, le revenu imposable de LuxOpCo aurait été plus élevé si les coûts totaux avaient été conservés – à l’instar de ce que les auteurs du rapport sur les prix de transfert de 2003 auraient fait – en tant qu’indicateur de niveau de bénéfice (considérant 574 de la décision attaquée). Pour illustrer ce constat, dans le tableau 20 de la décision attaquée, la Commission a comparé le bénéfice
imposable de LuxOpCo en application de la DFA en cause avec le bénéfice de LuxOpCo à [confidentiel] % des coûts totaux et en l’absence de plafond. Selon ce tableau, pour les années 2006 à 2013, le premier s’élèverait à [confidentiel] millions d’euros alors que le second s’élèverait à [confidentiel] millions d’euros.
542 En premier lieu, il y a lieu de relever que, lors de l’audience, la Commission a indiqué que, dans le cadre du deuxième constat subsidiaire, tel que figurant aux considérants 569 à 574 de la décision attaquée, elle n’aurait « jamais dit » que les coûts totaux étaient les plus adaptés. En revanche, elle aurait simplement affirmé que les charges d’exploitation n’étaient pas un indicateur de bénéfice approprié aux fins de la détermination de la rémunération de LuxOpCo. Du reste, la Commission
n’aurait fait que simplement appliquer la logique dont auraient fait preuve les auteurs du rapport sur les prix de transfert de 2003. En d’autres termes, elle aurait appliqué les coûts totaux pour déterminer la rémunération de la pleine concurrence pour LuxOpCo pour la seule raison que les auteurs du rapport sur les prix de transfert de 2003 auraient fait cela.
543 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il a été indiqué au point 125 ci‑dessus, c’est à la Commission qu’incombe la charge de la preuve en ce qui concerne la démonstration des conditions de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. En particulier, la Commission doit démontrer l’existence d’un avantage en faveur de l’entreprise dont elle considère qu’elle serait la bénéficiaire d’une aide d’État. Cet avantage doit être un avantage réel.
544 Pour rappel, en l’espèce, la question concernant l’existence d’un avantage implique un examen du point de savoir si la redevance due par LuxOpCo à LuxSCS, telle que visée dans la formule de calcul validée par la DFA en cause, était de pleine concurrence ou non. À cet égard, la Commission a identifié des erreurs dans l’application de la MTMN proposée par Amazon et validée dans la DFA en cause. Plus précisément, la Commission a identifié une erreur dans le choix de l’indicateur de niveau de
bénéfice avalisé par la DFA en cause.
545 Or, ainsi que cela a d’ores et déjà été relevé, le seul constat d’une erreur méthodologique ne suffit pas, en principe, à lui seul, à démontrer qu’un rescrit fiscal ait conféré un avantage à une certaine société et, partant, à établir l’existence d’une aide d’État au sens de l’article 107 TFUE (voir point 123 ci‑dessus). De plus, ainsi qu’il a, d’ores et déjà, été relevé, c’est à la Commission qu’incombe la charge de la preuve en ce qui concerne les conditions d’existence d’une aide d’État (voir
point 125 ci‑dessus).
546 Il s’ensuit, en l’espèce, que la Commission était tenue de démontrer que l’erreur dans le choix de l’indicateur, identifiée par elle, avait abouti non seulement à un résultat différent, mais à une diminution de la charge fiscale du bénéficiaire de la DFA en cause. Cela impliquait de répondre à la question de savoir quel indicateur de niveau de bénéfice aurait été effectivement approprié.
547 Compte tenu de l’interprétation que la Commission a donnée lors de l’audience des considérants 569 à 574 de la décision attaquée, selon laquelle elle aurait utilisé les coûts totaux non au motif qu’ils auraient constitué un indicateur du niveau de bénéfice approprié, mais seulement aux fins de transposer la « logique » sous‑jacente au rapport sur les prix de transfert de 2003 (voir point 542 ci‑dessus), il y a lieu de constater que la Commission n’a pas cherché à établir qu’elle aurait été la
rémunération de pleine concurrence, ni a fortiori si la rémunération de LuxOpCo, avalisée par la DFA en cause, était inférieure à la rémunération que LuxOpCo aurait perçue dans des conditions de pleine concurrence.
