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03/04/2025 | CJUE | N°C-701/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Procureur de la République contre Société Swiftair., 03/04/2025, C-701/23


 ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

3 avril 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Principe ne bis in idem – Convention d’application de l’accord de Schengen – Article 54 – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 50 – Décision de non-lieu provisoire prononcée dans un État membre à l’égard de personnes physiques décédées et précédemment employées par une personne morale – Poursuites pénales engagées contre cette personne morale dans un autre État membre – Irrecevabilité »

Dans l’affair

e C‑701/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le tribun...

 ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

3 avril 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Principe ne bis in idem – Convention d’application de l’accord de Schengen – Article 54 – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 50 – Décision de non-lieu provisoire prononcée dans un État membre à l’égard de personnes physiques décédées et précédemment employées par une personne morale – Poursuites pénales engagées contre cette personne morale dans un autre État membre – Irrecevabilité »

Dans l’affaire C‑701/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le tribunal judiciaire de Paris (France), par décision du 4 juillet 2023, parvenue à la Cour le 14 novembre 2023, dans la procédure pénale contre

Swiftair SA,

en présence de :

Syndicat ALTER,

Association AH5017-Ensemble e.a.,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. A. Kumin, président de chambre, M. T. von Danwitz (rapporteur), vice‑président de la Cour, et M. S. Gervasoni, juge,

avocat général : M. D. Spielmann,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour Swiftair SA, par Mes R. Lindon et P. Spinosi, avocats,

– pour le syndicat ALTER, par Me A. Lyon-Caen, avocat,

– pour l’association AH5017-Ensemble, par Me E. Piwnica, avocat,

– pour le gouvernement français, par M. R. Bénard, Mme B. Dourthe et M. B. Fodda, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement espagnol, par Mme A. Gavela Llopis, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par Mme F. Blanc et M. I. Zaloguin, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO 2000, L 239, p. 19), signée à Schengen (Luxembourg) le 19 juin 1990 et entrée en vigueur le 26 mars 1995 (ci-après la « CAAS »), lu à la
lumière de l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale contre la société Swiftair SA, prévenue du chef d’homicides involontaires commis au Mali le 24 juillet 2014.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Les considérants de la CAAS énoncent :

« Se fondant sur l’Accord de Schengen du 14 juin 1985 relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes,

Ayant décidé d’accomplir la volonté exprimée dans cet accord de parvenir à la suppression des contrôles aux frontières communes dans la circulation des personnes et d’y faciliter le transport et la circulation des marchandises,

Considérant que le Traité instituant les Communautés européennes, complété par l’Acte Unique européen, prévoit que le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures,

[...] »

4 L’article 54 de la CAAS dispose :

« Une personne qui a été définitivement jugée par une Partie Contractante ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie par une autre Partie Contractante, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la Partie Contractante de condamnation. »

Le droit espagnol

5 L’article 637 de la Ley de Enjuiciamiento Criminal (code de procédure pénale) est libellé comme suit :

« Non-lieu pur et simple :

1°) lorsqu’il n’existe pas d’indices sérieux qu’ait été commis le fait ayant motivé la poursuite ;

2°) lorsque le fait n’est pas constitutif d’un délit ou d’un crime ;

3°) lorsqu’il résulte de la procédure que les mis en examen sont exempts de responsabilité pénale, en tant qu’auteurs, complices ou receleurs. »

6 L’article 641 de ce code dispose :

« Non-lieu provisoire :

1°) lorsque la commission du délit qui a motivé la poursuite n’apparaît pas comme dûment établie ;

2°) lorsqu’il résulte de l’instruction qu’un délit a bien été commis, mais qu’il n’y a pas de raisons suffisantes pour accuser une personne ou plusieurs personnes précises en tant qu’auteurs, complices ou receleurs. »

