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15/06/2023 | CJUE | N°C-132/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, BM et NP contre Ministero dell'Istruzione, dell'Università e della Ricerca - MIUR., 15/06/2023, C-132/22


 ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

15 juin 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Libre circulation des travailleurs – Article 45 TFUE – Règlement (UE) no 492/2011 – Article 3, paragraphe 1 – Entrave – Égalité de traitement – Procédure de classement pour l’attribution de postes dans certains établissements publics nationaux – Condition d’admission liée à l’expérience professionnelle antérieure acquise au sein de ces établissements – Réglementation nationale ne permettant pas de prendre en compte l’expérience professio

nnelle acquise dans d’autres États
membres – Justification – Objectif de lutte contre la précarité »

Dans l’affa...

 ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

15 juin 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Libre circulation des travailleurs – Article 45 TFUE – Règlement (UE) no 492/2011 – Article 3, paragraphe 1 – Entrave – Égalité de traitement – Procédure de classement pour l’attribution de postes dans certains établissements publics nationaux – Condition d’admission liée à l’expérience professionnelle antérieure acquise au sein de ces établissements – Réglementation nationale ne permettant pas de prendre en compte l’expérience professionnelle acquise dans d’autres États
membres – Justification – Objectif de lutte contre la précarité »

Dans l’affaire C‑132/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional du Latium, Italie), par décision du 13 décembre 2021, parvenue à la Cour le 25 février 2022, dans la procédure

BM,

NP

contre

Ministero dell’Istruzione, dell’Università e della Ricerca – MIUR,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. P. G. Xuereb, président de chambre, M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de la première chambre, et M. A. Kumin, juge,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour BM et NP, par Me D. Terracciano, avvocata,

– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme L. Fiandaca et M. A. Jacoangeli, avvocati dello Stato,

– pour la Commission européenne, par M. B.-R. Killmann et Mme D. Recchia, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 45, paragraphes 1 et 2, TFUE ainsi que de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) no 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (JO 2011, L 141, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant BM et NP, ressortissants italiens ayant acquis une expérience professionnelle dans des États membres autres que la République italienne, au Ministero dell’Istruzione, dell’Università e della Ricerca – MIUR (ministère de l’Éducation, des Universités et de la Recherche, Italie) (ci-après le « ministère ») au sujet de la légalité d’un décret ministériel qui prévoit que ne sont admis à la procédure d’inscription sur les listes en vue du
recrutement, au moyen de contrats de travail à durée indéterminée et à durée déterminée, de personnel dans les établissements publics de formation supérieure artistique, musicale et chorégraphique italiens que les candidats ayant acquis une certaine expérience professionnelle dans ces établissements.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement no 492/2011

3 L’article 3, paragraphe 1, du règlement no 492/2011 dispose :

« Dans le cadre du présent règlement, ne sont pas applicables les dispositions législatives, réglementaires ou administratives ou les pratiques administratives d’un État membre :

[...]

b) qui, bien qu’applicables sans acception de nationalité, ont pour but ou effet exclusif ou principal d’écarter les ressortissants des autres États membres de l’emploi offert.

[...] »

L’accord-cadre sur le travail à durée déterminée

4 La clause 5 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO 1999, L 175 p. 43), intitulée « Mesures visant à prévenir l’utilisation abusive », est libellée comme suit :

« 1. Afin de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, les États membres, après consultation des partenaires sociaux, conformément à la législation, aux conventions collectives et pratiques nationales, et/ou les partenaires sociaux, quand il n’existe pas des mesures légales équivalentes visant à prévenir les abus, introduisent d’une manière qui tienne compte des besoins de secteurs spécifiques et/ou de catégories de
travailleurs, l’une ou plusieurs des mesures suivantes :

a) des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail ;

b) la durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs ;

c) le nombre de renouvellements de tels contrats ou relations de travail.

