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22/09/2022 | CJUE | N°C-613/21

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mme L. Medina, présentées le 22 septembre 2022., Parlement européen contre Fernando Carbajo Ferrero., 22/09/2022, C-613/21


 CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME LAILA MEDINA

présentées le 22 septembre 2022 ( 1 )

Affaire C‑613/21 P

Parlement européen

contre

Fernando Carbajo Ferrero

« Pourvoi – Fonction publique – Fonctionnaires – Procédure de nomination à un poste de directeur – Avis de vacance – Rejet de candidature à un poste et nomination d’un autre candidat – Irrégularité de la procédure de recrutement – Erreur manifeste d’appréciation – Transparence – Égalité de traitement – Rejet d

e la candidature – Recours en annulation et en indemnité »

I. Introduction

1. Le recrutement de hauts fonctionnaires est régi par le statut ...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME LAILA MEDINA

présentées le 22 septembre 2022 ( 1 )

Affaire C‑613/21 P

Parlement européen

contre

Fernando Carbajo Ferrero

« Pourvoi – Fonction publique – Fonctionnaires – Procédure de nomination à un poste de directeur – Avis de vacance – Rejet de candidature à un poste et nomination d’un autre candidat – Irrégularité de la procédure de recrutement – Erreur manifeste d’appréciation – Transparence – Égalité de traitement – Rejet de la candidature – Recours en annulation et en indemnité »

I. Introduction

1. Le recrutement de hauts fonctionnaires est régi par le statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») ( 2 ) et, le cas échéant, par les règles internes propres à une institution. De manière générale, les procédures de recrutement visent à permettre à l’administration de choisir en connaissance de cause le candidat le plus apte au poste concerné, et d’assurer la transparence de la procédure de recrutement et l’égalité de traitement de tous les candidats. Le pourvoi qui
nous occupe, formé par le Parlement européen contre l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 14 juillet 2021, Carbajo Ferrero/Parlement (T‑670/19, non publié, ci-après l’ arrêt attaqué , EU:T:2021:435), porte sur certaines caractéristiques de la procédure de recrutement de hauts fonctionnaires des institutions de l’Union, et plus précisément sur l’articulation des critères appliqués au cours de cette procédure lors de l’analyse comparative des mérites des candidats. Il s’agit d’une question
importante, dès lors qu’elle détermine le pouvoir d’appréciation dont bénéficie l’administration lors de la procédure de sélection.

II. Les antécédents du litige

2. Les antécédents du litige sont exposés aux points 1 à 18 de l’arrêt attaqué et peuvent, pour les besoins de la présente procédure, être résumés comme suit.

3. M. Carbajo Ferrero est un fonctionnaire entré au service du Parlement le 21 avril 1986. Il a exercé diverses fonctions au sein du Parlement dans les domaines de la presse, de l’information, de la culture et des médias.

4. Afin de pourvoir au poste de directeur à la direction des médias de la direction générale de la communication (ci-après le « directeur des médias »), le Parlement a publié, le 27 février 2018, un avis de vacance au titre de l’article 29, paragraphe 1, sous a), du statut (ci-après l’« avis de vacance »). La date limite pour le dépôt des candidatures était fixée au 23 mars 2018. M. Carbajo Ferrero a répondu à l’avis de vacance le 22 mars 2018.

5. Le Parlement a reçu trois candidatures en réponse à l’avis de vacance publié. Toutefois, afin d’élargir ses possibilités de choix parmi les candidats au poste de directeur des médias, le Parlement a publié, le 27 mars 2018, un avis de transfert au titre de l’article 29, paragraphe 1, sous b), du statut (ci-après l’« avis de transfert »). En outre, le 13 avril 2018, le Parlement a publié au Journal officiel de l’Union européenne un avis de recrutement au titre de l’article 29, paragraphe 2, du
statut (JO 2018, C 132 A, p. 1) (ci-après l’« avis de recrutement »).

6. L’avis de recrutement indiquait comme date limite pour le dépôt des candidatures le 27 avril 2018. Au total, seize candidats ont présenté leur candidature, dont trois en réponse à l’avis de vacance, un en réponse à l’avis de transfert et douze autres en réponse à l’avis de recrutement. Parmi ces candidats figurait A, qui a posé sa candidature en répondant à l’avis de recrutement le 26 avril 2018.

7. À partir de juin 2018, dans l’attente de la nomination d’un directeur des médias, M. Carbajo Ferrero s’est vu attribuer des responsabilités ad interim relatives à ce poste afin d’assurer la continuité du service de la direction des médias.

8. Dans le cadre de la nomination du directeur des médias, un comité consultatif pour la nomination des hauts fonctionnaires (ci-après le « Comité consultatif ») a été constitué conformément à la décision du bureau du Parlement (ci-après le « Bureau ») du 16 mai 2000 fixant les différentes étapes de la procédure de sélection des hauts fonctionnaires, telle que modifiée par la décision du Bureau du 18 février 2008 (ci‑après la « décision fixant les étapes de la procédure »).

9. Lors de sa réunion du 4 octobre 2018, le Comité consultatif a adopté des critères d’analyse comparative des candidatures (ci-après les « critères d’analyse comparative »). Sur le fondement de ces critères, le Comité consultatif a établi une liste de candidats et a recommandé au Bureau ceux qu’il conviendrait d’inviter à un entretien. Le Bureau a approuvé ces recommandations à l’unanimité. Parmi les candidats invités à un entretien figuraient M. Carbajo Ferrero, qui avait postulé au poste publié
dans l’avis de vacance, A, qui avait répondu à l’avis de recrutement, et B, la seule candidate à avoir répondu à l’avis de transfert.

10. Avant de rencontrer les candidats, le Comité consultatif a adopté sept sujets ou thèmes lui permettant de procéder, lors des entretiens, à une analyse des candidatures et à un classement des candidats à l’issue de ces entretiens.