Le droit français

7 L’article 113-9 du code pénal prévoit :

« Dans les cas prévus aux articles 113-6 et 113-7, aucune poursuite ne peut être exercée contre une personne justifiant qu’elle a été jugée définitivement à l’étranger pour les mêmes faits et, en cas de condamnation, que la peine a été subie ou prescrite. »

8 L’article 692 du code de procédure pénale dispose :

« Dans les cas prévus au chapitre précédent, aucune poursuite ne peut être exercée contre une personne justifiant qu’elle a été jugée définitivement à l’étranger pour les mêmes faits et, en cas de condamnation, que la peine a été subie ou prescrite. »

La procédure au principal et les questions préjudicielles

9 Le 24 juillet 2014, un avion appartenant à Swiftair et immatriculé en Espagne était affrété pour un vol de Ouagadougou (Burkina Faso) à Alger (Algérie). Cet avion s’est écrasé dans une zone désertique située au nord du Mali. Tous ses occupants, dont 54 ressortissants français, sont décédés lors de cet accident.

10 À la suite dudit accident, une instruction a été ouverte par le Juzgado Central de Instrucción no 6 (tribunal d’instruction au niveau national no 6, Espagne), par une ordonnance du 24 juillet 2014. Ultérieurement, par une ordonnance du 23 septembre 2014, et après avoir écarté l’hypothèse d’un attentat terroriste, cette juridiction a estimé qu’il convenait d’enquêter pour établir si les faits avaient pu survenir à cause de l’inexpérience ou de l’imprudence des personnes physiques qui pilotaient
ledit avion.

11 Parallèlement, en France, la gendarmerie des transports aériens a été saisie afin de mener une enquête sur les faits. Par un réquisitoire introductif daté du 29 juillet 2014, une information judiciaire a été ouverte du chef d’homicides involontaires.

12 Entre l’année 2014 et l’année 2016, les autorités judiciaires espagnoles et françaises ont collaboré, notamment par des demandes d’entraide pénale internationale réciproques. Les échanges entre ces autorités n’ont toutefois pas permis de régler en amont la question de l’existence d’une éventuelle contrariété des décisions prises à l’issue des enquêtes menées parallèlement par lesdites autorités.

13 Le 18 juillet 2016, le juge d’instruction espagnol a prononcé une décision de non-lieu provisoire au titre de l’article 641 du code de procédure pénale espagnol, au motif que, « au niveau de l’aspect humain et professionnel de l’équipage », ainsi que de l’état de l’aéronef, il n’avait trouvé « aucune preuve que des irrégularités, de la part de la compagnie [Swiftair], pouvant être en lien avec l’accident d’aviation [...], aient été commises ». En particulier, aux termes de cette décision,
« aucune infraction au devoir objectif d’attention ou de diligence exigé des pilotes d’aéronef » n’avait été relevée.

14 En France, les investigations techniques ont été confiées à un collège de trois experts, dont le rapport final, déposé le 23 décembre 2016, a conclu à l’existence de facteurs ayant contribué à cet accident, tels que l’activité saisonnière des pilotes, qui aurait contribué à abaisser leur niveau de performance face à des situations inusuelles, et le volume insuffisant ainsi que le contenu incomplet de leurs entraînements au sol et sur simulateur de vol, qui auraient contribué, notamment, à un
défaut de réaction adaptée face à la situation concernée.

15 Le 29 juin 2017, Swiftair a été mise en examen, par le juge d’instruction français, du chef d’homicides involontaires, au motif qu’elle n’avait pas assuré à l’équipage une « formation suffisante » et avait, de ce fait, involontairement causé la mort de l’ensemble des personnes à bord, parmi lesquelles se trouvaient des victimes françaises. Par une requête du 24 novembre 2017, Swiftair a sollicité l’annulation de sa mise en examen au motif qu’elle devait bénéficier de la décision de non-lieu
rendue en Espagne, celle-ci étant définitive et devant s’imposer en France au titre de l’article 54 de la CAAS et du principe ne bis in idem, consacré à cet article 54. Le 16 novembre 2018, cette requête a été jugée irrecevable par la chambre de l’instruction.