2. Les États membres, après consultation des partenaires sociaux et/ou les partenaires sociaux, lorsque c’est approprié, déterminent sous quelles conditions les contrats ou relations de travail à durée déterminée :

a) sont considérés comme “successifs” ;

b) sont réputés conclus pour une durée indéterminée. »

Le droit italien

5 L’article 1, paragraphes 653 et 655, de la legge n. 205 – Bilancio di previsione dello Stato per l’anno finanziario 2018 e bilancio pluriennale per il triennio 2018-2020 (loi no 205, portant budget de l’État pour l’exercice 2018 et budget pluriannuel pour la période triennale 2018‑2020), du 27 décembre 2017 (GURI no 302, du 29 décembre 2017) (ci-après la « loi no 205/2017 »), prévoit :

« 653.   Afin de remédier à la précarité dans les établissements de formation supérieure artistique, musicale et chorégraphique, 1 million d’euros sont alloués pour l’année 2018, 6,6 millions d’euros pour l’année 2019, 11,6 millions d’euros pour l’année 2020, 15,9 millions d’euros pour l’année 2021, 16,4 millions d’euros pour l’année 2022, 16,8 millions d’euros pour chacune des années de 2023 à 2025, 16,9 millions d’euros pour l’année 2026, 17,5 millions d’euros pour l’année 2027, 18,1 millions
d’euros pour l’année 2028 et 18,5 millions d’euros par an à partir de l’année 2029. [...]

[...]

655.   Le personnel enseignant qui n’est pas déjà titulaire d’un contrat à durée indéterminée dans les établissements visés au paragraphe 653, qui a passé un concours sélectif aux fins de l’inscription au classement des écoles et qui a accumulé, jusqu’à l’année académique 2020/2021 incluse, au moins trois années académiques d’enseignement, même non consécutives, au cours des huit dernières années académiques, dans l’un des établissements susmentionnés dans les cours prévus à l’article 3 du
règlement visé au décret du président de la République no 212, du 8 juillet 2005, et dans les cours de formation prévus par l’article 3, paragraphe 3, du règlement d’application du décret du ministre de l’Éducation, des Universités et de la Recherche no 249, du 10 septembre 2010, est inscrit dans des classements nationaux spéciaux pour l’attribution de postes d’enseignement permanents et à durée déterminée, subordonnés aux classements nationaux existants sur titres et à ceux visés au
paragraphe 653, dans la limite des postes vacants disponibles. L’inclusion est prévue selon des modalités définies par arrêté du ministre de l’Éducation nationale, des Universités et de la Recherche. »

6 L’article 2, paragraphe 1, du decreto ministeriale n. 597 – Costituzione graduatorie riservate per il personale docente delle Istituzioni AFAM (décret ministériel no 597, relatif à la procédure d’établissement de classements réservés au personnel enseignant des établissements de formation supérieure artistique, musicale et chorégraphique), du 14 août 2018 (ci-après le « décret ministériel no 597/2018 »), dispose que seuls peuvent participer à cette procédure les candidats qui ont enseigné au cours
d’au moins trois années académiques dans les cours visés à l’article 3 du décret du président de la République no 212, du 8 juillet 2005, ou dans les cours de formation visés à l’article 3, paragraphe 3, du décret ministre de l’Éducation, des Universités et de la Recherche no 249, du 10 septembre 2010.

7 L’article 8, paragraphe 1, point A, du décret ministériel no 597/2018 prévoit la possibilité de prendre en compte, aux fins de l’évaluation des qualifications des candidats admis à participer à ladite procédure, l’expérience professionnelle acquise auprès d’établissements de même niveau que les établissements italiens de formation supérieure artistique, musicale et chorégraphique, situés à l’étranger.

Le litige au principal et la question préjudicielle

8 Par des recours distincts introduits au cours de l’année 2018 devant le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional du Latium, Italie), qui est la juridiction de renvoi, les requérants au principal ont demandé l’annulation du décret ministériel no 597/2018, en faisant valoir, notamment, que, en ne reconnaissant pas, aux fins de la participation à la procédure d’attribution de postes d’enseignants, à durée indéterminée et à durée déterminée, dans les
établissements publics de formation supérieure artistique, musicale et chorégraphique italiens, visée à l’article 1er, paragraphe 655, de la loi no 205/2017, l’expérience professionnelle de trois années académiques ou plus acquise dans des établissements de même niveau situés dans des États membres autres que la République italienne, ledit décret ministériel méconnaît l’article 45 TFUE et l’article 3 du règlement no 492/2011.

