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17/09/2020 | CJUE | N°C-490/19

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. G. Pitruzzella, présentées le 17 septembre 2020., Syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier contre Société Fromagère du Livradois SAS., 17/09/2020, C-490/19


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 17 septembre 2020 ( 1 )

Affaire C‑490/19

Syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier

contre

Société Fromagère du Livradois SAS

[demande de décision préjudicielle formée par la Cour de cassation (France)]

« Renvoi préjudiciel – Agriculture – Produits agricoles et denrées alimentaires – Indications géographiques et appellations d’origine – Protection de l’enregistrement d’une dénomination 

Interdiction de l’utilisation par un tiers ou interdiction d’une présentation susceptible d’induire le consommateur en erreur sans utilisa...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 17 septembre 2020 ( 1 )

Affaire C‑490/19

Syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier

contre

Société Fromagère du Livradois SAS

[demande de décision préjudicielle formée par la Cour de cassation (France)]

« Renvoi préjudiciel – Agriculture – Produits agricoles et denrées alimentaires – Indications géographiques et appellations d’origine – Protection de l’enregistrement d’une dénomination – Interdiction de l’utilisation par un tiers ou interdiction d’une présentation susceptible d’induire le consommateur en erreur sans utilisation de la dénomination »

I. Introduction

1. Par la demande de décision préjudicielle qui fait l’objet des présentes conclusions, la Cour de cassation (France) pose à la Cour une question portant sur l’interprétation de l’article 13, paragraphe 1, des règlements (CE) no 510/2006 ( 2 ) et (UE) no 1151/2012 ( 3 ).

2. Cette question a été soulevée dans le cadre d’un litige opposant le syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier (ci‑après le « syndicat ») à la Société Fromagère du Livradois SAS (ci‑après « SFL »), à l’égard de prétendus actes de concurrence déloyale et parasitaire commis par cette dernière en méconnaissance de l’appellation d’origine protégée (AOP) « Morbier ».

II. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

3. L’Union européenne a institué une protection des AOP et des indications géographiques protégées (IGP) des produits agricoles et des denrées alimentaires, par le règlement (CEE) no 2081/92 du Conseil du 14 juillet 1992 ( 4 ), abrogé et remplacé par le règlement no 510/2006. L’article 13, paragraphe 1, de ce dernier règlement dispose :

« Les dénominations enregistrées sont protégées contre toute :

a) utilisation commerciale directe ou indirecte d’une dénomination enregistrée pour des produits non couverts par l’enregistrement, dans la mesure où ces produits sont comparables à ceux enregistrés sous cette dénomination ou dans la mesure où cette utilisation permet de profiter de la réputation de la dénomination protégée ;

b) usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine véritable du produit est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite ou accompagnée d’une expression telle que “genre”, “type”, “méthode”, “façon”, “imitation”, ou d’une expression similaire ;

c) autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, l’origine, la nature ou les qualités substantielles du produit figurant sur le conditionnement ou l’emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit concerné, ainsi que contre l’utilisation pour le conditionnement d’un récipient de nature à créer une impression erronée sur l’origine ;

d) autre pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit.

[...] »

4. Le règlement no 510/2006 a été abrogé et remplacé, à partir du 4 janvier 2013, par le règlement no 1151/2012. L’article 13, paragraphe 1 de ce dernier règlement est substantiellement identique à la disposition correspondante du règlement no 510/2006, exception faite pour son application également aux produits couverts par la dénomination protégée lorsqu’ils sont utilisés en tant qu’ingrédients et aux « services ». Des dispositions analogues à l’article 13, paragraphe 1, des règlements no
os510/2006 et 1151/2012 sont prévues dans les différents régimes de qualité institués par l’Union ( 5 ).

5. En application du règlement (CE) no 1241/2002 de la Commission, du 10 juillet 2002 ( 6 ), adopté conformément au règlement no 2081/92, la dénomination « Morbier » a été inscrite au registre des AOP. Le cahier des charges lié à l’AOP « Morbier », tel que modifié par le règlement d’exécution (UE) no 1128/2013 de la Commission, du 7 novembre 2013 ( 7 ), applicable aux faits du litige au principal, décrit l’aspect visuel du Morbier comme suit : « Le “Morbier” est un fromage au lait cru de vache, à
pâte pressée non cuite, de la forme d’un cylindre plat de 30 à 40 centimètres de diamètre, d’une hauteur de 5 à 8 centimètres, d’un poids de 5 à 8 kg, qui présente des faces planes et un talon légèrement convexe. Ce fromage présente une raie noire centrale horizontale, soudée et continue sur toute la tranche. Son croûtage est naturel, frotté, d’un aspect régulier, morgé, laissant apparaître la trame du moule. Il est de couleur beige à orangé avec des nuances brun orangé, rouge orangé et rose
orangé. Sa pâte est homogène de couleur ivoire à jaune pâle avec fréquemment quelques ouvertures dispersées de la taille d’une groseille ou de petites bulles aplaties. [...] »

6. Le règlement (UE) no 1129/2011 ( 8 ), entré en vigueur le 1er juin 2013, a réservé expressément l’usage du charbon végétal E 153 aux fromages de l’AOP « Morbier » ( 9 ).

B.   Le droit français

7. L’article L. 722‑1 du code de la propriété intellectuelle, issu de la loi no 2007‑1544 du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon ( 10 ), applicable aux faits de la procédure au principal, dispose :

« Toute atteinte portée à une indication géographique engage la responsabilité civile de son auteur.

Pour l’application du présent chapitre, on entend par “indication géographique” :

[...]

b) les appellations d’origine protégées et les indications géographiques protégées prévues par la réglementation communautaire relative à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires ;

[...] »

III. La procédure au principal et la question préjudicielle

8. Le syndicat a été reconnu, le 18 juillet 2007, par l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO), comme organisme de défense pour la protection du Morbier. SFL, établie dans le Puy‑de‑Dôme (France), est une société qui fabrique et commercialise des fromages.

