La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/06/2021 | CJUE | N°C-303/20

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Ultimo Portfolio Investment (Luxembourg) SA contre KM., 10/06/2021, C-303/20


 ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

10 juin 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Contrats de crédit aux consommateurs – Directive 2008/48/CE – Risque de surendettement – Article 8 – Obligation de vérification par le prêteur de la solvabilité du consommateur – Article 23 – Caractère effectif, proportionné et dissuasif de la sanction en cas de violation de cette obligation »

Dans l’affaire C‑303/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Re

jonowy w Opatowie I Wydział Cywilny (tribunal d’arrondissement d’Opatów, 1re division civile, Pologne), par décision du 2...

 ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

10 juin 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Contrats de crédit aux consommateurs – Directive 2008/48/CE – Risque de surendettement – Article 8 – Obligation de vérification par le prêteur de la solvabilité du consommateur – Article 23 – Caractère effectif, proportionné et dissuasif de la sanction en cas de violation de cette obligation »

Dans l’affaire C‑303/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Rejonowy w Opatowie I Wydział Cywilny (tribunal d’arrondissement d’Opatów, 1re division civile, Pologne), par décision du 27 septembre 2019, parvenue à la Cour le 8 juillet 2020, dans la procédure

Ultimo Portfolio Investment (Luxembourg) SA

contre

KM,

en présence de :

Prokuratura Okręgowa w Kielcach,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, Mme C. Toader (rapporteure) et M. M. Safjan, juges,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour Ultimo Portfolio Investment (Luxembourg) SA, par M. W. Kołosza, radca prawny,

– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par Mmes G. Goddin et A. Szmytkowska, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 8 et 23 de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil (JO 2008, L 133, p. 66).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Ultimo Portfolio Investment (Luxembourg) SA (ci-après « Ultimo Portfolio Investment »), cessionnaire d’Aasa Polska SA, à KM, une personne physique, au sujet du paiement d’une créance résultant d’un contrat de crédit à la consommation.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Les considérants 26 et 47 de la directive 2008/48 énoncent :

« (26) [...] Il importe, en particulier sur un marché du crédit en expansion, que les prêteurs ne soient pas amenés à octroyer des prêts de manière irresponsable ou à accorder des crédits sans évaluation préalable de la solvabilité, et que les États membres exercent la surveillance nécessaire afin de prévenir de tels comportements, et définissent les moyens nécessaires pour sanctionner les prêteurs qui en seraient auteurs. [...] les prêteurs devraient avoir la responsabilité de vérifier la
solvabilité de chaque consommateur cas par cas. À cet effet, ils devraient être autorisés à utiliser les informations fournies par le consommateur non seulement pendant la préparation du contrat de crédit en question, mais également pendant une relation commerciale de longue date. Les autorités des États membres pourraient également donner des instructions et des lignes directrices appropriées aux prêteurs. De même, les consommateurs devraient agir avec prudence et respecter leurs
obligations contractuelles.

[...]

(47) Il convient que les États membres définissent le régime de sanctions applicables en cas de violation des dispositions nationales adoptées en vertu de la présente directive et veillent à ce qu’elles soient appliquées. Bien que le choix de ce régime soit laissé à la discrétion des États membres, les sanctions prévues devraient être effectives, proportionnées et dissuasives. »

4 L’article 8 de cette directive, intitulé « Obligation d’évaluer la solvabilité du consommateur », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les États membres veillent à ce que, avant de conclure le contrat de crédit, le prêteur évalue la solvabilité du consommateur, à partir d’un nombre suffisant d’informations, fournies, le cas échéant, par ce dernier et, si nécessaire, en consultant la base de données appropriée. Les États membres dont la législation prévoit l’évaluation obligatoire par le prêteur de la solvabilité du consommateur sur la base d’une consultation de la base de données appropriée peuvent maintenir cette obligation. »