548 Il en découle que, par le deuxième constat subsidiaire, la Commission n’est pas parvenue à établir l’existence d’un avantage.
549 Dans un souci d’exhaustivité et en second lieu, il convient de relever que, même s’il y avait lieu de considérer que, aux considérants 569 à 574 de la décision attaquée, la Commission avait, en réalité, considéré que les coûts totaux étaient le bon indicateur du niveau de bénéfice (par opposition à une simple transposition – dépourvue de toute utilité – de la logique sous‑jacente au rapport sur les prix de transfert de 2003), les considérations étayant le deuxième constat subsidiaire de
l’avantage et la conclusion exposée par la Commission au considérant 547 de la décision attaquée ne sauraient prospérer.
550 En effet, à cet égard, il y a lieu de rappeler et de souligner à la fois que, ainsi qu’elle l’a relevé au considérant 569 de la décision attaquée, la Commission a fondé son deuxième constat subsidiaire concernant l’avantage – et donc identifié que le choix des coûts d’exploitation constituait une erreur méthodologique – sur la thèse selon laquelle LuxSCS aurait exercé des fonctions uniques et de valeur, alors que LuxOpCo n’aurait exercé que des « fonctions de gestion courantes ». La prémisse des
autorités fiscales luxembourgeoises, telle qu’acceptée par la Commission au considérant 569 de la décision attaquée, était donc celle de dire que LuxOpCo n’exerçait que les fonctions limitées d’une société de gestion.
551 Or, il ne ressort pas des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995 que les coûts totaux constituaient l’indicateur de niveau de bénéfice approprié pour rémunérer une société de gestion. Du fait que l’activité d’une société de gestion s’apparente à l’activité d’une société qui fournit des services et dont la valeur est déconnectée du volume de ventes et du volume d’achats de matières premières en tant que tels, il était envisageable, selon les lignes directrices de l’OCDE dans leur
version de 1995, de retenir les charges d’exploitation d’une telle entreprise pour définir l’indicateur de bénéfice approprié et non les coûts totaux.
552 En l’espèce, premièrement, lorsqu’elle s’est référée, aux considérants 572 et 573 de la décision attaquée, aux coûts totaux – par opposition aux coûts d’exploitation – pour calculer la rémunération de LuxOpCo, la Commission s’est, en réalité, départie de la prémisse qu’elle s’était fixée elle-même au considérant 569 de la décision attaquée.
553 En effet, contrairement à l’approche mentionnée au considérant 569 de la décision attaquée, selon laquelle LuxOpCo serait considérée comme étant une société « ayant des fonctions de gestion », les appréciations contenues au considérant 572 de la décision attaquée reposent sur l’idée que LuxOpCo serait une « entreprise de vente au détail ». À y regarder de plus près, le choix de coûts totaux a été préféré par la Commission, puisque LuxOpCo aurait été un détaillant et non parce qu’elle aurait été
une « société ayant des fonctions de gestion ». Au regard de la prémisse mentionnée au considérant 569 de la décision attaquée, la Commission aurait dû chercher à établir l’indicateur de niveau de bénéfice d’une société de gestion et non celui d’une entreprise qui déployait des activités de détaillant.
554 Deuxièmement, ainsi qu’il ressort du point 551 ci‑dessus, selon les lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995, de manière générale, en ce qui concerne les sociétés de gestion, il n’est pas certain que les coûts totaux constituent un indicateur de niveau de bénéfice approprié.
555 Certes, il ne saurait être exclu d’emblée que, s’agissant d’une société de gestion particulière, pour des raisons spécifiques propres à cette société, l’indicateur de niveau de bénéfice approprié pour cette dernière soit effectivement les coûts totaux. La Commission n’a, toutefois, pas expliqué la raison qui aurait pu justifier le choix des coûts totaux comme étant un indicateur de niveau de bénéfice approprié dans le cas particulier de LuxOpCo en tant que société de gestion.
