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15/07/2020 | CJUE | N°T-778/16

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal, Irlande e.a. contre Commission européenne., 15/07/2020, T-778/16


 ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre élargie)

15 juillet 2020 ( *1 )

« Aides d’État – Aide mise en exécution par l’Irlande – Décision déclarant l’aide incompatible avec le marché intérieur et illégale et ordonnant sa récupération – Décisions fiscales anticipatives (tax rulings) – Avantages fiscaux sélectifs – Principe de pleine concurrence »

Dans les affaires T‑778/16 et T‑892/16,

Irlande, représentée par Mmes K. Duggan, M. Browne, J. Quaney, M. A. Joyce, en qualité d’agents, assistés de MM. P. 

Gallagher, M. Collins, SC, P. Baker, QC, Mmes S. Kingston, C. Donnelly, A. Goodman et M. B. Doherty, barristers,

partie requéra...

 ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre élargie)

15 juillet 2020 ( *1 )

« Aides d’État – Aide mise en exécution par l’Irlande – Décision déclarant l’aide incompatible avec le marché intérieur et illégale et ordonnant sa récupération – Décisions fiscales anticipatives (tax rulings) – Avantages fiscaux sélectifs – Principe de pleine concurrence »

Dans les affaires T‑778/16 et T‑892/16,

Irlande, représentée par Mmes K. Duggan, M. Browne, J. Quaney, M. A. Joyce, en qualité d’agents, assistés de MM. P. Gallagher, M. Collins, SC, P. Baker, QC, Mmes S. Kingston, C. Donnelly, A. Goodman et M. B. Doherty, barristers,

partie requérante dans l’affaire T‑778/16,

soutenue par

Grand-Duché de Luxembourg, représenté par M. T. Uri, en qualité d’agent, assisté de Mes D. Waelbroeck et S. Naudin, avocats,

partie intervenante dans l’affaire T‑778/16,

Apple Sales International, établie à Cork (Irlande),

Apple Operations Europe, établie à Cork,

représentées par Mes A. von Bonin, E. van der Stok, avocats, MM. D. Beard, QC, A. Bates, Mme L. Osepciu et M. J. Bourke, barristers,

parties requérantes dans l’affaire T‑892/16,

soutenues par

Irlande, représentée par Mmes Duggan, Quaney, Browne, M. Joyce, assistés de MM. Gallagher, Collins, Baker, Mmes Kingston, Donnelly, et M. Doherty,

partie intervenante dans l’affaire T‑892/16,

contre

Commission européenne, représentée par MM. P.-J. Loewenthal et R. Lyal, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

République de Pologne, représentée par MM. B. Majczyna, M. Rzotkiewicz et Mme A. Kramarczyk-Szaładzińska, en qualité d’agents,

partie intervenante dans l’affaire T‑778/16,

et par

Autorité de surveillance AELE, représentée par MM. C. Zatschler, M. Sánchez Rydelski et Mme C. Simpson, en qualité d’agents,

partie intervenante dans l’affaire T‑892/16,

ayant pour objet des demandes fondées sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision (UE) 2017/1283 de la Commission, du 30 août 2016, concernant l’aide d’État SA.38373 (2014/C) (ex 2014/NN) (ex 2014/CP) octroyée par l’Irlande en faveur d’Apple (JO 2017, L 187, p. 1),

LE TRIBUNAL (septième chambre élargie),

composé de M. M. Van der Woude, président, Mmes V. Tomljenović (rapporteure), A. Marcoulli, MM. J. Passer et A. Kornezov, juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience des 17 et 18 septembre 2019,

rend le présent

Arrêt

I. Antécédents du litige

A. Sur l’historique du groupe Apple

1.   En ce qui concerne le groupe Apple

1 Le groupe Apple, fondé en 1976 et établi à Cupertino, Californie (États-Unis), se compose d’Apple Inc. et de toutes les sociétés contrôlées par cette dernière (ci-après, dénommées ensemble, le « groupe Apple »). Le groupe Apple conçoit, fabrique et commercialise notamment des équipements de communication mobile et multimédia, des ordinateurs personnels ainsi que des lecteurs portatifs de musique numérique et vend des logiciels, d’autres services, des solutions de mise en réseau ainsi que des
contenus et des applications numériques de tiers. Le groupe Apple commercialise ses produits et services auprès des consommateurs, entreprises et pouvoirs publics du monde entier, par le biais de ses boutiques physiques, de ses boutiques en ligne et de son service de vente directe ainsi que par l’intermédiaire d’opérateurs de réseaux mobiles tiers, de grossistes, de détaillants et de distributeurs. L’activité mondiale du groupe Apple est articulée autour de secteurs fonctionnels clés, gérés et
dirigés au niveau central, depuis les États-Unis, par des dirigeants établis à Cupertino.

2 La décision (UE) 2017/1283 de la Commission, du 30 août 2016, concernant l’aide d’État SA.38373 (2014/C) (ex 2014/NN) (ex 2014/CP) octroyée par l’Irlande en faveur d’Apple (JO 2017, L 187, p. 1, ci-après la « décision attaquée »), porte sur deux décisions fiscales anticipatives adoptées par les autorités fiscales irlandaises à l’égard de deux sociétés faisant partie du groupe Apple.

2.   En ce qui concerne ASI et AOE

a)   S’agissant de la structure sociétaire

3 Au sein du groupe Apple, Apple Operations International est une filiale à 100 % d’Apple Inc. Apple Operations International détient à 100 % la filiale Apple Operations Europe (AOE), qui à son tour détient à 100 % la filiale Apple Sales International (ASI). ASI et AOE sont toutes deux constituées en tant que sociétés de droit irlandais, mais ne sont pas résidentes fiscales irlandaises.

4 Ainsi qu’il est indiqué aux considérants 113 à 115 de la décision attaquée, une partie importante des membres des conseils d’administration d’AOE et d’ASI étaient des directeurs, employés par Apple Inc. et établis à Cupertino. Au considérant 115 (tableaux nos 4 et 5) de ladite décision sont reproduits des extraits de résolutions et des procès-verbaux des réunions des assemblées générales et des conseils d’administration d’ASI et d’AOE. Les résolutions des conseils d’administration portaient
notamment, de manière régulière, sur le versement de dividendes, l’approbation des rapports des directeurs, la nomination et la démission de directeurs. De manière plus occasionnelle, ces résolutions concernaient la constitution de filiales et l’établissement de procurations autorisant certains directeurs pour l’exécution de différentes activités telles que la gestion des comptes bancaires, les relations avec les gouvernements et les organismes publics, les audits, la prise d’assurances, les
locations, l’achat et la vente d’actifs, la réception de marchandises et les contrats commerciaux.

b)   S’agissant de l’accord de partage des coûts

5 Apple Inc., d’une part, et ASI et AOE, d’autre part, étaient liées par un accord de partage des coûts (ci-après l’« accord de partage des coûts »). Les coûts partagés portaient notamment sur la recherche et le développement (R&D) des technologies incorporées aux produits du groupe Apple. L’accord de partage des coûts a été initialement signé en décembre 1980. Les parties à cet accord étaient Apple Inc. (à l’époque Apple Computer Inc.) et AOE [à l’époque Apple Computer Ltd (ACL)]. En 1999, ASI (à
l’époque Apple Computer International) est devenue partie à cet accord. Pendant la période pertinente pour l’examen de la décision attaquée, différentes modifications sur l’accord de partage des coûts ont été effectuées, afin notamment de prendre en compte des changements dans la réglementation applicable.

6 En vertu de cet accord, d’une part, les parties ont accepté de partager les coûts et les risques liés à la R&D concernant les biens incorporels à la suite des activités de développement concernant les produits et services du groupe Apple. D’autre part, les parties se sont accordées sur le fait qu’Apple Inc. demeurait le propriétaire légal officiel des biens incorporels à coûts partagés, y compris des droits de propriété intellectuelle (ci-après la « PI ») du groupe Apple. En outre, Apple Inc. a
octroyé une licence libre de redevance à ASI et à AOE leur permettant, notamment, de fabriquer et de vendre les produits concernés dans le territoire qui leur avait été assigné, à savoir le monde à l’exclusion du continent américain. Par ailleurs, les parties à l’accord étaient tenues d’assumer les risques résultant de cet accord, le principal risque étant constitué par l’obligation de payer les coûts de développement des droits de PI du groupe Apple.

c)   S’agissant de l’accord sur les services de commercialisation

7 En 2008, ASI a conclu un contrat de services marketing avec Apple Inc., dans le cadre duquel cette dernière s’engageait à fournir des services de commercialisation à ASI, comprenant notamment la création, le développement et la mise en œuvre de stratégies de marketing, de programmes et de campagnes de promotion. ASI s’engageait à rémunérer Apple Inc. pour ces services, par le paiement d’une redevance correspondant à un pourcentage des « frais raisonnables encourus » par Apple Inc. pour ces
services, augmenté d’une marge.

3.   En ce qui concerne les succursales irlandaises

8 ASI et AOE ont constitué des succursales irlandaises (désignées en anglais par le terme de « branches »). AOE avait également une succursale à Singapour dont les activités ont cessé en 2009.

9 La succursale irlandaise d’ASI est notamment responsable de la réalisation des activités d’achat, de vente et de distribution, associées à la vente de produits de la marque Apple à des parties liées et à des clients tiers dans les régions couvrant l’Europe, le Moyen-Orient, l’Inde et l’Afrique (EMEIA) ainsi que l’Asie-Pacifique (APAC). Les principales fonctions exercées au sein de cette succursale incluent l’achat de produits finis de marque Apple auprès de fabricants tiers et liés, les activités
de distribution associées à la vente de produits à des parties liées dans les régions EMEIA et APAC ainsi qu’à la vente de produits à des clients tiers dans la région EMEIA, la vente en ligne, les opérations logistiques et l’exploitation du service après-vente. La Commission européenne a constaté (considérant 55 de la décision attaquée) que de nombreuses activités associées à la distribution dans la région EMEIA étaient réalisées par des parties liées dans le cadre de contrats de services.

10 La succursale irlandaise d’AOE est responsable de la fabrication et du montage d’une gamme spécialisée de produits informatiques en Irlande, tels que des ordinateurs de bureau iMac, des ordinateurs portables MacBook et d’autres accessoires informatiques, qu’elle fournit à des parties liées pour la région EMEIA. Les principales fonctions exercées au sein de cette succursale incluent la planification et la programmation de la production, l’ingénierie des processus, la production et l’exploitation,
l’assurance et le contrôle de la qualité et les opérations de reconditionnement.

B. Sur les rulings fiscaux contestés

11 Les autorités fiscales irlandaises ont adopté des décisions fiscales anticipatives, dites « rulings fiscaux », à l’égard de certains contribuables qui en avaient fait la demande. Par lettres du 29 janvier 1991 et du 23 mai 2007 (ci-après, prises ensemble, les « rulings fiscaux contestés »), les autorités fiscales irlandaises ont marqué leur accord avec les propositions formulées par les représentants du groupe Apple concernant les bénéfices imposables d’ASI et d’AOE en Irlande. Ces rulings sont
décrits aux considérants 59 à 62 de la décision attaquée.

1.   En ce qui concerne le ruling fiscal de 1991

a)   Sur la base imposable d’ACL, prédécesseur d’AOE

12 Par lettre du 12 octobre 1990, adressée aux autorités fiscales irlandaises, les conseillers fiscaux du groupe Apple ont décrit les activités d’ACL en Irlande, en indiquant les fonctions qui auraient été exercées par sa succursale irlandaise établie à Cork (Irlande). En outre, il a été précisé que la succursale aurait été propriétaire des actifs afférents aux activités de fabrication, mais qu’AOE aurait conservé la propriété des matériaux utilisés, des produits en cours et des produits finis.

13 À la suite de la lettre des représentants du groupe Apple aux autorités fiscales irlandaises du 16 janvier 1991 et de la réponse de celles-ci du 24 janvier 1991, ces autorités ont confirmé, par lettre du 29 janvier 1991, les termes proposés par le groupe Apple, tels que décrits ci-après. Ainsi, en vertu de ces termes, confirmés par les autorités fiscales irlandaises, le bénéfice imposable d’ACL en Irlande, afférent aux revenus de sa succursale irlandaise, a été calculé sur le fondement des
éléments qui suivent :

– 65 % des coûts d’exploitation de cette succursale à concurrence d’un montant annuel de [confidentiel] ( 1 ) 20 % de ses coûts d’exploitation au-delà de [confidentiel] ;

– si le bénéfice global de la succursale irlandaise d’ACL était inférieur au chiffre obtenu grâce à cette formule, ce dernier serait utilisé pour déterminer les bénéfices nets de la succursale ;

– les coûts d’exploitation à prendre en considération pour ce calcul comprendraient l’ensemble des dépenses d’exploitation, à l’exclusion du matériel destiné à la revente et de l’élément des coûts relatif aux actifs incorporels facturés par les sociétés affiliées au groupe Apple ;

– un allégement pour amortissement pourrait être sollicité à condition qu’il ne dépasse pas de [confidentiel] les amortissements déclarés dans les comptes pertinents.

b)   Sur la base imposable d’ACAL, prédécesseur d’ASI

14 Par lettre du 2 janvier 1991, les conseillers fiscaux du groupe Apple ont informé les autorités fiscales irlandaises de l’existence d’une nouvelle société, Apple Computer Accessories Ltd (ACAL), dont la succursale en Irlande était décrite comme étant responsable de l’approvisionnement des produits destinés à l’exportation, auprès de fabricants irlandais.

15 Le 16 janvier 1991, les représentants du groupe Apple ont envoyé une lettre aux autorités fiscales irlandaises résumant les termes de l’accord qui avait été conclu lors d’une réunion entre ce groupe et lesdites autorités le 3 janvier 1991 quant au bénéfice imposable d’ACAL. Selon cette lettre, le calcul du bénéfice de la succursale devrait être fondé sur une marge de 12,5 % des coûts d’exploitation (matériaux pour revente exclus).

16 Par lettre du 29 janvier 1991, les autorités fiscales irlandaises ont confirmé les termes de l’accord tels qu’exprimés dans la lettre du 16 janvier 1991.

2.   En ce qui concerne le ruling fiscal de 2007

17 Par lettre du 16 mai 2007 adressée aux autorités fiscales irlandaises, les conseillers fiscaux du groupe Apple ont résumé leur proposition pour réviser la méthode de détermination de la base imposable des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE.

18 S’agissant de la succursale irlandaise d’ASI (qui a succédé à Apple Computer International, laquelle a succédé à ACAL), il était proposé que le bénéfice imposable à lui attribuer correspondît à [confidentiel] de ses coûts d’exploitation, à l’exclusion des coûts tels que les sommes facturées par les sociétés affiliées au sein du groupe Apple et les coûts de matériel.

19 S’agissant de la succursale irlandaise d’AOE, le bénéfice imposable aurait correspondu à la somme, d’une part, d’un montant correspondant à [confidentiel] des coûts d’exploitation de la succursale, à l’exclusion des coûts tels que les sommes facturées par les sociétés affiliées au sein du groupe Apple et les coûts de matériel, et, d’autre part, d’un montant correspondant au rendement sur la PI pour les technologies de processus de fabrication élaborées par cette succursale, soit [confidentiel] du
chiffre d’affaires de ladite succursale. Une déduction aurait été autorisée au titre des allégements pour amortissement des usines et des bâtiments « normalement calculés et autorisés ».

20 Il a été proposé que les termes de l’accord à venir entrent en vigueur à partir du 1er octobre 2007 pour les deux succursales, qu’ils soient applicables pendant cinq années, en l’absence de changement de circonstances, et qu’ils soient renouvelés par la suite sur une base annuelle. Il a été également indiqué que l’accord pouvait être appliqué à de nouvelles entités qui pourraient être créées ou transformées au sein du groupe Apple, pour autant que leurs activités correspondent à celles effectuées
respectivement par AOE, à savoir la fabrication en Irlande, et par ASI, à savoir des activités non liées à la fabrication, telles que les ventes et les services en général.

21 Par lettre du 23 mai 2007, les autorités fiscales irlandaises ont confirmé leur accord sur l’ensemble des propositions contenues dans la lettre du 16 mai 2007. Cet accord a été appliqué jusqu’à l’exercice fiscal 2014.

C. Sur la procédure administrative devant la Commission

22 Par lettre du 12 juin 2013, la Commission a demandé à l’Irlande de lui fournir des renseignements au sujet de la pratique des rulings fiscaux sur son territoire, en particulier au sujet de ceux ayant été accordés à certaines entités du groupe Apple, dont ASI et AOE.

23 Par décision du 11 juin 2014, la Commission a ouvert la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE (ci-après la « décision d’ouverture ») concernant les rulings fiscaux contestés, adoptés par les autorités fiscales irlandaises sur le bénéfice imposable attribué aux succursales irlandaises d’ASI et d’AOE, au motif que ces rulings pouvaient constituer une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Selon la Commission, les rulings fiscaux contestés auraient
été susceptibles de procurer un avantage aux entreprises auxquelles ils avaient été accordés s’ils avaient entériné un accord sur les prix de transfert qui se serait écarté des conditions qui auraient été fixées entre des opérateurs de marché indépendants (le principe de pleine concurrence). Cette décision a été publiée au Journal officiel le 17 octobre 2014.

24 Par lettres des 5 septembre et 17 novembre 2014, l’Irlande et Apple Inc., respectivement, ont présenté leurs observations sur la décision d’ouverture de la procédure.

25 Lors de la procédure formelle d’examen, plusieurs échanges et réunions ont eu lieu entre la Commission, les autorités fiscales irlandaises et Apple Inc. (considérants 11 à 38 de la décision attaquée). En outre Apple Inc. et l’Irlande ont présenté deux rapports ad hoc sur l’attribution de bénéfices aux succursales irlandaises d’ASI et d’AOE, établis par leurs conseillers fiscaux respectifs.

D. Sur la décision attaquée

26 Le 30 août 2016, la Commission a adopté la décision attaquée. Après avoir décrit le cadre juridique et factuel (section 2) et la procédure administrative (sections 3 à 7), la Commission s’est concentrée sur l’analyse de l’existence de l’aide (section 8).

27 Premièrement, la Commission a relevé que les rulings fiscaux contestés avaient été accordés par l’administration fiscale irlandaise et étaient donc imputables à l’État. Dans la mesure où ils entraînaient une réduction du montant de l’impôt dû par ASI et AOE, l’Irlande avait renoncé à des recettes fiscales, ce qui avait donné lieu à une perte de ressources d’État (considérant 221 de la décision attaquée).

28 Deuxièmement, ASI et AOE faisant partie du groupe Apple, actif dans tous les États membres, les rulings fiscaux contestés étaient, de ce fait, susceptibles d’affecter les échanges à l’intérieur de l’Union européenne (considérant 222 de la décision attaquée).

29 Troisièmement, dans la mesure où les rulings fiscaux contestés avaient entraîné une réduction de la base imposable d’ASI et d’AOE, aux fins de l’établissement de l’impôt sur les sociétés en Irlande, ils procuraient un avantage à ces deux sociétés (considérant 223 de la décision attaquée).

30 En outre, selon la Commission, les rulings fiscaux contestés ayant été uniquement octroyées à ASI et à AOE, leur nature sélective pouvait être présumée. Toutefois, par souci d’exhaustivité, la Commission a soutenu que les rulings fiscaux contestés constituaient une dérogation au cadre de référence, à savoir le système de droit commun d’imposition des sociétés en Irlande (considérant 224 de la décision attaquée).

31 Quatrièmement, s’il s’avérait que les rulings fiscaux contestés entraînaient une réduction du montant de l’impôt dû par ASI et AOE, ils seraient donc de nature à renforcer la position concurrentielle de ces deux sociétés et, dès lors, à fausser ou à menacer de fausser la concurrence (considérant 222 de la décision attaquée).

1.   Sur l’existence d’un avantage sélectif

32 Dans la section 8.2 de la décision attaquée, la Commission a suivi l’analyse en trois étapes issue de la jurisprudence afin de prouver l’existence d’un avantage sélectif en l’espèce. Ainsi, tout d’abord, elle a identifié le cadre de référence et justifié l’application du principe de pleine concurrence en l’espèce. Ensuite, elle a examiné l’existence d’un avantage sélectif découlant d’une dérogation au cadre de référence. En substance, en s’appuyant sur des raisonnements à titre principal, à titre
subsidiaire et à titre alternatif, la Commission a considéré que les rulings fiscaux contestés avaient permis à ASI et à AOE de réduire le montant de l’impôt dont elles étaient redevables en Irlande au cours de la période pendant laquelle ils étaient en vigueur, à savoir entre les années 1991 et 2014 (ci-après la « période pertinente »), et que cela représentait un avantage par rapport à d’autres sociétés se trouvant dans une situation comparable. Enfin, la Commission a constaté que ni l’Irlande
ni Apple Inc. n’avaient avancé d’arguments concernant la justification de cet avantage sélectif.

a)   Sur le cadre de référence

33 Aux considérants 227 à 243 de la décision attaquée, la Commission a considéré que le cadre de référence était constitué par le système de droit commun d’imposition des bénéfices des sociétés en Irlande, dont l’objectif aurait été d’imposer les bénéfices de toutes les sociétés soumises à l’impôt en Irlande. Eu égard à cet objectif, la Commission a considéré que les sociétés intégrées et les sociétés autonomes se trouvaient dans une situation juridique et factuelle comparable. Partant, l’article 25
du Taxes Consolidation Act de 1997 (ci-après le « TCA 97 »), qui prévoit l’imposition des sociétés non résidentes au titre des revenus commerciaux réalisés directement ou indirectement par l’intermédiaire de la succursale active en Irlande, devrait être considéré comme faisant partie intégrante du cadre de référence et non comme un cadre de référence distinct.

b)   Sur le principe de pleine concurrence

34 Aux considérants 244 à 263 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que, aux termes de l’article 25 du TCA 97, et eu égard à sa finalité, cette disposition devait être appliquée en étant accompagnée d’une méthode d’attribution des bénéfices. À cet égard, elle a relevé que l’article 107, paragraphe 1, TFUE exigeait que la méthode d’attribution des bénéfices fût fondée sur le principe de pleine concurrence, indépendamment du fait que l’État membre concerné eût ou non incorporé le principe
de pleine concurrence dans son système juridique national. La Commission a fondé cette considération sur deux prémisses. D’une part, elle a rappelé que toute mesure fiscale adoptée par un État membre devait respecter les règles relatives aux aides d’État. D’autre part, elle a soutenu qu’il découlait de l’arrêt du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission (C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:416), qu’une réduction de la base imposable qui résultait d’une mesure fiscale permettant à un
contribuable d’employer des prix de transfert, dans le cadre de transactions intragroupe, qui n’étaient pas proches des prix qui auraient été pratiqués dans des conditions de libre concurrence, conférait un avantage sélectif à ce contribuable au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

35 Ainsi, la Commission a soutenu, sur le fondement de l’arrêt du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission (C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:416), que le principe de pleine concurrence constituait un critère de référence pour déterminer si une société intégrée bénéficiait d’un avantage sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE du fait d’une mesure fiscale qui déterminait ses prix de transfert et, partant, son assiette fiscale. Ce principe aurait visé à garantir que les transactions
intragroupes soient traitées, à des fins fiscales, de la même manière que celles effectuées entre sociétés autonomes non intégrées, de manière à éviter une inégalité de traitement entre des sociétés se trouvant dans une situation factuelle et juridique similaire au regard de l’objectif d’un tel système, qui aurait été d’imposer les bénéfices de l’ensemble des sociétés relevant de sa juridiction fiscale.

36 Quant aux principes développés dans le cadre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la Commission a indiqué qu’ils constituaient uniquement des orientations utiles pour les autorités fiscales, afin d’assurer que les méthodes d’attribution des bénéfices et de fixation des prix de transfert produisent des résultats conformes aux conditions du marché.

c)   Sur l’avantage sélectif du fait de la non-attribution aux succursales irlandaises des bénéfices dérivés des licences de PI détenues par ASI et AOE (raisonnement à titre principal)

37 À titre principal, aux considérants 265 à 321 de la décision attaquée, la Commission a soutenu que le fait que les autorités fiscales irlandaises aient accepté, dans les rulings fiscaux contestés, la prémisse selon laquelle les licences de PI du groupe Apple détenues par ASI et AOE devaient être attribuées hors d’Irlande avait conduit à des bénéfices annuels imposables d’ASI et d’AOE en Irlande s’écartant d’une approximation fiable d’un résultat fondé sur le marché dans des conditions de pleine
concurrence.

38 En substance, la Commission a considéré que les licences de PI détenues par ASI et AOE pour l’achat, la fabrication, la vente et la distribution de produits du groupe Apple en dehors du continent américain, qu’elle avait identifié comme les « licences de PI d’Apple », avaient contribué de manière considérable au revenu de ces deux sociétés.

39 Ainsi, la Commission a reproché aux autorités irlandaises d’avoir erronément attribué aux sièges d’ASI et d’AOE des actifs, des fonctions et des risques, alors que ces sièges n’avaient pas de présence physique ni de salariés. Plus particulièrement s’agissant des fonctions afférentes aux licences de PI, la Commission a soutenu que de telles fonctions n’avaient pas pu être exercées uniquement par le biais des conseils d’administration d’ASI et d’AOE, en l’absence de personnel, ce qui aurait été
démontré par l’absence de références à des discussions et à des décisions à cet égard dans les procès-verbaux des réunions des conseils d’administration fournis à la Commission. Partant, selon la Commission, dans la mesure où les sièges d’ASI et d’AOE n’avaient pas pu contrôler ni gérer les licences de PI du groupe Apple, ces sièges n’auraient pas dû se voir attribuer, dans un contexte de pleine concurrence, les bénéfices tirés de l’utilisation de ces licences. Partant, ces bénéfices auraient dû
être attribués aux succursales d’ASI et d’AOE, les seules qui auraient été en mesure d’exercer effectivement des fonctions en rapport avec la PI du groupe Apple et qui étaient essentielles à l’activité commerciale d’ASI et d’AOE.

40 Partant, en n’ayant pas attribué aux succursales d’ASI et d’AOE les bénéfices dérivés de la PI du groupe Apple, et ce de façon non conforme au principe de pleine concurrence, les autorités fiscales irlandaises auraient procuré un avantage à ASI et à AOE, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, sous la forme d’une réduction de leurs bénéfices annuels imposables respectifs. Selon la Commission, cet avantage présentait un caractère sélectif, puisqu’il entraînait une réduction de la charge de
l’impôt d’ASI et d’AOE en Irlande par rapport aux sociétés non intégrées dont le bénéfice imposable reflétait les prix négociés sur le marché dans des conditions de pleine concurrence.

d)   Sur l’avantage sélectif du fait du choix inadéquat des méthodes d’attribution de bénéfices aux succursales irlandaises d’ASI et d’AOE (raisonnement à titre subsidiaire)

41 À titre subsidiaire, aux considérants 325 à 360 de la décision attaquée, la Commission a soutenu que, même si les autorités fiscales irlandaises avaient eu raison d’accepter l’hypothèse selon laquelle les licences de PI d’Apple détenues par ASI et AOE devaient être attribuées hors d’Irlande, des méthodes d’attribution des bénéfices approuvées par les rulings fiscaux contestés avait tout de même résulté un bénéfice annuel imposable d’ASI et d’AOE en Irlande s’écartant d’une approximation fiable
d’un résultat fondé sur le marché dans des conditions de pleine concurrence. En effet, selon la Commission, ces méthodes étaient fondées sur des choix méthodologiques inadéquats, ce qui avait conduit à une réduction du montant de l’impôt dont devaient s’acquitter ASI et AOE par rapport aux sociétés non intégrées dont le bénéfice imposable au titre de ces règles était déterminé par les prix négociés sur le marché dans des conditions de pleine concurrence. Partant, selon la Commission, les rulings
fiscaux contestés, du fait de l’approbation de ces méthodes, avaient procuré un avantage sélectif à ASI et à AOE au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

e)   Sur l’avantage sélectif du fait de la dérogation au cadre de référence, à supposer même qu’il soit constitué uniquement par l’article 25 du TCA 97, par les rulings fiscaux contestés, qui ne sont pas conformes au principe de pleine concurrence (raisonnement alternatif)

42 En tant que raisonnement à titre alternatif, aux considérants 369 à 403 de la décision attaquée, la Commission a fait valoir que, même s’il devait être considéré que le cadre de référence était constitué uniquement par l’article 25 du TCA 97, les rulings fiscaux contestés avaient procuré un avantage sélectif à ASI et à AOE, sous la forme d’une réduction de leur base imposable en Irlande. D’une part, la Commission a soutenu que l’application de l’article 25 du TCA 97 en Irlande se fondait sur le
principe de pleine concurrence. Or, en l’espèce, la Commission aurait démontré que les rulings fiscaux contestés se seraient écartés d’une approximation fiable d’un résultat fondé sur le marché selon le principe de pleine concurrence, ce qui aurait procuré un avantage économique à ASI et à AOE. D’autre part et en tout état de cause, la Commission a fait valoir que, même s’il devait être considéré que l’application de l’article 25 du TCA 97 n’était pas fondée sur le principe de pleine concurrence,
il y avait lieu de conclure que les rulings fiscaux contestés avaient été adoptés par les autorités fiscales irlandaises de façon discrétionnaire, en l’absence de critères objectifs liés au système fiscal irlandais, et que, de ce fait, ils procuraient un avantage sélectif à ASI et à AOE.

f)   Conclusion sur l’avantage sélectif

43 La Commission a conclu que les rulings fiscaux contestés donnaient lieu à une réduction des charges qu’ASI et AOE auraient normalement dû supporter dans le cadre de leurs activités courantes et que, partant, ils devaient être considérés comme ayant octroyé à ces deux sociétés une aide au fonctionnement. Toutefois elle a soutenu que, dans la mesure où ASI et AOE faisaient partie du groupe Apple, au caractère multinational, et que celui-ci devait être considéré comme une unité économique unique, au
sens de la jurisprudence, ledit groupe dans son ensemble avait bénéficié de l’aide d’État octroyée par l’Irlande au moyen des rulings fiscaux contestés (section 8.3 de la décision attaquée).

2.   Sur l’incompatibilité, l’illégalité et la récupération de l’aide

44 La Commission a relevé que ces mesures d’aide étaient incompatibles avec le marché intérieur en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE et que, n’ayant pas été préalablement notifiées, elles constituaient des aides d’État illégales mises à exécution en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE (sections 8.5 et 9 de la décision attaquée).

45 Enfin (section 11 de la décision attaquée), la Commission a indiqué que l’Irlande devait récupérer les aides octroyées par les rulings fiscaux contestés pour la période allant du 12 juin 2003 au 27 septembre 2014. Elle a précisé que le montant à récupérer devait être calculé sur le fondement d’une comparaison entre l’impôt effectivement payé et celui qui aurait dû être payé si, en l’absence de rulings, le régime commun d’imposition avait été appliqué.

46 À l’égard des arguments concernant la violation des droits procéduraux de l’Irlande et d’Apple Inc. lors de la procédure administrative, la Commission a indiqué que, la portée de son enquête relative à l’existence d’aides d’État étant demeurée inchangée entre la décision d’ouverture et l’adoption de la décision attaquée, leurs droits avaient été pleinement respectés (section 10 de la décision attaquée).

3.   Sur le dispositif

47 Le dispositif de la décision attaquée se lit comme suit :

« Article premier

1.   Les rulings fiscaux adoptés par l’Irlande le 29 janvier 1991 et le 23 mai 2007 en faveur d’Apple Sales International, qui permettent à cette dernière de déterminer l’impôt dont elle est redevable en Irlande sur une base annuelle, constituent une aide au sens de l’article 107, paragraphe 1, du traité. Cette aide a été illégalement mise à exécution par l’Irlande en violation de l’article 108, paragraphe 3, du traité et est incompatible avec le marché intérieur.

2.   Les rulings fiscaux adoptés par l’Irlande le 29 janvier 1991 et le 23 mai 2007 en faveur d’Apple Operations Europe International, qui permettent à cette dernière de déterminer l’impôt dont elle est redevable en Irlande sur une base annuelle, constituent une aide au sens de l’article 107, paragraphe 1, du traité. Cette aide a été illégalement mise à exécution par l’Irlande en violation de l’article 108, paragraphe 3, du traité et est incompatible avec le marché intérieur.

Article 2

1.   L’Irlande est tenue de récupérer les aides visées à l’article 1er, paragraphe 1, auprès d’Apple Sales International.