5 L’article 23 de ladite directive, intitulé « Sanctions », dispose :

« Les États membres définissent le régime de sanctions applicables en cas de violation des dispositions nationales adoptées conformément à la présente directive, et prennent toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte qu’elles soient appliquées. Les sanctions doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. »

Le droit polonais

6 L’ustawa o kredycie konsumenckim (loi relative au crédit à la consommation), du 12 mai 2011 (Dz. U. de 2011, no 126, position 715), a transposé la directive 2008/48 dans le droit polonais. L’article 9 de cette loi, dans sa version applicable à l’affaire au principal (ci‑après la « loi sur le crédit à la consommation »), dispose :

« 1.   Avant de conclure le contrat de crédit, le prêteur est tenu d’évaluer la solvabilité du consommateur.

2.   La solvabilité est évaluée sur la base des informations fournies par le consommateur ou sur la base des informations extraites des bases de données appropriées ou des données dont dispose le prêteur.

3.   Le consommateur est tenu de présenter, à la demande du prêteur, les documents et informations nécessaires à l’évaluation de sa solvabilité.

4.   Lorsque le prêteur est une banque ou une autre institution légalement habilitée à accorder des crédits, l’évaluation de la solvabilité est effectuée conformément à l’article 70 de la loi du 29 août 1997 sur le droit bancaire et aux autres réglementations applicables à ces entités, en tenant compte des paragraphes 1 à 3. »

7 L’article 24 de l’ustawa – Kodeks wykroczeń (loi portant adoption du code des contraventions), du 20 mai 1971 (ci-après le « code des contraventions »), énonce :

« 1.   L’amende est de 20 à 5000 zlotys [polonais (PLN)], à moins que la loi n’en dispose autrement.

2.   Lorsqu’une peine de détention sanctionne une contravention commise dans le but d’obtenir un gain patrimonial, elle s’accompagne d’une amende sauf si le prononcé d’une amende est inopportun.

3.   L’amende est fixée en prenant en considération les revenus de l’auteur, sa situation personnelle et familiale, sa situation patrimoniale et ses perspectives de revenus. »

8 En vertu de l’article 45, paragraphe 1, de ce code, la contravention est prescrite un an après avoir été commise et, lorsqu’une procédure est engagée durant cette période, la contravention se prescrit par deux ans à compter de la fin de cette période.

9 L’article 138c dudit code prévoit :

« 1a.   Celui qui conclut un contrat de crédit à la consommation avec un consommateur sans respecter l’obligation d’évaluer la solvabilité encourt la même sanction (amende).

[...]

4.   Lorsque le professionnel est une entité autre qu’une personne physique, la responsabilité prévue aux paragraphes 1 à 3 incombe à son dirigeant ou à la personne habilitée à conclure des contrats avec des consommateurs. »

10 En vertu de l’article 5 de l’ustawa – Kodeks cywilny (loi portant introduction du code civil), du 23 avril 1964, dans sa version applicable à l’affaire au principal, une juridiction civile peut, à la demande d’une partie ou d’office, rejeter les prétentions du demandeur en invoquant la disposition sanctionnant l’abus de droit.

11 Aux termes de l’article 320 de l’Ustawa – Kodeks postępowania cywilnego (loi portant code de procédure civile), du 17 novembre 1964, dans sa version applicable à l’affaire au principal :

« Dans les cas particulièrement justifiés, le tribunal peut prononcer le fractionnement en plusieurs tranches de l’exécution de la prestation ordonnée et, dans les cas de livraison d’un bien immobilier ou d’évacuation de locaux, fixer une date appropriée pour l’exécution de cette prestation. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

12 Ainsi qu’il résulte de la demande de décision préjudicielle, le 23 mai 2018, Aasa Polska, établie à Varsovie (Pologne), et KM ont conclu un contrat de crédit à la consommation. Le montant de ce crédit était de 5000 PLN (environ 1080 euros) et le montant total à rembourser s’élevait à 8626,58 PLN (environ 1862 euros). Cette somme se composait du capital emprunté, des intérêts pour toute la période de validité du contrat, d’un montant de 536,58 PLN (environ 115 euros), des frais de dossier à
hauteur de 2490 PLN (environ 537 euros) et de frais administratifs s’élevant à 600 PLN (environ 130 euros). Ce prêt devait être remboursé en 24 échéances d’un montant de 408 PLN (environ 88 euros) entre le 22 juin 2018 et le 22 mai 2020.

