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19/09/2024 | CJUE | N°C-439/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, KV contre Consiglio nazionale delle Ricerche., 19/09/2024, C-439/23


 ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

19 septembre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 1999/70/CE – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Clause 4 – Principe de non-discrimination – Recrutement d’un travailleur employé à durée déterminée en tant que travailleur à durée indéterminée – Détermination de l’ancienneté – Absence de prise en compte des périodes d’emploi accomplies dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée conclus avant l’expiration du

délai de transposition de la directive
1999/70 – Application immédiate aux effets futurs d’une situation née sous l’...

 ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

19 septembre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 1999/70/CE – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Clause 4 – Principe de non-discrimination – Recrutement d’un travailleur employé à durée déterminée en tant que travailleur à durée indéterminée – Détermination de l’ancienneté – Absence de prise en compte des périodes d’emploi accomplies dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée conclus avant l’expiration du délai de transposition de la directive
1999/70 – Application immédiate aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la loi ancienne »

Dans l’affaire C‑439/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunale civile di Padova (tribunal civil de Padoue, Italie), par décision du 22 juin 2023, parvenue à la Cour le 13 juillet 2023, dans la procédure

KV

contre

Consiglio Nazionale delle Ricerche (CNR),

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de la première chambre, et M. P. G. Xuereb, juge,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour KV, par Me F. Americo, avvocato,

– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mmes L. Fiandaca et M. T. Lubrano Lobianco, avvocati dello stato,

– pour la Commission européenne, par Mmes D. Recchia et F. van Schaik, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999 (ci-après l’« accord-cadre »), qui figure à l’annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO 1999, L 175, p. 43).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant KV au Consiglio Nazionale delle Ricerche (CNR) (Conseil national de la recherche, Italie) au sujet du calcul de son ancienneté au moment de la conclusion d’un contrat de travail à durée indéterminée avec ce dernier.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Il ressort du considérant 14 de la directive 1999/70, fondée sur l’article 139, paragraphe 2, CE, que les parties signataires de l’accord-cadre ont souhaité, par la conclusion d’un tel accord-cadre, améliorer la qualité du travail à durée déterminée en garantissant l’application du principe de non-discrimination et établir un cadre pour prévenir les abus découlant de l’utilisation de relations de travail ou de contrats à durée déterminée successifs.

4 Aux termes de l’article 1er de la directive 1999/70, celle-ci vise « à mettre en œuvre l’[accord-cadre], figurant en annexe, conclu [...] entre les organisations interprofessionnelles à vocation générale (CES, UNICE, CEEP) ».

5 L’article 2, premier et troisième alinéas, de cette directive dispose :

« Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 10 juillet 2001 ou s’assurent, au plus tard à cette date, que les partenaires sociaux ont mis en place les dispositions nécessaires par voie d’accord, les États membres devant prendre toute disposition nécessaire leur permettant d’être à tout moment en mesure de garantir les résultats imposés par la présente directive. Ils en
informent immédiatement la Commission [européenne].

[...]

Lorsque les États membres adoptent les dispositions visées au premier alinéa, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle. Les modalités de cette référence sont arrêtées par les États membres. »

6 En vertu de l’article 3 de la directive 1999/70, cette dernière est entrée en vigueur le 10 juillet 1999, date de sa publication au Journal officiel des Communautés européennes.

7 Aux termes de la clause 1 de l’accord-cadre, celui-ci a pour objet :

« a) d’améliorer la qualité du travail à durée déterminée en assurant le respect du principe de non-discrimination ;

b) d’établir un cadre pour prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs. »

8 La clause 2, point 1, de l’accord-cadre est libellée comme suit :

« Le présent accord s’applique aux travailleurs à durée déterminée ayant un contrat ou une relation de travail défini par la législation, les conventions collectives ou les pratiques en vigueur dans chaque État membre. »

9 La clause 4 de l’accord-cadre prévoit :

« 1. Pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent soit justifié par des raisons objectives.