2.   L’Irlande est tenue de récupérer les aides visées à l’article 1er, paragraphe 2, auprès d’Apple Operations Europe.

3.   Les montants à récupérer sont majorés d’intérêts calculés à partir de la date à laquelle ils ont été mis à la disposition des bénéficiaires jusqu’à celle de leur récupération effective.

4.   Les intérêts sont calculés sur une base composée conformément au chapitre V du règlement (CE) no 794/2004.

Article 3

1.   La récupération de l’aide visée à l’article 1er est immédiate et effective.

2.   L’Irlande veille à ce que cette décision soit exécutée dans un délai de quatre mois à compter de la date de notification.

Article 4

1.   Dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, l’Irlande communique à la Commission les informations concernant la méthode utilisée pour le calcul du montant exact de l’aide.

2.   L’Irlande tient la Commission informée de l’évolution des mesures nationales prises afin d’exécuter la présente décision, jusqu’à la récupération intégrale de l’aide visée à l’article 1er. Elle transmet immédiatement, sur simple demande de la Commission, les informations relatives aux mesures déjà adoptées et prévues pour se conformer à la présente décision.

Article 5

L’Irlande est destinataire de la présente décision. »

II. Procédure et conclusions des parties

A. Sur l’affaire T‑778/16

48 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 novembre 2016, l’Irlande a introduit le recours dans l’affaire T‑778/16.

1.   Composition de la formation de jugement et traitement prioritaire

49 Par décision du 29 novembre 2016, la présidente de la septième chambre du Tribunal a fait droit à la demande de l’Irlande d’accorder à l’affaire T‑778/16 le traitement prioritaire en vertu de l’article 67, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal.

50 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 9 novembre 2016, l’Irlande a demandé que l’affaire T‑778/16 soit jugée par une formation de jugement élargie. Le 18 janvier 2017, le Tribunal a pris acte, en application de l’article 28, paragraphe 5, du règlement de procédure, du fait que l’affaire T‑778/16 avait été renvoyée devant la septième chambre élargie.

51 Deux membres de la septième chambre élargie du Tribunal ayant été empêchés de siéger, par décisions du 21 février 2017 et du 21 mai 2019, le président du Tribunal a désigné, respectivement, le vice-président du Tribunal et un autre juge pour compléter la chambre.

2.   Interventions

52 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 20 mars 2017, le Grand-Duché de Luxembourg a demandé à intervenir dans l’affaire T‑778/16 au soutien des conclusions de l’Irlande.

53 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 30 mars 2017, la République de Pologne a demandé à intervenir dans l’affaire T‑778/16 au soutien des conclusions de la Commission.

54 Par ordonnance du 19 juillet 2017, le président de la septième chambre élargie du Tribunal a fait droit aux demandes d’intervention du Grand-Duché de Luxembourg et de la République de Pologne.

3.   Demandes de traitement confidentiel

55 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 26 avril 2017, l’Irlande a demandé le traitement confidentiel, à l’égard du Grand-Duché de Luxembourg et de la République de Pologne, d’une partie de sa requête ainsi que de certaines pièces annexées à celle-ci, notamment de la décision attaquée, et d’une partie du mémoire en défense ainsi que de certaines pièces annexées à celle-ci.

56 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 31 mai 2017, l’Irlande a demandé le traitement confidentiel, à l’égard du public, du nom des conseillers fiscaux du groupe Apple.

57 Par actes déposés au greffe du Tribunal les 26 et 29 novembre 2018, l’Irlande a partiellement retiré ses demandes de traitement confidentiel.

58 Le Grand-Duché de Luxembourg et la République de Pologne ont reçu des versions non confidentielles des pièces en question. Le Grand-Duché de Luxembourg n’a soulevé aucune objection à l’encontre des demandes de traitement confidentiel formulées à son égard, tandis que la République de Pologne a contesté les demandes de traitement confidentiel formulées à son égard.

59 Par ordonnance du 14 décembre 2018, Irlande/Commission (T‑778/16, non publiée, EU:T:2018:1019), le président de la septième chambre élargie du Tribunal a partiellement fait droit aux demandes de traitement confidentiel formulées à l’égard de la République de Pologne et les a rejetées pour le surplus. La République de Pologne a reçu des versions non confidentielles des pièces en question conformément aux termes de ladite ordonnance.

4.   Conclusions des parties

60 L’Irlande conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler la décision attaquée ;

– condamner la Commission aux dépens dans l’affaire T‑778/16.

61 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours dans l’affaire T‑778/16 comme non fondé ;

– condamner l’Irlande aux dépens dans l’affaire T‑778/16.

62 Le Grand-Duché de Luxembourg conclut à ce qu’il plaise au Tribunal d’annuler la décision attaquée, conformément aux conclusions de l’Irlande.

63 Le République de Pologne conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours dans l’affaire T‑778/16, conformément aux conclusions de la Commission.

B. Sur l’affaire T‑892/16

64 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 décembre 2016, ASI et AOE ont introduit le recours dans l’affaire T‑892/16.

1.   Composition de la formation de jugement, traitement prioritaire et jonction

65 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 8 février 2017, ASI et AOE ont demandé que le traitement prioritaire au sens de l’article 67, paragraphe 2, du règlement de procédure soit accordé à l’affaire T‑892/16 et que celle-ci soit jointe à l’affaire T‑778/16 aux fins des phases écrites et orales de la procédure ainsi que de la décision mettant fin à l’instance.

66 Par décision du 6 avril 2017, la présidente de la septième chambre du Tribunal a fait droit à la demande d’accorder à l’affaire T‑892/16 le traitement prioritaire en vertu de l’article 67, paragraphe 2, du règlement de procédure.

67 Sur proposition de la septième chambre du Tribunal, le Tribunal a décidé le 17 mai 2017, en application de l’article 28 du règlement de procédure, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.

68 Deux membres de la septième chambre élargie du Tribunal ayant été empêchés de siéger, par décisions des 8 juin 2017 et 21 mai 2019, le président du Tribunal a désigné, respectivement, le vice-président du Tribunal et un autre juge pour compléter la chambre.

2.   Interventions

69 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 30 mars 2017, IBEC Company Limited by Guarantee a demandé à intervenir dans l’affaire T‑892/16 au soutien des conclusions d’ASI et d’AOE. En vertu de l’article 19, paragraphe 2, du règlement de procédure, le président de la septième chambre élargie du Tribunal a déféré la décision sur cette demande, qui relevait de sa compétence, à la septième chambre élargie du Tribunal. Par ordonnance du 15 décembre 2017, Apple Sales International et Apple Operations
Europe/Commission (T‑892/16, non publiée, EU:T:2017:926), le Tribunal a rejeté la demande d’intervention d’IBEC Company Limited by Guarantee.

70 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 31 mars 2017, l’Autorité de surveillance AELE a demandé à intervenir dans l’affaire T‑892/16 au soutien des conclusions de la Commission. Par ordonnance du 19 juillet 2017, le président de la septième chambre élargie du Tribunal a fait droit à la demande d’intervention de l’Autorité de surveillance AELE.

71 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 31 mars 2017, l’Irlande a demandé à intervenir dans l’affaire T‑892/16 au soutien des conclusions d’ASI et d’AOE. Par décision du 28 juin 2017, le président de la septième chambre élargie du Tribunal a fait droit à la demande en intervention de l’Irlande.

72 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 13 avril 2017, les États-Unis d’Amérique ont demandé à intervenir dans l’affaire T‑892/16 au soutien des conclusions d’ASI et d’AOE. En vertu de l’article 19, paragraphe 2, du règlement de procédure, le président de la septième chambre élargie du Tribunal a déféré la décision sur cette demande, qui relevait de sa compétence, à la septième chambre élargie du Tribunal. Par ordonnance du 15 décembre 2017, Apple Sales International et Apple Operations
Europe/Commission (T‑892/16, non publiée, EU:T:2017:925), le Tribunal a rejeté la demande d’intervention des États-Unis d’Amérique. Les États-Unis d’Amérique ont introduit un pourvoi à l’encontre de cette ordonnance. Par ordonnance du 17 mai 2018, États-Unis d’Amérique/Apple Sales International e.a. [C‑12/18 P(I), non publiée, EU:C:2018:330], ce pourvoi a été rejeté.

3.   Demandes de traitement confidentiel

73 Au cours de la procédure, ASI et AOE ont demandé le traitement confidentiel de certaines pièces de procédure à l’égard de l’Autorité de surveillance AELE. Par acte déposé au greffe du Tribunal le 1er octobre 2018, elles ont retiré cette demande.

4.   Conclusions des parties

74 ASI et AOE concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler la décision attaquée ;

– à titre subsidiaire, annuler partiellement la décision attaquée ;

– condamner la Commission aux dépens.

75 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– condamner ASI et AOE aux dépens.

76 L’Irlande conclut à ce qu’il plaise au Tribunal d’annuler la décision attaquée, conformément aux conclusions d’ASI et d’AOE.

77 L’Autorité de surveillance AELE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours dans l’affaire T‑892/16 comme non fondé ;

– condamner ASI et AOE aux dépens dans l’affaire T‑892/16.

C. Sur la jonction des affaires et sur la phase orale de la procédure

78 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 8 février 2017, ASI et AOE ont demandé la jonction des affaires T‑778/16 et T‑892/16.

79 Par décision du 21 juin 2017, le président de la septième chambre élargie du Tribunal a décidé de ne pas joindre, à ce stade de la procédure, les affaires T‑778/16 et T‑892/16.

80 Par décision du président la septième chambre élargie du Tribunal du 9 juillet 2019, les affaires T‑778/16 et T‑892/16 ont été jointes aux fins de la phase orale de la procédure, conformément à l’article 68 du règlement de procédure.

81 Sur proposition de la juge rapporteure, le Tribunal a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, a demandé aux parties de répondre à des questions écrites. Les parties ont répondu à cette mesure d’organisation de la procédure dans le délai imparti.

82 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 23 août 2019, la Commission a demandé le traitement confidentiel, à l’égard du Grand-Duché de Luxembourg et de la République de Pologne, de certaines informations contenues dans sa réponse aux mesures d’organisation de la procédure.

83 Le Grand-Duché de Luxembourg et la République de Pologne ont reçu des versions non confidentielles de ladite réponse.

84 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience des 17 et 18 septembre 2019. Lors de l’audience, ASI et AOE ainsi que la Commission ont formulé certaines observations sur le rapport d’audience, ce dont le Tribunal a pris acte dans le procès-verbal de l’audience.

85 En outre, les parties ont été entendues lors de l’audience sur une jonction éventuelle des affaires T‑778/16 et T‑892/16 aux fins de la décision mettant fin à l’instance, ce dont le Tribunal a pris acte dans le procès-verbal de l’audience.

III. En droit

A. Sur la jonction des affaires T-778/16 et T-892/16 aux fins de la décision mettant fin à l’instance

86 En vertu de l’article 19, paragraphe 2, du règlement de procédure, le président de la septième chambre élargie du Tribunal a déféré la décision sur la jonction des affaires T‑778/16 et T‑892/16 aux fins de la décision mettant fin à l’instance, qui relevait de sa compétence, à la septième chambre élargie du Tribunal.

87 Les parties ayant été entendues lors de l’audience à l’égard d’une jonction éventuelle, il y a lieu de joindre aux fins de la décision mettant fin à l’instance les affaires T‑778/16 et T‑892/16, pour cause de connexité.

B. Sur les moyens invoqués et sur la structure de l’examen des présents recours

88 Par leurs recours, l’Irlande, dans l’affaire T‑778/16, ainsi qu’ASI et AOE, dans l’affaire T‑892/16, visent l’annulation de la décision attaquée en ce qu’elle a constaté que les rulings fiscaux contestés constituaient des aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et ordonné la récupération des sommes qui n’auraient pas été collectées par l’Irlande auprès d’elles, au titre de l’impôt sur les sociétés.

89 À l’appui de leurs recours, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE soulèvent, respectivement, neuf et quatorze moyens, lesquels se recoupent pour la majeure partie.

90 En premier lieu, ces moyens visent en substance à contester le raisonnement à titre principal de la Commission, notamment du fait des erreurs concernant l’appréciation relative à l’existence d’un avantage sélectif (premier à troisième moyens dans l’affaire T‑778/16 et premier à sixième moyens dans l’affaire T‑892/16) et l’appréciation relative à la notion d’intervention de l’État (partiellement deuxième moyen dans l’affaire T‑778/16).

91 Plus particulièrement, dans le cadre de la contestation du raisonnement à titre principal de la Commission, premièrement, il est fait grief à celle-ci d’avoir effectué un examen conjoint des notions d’avantage et de sélectivité (partiellement deuxième moyen dans l’affaire T‑778/16). Deuxièmement, il est reproché à la Commission d’avoir erronément identifié le cadre de référence, notamment sur le fondement d’appréciations erronées du droit irlandais (partiellement premier et deuxième moyens dans
l’affaire T‑778/16 et premier moyen dans l’affaire T‑892/16), de l’application erronée du principe de pleine concurrence (partiellement premier moyen et troisième moyen dans l’affaire T‑778/16 et partiellement premier moyen et deuxième moyen dans l’affaire T‑892/16), de l’application inapproprié des principes de l’OCDE (partiellement deuxième moyen dans l’affaire T‑778/16 et cinquième moyen dans l’affaire T‑892/16). Troisièmement, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE contestent les appréciations de la
Commission relatives aux activités au sein du groupe Apple (partiellement premier moyen dans l’affaire T‑778/16 et troisième à cinquième moyens dans l’affaire T‑892/16). Quatrièmement, elles contestent les appréciations relatives au caractère sélectif des rulings fiscaux contestés (partiellement deuxième moyen dans l’affaire T‑778/16 et sixième moyen dans l’affaire T‑892/16).

92 En deuxième lieu, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE contestent les appréciations portées par la Commission dans le cadre de son raisonnement à titre subsidiaire (quatrième moyen dans l’affaire T‑778/16 et huitième moyen dans l’affaire T‑892/16).

93 En troisième lieu, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE contestent les appréciations portées par la Commission dans le cadre de son raisonnement à titre alternatif (cinquième moyen dans l’affaire T‑778/16 et neuvième moyen dans l’affaire T‑892/16).

94 En quatrième lieu, ASI et AOE contestent la récupération des aides ordonnée dans la décision attaquée, du fait de l’impossibilité de calculer le montant à récupérer au titre des raisonnements à titre subsidiaire et à titre alternatif de la Commission (dixième moyen dans l’affaire T‑892/16).

95 En cinquième lieu, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE font valoir que l’examen de la Commission dans le cadre de la procédure administrative a été mené en violation des formes substantielles, et notamment du droit d’être entendu (sixième moyen dans l’affaire T‑778/16 et septième et douzième moyens dans l’affaire T‑892/16).

96 En sixième lieu, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE contestent la récupération ordonnée par la décision attaquée, en violation notamment des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime (septième moyen dans l’affaire T‑778/16 et onzième moyen dans l’affaire T‑892/16).

97 En septième lieu, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE reprochent à la Commission son ingérence dans les compétences des États membres, en invoquant, notamment, le principe d’autonomie fiscale (huitième moyen dans l’affaire T‑778/16 et quatorzième moyen dans l’affaire T‑892/16).

98 En huitième lieu, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE contestent l’insuffisance de motivation de la décision attaquée (neuvième moyen dans l’affaire T‑778/16 et treizième moyen dans l’affaire T‑892/16).

99 Il convient d’abord d’analyser les moyens contestant la compétence de la Commission pour adopter la décision attaquée, avant d’aborder les autres moyens dans l’ordre dans lequel ils ont été résumés aux points 90 à 96 et 98 ci-dessus.

100 À titre liminaire et aux fins de l’examen de la légalité de la décision attaquée qui suit, il convient de rappeler que, dans le cadre du contrôle des aides d’État, pour examiner si les rulings fiscaux contestés ont constitué une telle aide, il incombait à la Commission de démontrer que les conditions d’existence d’une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, étaient réunies. En effet, si la Commission peut qualifier une mesure fiscale d’aide d’État (voir, en ce sens, arrêts du
2 juillet 1974, Italie/Commission, 173/73, EU:C:1974:71, point 28, et du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:416, point 81), ce n’est que pour autant que les conditions d’une telle qualification soient réunies (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:416, point 84).

101 Ainsi, il appartenait, en principe, à la Commission de rapporter, dans la décision attaquée, la preuve de l’existence d’une telle aide (voir, en ce sens, arrêts du 12 septembre 2007, Olympiaki Aeroporia Ypiresies/Commission, T‑68/03, EU:T:2007:253, point 34, et du 25 juin 2015, SACE et Sace BT/Commission, T‑305/13, EU:T:2015:435, point 95). Partant, il incombait à la Commission de démontrer notamment l’existence d’un avantage sélectif du fait de l’adoption des rulings fiscaux contestés.

102 Il convient donc, à la lumière des considérations qui précèdent, d’analyser les moyens invoqués par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE visant à contester la légalité de la décision attaquée.

C. Sur les moyens tirés du dépassement, par la Commission, de ses compétences et de l’ingérence de celle-ci dans les compétences des États membres, notamment en violation du principe d’autonomie fiscale (huitième moyen dans l’affaire T‑778/16 et quatorzième moyen dans l’affaire T‑892/16)

103 En substance, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE font valoir que la décision attaquée constitue une violation des principes constitutionnels fondamentaux de l’ordre juridique de l’Union qui régissent la répartition des compétences entre l’Union et les États membres, tels que prévus notamment aux articles 4 et 5 TUE, et du principe d’autonomie fiscale des États membres qui en découle. En effet, en l’état actuel du droit de l’Union, le domaine de l’imposition directe relèverait de la compétence des
États membres.

104 La Commission conteste ces arguments. En substance elle rappelle que, bien que les États membres jouissent d’une souveraineté fiscale, toute mesure fiscale adoptée par un État membre doit respecter les règles relatives aux aides d’État de l’Union. Ainsi, les États membres ne pourraient, par des mesures fiscales, opérer une discrimination entre des opérateurs économiques se trouvant dans une situation analogue, sous peine de donner lieu à des aides d’État créant des distorsions de marché. Or, les
rulings fiscaux contestés auraient permis à ASI et à AOE de réduire leur bénéfice imposable par rapport au bénéfice imposable d’autres sociétés contribuables relevant du système général d’impôt irlandais sur les sociétés, donnant lieu à des aides d’État illégales et incompatibles.

105 Selon une jurisprudence constante, même si la fiscalité directe relève, en l’état actuel du développement du droit de l’Union, de la compétence des États membres, ces derniers doivent néanmoins exercer cette compétence dans le respect du droit de l’Union (voir arrêt du 12 juillet 2012, Commission/Espagne, C‑269/09, EU:C:2012:439, point 47 et jurisprudence citée). Ainsi, les interventions des États membres en matière de fiscalité directe, quand bien même elles portent sur des questions qui n’ont
pas fait l’objet d’une harmonisation dans l’Union, ne sont pas exclues du champ d’application de la réglementation relative au contrôle des aides d’État.

106 Il en découle que la Commission peut qualifier une mesure fiscale d’aide d’État pour autant que les conditions d’une telle qualification soient réunies (voir, en ce sens, arrêts du 2 juillet 1974, Italie/Commission, 173/73, EU:C:1974:71, point 28, et du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:416, points 81 et 84). En effet, les États membres doivent exercer leur compétence en matière fiscale en conformité avec le droit de l’Union (arrêt du 3 juin 2010,
Commission/Espagne, C‑487/08, EU:C:2010:310, point 37). Par conséquent, ils doivent s’abstenir de prendre, dans ce contexte, toute mesure susceptible de constituer une aide d’État incompatible avec le marché intérieur.

107 Or, s’agissant de la condition selon laquelle la mesure en cause doit octroyer un avantage économique, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, sont considérées comme des aides d’État les interventions qui, sous quelque forme que ce soit, sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises, ou qui doivent être considérées comme un avantage économique que l’entreprise bénéficiaire n’aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché (voir arrêt
du 2 septembre 2010, Commission/Deutsche Post, C‑399/08 P, EU:C:2010:481, point 40 et jurisprudence citée ; arrêt du 9 octobre 2014, Ministerio de Defensa et Navantia, C‑522/13, EU:C:2014:2262, point 21).

108 Plus précisément, une mesure par laquelle les autorités publiques accordent à certaines entreprises un traitement fiscal avantageux qui, bien que ne comportant pas un transfert de ressources d’État, place les bénéficiaires dans une situation financière plus favorable que celle des autres contribuables constitue une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 15 mars 1994, Banco Exterior de España, C‑387/92, EU:C:1994:100, point 14 ; voir, également, arrêt du 8 septembre
2011, Paint Graphos e.a., C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, point 46 et jurisprudence citée).

109 Il découle de ce qui précède que, la Commission étant compétente pour veiller au respect de l’article 107 TFUE, il ne saurait lui être reproché d’avoir outrepassé ses compétences lorsqu’elle a examiné si, en adoptant les rulings fiscaux contestés, les autorités fiscales irlandaises avaient accordé à ASI et à AOE un traitement fiscal avantageux, en leur permettant de réduire leur bénéfice imposable par rapport au bénéfice imposable d’autres sociétés contribuables se trouvant dans une situation
comparable.

110 Dans le cas des mesures fiscales, l’existence même d’un avantage ne peut être établie que par rapport à une imposition dite « normale » (arrêt du 6 septembre 2006, Portugal/Commission, C‑88/03, EU:C:2006:511, point 56). Partant, une telle mesure confère un avantage économique à son bénéficiaire dès lors qu’elle allège les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise et qui, de ce fait, sans être une subvention au sens strict du mot, est de même nature et a des effets identiques
(arrêt du 9 octobre 2014, Ministerio de Defensa et Navantia, C‑522/13, EU:C:2014:2262, point 22).

111 En conséquence, afin de déterminer s’il existe un avantage fiscal, il convient de comparer la situation du bénéficiaire résultant de l’application de la mesure en cause avec celle de celui-ci en l’absence de la mesure en cause (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2018, Cellnex Telecom et Telecom Castilla-La Mancha/Commission, C‑91/17 P et C‑92/17 P, non publié, EU:C:2018:284, point 114) et en application des règles normales d’imposition.

112 L’Irlande ainsi qu’ASI et AOE reprochent à la Commission d’avoir outrepassé ses compétences en ce qu’elle se serait fondée sur une interprétation unilatérale et erronée du droit fiscal irlandais, notamment de l’article 25 du TCA 97. En outre, elle aurait imposé des règles procédurales d’évaluation de la fiscalité nationale qui n’existeraient pas en droit irlandais. Par ailleurs la Commission aurait outrepassé ses compétences en justifiant l’adoption de la décision attaquée par la constatation
selon laquelle ASI et AOE seraient des apatrides fiscales.

113 À cet égard, premièrement, il convient de relever que, en vertu de l’article 25 du TCA 97, les sociétés non résidentes exerçant leur activité commerciale en Irlande par l’intermédiaire d’une succursale sont imposées, en ce qui concerne leurs revenus commerciaux, uniquement sur les bénéfices tirés d’activités commerciales directement ou indirectement imputables à cette succursale irlandaise. Il convient également de relever que, en application de l’article 25 du TCA 97, il est nécessaire de
déterminer les revenus commerciaux effectivement réalisés directement ou indirectement par l’intermédiaire de la succursale irlandaise et qu’aucune méthode spécifique n’est prévue par cette disposition permettant de déterminer quels sont les bénéfices imputables aux succursales irlandaises des sociétés non résidentes.

114 Or, il ressort des écritures de l’Irlande ainsi que des plaidoiries des parties lors de l’audience que, aux fins de l’application de l’article 25 du TCA 97, il doit être tenu compte du cadre factuel et de la situation de la succursale en Irlande, notamment des fonctions exercées, des actifs utilisés et des risques assumés par la succursale.

115 Dans ces circonstances et ainsi qu’il découle de la jurisprudence citée au point 111 ci-dessus, afin de déterminer s’il existait un avantage en l’espèce, la Commission devait pouvoir analyser le traitement fiscal d’ASI et d’AOE, résultant de l’application des rulings fiscaux contestés, avec le traitement fiscal qui aurait été accordé à ces deux sociétés en application des règles normales d’imposition applicables en Irlande en l’absence des rulings en question.

116 Partant, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir procédé à une application unilatérale des règles fiscales de fond et à une harmonisation fiscale de facto, lorsqu’elle a analysé si les bénéfices imposables d’ASI et d’AOE, calculés en vertu des ruling fiscaux contestés, correspondaient aux bénéfices tirés par leurs succursales irlandaises, compte tenu des fonctions exercées, des actifs utilisés et des risques assumés par lesdites succursales, qui auraient été imposables en application
de l’article 25 du TCA 97.

117 Deuxièmement, en ce qui concerne les arguments selon lesquels la Commission aurait imposé des règles procédurales d’évaluation de la fiscalité nationale, en procédant ainsi à une réécriture du droit fiscal irlandais, l’Irlande conteste les griefs soulevés par la Commission à l’encontre des rulings fiscaux contestés, du fait qu’ils n’étaient pas fondés sur des rapports d’attribution de bénéfices (considérants 262 et 363 de la décision attaquée), qu’ils n’avaient pas été régulièrement révisés
(considérant 368 de la décision attaquée) et que, avant de procéder à l’adoption desdits rulings, les autorités fiscales irlandaises n’avaient pas enquêté sur d’autres sociétés au sein du groupe Apple, indépendamment du lieu où ces sociétés étaient actives (considérant 274 de la décision attaquée).

118 À cet égard, il convient de rappeler qu’il ressort de la décision attaquée que la Commission a conclu à l’existence d’un avantage sélectif, à titre principal, du fait de la non-attribution des licences de PI du groupe Apple aux succursales irlandaises d’ASI et d’AOE (considérants 265 à 321 de la décision attaquée), à titre subsidiaire, du fait du choix inadéquat des méthodes d’attribution des bénéfices auxdites succursales irlandaises (considérants 325 à 360 de la décision attaquée) et, à titre
alternatif, du fait que les rulings fiscaux contestés auraient dérogé à l’article 25 du TCA 97, et ce de façon discrétionnaire (considérants 369 à 403 de la décision attaquée).

119 Partant, il ne saurait être considéré que la Commission s’est appuyée sur des reproches de nature procédurale, résumés au point 117 ci-dessus, afin de conclure à l’existence d’un avantage sélectif en l’espèce. Dans ces circonstances, les griefs invoqués par l’Irlande doivent être écartés comme étant inopérants.

120 Troisièmement, s’agissant de la constatation selon laquelle ASI et AOE seraient des apatrides fiscales, il y a lieu de relever que, certes, notamment aux considérants 52, 276, 277 et 281 de la décision attaquée, la Commission a effectivement mis en exergue le fait qu’elle considérait ASI et AOE comme étant des apatrides fiscales, dans le cadre de son raisonnement menant à la conclusion qu’ASI et AOE n’existaient que sur le papier en dehors de l’Irlande.

121 Toutefois, le fait que la Commission ait souligné dans la décision attaquée qu’ASI et AOE étaient des apatrides fiscales ne signifie pas qu’elle a fondé sa conclusion sur l’existence d’un avantage sélectif sur ce constat.

122 Dans ces circonstances, pour les mêmes raisons que celles exposées au point 119 ci-dessus, il y a lieu d’écarter comme étant inopérants les griefs invoqués par l’Irlande et par ASI et AOE relatifs au dépassement des compétences de la Commission du fait qu’elle ait considéré ASI et AOE comme étant des apatrides fiscales.

123 Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le huitième moyen dans l’affaire T‑778/16 et le quatorzième moyen dans l’affaire T‑892/16, tirés du dépassement, par la Commission, de ses compétences et de l’ingérence de celle-ci dans les compétences des États membres.

124 Dans la mesure où la Commission était compétente, dans le cadre du contrôle des aides d’État, pour examiner si les rulings fiscaux contestés avaient constitué une telle aide, il convient donc, par la suite, d’analyser les moyens invoqués par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE visant à contester le bien-fondé de chaque ligne de raisonnement exposée par la Commission dans la décision attaquée afin de démontrer l’existence d’un avantage sélectif en l’espèce.

D. Sur les moyens tirés des erreurs commises dans le cadre du raisonnement à titre principal de la Commission

125 Pour rappel, dans le cadre de son raisonnement à titre principal, la Commission a soutenu, en substance, que, dans la mesure où les sièges d’ASI et d’AOE n’avaient pas pu contrôler ni gérer les licences de PI du groupe Apple, ces sièges n’auraient pas dû se voir attribuer, dans un contexte de pleine concurrence, les bénéfices tirés de l’utilisation de ces licences. Partant, ces bénéfices auraient dû être attribués aux succursales d’ASI et d’AOE, les seules qui auraient été en mesure d’exercer
effectivement des fonctions en rapport avec la PI du groupe Apple et qui étaient essentielles à l’activité commerciale d’ASI et d’AOE.

126 En outre, en réponse aux questions écrites du Tribunal, la Commission a précisé que, par l’expression « bénéfices tirés de l’utilisation des licences de PI d’Apple », qui figure notamment au considérant 304 de la décision attaquée, il fallait comprendre les bénéfices résultant du fait d’attribuer la propriété économique des licences de PI du groupe Apple aux succursales irlandaises. Ces bénéfices résultant de l’utilisation des licences de PI du groupe Apple correspondent, selon la Commission,
aux bénéfices tirés de l’ensemble des ventes d’ASI et d’AOE.

127 L’Irlande ainsi qu’ASI et AOE contestent le raisonnement à titre principal de la Commission, en lui faisant grief, en substance, d’avoir erronément conclu à l’existence d’un avantage sélectif.

128 Tout d’abord, l’Irlande critique la méthode suivie par la Commission dans son analyse menée au sein de son raisonnement à titre principal, en ce qu’elle n’aurait pas analysé séparément les critères de l’avantage et de la sélectivité.

129 Ensuite, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE contestent les conclusions de l’analyse au sein du raisonnement à titre principal de la Commission. D’une part, elles relèvent des erreurs relatives aux appréciations sur le cadre de référence et sur l’imposition normale en vertu du droit fiscal irlandais, du fait de l’application erronée par la Commission de l’article 25 du TCA 97, de son application du principe de pleine concurrence et de son analyse à la lumière du rapport de 2010 sur l’attribution de
bénéfices aux établissements stables, approuvé par le Conseil de l’OCDE le 22 juillet 2010 (ci-après l’« approche autorisée de l’OCDE »). D’autre part, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE contestent les appréciations factuelles de la Commission concernant les activités au sein du groupe Apple.

130 Enfin, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE contestent les conclusions de la Commission quant au caractère sélectif des rulings fiscaux contestés, dans la mesure où, d’une part, une telle sélectivité ne pourrait pas être présumée en l’espèce et où, d’autre part, il n’y aurait pas eu un traitement dérogatoire ou sélectif à l’égard d’ASI et d’AOE, par rapport à d’autres entreprises se trouvant dans une situation comparable. L’Irlande fait valoir que, en tout état de cause, à le supposer établi, un tel
traitement aurait été justifié par la nature et par l’économie du régime fiscal irlandais.

131 La Commission conteste les arguments invoqués par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE.

132 Il convient d’analyser par la suite les moyens visant à contester le raisonnement principal de la Commission en suivant l’ordre des griefs résumés aux points 128 à 130 ci-dessus.

1.   Sur l’examen conjoint des critères de l’avantage et de la sélectivité (partiellement deuxième moyen dans l’affaire T‑778/16)

133 L’Irlande fait valoir que la Commission a ignoré des principes bien établis dans la jurisprudence en confondant les critères de l’avantage et de la sélectivité et lui reproche de ne pas avoir examiné ces deux notions séparément.

134 À cet égard, il convient de rappeler que la sélectivité et l’avantage constituent deux critères distincts. En effet, s’agissant de l’avantage, la Commission doit démontrer que la mesure améliore la situation financière du bénéficiaire (voir, en ce sens, arrêt du 2 juillet 1974, Italie/Commission, 173/73, EU:C:1974:71, point 33). S’agissant de la sélectivité, la Commission doit démontrer que l’avantage ne bénéficie pas à d’autres entreprises dans une situation juridique et factuelle comparable à
celle du bénéficiaire au regard de l’objectif du cadre de référence (arrêt du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a., C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, point 49).

135 Toutefois, il ne saurait être exclu que ces critères puissent être examinés conjointement, dès lors qu’il ressort de l’examen opéré par la Commission, d’une part, que la mesure en cause confère un avantage économique à son bénéficiaire et, d’autre part, que cet avantage ne bénéficie pas à des entreprises placées dans une situation juridique et factuelle comparable.