556 Troisièmement, s’il y avait lieu d’accepter le choix des coûts totaux comme étant l’indicateur de niveau de bénéfice le mieux adapté à la situation de LuxOpCo dans sa qualité de détaillant (voir le considérant 572 de la décision attaquée), force est de constater que la Commission n’a aucunement analysé la problématique du choix de l’indicateur de bénéfice approprié pour LuxOpCo dans sa qualité d’organisateur d’une place de marché (marketplace) pour des vendeurs tiers. De plus, en ce qui concerne
les ventes propres, la Commission n’a pas examiné dans quelle mesure les coûts totaux auraient été un indicateur de niveau de bénéfice approprié pour l’activité de LuxOpCo dans sa qualité de détaillant en ligne.
557 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans sa réponse à une question écrite du Tribunal, la Commission a indiqué que l’utilisation d’une marge sur les coûts d’exploitation – et non des coûts totaux – comme indicateur de niveau de bénéfice pour des activités de distribution est permise lorsque la partie testée intervient en tant qu’intermédiaire et ne risque pas ses fonds propres du fait, notamment, de l’achat des biens revendus. À cet égard, la Commission s’est fondée sur les
paragraphes 2.101 et 2.102 des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 2010, qui ne sont, toutefois, pas pertinentes en l’espèce.
558 S’il y avait lieu d’accepter qu’une telle préconisation ressortait déjà des lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995 et était pertinente en l’espèce, il y a lieu de constater que, dans sa qualité d’organisateur d’une place de marché, du point de vue des vendeurs tiers, LuxOpCo n’avait que le rôle d’un intermédiaire entre les vendeurs tiers et les consommateurs et qu’elle n’a pas risqué ses propres fonds en rapport avec les ventes réalisées par les vendeurs tiers.
559 Enfin, s’il y avait lieu d’admettre que la Commission était fondée à considérer que les coûts totaux étaient le bon indicateur pour LuxOpCo en tant que détaillant en ligne, compte tenu du fait que cette société utilisait la technologie pour les activités de vente au détail, et, en particulier, celle relative à la fixation automatique des prix, le choix des coûts totaux comme indicateur de niveau de bénéfice pour LuxOpCo aurait rendu nécessaire des ajustements à la baisse du taux à appliquer,
afin de prendre en compte les différences matérielles entre la structure de coûts de LuxOpCo et la structure de coûts des détaillants traditionnels.
560 La Commission n’a, quant à elle, pas envisagé et encore moins effectué de tels ajustements.
561 En second lieu, selon le tableau 20 de la décision attaquée, la rémunération de LuxOpCo, calculée en application de la marge de [confidentiel] % sur les coûts totaux de LuxOpCo, se serait élevée à un montant compris entre deux et trois milliards d’euros.
562 Lors de l’audience, Amazon a affirmé, sans être contredite sur ce point par la Commission, que la rémunération de LuxOpCo calculée par la Commission serait supérieure aux « bénéfices totaux » générés dans l’Union, lesquels s’élèveraient, selon elle, à un montant compris entre un milliard et 1,5 milliard d’euros. La rémunération calculée par la Commission dans le cadre du deuxième constat subsidiaire équivaudrait à deux fois la valeur de tous les bénéfices du groupe Amazon obtenus en Europe et ne
serait de ce fait pas réaliste. Il importe néanmoins de relever que, ainsi qu’il ressort de l’annexe C1 dans l’affaire T‑318/18 à laquelle Amazon a renvoyé lors de l’audience, le chiffre compris entre 1 et 1,5 milliard d’euros ne correspond pas au seul bénéfice comptable de LuxOpCo sur la période considérée, mais au bénéfice consolidé de LuxSCS et de LuxOpCo, et fait ainsi déduction des montants versés par LuxSCS au titre de l’ARC et de l’accord d’entrée.
563 En tout état de cause, il ressort d’une comparaison entre la rémunération de LuxOpCo calculée en application d’un taux de [confidentiel] % des coûts totaux pour chaque année de la période considérée telle que figurant à la dernière ligne du tableau 20 de la décision attaquée et le résultat d’exploitation (bénéfice opérationnel) de LuxOpCo pour les mêmes années, tel qu’identifié par la Commission à la huitième ligne du tableau 2 de la décision attaquée, que la rémunération de LuxOpCo, calculée en
application du deuxième constat subsidiaire de l’avantage, serait supérieure à son bénéfice d’exploitation pour les années 2012 et 2013. Or, un tel résultat s’écarte manifestement d’un résultat de pleine concurrence.