[...]

4. Les critères de périodes d’ancienneté relatifs à des conditions particulières d’emploi sont les mêmes pour les travailleurs à durée déterminée que pour les travailleurs à durée indéterminée, sauf lorsque des critères de périodes d’ancienneté différents sont justifiés par des raisons objectives. »

Le droit italien

10 L’article 6, paragraphe 1, du decreto legislativo n. 368 – Attuazione della direttiva 1999/70/CE relativa all’accordo quadro sul lavoro a tempo determinato concluso dall’UNICE, dal CEEP e dal CES (décret législatif no 368 relatif à la mise en œuvre de la directive [1999/70]), du 6 septembre 2001 (GURI no 235, du 9 octobre 2001, p. 4), qui a transposé la directive 1999/70 dans l’ordre juridique italien, dispose :

« Le travailleur disposant d’un contrat à durée déterminée bénéficie, en proportion de la période de travail effectuée, des congés payés et de la prime de Noël ou du treizième mois, ainsi que de l’indemnité de fin de contrat et de tous les autres avantages accordés dans l’entreprise aux travailleurs disposant d’un contrat à durée indéterminée comparables, c’est-à-dire ceux qui sont classés au même niveau en vertu des critères de classement établis par la convention collective, à condition que
cela ne soit pas objectivement incompatible avec la nature du contrat à durée déterminée. »

11 L’article 36 de la legge n. 70 – Disposizioni sul riordinamento degli enti pubblici e del rapporto di lavoro del personale dipendente (loi no 70 portant dispositions sur la réorganisation des organismes publics et la relation de travail des salariés), du 20 mars 1975 (GURI no 87, du 2 avril 1975), dans sa version applicable au litige au principal, prévoit :

« Pour répondre à des besoins particuliers de la recherche scientifique, le [CNR] [a] la faculté d’engager du personnel de recherche avancée, y compris des ressortissants étrangers, par contrat à durée déterminée d’une durée non supérieure à cinq ans. Dans le cadre de programmes de recherche individuels et pour toute la durée du programme, le recrutement par contrat de personnel de recherche et de personnel technique hautement spécialisé est également autorisé. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

12 Le requérant au principal, KV, a été employé par le CNR, qui est une personne morale de droit public, au moyen de trois contrats de travail à durée déterminée pendant les périodes allant, respectivement, du 2 novembre 1993 au 31 mars 1995, du 1er août 1995 au 1er août 2000 et du 4 septembre 2000 au 30 septembre 2001, afin d’accomplir les tâches de technologue et de chercheur.

13 Ce requérant ayant réussi un concours public, il a été engagé par le CNR, à partir du 1er octobre 2001, au moyen d’un contrat de travail à durée indéterminée, en vue d’accomplir les mêmes tâches. À l’occasion de cet engagement, le CNR n’a reconnu, aux fins de la détermination de l’ancienneté de service et de la rémunération du requérant au principal, aucune ancienneté au titre du travail salarié accompli par celui-ci dans le cadre des contrats de travail à durée déterminée conclus avant
l’expiration du délai imparti aux États membres pour transposer la directive 1999/70, à savoir, conformément à l’article 2, premier alinéa, de celle-ci, le 10 juillet 2001.

14 Le 8 février 2022, le requérant au principal a saisi le Tribunale civile di Padova (tribunal civil de Padoue, Italie), qui est la juridiction de renvoi, d’un recours visant, notamment, à faire constater, en application de la clause 4 de l’accord-cadre, l’existence de son droit à la reconnaissance de l’ancienneté de service acquise au titre de ce travail salarié et des augmentations de salaire acquises en conséquence.

15 Devant cette juridiction, le CNR a conclu au rejet de ce recours, en invoquant, notamment, l’absence d’effet rétroactif de la directive 1999/70.