11. Les entretiens se sont déroulés le 19 novembre 2018.

12. Sur la base des entretiens avec les candidats présélectionnés, le Comité consultatif a transmis au Bureau un rapport motivé afin que ce dernier se prononce. Dans ce rapport, les candidats étaient classés par ordre de mérite et, en annexe, figurait une recommandation des candidats les plus qualifiés pour occuper le poste de directeur des médias. Ce rapport a fait l’objet de discussions par le Bureau lors d’une réunion qui a eu lieu le 10 décembre 2018. Le procès‑verbal de cette réunion indiquait
que le Comité consultatif avait proposé trois candidats, par ordre de priorité, afin de pourvoir le poste vacant, A étant classé en première position, M. Carbajo Ferrero en deuxième position et B en troisième position. Le Bureau, en sa qualité d’autorité investie du pouvoir de nomination (ci‑après l’« AIPN »), a décidé de suivre la recommandation du Comité consultatif et a nommé A au poste concerné.

13. Le 11 décembre 2018, le directeur général de la direction générale « Communication » a informé l’ensemble du personnel de cette direction générale de l’issue des procédures de recrutement et a remercié M. Carbajo Ferrero pour les responsabilités qu’il avait assumées ad interim, depuis juin 2018, au sein de cette direction.

14. Par courrier électronique du 12 décembre 2018, le secrétaire général a notifié à M. Carbajo Ferrero la décision de ne pas retenir sa candidature et de nommer A au poste de directeur des médias (ci-après la « décision litigieuse »).

15. Le 8 mars 2019, le requérant a introduit une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut à l’encontre de la décision litigieuse. Cette réclamation a été rejetée.

III. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

16. Le 1er octobre 2019, M. Carbajo Ferrero a introduit un recours devant le Tribunal au titre de l’article 270 TFUE tendant, d’une part, à l’annulation de la décision litigieuse et, d’autre part, à la réparation du préjudice qu’il estimait avoir subi.

17. Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a annulé la décision litigieuse et a condamné le Parlement à verser au requérant, à titre de réparation du préjudice matériel, la somme de 40000 euros.

18. À l’appui de son recours, M. Carbajo Ferrero a avancé cinq moyens. Dans son mémoire en défense, le Parlement a demandé au Tribunal de rejeter le recours comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé ou, à titre subsidiaire, de rejeter le recours comme étant non fondé.

19. Au point 43 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté, à titre liminaire, la fin de non‑recevoir soulevée par le Parlement à l’encontre du deuxième moyen avancé par M. Carbajo Ferrero. Il a ensuite rejeté, au point 74 de cet arrêt, la première branche du deuxième moyen soulevé par M. Carbajo Ferrero, tirée de l’illégalité de la décision fixant les étapes de la procédure et de l’article 6 de l’avis de recrutement. Le Tribunal a également rejeté, au point 106 dudit arrêt, le premier moyen soulevé
par M. Carbajo Ferrero, tiré d’une violation de l’obligation de motivation.

20. Le Tribunal a ensuite examiné la seconde branche du deuxième moyen soulevé par M. Carbajo Ferrero, tirée de ce que la procédure de sélection suivie a violé l’article 27 du statut ainsi que les principes de sécurité juridique, de transparence, de bonne administration et d’égalité de traitement.

21. En premier lieu, le Tribunal a commencé par rappeler, au point 111 de l’arrêt attaqué, que le respect du principe d’égalité de traitement au cours d’une procédure de sélection de fonctionnaires impose que des critères d’analyse comparative soient établis préalablement au recrutement concerné ( 3 ).

22. En deuxième lieu, le Tribunal a constaté, au point 112 de l’arrêt attaqué, que les critères d’analyse comparative des mérites des candidats ne doivent pas changer pendant la procédure de sélection, de manière à prévenir le risque que lesdits critères soient adaptés en fonction des candidatures reçues.

23. En troisième lieu, le Tribunal a indiqué, au point 113 de l’arrêt attaqué, que les critères d’analyse comparative doivent être transmis à l’AIPN afin de lui permettre de connaître la manière dont les mérites des candidats ont été appréciés tant lors de la première étape de sélection des candidats à inviter à un entretien que lors de l’étape des entretiens eux-mêmes.

24. En quatrième lieu, le Tribunal a constaté, au point 114 de l’arrêt attaqué, que, si l’administration jouit d’un large pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’organisation de la procédure de sélection, il appartient néanmoins au juge de l’Union d’assurer un traitement égal des candidats par l’administration ( 4 ).

25. Outre ces constatations, le Tribunal a constaté, au point 117 de l’arrêt attaqué, que l’analyse des réponses des candidats aux questions posées par le Comité consultatif, pendant les entretiens, sur la base de la liste des sept thèmes ou sujets, ne tenait pas compte des trois critères d’analyse comparative fixés sur la base des avis de vacance, de transfert et de recrutement lors de la première phase de la procédure de sélection.

26. Le Tribunal a ensuite indiqué, au point 118 de l’arrêt attaqué, que, s’il est possible de poser des questions aux candidats, ces questions ne doivent pas devenir de nouveaux critères d’analyse comparative.

27. De plus, le Tribunal a constaté, au point 123 de l’arrêt attaqué, que le Bureau, en sa qualité d’AIPN, n’a pas été informé du remplacement, lors des entretiens, des critères d’analyse comparative par les sept sujets ou thèmes.

28. Eu égard à ces considérations, le Tribunal a accueilli, au point 125 de l’arrêt attaqué, la seconde branche du deuxième moyen invoqué par M. Carbajo Ferrero à l’appui de son recours et a constaté que la décision litigieuse a été adoptée à l’issue d’une procédure de recrutement irrégulière.

29. Le Tribunal a ensuite fait droit, au point 145 de l’arrêt attaqué, à la deuxième branche du troisième moyen avancé par M. Carbajo Ferrero et, partant, à ce moyen dans son ensemble, en ce qu’il fait valoir que la décision litigieuse est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. Selon le Tribunal, l’AIPN a nommé A au poste sans avoir été correctement informée de l’expérience professionnelle de M. Carbajo Ferrero.