136 De plus, s’agissant plus spécifiquement de mesures fiscales, ainsi que le soutient à juste titre la Commission, l’examen de l’avantage et celui de la sélectivité coïncident, dans la mesure où ces deux critères impliquent de démontrer que la mesure fiscale contestée conduit à une réduction du montant de l’impôt qui aurait normalement été dû par le bénéficiaire de la mesure en application du régime fiscal ordinaire et, donc, applicable aux autres contribuables se trouvant dans la même situation.
Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence de la Cour que ces deux critères peuvent être examinés conjointement, en tant que « troisième condition » prévue par l’article 107, paragraphe 1, TFUE, portant sur l’existence d’un « avantage sélectif » (voir, en ce sens, arrêt du 30 juin 2016, Belgique/Commission, C‑270/15 P, EU:C:2016:489, point 32).

137 Il ressort de la décision attaquée que la Commission a examiné, dans le cadre de son analyse sur l’existence d’un avantage sélectif (section 8.2 de la décision attaquée), dans quelle mesure les rulings fiscaux contestés avaient entraîné une réduction du montant dû par ASI et AOE au titre de l’impôt sur les sociétés en Irlande, et ce afin de démontrer que ces rulings avaient octroyé un avantage économique à ces sociétés. En outre, la Commission a défini le cadre de référence comme étant constitué
du système de droit commun de l’impôt sur les sociétés en Irlande (section 8.2.1.1 de la décision attaquée). Par ailleurs, dans le cadre des raisonnements à titre principal, à titre subsidiaire et à titre alternatif (sections 8.2.2.2 à 8.2.3.2 de la décision attaquée), la Commission a examiné si les rulings fiscaux contestés, en diminuant le bénéfice annuel imposable de ces entreprises, avaient dérogé à ce cadre de référence, et ce afin d’établir leur caractère sélectif.

138 Dès lors que la Commission a effectivement examiné tant le critère de l’avantage que celui de la sélectivité, il importe peu que cet examen ait porté sur les deux critères à la fois. Il ne saurait donc être considéré que la Commission a commis une erreur de droit du seul fait de les avoir examinés conjointement.

139 Il y a donc lieu de rejeter comme étant non fondé le grief invoqué par l’Irlande et tiré d’un tel examen conjoint des critères de l’avantage et de la sélectivité.

2.   Sur l’identification du cadre de référence et les appréciations relatives à l’imposition normale en vertu du droit irlandais (partiellement premier et deuxième moyens dans l’affaire T‑778/16 et premier, deuxième et cinquième moyens dans l’affaire T‑892/16)

a)   Sur le cadre de référence

140 Aux considérants 227 à 243 de la décision attaquée, la Commission a exposé que le cadre de référence pertinent dans le cadre de son analyse de l’existence d’un avantage sélectif était constitué par le système de droit commun d’imposition des bénéfices des sociétés, prévu par le système de l’impôt sur les sociétés en Irlande, dont l’objectif intrinsèque était d’imposer les bénéfices de toutes les sociétés soumises à l’impôt dans cet État membre.

141 La Commission a considéré que ce cadre de référence comprenait tant les sociétés non intégrées que les sociétés intégrées, dans la mesure où l’impôt sur les sociétés en Irlande n’opérait pas de distinction entre ces sociétés.

142 En outre, la Commission a considéré que, même si les sociétés résidentes et non résidentes étaient imposées sur différentes sources de revenus, au regard de l’objectif intrinsèque de ce système, à savoir l’imposition des bénéfices de toutes les sociétés soumises à l’impôt en Irlande, les deux types de sociétés se trouvaient dans une situation factuelle et juridique comparable. Partant, ce système aurait intégré l’article 25 du TCA 97, lequel n’aurait donc pas pu être considéré comme constituant
à lui seul un cadre de référence distinct.

143 L’Irlande ainsi qu’ASI et AOE contestent cette définition du cadre de référence et soutiennent, en substance, que le cadre de référence pertinent en l’espèce est constitué par l’article 25 du TCA 97, une disposition d’assujettissement distincte, applicable spécifiquement aux sociétés non résidentes, qui ne se trouvent pas dans une situation comparable à celle des sociétés résidentes. En outre, selon l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE, la nature intégrée ou non intégrée des entreprises ne serait pas
la question problématique en l’espèce, laquelle serait plutôt celle de l’imposition des sociétés non résidentes.

144 Il convient de relever que la détermination du cadre de référence est pertinente, dans le cadre de l’analyse des mesures fiscales sous l’angle de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, tant aux fins de l’examen du critère de l’avantage que de celui de la sélectivité.

145 En effet, ainsi qu’il a été relevé au point 110 ci-dessus, dans le cas des mesures fiscales, l’existence même d’un avantage ne peut être établie que par rapport à une imposition dite « normale ». Ainsi, c’est précisément l’imposition dite « normale » qui est établie par le cadre de référence.

146 En outre, la qualification d’une mesure fiscale nationale de sélective suppose, dans un premier temps, l’identification et l’examen préalables du régime fiscal commun ou normal applicable dans l’État membre concerné (arrêt du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a., C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, point 49).

147 Par ailleurs, la Cour a confirmé sa jurisprudence selon laquelle il suffit, pour établir la sélectivité d’une mesure dérogatoire à un régime fiscal commun, qu’il soit démontré que celle-ci bénéficie à certains opérateurs et non à d’autres, alors que l’ensemble de ces opérateurs se trouve dans une situation objectivement comparable au regard de l’objectif poursuivi par le régime fiscal commun (arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981,
point 76).

148 Ainsi, si, aux fins d’établir la sélectivité d’une mesure fiscale, il n’est pas toujours nécessaire que celle-ci ait un caractère dérogatoire par rapport à un régime fiscal commun, la circonstance qu’elle présente un tel caractère est tout à fait pertinente à ces fins lorsqu’il en découle que deux catégories d’opérateurs sont distinguées et font a priori l’objet d’un traitement différencié, à savoir ceux relevant de la mesure dérogatoire et ceux qui continuent de relever du régime fiscal commun,
alors même que ces deux catégories se trouvent dans une situation comparable au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime (arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 77).

149 En outre, la Cour a dit pour droit que la technique réglementaire utilisée ne saurait être un élément décisif aux fins de la détermination du cadre de référence (arrêt du 28 juin 2018, Lowell Financial Services/Commission, C‑219/16 P, non publié, EU:C:2018:508, points 94 et 95).

150 Il découle de la jurisprudence que le cadre de référence est constitué par les règles d’imposition auxquelles est soumis le bénéficiaire de la mesure regardée comme étant constitutive d’une aide d’État. En outre, il en découle que la délimitation matérielle du cadre de référence ne peut se faire qu’en lien avec la mesure regardée comme étant constitutive d’une aide d’État. Dès lors, l’objet des mesures en cause et le cadre juridique dans lequel elles s’intègrent doivent être pris en compte afin
de déterminer le cadre de référence.

151 Par ailleurs, la Commission a précisé son interprétation de la notion de cadre de référence dans la communication relative à la notion d’aide d’État visée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE (JO 2016, C 262, p. 1). Cette communication, si elle n’est pas susceptible de lier le Tribunal, peut toutefois servir de source d’inspiration utile (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 26 juillet 2017, République tchèque/Commission, C‑696/15 P, EU:C:2017:595, point 53).

152 Il est notamment indiqué au point 133 de la communication mentionnée au point 151 ci-dessus que le système de référence est composé d’un ensemble cohérent de règles qui s’appliquent de manière générale – sur le fondement de critères objectifs – à toutes les entreprises relevant de son champ d’application tel que défini par son objectif. Le plus souvent, ces règles définissent non seulement le champ d’application du système, mais aussi les conditions dans lesquelles le système s’applique, les
droits et les obligations des entreprises qui y sont soumises et les aspects techniques du fonctionnement du système.

153 C’est donc à la lumière des considérations qui précèdent qu’il convient de vérifier si la Commission a correctement identifié le cadre de référence pertinent pour examiner la sélectivité des rulings fiscaux contestés.

154 En l’espèce, à la lecture des rulings fiscaux contestés, tels que décrits aux points 11 à 21 ci-dessus, il peut être constaté qu’ils ont été adoptés afin de permettre à ASI et à AOE de déterminer leurs bénéfices imposables en Irlande aux fins de l’impôt sur les sociétés dans cet État membre.

155 Il en découle que les rulings fiscaux contestés s’inscrivent dans le cadre du régime général irlandais de l’impôt sur les sociétés, ayant pour objectif de taxer les bénéfices imposables des sociétés exerçant des activités en Irlande, qu’elles soient résidentes ou non résidentes, intégrées ou autonomes.

156 En effet, il importe de constater que, selon le régime général irlandais, selon la description non contestée par les parties, figurant au considérant 71 de la décision attaquée, l’impôt sur les sociétés en Irlande est prélevé sur le bénéfice des sociétés (article 21, paragraphe 1, du TCA 97). En outre, il y a lieu de relever que l’Irlande applique des taux d’imposition différents aux revenus commerciaux, aux revenus non commerciaux et aux plus-values. Ainsi, l’article 21 du TCA 97 fixe le taux
général de l’impôt sur les sociétés à 12,5 %. Ce taux s’applique aux revenus commerciaux des sociétés imposées au titre du TCA 97, tandis que les revenus non commerciaux sont imposés à un taux de 25 % et les plus-values à un taux de 33 %. Toutefois, les plus-values sur cessions de certaines participations font l’objet d’une exonération.

157 Par ailleurs, ainsi qu’il est indiqué au considérant 72 de la décision attaquée, aux termes de l’article 26 du TCA 97, les sociétés résidentes doivent s’acquitter de l’impôt sur les sociétés, calculé sur leurs bénéfices et leurs plus-values réalisés à l’échelle mondiale, à l’exclusion de la plupart des distributions de bénéfices provenant d’autres sociétés résidentes en Irlande.

158 Enfin, en vertu de l’article 25 du TCA 97, dont le libellé figure au considérant 73 de la décision attaquée, une société non résidente n’est pas soumise à l’impôt sur les sociétés, à moins qu’elle n’exerce une activité commerciale en Irlande par l’intermédiaire d’une succursale ou d’une agence. Dans cette hypothèse, cette société est imposée sur l’ensemble de ses revenus commerciaux tirés directement ou indirectement de la succursale ou de l’agence et des actifs ou des droits utilisés par, ou
détenus par ou pour, la succursale ou l’agence ainsi que sur les plus-values imposables imputables à la succursale ou à l’agence.

159 Ainsi, en vertu de l’article 25, paragraphe 1, du TCA 97, les sociétés non résidentes ne sont pas imposées en Irlande, à moins qu’elles n’y réalisent une activité commerciale par l’intermédiaire d’une succursale ou d’une agence, et dans ce cas-là elles doivent acquitter l’impôt sur les sociétés sur l’ensemble de leurs bénéfices imposables. L’article 25, paragraphe 2, sous a), du TCA 97 définit ces bénéfices imposables comme étant l’ensemble des revenus commerciaux réalisés directement ou
indirectement par l’intermédiaire de la succursale ou de l’agence et l’ensemble des revenus découlant d’actifs ou de droits utilisés par, ou détenus par ou pour, la succursale ou l’agence.

160 Partant, si la première partie de la première phrase de l’article 25, paragraphe 1, du TCA 97 pouvait être comprise comme introduisant une dérogation au régime d’imposition normal, pour les sociétés non résidentes, la seconde partie de cette phrase phrase rend ce régime applicable aux sociétés non résidentes qui exercent des activités commerciales en Irlande par l’intermédiaire d’une succursale, lesquelles doivent acquitter l’impôt sur les sociétés sur l’ensemble de leurs bénéfices imposables.
Partant, en vertu de cette disposition, les conditions d’application de l’impôt sur les sociétés s’appliquent également à ces sociétés.

161 De ce point de vue, les sociétés résidentes et les non résidentes qui exercent des activités commerciales en Irlande par l’intermédiaire d’une succursale se trouvent dans une situation comparable au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime, à savoir imposer les bénéfices imposables. Le fait que les bénéfices imposables de ces dernières soient définis de manière spécifique par l’article 25, paragraphe 2, sous a), du TCA 97 ne saurait ériger celui-ci en cadre de référence, mais relèverait
plutôt de la technique réglementaire utilisée pour l’application de l’impôt sur les sociétés à cette catégorie de sociétés. En effet, ainsi qu’il ressort la jurisprudence citée au points 148 et 149 ci-dessus, l’existence d’une différenciation de traitement à l’égard d’une catégorie de sociétés par rapport aux autres sociétés, du fait d’une telle technique réglementaire, n’impliquerait pas que ces deux catégories de sociétés ne se trouvent pas dans une situation comparable au regard de l’objectif
poursuivi par ledit régime.

162 Partant, les seules dispositions relatives aux bénéfices imposables d’une société non résidente en Irlande, prévues par l’article 25 du TCA 97, ne sauraient constituer un régime spécifique distinct de celui de droit commun. En effet, cette disposition à elle seule ne suffit pas à appliquer de manière cohérente l’impôt sur les sociétés auxdites sociétés non résidentes.

163 Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que la Commission n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que le cadre de référence en l’espèce était constitué par le système de droit commun d’imposition des bénéfices des sociétés en Irlande, dont l’objectif intrinsèque était d’imposer les bénéfices de toutes les sociétés soumises à l’impôt dans cet État membre, et, partant, que ce cadre intégrait les dispositions applicables aux sociétés non résidentes prévues à l’article 25 du TCA 97.

164 Partant, il y a lieu de rejeter les griefs invoqués par l’Irlande et par ASI et AOE relatifs au cadre de référence tel que défini dans la décision attaquée.

165 Compte tenu du cadre de référence tel que défini dans la décision attaquée, à savoir le système de droit commun d’imposition des bénéfices des sociétés, qui intègre notamment les dispositions prévues à l’article 25 du TCA 97, il y a lieu d’analyser les griefs invoqués par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE à l’encontre de l’interprétation par la Commission de ces dispositions.

b)   Sur les appréciations de la Commission relatives à l’imposition normale des bénéfices en vertu du droit fiscal irlandais

166 Dans la décision attaquée (notamment considérants 319 à 321 de cette décision), au titre de son raisonnement principal, la Commission a soutenu que le fait de ne pas attribuer aux succursales irlandaises d’ASI et d’AOE les bénéfices découlant des licences de PI du groupe Apple, détenues par ASI et AOE, a conduit à une détermination des bénéfices annuels imposables d’ASI et d’AOE en Irlande qui s’écartait d’une approximation fiable d’un résultat fondé sur le marché dans des conditions de pleine
concurrence, ce qui aurait réduit le montant normalement dû par ASI et AOE au titre de l’impôt sur les sociétés en Irlande.

167 Cette analyse de la Commission s’appuie sur la considération, exposée aux considérants 244 à 263 de la décision attaquée, selon laquelle l’application de l’article 25 du TCA 97 aux fins de l’attribution de bénéfices à une succursale nécessiterait l’application d’une méthode d’attribution de bénéfices qui, en vertu de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, devrait être fondée sur le principe de pleine concurrence. En outre, au considérant 272 de la décision attaquée, la Commission a renvoyé à
l’approche autorisée de l’OCDE lorsqu’elle a affirmé que les bénéfices à attribuer à une succursale étaient ceux que celle-ci aurait pu réaliser, dans des conditions de pleine concurrence, si elle avait constitué une entreprise distincte et indépendante exerçant des activités identiques ou analogues dans des conditions identiques ou analogues, compte tenu des fonctions exercées, des actifs utilisés et des risques assumés par la société par l’intermédiaire de sa succursale.

168 L’Irlande ainsi qu’ASI et AOE contestent chaque élément du raisonnement décrit aux points 166 et 167 ci-dessus.

169 Ainsi, premièrement, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE contestent l’application de l’article 25 du TCA 97 effectuée par la Commission dans le cadre de son raisonnement principal, en vertu de laquelle elle a reproché aux autorités fiscales irlandaises de ne pas avoir exigé l’attribution, en substance, de l’ensemble des bénéfices de celles-ci à leurs succursales irlandaises.

170 Deuxièmement, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE contestent l’existence d’un principe de pleine concurrence découlant de l’article 107 TFUE, tel qu’invoqué par la Commission dans le cadre de son raisonnement, et qui, partant, ne serait pas applicable en Irlande.

171 Troisièmement, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE font valoir que l’approche autorisée de l’OCDE n’est pas applicable en droit fiscal irlandais. En tout état de cause, à supposer même que l’approche autorisée de l’OCDE puisse être appliquée en l’espèce, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE font valoir que la Commission aurait conclu à tort, sur le fondement de ladite approche, que les bénéfices afférents aux licences de PI du groupe Apple, détenues par ces dernières, auraient dû être attribués à leurs
succursales irlandaises.

172 Il y a donc lieu d’examiner, d’abord, les griefs invoqués par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE, relatifs à l’application de l’article 25 du TCA 97, ensuite, la question de savoir si, dans le cadre de son analyse, la Commission pouvait à bon droit se prévaloir d’un principe de pleine concurrence découlant de l’article 107 TFUE et, enfin, l’application en l’espèce de l’approche autorisée de l’OCDE.

1) Sur l’application de l’article 25 du TCA 97 (partiellement deuxième moyen dans l’affaire T‑778/16 et partiellement premier moyen dans l’affaire T‑892/16)

173 En l’espèce, il est constant entre les parties que :

– ASI et AOE sont des sociétés de droit irlandais, mais ne sont pas considérées comme étant résidentes fiscales en Irlande, ainsi que la Commission l’a reconnu au considérant 50 de la décision attaquée ;

– l’article 25 du TCA 97 contient les dispositions spécifiquement applicables aux sociétés non résidentes, en vertu desquelles, lorsqu’une société non résidente exerce une activité commerciale en Irlande par l’intermédiaire d’une succursale, cette société est imposée notamment sur l’ensemble de ses revenus commerciaux tirés directement ou indirectement de la succursale ;

– les sociétés non résidentes ASI et AOE ont exercé des activités commerciales en Irlande par l’intermédiaire de leurs succursales respectives.

174 Il convient donc d’analyser si la Commission était fondée à considérer que, en application de l’article 25 du TCA 97 et afin de déterminer les bénéfices d’ASI et d’AOE en Irlande, les autorités fiscales irlandaises auraient dû attribuer les licences de PI du groupe Apple aux succursales irlandaises de ces deux sociétés.

175 Selon le droit fiscal irlandais, et notamment selon l’article 25 du TCA 97, dans les cas de sociétés non résidentes exerçant leur activité commerciale en Irlande par l’intermédiaire d’une succursale, seuls sont imposables, d’une part, les bénéfices tirés d’activités commerciales directement ou indirectement imputables à cette succursale irlandaise et, d’autre part, l’ensemble des revenus découlant d’actifs ou de droits utilisés par, ou détenus par ou pour, la succursale.

176 Certes, ainsi que le relève, à juste titre, la Commission et ainsi que le reconnaissent l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE, l’article 25 du TCA 97 ne prévoit pas de méthode spécifique permettant d’établir quels sont les bénéfices directement ou indirectement imputables aux succursales irlandaises des sociétés non résidentes et ne fait aucune mention du principe de pleine concurrence aux fins d’une telle imputation.

177 Toutefois, force est de constater que l’article 25 du TCA 97 vise uniquement les bénéfices découlant des activités que les succursales irlandaises ont elles-mêmes effectuées, à l’exclusion de ceux découlant des activités qui seraient effectuées par d’autres parties de la société non résidente en question.

178 Selon l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE, ce mécanisme d’imposition exclut, en principe, une approche consistant à examiner l’ensemble des bénéfices de la société non résidente et, dans la mesure où ces bénéfices ne peuvent pas être attribués à d’autres parties de cette société, à les imputer, par défaut, aux succursales irlandaises (à savoir une approche « par exclusion »).

179 À cet égard, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE s’appuient sur l’avis d’un expert en droit irlandais, dont la pertinence n’est pas contestée en tant que telle par la Commission. Selon cet avis, l’analyse pertinente pour l’application de l’article 25 du TCA 97 afin de déterminer les bénéfices imposables des sociétés non résidentes effectuant des activités commerciales en Irlande par l’intermédiaire de leurs succursales irlandaises doit porter sur les activités réelles de ces succursales irlandaises et
sur la valeur des activités effectivement réalisées par les succursales elles-mêmes. Cet avis s’appuie notamment sur l’arrêt de la High Court (Haute Cour, Irlande) dans l’affaire S. Murphy (Inspector of Taxes) v Dataproducts (Dub.) Ltd. [1988] I. R. 10 note 4507 (ci-après l’« arrêt Dataproducts »). L’arrêt Dataproducts a également été invoqué en tant que précédent tant au soutien des arguments de l’Irlande et d’Apple Inc. au cours de la procédure administrative qu’au soutien des arguments de
l’Irlande ainsi que d’ASI et d’AOE dans le cadre du présent litige.

180 Il ressort de l’arrêt Dataproducts que les bénéfices issus d’actifs qui sont contrôlés par une société non résidente, même s’ils ont été mis à la disposition de la succursale irlandaise de cette société, ne sauraient être considérés en tant que tels comme étant des bénéfices imputables aux succursales.

181 En effet, il ressort de cet arrêt qu’un actif appartenant à une société non résidente en Irlande et contrôlé par les dirigeants de cette société, ne résidant pas non plus en Irlande, ne saurait être attribué à la succursale de cette société en Irlande, même s’il est mis à sa disposition. Dans la mesure où le personnel et les directeurs de la succursale irlandaise n’avaient pas de contrôle sur l’actif en question, le revenu procédant de cet actif ne pouvait être imputé à cette succursale aux fins
de l’impôt en Irlande. Cette conclusion ne changerait pas même dans la situation où seule la succursale irlandaise emploierait des salariés et aurait des actifs physiques alors que la société non résidente n’aurait pas d’actifs physiques, de salariés ou d’activités commerciales autres que ceux de ladite succursale irlandaise. La société non résidente sans salariés a été considérée comme exerçant le contrôle de ces actifs, par le biais de ses organes de direction.

182 Ainsi, il découle de l’arrêt Dataproducts que la question pertinente aux fins de la détermination des bénéfices de la succursale est de savoir si la succursale irlandaise contrôle ledit actif.

183 En l’espèce, ainsi qu’il a été indiqué aux points 37 à 40 ci-dessus, dans le cadre de son raisonnement à titre principal, la Commission a soutenu en substance que les bénéfices des activités commerciales découlant de la PI du groupe Apple, dont les licences étaient détenues par ASI et AOE, auraient dû être attribués aux succursales irlandaises, dans la mesure où ces sociétés n’avaient pas de présence physique ni de salariés en dehors desdites succursales et n’auraient donc pas pu en exercer le
contrôle.

184 Or, à la lumière de l’arrêt Dataproducts, aux fins de la détermination des bénéfices imputables à la succursale irlandaise d’une société non résidente fiscale, au sens de l’article 25 du TCA 97, les actifs détenus par cette société ne sauraient être attribués à la succursale irlandaise s’il n’est pas établi que ces actifs sont effectivement contrôlés par ladite succursale. En outre, il ressort de cet arrêt que le fait que la société non résidente n’ait pas de salariés ni de présence physique en
dehors de la succursale irlandaise n’est pas en soi un élément déterminant qui empêche de conclure que le contrôle des actifs est exercé par ladite société.

185 Ainsi, si les licences de PI du groupe Apple détenues par ASI et AOE n’étaient pas contrôlées par les succursales irlandaises, l’ensemble des revenus générés par les sociétés découlant de ces licences ne saurait être attribué auxdites succursales en vertu de l’article 25 du TCA 97. En revanche, seuls les bénéfices tirés des activités commerciales des succursales irlandaises, y compris celles effectuées sur le fondement des licences de PI du groupe Apple détenues par ASI et AOE, devraient être
considérés comme étant afférents aux activités des succursales.

186 Il découle de ce qui précède que, en considérant que les licences de PI du groupe Apple auraient dû être attribuées aux succursales irlandaises dans la mesure où ASI et AOE étaient considérées comme n’ayant pas d’employés ni de présence physique pour en assurer la gestion, la Commission a procédé à une attribution de bénéfices « par exclusion » qui n’est pas conforme à l’article 25 du TCA 97. En effet, dans le cadre de son raisonnement principal, la Commission n’a pas cherché à démontrer que les
succursales irlandaises d’ASI et d’AOE avaient effectivement contrôlé les licences de PI du groupe Apple, lorsqu’elle a conclu que les autorités fiscales irlandaises auraient dû attribuer à ces succursales les licences de PI du groupe Apple et que, en conséquence, au titre de l’article 25 du TCA 97, l’ensemble des revenus commerciaux d’ASI et d’AOE auraient dû être considérés comme découlant de l’activité de ces succursales.

187 Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que, ainsi que le font valoir à juste titre l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE par leurs griefs invoqués dans le cadre du deuxième moyen dans l’affaire T‑778/16 et du premier moyen dans l’affaire T‑892/16, la Commission a erronément apprécié, dans le cadre du raisonnement principal, les dispositions du droit fiscal irlandais afférent à l’imposition des bénéfices des sociétés non résidentes en Irlande, mais y exerçant une activité commerciale par
l’intermédiaire d’une succursale.

188 Le raisonnement principal de la Commission s’appuyant sur un ensemble d’appréciations relatives à l’imposition normale des bénéfices en vertu du droit fiscal irlandais, il convient par la suite d’examiner les arguments invoqués par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE à l’encontre des autres éléments inhérents à ces appréciations.

2) Sur le principe de pleine concurrence (partiellement premier moyen et troisième moyen dans l’affaire T‑778/16 et partiellement premier moyen et deuxième moyen dans l’affaire T‑892/16)

189 En substance, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE, soutenues à cet égard par le Grand-Duché de Luxembourg, font valoir que le principe de pleine concurrence ne fait pas partie du droit fiscal irlandais et qu’une obligation autonome d’appliquer ce principe ne ressort ni de l’article 107 TFUE, ni d’aucune autre disposition du droit de l’Union, ni de l’arrêt du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission (C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:416). L’Irlande fait valoir que, en tout état de cause, la
Commission elle-même a fait une application incohérente dudit principe dans la mesure où elle n’a pas pris en compte la réalité économique, la structure et les particularités du groupe Apple.

190 La Commission, soutenue à cet égard par la République de Pologne et l’Autorité de surveillance AELE, conteste ces arguments en faisant valoir en substance que la méthode utilisée pour déterminer les bénéfices imposables au titre de l’article 25 du TCA 97 doit produire une approximation fiable d’un résultat fondé sur le marché, et donc fondée sur le principe de pleine concurrence, qui aurait été appliqué par les autorités fiscales irlandaises par le passé, dans le cadre de l’application de
conventions de double imposition.

191 Il convient donc d’examiner, en premier lieu, si la Commission pouvait à bon droit s’appuyer sur le principe de pleine concurrence afin de vérifier l’existence d’un avantage sélectif et, en second lieu et dans l’affirmative, si la Commission a correctement appliqué ledit principe dans le cadre de son raisonnement principal.

i) Sur la possibilité pour la Commission de s’appuyer sur le principe de pleine concurrence afin de vérifier l’existence d’un avantage sélectif

192 Premièrement, il convient de rappeler que, aux considérants 244 à 248 de la décision attaquée, la Commission a affirmé que, dans la mesure où l’article 25 du TCA 97 n’indiquait pas de quelle manière devait être déterminé le bénéfice imposable d’une succursale irlandaise, cette disposition devait être appliquée en utilisant une méthode d’attribution de bénéfices.

193 Deuxièmement, au considérant 249 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que, selon l’arrêt du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission (C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:416), une réduction de la base imposable qui résultait d’une mesure fiscale permettant à un contribuable d’employer des prix de transfert, dans le cadre de transactions intragroupe, qui n’étaient pas proches des prix qui auraient été pratiqués dans des conditions de libre concurrence entre des entreprises
indépendantes négociant dans des conditions comparables conformément au principe de pleine concurrence, conférait un avantage sélectif à ce contribuable au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

194 En outre, aux considérants 251 et 252 de la décision attaquée, la Commission a précisé que le principe de pleine concurrence visait à garantir que des transactions réalisées entre des sociétés intégrées d’un même groupe soient traitées à des fins fiscales en tenant compte du montant du bénéfice qui aurait été réalisé si les mêmes transactions avaient été conclues par des sociétés autonomes non intégrées, à défaut de quoi les sociétés intégrées du groupe auraient bénéficié d’un traitement
favorable au titre du système commun de l’impôt. Selon la Commission, dans l’arrêt du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission (C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:416), la Cour a approuvé le principe de pleine concurrence comme critère de référence pour déterminer si une société intégrée du groupe bénéficiait d’un avantage sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE du fait d’une mesure fiscale qui déterminait ses prix de transfert et, partant, son assiette fiscale.

195 Troisièmement, au considérant 255 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que le même principe s’appliquait aux transactions internes de différentes parties d’une même société intégrée, par exemple une succursale effectuant des transactions avec les autres parties de la société à laquelle elle appartenait. Selon la Commission, pour qu’une méthode d’attribution de bénéfices, approuvée par un ruling fiscal, ne procure pas d’avantage sélectif à une société non résidente opérant par
l’intermédiaire d’une succursale en Irlande, il est nécessaire que cette méthode parvienne à un bénéfice imposable qui constitue une approximation fiable d’un résultat fondé sur le marché conformément au principe de pleine concurrence. Au considérant 256 de la décision attaquée, elle a ajouté qu’elle appliquait le principe de pleine concurrence non pas comme base à l’« imposition » de taxes qui ne seraient pas normalement dues dans le contexte du cadre de référence, mais comme référence afin de
vérifier si le bénéfice imposable d’une succursale était déterminé de manière à faire en sorte qu’elle ne reçût pas un traitement de faveur par rapport aux sociétés non intégrées dont le bénéfice imposable reflétait les prix négociés sur le marché dans des conditions de pleine concurrence.

196 Quatrièmement, s’agissant de la base juridique dudit principe, la Commission a indiqué, au considérant 255 de la décision attaquée, qu’elle n’appliquait pas directement l’article 7, paragraphe 2, ou l’article 9 du modèle de convention fiscale de l’OCDE, ni les orientations fournies par l’OCDE au sujet de l’attribution de bénéfices ou de la fixation de prix de transfert, lesquels n’étaient pas des instruments contraignants, mais constituaient toutefois des orientations utiles sur la manière
d’assurer que les méthodes d’attribution de bénéfices et de fixation des prix de transfert produisent des résultats conformes aux conditions du marché.

197 En outre, au considérant 257 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que le principe de pleine concurrence qu’elle appliquait découlait de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, tel qu’interprété par la Cour, qui liait les États membres et n’excluait pas de son champ d’application les systèmes fiscaux nationaux. Elle a précisé que ce principe s’appliquait donc indépendamment du fait que l’État membre concerné ait ou non incorporé ledit principe dans son système juridique national.

198 La Commission en a conclu, aux considérants 258 et 259 de la décision attaquée, que s’il pouvait être démontré que les méthodes d’attribution de bénéfices approuvées par les rulings fiscaux contestés débouchaient sur un bénéfice imposable pour ASI et AOE en Irlande s’écartant d’une approximation fiable d’un résultat fondé sur le marché dans des conditions de pleine concurrence, ces rulings devaient être considérés comme procurant un avantage sélectif, dans la mesure où ils auraient entraîné une
réduction du montant de l’impôt sur les sociétés en Irlande par rapport aux sociétés non intégrées dont la base d’imposition était déterminée par les bénéfices qu’elles généraient dans des conditions de marché.

199 D’emblée, ainsi qu’il ressort notamment des considérants 258 et 259 de la décision attaquée, évoqués au point 198 ci-dessus, il importe de souligner que la Commission s’est prévalue du principe de pleine concurrence aux fins de son analyse sur l’existence d’un avantage sélectif du fait des rulings fiscaux contestés, notamment dans le cadre de son raisonnement à titre principal.

200 En outre, il convient de rappeler, ainsi qu’il a été indiqué au point 163 ci-dessus, que le cadre de référence, pertinent aux fins de l’analyse du critère de l’avantage en l’espèce, était constitué par le système de droit commun d’imposition des bénéfices des sociétés en Irlande, dont l’objectif intrinsèque était d’imposer les bénéfices de toutes les sociétés soumises à l’impôt dans cet État membre et, partant, que ce cadre de référence intégrait les dispositions applicables aux sociétés non
résidentes prévues à l’article 25 du TCA 97.