9 Le ministère fait valoir que le décret ministériel no 597/2018 ne peut pas être considéré comme illégal, puisqu’il a été adopté sur la base de la loi no 205/2017, laquelle viserait, ainsi qu’il ressortirait de son article 1er, paragraphe 653, à remédier à la précarité historique du secteur de la formation supérieure artistique, musicale et chorégraphique et placerait le ministère en situation de compétence liée. En outre, il n’y aurait pas de violation de l’article 45 TFUE ni du règlement
no 492/2011, dès lors qu’il n’y aurait pas de différence de traitement fondée sur la nationalité des candidats, la procédure visée à l’article 1er, paragraphe 655, de la loi no 205/2017 étant ouverte tant aux citoyens italiens qu’aux étrangers. Par ailleurs, permettre aux personnes ayant acquis une expérience dans d’autres États membres de participer à cette procédure dénaturerait la logique de la législation nationale en cause, qui viserait à favoriser la résorption de l’emploi précaire dans les
établissements publics italiens de formation supérieure artistique, musicale et chorégraphique par l’établissement de listes d’enseignants ayant acquis leur expérience professionnelle dans ces établissements, et non à l’étranger.

10 La juridiction de renvoi fait observer que, lors de l’adoption du décret ministériel no 597/2018, le ministère devait se référer aux dispositions de la loi no 205/2017 afin d’identifier les conditions de participation à la procédure visée à l’article 1er, paragraphe 655, de cette loi.

11 Selon la juridiction de renvoi, la loi no 205/2017 semble constituer une restriction à la libre circulation des travailleurs, dès lors qu’elle limite l’accès à la procédure d’attribution de postes d’enseignants, à durée indéterminée et à durée déterminée, dans les établissements publics de formation supérieure artistique, musicale et chorégraphique italiens, en le réservant aux seuls enseignants ayant une expérience préalable d’au moins trois ans dans ces établissements.

12 Toutefois, il résulterait des arrêts du 10 octobre 2019, Krah (C‑703/17, EU:C:2019:850), et du 23 avril 2020, Land Niedersachsen (Périodes antérieures d’activité pertinente) (C‑710/18, EU:C:2020:299), que des mesures restreignant la liberté de circulation des travailleurs peuvent être admises lorsqu’elles visent à la poursuite de l’un des objectifs énoncés au traité FUE ou sont justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général et respectent le principe de proportionnalité.

13 Quant à la question de savoir si l’objectif « d’enrayer le phénomène de l’emploi précaire » dans les établissements publics de formation supérieure artistique, musicale et chorégraphique italiens, énoncé par la loi no 205/2017, constitue un objectif d’intérêt général susceptible de justifier cette restriction et si celle-ci est proportionnée par rapport à cet objectif, la juridiction de renvoi fait observer, en premier lieu, qu’il résulterait de l’arrêt du 26 novembre 2014, Mascolo e.a. (C‑22/13,
C‑61/13 à C‑63/13 et C‑418/13, EU:C:2014:2401), que l’adoption par les États membres de mesures destinées à lutter contre le phénomène d’emploi précaire dans l’administration publique, résultant de la conclusion répétée de contrats à durée déterminée, vise à satisfaire des intérêts non seulement nationaux mais aussi ceux de l’Union européenne.

14 En deuxième lieu, la participation à la procédure visée à l’article 1er, paragraphe 655, de la loi no 205/2017 ne représenterait pas la seule voie pour obtenir un poste d’enseignant à durée indéterminée ou déterminée dans les établissements publics de formation supérieure artistique, musicale et chorégraphique italiens. En effet, jusqu’à la moitié du personnel permanent de ces établissements serait recruté sur la base de listes de classements nationaux spéciaux, tandis que le reste de ce
personnel serait recruté à l’issue de procédures de sélection publiques sur titres et épreuves. Par ailleurs, les contrats de travail à durée déterminée seraient conclus en priorité avec les enseignants inscrits sur ces listes. Lorsqu’il ne serait pas possible de pourvoir tous les postes vacants de cette manière, les établissements concernés pourraient lancer des appels à candidatures afin d’établir des listes spécifiques à chaque établissement.