30. Eu égard à ces considérations, le Tribunal a constaté, au point 146 de l’arrêt attaqué, qu’il y avait lieu d’annuler la décision litigieuse, sans examiner les autres moyens avancés par le requérant.

31. Enfin, le Tribunal a partiellement accueilli, aux points 173 et 174 de l’arrêt attaqué, la demande en indemnité formulée par M. Carbajo Ferrero en ce qu’elle porte sur le préjudice matériel subi du fait de la décision litigieuse et a condamné le Parlement à lui verser la somme de 40000 euros.

IV. Les conclusions des parties devant la Cour

32. Par son pourvoi, le Parlement conclut à ce qu’il plaise à la Cour annuler l’arrêt attaqué, renvoyer l’affaire devant le Tribunal et réserver les dépens.

33. À titre subsidiaire, le Parlement conclut à ce qu’il plaise à la Cour annuler l’arrêt attaqué, rejeter le recours de M. Carbajo Ferrero et condamner ce dernier à l’ensemble des dépens.

34. Le défendeur au pourvoi conclut au rejet du pourvoi par la Cour et à la condamnation du Parlement à l’ensemble des dépens.

V. Examen ciblé du pourvoi

35. À l’appui de ses conclusions, le Parlement invoque deux moyens. Le premier moyen est tiré d’erreurs de droit et d’une dénaturation des faits entachant le constat d’irrégularité de la procédure de sélection. Par son second moyen, le Parlement entend démontrer que le Tribunal a commis une erreur de droit et a dénaturé les faits et les éléments de preuve lorsqu’il a constaté que la décision litigieuse était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. À titre subsidiaire, le Parlement soutient
que le Tribunal a manqué à son obligation de motivation et a violé le principe de proportionnalité en omettant d’examiner les conséquences de l’annulation de la décision litigieuse.

36. Conformément à la demande de la Cour, je me contenterai, dans les présentes conclusions, d’analyser le premier moyen et le moyen invoqué à titre subsidiaire.

A.   Sur le premier moyen, tiré d’erreurs de droit et d’une dénaturation des faits entachant le constat d’irrégularité de la procédure de sélection

37. Le premier moyen comporte quatre branches. Je les examinerai conjointement, dès lors qu’elles sont étroitement liées.

38. Par la première branche de son premier moyen, le Parlement soutient que le Tribunal a commis des erreurs de droit dans l’interprétation de la décision fixant les étapes de la procédure et que sa motivation à cet égard est contradictoire. En premier lieu, le Parlement fait valoir que les critères d’analyse comparative ne sont utilisés que lors de la première étape de la procédure de sélection. Dans le cadre de la procédure de sélection en cause, le Comité consultatif a adopté trois critères
d’analyse comparative ( 5 ) puis sept sujets de discussion à aborder lors des entretiens ( 6 ). Le Parlement considère que c’est dès lors à tort que le Tribunal a reproché, aux points 118 et 119 de l’arrêt attaqué, au Comité consultatif d’avoir modifié les critères d’analyse comparative au stade des entretiens. En deuxième lieu, le Parlement avance que la décision fixant les étapes de la procédure n’impose aucunement au Comité consultatif d’informer le Bureau lors de la seconde étape de la
procédure. Partant, le Tribunal aurait commis une erreur en reprochant, aux points 120 à 124 de l’arrêt attaqué, au Comité consultatif de ne pas avoir informé le Bureau de la modification des critères d’analyse comparative au stade des entretiens. En troisième lieu, s’agissant de cette erreur de droit, le Parlement soutient que la motivation de l’arrêt attaqué est contradictoire.

39. Par la deuxième branche du premier moyen, le Parlement fait grief au Tribunal d’avoir commis des erreurs de droit dans l’interprétation et l’application du principe de l’égalité de traitement. D’une part, il conteste la pertinence de l’arrêt Booss et Fischer/Commission ( 7 ), sur lequel s’est appuyé le Tribunal pour constater, aux points 111 et 112 de l’arrêt attaqué, que les critères d’analyse comparative ne doivent pas changer pendant la procédure de sélection. Le Parlement avance également
qu’une interdiction générale de modifier des critères d’analyse comparative au cours de la procédure de sélection n’est pas compatible avec l’article 5, premier et troisième alinéas, de l’annexe III du statut. D’autre part, le Parlement fait valoir que le Tribunal n’a pas vérifié si les sujets abordés lors des entretiens se rattachaient ou non aux conditions prévues par l’avis de recrutement et si certains candidats avaient été avantagés par rapport à d’autres.

40. Par la troisième branche du premier moyen, le Parlement s’oppose à l’interprétation et à l’application, retenues par le Tribunal, du principe de transparence. Il conteste le constat, opéré par le Tribunal aux points 120 à 124 de l’arrêt attaqué, selon lequel le Comité consultatif n’a pas informé le Bureau de la modification des critères d’analyse comparative au stade des entretiens. En outre, le Parlement soutient que le Tribunal a statué ultra petita, dès lors que le requérant en première
instance invoquait une violation du principe de transparence à l’égard des candidats et non du Bureau.

41. Par la quatrième branche du premier moyen, le Parlement avance que le Tribunal a dénaturé les faits. Il lui fait grief d’avoir considéré, au point 119 de l’arrêt attaqué, que le classement par ordre de mérite ne saurait reposer « uniquement » sur des réponses fournies par les candidats sur sept sujets ou thèmes de discussion abordés lors des entretiens. Il fait valoir que, même si les critères d’analyse comparative n’ont pas été utilisés lors de la seconde étape de la procédure, aucun élément du
dossier n’indique que ces critères n’auraient pas été pris en compte aux fins de classer les candidats par ordre de mérite.