9. Le Morbier est un fromage qui bénéficie d’une appellation d’origine contrôlée (AOC) depuis un décret du 22 décembre 2000, lequel a prévu, à son article 8, une période transitoire pour les entreprises situées hors de la zone géographique de référence définie par ce décret et qui produisaient et commercialisaient des fromages sous le nom « Morbier », afin de leur permettre de continuer à utiliser ce nom sans la mention « AOC », jusqu’à l’expiration d’un délai de cinq ans suivant la publication de
l’enregistrement de l’appellation d’origine « Morbier » à titre d’AOP par la Commission européenne conformément à l’article 6 du règlement no 2081/92 ( 11 ). Ledit décret a été abrogé par le décret no 2011‑441, du 20 avril 2011.

10. Ne se situant pas dans l’aire géographique à laquelle la dénomination « Morbier » était réservée, SFL, qui fabriquait du fromage sous la même dénomination depuis l’année 1979, a été autorisée, conformément à l’article 8 du décret du 22 décembre 2000, à utiliser celle‑ci, sans la mention « AOC », jusqu’au 11 juillet 2007, date à partir de laquelle elle lui a substitué la dénomination « Montboissié du Haut Livradois ». SFL a en outre déposé, le 5 octobre 2001, aux États‑Unis, la marque américaine
Morbier du Haut Livradois, qu’elle a renouvelée en 2008 pour dix années et, le 5 novembre 2004, la marque française Montboissier.

11. Reprochant à SFL de porter atteinte à l’appellation protégée et de commettre des actes de concurrence déloyale et parasitaire en fabriquant et commercialisant un fromage reprenant l’apparence visuelle du produit couvert par l’AOP « Morbier » afin de créer la confusion avec celui‑ci et de profiter de la notoriété de l’image qui lui est associée, sans avoir à se plier au cahier des charges, le syndicat l’a assignée, le 22 août 2013, devant le tribunal de grande instance de Paris (France), afin
qu’elle soit condamnée à cesser toute utilisation commerciale directe ou indirecte de la dénomination de l’AOP « Morbier », toute usurpation, imitation, ou évocation de cette AOP, toute autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, l’origine, la nature ou les qualités essentielles du produit par quelque moyen que ce soit qui serait de nature à créer une impression erronée sur l’origine du produit, toute autre pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la
véritable origine du produit, et spécialement toute utilisation d’une raie noire séparant deux parties du fromage, et à indemniser son préjudice.

12. Par un jugement du 14 avril 2016, le tribunal de grande instance de Paris a rejeté l’intégralité des demandes du syndicat. Ce jugement a été confirmé par la cour d’appel de Paris (France) par un arrêt du 16 juin 2017. Dans cet arrêt, la cour d’appel de Paris a considéré, notamment, que n’était pas fautive la commercialisation d’un fromage qui présente une ou plusieurs caractéristiques figurant dans le cahier des charges du Morbier et qui s’apparente donc à celui‑ci. Après avoir énoncé que la
réglementation sur l’AOP ne vise pas à protéger l’apparence d’un produit ou ses caractéristiques décrites dans son cahier des charges, mais sa dénomination, de sorte qu’elle n’interdit pas de fabriquer un produit selon les mêmes techniques que celles définies dans les normes applicables à l’indication géographique, et avoir rappelé qu’en l’absence de droit privatif, la reprise de l’apparence d’un produit relève de la liberté du commerce et de l’industrie, la cour d’appel de Paris a jugé que les
caractéristiques invoquées par le syndicat, notamment le trait bleu horizontal, relèvent d’une tradition historique, d’une technique ancestrale présente dans d’autres fromages, qui ont été mises en œuvre par la SFL avant même l’obtention de l’AOP et qui ne reposent pas sur des investissements que le syndicat ou ses membres auraient réalisés. Elle a estimé que si le droit d’utiliser le charbon végétal est conféré au seul fromage d’AOP « Morbier », SFL a dû, pour se conformer à la législation
américaine, le remplacer par du polyphénol de raisin, de sorte que les deux fromages ne sauraient être assimilés par cette caractéristique. Relevant que SFL a fait valoir d’autres différences entre le fromage Montboissier et le Morbier, tenant, notamment, à l’utilisation de lait pasteurisé pour le premier et de lait cru pour le second, elle a conclu que les deux fromages sont distincts et que le syndicat tentait d’étendre la protection de l’appellation « Morbier » dans un intérêt commercial
illégitime et contraire au principe de libre concurrence.

13. Le syndicat a introduit un pourvoi contre ledit arrêt de la cour d’appel de Paris devant la juridiction de renvoi. Il soutient qu’en énonçant que seule l’utilisation du nom « Morbier » pouvait constituer une atteinte à l’AOP « Morbier », la cour d’appel de Paris a adopté une analyse contraire au texte de l’article 13 des règlements no os510/2006 et 1151/2012 et n’a pas répondu à la question de savoir si la présentation du fromage Montboissier était de nature à induire en erreur le consommateur.
De son côté, SFL soutient que l’AOP protège les produits issus d’un terroir délimité, qui peuvent seuls se prévaloir de la dénomination protégée. Elle n’interdirait pas à d’autres producteurs de produire et de commercialiser des produits similaires, pour autant que cette commercialisation ne soit accompagnée d’aucune pratique de nature à entraîner une confusion, notamment par l’usurpation ou l’évocation de l’appellation protégée. Elle fait encore valoir qu’une « pratique susceptible d’induire le
consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit », ainsi qu’il est énoncé à l’article 13, paragraphe 1, sous d), des règlements no os510/2006 et 1151/2012, doit nécessairement porter sur « l’origine » du produit ; il doit donc s’agir d’une pratique amenant le consommateur à penser qu’il est en présence d’un produit bénéficiant de l’AOP en cause. Elle considère que cette « pratique » ne peut résulter de la seule apparence du produit en tant que tel, en dehors de toute mention sur
son emballage faisant référence à la provenance protégée.