201 Il importe donc d’examiner si la Commission pouvait analyser, au regard du principe de pleine concurrence, notamment dans le cadre de son raisonnement à titre principal, si l’attribution des bénéfices aux succursales irlandaises d’ASI et d’AOE, validée par les rulings fiscaux contestés, avait procuré un avantage sélectif à ces sociétés.

202 Dans le cas des mesures fiscales, l’existence même d’un avantage ne peut être établie que par rapport à une imposition dite « normale » (arrêt du 6 septembre 2006, Portugal/Commission, C‑88/03, EU:C:2006:511, point 56). Partant, une telle mesure confère un avantage économique à son bénéficiaire dès lors qu’elle allège les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise et qui, de ce fait, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques
(arrêt du 9 octobre 2014, Ministerio de Defensa et Navantia, C‑522/13, EU:C:2014:2262, point 22).

203 En conséquence, afin de déterminer s’il existe un avantage fiscal, il convient de comparer la situation du bénéficiaire résultant de l’application de la mesure contestée avec celle de celui-ci en l’absence de la mesure en cause (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2018, Cellnex Telecom et Telecom Castilla-La Mancha/Commission, C‑91/17 P et C‑92/17 P, non publié, EU:C:2018:284, point 114) et en application des règles normales d’imposition.

204 En premier lieu, il convient de rappeler que, en l’espèce, il est question de l’imposition des sociétés non résidentes fiscales en Irlande qui exercent une activité commerciale dans cet État par l’intermédiaire de leurs succursales irlandaises. Il s’agit donc de déterminer les bénéfices qui doivent être attribués à ces succursales aux fins de l’impôt sur les sociétés, dans le cadre de l’imposition dite « normale », compte tenu des règles d’imposition normales applicables en l’espèce, telles que
rappelées au point 200 ci-dessus, qui intègrent les dispositions applicables aux sociétés non résidentes prévues à l’article 25 du TCA 97.

205 Partant, la question pertinente en l’espèce n’est pas une question liée aux prix de transactions intragroupe au sein d’un groupe d’entreprises telle qu’elle s’est posée dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission (T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669).

206 Certes, l’attribution de bénéfices à une succursale au sein d’une société, peut se prêter à l’application par analogie des principes applicables aux prix de transactions intragroupe au sein d’un groupe d’entreprises. En effet, de la même manière que les prix des transactions intragroupe effectuées par des sociétés intégrées au sein d’un même groupe d’entreprises ne sont pas déterminés dans des conditions du marché, l’attribution de bénéfices à une succursale, au sein d’une même société, ne
s’effectue pas dans des conditions de marché.

207 Toutefois, pour qu’une telle application par analogie puisse être effectuée, il devrait découler du droit fiscal national que les bénéfices résultant des activités des succursales d’entreprises non résidentes devraient être imposés comme s’ils résultaient de l’activité économique d’entreprises autonomes opérant dans des conditions de marché.

208 À cet égard, en deuxième lieu, il convient de rappeler que, ainsi qu’il a été indiqué au point 161 ci-dessus, du point de vue des conditions d’application du régime de l’impôt sur les sociétés en Irlande, en vertu de l’article 25 du TCA 97, les sociétés résidentes, d’une part, et les sociétés non résidentes qui exercent des activités commerciales en Irlande par l’intermédiaire d’une succursale, d’autre part, se trouvent dans une situation comparable au regard de l’objectif poursuivi par ledit
régime, à savoir imposer les bénéfices imposables de ces sociétés, tant résidentes que non résidentes.

209 En outre, ainsi qu’il a été relevé au point 179 ci-dessus, l’analyse pertinente pour l’application de l’article 25 du TCA 97 afin de déterminer les bénéfices imposables des sociétés non résidentes effectuant des activités commerciales en Irlande par l’intermédiaire de leurs succursales irlandaises doit porter sur les activités réelles de ces succursales irlandaises et sur la valeur des activités effectivement réalisées par ces succursales elles-mêmes.

210 Par ailleurs, il y a lieu de relever que, interpellée explicitement sur ce point par une question écrite du Tribunal et oralement lors de l’audience, l’Irlande a confirmé que, aux fins de l’application de l’article 25 du TCA 97, telle qu’évoquée au point 209 ci-dessus, la valeur des activités effectivement réalisées par les succursales est déterminée en fonction de la valeur de ce type d’activités sur le marché.

211 Il en résulte que le droit fiscal irlandais entend imposer le bénéfice résultant des activités commerciales d’une telle succursale comme s’il était déterminé dans des conditions de marché.

212 Dans ces conditions, il convient de constater que, lorsqu’elle examine, dans le cadre de la compétence que lui confère l’article 107, paragraphe 1, TFUE, une mesure fiscale visant les bénéfices imposables d’une société non résidente qui exerce des activités commerciales en Irlande par l’intermédiaire d’une succursale, la Commission peut comparer la charge fiscale d’une telle société non résidente résultant de l’application de ladite mesure fiscale avec la charge fiscale résultant de
l’application des règles d’imposition normales du droit national à une société résidente, placée dans une situation factuelle comparable, exerçant ses activités dans des conditions de marché.

213 Ces conclusions sont corroborées, mutatis mutandis, par l’arrêt du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission (C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:416), ainsi que la Commission l’a relevé à bon droit dans la décision attaquée. L’affaire ayant donné lieu à cet arrêt concernait le droit fiscal belge, lequel prévoyait que les sociétés intégrées et les sociétés autonomes soient traitées dans les mêmes conditions. En effet, la Cour a reconnu au point 95 de cet arrêt la nécessité de comparer un régime
d’aide dérogatoire à celui de « droit commun fondé sur la différence entre produits et charges pour une entreprise exerçant ses activités dans des conditions de libre concurrence ».

214 Ainsi, si, par le biais de la mesure fiscale visant les bénéfices imposables d’une société non résidente qui exerce des activités commerciales en Irlande par l’intermédiaire d’une succursale, les autorités nationales ont accepté un certain niveau des bénéfices attribuables à cette succursale, l’article 107, paragraphe 1, TFUE permet à la Commission de contrôler si ce niveau des bénéfices correspond à celui qui aurait été obtenu par l’exercice de ces activités commerciales dans des conditions de
marché, afin de vérifier s’il en résulte un allégement des charges grevant normalement le budget de l’entreprise en cause, lui conférant ainsi un avantage au sens dudit article. Le principe de pleine concurrence, tel que décrit par la Commission dans la décision attaquée, constitue alors un outil permettant d’effectuer cette vérification dans le cadre de l’exercice de ses compétences au titre de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

215 La Commission a d’ailleurs indiqué, à bon droit, au considérant 256 de la décision attaquée, que le principe de pleine concurrence intervenait comme « référence » afin de vérifier si le bénéfice imposable d’une succursale d’une société non résidente était déterminé, aux fins de l’impôt sur les sociétés, de manière à faire en sorte que les sociétés non résidentes opérant par l’intermédiaire d’une succursale en Irlande ne bénéficient pas d’un traitement de faveur par rapport aux sociétés
résidentes autonomes, dont le bénéfice imposable reflétait les prix négociés sur le marché dans des conditions de pleine concurrence.

216 En troisième lieu, il convient en outre de préciser que, lorsque la Commission fait application de cet outil afin de contrôler si le bénéfice imposable d’une société non résidente, qui exerce des activités commerciales en Irlande par l’intermédiaire d’une succursale en application d’une mesure fiscale, correspond à une approximation fiable d’un bénéfice imposable dégagé dans des conditions de marché, elle ne peut constater l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE
qu’à condition que l’écart entre les deux facteurs de comparaison aille au‑delà des imprécisions inhérentes à la méthode appliquée pour obtenir ladite approximation.

217 En quatrième lieu, il convient de relever que, certes, ainsi que le font valoir l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE, lorsque les rulings fiscaux contestés ont été adoptés respectivement en 1991 et en 2007, le principe de pleine concurrence n’avait pas été incorporé en droit fiscal irlandais, ni directement, notamment par l’incorporation des principes applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, adoptés par le comité des
affaires fiscales de l’OCDE le 27 juin 1995 et revues le 22 juillet 2010 (ci-après les « lignes directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert »), ni par le moyen de l’incorporation de l’approche autorisée de l’OCDE aux fins de l’attribution de bénéfices à des succursales de sociétés non résidentes.

218 Toutefois, même en l’absence d’une incorporation formelle de ce principe en droit irlandais, ainsi qu’il vient d’être constaté aux points 209 et 210 ci-dessus, l’Irlande a confirmé que l’application par les autorités fiscales irlandaises de l’article 25 du TCA 97 requérait, d’une part, d’identifier les activités réelles des succursales irlandaises en question et, d’autre part, de déterminer la valeur de ces activités en fonction de la valeur de marché de ce type d’activités.

219 En outre, force est de constater qu’il ressort de l’arrêt de la High Court (Haute Cour), dans l’affaire Belville Holdings v. Cronin [1985] I. R. 465, invoqué par la Commission dans le cadre de sa réponse écrite aux questions du Tribunal et dont la portée a été débattue par les parties lors de l’audience, que, déjà en 1984, les autorités fiscales irlandaises considéraient que, lorsque la valeur déclarée d’une transaction entre entreprises liées ne correspondait pas à celle qui aurait résulté du
commerce, cette valeur devait être ajustée de sorte qu’elle correspondît à une valeur de marché. Or, cette approche, validée sur le principe par la High Court (Haute Cour), impliquait des ajustements équivalents à ceux qui sont proposés, sur le fondement du principe de pleine concurrence, notamment dans le cadre des lignes directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert.

220 Par ailleurs, ainsi que l’a relevé à juste titre la Commission, dans le cadre des conventions de double imposition, signées par l’Irlande avec les États-Unis d’Amérique et avec le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, le principe de pleine concurrence a été inclus, afin de résoudre des situations potentielles de double imposition. Ainsi, ces conventions établissent les bénéfices que chaque État partie auxdites conventions peut imposer lorsqu’une société établie dans l’un de ces
États effectue des activités commerciales dans l’autre État par le biais d’un établissement stable. Partant, il y a lieu de conclure que, au moins dans le cadre de ses relations bilatérales avec ces États, l’Irlande a accepté d’appliquer le principe de pleine concurrence afin d’éviter des situations de double imposition.

221 En cinquième lieu, la Commission ne saurait soutenir, en revanche, ainsi que le font valoir, à juste titre, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE, qu’il existe une obligation autonome d’appliquer le principe de pleine concurrence qui ressort de l’article 107 TFUE et qui oblige les États membres à appliquer ce principe de manière horizontale et dans tous les domaines de leur droit fiscal national.

222 En effet, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, relèvent de la compétence des États membres la désignation des bases d’imposition et la répartition de la charge fiscale sur les différents facteurs de production et les différents secteurs économiques (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, point 97).

223 Si, certes, cela n’implique pas que toute mesure fiscale qui affecte notamment la base d’imposition prise en compte par les autorités fiscales échappe à l’application de l’article 107 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, points 103 et 104), il n’en demeure pas moins que la Commission ne dispose pas, à ce stade du développement du droit de l’Union, d’une compétence lui permettant
de définir de façon autonome l’imposition dite « normale » d’une entreprise intégrée, en faisant abstraction des règles fiscales nationales.

224 Toutefois, si l’imposition dite « normale » est définie par les règles fiscales nationales et si l’existence même d’un avantage doit être établie par rapport à celles-ci, il n’en demeure pas moins que, si ces règles nationales prévoient que les succursales des sociétés non résidentes, en ce qui concerne les bénéfices résultant des activités commerciales de celles-ci en Irlande, et les sociétés résidentes seront imposées dans les mêmes conditions, l’article 107, paragraphe 1, TFUE permet à la
Commission de contrôler si le niveau des bénéfices attribués aux succursales, accepté par les autorités nationales pour la détermination des bénéfices imposables desdites sociétés non résidentes, correspond au niveau des bénéfices qui auraient été obtenus par l’exercice de ces activités commerciales dans des conditions de marché.

225 Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter les arguments de l’Irlande ainsi que d’ASI et d’AOE, invoqués dans le cadre du premier moyen dans l’affaire T‑778/16 et dans les premier et deuxième moyens dans l’affaire T‑892/16, en ce qu’ils contestent que, en l’espèce, la Commission, compte tenu de l’application par les autorités fiscales irlandaises de l’article 25 du TCA 97, ait contrôlé, au moyen du principe de pleine concurrence, tel que défini dans la décision attaquée en tant qu’outil, si
le niveau des bénéfices attribués aux succursales pour leurs activités commerciales en Irlande, tel qu’accepté dans les rulings fiscaux contestés, correspondait au niveau des bénéfices qui auraient été obtenus par l’exercice de ces activités commerciales dans des conditions de marché.

ii) Sur la question de savoir si la Commission a correctement appliqué le principe de pleine concurrence dans le cadre de son raisonnement à titre principal

226 L’Irlande fait valoir, dans le cadre du troisième moyen dans l’affaire T‑778/16, que la Commission elle-même a fait une application incohérente du principe de pleine concurrence dans le cadre de son raisonnement principal, en ce qu’elle n’a pas pris en compte la réalité économique, la structure et les particularités du groupe Apple.

227 À cet égard, il convient de rappeler ce qui a été relevé aux point 209 et 210 ci-dessus, à savoir que l’analyse pertinente pour l’application de l’article 25 du TCA 97, afin de déterminer les bénéfices imposables des sociétés non résidentes effectuant des activités commerciales en Irlande par l’intermédiaire de leurs succursales irlandaises, doit porter sur les activités réelles de ces succursales et sur la valeur de marché des activités effectivement réalisées par les succursales elles-mêmes.

228 Or, dans le cadre de son raisonnement principal, la Commission a conclu que les licences de PI du groupe Apple détenues par ASI et AOE auraient dû être attribuées aux succursales irlandaises du fait de l’absence de personnel et de présence physique de ces deux sociétés, sans chercher à démontrer qu’une telle attribution découlait des activités réellement effectuées par lesdites succursales irlandaises. En outre, la Commission a déduit de cette conclusion que l’ensemble des revenus commerciaux
d’ASI et d’AOE auraient dû être considérés comme découlant de l’activité des succursales irlandaises sans chercher à démontrer que ces revenus représentaient la valeur des activités effectivement réalisées par les succursales elles-mêmes.

229 Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer comme étant fondés les arguments invoqués par l’Irlande dans le cadre du troisième moyen dans l’affaire T‑778/16, en ce qu’ils contestent les conclusions auxquelles, sur le fondement du principe de pleine concurrence, la Commission est parvenue dans le cadre de son raisonnement principal.

230 Pour les raisons indiquées au point 188 ci-dessus, il conviendra par la suite d’examiner les arguments invoqués par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE à l’encontre des appréciations de la Commission dans le cadre de son raisonnement principal relatives à l’approche autorisée de l’OCDE.

3) Sur l’approche autorisée de l’OCDE (partiellement deuxième et quatrième moyens dans l’affaire T‑778/16 et cinquième moyen dans l’affaire T‑892/16)

231 En substance, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE font valoir que l’approche autorisée de l’OCDE ne fait pas partie du système fiscal irlandais, particulièrement en ce qui concerne l’imposition des sociétés non résidentes, prévue par l’article 25 du TCA 97. En effet, cette disposition ne serait pas fondée sur l’approche autorisée de l’OCDE. Par ailleurs, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE soutiennent que, à supposer même que l’attribution des bénéfices imposables au titre de l’article 25 du TCA 97 ait dû
être effectuée conformément à l’approche autorisée de l’OCDE, la Commission en a effectué une application erronée en ce qu’elle n’a pas examiné les fonctions effectivement exercées au sein des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE.

232 Il convient donc d’examiner, en premier lieu, si la Commission pouvait à bon droit s’appuyer sur l’approche autorisée de l’OCDE afin de vérifier l’existence d’un avantage sélectif et, en second lieu et dans l’affirmative, si la Commission a correctement appliqué ladite approche dans le cadre de son raisonnement principal.

i) Sur la possibilité pour la Commission de s’appuyer sur l’approche autorisée de l’OCDE

233 Ainsi qu’il a été indiqué au point 202 ci-dessus, dans le cas de mesures fiscales, l’existence même d’un avantage ne peut être établie que par rapport à une imposition dite « normale » afin de vérifier si lesdites mesures conduisent à une diminution de la charge fiscale des bénéficiaires des mesures en question, par rapport à celle que ces bénéficiaires auraient normalement dû supporter en l’absence desdites mesures.

234 Il en découle que c’est par rapport au droit fiscal irlandais qu’il incombait à la Commission de vérifier si les rulings fiscaux contestés avaient abouti à la création d’un avantage et si celui-ci était de nature sélective.

235 Or, ainsi qu’il découle des considérations indiquées au point 196 ci‑dessus, d’une part, la Commission a explicitement indiqué au considérant 255 de la décision attaquée qu’elle n’appliquait pas directement l’article 7, paragraphe 2, ou l’article 9 du modèle de convention fiscale de l’OCDE ni les orientations fournies par l’OCDE au sujet de l’attribution de bénéfices ou de la fixation de prix de transfert. D’autre part, ainsi qu’il a été indiqué au point 217 ci-dessus, l’approche autorisée de
l’OCDE n’a pas été incorporée au droit fiscal irlandais.

236 Toutefois, même si la Commission a observé à bon droit qu’elle ne saurait être formellement liée par les principes développés au sein de l’OCDE, et plus concrètement par l’approche autorisée de l’OCDE, il n’en demeure pas moins que, dans le cadre de son raisonnement principal, notamment aux considérants 265 à 270 de la décision attaquée, elle s’est fondée, en substance, sur l’approche autorisée de l’OCDE lorsqu’elle a considéré que l’attribution des bénéfices au sein d’une société supposait la
répartition des actifs, des fonctions et des risques entre les différentes parties de cette société. Par ailleurs, la Commission elle-même renvoie directement à l’approche autorisée de l’OCDE afin d’étayer ses considérations, par exemple, à la note en bas de page no 186 de la décision attaquée.

237 À cet égard, il convient de relever que l’approche autorisée de l’OCDE se fonde sur des travaux réalisés par des groupes d’experts, qu’elle reflète le consensus atteint à l’échelle internationale en ce qui concerne l’attribution de bénéfices à des établissements stables et qu’elle revêt de ce fait une importance pratique certaine dans l’interprétation des questions relatives à ladite attribution de bénéfices, ainsi que l’a reconnu la Commission au considérant 79 de la décision attaquée.

238 Par ailleurs, il convient de rappeler que comme l’Irlande elle-même le reconnaît, au point 123 de sa requête, sans que la Commission le conteste, l’application de l’article 25 du TCA 97 requiert de tenir compte du cadre factuel et de la situation des succursales en Irlande, notamment des fonctions exercées, des actifs utilisés et des risques assumés par les succursales. En outre, il convient également de rappeler que, interpellée explicitement sur ce point par une question écrite du Tribunal et
oralement lors de l’audience, l’Irlande a confirmé que, aux fins de déterminer les bénéfices attribuables aux succursales, au sens de l’article 25 du TCA 97, une analyse objective des faits devait être effectuée, comportant, premièrement, l’identification des « activités » effectuées par la succursale, les actifs qu’elle utilise pour ses activités, notamment par rapport aux actifs incorporels, tels que la PI, et les risques s’y rapportant qu’elle assume, et, deuxièmement, la détermination de la
valeur de ce type d’activités sur le marché.

239 Or, contrairement à ce que prétend l’Irlande par ses arguments relatifs aux différences qui existeraient entre l’article 25 du TCA 97 et l’approche autorisée de l’OCDE, force est de constater que, en substance, l’application de l’article 25 du TCA 97, telle que décrite par l’Irlande, et l’analyse fonctionnelle et factuelle dans le cadre de la première étape de l’analyse proposée par l’approche autorisée de l’OCDE se chevauchent.

240 Dans ces circonstances, il ne saurait être fait grief à la Commission de s’être fondée, en substance, sur l’approche autorisée de l’OCDE lorsqu’elle a considéré que, aux fins de l’application de l’article 25 du TCA 97, l’attribution des bénéfices à la succursale irlandaise d’une société non résidente devait prendre en compte la répartition des actifs, des fonctions et des risques entre la succursale et les autres parties de cette société.

ii) Sur la question de savoir si la Commission a correctement appliqué l’approche autorisée de l’OCDE dans le cadre de son raisonnement principal

241 L’Irlande ainsi qu’ASI et AOE, en substance, soutiennent que le raisonnement principal de la Commission n’est pas conforme à l’approche autorisée de l’OCDE, en ce que la Commission aurait considéré que les bénéfices afférents aux licences de PI du groupe Apple auraient dû être nécessairement attribués aux succursales irlandaises d’ASI et d’AOE, dans la mesure où les dirigeants d’ASI et d’AOE n’auraient pas exercé de fonctions actives ou essentielles de gestion de ces licences.

242 À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’approche autorisée de l’OCDE, telle que décrite notamment aux considérants 88 et 89 de la décision attaquée, l’analyse dans la première des étapes vise à identifier les actifs, les fonctions et les risques qui doivent être attribués à l’établissement stable d’une société, en vertu des activités réellement exercées par celle-ci. Certes, l’analyse dans cette première étape ne saurait se faire de manière abstraite, en ignorant les activités et
les fonctions exercées au sein de la société dans son ensemble. Toutefois, la circonstance que l’approche autorisée de l’OCDE insiste sur l’analyse des fonctions réellement exercées au sein de l’établissement stable contredit l’approche adoptée par la Commission consistant, d’une part, à identifier des fonctions exercées par la société dans son ensemble, sans procéder à une analyse plus détaillée des fonctions réellement exercées par les succursales, et, d’autre part, à présumer que les
fonctions avaient été exercées par l’établissement stable, lorsque celles-ci ne pouvaient pas être attribuées au siège central de la société elle-même.

243 En effet, au titre de son raisonnement principal, la Commission a considéré, en substance, que les bénéfices d’ASI et d’AOE, afférents à la PI du groupe Apple (qui, selon la théorie de la Commission, représentaient un part très significative de l’ensemble des bénéfices de ces deux sociétés), devaient être attribués aux succursales irlandaises, du fait qu’ASI et AOE, en dehors desdites succursales, n’auraient pas eu d’employés qui auraient pu gérer cette PI, sans pour autant établir que les
succursales irlandaises avaient exercé ces fonctions de gérance.

244 Il en découle, ainsi que le soutiennent, à juste titre, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE, que l’approche suivie par la Commission dans le cadre de son raisonnement à titre principal n’est pas conforme à l’approche autorisée de l’OCDE.

245 Dans ces circonstances, ainsi que le font valoir à juste titre l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE par leurs griefs, invoqués dans le cadre des deuxième et quatrième moyens dans l’affaire T‑778/16 et du cinquième moyen dans l’affaire T‑892/16, il y a lieu de considérer que la Commission a erronément appliqué, dans le cadre du raisonnement principal, l’analyse fonctionnelle et factuelle des activités effectuées par les succursales d’ASI et d’AOE, sur laquelle se fonde l’application de l’article 25 du
TCA 97 par les autorités fiscales irlandaises et qui correspond, en substance, à celle prévue par l’approche autorisée de l’OCDE.

4) Conclusions sur l’identification du cadre de référence et les appréciations relatives à l’imposition normale en vertu du droit irlandais

246 Au regard des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que la Commission n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a identifié en tant que cadre de référence, en l’espèce, le système de droit commun d’imposition des bénéfices des sociétés, qui intègre notamment les dispositions prévues à l’article 25 du TCA 97.

247 En outre, la Commission n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle s’est prévalue du principe de pleine concurrence en tant qu’outil, aux fins de contrôler si, dans l’application de l’article 25 du TCA 97 par les autorités fiscales irlandaises, le niveau des bénéfices attribués aux succursales pour leurs activités commerciales en Irlande, tel qu’accepté dans les rulings fiscaux contestés, correspondait au niveau des bénéfices qui auraient été obtenus par l’exercice de ces activités commerciales dans
des conditions de marché.

248 Par ailleurs, il ne saurait être fait grief à la Commission de s’être fondée, en substance, sur l’approche autorisée de l’OCDE lorsqu’elle a considéré que, aux fins de l’application de l’article 25 du TCA 97, l’attribution des bénéfices à la succursale irlandaise d’une société non résidente devait prendre en compte la répartition des actifs, des fonctions et des risques entre la succursale et les autres parties de cette société.

249 En revanche, il y a lieu relever que, dans le cadre de son raisonnement à titre principal, la Commission a commis des erreurs en ce qui concerne l’application de l’article 25 du TCA 97, ainsi qu’il a été constaté au point 187 ci-dessus, du principe de pleine concurrence, ainsi qu’il a été relevé au point 229 ci-dessus, et de l’approche autorisée de l’OCDE, ainsi qu’il a été constaté aux points 244 et 245 ci-dessus. Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que le raisonnement à titre
principal de la Commission a été fondé sur des appréciations erronées sur l’imposition normale en vertu du droit fiscal irlandais applicable en l’espèce.

250 Aux fins d’exhaustivité, il conviendra toutefois d’examiner par la suite les griefs invoqués par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE à l’égard des appréciations factuelles de la Commission concernant les activités au sein du groupe Apple.

3.   Sur les appréciations de la Commission concernant les activités au sein du groupe Apple (premier moyen dans l’affaire T‑778/16 et troisième et quatrième moyens dans l’affaire T‑892/16)

251 Ainsi qu’il a été constaté au point 177 ci-dessus, l’article 25 du TCA 97 vise les bénéfices découlant des activités que les succursales irlandaises ont elles-mêmes effectuées. En outre, il convient de rappeler, ainsi qu’il a été relevé au point 238 ci-dessus, que l’application de l’article 25 du TCA 97 requiert de tenir compte du cadre factuel et de la situation des succursales en Irlande, notamment des fonctions exercées, des actifs utilisés et des risques assumés par les succursales.

252 En outre, il convient de relever que la Commission a elle-même souligné, aux considérants 91 et 92 de la décision attaquée, que l’approche autorisée de l’OCDE, s’agissant de la question de l’attribution aux établissements stables de biens incorporels, tels que la PI, s’appuie sur la notion des fonctions humaines significatives liées à la gestion du bien en question et à la prise de décisions, notamment quant au développement du bien incorporel.

253 Il convient donc d’examiner les griefs invoqués par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE dans le cadre du premier moyen dans l’affaire T‑778/16 et des troisième et quatrième moyens dans l’affaire T‑892/16 à l’encontre des appréciations factuelles de la Commission concernant les activités au sein du groupe Apple.

254 En substance, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE font valoir que les activités et les fonctions menées par les succursales irlandaises de ces dernières, identifiées par la Commission, ne représentaient qu’une infime partie de leur activité économique et de leurs bénéfices et que, en tout état de cause, ces activités et fonctions n’ont inclus ni la gestion ni la prise de décisions stratégiques concernant le développement et la commercialisation de la PI. En revanche, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE font
valoir que toutes les décisions stratégiques, particulièrement en ce qui concerne la conception et le développement des produits, ont été prises suivant une stratégie commerciale globale déterminée à Cupertino et mises en œuvre par les deux sociétés en question, par leurs organes de direction, en tout état de cause, en dehors des succursales irlandaises. Partant, l’attribution aux succursales irlandaises des licences de PI du groupe Apple ne serait pas justifiée.

a)   Sur les activités de la succursale irlandaise d’ASI

255 Ainsi qu’il a été indiqué au point 9 ci-dessus, la succursale irlandaise d’ASI est notamment responsable de la réalisation des activités d’achat, de vente et de distribution, associées à la vente de produits de la marque Apple à des parties liées et à des clients tiers dans les régions couvrant la région EMEIA ainsi que la région APAC.

256 Aux considérants 289 et 290 de la décision attaquée, la Commission a fait référence au contrôle de qualité des produits, à la gestion des infrastructures de R&D et aux risques d’entreprise comme étant des fonctions devant être nécessairement attribuées aux succursales irlandaises, compte tenu du fait qu’ASI et AOE, en dehors desdites succursales, n’avaient pas de personnel qui aurait pu prendre en charge de telles fonctions.

257 Plus spécifiquement, la Commission a souligné que, dans la mesure où la succursale irlandaise d’ASI était autorisée à distribuer des produits de la marque Apple, ses activités nécessitaient un accès à ladite marque, lequel aurait été intégralement accordé à ASI sous la forme de licences de PI du groupe Apple (considérant 296 de la décision attaquée).

258 La Commission a, ensuite, relevé que la succursale irlandaise d’ASI exerçait un certain nombre de fonctions essentielles au développement et au maintien de la marque Apple sur les marchés locaux ainsi qu’à la fidélisation des clients à cette marque sur ces marchés. À titre d’exemple, elle a relevé que la succursale irlandaise d’ASI avait engagé directement des coûts de marketing locaux auprès de fournisseurs de services de marketing (considérant 297 de la décision attaquée). En outre, la
succursale irlandaise d’ASI aurait été responsable de la collecte et de l’analyse des données régionales en vue d’établir les prévisions de la demande de produits de la marque Apple (considérant 298 de la décision attaquée). Par ailleurs, la Commission a mis en exergue que [confidentiel] postes équivalents temps plein (ETP) dans la catégorie R&D étaient établis en Irlande (considérant 300 de la décision attaquée).

259 Premièrement, s’agissant de l’attribution « par exclusion » effectuée par la Commission, aux considérants 289 à 295 de la décision attaquée, consistant à imputer aux succursales irlandaises d’ASI et d’AOE les fonctions de contrôle de qualité, de gestion des infrastructures de R&D et de gestion des risques d’entreprise, uniquement en raison du fait que ASI et AOE n’auraient pas eu de personnel en dehors de leurs succursales irlandaises, il y a lieu de rappeler les considérations effectuées aux
points 243 et 244 ci-dessus, selon lesquelles une telle méthode n’est pas conforme au droit irlandais ni à l’approche autorisée de l’OCDE. En effet, par ce raisonnement la Commission n’est pas parvenue à démontrer que ces fonctions avaient été effectivement exécutées par les succursales irlandaises.

260 Pour étayer son appréciation, la Commission s’appuie sur l’annexe B de l’accord de partage des coûts tel que modifié en 2009, qui inclut deux tableaux, reproduits dans les schémas nos 8 et 9 de la décision attaquée (considérant 122 de la décision attaquée), concernant l’ensemble des fonctions pertinentes portant sur les biens incorporels qui font l’objet de l’accord en question et les risques qui y sont afférents. Chacune de ces fonctions et chacun de ces risques est associé par un « x »,
respectivement, à Apple Inc. (identifié en tant qu’« Apple ») et à ASI et AOE (identifiées collectivement en tant que « International Participant »), à l’exception de l’enregistrement et de la protection de la PI, qui est uniquement associée à Apple Inc.

261 Ainsi, pour les biens incorporels qui font l’objet de l’accord de partage des coûts, à savoir, en substance, l’ensemble de la PI du groupe Apple, les fonctions énumérées à l’annexe B dudit accord comprennent la R&D, le contrôle de la qualité, la prévision, la planification financière et l’analyse liées aux activités de développement, la gestion d’infrastructures de R&D, la passation de contrats avec des parties liées ou des parties tierces concernant les activités de développement, la gestion
administrative des contrats liés aux activités de développement, la sélection, l’engagement et la supervision du personnel, des contractants et des sous-traitants pour effectuer les activités de développement, l’enregistrement et la défense de la PI et le développement des ventes.

262 S’agissant des risques énumérés dans cette annexe B de l’accord de partage des coûts, ceux-ci comprennent, pour l’ensemble de la PI du groupe Apple, notamment les risques liés au développement des produits, à la qualité des produits, au développement des marchés, à la responsabilité découlant des produits, aux actifs fixes ou corporels, à la protection de la PI et aux violations de celle‑ci ainsi qu’au développement et à la reconnaissance de la marque et les risques liés à l’évolution des
régimes réglementaires.

263 Ainsi que l’ont fait valoir Apple Inc. lors de la procédure administrative et ASI et AOE devant le Tribunal, il ressort de l’annexe en question qu’il s’agit de fonctions que les parties à l’accord de partage des coûts étaient autorisées à exercer et des risques qui y étaient afférents qu’elles pouvaient être amenées à assumer. Or, la Commission n’a fourni aucun élément de preuve pour démontrer que ces fonctions avaient été effectivement exercées par ASI et AOE, et encore moins par leurs
succursales irlandaises.

264 En outre, la Commission fait valoir, à l’égard de ces fonctions et de ces risques, qu’il est « évident » qu’ASI et AOE n’auraient pas pu surveiller de tels risques sans salariés en dehors de leurs succursales. Or, la Commission n’apporte aucun élément de preuve qui démontre que le personnel des succursales en question a effectivement exercé ces fonctions et géré ces risques.