564 Il résulte de ce qui précède que l’application du taux de [confidentiel] % aux coûts totaux de LuxOpCo, sur laquelle repose le deuxième constat subsidiaire, ne produit pas de résultats fiables pour le calcul de la rémunération de LuxOpCo pour l’intégralité de la période considérée. Il ne s’agit donc pas d’un résultat correspondant à une rémunération de pleine concurrence, si bien qu’il doit être conclu que ce calcul opéré par la Commission dans le cadre de son deuxième constat subsidiaire ne
permet pas de démontrer que LuxOpCo aurait obtenu un avantage du fait du choix des coûts d’exploitation en tant qu’indicateur de niveau de bénéfice avalisé par la DFA en cause.
565 Par conséquent, il y a lieu d’accueillir les moyens et arguments du Grand‑Duché de Luxembourg et d’Amazon qui visent à remettre en cause le bien‑fondé du deuxième constat subsidiaire de l’avantage.
d) Sur le troisième constat subsidiaire concernant l’avantage
566 Dans le cadre du troisième grief de la deuxième branche du premier moyen dans l’affaire T‑816/17 et du cinquième moyen dans l’affaire T‑318/18, le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon contestent le troisième constat subsidiaire de la Commission portant sur l’existence d’un avantage fiscal en faveur de LuxOpCo (section 9.2.2.3 de la décision attaquée).
567 Pour rappel, ainsi qu’exposé au point 68 ci-dessus, dans le cadre du troisième constat subsidiaire, la Commission a considéré, en substance, que l’inclusion d’un plafond, en vertu duquel la rémunération de LuxOpCo ne pouvait excéder 0,55 % de ses ventes annuelles, dans la méthode de fixation des prix de transfert, n’était pas appropriée et conférait un avantage à LuxOpCo en ce qu’elle aurait conduit à une diminution de son revenu imposable.
568 Plus précisément, la Commission a constaté que, au cours des exercices fiscaux de 2006, de 2007, de 2011, de 2012 et de 2013, l’administration fiscale avait accepté des déclarations fiscales dans lesquelles le revenu imposable de LuxOpCo était déterminé par le plafond de 0,55 % de ses ventes annuelles (considérant 575 de la décision attaquée).
569 La Commission a exposé que ni le rapport sur les prix de transfert de 2003, ni les analyses ex post, ni encore les arguments exposés par le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon lors de la procédure administrative ne justifiaient l’inclusion de ce plafond (considérants 576 et 577 de la décision attaquée). Elle a ajouté, au considérant 577 de la décision attaquée, que l’application du plafond avait constitué une réduction supplémentaire à l’application erronée de la marge aux charges d’exploitation
et ne saurait de ce fait se situer dans un intervalle de pleine concurrence.
570 Selon le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon, la Commission a erronément considéré que l’inclusion du plafond conférait un avantage à LuxOpCo.
571 D’une part, ils font valoir que l’inclusion du plafond aurait pour objectif de contraindre LuxOpCo à fonctionner de manière efficace et à réduire ses coûts. D’autre part, ils soulignent que, en tout état de cause, l’application du plafond n’a jamais poussé la rémunération de LuxOpCo en dehors de l’intervalle de pleine concurrence, ainsi que le démontrerait le rapport sur les prix transfert de 2017.
572 La Commission conteste ces arguments.
573 Elle fait valoir, à cet égard, que le mécanisme de plancher et de plafond n’est pas prévu par les lignes directrices de l’OCDE et ne trouve aucune justification du point de vue des prix de transfert. En outre, elle ajoute que, contrairement à ce que font valoir le Grand‑Duché de Luxembourg et Amazon, l’application d’un tel mécanisme n’est pas justifiée par l’objectif de garantir une rémunération faible et stable à LuxOpCo, dans la mesure où l’objectif même de la MTMN est précisément de garantir
une telle rémunération à la partie à laquelle elle est appliquée.
