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14/09/2023 | CJUE | N°C-71/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, KT contre Sofiyska gradska prokuratura., 14/09/2023, C-71/21


 ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

14 septembre 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Accord relatif à la procédure de remise entre les États membres de l’Union européenne, d’une part, et la République d’Islande et le Royaume de Norvège, d’autre part – Article 1er, paragraphe 3 – Droits fondamentaux – Refus d’exécution par un État membre d’un mandat d’arrêt émis par le Royaume de Norvège – Émission d’un nouveau mandat d’arrêt par le Royaume de Norvège contre la même pers

onne pour les mêmes faits – Examen par un autre
État membre – Prise en compte du refus d’exécution du premier mandat d’a...

 ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

14 septembre 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Accord relatif à la procédure de remise entre les États membres de l’Union européenne, d’une part, et la République d’Islande et le Royaume de Norvège, d’autre part – Article 1er, paragraphe 3 – Droits fondamentaux – Refus d’exécution par un État membre d’un mandat d’arrêt émis par le Royaume de Norvège – Émission d’un nouveau mandat d’arrêt par le Royaume de Norvège contre la même personne pour les mêmes faits – Examen par un autre
État membre – Prise en compte du refus d’exécution du premier mandat d’arrêt »

Dans l’affaire C‑71/21

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia, Bulgarie), par décision du 4 février 2021, parvenue à la Cour le 4 février 2021, dans la procédure relative à l’exécution d’un mandat d’arrêt émis contre

KT,

en présence de :

Sofiyska gradska prokuratura,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. P. G. Xuereb, président de chambre, M. L. Bay Larsen (rapporteur), vice-président de la Cour, et M. T. von Danwitz, juge,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour l’Irlande, par Mme M. Browne, M. A. Joyce et Mme J. Quaney, en qualité d’agents, assistés de Mme M. Gráinne, BL,

– pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér et Mme R. Kissné Berta, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement autrichien, par Mmes J. Schmoll, C. Leeb et M. A. Posch, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mme S. Grünheid et M. I. Zaloguin, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6 TUE, de l’article 21, paragraphe 1, et de l’article 67, paragraphe 1, TFUE, de l’article 6 et de l’article 45, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), de l’article 1er, paragraphes 2 et 3, de l’accord entre l’Union européenne et la République d’Islande et le Royaume de Norvège relatif à la procédure de remise entre les États membres de l’Union européenne et
l’Islande et la Norvège (JO 2006, L 292, p. 2), approuvé, au nom de l’Union européenne, par la décision 2014/835/UE du Conseil, du 27 novembre 2014, relative à la conclusion de l’accord entre l’Union européenne, d’une part, et la République d’Islande et le Royaume de Norvège, d’autre part, relatif à la procédure de remise entre les États membres de l’Union européenne et l’Islande et la Norvège (JO 2014, L 343, p. 1), et entré en vigueur le 1er novembre 2019 (ci‑après l’« accord relatif à la
procédure de remise »), ainsi que de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure relative à l’exécution, en Bulgarie, d’un mandat d’arrêt émis par le parquet régional de Hordaland (Norvège) contre KT.

Le cadre juridique

L’accord relatif à la procédure de remise

3 Le préambule de l’accord relatif à la procédure de remise énonce :

« L’Union européenne,

d’une part, et

La République d’Islande

et

Le Royaume de Norvège,

d’autre part,

ci-après dénommés “parties contractantes”,

Souhaitant améliorer la coopération judiciaire en matière pénale entre les États membres de l’Union européenne et [la République d’]Islande et [le Royaume de] Norvège, sans préjudice des dispositions protégeant la liberté individuelle ;

Considérant que les relations actuelles entre les parties contractantes exigent une coopération étroite dans la lutte contre la criminalité ;

Exprimant leur confiance mutuelle dans la structure et dans le fonctionnement de leurs systèmes juridiques et dans la capacité de toutes les parties contractantes à garantir un procès équitable ;

Considérant que [la République d’]Islande et [le Royaume de] Norvège ont exprimé le souhait de conclure un accord leur permettant d’accélérer l’accomplissement des formalités de transfert des suspects et des détenus avec les États membres de l’Union européenne et d’appliquer une procédure de remise avec les États membres ;

[...] »

4 L’article 1er, paragraphes 1 à 3, de cet accord est libellé comme suit :

« 1.   Les parties contractantes s’engagent à améliorer, conformément aux dispositions du présent accord, la remise aux fins des poursuites ou de l’exécution des peines entre les États membres, d’une part, et le Royaume de Norvège et la République d’Islande, d’autre part, en tenant compte, en tant que normes minimales, des dispositions de la convention du 27 septembre 1996 relative à l’extradition entre les États membres de l’Union européenne.