265 Par ailleurs, l’Irlande, tant dans le cadre de la procédure administrative avec Apple Inc. que devant le Tribunal avec ASI et AOE, a fait valoir que la succursale d’ASI n’avait pas eu de personnel jusqu’en 2012, année avant laquelle tout le personnel avait été employé par la succursale irlandaise d’AOE. Cette information est indiquée au considérant 109 de la décision attaquée et a été confirmée pendant l’audience. Or, si l’argument de la Commission selon lequel ASI n’aurait pas pu effectuer des
fonctions en dehors de sa succursale en l’absence de personnel devait être suivi, cela impliquerait que, pour une grande partie de la période couverte par l’examen de la Commission, ces fonctions n’auraient pas pu être exercées non plus par la succursale irlandaise d’ASI, qui n’avait pas de personnel non plus.

266 De même, la Commission s’appuie sur le fait que le conseil d’administration d’ASI, au moyen uniquement de réunions occasionnelles, n’aurait pas été en mesure d’effectuer ces fonctions ni d’assumer ces risques. Or, la Commission n’a pas cherché à établir que les organes de gestion des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE avaient effectivement exercé la gestion quotidienne active de l’ensemble des fonctions et des risques afférents à la PI du groupe Apple qui sont énumérés dans l’annexe B de
l’accord de partage des coûts.

267 Enfin, au regard des activités et des risques énumérés dans l’annexe B de l’accord de partage des coûts, indiqués aux points 261 et 262 ci-dessus, il peut être conclu qu’il s’agit, en substance, de l’ensemble des fonctions au cœur du modèle économique (business model) du groupe Apple, centré sur le développement de produits technologiques. En ce qui concerne particulièrement les risques énumérés dans ladite annexe, ils peuvent être considérés comme étant des risques clés, inhérents à ce modèle
économique. Or, la Commission prétend, en substance, que la succursale irlandaise d’ASI a exercé toutes ces fonctions et a assumé tous ces risques liés aux activités du groupe Apple en dehors du continent américain, sans apporter d’éléments de preuve sur l’exercice et la prise en charge concrète de ces fonctions et de ces risques par la succursale en question. Compte tenu de l’importance des activités du groupe Apple en dehors du continent américain, représentant approximativement 60 % du
chiffre d’affaires du groupe, une telle considération par la Commission n’est pas raisonnable.

268 Deuxièmement, s’agissant des activités et des fonctions que la Commission a énumérées aux considérants 296 à 300 de la décision attaquée, comme ayant été effectivement exercées par la succursale irlandaise d’ASI, il convient de relever que, en l’espèce, aucune de ces activités et de ces fonctions, qu’elles soient prises séparément ou dans leur ensemble, ne justifie l’attribution des licences de PI du groupe Apple à cette succursale.

269 Ainsi, en ce qui concerne le contrôle de qualité, ASI et AOE ont fait valoir, sans être contredites sur ce point par la Commission, que des milliers de personnes étaient occupées, dans le monde entier, dans la fonction du contrôle de qualité alors qu’une seule personne était employée dans cette fonction en Irlande. En outre, elles ont fait valoir que ces fonctions pouvaient même être externalisées dans le cadre d’accords avec des équipementiers tiers.

270 À cet égard, force est de constater que le fait qu’une fonction telle que le contrôle de qualité soit cruciale pour la réputation de la marque Apple, dont les produits étaient distribués par la succursale irlandaise d’ASI, ne permet pas de conclure, en l’absence d’autres éléments de preuve, qu’elle a été nécessairement exercée par cette succursale.

271 En ce qui concerne la gestion de l’exposition aux risques dans le cadre de l’activité normale des succursales, la Commission a avancé comme seul argument qu’il était « évident » que, ASI n’ayant pas d’employés, elle ne pouvait pas contrôler et surveiller les risques commerciaux. À cet égard, il suffit de renvoyer aux considérations exposées au point 266 ci-dessus, selon lesquelles il appartenait à la Commission de prouver avec des éléments concrets que les succursales d’ASI et d’AOE avaient
exécuté les fonctions, et assumé les risques, qui leur étaient attribuées. Partant, le raisonnement de la Commission, loin d’aboutir à un résultat évident, ne saurait prouver que ce type de fonctions a été effectivement exercé par la succursale irlandaise d’ASI.

272 S’agissant de la gestion d’infrastructures de R&D, ASI et AOE ont fait valoir, sans être contredites par la Commission, qu’aucune personne employée par les succursales irlandaises n’était chargée de telles infrastructures.

273 S’agissant des [confidentiel] postes ETP qui figureraient en tant qu’employés dans la fonction R&D, ASI et AOE ont fourni des explications détaillées sur les tâches spécifiquement menées par ces employés, à savoir l’assurance du respect de normes de sécurité et de protection de l’environnement dans la région [confidentiel], le test des produits pour assurer leur conformité avec les normes techniques applicables dans la région [confidentiel], l’assistance à l’équipe établie à Cupertino dans la
livraison des logiciels [confidentiel], la traduction des logiciels vers les différentes langues de la région [confidentiel] et le soutien administratif [confidentiel]. Or ces activités seraient de nature clairement auxiliaire et, aussi importantes qu’elles soient, elles ne sauraient être considérées comme des fonctions clés qui déterminent l’attribution des licences de la PI du groupe Apple aux succursales irlandaises en question.

274 En ce qui concerne les coûts de marketing local auprès de fournisseurs de services de marketing, le fait que la succursale d’ASI ait engagé ces coûts n’implique pas que cette succursale soit responsable de la conception de la stratégie de marketing en elle-même. En effet, ainsi que le font valoir ASI et AOE, sans être contredites par la Commission, la succursale irlandaise d’ASI n’avait pas de personnel affecté à la fonction marketing.

275 S’agissant des activités de collecte et d’analyse des données régionales, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE ne contestent pas que ces dernières ont participé pendant la période pertinente à de telles activités. Toutefois, ainsi que le soutiennent l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE, sans pour autant être contredites par la Commission, ces activités semblent avoir consisté en la simple collecte de données qui avaient vocation à être regroupées dans une base de données globale. Or, ces activités de
traitement statistique de données semblent plutôt des activités auxiliaires que des activités essentielles pour l’ensemble des activités commerciales d’ASI. En tout état de cause, la responsabilité à l’égard de ces activités relevant de la collecte de données ne saurait justifier l’attribution des licences de PI du groupe Apple aux succursales irlandaises.

276 S’agissant des activités relatives au service AppleCare, au considérant 299 de la décision attaquée, la Commission a indiqué, en s’appuyant sur le rapport ad hoc présenté par l’Irlande, qu’il s’agissait des services après-vente et des services liés à la réparation des produits de la marque Apple dans toute la région EMEIA, desquels la succursale irlandaise d’ASI était responsable. La Commission a considéré que, dans la mesure où l’objectif de cette fonction était d’assurer la satisfaction des
clients, elle avait un lien direct avec la marque Apple.

277 À cet égard, il convient de relever qu’il ressort du rapport ad hoc présenté par l’Irlande, sur lequel la Commission s’est appuyée elle-même, que la succursale irlandaise d’ASI a exercé plusieurs fonctions qualifiées d’« exécution », suivant les orientations et la direction stratégique définies aux États-Unis, dont le service AppleCare. Dans le cadre de ce service, les responsabilités de la succursale d’ASI ont été décrites comme étant liées aux programmes de garantie et de réparation des
produits de la marque Apple, à la gestion du réseau de fournisseurs de services de réparation et au support téléphonique pour des clients. Les tâches spécifiquement effectuées par la succursale d’ASI ont été décrites comme consistant en la collecte de données sur les irrégularités des produits ainsi que la surveillance (monitoring) de ces irrégularités et des produits retournés, qui étaient transmises aux équipes d’analyse situées aux États-Unis. En outre, il est indiqué que la succursale d’ASI
était responsable de la gestion des fournisseurs de services de réparation, agréés de manière centralisée au sein du groupe Apple, et de la distribution de pièces pour la réparation au sein du réseau des fournisseurs. Cette description est équivalente à celle avancée par le rapport ad hoc présenté par Apple Inc. La Commission n’a pas contesté cette description des tâches exercées par la succursale irlandaise d’ASI dans le cadre du service AppleCare.

278 Lors de l’audience, ASI et AOE ont confirmé qu’AppleCare consistait en un service effectué par la succursale irlandaise, qui a pris en charge les coûts relatifs à l’infrastructure et au personnel afférents à ce service. Ce personnel était notamment chargé de répondre aux questions des utilisateurs des produits de la marque Apple, par le biais d’un support téléphonique (call centre).

279 Au regard de la description du service AppleCare, effectuée par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE, à laquelle la Commission renvoie dans la décision attaquée, il y a lieu de considérer qu’il s’agit d’un service de support après-vente pour les utilisateurs des produits de la marque Apple, notamment par la prise en charge de la réparation ou de l’échange des produits défectueux. Ainsi, la nature de ce service de support effectué par la succursale irlandaise est plutôt un auxiliaire à la mise en
œuvre de la garantie elle-même, qui relève de la responsabilité d’ASI. Par ailleurs, un tel service après-vente n’est pas lié à la conception, au développement, à la fabrication et à la vente des produits eux-mêmes.

280 Or, quand-bien même la qualité d’un service après-vente aurait un impact important sur la perception de la marque ou pourrait être à l’origine d’améliorations apportées aux produits, l’exercice de ces activités par la succursale irlandaise d’ASI, ne saurait nécessairement impliquer l’attribution des licences de PI du groupe Apple. En effet, les services après-vente sont souvent externalisés sans que pour autant la PI de la société en question doive être attribuée au fournisseur externe en
question.

281 Troisièmement, l’analyse des activités de la succursale irlandaise d’ASI, y compris des fonctions retenues par la Commission comme justifiant l’attribution des licences de PI du groupe Apple à ladite succursale, fait apparaître qu’elles constituent des fonctions de routine, en exécution d’instructions données par les dirigeants établis aux États-Unis et qui n’apportent pas d’une manière significative de la valeur ajoutée aux activités d’ASI prises dans leur ensemble. À cet égard, il convient de
relever que notamment dans les rapports ad hoc présentés par Apple Inc., il a été procédé à une analyse détaillée des activités de la succursale d’ASI. Ces deux rapports ont conclu à la nature routinière de ces activités, en les caractérisant comme étant des activités d’approvisionnement, de vente et de distribution à risque limité. Bien que la Commission conteste cette dernière qualification, elle n’a pas réfuté en tant que telle la description de ces activités et fonctions effectuée par
l’Irlande ainsi que par Apple Inc.

282 Quatrièmement, la Commission a fait valoir que ces activités et ces fonctions exercées par la succursale irlandaise d’ASI auraient nécessité un accès à la marque Apple. Or, quand bien même les activités de la succursale irlandaise d’ASI auraient eu un impact sur l’image et le prestige de la marque Apple et que leur exercice ait même nécessité l’utilisation de la PI du groupe Apple, cet accès et cette utilisation de la marque par la succursale pouvaient être assurés par des licences spécifiques
aux besoins d’utilisation par ladite succursale, sans que l’attribution de l’ensemble des licences de la PI en question soit nécessaire. Partant, par ses arguments, la Commission n’est pas parvenue à prouver que les licences de PI du groupe Apple détenues par ASI devaient être attribuées à la succursale de celle-ci.

283 À la suite de l’analyse des fonctions et des activités effectuées par la succursale irlandaise d’ASI, identifiées par la Commission comme celles justifiant l’attribution à ladite succursale des licences de PI du groupe Apple détenues par ASI, il y a lieu de conclure qu’il s’agit d’activités auxiliaires et d’exécution de politiques et de stratégies conçues et adoptées en dehors de cette succursale, notamment en ce qui concerne la recherche, le développement et la commercialisation des produits de
la marque Apple.

284 Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure, à l’instar de l’Irlande ainsi que d’ASI et d’AOE, que la Commission a erronément considéré que les fonctions et les activités effectuées par la succursale irlandaise d’ASI justifiaient l’attribution à cette succursale des licences de PI du groupe Apple et des revenus en découlant.

b)   Sur les activités de la succursale irlandaise d’AOE

285 Ainsi qu’il a été indiqué au point 10 ci-dessus, la succursale irlandaise d’AOE est responsable de la fabrication et du montage des ordinateurs de bureau iMac, des ordinateurs portables MacBook et d’autres accessoires informatiques. Ces activités ont lieu en Irlande. Elle fournit ses produits à des partenaires liés au sein du groupe Apple.

286 En ce qui concerne la succursale irlandaise d’AOE, au considérant 301 de la décision attaquée, la Commission relève que cette succursale développait des processus propres et une expertise en matière de fabrication et assurait des fonctions d’assurance et de contrôle de la qualité nécessaires à la préservation de la valeur de la marque Apple.

287 En outre, aux considérants 301 et 302 de la décision attaquée, la Commission a relevé que les coûts couverts par l’accord de partage des coûts associés à cette succursale ont été pris en compte dans le cadre du ruling fiscal de 1991 et que, dans le ruling fiscal de 2007, un pourcentage de [confidentiel] de son chiffre d’affaires aurait été prévu en tant que rémunération de la PI. Sur le fondement de ces éléments, la Commission a considéré que les autorités irlandaises auraient dû conclure que la
succursale irlandaise d’AOE participait au développement de la PI ou à la gestion et au contrôle des licences de PI du groupe Apple.

288 Premièrement, les considérations exprimées aux points 259 à 272 ci‑dessus sont également applicables en ce qui concerne la succursale irlandaise d’AOE, dans la mesure où la Commission fait valoir indistinctement, à l’égard des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE, ses arguments concernant les fonctions de contrôle de qualité, de gestion d’infrastructures de R&D et de gestion des risques de l’entreprise.

289 Deuxièmement, en ce qui concerne, plus spécifiquement, les procédures propres et l’expertise en matière de fabrication, les parties ne contestent pas la réalité de l’exercice de ces fonctions par la succursale irlandaise d’AOE. Toutefois, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE contestent les conséquences que la Commission en tire.

290 À cet égard, il convient de relever qu’il s’agit des procédures propres et de l’expertise qui ont été développées par la succursale irlandaise d’AOE elle-même dans le cadre de ses activités de fabrication. Ainsi, quand bien même ces éléments pourraient bénéficier de la protection de certains droits de propriété intellectuelle, il s’agit d’un domaine restreint et propre aux activités de cette succursale irlandaise. Partant, cela ne justifie pas l’attribution de l’ensemble des licences de PI du
groupe Apple à cette succursale.

291 Troisièmement, ainsi que l’Irlande et ASI et AOE le font valoir et que la Commission le reconnaît, les rulings fiscaux contestés auraient tenu compte des contributions de la succursale irlandaise d’AOE à la PI du groupe Apple.

292 Ainsi, d’une part, dans le cas du ruling fiscal de 1991, ainsi que la Commission l’indique au considérant 302 de la décision attaquée, la contribution de la succursale irlandaise d’AOE aux coûts associés à l’accord de partage des coûts a été incluse parmi les coûts d’exploitation, à partir desquels le bénéfice imposable d’AOE a été calculé. Partant, une partie du bénéfice imposable d’AOE était censée être calculée en prenant en compte une partie de la PI du groupe Apple. Or la Commission n’a
apporté aucun élément pour étayer son argument, exprimé au considérant 302 de la décision attaquée, selon lequel, du fait qu’une partie des coûts afférents à la PI du groupe Apple avait été prise en compte afin de calculer le bénéfice imposable d’AOE, les autorités irlandaises auraient dû attribuer l’ensemble des licences de PI du groupe Apple à la succursale irlandaise d’AOE.

293 D’autre part, dans le cas du ruling fiscal de 2007, l’existence d’une PI propre aux activités de fabrication de la succursale irlandaise d’AOE et la rémunération correspondante ont été reconnues de manière explicite par l’inclusion, dans la formule pour le calcul du bénéfice imposable d’AOE, d’un rendement sur la PI développée par cette succursale. À cet égard la Commission n’a apporté aucun élément pour étayer son argument, exprimé au considérant 303 de la décision attaquée, selon lequel, du
fait de cette rémunération afférente à la PI développée par la succursale irlandaise d’AOE, celle-ci participait au développement, à la gestion ou au contrôle des licences afférentes à l’ensemble de la PI du groupe Apple. Or, le fait qu’une rémunération pour la PI spécifiquement développée dans le cadre des activités de fabrication de la succursale irlandaise d’AOE ait été attribuée à cette dernière n’implique pas que les licences relatives à l’ensemble de la PI du groupe Apple doivent lui être
attribuées également.

294 Partant, la Commission ne saurait se fonder sur la seule intervention de la succursale irlandaise d’AOE dans la création de procédures propres et dans le développement de l’expertise de fabrication des produits desquels elle est responsable pour conclure que des bénéfices liés à l’ensemble de la PI du groupe Apple auraient dû être attribués à cette succursale.

295 Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure, à l’instar de l’Irlande ainsi que d’ASI et d’AOE, que la Commission a erronément considéré que les fonctions et les activités effectuées par la succursale irlandaise d’AOE justifiaient l’attribution à cette succursale des licences de PI du groupe Apple et des revenus en découlant.

c)   Sur les activités en dehors des succursales d’ASI et d’AOE

296 Ainsi qu’il a été évoqué aux points 37 à 40 ci-dessus, le raisonnement principal de la Commission dans la décision attaquée se fonde sur la thèse selon laquelle les licences de PI du groupe Apple détenues par ASI et AOE auraient dû être attribuées à leurs succursales irlandaises, du fait que, en dehors de ces succursales, ASI et AOE n’avaient pas de présence physique ni d’employés susceptibles d’assurer les fonctions clés et la gestion des licences en question, leurs succursales étant les seules
à avoir une présence tangible et des employés au sein d’ASI et d’AOE.

297 Il convient d’examiner les arguments de l’Irlande ainsi que d’ASI et d’AOE, visant à contester la thèse de la Commission, selon lesquels, en substance, la prise de décision stratégique au sein du groupe Apple a été centralisée à Cupertino et ces dernières, par le biais de leurs organes de direction, ont exécuté ces décisions, sans que leurs succursales irlandaises aient activement pris part à cette prise de décision.

1) Sur la prise de décisions stratégiques au sein du groupe Apple

298 L’Irlande ainsi qu’ASI et AOE font valoir que le « centre de gravité » des activités du groupe Apple était à Cupertino et non en Irlande. En effet, toutes les décisions stratégiques, particulièrement en ce qui concerne la conception et le développement des produits du groupe Apple, auraient été prises, suivant une stratégie commerciale globale désignée pour l’ensemble du groupe, à Cupertino. Cette stratégie centralement décidée aurait été mise en œuvre par les sociétés du groupe, notamment ASI
et AOE, lesquelles auraient agi par l’intermédiaire de leurs organes de direction, comme toute autre société, en vertu des règles du droit des sociétés applicable.

299 À cet égard, il y a lieu de relever notamment qu’ASI et AOE ont présenté, dans le cadre de la procédure administrative et au soutien de leurs écritures dans les présents recours, des éléments de preuve sur le caractère centralisé des décisions stratégiques au sein du groupe Apple, prises par des directeurs, à Cupertino, puis exécutées en cascade par les différentes entités du groupe, telles qu’ASI et AOE. Ces procédures centralisées concernent, notamment, la fixation des prix, les décisions
relatives à la comptabilité ainsi que le financement ou la trésorerie concernant toutes les activités internationales du groupe Apple, qui auraient été adoptées de manière centrale sous la direction de la société mère, Apple Inc.

300 Plus spécifiquement, en ce qui concerne les décisions dans le domaine R&D, qui est à l’origine notamment de la PI du groupe Apple, ASI et AOE ont fourni des éléments qui démontrent que les décisions relatives aux produits à développer, qui devaient être par la suite commercialisés notamment par elles, et à la stratégie de R&D, à suivre notamment par elles, avaient été prises et mises en œuvre par des dirigeants du groupe établis à Cupertino. Il ressort également de ces éléments de preuve que les
stratégies de lancement des nouveaux produits, et, notamment, l’organisation de la distribution sur les marchés européens plusieurs mois avant la date de lancement prévue, ont été établies au niveau du groupe Apple, notamment par les cadres dirigeants du groupe (Executive Team) sous la direction du directeur général du groupe, à Cupertino.

301 En outre, il ressort du dossier que les contrats avec les producteurs tiers (Original Equipment Manufacturers ou OEMs), responsables de la fabrication d’une grande partie des produits vendus par ASI, ont été négociés et signés par la société mère, Apple Inc., et par ASI, par l’intermédiaire de leurs directeurs respectifs, directement ou par procuration. ASI et AOE ont aussi présenté des éléments de preuve sur les négociations et la signature des contrats avec des clients, tels que les opérateurs
de télécommunications qui assurent une partie importante des ventes en détail des produits de la marque Apple, et notamment des téléphones portables. Il ressort de ces éléments que les négociations en question ont été menées par des directeurs du groupe Apple, et ce pour des contrats signés, pour le groupe Apple, par Apple Inc. et par ASI, par leurs directeurs respectifs, directement ou par procuration.

302 Partant, dans la mesure où il est avéré que, notamment en ce qui concerne le développement des produits du groupe Apple à l’origine de la PI du groupe Apple, les décisions stratégiques ont été prises pour l’ensemble du groupe Apple à Cupertino, la Commission a erronément conclu que la gestion de la PI du groupe Apple, dont les licences étaient détenues par ASI et AOE, a été nécessairement assumée par leurs succursales irlandaises.

2) Sur la prise de décisions par ASI et AOE

303 En ce qui concerne la capacité d’ASI et d’AOE de prendre des décisions affectant leurs fonctions essentielles par le biais de leurs organes de direction, il y a lieu de relever que la Commission elle-même a pris acte de l’existence des conseils d’administration et de leurs réunions régulières durant la période pertinente et a présenté, dans les tableaux nos 4 et 5 de la décision attaquée, des extraits des procès-verbaux desdites réunions qui confirment ces faits.

304 Or, le fait que les procès-verbaux des réunions des conseils d’administration ne montrent pas de détails sur les décisions concernant la gestion des licences de PI du groupe Apple, sur l’accord de partage des coûts et sur les décisions commerciales importantes ne saurait exclure l’existence de ces décisions elles‑mêmes.

305 Au vu des extraits des procès-verbaux repris par la Commission dans les tableaux nos 4 et 5 de la décision attaquée, leur caractère sommaire est suffisant pour comprendre comment les décisions clés pour la société au cours de chaque exercice fiscal, telles que l’approbation des comptes annuels, ont été adoptées et actées aux procès-verbaux des réunions des conseils d’administration pertinents.

306 Ainsi, les résolutions des conseils d’administration, actées dans ces procès-verbaux, portaient, notamment, de manière régulière (et à plusieurs reprises dans l’année), sur le versement de dividendes, l’approbation des rapports des directeurs ainsi que la nomination et la démission de directeurs. En outre, de manière plus occasionnelle, ces résolutions concernaient la constitution de filiales et la procuration autorisant certains directeurs à exécuter différentes activités telles que la gestion
des comptes bancaires, les relations avec les gouvernements et les organismes publics, les audits, la prise d’assurances, les locations, l’achat et la vente d’actifs, la réception de marchandises et les contrats commerciaux. En outre, il ressort de ces procès-verbaux que des pouvoirs très larges de gestion ont été délégués en faveur d’administrateurs individuels.

307 En outre, en ce qui concerne l’accord de partage des coûts, il ressort des informations présentées par ASI et AOE que les différentes versions de cet accord durant la période pertinente ont été signées par des membres de leurs conseils d’administration, et ce à Cupertino.

308 Par ailleurs, selon des informations détaillées fournies par ASI et AOE, tant dans le cas d’ASI que dans le cas d’AOE, seul un directeur était établi en Irlande sur un total de, respectivement, quatorze et huit directeurs qui auraient fait partie des conseils d’administration d’ASI et d’AOE pour chaque exercice fiscal dans la période pendant laquelle les rulings fiscaux contestés étaient en vigueur.

309 Partant, la Commission a erronément considéré qu’ASI et AOE, par le biais de leurs organes de direction, notamment leurs conseils d’administration, n’avaient pas les capacités d’exercer les fonctions essentielles des sociétés en question, le cas échéant, en déléguant leurs pouvoirs à des dirigeants individuels, en dehors du personnel des succursales irlandaises.

d)   Conclusions sur les activités au sein du groupe Apple

310 Il ressort des considérations qui précèdent que, en l’espèce, la Commission n’est pas parvenue à démontrer que, eu égard, d’une part, aux activités et aux fonctions effectivement exercées par les succursales irlandaises d’ASI et d’AOE et, d’autre part, aux décisions stratégiques prises et mises en œuvre en dehors de ces succursales, lesdites succursales irlandaises auraient dû se voir attribuer les licences de PI du groupe Apple, aux fins de la détermination des bénéfices annuels imposables
d’ASI et d’AOE en Irlande.

311 Dans ces circonstances, il y a lieu d’accueillir les griefs invoqués par l’Irlande dans le cadre du premier moyen dans l’affaire T‑778/16 et par ASI et AOE dans le cadre des troisième et quatrième moyens dans l’affaire T‑892/16, à l’encontre des appréciations factuelles de la Commission sur les activités des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE et les activités en dehors desdites succursales.

4.   Conclusion sur l’appréciation de la Commission relative à l’existence d’un avantage sélectif sur le fondement de son raisonnement à titre principal

312 Au vu des constatations relevées au point 249 ci-dessus sur les appréciations erronées de la Commission sur l’imposition normale en vertu du droit fiscal irlandais applicable en l’espèce ainsi que des constatations relevées au point 310 ci-dessus sur les appréciations erronées de la Commission en ce qui concerne les activités au sein du groupe Apple, il y a lieu d’accueillir les moyens tirés du fait que, dans le cadre de son raisonnement principal, la Commission n’est pas parvenue à démontrer
que, en adoptant les rulings fiscaux contestés, les autorités fiscales irlandaises ont octroyé un avantage à ASI et à AOE, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

313 Il n’est donc pas nécessaire d’examiner les moyens visant à contester, dans le cadre du raisonnement principal, les appréciations de la Commission sur la sélectivité des mesures en cause et l’absence de justification pour celles-ci.

314 Ainsi, il convient d’examiner par la suite les moyens invoqués par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE contestant les appréciations portées par la Commission dans le cadre des raisonnements à titre subsidiaire et à titre alternatif dans la décision attaquée.

E. Sur les moyens contestant les appréciations portées par la Commission dans le cadre du raisonnement à titre subsidiaire (quatrième moyen dans l’affaire T‑778/16 et huitième moyen dans l’affaire T‑892/16)

315 Dans le cadre de son raisonnement à titre subsidiaire dans la décision attaquée (considérants 325 à 360), la Commission a soutenu que, même si les autorités fiscales irlandaises avaient, à bon droit, accepté que les licences de PI du groupe Apple détenues par ASI et AOE n’aient pas dû être attribuées à leurs succursales irlandaises, les méthodes d’attribution des bénéfices approuvées dans les rulings fiscaux contestés auraient abouti, tout de même, à un résultat s’écartant d’une approximation
fiable d’un résultat fondé sur le marché selon le principe de pleine concurrence, du fait que ces méthodes sous-évaluaient le bénéfice annuel imposable d’ASI et d’AOE en Irlande.

316 Plus précisément, notamment aux considérants 328 à 330 de la décision attaquée, la Commission a soutenu que les méthodes d’attribution de bénéfices approuvées dans les rulings fiscaux contestés constituaient des méthodes unilatérales d’attribution de bénéfices qui ressemblaient à la méthode transactionnelle de la marge nette (ci-après la « MTMN »), telle que prévue par les lignes directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert.

317 Or, selon la Commission, les méthodes d’attribution de bénéfices approuvées par les rulings fiscaux contestés ont été entachées d’erreurs, tirées, premièrement, du choix des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE comme point central ou « partie testée » des méthodes unilatérales d’attribution des bénéfices (considérants 328 à 333 de la décision attaquée), deuxièmement, du choix des coûts d’exploitation comme indicateur du niveau des bénéfices (considérants 334 à 345 de la décision attaquée) et,
troisièmement, du fait des niveaux de rémunération acceptés (considérants 346 à 359 de la décision attaquée). Chacune de ces erreurs a entraîné, selon la Commission, une réduction de la charge de l’impôt de ces sociétés en Irlande par rapport aux sociétés non intégrées dont le bénéfice imposable reflétait les prix négociés sur le marché dans des conditions de pleine concurrence (considérant 360 de la décision attaquée).

318 Ainsi, force est de constater que l’ensemble des appréciations portées par la Commission dans le cadre de son raisonnement subsidiaire visent à établir l’existence d’un avantage qui aurait été accordé à ASI et à AOE du fait que les méthodes d’attribution des bénéfices, validées par les rulings fiscaux contestés, n’avaient pas abouti à des bénéfices de pleine concurrence.

319 À cet égard, il y a lieu de relever que le seul non-respect de prescriptions méthodologiques, notamment dans le cadre des lignes directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert, ne suffit pas à conclure que le bénéfice calculé n’est pas une approximation fiable d’un résultat de marché et, encore moins, que le bénéfice calculé est inférieur au bénéfice qui aurait dû être obtenu si la méthode de détermination des prix de transfert avait été correctement appliquée. Ainsi, le seul constat
d’une erreur méthodologique ne suffit pas, à lui seul, à démontrer que les mesures fiscales litigieuses ont conféré un avantage aux bénéficiaires desdites mesures. En effet, encore faut-il que la Commission démontre que les erreurs méthodologiques identifiées ont abouti à une réduction du bénéfice imposable et donc de la charge fiscale supportée par ces bénéficiaires, au regard de celle qu’ils auraient supportée en application des règles d’imposition normales du droit national en l’absence des
mesures fiscales en question.

320 C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il convient d’analyser les arguments soulevés par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE à l’encontre des appréciations de la Commission résumées au point 315 à 317 ci-dessus.

321 L’Irlande ainsi qu’ASI et AOE invoquent, d’abord, des griefs à l’encontre des appréciations de la Commission sur l’application de la MTMN et sur le fait qu’elle s’est appuyée sur des instruments développés au sein de l’OCDE. Par la suite, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE contestent les trois erreurs méthodologiques spécifiquement soulevées par la Commission, à savoir celles concernant le choix des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE comme « partie testée » des méthodes d’attribution de
bénéfices, le choix des coûts d’exploitation comme indicateur du niveau des bénéfices et les niveaux de rémunération acceptés dans les rulings fiscaux contestés.

1.   Sur l’appréciation portée sur les méthodes d’attribution des bénéfices avalisées par les rulings fiscaux contestés à la lumière de la MTMN

322 Les parties s’opposent, en substance, sur la question de savoir dans quelle mesure la Commission aurait pu se prévaloir, aux fins de son raisonnement à titre subsidiaire, du principe de pleine concurrence, tel que prescrit dans les lignes directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert, auxquelles renvoie l’approche autorisée de l’OCDE. Plus spécifiquement, elles s’opposent sur la question de savoir si la Commission pouvait utiliser la MTMN, telle que prévue notamment dans lesdites lignes
directrices, afin de vérifier si la méthode d’attribution de bénéfices avalisée par les rulings fiscaux contestés aurait abouti à des bénéfices imposables d’ASI et d’AOE inférieurs à ceux d’une société se trouvant dans une situation comparable.

323 En premier lieu, en ce qui concerne l’application de l’approche autorisée de l’OCDE, il y a lieu de rappeler les considérations indiquées aux points 233 à 245 ci-dessus. Ainsi, en substance, bien que l’approche autorisée de l’OCDE n’ait pas été incorporée en droit fiscal irlandais, la façon dont l’article 25 du TCA 97 est appliquée par les autorités fiscales irlandaises se recoupe pour l’essentiel avec l’analyse proposée par l’approche autorisée de l’OCDE. En effet, d’une part, l’application de
l’article 25 du TCA 97, telle que décrite par l’Irlande dans sa requête et ainsi qu’elle a été confirmée pendant l’audience, requiert d’abord une analyse des fonctions exercées, des actifs utilisés et des risques assumés par les succursales, ce qui, en substance, correspond à la première étape de l’analyse proposée par l’approche autorisée de l’OCDE. D’autre part, s’agissant de la seconde étape de cette analyse, il y a lieu de rappeler que l’approche autorisée de l’OCDE renvoie aux lignes
directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert. À cet égard, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE n’ont pas contesté l’affirmation de la Commission, figurant notamment au considérant 265 de la décision attaquée, selon laquelle les méthodes d’attribution de bénéfices validées par les rulings fiscaux contestés ressemblaient aux méthodes unilatérales de fixation de prix de transfert, indiqués dans les lignes directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert, comme la MTMN.