574 Avant toute chose, il importe de constater que, ainsi que l’a d’ailleurs confirmé la Commission dans ses réponses aux questions écrites du Tribunal, le troisième constat subsidiaire est indépendant et autonome par rapport au deuxième constat subsidiaire. En effet, comme cela ressort de la dernière phrase du considérant 575 de la décision attaquée, dans le cadre de ce troisième constat, la Commission part de la prémisse que les coûts d’exploitation pouvaient être utilisés en tant qu’indicateur de
niveau de bénéfice.
575 Ainsi que la Commission l’a relevé, à juste titre, dans la décision attaquée et dans ses écritures, le mécanisme du plancher et de plafond ne trouve aucune justification ou rationalité économique. Il est difficilement concevable que, dans des conditions de marché, une entreprise accepte que sa rémunération soit plafonnée à un pourcentage de ses ventes annuelles. En outre, la MTMN permet de garantir une rémunération faible, mais stable, sans qu’un mécanisme de plancher et de plafond soit
nécessaire. Un tel mécanisme n’est pas non plus prévu dans les lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995. En effet, la MTMN implique seulement d’identifier un indicateur de bénéfice et un taux de marge.
576 La Commission a donc correctement considéré que l’inclusion d’un tel plafond constituait une erreur méthodologique.
577 Néanmoins, ce seul constat ne suffit pas à établir l’existence d’un avantage.
578 En effet, force est de constater que, pour chaque année d’application de la DFA en cause, même après application du mécanisme de plafond, la rémunération de LuxOpCo est restée dans l’intervalle de pleine concurrence, calculé sur la base du rapport sur les prix de transfert de 2003, soit entre [confidentiel] et [confidentiel] % des coûts d’exploitation. La Commission ne conteste d’ailleurs pas ce constat.
579 Or, ainsi que la Commission l’a, d’ailleurs, elle-même expliqué lors de l’audience, dès lors que la rémunération se situe dans l’intervalle interquartile, elle doit, en principe, être considérée comme étant de pleine concurrence.
580 Certes, la Commission a précisé qu’une telle conclusion ne pouvait être opérée lorsque les entreprises comparables sur la base desquelles cet intervalle avait été calculé n’avaient pas été correctement sélectionnées.
581 Toutefois, dans le cadre du troisième constat subsidiaire, la Commission n’a pas remis en cause l’intervalle de pleine concurrence, ni le choix des entreprises comparables sur la base duquel a été calculé cet intervalle.
582 En effet, au considérant 575 de la décision attaquée, la Commission a reproché aux autorités luxembourgeoises d’avoir accepté que le revenu imposable de LuxOpCo soit déterminé par l’application du plafond, « au lieu de s’établir à [confidentiel] % de ses charges d’exploitation ». Force est donc de constater que, dans le cadre du troisième constat subsidiaire, la Commission ne remet pas en cause le taux de rendement sur le fondement duquel celui-ci est appliqué, mais seulement le plafond en tant
que tel.
583 De plus, d’une part, il ne ressort pas des considérants 575 à 578 de la décision attaquée que la Commission ait contesté l’intervalle de pleine concurrence, calculé dans le rapport sur le prix de transfert de 2003, lequel se situe entre [confidentiel] et [confidentiel] % des coûts d’exploitation. En effet, si la Commission a relevé, au considérant 577 de la décision attaquée, que le Grand-Duché de Luxembourg et Amazon ont fait valoir, lors de la procédure administrative, que le revenu imposable
de LuxOpCo n’était jamais sorti de l’intervalle de pleine concurrence, elle n’a pas contesté l’intervalle en tant que tel, mais s’est bornée à affirmer que l’application du plafond avait constitué une réduction supplémentaire à celle identifiée dans le cadre du deuxième constat subsidiaire. Or, ainsi que constaté au point 574 ci-dessus, le deuxième et le troisième constat subsidiaire sont autonomes et indépendants.