13 La créance résultant de ce contrat a été cédée par Aasa Polska à Ultimo Portfolio Investment, dont le siège se trouve à Luxembourg (Luxembourg).

14 À la date de la conclusion dudit contrat, KM était débitrice des dettes résultant de 23 contrats de crédit et de prêt, s’élevant à 261850 PLN (environ 56500 euros), le montant total des mensualités découlant de ces dettes étant de 8198 PLN (environ 1770 euros), son conjoint étant également débiteur des dettes découlant de 24 contrats de crédit et de prêt. Les dettes résultant de l’ensemble de ces contrats atteignaient la somme de 457830 PLN (environ 98840 euros) et les mensualités correspondantes
s’élevaient à 9974,35 PLN (environ 2153 euros). À cette même date, KM était employée en vertu d’un contrat de travail et percevait un salaire de 2300 PLN nets (environ 500 euros). Son conjoint, qui, pour des raisons de santé, ne travaillait pas, ne percevait aucun revenu.

15 Le Sąd Rejonowy w Opatowie I Wydział Cywilny (tribunal d’arrondissement d’Opatów, 1re division civile, Pologne), saisi le 4 avril 2019 par Ultimo Portfolio Investment, cessionnaire d’une créance de 7139,76 PLN (environ 1540 euros), majorée des intérêts légaux, indique que le contrat en cause au principal a été conclu par le truchement d’un intermédiaire de crédit et qu’Aasa Polska n’a pas, avant la conclusion de ce contrat, vérifié la situation patrimoniale de KM ni le montant des dettes de cette
dernière, dans la mesure où, au cours de l’entretien préalable à la conclusion dudit contrat, aucune question n’a été posée au sujet de cette situation, non plus qu’en ce qui concerne le montant des revenus et des dettes du ménage concerné.

16 Dans sa demande de décision préjudicielle, cette juridiction expose que, bien qu’elle ait ordonné, le 14 juin 2019, à Ultimo Portfolio Investment de lui fournir des éléments supplémentaires relatifs aux actions entreprises par le prêteur afin d’évaluer la solvabilité de KM, aucune information ne lui a été communiquée à ce sujet.

17 La juridiction de renvoi expose que, selon sa lecture de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2008/48, les États membres doivent veiller à ce que, avant de conclure le contrat de crédit, le prêteur évalue la solvabilité du consommateur, à partir d’un nombre suffisant d’informations, fournies, le cas échéant, par ce dernier et, si nécessaire, en consultant la base de données appropriée. Par ailleurs, en vertu de l’article 23 de cette directive, les États membres devraient adopter un régime
de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives en cas de violation de cette obligation, en prenant toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte qu’elles soient appliquées. Or, selon cette juridiction, le droit polonais en vigueur ne garantit pas le respect de ces exigences imposées par ladite directive.

18 Ainsi, ladite juridiction relève que l’article 138c, paragraphes 1a et 4, du code des contraventions sanctionne le non-respect de l’obligation d’examiner la solvabilité du consommateur seulement par l’infliction de l’amende prévue à l’article 24 de ce code. En outre, en vertu de l’article 45 de ce code, cette amende serait rapidement prescrite. Elle signale également que la législation nationale prévoit l’engagement de la responsabilité non pas des prêteurs en tant que personnes morales ayant
conclu des contrats de prêt, mais seulement celle des personnes physiques, telles que le dirigeant ou la personne habilitée par le prêteur pour conclure des contrats avec les consommateurs.