2.   Les parties contractantes s’engagent, conformément aux dispositions du présent accord, à faire en sorte que le système d’extradition entre les États membres, d’une part, et le Royaume de Norvège et la République d’Islande, d’autre part, soit fondé sur un mécanisme de remise sur la base d’un mandat d’arrêt conforme aux termes du présent accord.

3.   Le présent accord n’a pas pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux énoncés dans la [CEDH], ou, en cas d’exécution par l’autorité judiciaire d’un État membre, les principes mentionnés à l’article 6 [UE]. »

5 Aux termes de l’article 2, paragraphe 5, dudit accord :

« On entend par “mandat d’arrêt”, une décision judiciaire émise par un État en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté. »

6 Les articles 4 à 8 du même accord prévoient les motifs de non-exécution du mandat d’arrêt ainsi que les conditions auxquelles l’exécution d’un mandat d’arrêt peut être subordonnée.

7 L’article 4, point 2, de l’accord relatif à la procédure de remise énonce :

« Les États établissent l’obligation, pour l’autorité judiciaire d’exécution, de refuser l’exécution du mandat d’arrêt dans les cas suivants :

[...]

2) s’il résulte des informations à la disposition de l’autorité judiciaire d’exécution que la personne recherchée a fait l’objet d’un jugement définitif pour les mêmes faits par un État, à condition que, en cas de condamnation, la peine ait été purgée ou soit en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon le droit de l’État de condamnation ;

[...] »

8 L’article 34, paragraphe 1, de cet accord est ainsi rédigé :

« Sans préjudice de leur application dans les relations entre États et États tiers, le présent accord remplace, dès son entrée en vigueur, les dispositions correspondantes des conventions ci-après, applicables en matière d’extradition dans les relations entre [le Royaume de] Norvège et [la République d’]Islande, d’une part, et les États membres, d’autre part :

a) la convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957, son protocole additionnel du 15 octobre 1975, son deuxième protocole additionnel du 17 mars 1978, et la [c]onvention européenne pour la répression du terrorisme du 27 janvier 1977 pour autant qu’elle concerne l’extradition, modifiée par son protocole de 2003 lorsque celui-ci entrera en vigueur ;

[...] »

La décision-cadre 2002/584/JAI

9 L’article 1er de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24) (ci-après la « décision-cadre 2002/584 »), est ainsi libellé :

« 1.   Le mandat d’arrêt européen est une décision judiciaire émise par un État membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté.

2.   Les États membres exécutent tout mandat d’arrêt européen, sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de la présente décision-cadre.

3.   La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 [UE]. »

10 Les articles 3 à 5 de la décision-cadre 2002/584 énoncent les motifs de non-exécution du mandat d’arrêt européen ainsi que les conditions auxquelles l’exécution d’un mandat d’arrêt européen peut être subordonnée.

11 L’article 3, point 2, de cette décision-cadre dispose :

« L’autorité judiciaire de l’État membre d’exécution (ci-après dénommée “autorité judiciaire d’exécution”) refuse l’exécution du mandat d’arrêt européen dans les cas suivants :

[...]

2) s’il résulte des informations à la disposition de l’autorité judiciaire d’exécution que la personne recherchée a fait l’objet d’un jugement définitif pour les mêmes faits par un État membre, à condition que, en cas de condamnation, celle-ci ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de l’État membre de condamnation ;

[...] »

12 L’article 31, paragraphe 1, de ladite décision-cadre énonce :

« Sans préjudice de leur application dans les relations entre États membres et États tiers, la présente décision-cadre remplace, à partir du 1er janvier 2004, les dispositions correspondantes des conventions suivantes, applicables en matière d’extradition dans les relations entre les États membres :

a) la convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957, son protocole additionnel du 15 octobre 1975, son deuxième protocole additionnel du 17 mars 1978, et la convention européenne pour la répression du terrorisme du 27 janvier 1977 pour autant qu’elle concerne l’extradition ;

[...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

13 KT, qui réside en Bulgarie avec ses enfants, fait l’objet de poursuites pénales en Norvège pour des faits, commis sur son territoire, qualifiés, par les autorités menant ces poursuites, de fraude ayant entrainé un préjudice au système norvégien d’assurance sociale.