14. C’est dans ce contexte que la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les articles 13, paragraphe 1, respectifs du règlement no 510/2006 [...] et du règlement no 1151/2012 [...] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils interdisent uniquement l’utilisation par un tiers de la dénomination enregistrée ou doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils interdisent la présentation d’un produit couvert par une appellation d’origine, en particulier la reproduction de la forme ou de l’apparence le caractérisant, susceptible d’induire le consommateur en erreur quant
à la véritable origine du produit, même si la dénomination enregistrée n’est pas utilisée ? »

15. La présente affaire a bénéficié d’observations écrites déposées par le syndicat, SFL, les gouvernements français et grec ainsi que la Commission. Ces intéressés, à l’exception du gouvernement grec, ont présenté leurs observations orales lors de l’audience qui s’est tenue devant la Cour le 18 juin 2020.

IV. Analyse

A.   Observations liminaires

16. La question préjudicielle posée par la Cour de cassation peut être divisée en deux parties. Par la première partie de cette question, la juridiction de renvoi demande à la Cour si l’article 13, paragraphe 1, des règlements no os510/2006 et 1151/2012 doit être interprété en ce sens qu’il n’interdit que l’utilisation, par un tiers non autorisé, d’une dénomination enregistrée.

17. La seconde partie de la question préjudicielle, qui suppose que soit répondu par la négative à la première partie, vise, en revanche, à savoir si est également interdite, en l’absence d’utilisation de la dénomination protégée, la seule reproduction de la forme ou de l’apparence caractérisant le produit couvert par la dénomination enregistrée, lorsqu’elle est susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit reprenant cette forme ou cette apparence.

18. Bien qu’elle porte sur l’article 13, paragraphe 1, desdits règlements dans son ensemble, la question préjudicielle, ainsi qu’il se déduit de sa formulation et qu’il ressort des motifs de la décision de renvoi, vise plus précisément la disposition qui figure au point d) dudit article 13, paragraphe 1, qui vise toute « autre pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit ». Cependant, comme il ressort de l’exposé qui suit, presque tous les
intéressés ayant déposé des observations écrites devant la Cour ont analysé la question préjudicielle également sous l’angle de l’article 13, paragraphe 1, sous b), des règlements no os510/2006 et 1151/2012, qui interdit, notamment, toute « évocation » d’une dénomination d’origine protégée. Par ailleurs, l’une des questions écrites pour réponse orale, posées par la Cour aux intéressés lors de l’audience, a porté sur la différence entre les dispositions figurant aux points b) et d) dudit
article 13, paragraphe 1. Dès lors, dans un souci d’exhaustivité, j’envisagerai la question préjudicielle sous l’angle tant du point b) que du point d) susmentionnés.

B.   Aperçu des observations des parties

19. Le syndicat fait valoir que la première partie de la question posée par la juridiction de renvoi trouve déjà une réponse dans la jurisprudence de la Cour et, notamment, dans les arrêts du 7 juin 2018, Scotch Whisky Association ( 12 ) (ci‑après : l’« arrêt Scotch Whisky »), et du 2 mai 2019, Fundación Consejo Regulador de la Denominación de Origen Protegida Queso Manchego ( 13 ) (ci‑après l’« arrêt Queso Manchego »), qui ont précisé que peut tomber sous l’interdiction édictée à l’article 13,
paragraphe 1, des règlements no os510/2006 et 1151/2012 également une pratique qui ne consiste pas en l’utilisation de la dénomination protégée. S’agissant de la seconde partie de la question préjudicielle, le syndicat fait valoir que l’interdiction de la reproduction de l’apparence caractéristique d’un produit couvert par une dénomination d’origine enregistrée peut être envisagée tant sous l’angle du point b) de l’article 13, paragraphe 1, des règlements no os510/2006 et 1151/2012 que sous
l’angle du point d), de cette disposition. Ainsi, selon le syndicat, la reproduction de l’apparence caractéristique du produit sera prohibée, sur le fondement de l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 502/2006, uniquement lorsque l’apparence litigieuse est susceptible de rappeler directement à l’esprit du consommateur les produits bénéficiant de la dénomination protégée. Une telle reproduction sera, en revanche, interdite, sur le fondement du point d) dudit article 13,
paragraphe 1, si elle est susceptible d’induire le consommateur en erreur sur l’origine du produit. En ce qui concerne la raie noire présente sur le fromage Morbier, le syndicat souligne qu’il s’agit du signe de reconnaissance, de la « signature », dudit fromage, qui lui donne son identité, au moins lorsque les autres conditions de couleur et de texture sont réunies.

20. SFL fait valoir que, par sa nature même, l’AOP protège la « dénomination » du produit, qui permet de le rattacher à un terroir et à une technique de production. En revanche, elle ne réserve pas l’utilisation d’une telle technique aux seuls produits couverts par cette dénomination, ni ne permet d’obtenir l’interdiction de commercialiser un produit présentant la même apparence que ceux‑ci. Une protection si étendue conférerait un monopole d’exploitation perpétuel sur une ou plusieurs des
caractéristiques décrites dans le cahier des charges de l’appellation et sur l’apparence d’un produit, non protégeable en tant que telle par un droit de propriété intellectuelle. SFL souligne que les arrêts Scotch Whisky et Queso Manchego portaient sur des éléments visuels présents sur le conditionnement du produit ou sur le nom du produit, dont le remplacement est aisé et n’empêche pas la commercialisation du produit lui‑même, contrairement aux éléments qui concernent l’apparence du produit,
tel la raie au milieu des fromages fabriqués par SFL, qui, au surplus, résulte d’une technique ancestrale de fabrication ( 14 ). Elle fait également référence à la jurisprudence de la Cour en matière de mesures d’effet équivalent, dont il ressortirait que l’utilisation d’une forme de conditionnement particulière ne peut être accaparée, en l’absence de tout droit privatif ou de tout texte, au profit d’une partie des producteurs, dans la mesure où l’utilisation par d’autres est loyale et
traditionnelle. Par ailleurs, SFL fait valoir, d’une part, qu’il n’est pas interdit de produire des fromages de « feta » ou de « mozzarella », ou encore du « parmesan » ayant la même présentation et le même emballage que ceux couverts par les dénominations protégées respectives ( 15 ) et, d’autre part, que plusieurs AOP différentes peuvent protéger un produit présentant une forme identique. Elle fait aussi référence aux produits « déclassés », à savoir des produits qui, en raison de leur
présentation non conforme au cahier des charges de l’AOP, ne peuvent pas prétendre à celle‑ci, mais sont tout de même commercialisés avec l’autorisation des instances professionnelles, tel le syndicat. Enfin, SFL observe que la raie noire est une caractéristique présente sur bien des produits fabriqués en France et à l’étranger (par exemple, le Cendré des Prés, le Douanier, le Ratoureux, etc.). SFL conclut qu’il convient de répondre à la question préjudicielle en ce sens que la protection
résultant d’une AOP ne porte que sur la dénomination du produit et qu’il n’en résulte aucune interdiction pour un produit n’en bénéficiant pas de présenter une caractéristique de forme similaire.