19 Partant, la juridiction de renvoi se demande si la sanction prévue par le code des contraventions répond aux exigences fixées par la directive 2008/48 et nourrit des doutes quant au caractère effectif, proportionné et dissuasif de cette sanction en cas de violation de l’obligation de vérification par le prêteur de la solvabilité du consommateur.

20 Dans ces conditions, le Sąd Rejonowy w Opatowie I Wydział Cywilny (tribunal d’arrondissement d’Opatów, 1re division civile) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« La sanction prévue à l’article 138c, paragraphe 1[a], du [code des contraventions], qui est encourue en cas de contravention à l’obligation d’évaluer la solvabilité du consommateur, que prévoit l’article 8, paragraphe 1, de la directive [2008/48], constitue-t-elle une mise en œuvre appropriée et suffisante de l’obligation, imposée à l’État membre par l’article 23 de la même directive, de définir dans le droit national des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives en cas de
non-respect, par le prêteur, de l’obligation d’évaluer la solvabilité du consommateur ? »

Sur la question préjudicielle

Sur la recevabilité

21 Ultimo Portfolio Investment et le gouvernement polonais considèrent en substance, à titre principal, que la demande de décision préjudicielle est irrecevable, dès lors que la juridiction de renvoi, qui est une juridiction civile, saisie d’un litige en matière civile, n’est pas compétente pour prononcer, le cas échéant, une peine d’amende contre un prêteur professionnel en vertu du code des contraventions.

22 Il ressort de la jurisprudence de la Cour que, dans le cadre de la coopération entre cette dernière et les juridictions nationales au titre de l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la
Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, la Cour est en principe tenue de statuer.

23 Il s’ensuit que les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d’une demande de décision préjudicielle formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a
aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2014, Kušionová, C‑34/13, EU:C:2014:2189, point 38 et jurisprudence citée).

24 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi s’interroge sur le sens et la portée d’une disposition du droit de l’Union, en l’occurrence l’article 23 de la directive 2008/48, dont elle demande à la Cour de lui fournir une interprétation. Cette juridiction a, à suffisance et avec précision, exposé les circonstances de fait à l’origine du litige au principal ainsi que le cadre juridique de l’affaire au principal, dont il ressort que la question
posée ne présente pas un caractère hypothétique.

25 En outre, si Ultimo Portfolio Investment et le gouvernement polonais soutiennent notamment que, selon les règles de procédure polonaises, une juridiction civile statuant sur une affaire civile ne peut pas appliquer les sanctions prévues par le code des contraventions et que la sanction édictée à l’article 138c, paragraphe 1a, de ce code ne peut être prononcée que par une juridiction pénale, il y a lieu de rappeler que la Cour, en particulier, est uniquement habilitée à se prononcer sur
l’interprétation ou la validité d’un texte de l’Union, à partir des faits qui lui sont indiqués par la juridiction nationale. En revanche, il appartient exclusivement à la juridiction de renvoi d’interpréter la législation nationale (voir, en ce sens, arrêt du 11 mars 2021, Firma Z, C‑802/19, EU:C:2021:195, point 37).

26 Dès lors, la demande de décision préjudicielle est recevable.

Sur le fond

27 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 23 de la directive 2008/48 doit être interprété en ce sens que l’examen du caractère effectif, proportionné et dissuasif des sanctions prescrites à cet article, en cas, notamment, de non-respect de l’obligation d’examiner la solvabilité du consommateur, prévue à l’article 8 de cette directive, doit être effectué en tenant compte uniquement de la disposition du droit national spécifiquement adoptée à l’occasion de la
transposition de ladite directive.

28 Il ressort de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2008/48 que, préalablement à la conclusion d’un contrat de crédit, le prêteur est tenu d’évaluer la solvabilité du consommateur, cette obligation pouvant, le cas échéant, inclure la consultation des bases de données pertinentes. Cette obligation vise également à responsabiliser le prêteur et à éviter qu’il octroie un crédit à des consommateurs non solvables (voir, en ce sens, arrêts du 18 décembre 2014, CA Consumer Finance, C‑449/13,
EU:C:2014:2464, point 43 ; du 6 juin 2019, Schyns, C‑58/18, EU:C:2019:467, point 40, et du 5 mars 2020, OPR-Finance, C‑679/18, EU:C:2020:167, point 20).