14 Dans le cadre de ces poursuites pénales, l’autorité norvégienne compétente a émis, le 26 juillet 2018, un mandat d’arrêt contre KT, qui a été diffusé au moyen du système d’information Schengen (SIS).

15 Le 25 novembre 2019, KT a été arrêté, lors de son entrée en Pologne, sur la base du signalement SIS dont il faisait l’objet aux fins de son arrestation.

16 Le 27 novembre 2019, l’autorité norvégienne compétente a émis un mandat d’arrêt sur le fondement de l’accord relatif à la procédure de remise.

17 Le 15 janvier 2020, le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie, Pologne) a refusé l’exécution de ce mandat d’arrêt sur le fondement de l’article 1er, paragraphe 3, de cet accord, en considérant que la remise de KT aux autorités norvégiennes entraînerait une violation de l’article 8 de la CEDH. Selon cette juridiction, une telle remise aurait pour conséquence le placement de ses enfants dans une famille d’accueil et la rupture définitive du lien avec leur père. Ladite juridiction a
également considéré que les autorités norvégiennes pouvaient avoir recours à d’autres formes de coopération judiciaire en matière pénale avec la République de Bulgarie dans le cadre de la procédure pénale en cause.

18 Le recours introduit contre cette décision par le parquet compétent a été classé sans suite, le 24 février 2020, par le Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie, Pologne).

19 Le 10 mars 2020, KT a été arrêté, lors de son entrée sur le territoire bulgare, sur la base du signalement SIS aux fins de son arrestation, dont il faisait toujours l’objet.

20 Le 12 mars 2020, le parquet régional de Hordaland, Sogn og Fjordane (Norvège) a émis un nouveau mandat d’arrêt contre KT, dans le cadre des mêmes poursuites pénales et sur le fondement des mêmes motifs que ceux sur la base desquels avait été émis le mandat d’arrêt du 27 novembre 2019.

21 Le 16 mars 2020, le Sofiyska gradska prokuratura (parquet de la ville de Sofia, Bulgarie) a saisi le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia, Bulgarie), qui est la juridiction de renvoi, d’une demande tendant à ce que le mandat d’arrêt émis le 12 mars 2020 soit exécuté.

22 Dans ce contexte, d’une part, cette juridiction se pose la question de savoir s’il est possible d’émettre plusieurs mandats d’arrêt contre une même personne dans le cadre d’une même procédure pénale.

23 Elle indique, à cet égard, que, au vu des similitudes qui peuvent être relevées entre les dispositions de l’accord relatif à la procédure de remise et les dispositions correspondantes de la décision-cadre 2002/584, il pourrait être envisagé d’appliquer, par analogie, l’arrêt du 25 juillet 2018, AY (Mandat d’arrêt – Témoin) (C‑268/17, EU:C:2018:602), dans lequel la Cour aurait répondu par l’affirmative à cette question. Elle relève toutefois que, à la différence de l’affaire ayant donné lieu à cet
arrêt, les deux mandats d’arrêt en cause au principal ont été émis dans le cadre de la même phase de la procédure pénale concernée. En outre, cet accord ne contiendrait pas de disposition équivalente à l’article 1er, paragraphe 2, de cette décision‑cadre, relatif à l’obligation d’exécution des mandats d’arrêt européens.

24 Cette juridiction s’interroge, d’autre part, sur l’éventuelle incidence d’un refus précédemment opposé par une juridiction d’un État membre à l’exécution d’un mandat d’arrêt émis par le Royaume de Norvège contre une même personne recherchée dans le cadre d’une même procédure pénale.

25 La juridiction de renvoi ajoute que l’état de santé de KT est fragile et qu’il a dû être hospitalisé à plusieurs reprises.

26 Dans ces conditions, le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Les dispositions de l’article 1er, paragraphes 2 et 3, de l’[accord relatif à la procédure de remise] autorisent-elles la délivrance d’un nouveau mandat d’arrêt aux fins de la même poursuite pénale [contre] une personne dont la remise a été refusée par un État membre sur le fondement de l’article 1er, paragraphe 3, dudit accord lu en combinaison avec l’article 6 TUE et l’article 8 de la [CEDH] ?