324 En second lieu, il y a lieu de relever que, dans le cadre de la procédure administrative, l’Irlande et Apple Inc. ont présenté des rapports ad hoc, établis par leurs conseillers fiscaux respectifs, lesquels s’appuyaient précisément sur la MTMN aux fins de démontrer que les bénéfices imposables d’ASI et d’AOE en Irlande, qui ont été effectivement déclarés en Irlande sur le fondement des rulings fiscaux contestés, étaient compris dans un intervalle de pleine concurrence. Or, l’Irlande ainsi qu’ASI
et AOE ne sauraient reprocher à la Commission de s’être fondée sur l’approche autorisée de l’OCDE et d’utiliser la MTMN dans le cadre de son raisonnement subsidiaire, alors qu’elles-mêmes s’en sont prévalues dans le cadre de la procédure administrative.

325 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter les griefs à l’encontre de l’utilisation par la Commission de la MTMN, telle que prévue notamment dans les lignes directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert, afin de vérifier si la méthode d’attribution de bénéfices avalisée par les rulings fiscaux contestés avait abouti à une réduction de la charge fiscale d’ASI et d’AOE.

326 Dans ces circonstances, il conviendra d’examiner, par la suite, les arguments de l’Irlande ainsi que d’ASI et d’AOE, tirés de l’application de la MTMN par la Commission dans le cadre de son raisonnement à titre subsidiaire, afin d’examiner si cette dernière est parvenue à démontrer que les rulings fiscaux contestés avaient conféré un avantage à ASI et à AOE.

327 À cet égard, les parties s’opposent quant aux constatations de la Commission relatives à trois erreurs dans la méthode d’attribution de bénéfices avalisée par les rulings fiscaux contestés, concernant, premièrement, le choix des succursales comme parties testées, deuxièmement, le choix des coûts d’exploitation comme indicateur du niveau des bénéfices et, troisièmement, les niveaux des rémunérations acceptées.

2.   Sur le choix des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE comme étant la « partie testée » dans l’application des méthodes d’attribution de bénéfices

328 Il importe de rappeler que, aux considérants 328 à 333 de la décision attaquée, la Commission a relevé que, à supposer même que les licences de la PI du groupe Apple aient été correctement attribuées aux sièges centraux d’ASI et d’AOE, ceux-ci n’avaient pas pu exercer des fonctions complexes sans personnel ni présence physique. En revanche, selon la Commission, les succursales irlandaises avaient exercé des fonctions liées à la PI qui étaient essentielles à la promotion et à la reconnaissance de
la marque dans la région EMEIA. La Commission en a déduit que les succursales irlandaises d’ASI et d’AOE avaient été erronément choisies comme parties testées.

329 À cet égard, il convient de relever que la MTMN constitue une méthode unilatérale de détermination des prix de transfert. Elle consiste à déterminer, à partir d’une base appropriée, le bénéfice net que réalise un contribuable, à savoir la « partie testée », au titre d’une transaction contrôlée ou au titre de transactions contrôlées qui sont étroitement liées ou continues. Afin de déterminer cette base appropriée, il y a lieu de choisir un indicateur du niveau des bénéfices, tel que les coûts,
les ventes ou les actifs. L’indicateur du bénéfice net obtenu par le contribuable au titre d’une transaction contrôlée doit être déterminé par référence à l’indicateur du bénéfice net que le même contribuable ou une entreprise indépendante réalise au titre de transactions comparables sur le marché libre. La MTMN implique donc d’identifier une partie à la transaction pour laquelle un indicateur est testé. Il s’agit de la « partie testée ».

330 En outre, selon les lignes directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert de 2010, auxquelles la Commission renvoie notamment aux considérants 94 et 255 de la décision attaquée, en tant qu’orientations utiles, et sur lesquelles s’appuient également les rapports ad hoc présentés par l’Irlande et Apple Inc., le choix de la partie testée doit être compatible avec l’analyse fonctionnelle de la transaction. Par ailleurs, il est indiqué que, en règle générale, la partie testée est celle à qui
une méthode de prix de transfert peut être appliquée de la manière la plus fiable et pour laquelle les données comparables les plus fiables peuvent être identifiées. Ce sera le plus souvent celle dont l’analyse fonctionnelle est la moins complexe.

331 Premièrement, il y a lieu de souligner que, dans la décision attaquée, notamment au considérant 333 de celle-ci, la Commission s’est limitée à affirmer que l’erreur quant à la détermination de l’entité à tester avait conduit à une diminution du bénéfice imposable d’ASI et d’AOE.

332 Or, ainsi qu’il a été indiqué au point 319 ci‑dessus, le seul non-respect de prescriptions méthodologiques dans l’application d’une méthode d’attribution de bénéfices ne suffit pas à conclure que le bénéfice calculé n’est pas une approximation fiable d’un résultat de marché et, encore moins, que le bénéfice calculé est inférieur au bénéfice qui aurait dû être obtenu si la méthode de détermination des prix de transfert avait été correctement appliquée.

333 Partant, le seul constat par la Commission d’une erreur méthodologique tirée du choix de la partie testée dans le cadre des méthodes d’attribution de bénéfices aux succursales irlandaises d’ASI et d’AOE validées par les rulings fiscaux contestés, même à la supposer avérée, ne suffit pas, à lui seul, à démontrer que lesdits rulings fiscaux ont conféré un avantage à ASI et à AOE. En effet, il aurait fallu encore que la Commission démontrât qu’une telle erreur avait abouti à une réduction du
bénéfice imposable de ces deux sociétés, qu’elles n’auraient pas obtenue en l’absence de ces rulings. Or, en l’espèce, la Commission n’a pas avancé d’éléments visant à prouver que le choix des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE comme parties testées avait abouti à une réduction du bénéfice imposable de ces sociétés.

334 Deuxièmement et en tout état de cause, il convient de relever que, dans le cadre de la MTMN, il est nécessaire de choisir au préalable une partie à tester, notamment en fonction des fonctions exercées par cette partie, afin de pouvoir calculer par la suite la rémunération dans le cadre d’une transaction liée à ces fonctions. Le fait que ce soit, normalement, la partie qui exerce les fonctions les moins complexes qui soit choisie ne préjuge pas des fonctions qui sont réellement exercées par la
partie choisie et de la détermination de la rémunération de ces fonctions.

335 En effet, les lignes directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert ne prescrivent pas quelle partie à la transaction doit être choisie, mais recommandent le choix de l’entreprise pour laquelle des données fiables sur les transactions les plus étroitement comparables peuvent être identifiées. Il est ensuite précisé que cela implique souvent de choisir l’entreprise associée qui est la moins complexe des entreprises concernées par la transaction et qui ne possède pas d’actifs incorporels de
valeur ou d’actifs uniques. Il en découle que lesdites lignes directrices n’imposent pas nécessairement de choisir l’entité la moins complexe, mais que celles-ci conseillent seulement de choisir l’entité pour laquelle il existe le plus de données fiables.

336 Ainsi, pour autant que les fonctions de la partie testée aient été correctement identifiées, et que la rémunération de ces fonctions ait été correctement calculée, le fait qu’une partie ou une autre ait été choisie en tant que partie testée est sans pertinence.

337 Troisièmement, il convient de rappeler que la Commission a fondé son raisonnement à titre subsidiaire sur la prémisse selon laquelle les licences de PI du groupe Apple ont été attribuées correctement aux sièges centraux d’ASI et d’AOE.

338 À cet égard, ainsi que le soulignent, à juste titre, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE, il y a lieu de relever que la PI constitue l’actif clé pour une entreprise, telle que le groupe Apple, dont le modèle économique s’appuie essentiellement sur les innovations technologiques. Cette PI peut donc être considérée, en l’espèce, comme un actif unique, au regard des lignes directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert.

339 Or, ainsi qu’il ressort de l’approche autorisée de l’OCDE, en principe, dans le cas d’une entreprise telle que le groupe Apple, le seul fait pour une des parties d’être titulaire de la PI implique l’exercice de fonctions humaines significatives par rapport à cet actif incorporel, telles que la prise active de décisions quant à la mise en place du programme de développement à l’origine de cette PI et la gestion active de celui-ci. L’attribution de la PI à une partie de l’entreprise peut donc être
considérée comme un indice de l’exercice par cette partie de fonctions complexes.

340 Il en découle que la Commission ne saurait prétendre, dans son raisonnement à titre subsidiaire, que la PI du groupe Apple était correctement attribuée aux sièges d’ASI et d’AOE et, en même temps, que ce sont les succursales irlandaises de ces deux sociétés qui ont exercé les fonctions les plus complexes à l’égard de cette PI, sans fournir aucun élément de preuve quant à l’exercice effectif de telles fonctions complexes par lesdites succursales.

341 En revanche, ainsi qu’il a été constaté aux points 281 et 290 ci-dessus, la Commission n’est pas parvenue en l’espèce à démontrer que ces succursales avaient effectivement exercé des fonctions et pris des décisions déterminantes pour la PI du groupe Apple, notamment quant à sa conception, à sa création et à son développement.

342 Quatrièmement, il y a lieu de relever que les rulings fiscaux contestés se fondent sur les descriptions des fonctions des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE effectuées dans les demandes adressées par le groupe Apple aux autorités fiscales irlandaises. Ainsi qu’il ressort des considérants 54 à 57 de la décision attaquée, ces fonctions consistent en l’achat, la vente et la distribution de produits de la marque Apple à des parties liées et à des clients tiers dans la région EMEIA, dans le cas
de la succursale d’ASI, et en la fabrication et le montage d’une gamme spécialisée de produits informatiques en Irlande, dans le cas de la succursale d’AOE.

343 Or force est de constater que ces fonctions peuvent être considérées, de prime abord, comme étant facilement identifiables et pas particulièrement complexes. Elles ne constituent pas, en tout état de cause, des fonctions de caractère unique et spécifique pour lesquelles des données comparables sont difficilement identifiables. Au contraire, il s’agit de fonctions courantes et de caractère relativement standard dans les relations commerciales entre entreprises.

344 Certes, les informations présentées par le groupe Apple aux autorités fiscales irlandaises préalablement à l’adoption des rulings fiscaux contestés étaient très succinctes quant aux fonctions, aux actifs et aux risques des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE. En effet, les rulings fiscaux contestés ont été adoptés à la suite de l’envoi par les conseillers fiscaux du groupe Apple aux autorités fiscales irlandaises de quelques lettres sommaires dans lesquelles ils ont brièvement décrit les
activités des succursales d’ASI et d’AOE et proposé une méthodologie pour calculer les bénéfices imposables de ces deux sociétés en Irlande. Le contenu de ces échanges est assez vague et fait ressortir que les discussions entre les autorités fiscales irlandaises et les conseillers fiscaux du groupe Apple, lors de deux rencontres, ont été décisives aux fins de la détermination du bénéfice imposable de ces sociétés, sans qu’une analyse objective et détaillée sur les fonctions des succursales et
sur l’évaluation de ces fonctions ait été documentée.

345 Ainsi, à la différence des rapports ad hoc qui ont été présentés par l’Irlande et Apple Inc. ex post facto dans le cadre de la procédure administrative, aucun rapport sur l’attribution des bénéfices ni aucune information supplémentaire n’ont été fournis aux autorités fiscales irlandaises préalablement à l’adoption des rulings fiscaux contestés.

346 Par ailleurs, ainsi qu’il a été confirmé lors l’audience, les informations concernant les activités des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE fournies en anticipation du ruling fiscal de 1991 n’ont pas été complétées de manière significative préalablement à l’adoption du ruling fiscal de 2007 et n’ont pas été mises à jour par la suite.

347 Ce manque d’éléments de preuve présentés auprès des autorités fiscales irlandaises concernant les fonctions effectivement exécutées par les succursales irlandaises et l’évaluation de celles-ci aux fins de la détermination du bénéfice attribuable auxdites succursales peut être considéré comme une défaillance méthodologique dans l’application de l’article 25 du TCA 97, qui requiert, d’emblée, l’exécution d’une analyse des fonctions exercées, des actifs utilisés et des risques assumés par les
succursales.

348 Toutefois, aussi regrettable que soit cette défaillance méthodologique, la Commission, dans le cadre de son contrôle des aides d’État en vertu de l’article 107 TFUE, ne saurait, quant à elle, se contenter de soulever que le choix des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE comme parties testées dans l’application de la méthode d’attribution de bénéfices a été erroné, sans prouver que les fonctions effectivement exercées par ces succursales constituaient des fonctions particulièrement complexes,
uniques ou difficilement individualisées, de sorte que des données comparables pour procéder à une telle méthode unilatérale d’attribution de bénéfices n’auraient pas été identifiables ou fiables et que, dès lors, l’attribution en résultant aurait été nécessairement erronée.

349 Par ailleurs et en tout état de cause, à supposer même qu’une telle erreur dans la méthode d’attribution de bénéfices soit avérée, ainsi qu’il a été exposé aux points 319 et 332 ci-dessus, la Commission doit prouver que l’attribution des bénéfices en question a abouti à un allégement de la charge fiscale des sociétés en question par rapport à celle qu’elles auraient supportée en l’absence des rulings fiscaux contestés, de sorte qu’un avantage a été effectivement accordé.

350 Or, la Commission n’a présenté aucun élément de preuve dans le cadre de son raisonnement subsidiaire visant à démontrer qu’une telle défaillance méthodologique, tirée de l’absence d’informations présentées aux autorités fiscales irlandaises, a conduit à une réduction de la base imposable d’ASI et d’AOE du fait de l’application des rulings fiscaux contestés.

351 Au regard des considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir les griefs invoqués par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE à l’encontre des constatations de la Commission sur le choix erroné des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE comme parties testées dans l’application des méthodes d’attribution de bénéfices sur lesquels se sont fondés les rulings fiscaux contestés.

3.   Sur le choix des coûts d’exploitation comme indicateur du niveau des bénéfices

352 À titre liminaire, il convient de rappeler que, dans le cadre des rulings fiscaux contestés (voir points 12 à 21 ci-dessus), les bénéfices imposables des succursales irlandaises ont été calculés en tant que marge sur les coûts d’exploitation.

353 Aux considérants 334 à 345 de la décision attaquée, la Commission a fait valoir que, à supposer que les succursales irlandaises aient pu être considérées comme les parties testées, aux fins de la méthode unilatérale d’attribution de bénéfices, le choix des coûts d’exploitation desdites succursales comme indicateur du niveau des bénéfices était erroné. Selon la Commission, l’indicateur du niveau des bénéfices dans le cadre d’une méthode unilatérale d’attribution de bénéfices doit refléter les
fonctions exécutées par la partie testée, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. En effet, la Commission a soutenu que les ventes d’ASI, et non les coûts d’exploitation de sa succursale irlandaise, étaient mieux à même de refléter les activités et les risques assumés par la succursale irlandaise, et donc la contribution de celle-ci au chiffre d’affaires d’ASI.

354 En conséquence, la Commission (considérant 345 de la décision attaquée) a conclu que, du fait de l’utilisation des coûts d’exploitation en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices dans le cadre de la méthode d’attribution de bénéfices validée par les rulings fiscaux contestés, les bénéfices imposables d’ASI et d’AOE en Irlande ne reflétaient pas une approximation fiable d’un résultat fondé sur le marché, selon le principe de pleine concurrence. De ce fait, selon elle, les autorités fiscales
irlandaises avaient procuré un avantage sélectif à ASI et AOE par rapport aux sociétés non intégrées, dont le bénéfice imposable reflétait les prix négociés sur le marché dans des conditions de pleine concurrence.

a)   Sur le choix des coûts d’exploitation en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices de la succursale irlandaise d’ASI

355 S’agissant spécifiquement de la succursale irlandaise d’ASI (considérant 336 de la décision attaquée), la Commission a considéré qu’il était inadéquat de se fonder sur les coûts d’exploitation, lesquels seraient « généralement » indiqués pour analyser les bénéfices de distributeurs à bas risque. Elle a soutenu que la succursale irlandaise d’ASI n’était pas un tel distributeur, dans la mesure où cette succursale avait assumé des risques liés au chiffre d’affaires, aux garanties et aux
contractants tiers.

356 D’emblée, il a lieu de relever que la Commission n’a pas indiqué spécifiquement la source sur laquelle elle s’appuyait pour une telle affirmation. En outre, l’emploi du terme « généralement » indique qu’elle n’excluait pas que les coûts d’exploitation soient utilisés en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices dans certaines situations.

357 Outre le manque de précision de la thèse soutenue par la Commission, il convient de relever qu’une telle thèse n’est pas conforme aux lignes directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert, sur lesquelles la Commission s’est appuyée dans le cadre de son raisonnement à titre subsidiaire, ainsi que le soutiennent l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE à juste titre. En effet, il découle du point 2.87 de ces lignes directrices que l’indicateur du niveau des bénéfices doit être axé sur la valeur des
fonctions de la partie testée, compte tenu de ses actifs et de ses risques. Partant, selon ces lignes directrices, le choix de l’indicateur du niveau des bénéfices n’est pas fixé pour un type de fonctions quelconque, pour autant que cet indicateur reflète la valeur des fonctions en question.

358 En tout état de cause, il convient d’examiner si la Commission est parvenue à démontrer que le choix des coûts d’exploitation en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices n’était pas approprié en l’espèce et, dans la mesure où les risques assumés par les succursales doivent être pris en compte, si elle a correctement conclu que la succursale irlandaise d’ASI avait assumé des risques liés au chiffre d’affaires, aux garanties et aux contractants tiers.

1) Sur l’indicateur approprié du niveau des bénéfices

359 Aux considérants 340 et 341 de la décision attaquée, la Commission a soutenu que le choix des coûts d’exploitation en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices n’était pas approprié, en ce que ledit choix ne reflétait pas de manière adéquate les risques assumés et les activités réalisées par la succursale irlandaise d’ASI et que les ventes auraient été un indicateur plus approprié. Elle a soutenu que, pour les mêmes raisons, le ratio de Berry utilisé dans les rapports ad hoc présentés par
l’Irlande et Apple Inc. ne convenait pas pour déterminer une rémunération de pleine concurrence pour les fonctions exécutées par ladite succursale.

360 En premier lieu, il convient de relever que la Commission fonde ses constats, en substance, sur la thèse selon laquelle la succursale irlandaise d’ASI doit être considérée comme ayant assumé les risques et effectué les fonctions afférentes aux activités d’ASI, dans la mesure où celle-ci n’aurait pas pu le faire elle-même en l’absence de personnel et de présence physique.

361 À cet égard, il convient de rappeler les considérations exposées, dans le cadre de l’examen du raisonnement à titre principal, au point 259 ci-dessus, selon lesquelles l’attribution « par exclusion » de fonctions, et donc des bénéfices, à une succursale n’est pas conforme au droit irlandais, ni à l’approche autorisée de l’OCDE, dans la mesure où une telle analyse ne permet pas de démontrer que ces fonctions ont été effectivement exécutées par les succursales irlandaises.

362 Partant, afin de démontrer que le choix des coûts d’exploitation de la succursale irlandaise d’ASI en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices de celle-ci était erroné, la Commission ne pouvait pas attribuer des fonctions et des risques assumés par ASI à sa succursale irlandaise sans démontrer que cette dernière avait effectivement exercé ces fonctions et assumé ces risques.

363 En deuxième lieu, il y a lieu de relever que, au considérant 342 de la décision attaquée, la Commission renvoie elle-même au point 2.87 des lignes directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert. Or, ainsi qu’il a été relevé au point 357 ci-dessus, ces lignes directrices prévoient que tant les ventes que les coûts d’exploitation peuvent constituer un indicateur du niveau des bénéfices approprié.

364 Plus précisément, il est indiqué au point 2.87 des lignes directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert que le choix de l’indicateur du niveau des bénéfices devrait être pertinent aux fins de démontrer la valeur des fonctions de la partie testée dans la transaction examinée, compte tenu de ses actifs et de ses risques.

365 Or, la Commission, en indiquant, aux considérants 337 et 338 de la décision attaquée, que l’utilisation des coûts d’exploitation comme indicateur du niveau des bénéfices ne reflète pas les risques liés au chiffre d’affaires, aux garanties et aux produits traités par des contractants tiers et que le chiffre des ventes serait plus adéquat en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices, ne répond pas à la question de savoir si les coûts d’exploitation reflètent de manière appropriée la valeur
apportée par la succursale irlandaise d’ASI compte tenu des fonctions, des actifs et des risques pris en charge par cette succursale. En effet, la Commission se contente uniquement d’indiquer que les ventes d’ASI auraient été un indicateur du niveau des bénéfices approprié sans démontrer pourquoi, en l’espèce, les coûts d’exploitation de sa succursale n’étaient pas à même de refléter la valeur que cette succursale avait apportée aux activités de la société par les fonctions, les risques et les
actifs dont elle avait été effectivement responsable au sein de ladite société.

366 En troisième lieu, s’agissant du ratio de Berry, il convient de rappeler qu’il a été utilisé dans le cadre des rapports ad hoc présentés par l’Irlande et Apple Inc., en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices afin de prouver ex post facto que les bénéfices attribués à ASI et à AOE en vertu des rulings fiscaux contestés auraient été compris dans des fourchettes de pleine concurrence.

367 Or, au considérant 340 de la décision attaquée, la Commission a rejeté l’utilisation de ce ratio en tant que ratio financier pour estimer la rémunération de pleine concurrence en l’espèce. La Commission a soutenu que les situations dans lesquelles le ratio de Berry pouvait être utilisé, selon les lignes directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert, ne correspondaient pas à la situation de la succursale irlandaise d’ASI.

368 À cet égard, il convient de relever que, au point 2.101 des lignes directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert, auxquelles renvoie la Commission au considérant 342 de la décision attaquée, il est indiqué que, pour que le ratio de Berry soit approprié pour tester la rémunération d’une transaction contrôlée, il faut que, premièrement, la valeur des fonctions exercées dans la transaction contrôlée soit proportionnelle aux coûts d’exploitation, deuxièmement, la valeur des fonctions
exercées dans la transaction contrôlée ne soit pas sensiblement affectée par la valeur des produits distribués, en d’autres mots, ne soit pas proportionnelle au chiffre d’affaires, et, troisièmement, le contribuable n’exerce pas, dans le cadre des transactions contrôlées, d’autres fonctions significatives (de production, par exemple) qui devraient être rémunérées en utilisant une autre méthode ou un autre indicateur financier.

369 Tout d’abord, force est de relever que, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas fait valoir que la valeur des coûts d’exploitation pris en compte dans les rulings fiscaux contestés n’était pas proportionnelle à la valeur des fonctions exercées par la succursale irlandaise d’ASI, telles que décrites aux considérants 54 et 55 de la décision attaquée. Force est de constater que la Commission n’a pas présenté d’arguments et d’éléments de preuve visant à démontrer la non-prise en
considération de la totalité des coûts qui auraient dû être considérés comme étant des coûts d’exploitation et que cette non-prise en considération a conduit à un avantage sélectif pour ASI et AOE. Elle n’a pas non plus cherché à démontrer que la valeur assignée aux coûts qui avaient été pris en compte était trop faible et qu’un avantage sélectif en aurait découlé. En effet, elle s’est limitée à contester le principe même de la prise en compte des coûts d’exploitation en tant qu’indicateur du
niveau des bénéfices.

370 Ensuite, il y a lieu de relever l’absence de lien entre les coûts d’exploitation de la succursale irlandaise d’ASI et le chiffre d’affaires de cette société. Cette absence de corrélation a été reconnue par la Commission elle-même au considérant 337 de la décision attaquée.

371 Enfin, il convient de rappeler les considérations exposées aux points 342 et 343 ci‑dessus en ce qui concerne le caractère non complexe et facilement identifiable des fonctions exercées par la succursale irlandaise d’ASI. En effet, cette succursale a essentiellement exercé des fonctions de distribution. Elle n’a pas été responsable de fonctions de fabrication ni d’autres fonctions complexes, notamment liées au développement technologique ou à la PI.

372 Partant, contrairement à ce que soutient la Commission, les conditions pour l’application du ratio de Berry, indiquées dans les lignes directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert, sont réunies dans le cas de la succursale irlandaise d’ASI.

373 Au regard des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que la Commission n’est pas parvenue à démontrer que le choix des coûts d’exploitation n’était pas approprié en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices pour la succursale irlandaise d’ASI.

374 En tout état de cause, à supposer qu’il puisse être soutenu, ainsi que l’affirme la Commission au considérant 336 de la décision attaquée, que les coûts d’exploitation ne peuvent servir d’indicateur du niveau des bénéfices que pour des distributeurs « à bas risque », il convient d’examiner si les autorités fiscales irlandaises pouvaient considérer que la succursale irlandaise d’ASI n’avait pas assumé les risques qui, selon la Commission, auraient dû être attribués à cette dernière.

2) Sur le risque lié au chiffre d’affaires

375 Au considérant 337 de la décision attaquée, la Commission a relevé qu’ASI avait assumé le risque lié au chiffre d’affaires et que, dans la mesure où son siège n’avait pas de personnel pour gérer ces risques, « il conv[enai]t de supposer » que la succursale irlandaise avait assumé ces risques. Elle a ajouté que le choix des coûts d’exploitation ne reflétait pas ce risque, ce qui aurait été étayé par le fait que les coûts d’exploitation soient restés relativement stables au cours de la période
pertinente alors que le chiffre d’affaires aurait augmenté exponentiellement.

376 Tout d’abord, force est de constater que la thèse de la Commission se fonde sur une supposition selon les termes mêmes de la décision attaquée.

377 Ensuite, il y a lieu de relever que la Commission n’a pas été en mesure d’expliquer dans la décision attaquée en quoi consistait exactement le risque lié au chiffre d’affaires.

378 Lorsqu’elle a été interrogée, à cet égard, pendant l’audience, la Commission a indiqué qu’il s’agissait plutôt d’un risque d’inventaire, à savoir le risque que les produits figurant dans l’inventaire d’ASI, dont la succursale irlandaise assurait la distribution, restent invendus.

379 Afin d’étayer sa thèse selon laquelle la succursale irlandaise d’ASI avait assumé le risque lié à l’éventuelle baisse des ventes d’ASI, la Commission s’est contentée de procéder à une attribution de ce risque par exclusion, ce qui, ainsi qu’il a été indiqué aux points 361 et 362 ci-dessus, ne constitue pas une base valide d’attribution.

380 En outre, la Commission s’est référée, lors de l’audience, au schéma no 9 de la décision attaquée (exposé sous le considérant 122 de ladite décision), qui reproduit un tableau figurant dans l’accord de partage des coûts sur la répartition des risques entre Apple Inc., d’une part, et ASI et AOE, d’autre part. Or, ainsi qu’il a été constaté aux points 263 à 268 et 271 ci-dessus, ce tableau dresse la liste des risques qu’ASI pouvait notamment être amenée à assumer, mais ne prouve pas que ces
risques aient été effectivement pris en charge par ASI. Qui plus est, ce tableau concerne ASI, et non sa succursale irlandaise.

381 En revanche, Apple Inc., ASI et AOE ont présenté, dans le cadre de la procédure administrative et du présent recours, des éléments de preuve démontrant que des accords-cadres avec les fabricants des produits de la marque Apple (ou OEMs) avaient été conclus de manière centralisée pour l’ensemble du groupe Apple par Apple Inc. et ASI, aux États-Unis.

382 En outre, Apple Inc., ASI et AOE ont présenté des éléments de preuve concernant d’autres accords-cadres conclus, également de manière centralisée pour l’ensemble du groupe Apple, avec les principaux acheteurs des produits de la marque Apple, à savoir les opérateurs de télécommunications, notamment dans la région EMEIA.

383 Par ailleurs, Apple Inc., ASI et AOE ont présenté des éléments de preuve concernant la politique de tarification internationale des produits de la marque Apple, dont l’établissement est centralisé pour l’ensemble du groupe Apple.

384 Force est de constater que les éléments de preuve présentés montrent que la succursale irlandaise d’ASI n’a pas participé aux négociations et à la signature des accords-cadres, qu’il s’agisse de ceux conclus avec les fournisseurs des produits qu’elle distribue, à savoir les OEMs, ou avec les clients auxquels elle distribue les produits de la marque Apple, tels que les opérateurs de télécommunications. En effet, cette succursale n’est même pas mentionnée dans ces accords.

385 En outre, les éléments de preuve présentés montrent que la succursale irlandaise d’ASI n’a pas eu de pouvoir de décision en ce qui concerne l’offre (à savoir la détermination des produits à fabriquer), la demande (à savoir la détermination des clients auxquels les produits allaient être vendus) ou les prix auxquels ces produits de la marque Apple étaient vendus, notamment dans la région EMEIA, dans la mesure où ces éléments ont été déterminés en vertu des accords-cadres.

386 Partant, ainsi que le soutiennent ASI et AOE à juste titre, la succursale irlandaise d’ASI ne saurait se voir attribuer les risques inhérents à des produits restant invendus ou à une chute de la demande, dans la mesure où tant l’offre que la demande sont déterminées de manière centralisée, en dehors de ladite succursale.

387 Les éléments de preuve présentés confirment le rôle de la succursale irlandaise d’ASI, tel qu’il ressort des rapports ad hoc présentés par l’Irlande et Apple Inc., selon lesquels cette succursale, en tant que distributeur, a eu la responsabilité d’assurer le flux de produits entre les producteurs et les clients et de rassembler et de transmettre au niveau du groupe des informations sur les prévisions de l’offre et de la demande dans la région EMEIA ainsi que sur les niveaux des inventaires. En
effet, ce n’est pas parce que la succursale irlandaise d’ASI a effectué des fonctions de « monitoring » pour la région EMEIA qu’elle est censée avoir pris en charge le risque économique qui aurait pu découler d’une baisse du chiffre d’affaires d’ASI dans cette région.

388 Enfin, en ce qui concerne l’affirmation, figurant au considérant 337 de la décision attaquée, selon laquelle les ventes d’ASI ont augmenté de manière exponentielle pendant la période pertinente alors que les coûts d’exploitation de sa succursale irlandaise sont restés stables, il y a lieu de constater que ce fait constitue plutôt un indice de l’impact limité des activités réalisées par ladite succursale sur l’ensemble des activités commerciales d’ASI.

389 En outre, une telle circonstance ne suffit pas, à elle seule, pour remettre en cause le choix des coûts d’exploitation en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices. En effet, la Commission a fondé son raisonnement sans indiquer la raison pour laquelle une hausse des ventes de la société ASI aurait dû impliquer nécessairement une hausse des bénéfices attribuables à sa succursale irlandaise.

390 En conséquence, il y a lieu de constater que la Commission n’est pas parvenue à démontrer que la succursale irlandaise d’ASI était responsable du risque lié au chiffre d’affaires.

3) Sur le risque lié aux garanties des produits

391 Au considérant 338 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que, dans la mesure où ASI a fourni des garanties pour tous les produits vendus dans la région EMEIA et où ces garanties constituaient la partie la plus importante de son passif, les risques qui y étaient afférents n’avaient pas pu être assumés par ASI, qui n’avait pas de personnel, mais, nécessairement, par sa succursale irlandaise.

392 Plus particulièrement, la Commission a soutenu, au considérant 338 de la décision attaquée, que ces risques constituaient le passif le plus important d’ASI, lequel a été transféré à Apple Distribution International (ADI), une société liée du groupe Apple. La Commission a renvoyé, à cet égard, au considérant 135 de la décision attaquée, dans lequel il est expliqué qu’ADI a repris les activités de distribution dans la région EMEIA pour le compte d’ASI et que, à cette fin, en vertu d’un protocole
daté du 23 avril 2012, ADI a pris en charge les passifs d’ASI, dont l’élément le plus important était constitué par les provisions au titre des garanties des produits.

393 Premièrement, ces éléments factuels mis en exergue par la Commission témoignent du fait que les garanties des produits de la marque Apple dans la région EMEIA étaient assumées par ASI et que les provisions pour ces garanties faisaient partie du passif de ladite société, jusqu’en 2012. Or, ces informations ne permettent pas, à elles seules, d’établir un lien entre les risques représentés par ces garanties octroyées par ASI, matérialisés par les provisions figurant au passif du bilan de cette
dernière, et sa succursale irlandaise. En outre, la théorie de la Commission n’est pas valable pour les années ultérieures à l’année 2012, lorsque ces risques ont été transmis à ADI. Or, la Commission n’a pas délimité son raisonnement à la période allant jusqu’en 2012.