21. La Commission souligne, à titre liminaire, que l’appellation d’origine ne protège pas les produits qu’elle couvre, ni une quelconque caractéristique physique ou autre de ces produits, telle qu’elle apparaît dans le cahier des charges ou telle qu’elle figure sur les produits commercialisés par les bénéficiaires de l’indication géographique protégée en question. L’objet de la protection serait uniquement la dénomination enregistrée. Cela étant, elle considère, d’une manière générale, qu’il ne peut
pas être exclu prima facie que la reproduction de la forme ou de l’apparence caractérisant un produit dont la dénomination est protégée soit susceptible de constituer une atteinte à cette dénomination, bien qu’une telle possibilité reste l’exception. Se référant aux arrêts Scotch Whisky et Queso Manchego, la Commission considère qu’il convient d’interpréter l’article 13, paragraphe 1, des règlements no os510/2006 et 1151/2012 en ce sens qu’il interdit non pas uniquement l’utilisation par un
tiers de la dénomination enregistrée, mais également toute autre pratique, en particulier la reproduction de la forme ou de l’apparence caractérisant le produit protégé par la dénomination, lorsque ces pratiques concernent des caractéristiques qui sont clairement visibles, qui appartiennent exclusivement à ce produit et s’il existe une proximité conceptuelle, suffisamment directe et univoque, entre ces pratiques et l’appellation protégée, susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à
la véritable origine du produit, même si la dénomination enregistrée n’est pas utilisée. Cependant, pour que, dans un cas d’espèce, l’on puisse conclure à l’existence d’une telle pratique, il serait nécessaire que la forme ou l’apparence, objet de reproduction, soit caractéristique des produits bénéficiant de la dénomination protégée et qu’elle soit perçue par les consommateurs comme unique et « distinctive » de ces produits.

22. Le gouvernement français fait valoir, s’agissant de la première partie de la question préjudicielle, qu’il découle de la lettre, de l’esprit et des objectifs de l’article 13, paragraphe 1, des règlements no os510/2006 et 1151/2012, ainsi que de la jurisprudence de la Cour, que cette disposition accorde aux dénominations enregistrées une protection élargie, couvrant une très grande variété d’atteintes et que n’est, dès lors, pas proscrite la seule utilisation par un tiers de cette dénomination.
S’agissant de la seconde partie de la question préjudicielle, le gouvernement français considère que la reprise d’une forme caractéristique ou d’un signe particulièrement distinctif d’un produit couvert par une AOP pourrait, d’une part, donner lieu à une « évocation » contraire à l’article 13, paragraphe 1, sous b), des règlements no os510/2006 et 1151/2012 et, d’autre part, constituer une pratique interdite au sens du point d), de ce même article, paragraphe 1, lorsqu’elle est susceptible de
conduire le consommateur à avoir directement à l’esprit, comme image de référence, ledit produit.

23. Le gouvernement grec considère également qu’il ressort du libellé et des objectifs de l’article 13, paragraphe 1, des règlements no os510/2006 et 1151/2012 que ses dispositions couvrent l’éventail le plus large d’atteintes qui peuvent être apportées aux dénominations protégées. S’agissant plus particulièrement de l’article 13, paragraphe 1, sous d), desdits règlements, le gouvernement grec considère que cette disposition est plus large que celles qui la précèdent pour ce qui est du type et de la
forme de la pratique, mais pas en ce qui concerne le résultat auquel cette pratique doit conduire, qui est d’induire le consommateur en erreur. Or, la forme ou l’apparence d’un produit sont, selon ce gouvernement, susceptibles d’induire en erreur le consommateur et d’évoquer directement dans la mémoire de ce dernier le produit couvert par la dénomination protégée, même lorsqu’il n’y a pas de référence directe à celle‑ci. Dès lors, la reproduction de l’apparence d’un produit dont la dénomination
est protégée peut tomber sous le coup des interdictions édictées à l’article 13, paragraphe 1, des règlements no os510/2006 et 1151/2012, à condition qu’elle ne soit pas le résultat du hasard, mais vise à profiter de la réputation de la dénomination protégée.

C.   Appréciation

24. À titre liminaire, je souhaite revenir sur l’affirmation faite par la Commission dans ses observations tant écrites qu’orales, selon laquelle l’article 13, paragraphe 1, des règlements no os510/2006 et 1151/2012 prévoit un dispositif de protection ayant pour objet la dénomination enregistrée elle‑même et non pas le produit couvert par cette dénomination.

25. Cette affirmation est sans doute correcte. Ainsi, dans notre cas, c’est la dénomination « Morbier » qui est protégée et non pas, du moins directement, le produit fabriqué suivant les règles imposées par le cahier des charges de cette dénomination ( 16 ) et présentant les caractéristiques physiques et organoleptiques décrites dans celui‑ci, ni la présentation, l’apparence ou toute autre caractéristique dudit produit. Cependant, une telle affirmation nécessite, à mon sens, d’être contextualisée.