16 Par une ordonnance du 18 mai 2021, le juge d’instruction français a ordonné le renvoi de Swiftair devant le tribunal judiciaire de Paris, qui est la juridiction de renvoi, tout en écartant les arguments relatifs à la méconnaissance du principe ne bis in idem invoqués par cette société, au motif que cette décision de non-lieu n’était pas revêtue de l’autorité de la chose jugée et n’était pas définitive. En particulier, ladite décision, qui n’aurait pas d’équivalent en droit français, n’aurait pas
pour effet d’éteindre définitivement l’action publique et ne ferait pas obstacle à d’autres poursuites pénales pour les mêmes faits.

17 La juridiction de renvoi observe notamment que, en vertu de la législation espagnole applicable, la responsabilité pénale d’une personne morale, telle que Swiftair, ne peut pas être engagée et que, pour ce motif, cette dernière n’a été formellement visée par aucun acte de poursuite ou de contrainte en Espagne. Ainsi, cette juridiction s’interroge sur le point de savoir si, pour autant qu’elle puisse revêtir un caractère définitif, la décision de non-lieu prise en Espagne couvre, aux fins de
l’application de l’article 54 de la CAAS, non seulement les personnes physiques qu’elle vise directement, mais aussi la personne morale indirectement mise en cause, de sorte que cette dernière devrait être considérée comme ayant été « définitivement jugée », au sens de cet article 54.

18 Dans ces conditions, le tribunal judiciaire de Paris a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 54 de la CAAS, lu à la lumière de l’article 50 de la Charte, doit-il être interprété en ce sens qu’une ordonnance de non-lieu, prononcée dans un État contractant par un organe juridictionnel, susceptible de recours, intervenant après une instruction approfondie de l’affaire, et faisant obstacle à la poursuite de la procédure sauf charges nouvelles, doit être qualifiée de décision définitive au sens de cet article, même si pour l’État contractant dans lequel cette ordonnance de
non-lieu a été prononcée, elle ne bénéficie pas de l’ensemble des effets d’une décision revêtue de l’autorité pleine et entière de la chose jugée ?

2) L’article 54 de la CAAS, lu à la lumière de l’article 50 de la Charte, doit-il être interprété en ce sens que, dans le cas d’une ordonnance de non-lieu valant décision définitive, susceptible d’offrir la protection du ne bis in idem prévue par ce texte, la “personne qui a été définitivement jugée” doit être entendue comme toute personne mise en cause au cours de l’enquête, dont les agissements ou abstentions ont fait l’objet d’investigations, même si cette personne n’a été formellement visée
par aucun acte de poursuite ou de contrainte au cours de la phase d’instruction ?

3) L’article 54 de la CAAS, lu à la lumière de l’article 50 de la Charte, doit-il être interprété en ce sens qu’il existe une identité de personnes entre, d’une part, des personnes physiques dont les agissements ont été commis à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions sociales, au bénéfice et pour le compte de la personne morale qu’ils représentent, et, d’autre part, la personne morale elle‑même, prohibant toute poursuite contre une personne morale dans un État contractant, si ses
représentants légaux ont déjà été “définitivement jugés” au sens du droit de l’Union dans un autre État contractant, bien que la personne morale n’ait elle-même jamais été poursuivie à titre personnel dans ce dernier ?

4) Si la réponse à la question précédente est positive et dans un tel cas, l’article 54 de la CAAS, lu à la lumière de l’article 50 de la Charte, doit-il être interprété en ce sens que la protection du [principe] ne bis in idem doit bénéficier à la personne morale, y compris si, pour l’État contractant dans lequel la décision définitive a été prononcée, la personne morale n’était en tout état de cause pas susceptible de poursuites pénales, soit parce que la responsabilité pénale de la personne
morale n’existe pas de manière directe dans cet État, soit parce que la responsabilité pénale de la personne morale peut seulement être engagée pour des infractions que les faits objets de la poursuite ne sont pas susceptibles de caractériser ? »

Sur la recevabilité

19 Selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure instituée par l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent
sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 22 octobre 2024, Kolin Inşaat Turizm Sanayi ve Ticaret, C‑652/22, EU:C:2024:910, point 36 et jurisprudence citée).