15 En troisième lieu, il résulterait de la jurisprudence de la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle, Italie) que des règles qui, à l’instar de celles en cause dans le litige dont la juridiction de renvoi est saisie, prévoient des concours extraordinaires sont en principe conformes à la Constitution italienne, dès lors qu’elles sont édictées afin d’assurer le bon fonctionnement de l’administration, de conférer de la sécurité aux relations juridiques ainsi que de remédier à la précarité de
l’emploi et qu’elles ne restreignent pas de manière déraisonnable le droit d’accès aux emplois publics ni le principe du concours général.

16 C’est dans ces conditions que le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional du Latium) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 45, paragraphes 1 et 2, TFUE et l’article 3, paragraphe 1, sous b), du [règlement no 492/2011] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une règle telle que celle prévue à l’article 1er, paragraphe 655, de la loi no 205/2017, aux termes duquel, pour participer à la procédure d’inscription sur les listes en vue de la conclusion ultérieure de contrats d’enseignement à durée indéterminée et à durée déterminée dans les établissements italiens de [formation supérieure
artistique, musicale et chorégraphique], il n’est tenu compte que de l’expérience professionnelle acquise par les candidats dans ces établissements nationaux, et non de celle qu’ils auraient acquise dans des établissements de même niveau dans d’autres pays européens, étant entendu que la procédure en cause a pour finalité particulière de lutter contre le phénomène du travail précaire en Italie ; dans le cas où cette législation italienne ne serait pas considérée par la Cour de justice comme étant
en conflit dans l’abstrait avec le cadre législatif européen, les mesures qu’elle prévoit peuvent-elles être considérées comme proportionnées, in concreto, à l’objectif susvisé d’intérêt général ? »

Sur la question préjudicielle

17 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 45 TFUE et l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement no 492/2011 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui prévoit que seuls les candidats ayant acquis une certaine expérience professionnelle dans les établissements publics nationaux de formation supérieure artistique, musicale et chorégraphique peuvent être admis à une procédure d’inscription sur les listes établies
en vue du recrutement, au moyen de contrats de travail à durée indéterminée et à durée déterminée, de personnel dans ces établissements et qui empêche ainsi de prendre en considération, aux fins de l’admission à cette procédure, l’expérience professionnelle acquise dans d’autres États membres.

18 À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’ensemble des dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation des personnes visent à faciliter, pour les ressortissants des États membres, l’exercice d’activités professionnelles de toute nature sur le territoire de l’Union et s’opposent aux mesures qui pourraient défavoriser ces ressortissants lorsqu’ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d’un autre État membre [arrêts du 23 avril 2020, Land Niedersachsen (Périodes
antérieures d’activité pertinente), C‑710/18, EU:C:2020:299, point 24, et du 28 avril 2022, Gerencia Regional de Salud de Castilla y León, C‑86/21, EU:C:2022:310, point 21].

19 Il ressort de la jurisprudence que relèvent de l’article 45 TFUE les conditions de recrutement, notamment, pour les emplois dans l’administration publique autres que ceux visés au paragraphe 4 de cette disposition (voir, en ce sens, arrêts du 26 mai 1982, Commission/Belgique, 149/79, EU:C:1982:195, point 11, ainsi que du 11 février 2021, Katoen Natie Bulk Terminals et General Services Antwerp, C‑407/19 et C‑471/19, EU:C:2021:107, point 82).

20 Des dispositions nationales qui empêchent ou dissuadent un travailleur ressortissant d’un État membre de quitter son État d’origine pour exercer son droit à la libre circulation constituent des restrictions à cette liberté, au sens de l’article 45, paragraphe 1, TFUE, même si elles s’appliquent indépendamment de la nationalité des travailleurs concernés (arrêt du 28 avril 2022, Gerencia Regional de Salud de Castilla y León, C‑86/21, EU:C:2022:310, point 23 ainsi que jurisprudence citée).