26. En effet, je relève, en premier lieu, que, s’il ne fait pas de doute que l’objet de la protection prévue à l’article 13, paragraphe 1, des règlements no os510/2006 et 1151/2012 est la dénomination enregistrée, il ne faut pas non plus perdre de vue que, en établissant un système de protection des indications géographiques et des appellations d’origine, le législateur de l’Union a entendu, d’une part, intervenir au soutien de l’économie rurale – notamment des zones défavorisées ou éloignées – à
travers la « promotion de produits présentant certaines caractéristiques » ( 17 ), et, d’autre part, préserver « [l]a qualité et la diversité de la production agricole [...] de l’Union », considérée comme « l’un de ses grands atouts, conférant un avantage concurrentiel aux producteurs de l’Union et apportant une contribution majeure à son patrimoine culturel et gastronomique vivant » ( 18 ). C’est donc, en fin de compte, la protection des productions traditionnelles « possédant des
caractéristiques spécifiques liées à leur origine géographique » qui constitue l’objectif ultime de la réglementation en matière d’AOP et d’IGP. La protection accordée à ces mentions n’est qu’un instrument au service de cet objectif et son étendue doit, dès lors, être interprétée à la lumière de celui‑ci ( 19 ).

27. En deuxième lieu, et dans le prolongement de ce que je viens de dire, je rappelle que, aux termes mêmes de l’article 5, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement no 1151/2012 l’« appellation d’origine » est « une dénomination qui identifie un produit comme étant originaire d’un lieu déterminé, d’une région, ou, dans des cas exceptionnels, d’un pays », « dont la qualité ou les caractéristiques sont dues essentiellement ou exclusivement au milieu géographique comprenant les facteurs naturels et
humains » ( 20 ). Les AOP sont donc protégées en tant qu’elles désignent un produit qui présente certaines « qualités » ou certaines « caractéristiques », c’est‑à‑dire des attributs physiques, tels que le goût, l’odeur et l’apparence, qui lui sont propres et qui sont liés à son origine géographique. Plus généralement, c’est le lien avec le terroir, en tant qu’élément capable de différencier qualitativement un produit de l’ensemble de l’offre disponible sur le marché, qui constitue le fondement
de la protection des AOP. La procédure d’enregistrement d’une AOP, à présent prévue aux articles 49 à 52 du règlement no 1151/2012, vise précisément à vérifier que les exigences applicables aux appellations d’origine, telles que prévues à l’article 5 de ce règlement, sont remplies. À cette fin, la demande d’enregistrement doit comporter, conformément à l’article 8 dudit règlement, un cahier des charges du produit qui inclue, notamment, « une description du produit, y compris les matières
premières, le cas échéant, ainsi que les principales caractéristiques physiques, chimiques, microbiologiques ou organoleptiques du produit », la définition de l’aire géographique de référence et les éléments établissant le lien entre la qualité ou les caractéristiques du produit et cette aire ( 21 ). Cette demande doit également être accompagnée d’un document unique, dans lequel figurent, notamment, « les éléments principaux du cahier des charges du produit : la dénomination, une description du
produit, y compris, le cas échéant, les règles spécifiques applicables à son conditionnement et à son étiquetage » et « une description du lien entre le produit et le milieu géographique ou l’origine géographique [...], y compris, le cas échéant, les éléments spécifiques de la description du produit ou de la méthode de production justifiant le lien » ( 22 ). Une procédure d’opposition est également prévue, permettant aux tiers de s’opposer à l’enregistrement, notamment, lorsqu’il démontre que
les exigences applicables aux AOP, telles que définies à l’article 5 du règlement no 1151/2012, ou les conditions prévues à l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement, en ce qui concerne le cahier des charges, ne sont pas remplies ( 23 ).

28. Enfin, il importe de souligner que, au cas où la Cour devrait juger que la reproduction de la caractéristique distinctive d’un produit couvert par une dénomination enregistrée est susceptible de violer l’article 13, paragraphe 1, des règlements no os510/2006 et 1151/2012, objet de la protection ne serait pas cette caractéristique en tant que telle, ni le produit auquel elle se réfère. En effet, une telle reproduction ne serait interdite qu’en tant qu’elle constitue, le cas échéant, l’évocation
d’une dénomination protégée ou une pratique empêchant les producteurs ou les agriculteurs dont les produits sont couverts par une telle dénomination « d’informer les acheteurs et les consommateurs au sujet des caractéristiques de leurs produits dans des conditions de concurrence loyale » et « d’identifier correctement leurs produits sur le marché » ( 24 ), à savoir, en tant qu’elle interfère avec la réalisation des objectifs spécifiques de la protection des AOP et des IGP. Ces objectifs sont
identifiés au considérant 18 du règlement no 1151/2012 et exposés à l’article 4 de celui‑ci et visent, notamment, à assurer aux producteurs et aux agriculteurs des revenus équitables au regard des qualités de leurs produits liés à une zone géographique et à fournir aux consommateurs des informations claires sur les propriétés de tels produits.