20 Néanmoins, il revient à la Cour d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national, en vue de vérifier sa propre compétence ou la recevabilité de la demande qui lui est soumise (arrêt du 22 octobre 2024, Kolin Inşaat Turizm Sanayi ve Ticaret, C‑652/22, EU:C:2024:910, point 37 et jurisprudence citée).

21 Dans ce contexte, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la Cour peut refuser de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon
utile aux questions qui lui sont posées [arrêt du 30 avril 2024, M.N. (EncroChat), C‑670/22, EU:C:2024:372, point 65 et jurisprudence citée].

22 À cet égard, les exigences concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour, dont la juridiction de renvoi est censée, dans le cadre de la coopération instaurée à l’article 267 TFUE, avoir connaissance et qu’elle est tenue de respecter scrupuleusement. En vertu de ces exigences, qui sont rappelées au point 15 des recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions
nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1), toute demande de décision préjudicielle contient « un exposé sommaire de l’objet du litige, ainsi que des faits pertinents tels qu’ils ont été constatés par la juridiction de renvoi, ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions préjudicielles sont fondées », « la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer en l’espèce et, le cas échéant, la
jurisprudence nationale pertinente », ainsi que « l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, et le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal ».

23 S’agissant de la présente affaire, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 54 de la CAAS, une personne qui a été définitivement jugée par une partie contractante ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie par une autre partie contractante, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la partie contractante de condamnation.

24 Selon une jurisprudence constante, l’article 54 de la CAAS a pour but de garantir à une personne, qui a été condamnée et a purgé sa peine, ou, le cas échéant, qui a été définitivement acquittée dans un État membre, qu’elle peut se déplacer à l’intérieur de l’espace Schengen sans avoir à craindre de poursuites, pour les mêmes faits, dans un autre État membre (arrêt du 14 septembre 2023, Volkswagen Group Italia et Volkswagen Aktiengesellschaft, C‑27/22, EU:C:2023:663, point 81 ainsi que
jurisprudence citée).

25 En effet, il convient d’interpréter cet article à la lumière, d’une part, de l’article 3, paragraphe 2, TUE, selon lequel l’Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes (voir, en ce sens, arrêt du 29 juin 2016, Kossowski, C‑486/14, EU:C:2016:483, point 46), et, d’autre part, des considérants de la CAAS, dont il ressort que la finalité de cette convention est de parvenir à la
suppression des contrôles aux frontières communes dans la circulation des personnes, ainsi que d’y faciliter le transport et la circulation des marchandises, dans le cadre d’un espace sans frontières intérieures.

26 Par conséquent, l’article 54 de la CAAS est dépourvu de pertinence lorsque la possibilité de se déplacer librement dans cet espace n’est pas en cause et, en particulier, lorsque seules des personnes morales sont concernées (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2023, Volkswagen Group Italia et Volkswagen Aktiengesellschaft, C‑27/22, EU:C:2023:663, point 82).

27 En l’occurrence, il est constant que la procédure pénale engagée en France, faisant l’objet du litige au principal, est dirigée exclusivement contre une personne morale, à savoir Swiftair. Les personnes physiques dont la responsabilité pénale a été examinée en Espagne sont décédées lors de l’accident en cause au principal. Par conséquent, la possibilité, pour des personnes physiques, de se déplacer librement n’étant manifestement pas en cause dans le litige au principal, l’article 54 de la CAAS
n’est pas applicable à celui-ci.