21 En outre, l’article 45 TFUE a notamment pour objet d’éviter qu’un travailleur qui, en faisant usage de son droit de libre circulation, a occupé des emplois dans plus d’un État membre soit, sans justification objective, traité de façon plus défavorable que celui qui a effectué toute sa carrière dans un seul État membre (arrêt du 28 avril 2022, Gerencia Regional de Salud de Castilla y León, C‑86/21, EU:C:2022:310, point 24 ainsi que jurisprudence citée).

22 En effet, la libre circulation des personnes ne serait pas pleinement réalisée si les États membres pouvaient refuser le bénéfice de cette disposition à ceux de leurs ressortissants qui ont fait usage des facilités prévues dans le droit de l’Union et qui ont acquis, à la faveur de celles‑ci, des qualifications professionnelles dans un État membre autre que celui dont ils possèdent la nationalité (arrêt du 28 avril 2022, Gerencia Regional de Salud de Castilla y León, C‑86/21, EU:C:2022:310,
point 25 ainsi que jurisprudence citée).

23 La Cour a ainsi jugé qu’une réglementation nationale qui ne prend pas en considération l’intégralité des périodes antérieures d’activité équivalente qui ont été accomplies dans un État membre autre que celui d’origine du travailleur migrant est susceptible de rendre moins attrayante la libre circulation des travailleurs, en violation de l’article 45, paragraphe 1, TFUE [voir, en ce sens, arrêts du 30 septembre 2003, Köbler, C‑224/01, EU:C:2003:513, point 74 ; du 10 octobre 2019, Krah, C‑703/17,
EU:C:2019:850, point 54 ; du 23 avril 2020, Land Niedersachsen (Périodes antérieures d’activité pertinente), C‑710/18, EU:C:2020:299, point 26 et jurisprudence citée, ainsi que du 28 avril 2022, Gerencia Regional de Salud de Castilla y León, C‑86/21, EU:C:2022:310, point 26].

24 Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence que, lorsqu’un organisme public d’un État membre, à l’occasion du recrutement de personnel pour des postes qui ne relèvent pas du champ d’application de l’article 45, paragraphe 4, TFUE, prévoit de prendre en compte les activités professionnelles antérieures, exercées par les candidats au sein d’une administration publique, cet organisme ne peut opérer de distinction selon que ces activités ont été exercées dans le service public de cet État membre ou
dans celui d’un autre État membre (voir, en ce sens, arrêts du 23 février 1994, Scholz, C‑419/92, EU:C:1994:62, point 12, et du 12 mai 2005, Commission/Italie, C‑278/03, EU:C:2005:281, point 14).

25 Il convient de relever que la réglementation nationale en cause au principal est susceptible de dissuader un travailleur d’exercer son droit à la libre circulation prévu à l’article 45 TFUE, dans la mesure où elle pose une condition d’expérience professionnelle minimale aux fins de l’inscription des candidats sur les listes établies en vertu du décret ministériel no 597/2018 en vue du recrutement, au moyen de contrats de travail à durée déterminée et à durée indéterminée, de personnel dans les
établissements publics italiens de formation supérieure artistique, musicale et chorégraphique, mais empêche de prendre en considération, à cet effet, l’expérience acquise dans des États membres autres que la République italienne.

26 En effet, un tel travailleur peut être dissuadé de quitter son État membre d’origine pour aller travailler ou s’établir dans un autre État membre, si cette circonstance le prive de la possibilité de voir, à son retour dans le premier État membre, son expérience professionnelle acquise dans le second État membre prise en considération aux fins de l’inscription sur ces listes.

27 En outre, il convient de rappeler que l’article 45, paragraphe 2, TFUE énonce que la libre circulation des travailleurs implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail (voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 2022, Gerencia Regional de Salud de Castilla y León, C‑86/21, EU:C:2022:310, point 29 ainsi que jurisprudence citée).