29. Il convient, toujours à titre liminaire, de relever que si les dénominations géographiques sont des droits de propriété industrielle, elles font l’objet d’une réglementation sui generis, dans laquelle les éléments de droit public se mêlent à ceux de droit privé et prévalent sur ceux‑ci. Sous cet aspect, elles se distinguent également des marques, qui constituent le droit de propriété industrielle qui se rapproche le plus des dénominations géographiques. Ainsi, premièrement, l’existence juridique
des AOP (comme d’ailleurs celle des IGP) dépend d’un acte normatif (un règlement de la Commission). Cet acte fixe de manière détaillée « les principales caractéristiques physiques, chimiques, microbiologiques ou organoleptiques du produit », ainsi que la méthode d’obtention et, le cas échéant, de conditionnement de celui‑ci. Deuxièmement, un système de vigilance est institué afin de vérifier le respect des exigences légales relatives aux AOP. Ce système est fondé sur des contrôles officiels qui
sont effectués par une autorité responsable désignée par chaque État membre et qui visent, notamment à travers la « vérification de la conformité d’un produit avec le cahier des charges correspondant » ( 25 ), à assurer le maintien des standards qualitatifs des produits commercialisés sous une dénomination enregistrée ( 26 ). Troisièmement, la réglementation en matière de dénominations enregistrées est très fortement connotée par l’objectif de protection des intérêts des consommateurs, qui sont
pris en compte tant sous l’angle de leurs attentes concernant le niveau de qualité des produits couverts par ces dénominations que sous l’angle de leur droit à être informés par des indications commerciales véridiques et à ne pas être induits en erreur dans leurs choix d’achat ( 27 ). Quatrièmement, si les dénominations géographiques enregistrées confèrent un droit privatif, ce droit n’est pas individuel, tout producteur de la zone géographique concernée étant admis à utiliser la relative
dénomination sous la seule condition qu’il respecte le cahier des charges correspondant ( 28 ). Ici aussi, c’est l’intérêt public à ce que les dénominations d’origine soient librement appropriables par tout producteur répondant aux conditions requises qui prévaut. Enfin, le droit privatif conféré par les dénominations géographiques enregistrées ne vise pas à récompenser l’innovation, l’inventivité ou, plus simplement, des capacités entrepreneuriales individuelles. Il ne vise pas non plus à
rémunérer des investissements effectués par les producteurs autorisés à utiliser ces dénominations, contrairement à ce qu’a retenu la cour d’appel de Paris dans l’arrêt entrepris dans la procédure au principal. L’activité de ces producteurs se limite, en effet, par définition même, à continuer une tradition productive locale, parfois très ancienne, liée à l’environnement naturel et humain de la région dans laquelle ils opèrent, à savoir à des facteurs qui ne dépendent pas de leur initiative et
de leurs choix entrepreneuriaux. Ainsi qu’il a déjà été exposé dans les présentes conclusions, ce sont les objectifs de politique agraire, de protection des consommateurs, ainsi que de protection du patrimoine culturel commun qui ont inspiré la réglementation en matière de protection des dénominations géographiques enregistrées. Cette réglementation promeut donc un modèle d’incitation en rapport direct avec lesdits objectifs et qui diffère de celui orienté vers l’innovation concurrentielle.

30. Tout ce qui précède étant précisé, j’aborde à présent l’examen de la première partie de la question préjudicielle, par laquelle la juridiction de renvoi demande à la Cour si l’article 13, paragraphe 1, des règlements no os510/2006 et 1151/2012 interdit la seule utilisation par un tiers d’une dénomination enregistrée.

31. Comme il a été reconnu par tous les intéressés ayant présenté leurs observations dans la présente procédure, la réponse à cette question se trouve déjà dans la jurisprudence de la Cour.

32. Ainsi, dans l’arrêt Scotch Whisky, qui est postérieur à l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui fait l’objet du pourvoi devant la juridiction de renvoi, la Cour a clairement distingué les situations d’utilisation directe ou indirecte d’une indication géographique enregistrée, visées à l’article 16, sous a), du règlement o 110/2008 ( 29 ) – dont le libellé est substantiellement identique à celui de l’article 13, paragraphe 1, des règlements no os510/2006 et 1151/2012 – de celles couvertes,
notamment, par le point b) de cet article 16. Si la première disposition vise, selon la Cour, à interdire « que des opérateurs utilisent à des fins commerciales, pour des produits non couverts par l’enregistrement, une indication géographique enregistrée, notamment dans le but de profiter indûment de cette indication géographique » ( 30 ), et couvre des situations d’usage, par le signe litigieux, de l’indication géographique enregistrée « à l’identique ou, à tout le moins, de façon fortement
similaire, d’un point de vue phonétique et/ou visuel » ( 31 ), le point b), dudit article couvre « des situations dans lesquelles le signe litigieux n’emploie pas l’indication géographique en tant que telle, mais la suggère d’une manière telle que le consommateur est amené à établir un lien suffisant de proximité entre ce signe et l’indication géographique enregistrée » ( 32 ).

33. Toujours dans l’arrêt Scotch Whisky, la Cour a précisé que ni « l’incorporation partielle d’une indication géographique protégée dans le signe litigieux », ni « l’identification d’une parenté phonétique et visuelle de la dénomination litigieuse avec l’indication géographique protégée » ( 33 ) ne constituent une condition impérative pour faire application de l’article 16, sous b), du règlement no 110/2008 et que, pour apprécier l’existence d’une « évocation », au sens de cette disposition, « il
appartient [...] au juge national de vérifier si le consommateur, en présence du nom du produit concerné, est amené à avoir à l’esprit, comme image de référence, la marchandise bénéficiant de l’indication géographique protégée ». Renvoyant au point 35 de l’arrêt du 21 janvier 2016, Viiniverla (C‑75/15, EU:C:2016:35), la Cour a relevé qu’il devait, le cas échéant, être tenu compte également du critère de la « proximité conceptuelle » existant entre des termes relevant de langues différentes, une
telle proximité pouvant aussi être de nature à amener le consommateur à avoir à l’esprit, comme image de référence, le produit dont l’indication géographique est protégée, lorsqu’il est en présence d’un produit comparable revêtu de la dénomination litigieuse ( 34 ) et a conclu qu’il appartient au juge national d’apprécier l’existence d’une évocation « en tenant compte, le cas échéant, de l’incorporation partielle d’une indication géographique protégée dans la dénomination contestée, d’une
parenté phonétique et/ou visuelle de cette dénomination avec cette indication, ou encore d’une proximité conceptuelle entre ladite dénomination et ladite indication » ( 35 ). Ces principes ont été confirmés dans l’arrêt Queso Manchego, dans lequel la Cour a précisé que la formulation large de l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 510/2006 « peut être comprise comme renvoyant non seulement aux termes par lesquels une dénomination enregistrée peut être évoquée, mais également à tout
signe figuratif susceptible de rappeler à l’esprit du consommateur les produits bénéficiant de cette dénomination » et que l’emploi du terme « toute » dans le libellé de cette disposition reflète la volonté du législateur de l’Union de « protéger les dénominations enregistrées en envisageant qu’une évocation se produise au moyen d’un élément verbal ou d’un signe figuratif » ( 36 ). En effet, selon la Cour, « il ne peut être, par principe, exclu que des signes figuratifs soient aptes à rappeler
directement à l’esprit du consommateur, comme image de référence, les produits bénéficiant d’une dénomination enregistrée en raison de leur proximité conceptuelle avec une telle dénomination » ( 37 ).