16 Selon la juridiction de renvoi, aux fins de la demande de décision préjudicielle, seule importe la question de l’application dans le temps de cette directive.

17 À cet égard, cette juridiction fait observer, en premier lieu, que la relation de travail du requérant au principal qui a duré du 2 novembre 1993 au 31 mars 1995 a été exécutée entièrement avant l’entrée en vigueur de ladite directive, en deuxième lieu, que la relation de travail de celui-ci, qui a duré du 1er août 1995 au 1er août 2000, est née à une date antérieure à l’entrée en vigueur de la même directive et est arrivée à son terme à une date postérieure à cette entrée en vigueur, mais
antérieure à l’expiration du délai fixé pour la transposition de celle-ci et, en troisième lieu, que la relation de travail du requérant au principal qui a commencé le 4 septembre 2000 et a pris fin, de manière anticipée, le 30 septembre 2001, en raison de la réussite par ce requérant d’un concours public, est née et a été exécutée presque entièrement au cours de la période comprise entre l’entrée en vigueur de la directive 1999/70 et l’expiration de ce délai. La République italienne aurait
transposé cette directive dans son ordre juridique interne quelques mois après l’expiration dudit délai, à savoir le 24 octobre 2001, date d’entrée en vigueur du décret législatif no 368, du 6 septembre 2001.

18 Les contrats de travail à durée déterminée en cause au principal ne constitueraient pas des prolongations d’une relation de travail à durée déterminée initiale, mais seraient des actes instituant ex novo des relations de travail à durée déterminée successives et indépendantes.

19 La juridiction de renvoi précise que, si les périodes de travail en cause avaient été accomplies au titre de contrats de travail à durée indéterminée, elles auraient été prises en compte pour le calcul de l’ancienneté globale acquise par le requérant au principal.

20 Cette juridiction fait état de l’existence, dans l’ordre juridique italien, de deux courants jurisprudentiels divergents en ce qui concerne l’étendue du champ d’application ratione temporis de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre. Selon le premier courant, le principe de non-rétroactivité du droit de l’Union, selon lequel les règles de fond ne s’appliquent qu’aux situations nées après leur entrée en vigueur, exclurait l’application de cette clause à des relations de travail à durée déterminée
exécutées en totalité avant l’expiration du délai de transposition de la directive 1999/70. Selon le second courant jurisprudentiel, le principe selon lequel une règle nouvelle s’applique, sauf dérogation, immédiatement aux effets futurs des situations nées sous l’empire de la loi ancienne permettrait de prendre en compte, aux fins du calcul de l’ancienneté globale du travailleur à durée indéterminée, également les périodes de travail à durée déterminée définitivement accomplies avant l’entrée en
vigueur de cette directive.

21 La juridiction de renvoi considère que ce dernier principe doit être interprété dans le sens retenu par le premier courant jurisprudentiel. En effet, ledit dernier principe viserait les situations nées avant l’entrée en vigueur de la nouvelle règle et qui se poursuivent, dans une continuité substantielle, au cours de la période ultérieure, et non pas les situations entièrement nées et arrivées à leur terme avant l’entrée en vigueur de cette règle nouvelle.

22 Cette interprétation serait conforme aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, lesquels excluraient que les règles de fond du droit de l’Union soient applicables, de façon rétroactive, à des relations juridiques définies avant leur entrée en vigueur, à moins qu’il ne ressorte clairement de leurs termes, de leurs finalités ou de leur économie qu’un tel effet doit leur être attribué.

23 En considérant que ladite interprétation est également confortée par la jurisprudence de la Cour, la juridiction de renvoi estime que la clause 4, point 1, de l’accord-cadre, interprétée à la lumière de cette jurisprudence, doit être comprise comme ne couvrant pas les relations de travail à durée déterminée telles que celles qui ont existé entre les parties au principal du 2 novembre 1993 au 31 mars 1995 et du 1er août 1995 au 1er août 2000, dans la mesure où chacune de ces relations a pleinement
épuisé ses effets avant l’expiration du délai de transposition de la directive 1999/70.