42. S’agissant de l’interprétation retenue par le Tribunal de la décision fixant les étapes de la procédure, M. Carbajo Ferrero soutient, dans son mémoire en réponse, que, si l’administration bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’organisation de la procédure de sélection, elle se doit de respecter le principe d’égalité de traitement de tous les candidats. Il fait valoir que la décision fixant les étapes de la procédure ne permet pas la fixation de critères d’analyse
comparative différents selon les étapes de la procédure. S’agissant du principe de transparence, il relève que l’article 4, sous c), de cette décision impose au Comité consultatif de transmettre les critères d’analyse comparative au Bureau. Partant, c’est à tort que le Parlement affirme que ladite décision ne prévoit pas d’obligation d’informer l’AIPN en cas de modification de ces critères au cours de la procédure.

43. Pour ce qui est de l’interprétation du principe de l’égalité de traitement, M. Carbajo Ferrero estime que c’est à bon droit que le Tribunal s’est fondé, au point 111 de l’arrêt attaqué, sur l’arrêt Booss et Fischer/Commission ( 8 ). En revanche, il considère que les arrêts Mavridis/Parlement ( 9 ) et Verros/Parlement ( 10 ), évoqués par le Parlement dans sa requête en pourvoi, sont dénués de pertinence. Il soutient également que l’interprétation retenue par le Tribunal ne méconnaît pas
l’annexe III du statut. Enfin, M. Carbajo Ferrero avance que le Parlement n’a pas soulevé devant le Tribunal la question de savoir si les nouveaux critères d’analyse comparative adoptés au stade des entretiens étaient susceptibles d’avantager certains candidats.

44. En ce qui concerne l’interprétation du principe de transparence, M. Carbajo Ferrero rappelle que, dans son recours devant le Tribunal, il a soulevé un moyen tiré de la méconnaissance, selon lui, du principe de bonne administration. Par conséquent, le Tribunal n’a pas statué ultra petita.

45. S’agissant du grief tiré de la dénaturation des faits, M. Carbajo Ferrero fait valoir qu’il n’est pas fondé. Il soutient, à cet égard, qu’il ressort du procès-verbal de la réunion du 10 décembre 2018 que le Comité consultatif a proposé de nommer au poste concerné trois candidats « par ordre de préférence » et non pas « par rapport à l’adéquation des compétences par rapport au poste à pourvoir ».

46. Les parties s’opposent, en substance, sur la question de savoir si le Tribunal a correctement interprété la décision fixant les étapes de la procédure lorsqu’il a constaté, au point 112 de l’arrêt attaqué, que les critères d’analyse comparative ne doivent pas changer pendant la procédure de sélection. C’est le libellé des articles 4 et 5 de la décision fixant les étapes de la procédure relative aux postes de haut niveau qui détermine le point de départ de l’analyse de cette question ( 11 ). La
première étape consiste en l’adoption, par le Comité consultatif sur la base de l’avis de vacance ( 12 ), des critères d’analyse comparative. La deuxième étape consiste en l’analyse comparative des mérites des candidats par le Comité consultatif et en l’établissement, par ce Comité, de la liste des candidats qu’il recommande d’inviter aux entretiens. La troisième étape consiste en la transmission au Bureau, en sa qualité d’AIPN, de la liste établie par le Comité consultatif ainsi que des
critères d’analyse comparative adoptés par ce Comité. La quatrième étape consiste en l’adoption, par le Bureau, de la liste des candidats à convoquer à un entretien. La cinquième étape consiste pour le Comité consultatif à procéder à ces entretiens et à établir un rapport à cet égard. La sixième étape consiste en la transmission par le secrétaire général de ce rapport, accompagné d’une recommandation, au président du Parlement et au Bureau. La septième et dernière étape de la procédure consiste
en l’adoption par le Bureau d’une décision de nomination du candidat à la suite de la proposition formulée par ce président.

47. Le Parlement fait valoir qu’il ressort des termes de cette décision que la procédure de sélection des hauts fonctionnaires consiste en substance en deux étapes. La première d’entre elles est l’analyse comparative des mérites des candidats et l’adoption, par le Bureau, de la liste des candidats à inviter à un entretien. La seconde consiste à procéder aux entretiens avec les candidats figurant sur cette liste. Le Parlement avance que les critères d’analyse comparative sont utilisés uniquement
pendant la première étape de la procédure, rien n’imposant l’utilisation, lors de la seconde étape, des mêmes critères, ou, en d’autres termes, rien n’interdisant d’utiliser de nouveaux critères lors des entretiens. Partant, selon lui, c’est à tort que le Tribunal a constaté que la procédure de sélection était entachée d’une irrégularité.

48. À cet égard, je relève que la décision fixant les étapes de la procédure se compose d’une succession d’étapes, décrites au point 46 des présentes conclusions. Cette décision ne répartit pas les étapes en phases spécifiques ou distinctes. Au contraire, toutes les étapes sont liées entre elles et, ensemble, elles forment une procédure de sélection unique, encadrée par l’avis de vacance (ou, le cas échéant, par l’avis de recrutement). L’objectif ultime de ces étapes est le même que celui de toute
procédure de recrutement. Plus précisément, l’article 27, premier alinéa, du statut énonce que le recrutement doit viser à assurer à l’institution le concours de fonctionnaires possédant les plus hautes qualités de compétence, de rendement et d’intégrité, recrutés sur une base géographique la plus large possible parmi les ressortissants des États membres de l’Union ( 13 ).

49. Un examen attentif des étapes de la procédure démontre que la première d’entre elles est le socle de l’ensemble de la procédure à l’issue de laquelle est nommé le candidat le plus apte au poste concerné. En effet, c’est au cours de cette première étape que le Comité consultatif établit les critères d’analyse comparative sur la base de l’avis de vacance (ou, le cas échéant, de l’avis de recrutement). L’avis de vacance et les critères d’analyse comparative sont indispensables au Bureau pour que ce
dernier adopte la liste des candidats à convoquer à un entretien. Il n’est procédé aux entretiens qu’après l’adoption, par le Bureau sur la base des critères évoqués ci-dessus, de la liste des candidats. Il y a manifestement un lien entre la présélection des candidats et l’entretien de chacun d’eux. Si ces étapes sont liées, les critères d’analyse appliqués au cours de chacune d’elles doivent donc l’être également. Partant, le Parlement établit, selon moi, une distinction artificielle entre les
différentes étapes de la procédure de sélection.