394 Deuxièmement, le risque lié aux garanties des produits ne saurait être attribué à la succursale irlandaise d’ASI si cette dernière n’est pas responsable, d’un point de vue économique, des réclamations faisant valoir une telle garantie. Or, la Commission n’a pas apporté d’éléments de preuve démontrant que la succursale irlandaise d’ASI avait assumé une telle responsabilité.

395 Troisièmement, si, certes, il est constant que la succursale irlandaise d’ASI a géré le service après-vente AppleCare, ainsi qu’il a été relevé aux points 276 à 278 ci-dessus, les fonctions exercées par cette succursale dans le cadre dudit service sont, toutefois, de nature auxiliaire par rapport aux garanties elles-mêmes.

396 En effet, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE s’appuient, afin de contester l’argument de la Commission, notamment sur les rapports ad hoc qu’elles ont présentés et sur lesquels la Commission elle-même s’est appuyée, qui décrivent les activités des succursales irlandaises liées aux garanties des produits de la marque Apple. Selon ces rapports, la succursale irlandaise d’ASI a été responsable, dans le cadre du service AppleCare, en substance, de :

– la collecte de données sur les produits défectueux ;

– la gestion du réseau des réparateurs tiers agréés ;

– la distribution de pièces pour la réparation au sein de ce réseau ;

– la gestion du centre d’appels.

397 Au vu de la nature auxiliaire de ces fonctions, il ne peut pas être conclu, en l’absence d’autres éléments de preuve, que la succursale irlandaise d’ASI a pris en charge les conséquences économiques liées aux garanties des produits, ainsi qu’ASI et AOE l’ont confirmé pendant l’audience.

398 En outre, la circonstance relative au nombre significatif d’employés attachés au service AppleCare n’est pas, à elle seule, décisive, compte tenu du fait que ce service englobe, notamment, le centre d’appels pour les services après-vente, qui est, naturellement, une fonction nécessitant un personnel nombreux.

399 Par ailleurs, la Commission n’a pas apporté d’autres éléments de preuve démontrant que le personnel de la succursale irlandaise d’ASI aurait été engagé activement dans l’adoption des décisions qui affectaient de manière significative les risques liés à la garantie des produits de la marque Apple vendus par ASI et que cette succursale en avait la responsabilité économique ultime en vertu de cette garantie.

400 Dans ces circonstances, il ne saurait être inféré de la gestion du service AppleCare par la succursale irlandaise d’ASI que cette dernière a pris en charge les risques liés aux garanties pour les produits de la marque Apple.

4) Sur les risques liés aux activités des contractants tiers

401 Au considérant 339 de la décision attaquée, la Commission a soutenu que, dans la mesure où ASI sous-traitait systématiquement sa fonction de distribution à des tiers contractants en dehors de l’Irlande, le chiffre des ventes totales aurait été un indicateur du niveau des bénéfices plus approprié, compte tenu du risque assumé par la succursale irlandaise au regard des produits qui n’étaient pas traités en Irlande.

402 D’emblée, il y a lieu de relever que la réponse à la question de savoir en quoi consistait le risque qui aurait été généré par la circonstance telle que mentionnée au point 401 ci-dessus et comment ce risque aurait été supporté par la succursale irlandaise d’ASI ne ressort pas clairement de la lecture du considérant 339 de la décision attaquée. Or, une telle appréciation, qui se prête à des interprétations divergentes, ne peut pas être retenue comme venant valablement à l’appui du raisonnement
subsidiaire de la Commission.

403 En tout état de cause, interrogée sur ce point pendant l’audience, la Commission a indiqué qu’il s’agissait du même type de risque que celui visé au considérant 337 de la décision attaquée, à savoir un risque lié à la possibilité d’une baisse dans la demande et à l’éventualité de produits invendus, lorsque ASI sous-traitait ses fonctions de distribution auprès des contractants tiers tout en demeurant propriétaire desdits produits.

404 Partant, à supposer que le risque visé par la Commission au considérant 339 de la décision attaquée puisse être compris comme étant de même type que le risque lié au chiffre d’affaires, identifié au considérant 337 de la décision attaquée, les mêmes considérations que celles exposées aux points 376 à 390 ci-dessus s’appliquent également à ce type de risque, dont la prise en charge par la succursale irlandaise d’ASI demeure non démontrée.

405 Par ailleurs, à supposer qu’un tel risque existe, la seule circonstance de l’externalisation de certaines activités de distribution à des contractants tiers, en dehors de l’Irlande, ne saurait, sans autre indication, corroborer la thèse selon laquelle un tel risque devrait être attribué à la succursale irlandaise d’ASI.

406 En effet, le fait que, à la suite de transactions avec des fournisseurs et des clients, négociées et organisées aux États-Unis, la distribution des produits en question soit traitée en dehors de l’Irlande par des contractants tiers renforcerait plutôt la thèse selon laquelle les risques qui pourraient en découler ne sont pas supportés par la succursale irlandaise d’ASI.

407 Il ressort des considérations qui précèdent que la Commission n’est pas parvenue à démontrer que les risques identifiés aux considérants 336, 337 et 339 de la décision attaquée avaient été effectivement supportés par la succursale irlandaise d’ASI.

b)   Sur le choix des coûts d’exploitation en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices de la succursale irlandaise d’AOE

408 S’agissant d’AOE, aux considérants 343 et 344 de la décision attaquée, la Commission a relevé que, compte tenu de l’absence de présence physique d’AOE ou de salariés capables de gérer les risques en dehors de sa succursale irlandaise, celle-ci devait être considérée comme assumant la totalité des risques, notamment ceux relatifs aux stocks. Dans ces circonstances, elle a considéré qu’un indicateur du niveau des bénéfices incluant les coûts totaux aurait été plus approprié que les coûts
d’exploitation.

409 La Commission fonde ses arguments sur les lignes directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert. Toutefois, force est de relever que, ainsi qu’il a été indiqué au point 357 ci‑dessus, celles-ci ne préconisent pas l’utilisation d’un niveau des bénéfices quelconque, tel que les coûts totaux, et ne s’opposent pas à l’utilisation des coûts d’exploitation en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices.

410 En outre, selon le point 2.93 des lignes directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert, auquel renvoie la Commission au considérant 343 de la décision attaquée, « lorsqu’on applique une [MTMN] fondée sur les coûts, on utilise souvent les coûts complets ». Il en découle qu’il n’est pas exclu, par principe, que les coûts d’exploitation puissent constituer un indicateur du niveau des bénéfices approprié.

411 Par ailleurs, l’argument de la Commission selon lequel un indicateur du niveau des bénéfices incluant les coûts totaux est mieux adapté à une société de fabrication comme AOE ne saurait prospérer en l’espèce. En effet, ainsi qu’il a été indiqué au point 12 ci-dessus, c’est AOE et non sa succursale irlandaise qui détient la propriété des matériaux utilisés, des produits en cours de fabrication et des produits finis. Dans la mesure où les coûts totaux prennent en compte les coûts de tous ces
éléments, l’utilisation des coûts totaux en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices ne semble pas, contrairement à ce que prétend la Commission, la plus adaptée pour refléter la valeur des fonctions réellement exercées par la succursale irlandaise d’AOE, compte tenu notamment des actifs de cette dernière.

412 Dans ces circonstances, la Commission n’est pas parvenue à démontrer que l’indicateur du niveau des bénéfices fondé sur les coûts totaux, qu’elle a préconisé, serait plus approprié en l’espèce, aux fins de déterminer les bénéfices de pleine concurrence pour la succursale irlandaise d’AOE.

c)   Conclusions sur le choix des coûts d’exploitation comme indicateur du niveau des bénéfices

413 Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que la Commission n’est pas parvenue à démontrer, dans la décision attaquée, que le choix des coûts d’exploitation des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices dans l’application d’une méthode unilatérale d’attribution des bénéfices était inapproprié.

414 En outre et en tout état de cause, la Commission n’a pas non plus présenté d’éléments de preuve visant à démontrer qu’un tel choix, en tant que tel, devait nécessairement conduire à la conclusion selon laquelle les rulings fiscaux contestés avaient diminué la charge fiscale d’ASI et d’AOE en Irlande.

415 À cet égard, le Tribunal constate que ni les échanges qui ont précédé l’adoption des rulings fiscaux contestés ni l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE, interrogées sur ce point dans le cadre de la présente procédure, n’ont su expliquer de manière suffisante quelle était la justification pour les incohérences détectées au sein desdits rulings en ce qui concerne les coûts d’exploitation, retenus comme base pour le calcul du bénéfice imposable des succursales dans le ruling fiscal de 1991 et qui n’ont
plus été inclus comme base pour le calcul du bénéfice imposable des succursales dans le ruling fiscal de 2007.

416 Toutefois, même en présence des incohérences qui montrent des défaillances dans la méthodologie du calcul des bénéfices imposables, opéré dans le cadre des rulings fiscaux contestés, il convient de rappeler les considérations exposées au point 348 ci-dessus, selon lesquelles la Commission ne saurait se contenter d’invoquer une erreur méthodologique, mais doit prouver qu’un avantage a été effectivement octroyé, en ce qu’une telle erreur a effectivement conduit à une réduction de la charge fiscale
des sociétés en question par rapport à celle qu’elles auraient supportée en application des règles normales d’imposition. Or, il y a encore lieu de préciser que la Commission n’a pas soutenu dans la décision attaquée que l’exclusion de certaines catégories de coûts d’exploitation retenus comme base pour le calcul du bénéfice attribué aux succursales d’ASI et d’AOE avait donné lieu à un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

417 Partant, il y a lieu d’accueillir les griefs invoqués par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE à l’encontre des constatations de la Commission sur l’erreur méthodologique relative au choix des coûts d’exploitation comme indicateur du niveau des bénéfices des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE dans le cadre du raisonnement subsidiaire.

4.   Sur les niveaux des rémunérations acceptées dans les rulings fiscaux contestés

418 Aux considérants 346 à 359 de la décision attaquée, la Commission a contesté les niveaux de rémunération des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE acceptés par les rulings fiscaux contestés, tout en relevant qu’aucun rapport sur l’attribution des bénéfices ni aucune autre explication n’avaient été présentés aux autorités fiscales irlandaises par le groupe Apple afin d’étayer ses propositions ayant conduit aux rulings fiscaux contestés.

419 D’une part, en ce qui concerne ASI, au considérant 346 de la décision attaquée, la Commission a relevé que le ruling fiscal de 1991 avait accepté en tant que bénéfice imposable une marge de 12,5 % sur les coûts d’exploitation de sa succursale irlandaise, tandis que le ruling fiscal de 2007 avait accepté une marge de [confidentiel].

420 D’autre part, en ce qui concerne AOE, au considérant 347 de la décision attaquée, la Commission a relevé que le bénéfice imposable avalisé par les autorités fiscales irlandaises correspondait à [confidentiel] des coûts d’exploitation, un pourcentage qui aurait été ramené à [confidentiel] lorsque le bénéfice imposable aurait été supérieur à [confidentiel]. Dans le ruling fiscal de 2007, le bénéfice imposable aurait correspondu à [confidentiel] des coûts d’exploitation de la succursale, augmenté
d’un rendement de [confidentiel] du chiffre d’affaires, au titre de la PI développée par AOE. En outre, elle a souligné que le bénéfice imposable d’AOE semblait avoir été défini à l’issue de négociations et avoir été guidé par des considérations touchant à l’emploi, comme l’aurait démontré la prise en compte de la nécessité de « ne pas inhiber le développement des activités irlandaises » dans le cadre des discussions en amont de l’adoption du ruling fiscal de 1991.

421 Il ressort des considérants 348 et 349 de la décision attaquée que les explications fournies lors de la procédure administrative par l’Irlande et par Apple Inc. à l’égard du calcul du bénéfice imposable d’ASI et d’AOE n’ont pas convaincu la Commission. Elle a considéré que les rémunérations acceptées par les autorités fiscales irlandaises pour les succursales irlandaises d’ASI et d’AOE avaient été fondées sur des marges de bénéfices très réduites, alors qu’il n’aurait existé aucune logique
économique à ce qu’une société acceptât de si faibles bénéfices.

422 Particulièrement, en ce qui concerne le ruling fiscal de 2007, aux considérants 350 à 359 de la décision attaquée, la Commission s’est concentrée sur le raisonnement ex post figurant dans les rapports ad hoc préparés par les conseillers fiscaux respectifs de l’Irlande et du groupe Apple, relatif aux niveaux de rémunération convenus pour les succursales irlandaises d’ASI et d’AOE. Selon la Commission, ces rapports s’étaient appuyés sur une étude de comparabilité, dont la pertinence était
contestée au motif que les produits proposés par les sociétés sélectionnées aux fins de la comparabilité n’étaient pas comparables aux produits de marque de haute qualité proposés par le groupe Apple. Plus précisément, la Commission a fait valoir que les risques liés aux garanties des produits haut de gamme assumés par ASI n’étaient pas comparables à ceux supportés par les sociétés sélectionnées dans l’étude pour leurs produits. En outre, elle a mis en exergue le fait qu’au moins trois sociétés,
parmi les 52 sélectionnées, étaient en situation de liquidation judiciaire.

423 Par ailleurs, aux considérants 354 et 355 de la décision attaquée, la Commission, par souci d’exhaustivité, a tout de même procédé à sa propre évaluation du niveau de rémunération qui aurait dû être attribué à ASI et à AOE, en utilisant les mêmes sociétés comparables reprises dans le rapport ad hoc présenté par l’Irlande, mais en retenant comme indicateur du niveau des bénéfices, s’agissant d’ASI, le chiffre d’affaires (issu des ventes) et, s’agissant d’AOE, les coûts totaux. À la suite de cette
analyse corrigée, la Commission est parvenue à la conclusion que les niveaux de rémunération acceptés dans les rulings fiscaux contestés étaient excessivement faibles.

424 En effet, s’agissant d’ASI, au considérant 355 de la décision attaquée, la Commission a constaté que, en prenant les ventes des sociétés choisies dans l’étude de comparabilité comme indicateur du niveau des bénéfices, en 2012, le rendement moyen était de 3 %, avec un intervalle interquartile de 1,3 à 4,5 %. Or, la Commission a relevé que les revenus commerciaux attribués à la succursale irlandaise d’ASI, en tant que bénéfices imposables en vertu du ruling fiscal de 2007, pour l’année 2012, se
chiffraient à approximativement [confidentiel], soit environ [confidentiel] du chiffre d’affaires réalisé par ASI en 2012. Ce rendement serait pratiquement 20 fois plus faible que celui obtenu par la Commission dans son analyse corrigée.

425 S’agissant d’AOE, au considérant 357 de la décision attaquée, la Commission a relevé que son bénéfice imposable en 2012 s’était élevé à environ [confidentiel] des coûts totaux de la succursale irlandaise. Ce pourcentage se serait situé dans l’intervalle interquartile présenté dans les rapports ad hoc des conseillers fiscaux respectifs de l’Irlande et du groupe Apple et se serait approché du 25e centile, ce que les conseillers fiscaux auraient estimé être la partie inférieure d’un intervalle de
pleine concurrence. Ainsi, la Commission a relevé que, selon le rapport ad hoc présenté par Apple Inc., pour la période 2009-2011, la marge des coûts totaux pour le quartile inférieur se serait chiffré à [confidentiel] avec une valeur médiane de [confidentiel] et, selon le rapport ad hoc, présenté par l’Irlande, pour la période 2007-2011, la marge des coûts totaux pour le quartile inférieur aurait été de [confidentiel] (avec une valeur médiane de [confidentiel]).

426 Toutefois, aux considérants 358 et 359 de la décision attaquée, la Commission a précisé que ces rapports ne sauraient fonder la conclusion ex post selon laquelle la rémunération des fonctions exercées par la succursale irlandaise d’AOE était conforme au principe de pleine concurrence. Tout d’abord, elle a remis en question la comparabilité des données dans la mesure où aucune analyse détaillée de la comparabilité de la structure de coûts et des activités des sociétés sélectionnées n’aurait été
fournie. Ensuite, elle a exposé que le 25e centile avait été retenu comme partie inférieure de l’intervalle, ce qui aurait correspondu à une approche trop large, notamment au vu des soucis de comparabilité identifiés dans les rapports ad hoc en question. Enfin, la Commission a relevé que, dans les rapports ad hoc, la comparaison avait été effectuée uniquement par rapport à des sociétés de fabrication, alors que la succursale irlandaise d’AOE avait fourni également des services partagés aux
autres sociétés du groupe Apple dans la région EMEIA, tels que des services financiers, relatifs aux systèmes et aux technologies d’information, et des services en matière de ressources humaines.

427 Sur le fondement de ces constats, au considérant 360 de la décision attaquée, la Commission en a conclu que les rulings fiscaux contestés avaient validé une rémunération que les succursales irlandaises n’auraient pas acceptée, du point de vue de leur propre rentabilité, si elles avaient été des entreprises distinctes et indépendantes exerçant des activités identiques ou analogues, dans des conditions identiques ou analogues.

428 Les parties s’opposent tant sur l’existence que sur l’impact des erreurs identifiées par la Commission à l’égard des niveaux de rémunération acceptés par les rulings fiscaux contestés et sur la validation ex post de ces rémunérations, proposée dans les rapports ad hoc préparés par les conseillers fiscaux respectifs de l’Irlande et du groupe Apple.

a)   Sur la rémunération des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE, avalisée par le ruling fiscal de 1991

429 En premier lieu, la Commission reproche aux autorités fiscales irlandaises d’avoir accepté, dans les rulings fiscaux contestés, des niveaux de rémunération pour les succursales irlandaises d’ASI et d’AOE sans qu’aucun rapport étayât de tels niveaux de rémunération.

430 D’une part, il convient de relever que l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE font valoir que, à l’époque où les rulings fiscaux contestés ont été adoptés, la présentation d’un rapport sur l’attribution des bénéfices n’était pas requise en vertu du droit fiscal irlandais applicable, ce que la Commission n’a pas contesté.

431 D’autre part, il convient de relever que le grief de la Commission se rapproche d’une erreur de méthodologie (ou de l’absence de cette dernière), dans la mesure où elle porte sur les défaillances dans la méthode de calcul des bénéfices imposables avalisée par les rulings fiscaux contestés, du fait de l’absence de rapports d’attribution des bénéfices.

432 Certes, les explications avancées par le groupe Apple auprès des autorités fiscales irlandaises sur la justification des niveaux de rémunération proposées, telles que reproduites au considérant 64 de la décision attaquée, étaient sommaires. En effet, le groupe Apple aurait allégué que les niveaux proposés étaient au-dessus d’une marge de 15 %, qui aurait été normalement réalisée par un « cost center », mais en dessous d’une marge de 100 %, qui aurait pu être courante dans l’industrie
pharmaceutique, qui n’aurait pas été comparable au secteur informatique. Aussi, il y a lieu de rappeler que le groupe Apple a reconnu auprès des autorités fiscales irlandaises que sa proposition ne reposait sur aucun fondement scientifique, mais qu’il considérait qu’une telle proposition aboutissait à un montant de bénéfices imposables suffisamment important.

433 À cet égard, le Tribunal relève que ni les échanges qui ont précédé l’adoption des rulings fiscaux contestés ni l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE, interrogées sur ce point dans le cadre de la présente procédure, n’ont su expliquer de manière suffisante quelle était la justification exacte des indicateurs et des chiffres retenus pour le calcul des bénéfices imposables d’ASI et d’AOE. Ainsi, aucun élément de preuve concret et contemporain n’explique les raisons justifiant la hauteur des pourcentages
des coûts d’exploitation retenus dans les rulings fiscaux contestés et encore moins leur évolution au fil du temps.

434 Toutefois, force est de constater que, outre le fait de soulever l’absence de rapports sur l’attribution des bénéfices, la Commission n’a pas mené à bout son analyse afin de démontrer que, en vertu dudit calcul, les impôts effectivement payés par ASI et AOE sur le fondement des rulings fiscaux contestés étaient inférieurs à ceux qui auraient dû être payés en l’absence des rulings fiscaux contestés, en application des règles normales d’imposition.

435 Ainsi, pour les mêmes raisons que celles exposées au point 332 ci‑dessus, le simple constat d’une erreur quant à la méthodologie menant au calcul des bénéfices à attribuer aux succursales ne suffit pas à démontrer que les rulings fiscaux contestés ont conféré un avantage à ASI et à AOE.

436 En second lieu, la Commission a reproché aux autorités fiscales irlandaises le fait d’avoir accepté, sans justification, un seuil pour les bénéfices imposables d’AOE, à savoir [confidentiel], au-delà duquel les bénéfices imposables ne correspondaient plus à 65 % des coûts d’exploitation de la succursale irlandaise, mais à [confidentiel] de ces coûts. Selon la Commission, un opérateur économique rationnel n’aurait pas accepté une rémunération plus faible, en renonçant à une partie de ses
bénéfices, lorsque ses coûts d’exploitation augmentaient, ce qui indiquait une croissance du volume de ses activités, et ce quand bien même cette rémunération aurait été suffisante pour couvrir ses coûts et pour réaliser un certain bénéfice.

437 La Commission a fait valoir que ce seuil constituait un allégement fiscal qui aurait été octroyé sur le fondement de critères étrangers au système d’imposition, tels que des considérations touchant à l’emploi, et que, dès lors, il était réputé procurer un avantage sélectif.

438 À cet égard, Apple Inc. a fait valoir, dans le cadre de ses observations à la suite de la décision d’ouverture, que cet écart était justifié par le fait que les investissements fixes marginaux nécessaires au développement étaient plus conséquents au début de l’activité que lorsque celle-ci était en cours. Par ailleurs, dans le cadre des réponses aux questions écrites du Tribunal, ASI et AOE ont confirmé que le seuil de [confidentiel] n’avait été jamais atteint et que, donc, le second
pourcentage, réduit, n’avait jamais été utilisé aux fins du calcul des bénéfices imposables d’AOE. La Commission n’a pas contesté ces informations.

439 En premier lieu, il y a lieu de relever que, si, certes, il a été jugé que lorsque les autorités compétentes disposaient d’un pouvoir discrétionnaire étendu de déterminer notamment les conditions de la mesure accordée sur le fondement de critères étrangers au système fiscal, tels que le maintien de l’emploi, l’exercice de ce pouvoir pouvait être considéré comme donnant lieu à une mesure sélective (arrêt du 18 juillet 2013, P, C‑6/12, EU:C:2013:525, point 27), il n’en demeure pas moins que, pour
déterminer si des mesures étatiques peuvent constituer des aides d’État, ce sont essentiellement les effets de ces mesures en ce qui concerne les entreprises bénéficiaires qu’il y a lieu de prendre en considération (voir arrêt du 13 septembre 2010, Grèce e.a./Commission, T‑415/05, T‑416/05 et T‑423/05, EU:T:2010:386, point 212 et jurisprudence citée).

440 En tout état de cause, la seule allusion, lors des échanges préalables au ruling fiscal de 1991 entre les autorités fiscales irlandaises et le groupe Apple, au fait que celui-ci était un des plus grands employeurs de la région où les succursales irlandaises d’ASI et AOE étaient établies ne prouve pas que les bénéfices imposables d’ASI et d’AOE ont été déterminés sur le fondement des questions liées à l’emploi. En effet, il ressort du rapport de l’échange en question, reproduit au considérant 64
de la décision attaquée, que l’allusion aux employées du groupe Apple dans la région en question a été faite en tant qu’information sur le contexte et l’évolution des activités du groupe dans la région et non comme contrepartie de la proposition quant à l’attribution des bénéfices aux succursales irlandaises en question.

441 Ainsi, en l’absence d’autres éléments de preuve, la Commission ne saurait faire valoir que le ruling fiscal en question a été adopté en contrepartie de l’éventuelle création d’emplois dans la région.

442 En second lieu, il convient de relever que le seuil en question n’a jamais été atteint et que, dès lors, les bénéfices de la succursale irlandaise d’AOE n’ont jamais été attribués sur le fondement du pourcentage plus réduit prévu par le ruling fiscal de 1991.

443 En effet, le chiffre d’affaires d’AOE a diminué de manière significative entre la période précédant le ruling fiscal de 1991, à savoir 751 millions d’USD en 1989, ainsi qu’il est indiqué au considérant 64 de la décision attaquée, et 2006, la dernière année pendant laquelle le ruling fiscal de 1991 a été appliquée, à savoir 359 millions d’USD, ainsi qu’il a été indiqué au considérant 97 de la décision attaquée.

444 Partant, à supposer même que les allégations de la Commission sur l’absence de justification économique du seuil prévu par ce ruling soient avérées, elle ne saurait faire valoir qu’un avantage a été octroyé du fait de l’inclusion d’un seuil dans le ruling fiscal de 1991, alors qu’un tel mécanisme n’a pas été mis en œuvre en réalité.

445 En troisième lieu, même si l’argument de la Commission devait être compris en ce sens que les niveaux de rémunération acceptés par les autorités fiscales irlandaises étaient trop faibles pour les fonctions exercées par les succursales, compte tenu des actifs et des risques afférents à ces fonctions, cet argument ne saurait prospérer en l’absence d’autres éléments de preuve.

446 En effet, le raisonnement à titre subsidiaire de la Commission est fondé sur la prémisse selon laquelle les autorités fiscales irlandaises ont pu correctement attribuer les licences de la PI du groupe Apple aux sièges centraux, ce qui, selon les lignes directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert, indique l’exercice de fonctions complexes ou uniques. Or, ainsi qu’il découle des conclusions exprimées au point 348 ci-dessus, la Commission n’est pas parvenue à démontrer que les succursales
irlandaises d’ASI et d’AOE avaient exercé les fonctions les plus complexes.

447 En outre, particulièrement en ce qui concerne ASI, la Commission ancre son raisonnement sur la considération selon laquelle la succursale irlandaise aurait pris en charge des risques très importants pour les activités du groupe Apple. Or, ainsi qu’il découle des conclusions exprimées au point 407 ci-dessus, la Commission n’est pas parvenue à démontrer que ces risques avaient été effectivement supportés par la succursale irlandaise d’ASI.

448 Partant, en l’absence d’autres éléments de preuve, la Commission n’est pas parvenue à démontrer que les niveaux de rémunération fixés en vertu du ruling fiscal de 1991 avaient été trop faibles pour rémunérer les fonctions effectivement exercées par les succursales irlandaises d’ASI et d’AOE, compte tenu de leurs actifs et de leurs risques.

b)   Sur la rémunération des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE avalisée par le ruling fiscal de 2007

449 Outre le grief relatif à l’absence de rapport sur l’attribution des bénéfices à l’appui du ruling fiscal de 2007, qui a été écarté pour les raisons exposées aux points 430 à 435 ci-dessus, la Commission a contesté la rémunération des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE, sous forme de bénéfices attribués à ces succursales, en application du ruling fiscal de 2007, en s’attaquant aux rapports ad hoc présentés par l’Irlande et Apple Inc. afin de justifier ex post le fait que ces bénéfices
s’étaient situés dans des intervalles de pleine concurrence. Particulièrement, la Commission a mis en cause la fiabilité des rapports ad hoc présentés par l’Irlande et Apple Inc. du fait que les sociétés choisies pour l’étude de comparabilité qui était au fondement desdits rapports n’étaient pas comparables à ASI et à AOE.

1) Sur le choix des sociétés utilisées dans les analyses de comparabilité

450 Dans la décision attaquée, la Commission a relevé, notamment, deux erreurs concernant la comparabilité des sociétés choisies dans l’étude de comparabilité avec la succursale irlandaise d’ASI. D’une part, au considérant 350 de la décision attaquée, la Commission a indiqué qu’il n’était pas possible d’identifier les sociétés choisies dans le cadre du rapport ad hoc présenté par Apple Inc. D’autre part, au considérant 351 de la décision attaquée, la Commission a souligné que la sélection des
sociétés comparables dans les études de comparabilité n’avait pas tenu compte du fait que, contrairement à ces sociétés, le groupe Apple vendait des produits de marque de haute qualité et positionnait comme tels ses produits sur le marché. À cet égard, la Commission a relevé que, alors qu’ASI était responsable des garanties sur les produits vendus qui, dans le cas de produits de marque de haute qualité, généraient un risque très élevé, les sociétés comparables retenues n’étaient pas exposées à
un tel risque.

451 En ce qui concerne la comparabilité avec la succursale irlandaise d’AOE, la Commission a relevé (au considérant 359 de la décision attaquée) que le rapport ad hoc présenté par l’Irlande avait pris en compte uniquement des sociétés de fabrication, alors qu’AOE fournissait également des services partagés aux autres sociétés du groupe Apple dans la région EMEIA, tels que des services financiers, des services relatifs aux systèmes et aux technologies d’information, et des services concernant les
ressources humaines.

452 D’emblée, il convient de relever que, à supposer même que les erreurs identifiées par la Commission à l’égard des rapports ad hoc présentés par l’Irlande et Apple Inc. ex post facto soient avérées et qu’elles infirment les conclusions de ces rapports, la Commission ne pouvait en déduire que les rulings fiscaux contestés avaient conduit à une réduction de la charge fiscale d’ASI et d’AOE en Irlande.

453 En effet, ces rapports ont été présentés par l’Irlande et Apple Inc. afin de démontrer ex post facto que les bénéfices attribués aux succursales irlandaises d’ASI et d’AOE en vertu des rulings fiscaux contestés s’étaient situés dans des intervalles de pleine concurrence. Or, la présentation de ces rapports ad hoc par l’Irlande et Apple Inc. ne saurait modifier la charge de la preuve concernant l’existence d’un avantage en l’espèce, qui pèse sur la Commission, ainsi qu’il a été rappelé au
point 100 ci‑dessus.

454 En toute hypothèse, il convient d’examiner si les défaillances identifiées par la Commission dans les rapports ad hoc présentés par l’Irlande et Apple Inc. sont avérées et peuvent permettre d’invalider les conclusions desdits rapports.

455 Premièrement, il importe de relever, ainsi que le soutiennent à juste titre l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE, que les analyses en matière de prix de transfert ne constituent pas une science exacte et que ne sauraient être recherchés des résultats exacts quant au niveau considéré comme étant de pleine concurrence. À cet égard, il convient de rappeler le point 1.13 des lignes directrices de l’OCDE en matière de prix de transfert, lequel indique que l’objectif de l’exercice de détermination des prix
de transfert est « d’arriver à une approximation raisonnable d’un résultat de pleine concurrence sur le fondement d’informations fiables » et que « la fixation des prix de transfert n’est pas une science exacte et nécessite une appréciation de la part de l’administration fiscale comme du contribuable ».

456 Deuxièmement, en ce qui concerne les entreprises choisies pour l’étude de comparabilité au fondement du rapport ad hoc présenté par Apple Inc., ASI et AOE soutiennent que, durant la procédure administrative, celle-ci a demandé à plusieurs reprises à la Commission des observations sur ce rapport ad hoc, sans qu’aucune demande spécifique sur les données de l’étude de comparabilité ait été formulée. La Commission ne conteste pas ces arguments. En outre, ASI et AOE ont présenté, dans le cadre du
présent recours, les données qui ont été utilisées pour ce rapport ad hoc en indiquant qu’elles ont été tirées de la même base de données que celle utilisée dans le cadre du rapport ad hoc présenté par l’Irlande. La Commission n’a plus soulevé d’objections spécifiques à l’égard du rapport ad hoc présenté par Apple Inc.

457 Troisièmement, dans la mesure où la Commission a contesté, à l’égard des deux rapports ad hoc présentés par l’Irlande et Apple Inc., l’utilisation d’une étude de comparabilité, qui était fondée sur une recherche dans une base de données comparables, il y a lieu de relever ce qui suit.

458 Tout d’abord, dans la mesure où les reproches de la Commission doivent être compris comme contestant l’utilisation d’une base de données comparables, en tant que telle, ils ne sauraient prospérer. En effet, sans l’appui d’une base de données, il ne serait pas possible d’effectuer, dans le cadre de la seconde étape de la méthode unilatérale d’attribution de bénéfices, une étude de comparabilité qui permette de procéder à une estimation des bénéfices considérés de pleine concurrence, qui
présuppose de pouvoir effectuer une telle estimation auprès de sociétés comparables.