29 Une telle obligation, en ce qu’elle vise à protéger les consommateurs contre les risques de surendettement et d’insolvabilité, est, pour ces consommateurs, d’une importance fondamentale (voir, en ce sens, arrêts du 6 juin 2019, Schyns, C‑58/18, EU:C:2019:467, point 41, et du 5 mars 2020, OPR-Finance, C‑679/18, EU:C:2020:167, point 21 ainsi que jurisprudence citée).

30 L’article 23 de la directive 2008/48 prévoit, d’une part, que le régime de sanctions applicables en cas de violation des dispositions nationales adoptées en application de l’article 8 de cette directive doit être défini de telle manière que les sanctions soient effectives, proportionnées ainsi que dissuasives et, d’autre part, que les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte que celles-ci soient appliquées. Dans ces limites, le choix dudit régime de sanctions est
laissé à la discrétion des États membres (voir, en ce sens, arrêts du 10 septembre 2014, Kušionová, C‑34/13, EU:C:2014:2189, point 59 et jurisprudence citée, ainsi que du 5 mars 2020, OPR-Finance, C‑679/18, EU:C:2020:167, point 24 et jurisprudence citée).

31 Bien que les interrogations de la juridiction de renvoi visent, en l’occurrence, la seule sanction résultant de la combinaison des articles 24 et 138c du code des contraventions, il ressort des observations écrites présentées devant la Cour, sous réserve d’une confirmation par la juridiction de renvoi, que le droit polonais prévoit un certain nombre d’autres sanctions, notamment des sanctions civiles, que les juridictions nationales sont susceptibles de prononcer en cas de non-respect de
l’obligation de vérifier la solvabilité du consommateur.

32 En premier lieu, si une amende peut, certes, constituer une sanction dissuasive, la faiblesse de son quantum peut néanmoins rendre cette sanction insuffisante. De même, la circonstance que seules les personnes physiques fassent l’objet d’une telle sanction peut être révélatrice des carences de la législation concernée (voir, par analogie, arrêt du 4 mars 2020, Bank BGŻ BNP Paribas, C‑183/18, EU:C:2020:153, point 48 et jurisprudence citée). Par ailleurs, afin qu’une sanction soit effective et
dissuasive, il importe de priver les contrevenants des avantages économiques découlant des infractions qu’ils ont commises [voir, par analogie, arrêt du 11 février 2021, K. M. (Sanctions infligées au capitaine de navire), C‑77/20, EU:C:2021:112, point 48]. Enfin, et surtout, une telle sanction n’est pas de nature à assurer de manière suffisamment effective la protection des consommateurs contre les risques de surendettement et d’insolvabilité recherchée par la directive 2008/48 si elle n’a pas
d’incidence sur la situation d’un consommateur à qui aurait été accordé un crédit en violation de l’article 8 de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2020, OPR-Finance, C‑679/18, EU:C:2020:167, point 38).

33 Cela étant, il convient, en second lieu, de rappeler que, en vertu de l’article 288, troisième alinéa, TFUE, la directive, en liant tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, laisse aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens (arrêt du 21 avril 2016, Radlinger et Radlingerová, C‑377/14, EU:C:2016:283, point 76 ainsi que jurisprudence citée).

34 Ainsi, la transposition d’une directive n’exige pas nécessairement une action législative dans chaque État membre. En particulier, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’existence de principes généraux ou de règles générales peut rendre superflue la transposition par des mesures législatives ou réglementaires additionnelles spécifiques, à condition, toutefois, que ces normes garantissent effectivement la pleine application de cette directive et que, au cas où la disposition en cause de
ladite directive vise à créer des droits pour les particuliers, la situation juridique découlant de ces principes soit suffisamment précise et claire, et que les bénéficiaires soient mis en mesure de connaître la plénitude de leurs droits ainsi que, le cas échéant, de s’en prévaloir devant les juridictions nationales (voir, en ce sens, arrêt du 3 décembre 2009, Commission/Belgique, C‑475/08, EU:C:2009:751, point 41 et jurisprudence citée).