50. Contrairement à ce que soutient le Parlement, ce n’est pas parce que la procédure de sélection est interprétée comme un tout continu que l’entretien des candidats en deviendrait inutile ou que l’administration serait privée d’une modalité d’organisation de la procédure de sélection. L’administration bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation s’agissant des modalités qu’elle met en œuvre lors des différentes étapes de la procédure de sélection afin d’apprécier les mérites des candidats. Cela
vaut d’autant plus en ce qui concerne les postes de haut niveau. Il est constant que le Comité consultatif peut poser toutes les questions qu’il juge nécessaires lors de l’entretien des candidats. Il peut également articuler ces questions autour de sujets ou de thèmes différents. Il ne saurait être fait grief à une AIPN, lorsqu’elle se propose de pourvoir à des emplois de haut niveau, de demander à des candidats d’exposer, par exemple, leur conception du poste concerné ( 14 ) ou leur vision de
la direction.

51. Toutefois, il y a lieu de rappeler, d’une part, que, selon la jurisprudence de la Cour, si l’AIPN dispose d’une large marge d’appréciation dans la comparaison des mérites des candidats et peut l’exercer notamment en vue du poste à remplir, elle est tenue de le faire dans le cadre qu’elle s’est imposé à elle-même par l’avis de vacance ( 15 ). En outre, le large pouvoir d’appréciation dont bénéficie l’administration doit s’exercer dans le respect le plus complet de toutes les réglementations
pertinentes, y compris toutes les règles internes dont elle s’est dotée ( 16 ). En l’espèce, la règle pertinente est la décision fixant les étapes de la procédure.

52. D’autre part, tout sujet ou thème utilisé lors des entretiens doit découler des critères d’analyse comparative. En d’autres termes, ces sujets ou thèmes ne modifient pas les critères d’origine mais aident le Comité consultatif à apprécier, lors des entretiens, l’aptitude des candidats au regard de chaque critère. C’est donc à juste titre que le Tribunal a relevé, au point 118 de l’arrêt attaqué, que les questions posées lors des entretiens ne doivent pas devenir de « nouveaux critères »
d’analyse comparative des mérites des candidats adoptés au cours de la procédure de sélection après la présélection des candidats à convoquer à un entretien.

53. C’est à juste titre que le Tribunal s’est appuyé à cet égard sur l’arrêt Booss et Fischer/Commission ( 17 ), lequel est fondé, quant à lui, sur les arrêts Culin/Commission ( 18 ) et Grassi/Conseil ( 19 ). Aux points 111 et 112 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté, en s’appuyant sur cette jurisprudence, que le principe d’égalité de traitement des candidats impose que les critères d’analyse comparative soient établis préalablement au recrutement concerné et que ces critères ne doivent pas
changer ou être modifiés pendant la procédure de sélection.

54. Le Parlement conteste la pertinence de cette jurisprudence en faisant valoir qu’elle porte sur un avis de vacance publié au titre de l’article 29, paragraphe 1, sous a), du statut alors que, en l’espèce, le Bureau a décidé d’élargir ses possibilités de choix en publiant un avis de recrutement au titre de l’article 29, paragraphe 2, du statut. Le Parlement fait valoir que cette disposition prévoit une procédure spéciale dans le cadre de laquelle l’AIPN peut appliquer, au cours de la procédure,
des critères qui n’étaient pas indiqués dans l’avis de vacance. Il s’appuie, à cet égard, sur les arrêts Mavridis/Parlement ( 20 ) et Verros/Parlement ( 21 ).

55. À mon sens, ces deux derniers arrêts n’étayent pas la conclusion que tire le Parlement selon laquelle il est possible de modifier les critères d’analyse comparative en cours de procédure. Il résulte de cette jurisprudence que, dans le cadre de la procédure spéciale prévue à l’article 29, paragraphe 2, du statut, l’AIPN n’est pas tenue d’appliquer les dispositions de l’annexe III de ce statut concernant les avis de concours. Aussi peut-elle appliquer, au cours de la procédure, des critères non
fixés par l’avis de vacance. Cela vaut également pour un comité de sélection auquel l’AIPN a délégué son pouvoir de sélection.

56. Toutefois, en l’espèce, le Tribunal n’a pas reproché au Comité consultatif d’avoir exercé sa faculté de fixer des critères d’analyse comparative ( 22 ). Le Tribunal ne lui a pas non plus reproché d’avoir adopté des sujets ou thèmes pour le guider lors des entretiens. Dès lors que le Parlement a décidé d’appliquer la décision fixant les étapes de la procédure, le Comité consultatif était uniquement tenu de fixer les critères en tenant compte des termes de l’avis de recrutement. De plus, les
sujets ou thèmes adoptés aux fins des entretiens à mener devraient tirer leur « légitimité » de ces critères et, en fin de compte, de l’avis de recrutement. Dans le cadre de la procédure de sélection en cause, régie par l’article 29, paragraphe 2, du statut et par des règles internes, l’avis de recrutement forme le cadre dans lequel doit s’inscrire l’ensemble de la procédure de sélection et les critères sont l’expression précise de ce cadre. Partant, les sujets ou thèmes abordés lors des
entretiens ne sauraient être tout à fait étrangers aux critères d’analyse comparative fixés au début de la procédure de recrutement. Ils forment le prolongement ou la mise en œuvre de ces critères. Il appartient au Comité consultatif d’établir le lien indispensable entre les critères et les sujets abordés lors des entretiens.