459 Or, la Commission n’a pas fourni d’éléments qui justifient d’exclure, en tant que telle, l’utilisation de bases de données élaborées par des sociétés spécialisées indépendantes, comme celle qui a été utilisée dans les rapports ad hoc présentés par l’Irlande et Apple Inc. En effet, ainsi que le soutiennent à juste titre l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE, ces bases de données sont établies à partir des codes de nomenclature générale des activités économiques dans les Communautés européennes (NACE) et,
en l’absence de preuves démontrant des défaillances qui les invalident, elles constituent un fondement empirique à partir duquel les études de comparabilité peuvent être effectuées.

460 Ensuite, s’agissant des arguments de la Commission visant à contester la comparabilité des sociétés choisies pour l’analyse de comparabilité, en ce qui concerne la succursale irlandaise d’ASI, il y a lieu de relever que la Commission s’est contentée d’invoquer les mêmes arguments que ceux qu’elle avait soulevés à l’encontre du choix des coûts d’exploitation en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices, à savoir le fait qu’ASI était responsable des garanties sur les produits vendus et qu’elle
assumait un risque important pour les produits haut de gamme traités par des sous‑traitants tiers, alors que les sociétés choisies n’assumaient pas ce type de risques si importants et n’étaient, partant, pas comparables. Or, pour les mêmes raisons que celles exprimées aux points 391 à 402 ci-dessus, il y a lieu de rejeter ces arguments.

461 En outre, à l’instar de l’Irlande ainsi que d’ASI et d’AOE, il y a lieu de relever que, dans la mesure où, ainsi qu’il a été conclu au point 413 ci-dessus, les coûts d’exploitation n’ont pas pu être exclus en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices en l’espèce, le caractère de haute qualité de la marque n’aurait pas d’incidence significative sur la comparabilité en l’espèce. En effet, ainsi que le soutiennent à juste titre ASI et AOE, le fait pour une société de distribuer des produits d’une
marque de haute qualité ne saurait nécessairement avoir un impact sur ses coûts d’exploitation par rapport aux coûts d’exploitation qu’elle devrait supporter si elle distribuait des produits de moindre qualité. Cette considération a été démontrée en l’espèce par le fait, reconnu par la Commission elle-même au considérant 337 de la décision attaquée, que les coûts d’exploitation de la succursale irlandaise d’ASI étaient restés relativement stables par rapport à l’augmentation exponentielle des
ventes d’ASI.

462 S’agissant des réserves sur la comparabilité des sociétés de fabrication choisies dans le cadre de l’analyse de comparabilité à l’égard de la succursale irlandaise d’AOE, du fait des fonctions auxiliaires que cette succursale aurait exercées en plus des activités de fabrication, il y a lieu de relever que ces fonctions auxiliaires ne sont pas représentatives de l’ensemble des fonctions exercées par ladite succursale, ainsi que le soutiennent à juste titre l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE. À cet
égard, ces dernières s’appuient notamment sur l’analyse des activités de la succursale irlandaise d’AOE, effectuée dans les rapports ad hoc présentés par elles, qui n’a pas été contestée sur ce point spécifique par la Commission.

463 Enfin, s’agissant de la circonstance, évoquée par la Commission, selon laquelle trois des 52 sociétés choisies pour l’analyse de comparabilité seraient devenues des sociétés en situation de liquidation, de telles réserves ne sauraient affecter la fiabilité de cette analyse dans son ensemble. En outre, ces sociétés auraient été mises en liquidation judiciaire postérieurement aux exercices pour lesquels l’analyse a été effectuée. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la Commission, il
n’apparaît pas, compte tenu des considérations indiquées au point 455 ci-dessus, que le nombre de trois sociétés, sur les 52 visées dans l’analyse en question, représente une proportion significative de nature à fausser le résultat de l’étude de comparabilité.

464 Dans ces circonstances, il y a lieu conclure que la Commission n’est pas parvenue à mettre en cause la fiabilité des études de comparabilité sur lesquels se fondent les rapports ad hoc présentés par l’Irlande et Apple Inc. et, partant, le manque de fiabilité desdits rapports.

2) Sur l’analyse de comparabilité corrigée effectuée par la Commission

465 Il y a lieu de relever que la Commission a opéré, aux considérants 353 à 356 de la décision attaquée, sa propre analyse de comparabilité, qui peut être désignée comme l’« analyse de comparabilité corrigée ».

466 Dans le cadre de son analyse de comparabilité corrigée, la Commission a cherché à évaluer si la rémunération des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE, telle qu’avalisée par les rulings fiscaux contestés, rentrait dans des intervalles de pleine concurrence.

467 En premier lieu, en ce qui concerne la succursale irlandaise d’ASI, la Commission a utilisé les données des sociétés sélectionnées dans le rapport ad hoc présenté par l’Irlande, prenant la succursale irlandaise d’ASI comme partie testée, et les ventes comme indicateur du niveau des bénéfices. Ces données ont été reprises dans le schéma no 13, figurant au considérant 354 de la décision attaquée. La Commission a ainsi comparé les bénéfices attribués à la succursale irlandaise d’ASI par rapport aux
ventes d’ASI avec le rendement moyen des ventes des sociétés sélectionnées dans le cadre du rapport ad hoc présenté par l’Irlande, pour les années 2007 à 2011.

468 D’emblée, il convient de relever que, certes, l’approche de la Commission consistant à comparer, d’une part, les résultats de sa propre analyse et, d’autre part, les bénéfices imposables d’ASI au regard des rulings fiscaux contestés aurait pu lui permettre, en principe, de démontrer l’existence d’un avantage sélectif.

469 Toutefois, les conclusions de l’analyse de comparabilité corrigée effectuée par la Commission ne sauraient infirmer les conclusions des rapports ad hoc présentés par l’Irlande et Apple Inc., selon lesquelles les bénéfices des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE, déterminés en application des rulings fiscaux contestés, se situaient dans des intervalles de pleine concurrence.

470 Tout d’abord, force est de constater que l’analyse de comparabilité corrigée de la Commission s’appuie sur les ventes en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices aux fins de l’application de la MTMN. Or, ainsi qu’il ressort des considérations exprimées aux points 402 et 412 ci-dessus, il n’a pas été démontré que l’utilisation des coûts d’exploitation en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices avait été inappropriée en l’espèce. En outre, il n’a pas été démontré que l’utilisation des ventes
aurait été plus appropriée.

471 Ensuite, il y a lieu de rappeler que l’analyse effectuée par la Commission, dans le cadre de son raisonnement à titre subsidiaire, est fondée sur la prémisse selon laquelle, en substance, les fonctions effectuées par la succursale irlandaise d’ASI avaient été de nature complexe et déterminantes pour le succès de la marque Apple et, partant, des activités commerciales d’ASI. En outre, selon la Commission, ladite succursale avait assumé des risques significatifs par rapport aux activités d’ASI.
Or, ainsi qu’il a été conclu aux points 348 et 407 ci-dessus, la Commission n’est pas parvenue à démontrer que la succursale d’ASI avait exercé des fonctions complexes et assumé ces risques significatifs.

472 Enfin, la Commission a cherché, aux considérants 353 à 355 de la décision attaquée, à évaluer le rendement moyen des ventes des entreprises comparables avec le rendement moyen des ventes d’ASI, en fonction du bénéfice attribué à sa succursale irlandaise, en vertu du ruling fiscal de 2007. Or, cette approche n’est pas conforme à l’approche autorisée de l’OCDE, ni à l’article 25 du TCA 97, dans la mesure où le rendement sur les ventes d’ASI ne saurait refléter, dans le cas de sa succursale
irlandaise, la valeur des fonctions que cette succursale a effectivement exercées, pour les raisons qui suivent.

473 D’une part, ainsi qu’il a été indiqué aux points 384 et 385 ci-dessus, les fonctions de distribution assurées par la succursale irlandaise d’ASI ont consisté en l’achat, la vente et la distribution de produits de la marque Apple, en vertu des accords-cadres négociés en dehors de ladite succursale. Partant, la valeur ajoutée apportée par la succursale irlandaise d’ASI ne saurait être appréhendée par le rendement sur les ventes d’ASI.

474 D’autre part, les fonctions effectivement exercées par la succursale irlandaise d’ASI n’ont pas eu un impact déterminant sur la PI du groupe Apple, ni sur la marque Apple, ainsi qu’il a été constaté au point 341 ci-dessus. Or, ces deux facteurs sont intrinsèquement liés et peuvent être englobés sous la marque Apple désignant des produits de haute qualité, laquelle a été considérée par la Commission elle-même au considérant 351 de la décision attaquée comme affectant de manière déterminante la
valeur des ventes d’ASI. Pour cette raison, le rendement sur les ventes d’ASI n’offre pas une image réaliste de la contribution effective de sa succursale irlandaise auxdites ventes.

475 Dans ces circonstances, les conclusions de l’analyse de comparabilité corrigée effectuée par la Commission en ce qui concerne la rémunération de la succursale irlandaise d’ASI, analyse qui a utilisé les ventes en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices, ne sauraient infirmer les conclusions des rapports ad hoc présentés par l’Irlande et Apple Inc., qui ont utilisé les coûts d’exploitation en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices.

476 En second lieu, en ce qui concerne la rémunération d’AOE, ainsi que la Commission l’a relevé elle-même au considérant 357 de la décision attaquée, les résultats de l’analyse de comparabilité retenue par la Commission, tels que résumés au point 425 ci-dessus, montrent que les bénéfices attribués à la succursale irlandaise d’AOE en Irlande, en application des rulings fiscaux contestés, se situaient dans des fourchettes pouvant être considérées comme étant de pleine concurrence.

477 Partant, les résultats de l’analyse effectuée par la Commission, en substance, confirment les conclusions qui découlent des rapports ad hoc présentés par l’Irlande et par Apple Inc., selon lesquelles les bénéfices attribués à la succursale irlandaise d’AOE ont été compris dans des intervalles de pleine concurrence. À cet égard, il convient de relever, à la lumière des considérations exprimées au point 455 ci-dessus à l’égard des analyses en matière de prix de transfert, que le fait que ces
résultats se situent plutôt dans la partie inférieure d’un intervalle de pleine concurrence ne saurait infirmer lesdits résultats.

478 Au regard des considérations que précèdent, il y a lieu d’accueillir les griefs invoqués par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE à l’encontre des constatations de la Commission sur l’erreur méthodologique relative aux niveaux des rémunérations acceptés dans les rulings fiscaux contestés.

5.   Conclusions sur les appréciations de la Commission dans le cadre de son raisonnement à titre subsidiaire

479 Les constatations effectuées ci-dessus en ce qui concerne les défaillances dans les méthodes de calcul des bénéfices imposables d’ASI et d’AOE démontrent le caractère lacunaire et parfois incohérent des rulings fiscaux contestés. Toutefois, à elles seules, ces circonstances ne suffisent pas à prouver l’existence d’un avantage, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

480 En effet, la Commission n’est pas parvenue à démontrer que les erreurs méthodologiques qu’elle avait soulevées à l’encontre des méthodes d’attribution de bénéfices avalisées par les rulings fiscaux contestés, relevant du choix des succursales irlandaises en tant que parties testées (point 351 ci-dessus), du choix des coûts d’exploitation comme indicateur du niveau des bénéfices (point 417 ci-dessus) et des niveaux de rémunération acceptées par les rulings fiscaux contestés (point 478 ci-dessus)
avaient abouti à une diminution des bénéfices imposables d’ASI et d’AOE en Irlande. Partant, elle n’est pas parvenue à démontrer que ces rulings avaient octroyé un avantage à ces sociétés.

481 Dans ces circonstances, il y a lieu d’accueillir les moyens invoqués par l’Irlande et ainsi que par ASI et AOE, tirés du fait que, dans le cadre de son raisonnement à titre subsidiaire, la Commission n’est pas parvenue à démontrer l’existence d’un avantage en l’espèce, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

F. Sur les moyens contestant les appréciations portées par la Commission dans le cadre du raisonnement à titre alternatif (cinquième moyen dans l’affaire T‑778/16 et neuvième moyen dans l’affaire T‑892/16)

482 La Commission a exposé son raisonnement à titre alternatif aux considérants 369 à 403 de la décision attaquée, lequel comporte une alternative entre deux parties.

483 En premier lieu, aux considérants 369 à 378 de la décision attaquée, la Commission a fait valoir que le principe de pleine concurrence était inhérent à l’application de l’article 25 du TCA 97 et que, dans la mesure où les rulings fiscaux contestés dérogeaient audit principe, ils procuraient un avantage sélectif sous la forme d’une réduction de la base imposable d’ASI et d’AOE.

484 En second lieu, aux considérants 379 à 403 de la décision attaquée, la Commission a fait valoir que, même si l’application de l’article 25 du TCA 97 n’était pas régie par le principe de pleine concurrence, les rulings fiscaux contestés devaient tout de même être considérés comme octroyant un avantage sélectif à ASI et à AOE du fait que ces rulings étaient la conséquence du pouvoir discrétionnaire exercé par les autorités fiscales irlandaises.

485 L’Irlande ainsi qu’ASI et AOE contestent, en substance, les appréciations portées par la Commission dans le cadre des deux parties du raisonnement à titre alternatif.

1.   Sur la première partie du raisonnement à titre alternatif de la Commission

486 Par la première partie de son raisonnement à titre alternatif, la Commission a considéré que les rulings fiscaux contestés dérogeaient à l’article 25 du TCA 97, au motif que le principe de pleine concurrence était inhérent audit article (considérant 377 de la décision attaquée). La Commission a alors renvoyé à son raisonnement à titre subsidiaire, dans le cadre duquel elle a considéré que les rulings fiscaux contestés ne permettaient pas d’aboutir à une approximation fiable d’un résultat fondé
sur le marché selon le principe de pleine concurrence et, dès lors, a conclu que ces rulings avaient accordé un avantage sélectif à ASI et à AOE (considérant 378 de la décision attaquée).

487 À cet égard, il suffit de relever que, dans la mesure où la première partie du raisonnement à titre alternatif de la Commission se fonde sur les constations qu’elle a effectuées au titre du raisonnement à titre subsidiaire et que, ainsi qu’il a été conclu au point 481 ci-dessus, la Commission ne saurait s’appuyer sur un tel raisonnement afin de conclure à l’existence d’un avantage en l’espèce, il y a lieu de conclure que la Commission ne saurait non plus s’appuyer sur la première partie de son
raisonnement principal afin de conclure à l’existence d’un avantage sélectif en l’espèce.

488 Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que, par la première partie du raisonnement à titre alternatif, la Commission n’est pas parvenue à démontrer que les rulings fiscaux contestés avaient octroyé un avantage sélectif à ASI et à AOE.

2.   Sur la seconde partie du raisonnement à titre alternatif de la Commission

489 Dans le cadre de la seconde partie du raisonnement à titre alternatif, la Commission fait valoir que, à supposer même que l’application de l’article 25 du TCA 97 n’ait pas été régie par le principe de pleine concurrence, les rulings fiscaux contestés auraient conféré tout de même un avantage sélectif à AOE et à ASI, dans la mesure où ils auraient été adoptés de manière discrétionnaire par les autorités fiscales irlandaises.

490 D’une part, la Commission a soutenu qu’elle avait démontré, par ses raisonnements à titre principal et à titre subsidiaire, que les rulings fiscaux contestés avaient approuvé des méthodes d’attribution des bénéfices entraînant une réduction du bénéfice imposable d’ASI et d’AOE en Irlande et procurant un avantage économique au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

491 D’autre part, elle a soutenu que, dans la mesure où l’article 25 du TCA 97 ne définit aucun critère objectif concernant la répartition des bénéfices entre les différentes parties d’une même société non résidente, le pouvoir discrétionnaire dont disposent les autorités fiscales irlandaises pour appliquer cette disposition n’est pas fondé sur des critères objectifs liés au système fiscal, ce qui entraîne une présomption de sélectivité pour les rulings fiscaux contestés. En outre, la Commission a
examiné onze rulings fiscaux qui lui avaient été transmis par l’Irlande et a constaté un certain nombre d’incohérences, sur le fondement desquelles elle a considéré que la pratique des autorités fiscales irlandaises en matière de rulings fiscaux était discrétionnaire, aucun critère cohérent n’étant utilisé pour déterminer les bénéfices à attribuer aux succursales irlandaises de sociétés non résidentes aux fins de l’application de l’article 25 du TCA 97.

492 La Commission en a conclu que les rulings fiscaux contestés avaient été émis en vertu du pouvoir discrétionnaire des autorités fiscales irlandaises en l’absence de critères objectifs liés au système fiscal et que, dès lors, ces rulings devaient être considérés comme procurant un avantage sélectif à ASI et à AOE au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

493 À l’égard des considérations de la Commission, premièrement, il y a lieu de relever que, dans la mesure où celle-ci n’est pas parvenue à démontrer l’existence d’un avantage par ses raisonnements à titre principal et à titre subsidiaire, elle ne saurait, par son seul raisonnement à titre alternatif tel que décrit ci-dessus, démontrer l’existence d’un avantage sélectif en l’espèce. En effet, à supposer même que l’existence d’un pouvoir discrétionnaire des autorités fiscales soit établie, une telle
existence d’un pouvoir discrétionnaire n’implique pas nécessairement que celui-ci ait été exercé de manière à diminuer la charge fiscale du bénéficiaire du ruling fiscal, par rapport à celle qu’il aurait normalement dû supporter.

494 Ainsi, le raisonnement à titre alternatif de la Commission ne suffit pas à établir l’existence d’une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

495 Deuxièmement et en toute hypothèse, la Commission n’est pas parvenue à démontrer que les autorités irlandaises avaient exercé un pouvoir discrétionnaire étendu en l’espèce.

496 En effet, il convient de rappeler la jurisprudence selon laquelle il n’est pas nécessaire, pour établir le caractère sélectif d’un avantage fiscal, que les autorités nationales compétentes disposent du pouvoir discrétionnaire d’en accorder le bénéfice. Cependant, l’existence d’un tel pouvoir peut être de nature à permettre à ces autorités de favoriser certaines entreprises ou certaines productions au détriment d’autres, notamment dans le cas où les autorités compétentes disposent du pouvoir
discrétionnaire de déterminer les bénéficiaires et les conditions de la mesure accordée sur le fondement de critères étrangers au système fiscal (arrêt du 25 juillet 2018, Commission/Espagne e.a., C‑128/16 P, EU:C:2018:591, point 55).

497 Force est de constater que, au considérant 381 de la décision attaquée, la Commission s’est bornée à affirmer que l’Irlande n’avait identifié aucune norme objective concernant la répartition des bénéfices d’une société non résidente aux fins de l’application de l’article 25 du TCA 97. Elle en a directement conclu, dans ce même considérant 381, que « cela [aurait voulu] dire que le pouvoir discrétionnaire dont dispos[aient les autorités fiscales irlandaises] pour appliquer cette disposition
n’[était] pas fondé sur des critères objectifs liés au système fiscal, ce qui entraîn[ait] une présomption d’avantage sélectif ».

498 Or, ainsi qu’il a été constaté aux points 238 et 239 ci-dessus, l’application de l’article 25 du TCA 97 requiert d’effectuer une analyse objective des faits, comportant, premièrement, l’identification des activités effectuées par la succursale, les actifs qu’elle utilise pour ses fonctions et les risques qui y sont afférents qu’elle assume et, deuxièmement, la détermination de la valeur de ce type d’activités sur le marché. Une telle analyse correspond en substance à celle proposée par
l’approche autorisée de l’OCDE.

499 Partant, la Commission ne saurait soutenir que l’application de l’article 25 du TCA 97 par les autorités fiscales irlandaises ne comporte l’utilisation d’aucun critère cohérent pour déterminer les bénéfices à attribuer aux succursales irlandaises de sociétés non résidentes.

500 Certes, en l’espèce, l’application de l’article 25 du TCA 97 par les autorités fiscales irlandaises dans le cadre des rulings fiscaux contestés n’a pas été documentée suffisamment. En effet, ainsi qu’il a été constaté aux points 347 et 433 ci-dessus, les informations et les éléments de preuve à l’appui d’une telle application ont été très succincts. Ce manque d’analyse documentée constitue, certes, une défaillance méthodologique regrettable dans le cadre du calcul des bénéfices imposables d’ASI
et d’AOE, avalisé par les rulings fiscaux contestés. Toutefois, une telle défaillance, à elle seule, ne saurait démontrer que les rulings fiscaux contestés ont été la conséquence de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire étendu par les autorités fiscales irlandaises.

501 Troisièmement, les onze rulings fiscaux relatifs à l’attribution de bénéfices aux succursales irlandaises de sociétés non résidentes, examinés par la Commission aux considérants 385 à 395 de la décision attaquée, ne sont pas de nature à démontrer l’existence d’un pouvoir discrétionnaire étendu des autorités fiscales irlandaises qui aboutisse à favoriser les sociétés bénéficiaires par rapport à d’autres sociétés dans une situation comparable.

502 En effet, comme cela ressort des considérants 385 à 395 de la décision attaquée, ces onze rulings fiscaux portent chacun sur des sociétés ayant des activités tout à fait différentes. Or, ainsi que la Commission le relève elle-même au considérant 88 de la décision attaquée, l’attribution des bénéfices entre plusieurs sociétés associées dépend des fonctions exercées, des risques assumés et des actifs utilisés par chaque société. Il y a donc lieu de constater que la seule circonstance que les onze
rulings fiscaux valident des méthodes de répartition des bénéfices différentes repose précisément sur le fait que les situations des contribuables sont différentes. Ainsi, le fait que ces différentes situations aient été prises en compte pour l’adoption des rulings en question ne démontre aucunement un quelconque pouvoir discrétionnaire des autorités fiscales irlandaises.

503 Il découle des considérations qui précèdent que la Commission ne saurait s’appuyer sur la seconde partie de son raisonnement à titre alternatif afin de conclure à l’existence d’un avantage sélectif en l’espèce.

504 Partant, il y a lieu d’accueillir les moyens invoqués par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE tirés du fait que, dans le cadre de son raisonnement à titre alternatif, la Commission n’est pas parvenue à démontrer l’existence d’un avantage en l’espèce, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, sans qu’il soit besoin d’examiner les griefs tirés de la violation des formes substantielles et de la violation du droit d’être entendu, invoqués par ASI et AOE à l’encontre des appréciations de la
Commission dans le cadre dudit raisonnement à titre alternatif.

G. Conclusions sur l’appréciation de la Commission relative à l’existence d’un avantage sélectif

505 Compte tenu des conclusions figurant aux points 312, 481 et 504 ci-dessus, selon lesquelles il y a lieu d’accueillir les moyens invoqués par l’Irlande ainsi par ASI et AOE à l’encontre des appréciations portées par la Commission dans le cadre de ses raisonnements menés à titre principal, à titre subsidiaire et à titre alternatif, il y a lieu de conclure que la Commission n’a pas démontré, en l’espèce, que, en adoptant les rulings fiscaux contestés, les autorités fiscales irlandaises avaient
accordé un avantage sélectif à ASI et à AOE au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

506 À cet égard, il convient de rappeler que, si, selon une jurisprudence constante, citée au point 100 ci-dessus, la Commission peut qualifier une mesure fiscale d’aide d’État, ce n’est que pour autant que les conditions d’une telle qualification soient réunies.

507 En l’espèce, la Commission n’étant pas parvenue à démontrer à suffisance de droit l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, il y a lieu d’annuler la décision attaquée dans son ensemble, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens soulevés par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE.

IV. Sur les dépens

508 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il convient de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de l’Irlande, dans le cadre de l’affaire T‑778/16, et d’ASI et d’AOE, conformément aux conclusions de ces dernières.

509 Conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, l’Irlande, dans le cadre de l’affaire T‑892/16, le Grand-Duché de Luxembourg, la République de Pologne et l’Autorité de surveillance AELE supporteront leurs propres dépens.

  Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre élargie)

déclare et arrête :

  1) Les affaires T‑778/16 et T‑892/16 sont jointes aux fins du présent arrêt.

  2) La décision (UE) 2017/1283 de la Commission, du 30 août 2016, concernant l’aide d’État SA.38373 (2014/C) (ex 2014/NN) (ex 2014/CP) octroyée par l’Irlande en faveur d’Apple est annulée.

  3) La Commission européenne supportera ses propres dépens ainsi que ceux de l’Irlande, dans le cadre de l’affaire T‑778/16, et ceux d’Apple Sales International et d’Apple Operations Europe.

  4) L’Irlande, dans le cadre de l’affaire T‑892/16, le Grand-Duché de Luxembourg, la République de Pologne et l’Autorité de surveillance AELE supporteront leurs propres dépens.

Van der Woude

Tomljenović

Marcoulli

  Passer

Kornezov

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 juillet 2020.

Signatures

Table des matières

  I. Antécédents du litige
  A. Sur l’historique du groupe Apple
  1. En ce qui concerne le groupe Apple
  2. En ce qui concerne ASI et AOE
  a) S’agissant de la structure sociétaire
  b) S’agissant de l’accord de partage des coûts
  c) S’agissant de l’accord sur les services de commercialisation
  3. En ce qui concerne les succursales irlandaises
  B. Sur les rulings fiscaux contestés
  1. En ce qui concerne le ruling fiscal de 1991
  a) Sur la base imposable d’ACL, prédécesseur d’AOE
  b) Sur la base imposable d’ACAL, prédécesseur d’ASI
  2. En ce qui concerne le ruling fiscal de 2007
  C. Sur la procédure administrative devant la Commission
  D. Sur la décision attaquée
  1. Sur l’existence d’un avantage sélectif
  a) Sur le cadre de référence
  b) Sur le principe de pleine concurrence
  c) Sur l’avantage sélectif du fait de la non-attribution aux succursales irlandaises des bénéfices dérivés des licences de PI détenues par ASI et AOE (raisonnement à titre principal)
  d) Sur l’avantage sélectif du fait du choix inadéquat des méthodes d’attribution de bénéfices aux succursales irlandaises d’ASI et d’AOE (raisonnement à titre subsidiaire)
  e) Sur l’avantage sélectif du fait de la dérogation au cadre de référence, à supposer même qu’il soit constitué uniquement par l’article 25 du TCA 97, par les rulings fiscaux contestés, qui ne sont pas conformes au principe de pleine concurrence (raisonnement alternatif)
  f) Conclusion sur l’avantage sélectif
  2. Sur l’incompatibilité, l’illégalité et la récupération de l’aide
  3. Sur le dispositif
  II. Procédure et conclusions des parties
  A. Sur l’affaire T‑778/16
  1. Composition de la formation de jugement et traitement prioritaire
  2. Interventions
  3. Demandes de traitement confidentiel
  4. Conclusions des parties
  B. Sur l’affaire T‑892/16
  1. Composition de la formation de jugement, traitement prioritaire et jonction
  2. Interventions
  3. Demandes de traitement confidentiel
  4. Conclusions des parties
  C. Sur la jonction des affaires et sur la phase orale de la procédure
  III. En droit
  A. Sur la jonction des affaires T-778/16 et T-892/16 aux fins de la décision mettant fin à l’instance
  B. Sur les moyens invoqués et sur la structure de l’examen des présents recours
  C. Sur les moyens tirés du dépassement, par la Commission, de ses compétences et de l’ingérence de celle-ci dans les compétences des États membres, notamment en violation du principe d’autonomie fiscale (huitième moyen dans l’affaire T‑778/16 et quatorzième moyen dans l’affaire T‑892/16)
  D. Sur les moyens tirés des erreurs commises dans le cadre du raisonnement à titre principal de la Commission
  1. Sur l’examen conjoint des critères de l’avantage et de la sélectivité (partiellement deuxième moyen dans l’affaire T‑778/16)
  2. Sur l’identification du cadre de référence et les appréciations relatives à l’imposition normale en vertu du droit irlandais (partiellement premier et deuxième moyens dans l’affaire T‑778/16 et premier, deuxième et cinquième moyens dans l’affaire T‑892/16)
  a) Sur le cadre de référence
  b) Sur les appréciations de la Commission relatives à l’imposition normale des bénéfices en vertu du droit fiscal irlandais
  1) Sur l’application de l’article 25 du TCA 97 (partiellement deuxième moyen dans l’affaire T‑778/16 et partiellement premier moyen dans l’affaire T‑892/16)
  2) Sur le principe de pleine concurrence (partiellement premier moyen et troisième moyen dans l’affaire T‑778/16 et partiellement premier moyen et deuxième moyen dans l’affaire T‑892/16)
  i) Sur la possibilité pour la Commission de s’appuyer sur le principe de pleine concurrence afin de vérifier l’existence d’un avantage sélectif
  ii) Sur la question de savoir si la Commission a correctement appliqué le principe de pleine concurrence dans le cadre de son raisonnement à titre principal
  3) Sur l’approche autorisée de l’OCDE (partiellement deuxième et quatrième moyens dans l’affaire T‑778/16 et cinquième moyen dans l’affaire T‑892/16)
  i) Sur la possibilité pour la Commission de s’appuyer sur l’approche autorisée de l’OCDE
  ii) Sur la question de savoir si la Commission a correctement appliqué l’approche autorisée de l’OCDE dans le cadre de son raisonnement principal
  4) Conclusions sur l’identification du cadre de référence et les appréciations relatives à l’imposition normale en vertu du droit irlandais
  3. Sur les appréciations de la Commission concernant les activités au sein du groupe Apple (premier moyen dans l’affaire T‑778/16 et troisième et quatrième moyens dans l’affaire T‑892/16)
  a) Sur les activités de la succursale irlandaise d’ASI
  b) Sur les activités de la succursale irlandaise d’AOE
  c) Sur les activités en dehors des succursales d’ASI et d’AOE
  1) Sur la prise de décisions stratégiques au sein du groupe Apple
  2) Sur la prise de décisions par ASI et AOE
  d) Conclusions sur les activités au sein du groupe Apple
  4. Conclusion sur l’appréciation de la Commission relative à l’existence d’un avantage sélectif sur le fondement de son raisonnement à titre principal
  E. Sur les moyens contestant les appréciations portées par la Commission dans le cadre du raisonnement à titre subsidiaire (quatrième moyen dans l’affaire T‑778/16 et huitième moyen dans l’affaire T‑892/16)
  1. Sur l’appréciation portée sur les méthodes d’attribution des bénéfices avalisées par les rulings fiscaux contestés à la lumière de la MTMN
  2. Sur le choix des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE comme étant la « partie testée » dans l’application des méthodes d’attribution de bénéfices
  3. Sur le choix des coûts d’exploitation comme indicateur du niveau des bénéfices
  a) Sur le choix des coûts d’exploitation en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices de la succursale irlandaise d’ASI
  1) Sur l’indicateur approprié du niveau des bénéfices
  2) Sur le risque lié au chiffre d’affaires
  3) Sur le risque lié aux garanties des produits
  4) Sur les risques liés aux activités des contractants tiers
  b) Sur le choix des coûts d’exploitation en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices de la succursale irlandaise d’AOE
  c) Conclusions sur le choix des coûts d’exploitation comme indicateur du niveau des bénéfices
  4. Sur les niveaux des rémunérations acceptées dans les rulings fiscaux contestés
  a) Sur la rémunération des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE, avalisée par le ruling fiscal de 1991
  b) Sur la rémunération des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE avalisée par le ruling fiscal de 2007
  1) Sur le choix des sociétés utilisées dans les analyses de comparabilité
  2) Sur l’analyse de comparabilité corrigée effectuée par la Commission
  5. Conclusions sur les appréciations de la Commission dans le cadre de son raisonnement à titre subsidiaire
  F. Sur les moyens contestant les appréciations portées par la Commission dans le cadre du raisonnement à titre alternatif (cinquième moyen dans l’affaire T‑778/16 et neuvième moyen dans l’affaire T‑892/16)
  1. Sur la première partie du raisonnement à titre alternatif de la Commission
  2. Sur la seconde partie du raisonnement à titre alternatif de la Commission
  G. Conclusions sur l’appréciation de la Commission relative à l’existence d’un avantage sélectif
  IV. Sur les dépens

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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.

( 1 ) Informations confidentielles occultées.


Synthèse
Formation : Septième chambre élargie
Numéro d'arrêt : T-778/16
Date de la décision : 15/07/2020
Type de recours : Recours en annulation - fondé

Analyses

Aides d’État – Aide mise en exécution par l’Irlande – Décision déclarant l’aide incompatible avec le marché intérieur et illégale et ordonnant sa récupération – Décisions fiscales anticipatives (tax rulings) – Avantages fiscaux sélectifs – Principe de pleine concurrence.

Concurrence

Aides accordées par les États


Parties
Demandeurs : Irlande e.a.
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Tomljenović

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2020:338

Source

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