2) Les dispositions de l’article 1er, paragraphe 3, de l’accord relatif à la procédure de remise, de l’article 21, paragraphe 1, et de l’article 67, paragraphe 1, TFUE ainsi que [de l’article 6 et de l’article] 45, paragraphe 1, de la [Charte] autorisent-elles un État membre saisi d’un mandat d’arrêt à réexaminer le refus d’un autre État membre de remettre la même personne recherchée aux fins des mêmes poursuites pénales, au motif que ladite personne a fait usage de son droit à la libre
circulation et s’est déplacée depuis l’État dans lequel ce refus a été prononcé vers l’État d’exécution du nouveau mandat d’arrêt ? »

Sur la procédure devant la Cour

27 La juridiction de renvoi a demandé que le présent renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour.

28 Par décision du 22 février 2021, la Cour a décidé, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, qu’il n’y avait pas lieu de donner suite à cette demande, les conditions de l’urgence prévues à l’article 107 du règlement de procédure n’étant pas réunies.

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

29 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 3, de l’accord relatif à la procédure de remise doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’émission de plusieurs mandats d’arrêt successifs contre une personne recherchée en vue d’obtenir sa remise par un État partie à cet accord après que l’exécution d’un premier mandat d’arrêt visant cette personne a été refusée par un autre État partie audit accord.

30 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que les dispositions de l’accord relatif à la procédure de remise sont très semblables aux dispositions correspondantes de la décision-cadre 2002/584 (arrêt du 2 avril 2020, Ruska Federacija, C‑897/19 PPU, EU:C:2020:262, point 74).

31 Dans ce contexte, il convient de relever qu’aucune disposition de cet accord n’exclut l’émission de plusieurs mandats d’arrêt successifs contre une personne, y compris lorsque l’exécution d’un premier mandat d’arrêt visant cette personne a été refusée.

32 En outre, il ressort de l’article 1er, paragraphes 1 et 2, dudit accord, lu à la lumière de son préambule, que celui-ci tend à améliorer et à accélérer la coopération judiciaire en matière pénale entre les États membres, d’une part, et le Royaume de Norvège et la République d’Islande, d’autre part, au moyen d’un mécanisme de remise fondé sur une coopération étroite entre ces États et sur la confiance mutuelle que lesdits États ont exprimée dans la structure et dans le fonctionnement de leurs
systèmes juridiques respectifs ainsi que dans leur capacité à garantir un procès équitable.

33 Par ailleurs, l’article 34, paragraphe 1, de l’accord relatif à la procédure de remise énonce, à l’instar de l’article 31, paragraphe 1, de la décision‑cadre 2002/584, que cet accord remplace les dispositions correspondantes des conventions qu’il énumère, parmi lesquelles figure notamment la convention européenne d’extradition, signée à Paris le 13 décembre 1957, dans les relations entre les États membres, d’une part, et le Royaume de Norvège ainsi que la République d’Islande, d’autre part.

34 Le système de remise prévu par ledit accord tend ainsi, à l’instar de cette décision-cadre, par l’instauration d’un système simplifié et plus efficace de remise des personnes condamnées ou soupçonnées d’avoir enfreint la loi pénale, à faciliter et à accélérer la coopération judiciaire entre les États parties au même accord ainsi qu’à lutter contre l’impunité d’une personne recherchée qui se trouve sur un territoire autre que celui sur lequel elle a prétendument commis une infraction.

35 Or, une interdiction systématique, pour l’autorité d’émission d’un État partie à l’accord relatif à la procédure de remise, d’émettre un nouveau mandat d’arrêt en cas de refus d’exécution d’un premier mandat d’arrêt par un autre État partie à cet accord nuirait à l’efficacité du système de remise institué par ledit accord et impliquerait un risque d’impunité de personnes qui tentent d’échapper à la justice.

36 Ainsi, une telle émission peut s’avérer nécessaire, en particulier après que les éléments ayant fait obstacle à l’exécution d’un précédent mandat d’arrêt ont été écartés ou, lorsque la décision de refus d’exécution de ce mandat d’arrêt n’était pas conforme à l’accord relatif à la procédure de remise, en vue de conduire la procédure de remise d’une personne recherchée à son terme et ainsi de favoriser la réalisation de l’objectif de lutte contre l’impunité poursuivi par cet accord (voir, par
analogie, arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, point 141).