57. Je considère, dès lors, que c’est à juste titre que le Tribunal a relevé, au point 119 de l’arrêt attaqué, que le classement des candidats par ordre de mérite ne saurait reposer uniquement sur des réponses fournies sur les sept sujets ou thèmes de discussion abordés lors des entretiens, dès lors que, si tel était le cas, l’exigence selon laquelle les critères d’analyse comparative ne doivent pas changer au cours de la procédure de sélection ne serait pas respectée.

58. Quant à l’argument du Parlement selon lequel le Tribunal aurait commis une erreur de droit en constatant, aux points 120 à 124 de l’arrêt attaqué, que la procédure de sélection était irrégulière du fait que le Comité consultatif n’avait pas informé le Bureau de la modification des critères de sélection, je relève que cet argument repose sur une prémisse erronée. Ainsi que je l’ai démontré ci-dessus, cette prémisse erronée consiste à supposer que les critères d’analyse comparative peuvent être
modifiés au cours de la procédure de sélection. Le Comité consultatif peut définir des questions qui découlent des critères fixés lors de la première étape. Dans son rapport au Bureau, le Comité consultatif doit ensuite établir en quoi les réponses aux questions révèlent l’aptitude des candidats, compte dûment tenu de ces critères.

59. En outre, c’est à tort que le Parlement soutient que le Tribunal a statué ultra petita, aux points 120 à 124 de l’arrêt attaqué, pour ce qui est de la méconnaissance du principe de transparence. Le Tribunal a constaté la méconnaissance de ce principe dans le cadre du non‑respect de l’obligation d’informer le Bureau des thèmes ou sujets à aborder lors des entretiens et du lien existant entre ces sujets et les critères d’analyse comparative.

60. Partant, l’argument du Parlement selon lequel le Tribunal aurait commis une erreur de droit aux points 120 à 124 de l’arrêt attaqué doit être rejeté.

61. Je ne suis pas convaincue non plus par le grief que tire le Parlement du caractère contradictoire de la motivation énoncée dans ces points de l’arrêt attaqué. Selon moi, ce grief repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué. Aux points 66 à 73 de cet arrêt, le Tribunal a indiqué que les institutions bénéficient d’un large pouvoir discrétionnaire lorsqu’elles se dotent de règles internes établissant la procédure de sélection des candidats pour les postes de haut niveau et que la décision
fixant les étapes de la procédure établit le cadre général de la procédure de sélection. Par conséquent, le Tribunal a constaté qu’il est inapproprié d’indiquer les critères d’analyse comparative dans le corps de cette décision. À ce stade de son raisonnement, le Tribunal n’a pas examiné la question de la cohérence des critères appliqués au cours de la procédure de sélection ni celle de l’obligation d’informer le Bureau. Partant, le rejet, au point 74 de l’arrêt attaqué, de l’exception
d’illégalité de la décision fixant les étapes de la procédure ne remet pas en cause le constat, opéré aux points 120 à 124 de cet arrêt, de l’irrégularité de la procédure suivie au cours de la procédure de sélection concernée.

62. Ensuite, le Parlement fait grief au Tribunal d’avoir constaté l’existence d’une violation du principe de l’égalité de traitement sans avoir examiné si les sujets ou thèmes à aborder lors des entretiens présentaient, ou non, un lien avec les conditions énoncées dans l’avis de recrutement ( 23 ). À cet égard, je relève que le Parlement ne tente pas d’établir un lien entre les sujets ou thèmes abordés lors des entretiens, les critères fixés au début de la procédure et l’avis de recrutement. Le
Parlement n’a pas soutenu, par exemple, que les sujets ou thèmes abordés au stade des entretiens étaient la mise en œuvre de l’avis de recrutement et des critères fixés lors de la première étape. Au contraire, il fait valoir, dans son pourvoi, que le Comité consultatif n’était plus tenu, au stade des entretiens, par les critères qu’il avait initialement adoptés. C’est dès lors à tort que le Parlement fait valoir dans ces griefs que le Tribunal aurait dû vérifier l’existence d’un lien que le
Parlement lui-même juge superflu.

63. Je considère que c’est à bon droit que le Tribunal a relevé, au point 112 de l’arrêt attaqué, que la modification des critères d’analyse comparative pendant la procédure de sélection comporte un risque que ces critères soient adaptés en fonction des candidats qui ont postulé au poste à pourvoir. Le Parlement avance, en substance, que ce risque ne suffit pas et que le Tribunal aurait dû vérifier si les sujets ou thèmes abordés lors des entretiens ont avantagé certains candidats. À l’appui de son
argument, le Parlement se fonde sur les arrêts Vlachou/Cour des comptes ( 24 ) et Caturla-Poch et de la Fuente Pascual/Parlement ( 25 ). Il ressort de ces deux arrêts que le système ou la méthode d’appréciation des titres des candidats ne doit pas objectivement être de nature à avantager certains candidats et à en désavantager d’autres ( 26 ). Néanmoins, à mon sens, il ne ressort pas de cette jurisprudence que, pour constater une violation du principe de l’égalité de traitement dans une
procédure de sélection, il est nécessaire, dans chaque cas d’espèce, d’examiner si certains candidats ont été avantagés et d’autres désavantagés. Qui plus est, la présente affaire soulève une question différente, à savoir celle de la relation existant entre les critères et les sujets ou thèmes à aborder lors des entretiens, fixés aux fins de retenir le candidat le plus apte.