584 D’autre part, dans les considérants 575 à 578 de la décision attaquée, la Commission n’a pas non plus remis en cause le choix des entreprises comparables utilisées dans le calcul de l’intervalle de pleine concurrence. Le considérant 571 de la décision attaquée, dans lequel la Commission a évoqué une erreur dans le choix des entreprises comparables, relève du deuxième constat subsidiaire. Or, ainsi qu’exposé au point 574 ci-dessus, le troisième constat subsidiaire était autonome et indépendant
des autres constats.
585 Au regard de ce qui précède, il convient de retenir que, aussi inapproprié que le mécanisme de plafond puisse être, et bien qu’il ne soit pas prévu dans les lignes directrices de l’OCDE dans leur version de 1995, la Commission n’a pas démontré que ce mécanisme avait eu une incidence sur le caractère de pleine concurrence de la redevance payée par LuxOpCo à LuxSCS.
586 En conséquence, le seul constat selon lequel le plafond a été appliqué pour les années 2006, 2007, 2011, 2012 et 2013 ne suffit pas à établir que la rémunération de LuxOpCo obtenue pour ces années ne correspondait pas à une approximation d’un résultat de pleine concurrence.
587 De fait, la Commission a relevé tout au plus une erreur méthodologique dans le calcul de la rémunération de LuxOpCo, sans être parvenue à démontrer que cette erreur avait eu pour incidence de diminuer artificiellement la rémunération de LuxOpCo, dans des proportions telles que ce niveau de rémunération n’aurait pu être observé dans des conditions de marché.
588 Dans ces circonstances, il convient de constater que, par le troisième constat subsidiaire, la Commission n’a pas démontré l’existence d’un avantage pour LuxOpCo.
589 Partant, il convient d’accueillir les moyens et arguments du Grand‑Duché de Luxembourg et d’Amazon tendant à contester le troisième constat subsidiaire de l’avantage.
590 Il découle donc de tout ce qui précède que, par aucun des constats exposés dans la décision attaquée, la Commission n’est parvenue à démontrer à suffisance de droit l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Dès lors, il y a lieu d’annuler la décision attaquée dans son ensemble, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens et arguments soulevés par le Grand-Duché de Luxembourg et par Amazon.
Sur les dépens
591 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il convient de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux du Grand-Duché de Luxembourg et d’Amazon, conformément aux conclusions de ces derniers.
592 Conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, l’Irlande supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (septième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Les affaires T‑816/17 et T‑318/18 sont jointes aux fins du présent arrêt.
2) La décision (UE) 2018/859 de la Commission, du 4 octobre 2017, concernant l’aide d’État SA.38944 (2014/C) (ex 2014/NN) mise à exécution par le Luxembourg en faveur d’Amazon, est annulée.
3) La Commission européenne supportera ses propres dépens ainsi que ceux du Grand-Duché de Luxembourg, d’Amazon.com, Inc. et d’Amazon EU Sàrl.
4) L’Irlande supportera ses propres dépens.
Van der Woude
Tomljenović
Marcoulli
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 mai 2021.