24 En revanche, cette clause pourrait couvrir la relation de travail à durée déterminée qui s’étale du 4 septembre 2000 au 30 septembre 2001, puisque celle-ci était en cours à la date d’expiration de ce délai.

25 Dans ces conditions, le Tribunale civile di Padova (tribunal civil de Padoue) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« La clause 4, point 1, de l’[accord-cadre]

– doit-elle être appliquée ratione temporis aux relations de travail salarié à durée déterminée instaurées et conclues, du fait de l’arrivée du terme convenu, à une date antérieure à l’entrée en vigueur de la directive [1999/70] (le 10 juillet 1999) ?

– doit-elle s’appliquer ratione temporis aux relations de travail salarié à durée déterminée instaurées en vertu d’un contrat de travail individuel conclu avant l’entrée en vigueur de la directive [1999/70] (le 10 juillet 1999) et ayant pris fin, du fait de l’arrivée du terme convenu, à une date comprise entre l’entrée en vigueur de la directive [1999/70] et l’expiration du délai imparti aux États membres pour sa transposition (le 10 juillet 2001) ?

– doit-elle s’appliquer ratione temporis aux relations de travail salarié à durée déterminée instaurées en vertu d’un contrat de travail individuel conclu pendant la période comprise entre l’entrée en vigueur de la directive [1999/70] (le 10 juillet 1999) et l’expiration du délai imparti aux États membres pour sa transposition (le 10 juillet 2001), et ayant pris fin du fait de l’arrivée du terme convenu après cette dernière date ? »

Sur la question préjudicielle

Sur la recevabilité

26 Le gouvernement italien soutient que la question préjudicielle est irrecevable au motif que l’interprétation de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre n’est d’aucune utilité pour la réponse à cette question. En effet, ladite question porterait non pas sur le traitement du requérant au principal au cours de ses relations de travail à durée déterminée mais sur la reconnaissance du service qu’il a fourni dans le cadre de ces relations de travail aux fins de la détermination de sa rémunération pour
la période postérieure à la conversion de sa relation travail en relation de travail à durée indéterminée. Or, cette problématique serait régie par la clause 4, point 4, de l’accord-cadre et non pas par la clause 4, point 1, de celui-ci.

27 Dans la mesure où cet argument concerne la détermination de la disposition du droit de l’Union applicable au litige au principal, il relève du fond de la question préjudicielle posée et non pas de la recevabilité de celle-ci, de sorte qu’il y a lieu de l’examiner dans le cadre de l’examen au fond de cette question (voir, par analogie, arrêt du 18 janvier 2024, Lietuvos notarų rūmai e.a., C‑128/21, EU:C:2024:49, point 43 ainsi que jurisprudence citée).

28 Dès lors, il y a lieu de déclarer la question préjudicielle recevable.

Sur le fond

29 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la clause 4, point 1, de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce que l’ancienneté acquise par un travailleur au titre de contrats de travail à durée déterminée qui ont été exécutés entièrement ou partiellement avant la date d’expiration du délai de transposition de la directive 1999/70 ne soit pas prise en compte pour la détermination de la rémunération de ce travailleur lors de son recrutement à
durée indéterminée après cette date.

30 Dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. En effet, la Cour a pour mission d’interpréter toutes les dispositions du droit de l’Union dont les juridictions nationales ont besoin afin de statuer sur les litiges qui leur sont soumis, même si ces dispositions ne sont pas indiquées expressément
dans les questions qui lui sont adressées par ces juridictions [arrêt du 21 décembre 2021, Skarb Państwa (Couverture de l’assurance automobile), C‑428/20, EU:C:2021:1043, point 24].