64. Enfin, il me semble que le grief du Parlement selon lequel le Tribunal aurait dénaturé les faits, au point 119 de l’arrêt attaqué, en jugeant que le classement des candidats par ordre de mérite ne saurait reposer uniquement sur les réponses fournies par les candidats sur les sept sujets ou thèmes de discussion abordés lors des entretiens, repose sur une interprétation erronée de l’arrêt attaqué. En premier lieu, l’emploi par le Tribunal du terme « uniquement » peut s’expliquer par le constat,
opéré au point 118 de l’arrêt attaqué, selon lequel les questions posées lors des entretiens ne doivent pas devenir de nouveaux critères d’analyse comparative. Il peut également s’expliquer par le constat, opéré par le Tribunal au point 123 de l’arrêt attaqué, selon lequel les critères d’analyse comparative n’ont pas été appliqués lors des entretiens. En second lieu, c’est au Parlement qu’il appartient de prouver que les critères et les sujets ou thèmes utilisés tout au long de la procédure
présentaient un lien et que l’AIPN a tenu compte de ces éléments dans leur ensemble.

65. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de rejeter le premier moyen du pourvoi.

B.   Sur le moyen invoqué à titre subsidiaire, tiré d’erreurs de droit commises dans l’interprétation du principe de proportionnalité pour ce qui est des conséquences de l’annulation de la décision litigieuse

66. À titre subsidiaire, le Parlement fait valoir que l’annulation de la décision de nomination de A au poste de directeur des médias est entachée d’une erreur de droit consistant en un défaut de motivation et en une violation du principe de proportionnalité. Il relève que le Tribunal a annulé une décision adoptée en faveur d’un tiers, à savoir A. S’appuyant sur l’arrêt Spadafora/Commission rendu par le Tribunal ( 27 ), le Parlement soutient que le Tribunal aurait dû vérifier, en pondérant
l’ensemble des intérêts divergents, si l’annulation était une sanction excessive.

67. M. Carbajo Ferrero relève que A ne saurait se fonder sur le principe de la confiance légitime, dès lors que la décision qui le ou la nomme au poste concerné faisait l’objet d’un recours, et il avance en tout état de cause que l’annulation de la décision ne constitue pas une sanction excessive de l’irrégularité commise.

68. Je considère que c’est à juste titre que le Parlement soutient que le Tribunal, au point 146 de l’arrêt attaqué, a annulé la décision litigieuse sans vérifier si cette annulation était proportionnée. L’enseignement de l’arrêt Spadafora/Commission ( 28 ) rendu par le Tribunal est clairement transposable à l’espèce. Dans cet arrêt, le Tribunal a constaté que, en principe, le requérant doit être rétabli dans la situation dans laquelle il se trouvait antérieurement à l’irrégularité commise dans la
procédure de sélection. Toutefois, lorsque le rétablissement de la situation antérieure implique une annulation d’actes destinés à des tiers et étant favorables pour ceux-ci, le juge doit vérifier si l’annulation ne constitue pas une sanction excessive de l’irrégularité commise. Dans ce contexte, il convient de tenir compte de la nature de l’illégalité commise, de l’intérêt de la partie requérante, des intérêts des tiers et de l’intérêt du service.

69. En l’espèce, force est de constater que l’annulation de la décision litigieuse est susceptible de porter atteinte à A qui a été nommé(e) au poste concerné. Dans ces conditions, l’annulation de sa nomination requiert un examen préalable du caractère proportionné de cette annulation, lequel comprend la mise en balance de l’ensemble des intérêts en présence. Partant, le Tribunal a commis une erreur de droit en constatant, au point 146 de l’arrêt attaqué, qu’il y avait lieu d’annuler la décision
litigieuse sans procéder à un tel examen.

70. Il y a lieu de rappeler, toutefois, que, si les motifs d’une décision du Tribunal révèlent une violation du droit de l’Union, mais que le dispositif de celle-ci apparaît fondé pour d’autres motifs de droit, une telle violation n’est pas de nature à entraîner l’annulation de cette décision et il y a lieu de procéder à une substitution de motifs ( 29 ).

71. Tel est le cas en l’espèce. En effet, la mise en balance de l’ensemble des intérêts en présence doit entraîner l’annulation de la décision litigieuse, sans préjudice de l’obligation incombant à l’administration de trouver une solution équitable pour A. Plus précisément, la procédure de recrutement est entachée d’une irrégularité importante. Ainsi que je l’ai développé dans le cadre de l’examen du premier moyen, le Comité consultatif ne devrait pas modifier les critères d’analyse comparative au
cours de la procédure de sélection. S’agissant de M. Carbajo Ferrero, son intérêt consiste en l’annulation de la décision litigieuse, afin qu’il puisse tirer profit de son recours. S’agissant de l’administration, il n’y a aucune atteinte, selon moi, à l’intérêt du service. L’annulation de la décision litigieuse ne se substitue pas à l’appréciation de l’administration relative au candidat qu’il convient de nommer au poste concerné. Le Parlement devra recommencer la procédure en la purgeant des
irrégularités constatées dans l’arrêt attaqué. À l’issue de cette nouvelle procédure de sélection, il lui est loisible de retenir le candidat le plus apte au poste concerné. S’agissant de A, sa situation est différente. Du fait de l’annulation de la décision litigieuse, A risque de perdre le poste auquel il ou elle a été nommé(e). En outre, A n’est pas responsable de cette irrégularité. Même si, comme le soutient M. Carbajo Ferrero, A ne pouvait pas ignorer que sa nomination n’était pas
définitive tant que le Tribunal était saisi d’un recours formé contre la décision de sa nomination, il n’en demeure pas moins que A n’a commis aucune faute.

72. Toutefois, ce n’est pas parce que les intérêts de A sont affectés que la Cour doit renoncer à confirmer l’annulation de la décision litigieuse en raison de l’irrégularité en cause. L’administration est tenue, en revanche, de rechercher une solution équitable à la situation pour le tiers lésé. Plus précisément, si, à l’issue de la nouvelle procédure de sélection, une autre personne est nommée au poste concerné, il incombe au Parlement de préserver les intérêts de A.

73. Compte tenu de l’ensemble des éléments qui précèdent, je considère qu’il y a lieu de rejeter le moyen invoqué à titre subsidiaire comme étant inopérant.

VI. Conclusion

74. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de rejeter le premier moyen ainsi que le moyen invoqué à titre subsidiaire.