28 Or, selon la jurisprudence, lorsque les dispositions du droit de l’Union sur lesquelles portent les questions préjudicielles ne sont pas applicables au litige au principal et ne sont donc pas pertinentes pour la solution de celui-ci, il y a lieu de considérer que la décision préjudicielle sollicitée n’est pas nécessaire pour permettre à la juridiction de renvoi de rendre son jugement et que ces questions sont donc irrecevables (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2024, Kolin Inşaat Turizm
Sanayi ve Ticaret, C‑652/22, EU:C:2024:910, points 38 et 68). Il s’ensuit que les questions posées en l’occurrence par la juridiction de renvoi sont, pour ce motif, irrecevables en tant qu’elles portent sur l’article 54 de la CAAS.

29 Si la juridiction de renvoi se réfère également à l’article 50 de la Charte, il convient de rappeler qu’en vertu de l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci, ses dispositions s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. La notion de « mise en œuvre du droit de l’Union », au sens de cette dernière disposition, présuppose l’existence d’un lien de rattachement entre un acte du droit de l’Union et la mesure nationale en cause qui dépasse le voisinage des
matières visées ou les incidences indirectes de l’une des matières sur l’autre [voir, en ce sens, arrêt du 28 novembre 2024, PT (Accord entre le procureur et l’auteur d’une infraction), C‑432/22, EU:C:2024:987, point 35 ainsi que jurisprudence citée].

30 En l’occurrence, la juridiction de renvoi n’ayant pas exposé, dans sa demande de décision préjudicielle, le lien qu’elle établit entre la législation nationale applicable au litige au principal et des dispositions pertinentes du droit de l’Union, cette demande ne permet pas, en l’état, d’établir que la situation en cause au principal relève de la mise en œuvre de ce droit. Or, selon la jurisprudence de la Cour, dans un tel cas, la Cour n’est pas compétente pour en connaître et les dispositions
éventuellement invoquées de la Charte ne sauraient, à elles seules, fonder cette compétence (ordonnance du 17 mai 2024, VGG e.a., C‑190/23, EU:C:2024:420, point 57 ainsi que jurisprudence citée).

31 Par conséquent, s’agissant de l’interprétation sollicitée de l’article 50 de la Charte, il convient de constater que, en l’état, la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées, au sens de la jurisprudence constante visée au point 21 du présent arrêt. La demande de décision préjudicielle ne satisfait pas aux exigences rappelées au point 22 du présent arrêt et, en particulier, à celles figurant à l’article 94,
sous c), du règlement de procédure, faute d’exposer le lien que la juridiction de renvoi établit entre la législation nationale applicable au litige au principal et des dispositions pertinentes du droit de l’Union.

32 Il s’ensuit que la demande de décision préjudicielle est irrecevable dans son ensemble.

33 La juridiction de renvoi conserve toutefois la faculté de soumettre une nouvelle demande de décision préjudicielle contenant l’ensemble des éléments permettant à la Cour de statuer (voir, en ce sens, ordonnance du 20 mai 2021, ENR Grenelle Habitat e.a., C‑88/20, EU:C:2021:407, point 38 ainsi que jurisprudence citée).

Sur les dépens

34 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

  La demande de décision préjudicielle introduite par le tribunal judiciaire de Paris (France), par décision du 4 juillet 2023, est irrecevable.

Kumin

von Danwitz

Gervasoni

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 3 avril 2025.
 
Le greffier

A. Calot Escobar

Le président de chambre

A. Kumin

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( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Sixième chambre
Numéro d'arrêt : C-701/23
Date de la décision : 03/04/2025

Analyses

Renvoi préjudiciel – Principe ne bis in idem – Convention d’application de l’accord de Schengen – Article 54 – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 50 – Décision de non-lieu provisoire prononcée dans un État membre à l’égard de personnes physiques décédées et précédemment employées par une personne morale – Poursuites pénales engagées contre cette personne morale dans un autre État membre – Irrecevabilité.


Parties
Demandeurs : Procureur de la République
Défendeurs : Société Swiftair.

Origine de la décision
Date de l'import : 05/04/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:237

Source

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