37 En revanche, il convient de relever, en premier lieu, que l’article 1er, paragraphe 3, dudit accord prévoit que celui-ci ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux énoncés dans la CEDH, ou, en cas d’exécution par l’autorité judiciaire d’un État membre, les principes mentionnés à l’article 6 TUE, lequel vise, notamment, les droits fondamentaux consacrés par la Charte.

38 Il s’ensuit que l’existence d’un risque de violation des droits fondamentaux énoncés par la Charte est susceptible de permettre à l’autorité judiciaire d’exécution de s’abstenir, à titre exceptionnel et à la suite d’un examen approprié, de donner suite à un mandat d’arrêt, sur le fondement de l’article 1er, paragraphe 3, de l’accord relatif à la procédure de remise (voir, par analogie, arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, point 72).

39 Dès lors, l’émission d’un mandat d’arrêt dont l’exécution aboutirait à une violation de la Charte et devrait, dans les conditions exposées au point précédent, être refusée par l’autorité judiciaire d’exécution n’est pas compatible avec les principes de confiance mutuelle et de coopération étroite dans la lutte contre la criminalité rappelés aux point 32 du présent arrêt (voir, par analogie, arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, point 142).

40 Partant, une autorité judiciaire d’émission ne saurait, en l’absence d’un changement de circonstances, émettre un nouveau mandat d’arrêt contre une personne après qu’une autorité judiciaire d’exécution a refusé de donner suite à un précédent mandat d’arrêt émis contre cette personne, conformément à ce que lui imposait l’article 1er, paragraphe 3, de l’accord relatif à la procédure de remise (voir, par analogie, arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, point 143).

41 En second lieu, dès lors que l’émission d’un mandat d’arrêt peut avoir pour conséquence l’arrestation de la personne faisant l’objet de celui-ci et, partant, est susceptible de porter atteinte à la liberté individuelle de cette dernière, il appartient à l’autorité judiciaire envisageant d’émettre un mandat d’arrêt d’examiner si, au regard des spécificités de l’espèce, cette émission revêt un caractère proportionné (voir, par analogie, arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21,
EU:C:2023:57, point 144).

42 Dans le cadre d’un tel examen, il incombe notamment à cette autorité judiciaire de tenir compte de la nature et de la gravité de l’infraction pour laquelle la personne recherchée est poursuivie, des conséquences sur cette personne du ou des mandats d’arrêt précédemment émis contre elle ou encore des perspectives d’exécution d’un éventuel nouveau mandat d’arrêt (voir, par analogie, arrêt du 31 janvier 2023, Puig Gordi e.a., C‑158/21, EU:C:2023:57, point 145).

43 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 1er, paragraphe 3, de l’accord relatif à la procédure de remise doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à l’émission de plusieurs mandats d’arrêt successifs contre une personne recherchée en vue d’obtenir sa remise par un État partie à cet accord après que l’exécution d’un premier mandat d’arrêt visant cette personne a été refusée par un autre État partie audit accord,
pour autant que l’exécution du nouveau mandat d’arrêt n’aboutirait pas à une violation de cette disposition et que l’émission de ce dernier mandat d’arrêt revêt un caractère proportionné.

Sur la seconde question

44 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’accord relatif à la procédure de remise, l’article 21, paragraphe 1, et l’article 67, paragraphe 1, TFUE ainsi que l’article 6 et l’article 45, paragraphe 1, de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que l’exécution d’un mandat d’arrêt par un État membre soit refusée au seul motif qu’un autre État membre a refusé l’exécution d’un premier mandat d’arrêt émis par la République d’Islande ou le
Royaume de Norvège contre la même personne et pour les mêmes faits.

45 À cet égard, il convient de relever que, certes, l’accord relatif à la procédure de remise ne contient pas de disposition équivalente à l’article 1er, paragraphe 2, de la décision-cadre 2002/584, relatif à l’obligation d’exécution des mandats d’arrêt européens.