31 À cet égard, il convient de rappeler que la clause 4, point 1, de l’accord-cadre énonce une interdiction de traiter, en ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent ne soit justifié par des raisons objectives. Le point 4 de cette clause énonce la même interdiction en ce qui concerne les critères
de périodes d’ancienneté relatifs à des conditions particulières d’emploi (arrêts du 18 octobre 2012, Valenza e.a., C‑302/11 à C‑305/11, EU:C:2012:646, point 39 ainsi que jurisprudence citée ; du 20 septembre 2018, Motter, C‑466/17, EU:C:2018:758, point 26, ainsi que du 30 novembre 2023, Ministero dell’Istruzione et INPS, C‑270/22, EU:C:2023:933, points 52 et 53).

32 Il est constant que le litige au principal, lequel porte sur le calcul de l’ancienneté du requérant au principal au moment de la conclusion de son contrat de travail à durée indéterminée, a trait à de tels critères.

33 Dans ces conditions, il y a lieu, afin de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi, d’interpréter également la clause 4, point 4, de l’accord-cadre.

34 À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé que la clause 4 de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale qui exclut totalement la prise en compte des périodes de service accomplies par un travailleur à durée déterminée d’une autorité publique pour la détermination de l’ancienneté de ce dernier lors de son recrutement à durée indéterminée par cette autorité, à moins que cette exclusion ne soit justifiée par des « raisons
objectives », au sens des points 1 et/ou 4 de cette clause. Le seul fait que le travailleur à durée déterminée a accompli ces périodes de service sur le fondement d’un contrat ou d’une relation de travail à durée déterminée ne constitue pas une telle raison objective (voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 2012, Valenza e.a., C‑302/11 à C‑305/11, EU:C:2012:646, point 71).

35 En l’occurrence, il ressort des informations fournies par la juridiction de renvoi que le requérant au principal, lorsqu’il exerçait ses fonctions auprès du CNR dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée, se trouvait dans une situation comparable à celle des travailleurs engagés à durée indéterminée par cet organisme, dès lors qu’il exécutait des tâches qui étaient susceptibles d’être exécutées par des travailleurs à durée indéterminée.

36 S’agissant du traitement moins favorable de travailleurs à durée déterminée en cause au principal, cette juridiction précise que, si le travail accompli par le requérant au principal au titre de ses contrats de travail à durée déterminée avait été accompli dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée, il aurait été pris en compte dans le calcul de son ancienneté globale.

37 Or, la Cour a dit pour droit que des règles relatives aux périodes de service à accomplir afin de pouvoir être classé dans une catégorie de rémunération, telles que celles en cause au principal, relèvent de la notion de « conditions d’emploi », au sens de la clause 4 de l’accord-cadre (arrêt du 30 novembre 2023, Ministero dell’Istruzione et INPS, C‑270/22, EU:C:2023:933, point 55 ainsi que jurisprudence citée).

38 Le seul fait qu’un travailleur a acquis la qualité de travailleur à durée indéterminée n’exclut pas la possibilité pour lui de se prévaloir, dans certaines circonstances, du principe de non-discrimination énoncé à cette clause 4 (arrêt du 18 octobre 2012, Valenza e.a., C‑302/11 à C‑305/11, EU:C:2012:646, point 34 ainsi que jurisprudence citée).

39 S’agissant de l’applicabilité temporelle de ladite clause 4, il convient de rappeler que, en principe, une règle de droit nouvelle s’applique à compter de l’entrée en vigueur de l’acte qui l’instaure. Si elle ne s’applique pas aux situations juridiques nées et définitivement acquises sous l’empire de la loi ancienne, elle s’applique aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la règle ancienne, ainsi qu’aux situations juridiques nouvelles. Il n’en va autrement, et sous réserve du
principe de non-rétroactivité des actes juridiques, que si la règle nouvelle est accompagnée de dispositions particulières qui déterminent spécialement ses conditions d’application dans le temps (arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks, C‑267/20, EU:C:2022:494, point 32 ainsi que jurisprudence citée).