34. S’agissant du point c), de l’article 16, du règlement no 110/2008, la Cour a précisé qu’« il élargit le périmètre protégé, en y incorporant “toute autre indication”, c’est‑à‑dire les informations fournies aux consommateurs, qui figurent dans la désignation, la présentation ou l’étiquetage du produit concerné, lesquelles, bien que n’étant pas évocatrices de l’indication géographique protégée, sont qualifiées de “fausse[s] ou [de] fallacieuses[s]” au regard des liens du produit avec cette
dernière » et que l’expression « toute autre indication », employée à cette disposition « inclut des informations pouvant figurer sous n’importe quelle forme dans la désignation, la présentation ou l’étiquetage du produit concerné, notamment sous la forme d’un texte, d’une image ou d’un contenant susceptible de renseigner sur la provenance, l’origine, la nature ou les qualités substantielles de ce produit » ( 38 ).

35. Plus généralement, la Cour a jugé que l’article 16, sous a) à d), du règlement no 110/2008 ( 39 ) vise diverses hypothèses dans lesquelles la commercialisation d’un produit est accompagnée d’une référence explicite ou implicite à une indication géographique dans des conditions susceptibles soit d’induire le public en erreur ou, à tout le moins, de créer dans son esprit une association d’idées quant à l’origine du produit, soit de permettre à l’opérateur de profiter de manière indue de la
réputation de l’indication géographique en question.

36. Ces principes s’appliquent également à l’article 13, paragraphe 1, sous a) à d) des règlements no os510/2006 et 1151/2012. Cet article prévoit donc une protection à large spectre, qui vise, d’une part, l’utilisation, l’usurpation et l’évocation de la dénomination protégée et, plus généralement, toute pratique parasitaire visant à profiter de la réputation de cette dénomination par association avec celle‑ci, et, d’autre part, tout comportement susceptible de créer un risque de confusion entre les
produits bénéficiant d’une telle dénomination et des produits conventionnels ( 40 ). Il vise à empêcher qu’il soit fait un usage abusif des indications géographiques protégées, et ce non seulement dans l’intérêt des acheteurs, mais aussi dans l’intérêt des producteurs qui ont consenti des efforts pour garantir les qualités attendues des produits portant légalement de telles indications ( 41 ).

37. Il convient dès lors de répondre à la première partie de la question préjudicielle que l’article 13, paragraphe 1, des règlements no os510/2006 et 1151/2012 n’interdit pas la seule utilisation par un tiers d’une dénomination enregistrée.

38. Par la seconde partie de sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi souhaite savoir si l’article 13, paragraphe 1, des règlements no os510/2006 et 1151/2012 interdit également la reproduction de la forme ou de l’apparence caractérisant un produit couvert par une dénomination enregistrée. Ainsi que je l’ai anticipé au point 18 des présentes conclusions, j’aborderai la question tant sous l’angle du point b) de cette disposition que sous celui du point d), bien que la question
préjudicielle ne vise que ce dernier.

39. Comme la Commission, je suis d’avis que l’article 13, paragraphe 1, sous b), des règlements no os510/2006 et 1151/2012 ne se prête, en principe, pas à une interprétation selon laquelle il peut y avoir « évocation » d’une dénomination enregistrée au sens de cette disposition du seul fait de la reproduction de la forme ou de l’apparence du produit couvert par une telle dénomination.

40. Certes, à la lumière de la jurisprudence rappelée aux points 32 et 33 des présentes conclusions, qui a admis la possibilité d’une évocation purement conceptuelle des dénominations enregistrées, il ne peut pas être exclu que, dans certains cas exceptionnels, une telle évocation soit susceptible de se produire lorsque le consommateur est en présence de la forme ou de l’apparence d’un produit conventionnel qui reproduit en tout ou en partie celle d’un produit comparable couvert par une dénomination
protégée.

41. Tel pourrait, par exemple, être le cas lorsque la dénomination protégée contient une référence expresse à la forme typique du produit qu’elle désigne ( 42 ). En effet, dans un tel cas, la forme ou l’apparence du produit pourrait être susceptible de créer, dans l’esprit du public, une association « directe et univoque » ( 43 ) avec cette dénomination, à l’instar de ce que la Cour a jugé dans l’arrêt Queso Manchego s’agissant d’éléments figuratifs apposés sur l’étiquette d’un produit conventionnel
et renvoyant à l’aire géographique à laquelle est liée une AOP dont la composante essentielle est constituée par un renvoi à cette aire géographique ( 44 ).

42. Encore faudrait-il, à mon sens, pour qu’une telle association puisse constituer une « évocation » au sens de l’article 13, paragraphe 1, des règlements no os510/2006 et 1151/2012 que trois conditions soient remplies.

43. Premièrement, l’élément reproduit doit figurer dans le cahier des charges de la dénomination enregistrée en tant que caractéristique distinctive du produit couvert par cette dénomination. Une telle exigence, d’une part, permet d’assurer que ledit élément fait effectivement partie de la tradition productive locale couverte par la dénomination enregistrée et, d’autre part, sert un objectif de sécurité juridique.

44. Deuxièmement, ainsi que l’a, à mon sens correctement, souligné la Commission, l’élément reproduit ne doit pas être intrinsèquement lié à un procédé de production qui, en tant que tel, doit rester à la libre disposition de tout producteur.

45. Enfin, et conformément à l’approche que j’ai proposée au point 29 de mes conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Queso Manchego (C‑614/17, EU:C:2019:11), l’existence de l’évocation doit ressortir d’une appréciation conduite au cas par cas, qui tienne compte, outre l’élément litigieux – en l’occurrence l’élément de la forme ou de l’apparence du produit bénéficiant d’une dénomination protégée qui constitue l’objet de reproduction –, de tout autre élément jugé pertinent soit à cause
de son potentiel évocateur, soit, au contraire, parce qu’il conduit à exclure ou à réduire la possibilité que le consommateur puisse associer de manière directe et univoque le produit conventionnel au produit bénéficiant de la dénomination protégée ( 45 ). L’existence d’une intention parasitaire devrait, à mon sens, également être établie ( 46 ).