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( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Règlement no 31 (CEE), 11 (CEEA), fixant le statut des fonctionnaires et le régime applicable aux autres agents de la Communauté économique européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 1962, 45, p. 1385).

( 3 ) Voir, en ce sens, arrêt du 3 mars 1993, Booss et Fischer/Commission (T‑58/91, EU:T:1993:15, point 67).

( 4 ) Voir, en ce sens, arrêt du 12 mars 2008, Giannini/Commission (T‑100/04, EU:T:2008:68, points 132 et 133 ainsi que jurisprudence citée).

( 5 ) Les critères étaient les suivants : « 1) expérience spécifique dans les domaines mentionnés dans l’avis de vacance ou de recrutement : direction d’un grand service dans le domaine des médias, de la presse et de l’audiovisuel ; 2) administration ou gestion : expérience en gestion (dans des domaines tels que les ressources humaines, la gestion, la budgétisation, les finances, etc.) ; 3) expérience internationale : expérience de travail dans un environnement européen et/ou international. »

( 6 ) Ces sujets étaient les suivants : « 1) La motivation pour poser sa candidature et la vision stratégique et le planning de la direction ; 2) Comment s’assurer que tous les canaux de communication sont utilisés pour transmettre un message cohérent, conformément au cadre d’exécution stratégique ; 3) Les priorités de communication pour la prochaine année électorale ; 4) Comment tirer le meilleur parti des visites de haut niveau, des dossiers législatifs importants et des séances plénières du point
de vue des médias ; 5) La promotion de la politique d’égalité des sexes ; 6) Les défis liés à l’arrêt des activités et à la détermination des priorités négatives ; 7) Comment tirer le meilleur parti des possibilités de mise à niveau des postes AST en postes AD dans un contexte de tâches de plus haut niveau et de rareté des ressources. »

( 7 ) Arrêt du 3 mars 1993 (T‑58/91, EU:T:1993:15).

( 8 ) Arrêt du 3 mars 1993 (T‑58/91, EU:T:1993:15).

( 9 ) Arrêt du 19 mai 1983 (289/81, EU:C:1983:142).

( 10 ) Arrêt du 19 mai 1983 (306/81, EU:C:1983:143).

( 11 ) Les termes de cette décision sont reproduits au point 47 de l’arrêt attaqué.

( 12 ) La décision fixant les étapes de la procédure évoque uniquement l’avis de vacance de manière explicite. Toutefois, en l’espèce, ainsi qu’il ressort du point 50 de l’arrêt attaqué, cette décision était également applicable dans le cadre de la procédure de recrutement mise en œuvre en application de l’avis de recrutement.

( 13 ) Voir point 67 de l’arrêt attaqué.

( 14 ) Voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 1990, Kalavros/Cour de justice (T‑160/89 et T‑161/89, EU:T:1990:86, point 37).

( 15 ) Voir, en ce sens, arrêt du 7 février 1990, Culin/Commission (C‑343/87, EU:C:1990:49, point 19).

( 16 ) Voir arrêt du 28 septembre 2017, Hristov/Commission et EMA (T‑495/16 RENV I et T‑495/16 RENV II, non publié, EU:T:2017:676, point 139 et jurisprudence citée).

( 17 ) Arrêt du 3 mars 1993 (T‑58/91, EU:T:1993:15, point 67).

( 18 ) Arrêt du 7 février 1990 (C‑343/87, EU:C:1990:49, point 19).

( 19 ) Arrêt du 30 octobre 1974 (188/73, EU:C:1974:112).

( 20 ) Arrêt du 19 mai 1983 (289/81, EU:C:1983:142, point 16).

( 21 ) Arrêt du 19 mai 1983 (306/81, EU:C:1983:143, point 16).

( 22 ) Au contraire, au point 69 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a confirmé le large pouvoir d’appréciation dont bénéficient les institutions dans le cadre d’une procédure de recrutement fondée sur l’article 29, paragraphe 2, du statut.

( 23 ) Le Parlement cite un certain nombre de points figurant dans son mémoire en défense et dans son mémoire en duplique présentés en première instance. Dans ces points, il ne tente toutefois pas d’établir un lien entre les différents critères et ces sujets au cours de la procédure de sélection. Un argument avancé par le Parlement dans son mémoire en duplique pourrait être pertinent, dans lequel il indique que l’« expérience professionnelle » peut être rattachée aux différents éléments énoncés aux
points 4 et 5 de l’avis de recrutement. Il ne développe cependant pas cet argument dans ses écritures et ne soutient pas que les sujets abordés lors des entretiens présentent des liens avec les critères fixés au début de la procédure de recrutement.

( 24 ) Arrêt du 6 février 1986 (143/84, EU:C:1986:55).

( 25 ) Arrêt du 13 juillet 1989 (361/87 et 362/87, EU:C:1989:317).

( 26 ) Arrêt du 6 février 1986, Vlachou/Cour des comptes (143/84, EU:C:1986:55, points 17 et 19).

( 27 ) Arrêt du 5 décembre 2017 (T‑250/16 P, non publié, EU:T:2017:866, point 110).

( 28 ) Arrêt du 5 décembre 2017 (T‑250/16 P, non publié, EU:T:2017:866, point 110).

( 29 ) Arrêt du 10 février 2021, RFA International/Commission (C‑56/19 P, EU:C:2021:102, point 61).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-613/21
Date de la décision : 22/09/2022
Type d'affaire : Pourvoi - non fondé
Type de recours : Recours de fonctionnaires

Analyses

Pourvoi – Fonction publique – Fonctionnaires – Procédure de nomination à un poste de directeur – Avis de vacance et avis de recrutement – Rejet de candidature à un poste et nomination d’un autre candidat – Irrégularité de la procédure de recrutement – Erreur manifeste d’appréciation – Transparence – Égalité de traitement.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Parlement européen
Défendeurs : Fernando Carbajo Ferrero.

Composition du Tribunal
Avocat général : Medina

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:716

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