40 Ainsi, les actes pris pour la transposition d’une directive doivent s’appliquer aux effets futurs des situations nées sous l’empire de la loi ancienne, dès la date d’expiration du délai de transposition, sauf si cette directive en dispose autrement [arrêt du 21 décembre 2021, Skarb Państwa (Couverture de l’assurance automobile), C‑428/20, EU:C:2021:1043, point 32].

41 Force est de constater que ni la directive 1999/70 ni l’accord-cadre ne comportent de dispositions particulières qui déterminent spécialement leurs conditions d’application dans le temps.

42 Il convient, dès lors, de déterminer si la situation juridique en cause au principal constitue une situation acquise antérieurement à la date d’expiration du délai de transposition de la directive 1999/70.

43 À cet égard, il importe de souligner que cette situation concerne la reconnaissance de l’ancienneté du requérant au principal, acquise en exécution de contrats de travail à durée déterminée jusqu’au 1er octobre 2001, aux fins de la détermination de sa rémunération à partir de cette date.

44 Bien que cette ancienneté a principalement été acquise avant l’expiration du délai de transposition de la directive 1999/70, ladite situation concerne la détermination des implications de ladite ancienneté pour la rémunération que ce requérant perçoit au titre de son contrat de travail à durée indéterminée, conclu après ladite date, et donc l’application de la clause 4 de l’accord-cadre après la même date.

45 Comme l’a relevé, en substance, la Commission, la situation juridique en cause au principal est analogue à celle du calcul de l’ancienneté requise pour acquérir un droit à une pension de retraite, en cause dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 10 juin 2010, Bruno e.a. (C‑395/08 et C‑396/08, EU:C:2010:329), et du 7 novembre 2018, O’Brien (C‑432/17, EU:C:2018:879), qui soulevaient la question de la prise en compte des périodes antérieures à l’expiration du délai de transposition de la
directive 97/81/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant l’accord-cadre sur le travail à temps partiel conclu par l’UNICE, le CEEP et la CES (JO 1998, L 14, p. 9).

46 En effet, au point 35 de ce dernier arrêt, la Cour a relevé que la circonstance qu’un droit à pension est définitivement acquis au terme de la période d’ancienneté correspondante ne permet pas de conclure que la situation juridique du travailleur concerné doit être considérée comme étant définitivement acquise, dès lors que ce n’est qu’ultérieurement et en tenant compte des périodes d’ancienneté pertinentes que ce travailleur pourra se prévaloir effectivement de ce droit en vue du versement de sa
pension de retraite. La Cour a conclu, au point 36 dudit dernier arrêt, que, lorsque la constitution des droits à pension s’étend à des périodes tant antérieures que postérieures à l’expiration du délai de transposition de la directive 97/81, il convient de considérer que la détermination de ces droits est régie par les dispositions de cette directive, y compris s’agissant des périodes d’ancienneté antérieures à la date d’entrée en vigueur de celle-ci.

47 Ces considérations valent également mutatis mutandis à l’égard de la directive 1999/70 et du droit à la rémunération réclamée par le requérant au principal au titre de l’ancienneté acquise dans le cadre de ses contrats de travail à durée déterminée, dès lors que ce n’est qu’ultérieurement et en tenant compte des périodes d’ancienneté pertinentes que ce requérant pourra se prévaloir effectivement de ce droit.

48 Le fait, mis en exergue par la juridiction de renvoi et par le gouvernement italien, que l’ancienneté dudit requérant a été acquise, notamment, au titre de contrats de travail à durée déterminée qui sont arrivés à leur terme avant la date d’expiration du délai de transposition de la directive 1999/70 ne saurait conduire à une conclusion différente.