35 Il s’ensuit que, afin de déterminer si une réglementation nationale met suffisamment en œuvre les obligations résultant d’une directive donnée, il importe de prendre en compte non seulement la réglementation spécifiquement adoptée aux fins de la transposition de cette directive, mais également l’ensemble des normes juridiques disponibles et applicables.

36 Ainsi, il résulte de la jurisprudence de la Cour que, si l’article 23 de la directive 2008/48 exige que les sanctions soient dissuasives, les tribunaux doivent également jouir d’un pouvoir d’appréciation leur permettant de choisir, selon les circonstances de l’espèce, la mesure proportionnée à la gravité du non-respect de l’obligation constatée (voir, en ce sens, arrêts du 9 novembre 2016, Home Credit Slovakia, C‑42/15, EU:C:2016:842, point 63, et du 5 mars 2020, OPR-Finance, C‑679/18,
EU:C:2020:167, point 26). Les juridictions nationales doivent donc prendre en considération l’ensemble des règles du droit national et les interpréter, dans toute la mesure possible, à la lumière du libellé et de la finalité de cette directive, afin d’obtenir un résultat compatible avec les objectifs qu’elle poursuit (voir, en ce sens, arrêts du 27 mars 2014, LCL Le Crédit Lyonnais, C‑565/12, EU:C:2014:190, point 54, et du 5 mars 2020, OPR-Finance, C‑679/18, EU:C:2020:167, point 41).

37 Dès lors que le législateur national a, comme en l’occurrence, prévu, pour sanctionner une violation de l’obligation de vérifier la solvabilité du consommateur, outre une sanction insérée dans le code des contraventions, des sanctions de droit civil susceptibles de bénéficier au consommateur concerné, ces sanctions doivent, eu égard à l’importance particulière accordée par la directive 2008/48 à la protection des consommateurs, être mises en œuvre dans le respect du principe d’effectivité (arrêt
du 5 mars 2020, OPR-Finance, C‑679/18, EU:C:2020:167, point 39).

38 En l’occurrence, il résulte du dossier dont dispose la Cour, et sous réserve des vérifications qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer, que, parmi les dispositions prévues par la réglementation nationale figurent la déchéance du droit aux intérêts, le fractionnement de l’exécution du contrat en tranches non productives d’intérêts et la nullité de certaines clauses sur le fondement de la réglementation nationale transposant la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993,
concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29), ou la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) no 2006/2004 du Parlement européen et du
Conseil (« directive sur les pratiques commerciales déloyales ») (JO 2005, L 149, p. 22).

39 S’agissant, tout d’abord, de la déchéance du droit aux intérêts, la Cour a déjà dit pour droit que ce type de sanction, prévu par la réglementation nationale, doit être considéré comme étant proportionné, au sens de l’article 23 de la directive 2008/48, en ce qui concerne les cas de violation, par le prêteur, d’une obligation revêtant une importance essentielle dans le contexte de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2016, Home Credit Slovakia, C‑42/15, EU:C:2016:842, points 69
à 71 ainsi que jurisprudence citée).

40 Or, ainsi qu’il a été relevé aux points 29 et 30 du présent arrêt, l’obligation de vérifier la solvabilité du consommateur, prévue à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2008/48, revêt une telle importance essentielle.

41 Ensuite, en ce qui concerne le fractionnement de l’exécution du contrat, celui-ci peut permettre de prendre en compte la situation du consommateur et d’éviter que ce dernier soit exposé à des conséquences particulièrement préjudiciables (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria et Bankia, C‑70/17 et C‑179/17, EU:C:2019:250, points 56, 58 et 59 ainsi que jurisprudence citée).