28 Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que le principe d’égalité de traitement inscrit à l’article 45 TFUE prohibe non seulement les discriminations directes, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes indirectes de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 2022, Gerencia Regional de Salud de Castilla y León, C‑86/21, EU:C:2022:310, point 30 ainsi que jurisprudence citée).

29 Dans ce contexte, la Cour a précisé qu’une disposition du droit national, bien qu’indistinctement applicable à tous les travailleurs, quelle que soit leur nationalité, doit être considérée comme étant indirectement discriminatoire dès lors qu’elle est susceptible, par sa nature même, d’affecter davantage les travailleurs ressortissants d’autres États membres que les travailleurs nationaux et qu’elle risque, par conséquent, de défavoriser plus particulièrement les premiers, à moins qu’elle ne soit
objectivement justifiée et proportionnée à l’objectif poursuivi (arrêt du 28 avril 2022, Gerencia Regional de Salud de Castilla y León, C‑86/21, EU:C:2022:310, point 31 ainsi que jurisprudence citée).

30 Pour qu’une mesure puisse être qualifiée d’indirectement discriminatoire, il n’est pas nécessaire qu’elle ait pour effet de favoriser l’ensemble des ressortissants nationaux ou de ne défavoriser que les seuls ressortissants des autres États membres à l’exclusion des ressortissants nationaux (arrêt du 28 avril 2022, Gerencia Regional de Salud de Castilla y León, C‑86/21, EU:C:2022:310, point 32 ainsi que jurisprudence citée).

31 En l’occurrence, en refusant de prendre en considération l’expérience professionnelle équivalente acquise par un travailleur migrant au sein d’un établissement d’un État membre autre que la République italienne, la réglementation nationale en cause au principal est susceptible d’affecter davantage les travailleurs migrants que les travailleurs nationaux en défavorisant plus particulièrement les premiers dans la mesure où ceux-ci auront très probablement acquis une expérience professionnelle dans
un État membre autre que la République italienne avant d’intégrer les établissements italiens de formation supérieure artistique, musicale et chorégraphique (voir, par analogie, arrêt du 28 avril 2022, Gerencia Regional de Salud de Castilla y León, C‑86/21, EU:C:2022:310, point 33). Cette réglementation est donc susceptible d’instituer une différence de traitement indirectement fondée sur la nationalité.

32 Dans ces conditions, il convient de considérer que la réglementation en cause au principal constitue une restriction à la libre circulation des travailleurs interdite, en principe, par l’article 45 TFUE.

33 S’agissant de la justification d’une telle restriction, il est de jurisprudence bien établie que des mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité ne peuvent être admises qu’à la condition qu’elles poursuivent un objectif d’intérêt général, qu’elles soient propres à garantir la réalisation de celui-ci et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi (arrêt du
28 avril 2022, Gerencia Regional de Salud de Castilla y León, C‑86/21, EU:C:2022:310, point 35 ainsi que jurisprudence citée).

34 Il ressort des informations fournies par la juridiction de renvoi que la réglementation nationale en cause au principal vise à remédier à la précarité historique de l’emploi dans le secteur de la formation supérieure artistique, musicale et chorégraphique en Italie, en favorisant la résorption de l’emploi précaire dans ce secteur.

35 À cet égard, il convient de relever que, à supposer même que cet objectif doive être considéré comme un objectif légitime d’intérêt général, susceptible de justifier une restriction à la libre circulation des travailleurs, la restriction en cause au principal n’apparaît pas propre à garantir la réalisation dudit objectif.

36 En effet, ainsi que l’a relevé à juste titre la Commission européenne, l’exclusion des candidats ayant acquis une expérience professionnelle dans un autre État membre que la République italienne de la procédure visée à l’article 1er, paragraphe 655, de la loi no 205/2017 ne semble pas être, en soi, nécessaire pour favoriser la résorption de l’emploi précaire, c’est‑à‑dire augmenter la proportion de travailleurs à durée indéterminée, dans le secteur de la formation supérieure artistique, musicale
et chorégraphique en Italie, dès lors que cette procédure permet le recrutement par les établissements de ce secteur tant de tels travailleurs que de travailleurs à durée déterminée.