46 Cela étant, ainsi qu’il a été relevé aux points 32 à 34 du présent arrêt, le système de remise prévu par cet accord tend, à l’instar de cette décision‑cadre, par l’instauration d’un système simplifié et plus efficace de remise des personnes condamnées ou soupçonnées d’avoir enfreint la loi pénale, à faciliter et à accélérer la coopération judiciaire entre, d’une part, les États membres et, d’autre part, la République d’Islande et le Royaume de Norvège, ainsi qu’à lutter contre l’impunité d’une
personne recherchée qui se trouve sur un territoire autre que celui sur lequel elle a prétendument commis une infraction.

47 En outre, ledit accord est structuré de la même manière que ladite décision-cadre et il énumère, à ses articles 4 à 8, les motifs de non‑exécution d’un mandat d’arrêt ainsi que les conditions auxquelles l’exécution d’un mandat d’arrêt peut être subordonnée, à l’instar de ce que prévoient les articles 3 à 5 de la même décision-cadre.

48 Il s’ensuit que, malgré l’absence d’une disposition expresse en ce sens dans l’accord relatif à la procédure de remise, les États parties à cet accord sont en principe tenus de donner suite à un mandat d’arrêt émis par un autre État partie audit accord et ne peuvent refuser d’exécuter un tel mandat que pour des motifs procédant du même accord.

49 En particulier, ainsi qu’il a été rappelé au point 38 du présent arrêt, l’existence d’un risque de violation des droits fondamentaux énoncés par la Charte est susceptible de permettre à l’autorité judiciaire d’exécution de s’abstenir, à titre exceptionnel et à la suite d’un examen approprié, de donner suite à un mandat d’arrêt, sur le fondement de l’article 1er, paragraphe 3, de l’accord relatif à la procédure de remise.

50 À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, dans un cas de figure où il existe des motifs sérieux et avérés de croire que, en cas de remise à l’État d’émission, la personne recherchée courra un risque de réduction significative de son espérance de vie ou de détérioration rapide, significative et irrémédiable de son état de santé, il convient également d’avoir égard à cette disposition [voir, par analogie, arrêt du 18 avril 2023, E. D. L. (Motif de refus fondé sur la maladie),
C‑699/21, EU:C:2023:295, points 42, 50 et 52].

51 En revanche, aucune disposition de l’accord relatif à la procédure de remise ne prévoit la possibilité de refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt lorsque l’exécution d’un premier mandat d’arrêt visant la même personne et les mêmes faits a été refusée par un État partie à cet accord.

52 Ainsi, il convient de constater que la décision d’une autorité d’exécution de refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt ne saurait être assimilée à un « jugement définitif », au sens de l’article 4, point 2, dudit accord, seul susceptible de faire obstacle à ce que des poursuites pénales soient exercées, pour les mêmes faits, contre cette personne dans l’État d’émission ou qu’elles soient entamées dans tout autre État.

53 Il convient de rappeler, à cet égard, qu’une personne recherchée est considérée comme ayant fait l’objet d’un jugement définitif pour les mêmes faits, au sens de l’article 3, point 2, de la décision-cadre 2002/584, lequel correspond, en substance, à l’article 4, point 2, du même accord, lorsque, à la suite d’une procédure pénale, l’action publique est définitivement éteinte ou encore lorsque les autorités judiciaires d’un État membre ont adopté une décision par laquelle le prévenu est
définitivement acquitté pour les faits reprochés (voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2010, Mantello, C‑261/09, EU:C:2010:683, point 45).

54 Or, l’examen d’une demande de remise n’implique pas l’engagement de poursuites pénales par l’État d’exécution contre la personne dont la remise est demandée et ne comporte pas une appréciation sur le fond de l’affaire.

55 Dans ces conditions, si l’existence d’une décision de l’autorité d’exécution d’un État membre de refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt émis par la République d’Islande ou le Royaume de Norvège sur la base de l’article 1er, paragraphe 3, de l’accord relatif à la procédure de remise doit, certes, inciter à la vigilance l’autorité d’exécution d’un autre État membre saisie d’un nouveau mandat d’arrêt émis par cet État contre la même personne pour les mêmes faits, cette circonstance n’est pas
susceptible de soustraire l’autorité d’exécution du second État membre à son obligation d’examiner la demande de remise et d’adopter une décision sur l’exécution du mandat d’arrêt.

56 Une conclusion différente ne saurait être déduite de l’article 21, paragraphe 1, ou de l’article 67, paragraphe 1, TFUE ni de l’article 6 ou de l’article 45, paragraphe 1, de la Charte.