42 Enfin, afin de satisfaire aux exigences fixées à l’article 23 de la directive 2008/48, la juridiction de renvoi peut procéder à une application combinée de celle-ci avec la directive 93/13, pour aboutir, le cas échéant, à la conclusion que les clauses relatives aux frais exorbitants ne lient pas le consommateur (voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2020, Profi Credit Polska, C‑84/19, C‑222/19 et C‑252/19, EU:C:2020:631, point 97).

43 Ce faisant, elle doit vérifier si l’application de la sanction prévue par la directive 93/13 n’est pas moins avantageuse pour le consommateur qu’une simple sanction consistant dans la déchéance du droit aux intérêts, prévue par la réglementation nationale en exécution de l’article 23 de la directive 2008/48 (voir, en ce sens, ordonnance du 16 novembre 2010, Pohotovosť, C‑76/10, EU:C:2010:685, point 77).

44 Dans le même ordre d’idées, la Cour a déjà dit pour droit que la constatation du caractère déloyal d’une pratique commerciale, au sens de la directive 2005/29, constitue un élément parmi d’autres sur lequel le juge compétent peut fonder son appréciation du caractère abusif, au sens de la directive 93/13, des clauses du contrat relatives à cette pratique figurant dans le contrat liant le professionnel au consommateur (voir, en ce sens, arrêts du 15 mars 2012, Pereničová et Perenič, C‑453/10,
EU:C:2012:144, point 47, ainsi que de ce jour, BNP Paribas Personal Finance, C‑776/19 à C‑782/19, point 76).

45 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 23 de la directive 2008/48 doit être interprété en ce sens que l’examen du caractère effectif, proportionné et dissuasif des sanctions prévues à cette disposition, en cas, notamment, de non-respect de l’obligation d’examiner la solvabilité du consommateur prévue à l’article 8 de cette directive, doit être effectué en tenant compte, conformément à l’article 288, troisième alinéa, TFUE,
non seulement de la disposition adoptée spécifiquement, dans le droit national, pour transposer ladite directive, mais également de l’ensemble des dispositions de ce droit, en les interprétant, dans toute la mesure possible, à la lumière du libellé et des objectifs de la même directive, de manière à ce que lesdites sanctions satisfassent aux exigences fixées à l’article 23 de celle-ci.

Sur les dépens

46 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

  L’article 23 de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil, doit être interprété en ce sens que l’examen du caractère effectif, proportionné et dissuasif des sanctions prévues à cette disposition, en cas, notamment, de non-respect de l’obligation d’examiner la solvabilité du consommateur prévue à l’article 8 de cette directive, doit être effectué en tenant compte,
conformément à l’article 288, troisième alinéa, TFUE, non seulement de la disposition adoptée spécifiquement, dans le droit national, pour transposer ladite directive, mais également de l’ensemble des dispositions de ce droit, en les interprétant, dans toute la mesure possible, à la lumière du libellé et des objectifs de la même directive, de manière à ce que lesdites sanctions satisfassent aux exigences fixées à l’article 23 de celle-ci.

  Signatures

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( *1 ) Langue de procédure : le polonais.


Synthèse
Formation : Sixième chambre
Numéro d'arrêt : C-303/20
Date de la décision : 10/06/2021
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Sąd Rejonowy w Opatowie I Wydział Cywilny.

Renvoi préjudiciel – Contrats de crédit aux consommateurs – Directive 2008/48/CE – Risque de surendettement – Article 8 – Obligation de vérification par le prêteur de la solvabilité du consommateur – Article 23 – Caractère effectif, proportionné et dissuasif de la sanction en cas de violation de cette obligation.

Protection des consommateurs

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : Ultimo Portfolio Investment (Luxembourg) SA
Défendeurs : KM.

Composition du Tribunal
Avocat général : Pitruzzella
Rapporteur ?: Toader

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2021:479

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award