37 En outre, à supposer même que ladite procédure permette de recruter davantage de travailleurs à durée indéterminée que de travailleurs à durée déterminée, l’objectif d’augmenter la proportion de cette première catégorie dans le secteur en cause pourrait être atteint de manière tout aussi efficace en ouvrant la même procédure aux candidats ayant acquis une expérience professionnelle dans un État membre autre que la République italienne, sans réserver les postes à durée indéterminée aux
travailleurs à durée déterminée « de longue date » dudit secteur.

38 Par ailleurs, une telle mesure n’empêcherait pas la République italienne de remédier spécifiquement à la situation précaire de ces derniers travailleurs, laquelle résulte, ainsi que le précise la juridiction de renvoi, de la conclusion répétée de contrats à durée déterminée, notamment, en mettant en œuvre les mesures visées à la clause 5 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée ou en procédant à la titularisation de ces travailleurs.

39 Dans ces conditions, il convient de considérer que la restriction à la libre circulation des travailleurs qu’engendre la réglementation nationale en cause au principal n’est pas justifiée.

40 Quant à l’article 3 du règlement no 492/2011, dont le paragraphe 1 reprend dans des termes inchangés le libellé du paragraphe 1 de l’article 3 du règlement (CEE) no 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté (JO 1968, L 257, p. 2) (arrêt du 5 février 2015, Commission/Belgique, C‑317/14, EU:C:2015:63, point 2), il suffit de rappeler qu’il ne fait qu’expliciter les droits découlant déjà de l’article 45 TFUE pour ce qui
concerne, plus particulièrement, l’accès à l’emploi et doit dès lors être interprété de la même façon que ce dernier article (voir, par analogie, arrêts du 23 février 1994, Scholz, C‑419/92, EU:C:1994:62, point 6, ainsi que du 12 mai 2005, Commission/Italie, C‑278/03, EU:C:2005:281, points 3 et 15).

41 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question préjudicielle que l’article 45 TFUE et l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement no 492/2011 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui prévoit que seuls les candidats ayant acquis une certaine expérience professionnelle dans les établissements publics nationaux de formation supérieure artistique, musicale et chorégraphique peuvent être admis à une procédure
d’inscription sur les listes établies en vue du recrutement, au moyen de contrats de travail à durée indéterminée et à durée déterminée, de personnel dans ces établissements et qui empêche ainsi de prendre en considération, aux fins de l’admission à cette procédure, l’expérience professionnelle acquise dans d’autres États membres.

Sur les dépens

42 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

  L’article 45 TFUE et l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) no 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union,

  doivent être interprétés en ce sens que :

  ils s’opposent à une réglementation nationale qui prévoit que seuls les candidats ayant acquis une certaine expérience professionnelle dans les établissements publics nationaux de formation supérieure artistique, musicale et chorégraphique peuvent être admis à une procédure d’inscription sur les listes établies en vue du recrutement, au moyen de contrats de travail à durée indéterminée et à durée déterminée, de personnel dans ces établissements et qui empêche ainsi de prendre en considération, aux
fins de l’admission à cette procédure, l’expérience professionnelle acquise dans d’autres États membres.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.


Synthèse
Formation : Sixième chambre
Numéro d'arrêt : C-132/22
Date de la décision : 15/06/2023

Analyses

Renvoi préjudiciel – Libre circulation des travailleurs – Article 45 TFUE – Règlement (UE) no 492/2011 – Article 3, paragraphe 1 – Entrave – Égalité de traitement – Procédure de classement pour l’attribution de postes dans certains établissements publics nationaux – Condition d’admission liée à l’expérience professionnelle antérieure acquise au sein de ces établissements – Réglementation nationale ne permettant pas de prendre en compte l’expérience professionnelle acquise dans d’autres États membres – Justification – Objectif de lutte contre la précarité.


Parties
Demandeurs : BM et NP
Défendeurs : Ministero dell'Istruzione, dell'Università e della Ricerca - MIUR.

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:489

Source

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