57 En effet, il ressort de l’article 2, paragraphe 5, de l’accord relatif à la procédure de remise que la notion de « mandat d’arrêt », au sens de cet accord, est définie comme visant une décision judiciaire émise par un État partie audit accord en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État partie du même accord d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté.

58 Il s’ensuit que l’objet du mécanisme de remise prévu par l’accord relatif à la procédure de remise est de permettre l’arrestation et la remise d’une personne recherchée afin que l’infraction commise ne demeure pas impunie et que cette personne soit poursuivie ou purge la peine privative de liberté prononcée contre elle [voir, par analogie, arrêt du 30 juin 2022, Spetsializirana prokuratura (Informations sur la décision nationale d’arrestation), C‑105/21, EU:C:2022:511, point 74].

59 L’arrestation de la personne dont la remise est demandée par l’émission d’un mandat d’arrêt fait, dès lors, partie intégrante du système de remise prévu par cet accord.

60 Or, si une telle arrestation provisoire constitue une restriction du droit de la personne recherchée à la libre circulation ainsi qu’à son droit à la liberté et à la sûreté, une telle arrestation doit néanmoins, en principe, être considérée comme justifiée par l’objectif légitime d’éviter l’impunité de cette personne, objectif qui s’inscrit dans le contexte de l’espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes,
prévu à l’article 3, paragraphe 2, TUE [voir, par analogie, arrêt du 12 mai 2021, Bundesrepublik Deutschland (Notice rouge d’Interpol), C‑505/19, EU:C:2021:376, point 86].

61 Eu égard à l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’accord relatif à la procédure de remise doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que l’exécution d’un mandat d’arrêt par un État membre soit refusée au seul motif qu’un autre État membre a refusé l’exécution d’un premier mandat d’arrêt émis par la République d’Islande ou le Royaume de Norvège contre la même personne et pour les mêmes faits.

Sur les dépens

62 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

  1) L’article 1er, paragraphe 3, de l’accord entre l’Union européenne et la République d’Islande et le Royaume de Norvège relatif à la procédure de remise entre les États membres de l’Union européenne et l’Islande et la Norvège, approuvé, au nom de l’Union européenne, par la décision 2014/835/UE du Conseil, du 27 novembre 2014, relative à la conclusion de l’accord entre l’Union européenne, d’une part, et la République d’Islande et le Royaume de Norvège, d’autre part, relatif à la procédure de
remise entre les États membres de l’Union européenne et l’Islande et la Norvège,

doit être interprété en ce sens que :

il ne s’oppose pas à l’émission de plusieurs mandats d’arrêt successifs contre une personne recherchée en vue d’obtenir sa remise par un État partie à cet accord après que l’exécution d’un premier mandat d’arrêt visant cette personne a été refusée par un autre État partie audit accord, pour autant que l’exécution du nouveau mandat d’arrêt n’aboutirait pas à une violation de cette disposition et que l’émission de ce dernier mandat d’arrêt revêt un caractère proportionné.

  2) L’accord entre l’Union européenne et la République d’Islande et le Royaume de Norvège relatif à la procédure de remise entre les États membres de l’Union européenne et l’Islande et la Norvège, approuvé, au nom de l’Union européenne, par la décision 2014/835,

doit être interprété en ce sens que :

il s’oppose à ce que l’exécution d’un mandat d’arrêt par un État membre soit refusée au seul motif qu’un autre État membre a refusé l’exécution d’un premier mandat d’arrêt émis par la République d’Islande ou le Royaume de Norvège contre la même personne et pour les mêmes faits.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le bulgare.


Synthèse
Formation : Sixième chambre
Numéro d'arrêt : C-71/21
Date de la décision : 14/09/2023

Analyses

Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Accord relatif à la procédure de remise entre les États membres de l’Union européenne, d’une part, et la République d’Islande et le Royaume de Norvège, d’autre part – Article 1er, paragraphe 3 – Droits fondamentaux – Refus d’exécution par un État membre d’un mandat d’arrêt émis par le Royaume de Norvège – Émission d’un nouveau mandat d’arrêt par le Royaume de Norvège contre la même personne pour les mêmes faits – Examen par un autre État membre – Prise en compte du refus d’exécution du premier mandat d’arrêt.


Parties
Demandeurs : KT
Défendeurs : Sofiyska gradska prokuratura.

Origine de la décision
Date de l'import : 16/09/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:668

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