Le greffier
E. Coulon
Le président
M. van der Woude
Table des matières
I. Antécédents du litige
A. Sur la décision fiscale anticipative (DFA) en cause
B. Sur la procédure administrative devant la Commission
C. Sur la décision attaquée
1. Sur la présentation du contexte factuel et juridique
a) Sur la présentation du groupe Amazon
b) Sur la présentation de la DFA en cause
c) Sur la présentation du cadre juridique national applicable
d) Sur la présentation du cadre de l’OCDE sur les prix de transfert
2. Sur l’appréciation portée sur la DFA en cause
a) Sur l’analyse de l’existence d’un avantage
1) Sur le constat principal de l’avantage
2) Sur les constats subsidiaires de l’avantage
b) Sur la sélectivité de la mesure
c) Sur l’identification du bénéficiaire de l’aide
II. Procédure et conclusions des parties
A. Sur la procédure dans l’affaire T‑816/17
1. Sur la composition de la formation de jugement et sur le traitement prioritaire
2. Sur l’intervention
3. Sur les demandes de traitement confidentiel
4. Sur les conclusions des parties
B. Sur la procédure dans l’affaire T‑318/18
1. Sur la composition de la formation de jugement et sur le traitement prioritaire
2. Sur les demandes de traitement confidentiel
3. Sur les conclusions des parties
C. Sur la jonction des affaires et sur la phase orale de la procédure
III. En droit
A. Sur la jonction des affaires T‑816/17 et T‑318/18 au regard de la décision mettant fin à l’instance
B. Sur les moyens et les arguments invoqués
1. Observations préliminaires
a) Sur la détermination des conditions d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE dans le contexte des mesures fiscales nationales
b) Sur la charge de la preuve
c) Sur l’intensité du contrôle à opérer par le Tribunal
2. Sur les moyens et arguments tendant à contester le constat principal de l’avantage
a) Sur la recevabilité de certains arguments de l’Irlande en ce qui concerne l’existence d’un avantage
b) Sur le bien‑fondé des moyens et arguments du Grand‑Duché de Luxembourg et d’Amazon visant le constat principal de l’avantage
1) Sur la pertinence, dans le temps, de certaines lignes directrices de l’OCDE utilisées par la Commission aux fins de l’application de la MTMN
2) Sur les prétendues erreurs commises par la Commission lors de l’application de la MTMN dans la décision attaquée
i) Sur l’analyse fonctionnelle et le choix, par la Commission, de LuxSCS en tant que partie à tester
– Sur les fonctions et actifs de LuxSCS
– Sur les risques assumés par LuxSCS
– Conclusion sur l’analyse fonctionnelle de LuxSCS et l’incidence de cette conclusion sur le choix de cette société comme étant la partie à tester
ii) Sur la rémunération calculée par la Commission pour LuxSCS en partant de la prémisse qu’elle était la partie à tester
– Sur la première composante de la redevance due à LuxSCS (coûts d’entrée et coûts de l’ARC)
– Sur la seconde composante de la rémunération de LuxSCS (coûts de maintien)
3) Conclusion sur le constat principal
3. Sur les moyens et arguments tendant à contester le raisonnement subsidiaire concernant l’avantage
a) Observations préliminaires sur les trois constats subsidiaires
b) Sur le premier constat subsidiaire concernant l’avantage
1) Sur l’exercice, par LuxOpCo, de fonctions dites « uniques et de valeur »
i) Sur les fonctions exercées par LuxOpCo en ce qui concerne les actifs incorporels (section 9.2.1.2.1 et considérants 449 à 472 de la décision attaquée)
– Sur la nature de la licence conférée à LuxOpCo (considérant 450 de la décision attaquée)
– Sur le EU IP Steering Committee (considérants 452 à 455 de la décision attaquée)
– Sur les fonctions de LuxOpCo concernant le développement de la technologie
– Sur les données clients (considérants 466 à 468 de la décision attaquée)
– Sur « la marque Amazon » (considérants 469 à 472 de la décision attaquée)
ii) Sur les fonctions exercées par LuxOpCo dans le cadre des activités de vente au détail et de services du groupe Amazon en Europe (section 9.2.1.2.2 et considérants 473 à 499 de la décision attaquée)
– Sur l’assortiment (considérants 479 à 489 de la décision attaquée)
– Sur les prix (considérants 490 à 493 de la décision attaquée)
– Sur la « facilité d’utilisation » (considérants 494 à 499 de la décision attaquée)
iii) Sur les actifs utilisés par LuxOpCo (considérants 500 à 505 de la décision attaquée)
iv) Sur les risques assumés par LuxOpCo (considérants 506 à 517 de la décision attaquée
v) Conclusions sur l’analyse fonctionnelle de LuxOpCo
2) Sur le choix de la méthode
3) Sur la démonstration que la rémunération de LuxOpCo aurait dû être plus élevée du fait de l’utilisation de la méthode du partage des bénéfices (application de l’analyse des contributions)
c) Sur le deuxième constat subsidiaire concernant l’avantage
d) Sur le troisième constat subsidiaire concernant l’avantage
Sur les dépens
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( *1 ) Langues de procédure : l’anglais et le français.
( 1 ) Données confidentielles occultées.