49 En effet, l’ancienneté de service est acquise par un travailleur progressivement, quand bien même elle le serait au titre de contrats de travail qui sont arrivés à leur terme, et continue à caractériser la situation de celui-ci après ce terme. Ainsi, la durée de chaque relation de travail et la date à laquelle celle-ci a pris fin sont dépourvus de pertinence quant au calcul de l’ancienneté de service d’un travailleur qui suppose, en principe, de déterminer la durée totale des périodes d’emploi de
celui-ci.

50 En outre, le litige au principal porte sur l’applicabilité de la clause 4 de l’accord-cadre après la date d’expiration du délai de transposition de la directive 1999/70 dans le cadre de la prise en compte de l’ancienneté résultant de ces contrats à durée déterminée et non pas sur l’applicabilité de cette clause auxdits contrats de travail eux-mêmes avant cette date. Comme le souligne, en substance, la Commission, le recours du requérant au principal ne visant pas à remettre en cause les
conditions d’exécution des mêmes contrats de travail, il n’a pas pour objet l’application rétroactive de cette clause.

51 Dans ces conditions, la situation juridique en cause au principal ne saurait être considérée comme ayant été définitivement acquise à la date d’expiration du délai de transposition de la directive 1999/70.

52 Cette conclusion n’est pas remise en cause par les points 99 à 104 de l’arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks (C‑267/20, EU:C:2022:494), cité par la juridiction de renvoi et par le gouvernement italien, auxquels la Cour a jugé, en substance, qu’il convient de considérer que la présomption réfragable qui est établie à l’article 17, paragraphe 2, de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages
et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne (JO 2014, L 349, p. 1), selon laquelle les infractions commises dans le cadre d’une entente causent un préjudice, ne saurait être applicable ratione temporis à un recours en dommages et intérêts qui, bien qu’introduit après l’entrée en vigueur des dispositions nationales transposant tardivement cette directive dans le droit national, porte sur une infraction au
droit de la concurrence qui a pris fin avant la date d’expiration du délai de transposition de celle-ci.

53 En effet, ainsi qu’il ressort des points 100 à 102 de cet arrêt, cette solution était justifiée par la nature et le mécanisme de fonctionnement particuliers de cette disposition de la directive 2014/104, dont l’application temporelle requiert l’existence d’une entente en cours.

54 Or, cette situation ne connaît pas d’équivalent en ce qui concerne la clause 4 de l’accord-cadre.

55 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que la clause 4, points 1 et 4, de l’accord-cadre doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce que l’ancienneté acquise par un travailleur au titre de contrats de travail à durée déterminée qui ont été exécutés entièrement ou partiellement avant la date d’expiration du délai de transposition de la directive 1999/70 ne soit pas prise en compte pour la détermination de la rémunération de ce
travailleur lors de son recrutement à durée indéterminée après cette date, à moins que cette exclusion ne soit justifiée par des raisons objectives.

Sur les dépens

56 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

  La clause 4, points 1 et 4, de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée,

  doit être interprétée en ce sens que :

  elle s’oppose à ce que l’ancienneté acquise par un travailleur au titre de contrats de travail à durée déterminée qui ont été exécutés entièrement ou partiellement avant la date d’expiration du délai de transposition de cette directive ne soit pas prise en compte pour la détermination de la rémunération de ce travailleur lors de son recrutement à durée indéterminée après cette date, à moins que cette exclusion ne soit justifiée par des raisons objectives.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.


Synthèse
Formation : Sixième chambre
Numéro d'arrêt : C-439/23
Date de la décision : 19/09/2024

Analyses

Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 1999/70/CE – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Clause 4 – Principe de non-discrimination – Recrutement d’un travailleur employé à durée déterminée en tant que travailleur à durée indéterminée – Détermination de l’ancienneté – Absence de prise en compte des périodes d’emploi accomplies dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée conclus avant l’expiration du délai de transposition de la directive 1999/70 – Application immédiate aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la loi ancienne.


Parties
Demandeurs : KV
Défendeurs : Consiglio nazionale delle Ricerche.

Origine de la décision
Date de l'import : 21/09/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:773

Source

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