46. Je tiens à préciser, à ce stade, que l’interprétation de l’article 13, paragraphe 1, sous b), des règlements no os510/2006 et 1151/2012 proposée dans les points qui précèdent, n’implique pas, sur un plan plus général, que la forme, l’apparence ou encore le conditionnement du produit conventionnel ne puissent pas être pris en considération, en tant qu’éléments du contexte, aux fins de l’appréciation globale sur l’existence d’une évocation au sens de l’article 13, paragraphe 1, sous b), des
règlements no os510/2006 et 1151/2012 et, notamment, afin d’établir l’existence d’une intention parasitaire, ainsi que la Cour l’a d’ailleurs admis dans ses arrêts du 4 mars 1999, Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola ( 47 ), et du 26 février 2008, Commission/Allemagne ( 48 ), et que je l’ai indiqué au point 29 de mes conclusions dans l’affaire Queso Manchego (C‑614/17, EU:C:2019:11).

47. Si l’article 13, paragraphe 1, sous b), des règlements no 510/2006 et 1151/2012 ne se prête qu’exceptionnellement à couvrir des conduites du type de celle en cause dans la procédure au principal, celles‑ci peuvent, en revanche, tomber, le cas échéant, sous le coup du point d), de cet article.

48. À l’instar de ce que la Cour a affirmé en ce qui concerne l’article 16 du règlement no 110/2008 ( 49 ), l’article 13, paragraphe 1, des règlements no os510/2006 et 1151/2012 ( 50 ) contient une énumération graduée d’agissements interdits, en vertu de laquelle chaque point de cette disposition se distingue de ceux qui la précèdent ( 51 ). Comme je l’ai rappelé aux points 32 à 34 des présentes conclusions, la Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer sur les relations entre les points a), b)
et c), de l’article 16 du règlement no 110/2008. En revanche, elle n’a encore jamais interprété le point d) de cet article, ni le point d) de l’article 13, paragraphe 1, des règlements no os510/2006 et 1151/2012, ou les dispositions comparables figurant dans les règlements instituant des régimes de qualité.

49. Comme il a été observé par tous les intéressés ayant participé à la présente procédure, l’article 13, paragraphe 1, sous d), des règlements no os510/2006 et 1151/2012 ( 52 ) contient une « catch-all » qui vise à fermer le système de protection des dénominations enregistrées. Cela ressort notamment de son libellé, qui fait référence à « toute autre pratique », à savoir tout agissement qui n’est pas déjà couvert par les autres dispositions du même article.

50. L’objectif poursuivi par cette disposition est clairement indiqué dans son libellé : éviter que le consommateur soit induit en erreur quant à la véritable origine du produit.

51. Contrairement à l’article 13, paragraphe 1, sous b), des règlements no os510/2006 et 1151/2012, qui fait abstraction de l’existence d’un risque de confusion ( 53 ) et vise à interdire notamment des conduites parasitaires ( 54 ), le point d) de cet article couvre, donc, les pratiques susceptibles d’induire le consommateur en erreur, dans le but, à la fois, d’éviter que celui‑ci puisse se tromper lors de ses actes d’achat et de protéger les agriculteurs et les producteurs qui utilisent la
dénomination enregistrée de possibles détournements de clientèle.

52. Il importe, à cet égard, de souligner, d’une part, qu’il ressort de l’expression « pratique susceptible » figurant dans le libellé de l’article 13, paragraphe 1, sous d), des règlements no os510/2006 et 1151/2012 que cette disposition n’exige que la preuve de l’existence d’un « risque » que le consommateur soit induit en erreur par la pratique contestée et, d’autre part, que l’erreur doit porter sur l’« origine » du produit, expression qu’il convient d’entendre tant dans le sens de « provenance
géographique », que dans le sens de « production d’origine », le consommateur devant être induit à considérer à tort que le produit relève de la zone géographique de référence de la dénomination enregistrée ou qu’il relève d’une production couverte par la dénomination enregistrée.

53. L’objectif d’éviter que le consommateur soit induit en erreur quant à la véritable origine du produit constitue la seule condition d’application de l’article 13, paragraphe 1, sous d), des règlements no os510/2006 et 1151/2012. Ainsi, cette disposition ne définit pas les agissements interdits, mais se borne à les qualifier par leur résultat.

54. Il s’ensuit que toute pratique peut tomber sous le coup de l’interdiction, y inclus, en principe, la reproduction de la forme ou de l’apparence typique d’un produit couvert par une dénomination enregistrée ou d’une caractéristique particulière et distinctive de celui‑ci, à condition qu’elle soit susceptible d’induire le consommateur en erreur.

55. L’appréciation portant sur l’existence d’un risque d’induction en erreur doit aussi être conduite au cas par cas et à la lumière de tout élément pertinent. Par exemple, s’agissant d’une pratique telle que celle contestée dans le cadre de la procédure au principal, consistant en la reproduction d’un élément de l’apparence du produit couvert par une dénomination enregistrée, il convient, notamment, de tenir compte de l’importance, aux yeux du consommateur, de l’élément en question aux fins de
l’identification dudit produit. L’appréciation du risque de confusion peut en effet varier selon que l’objet de reproduction soit une caractéristique exclusive ou particulièrement distinctive du produit bénéficiant de la dénomination enregistrée ou une caractéristique couramment utilisée dans le secteur agroalimentaire en question.

56. Dans ce contexte, il convient également d’apprécier l’apparence du produit dans sa globalité. En effet, ainsi qu’il a été correctement observé pendant l’audience, même la reproduction d’une caractéristique typique et exclusive de la forme ou de l’apparence d’un produit couvert par une dénomination enregistrée ne saurait induire en erreur le consommateur lorsque l’aspect du produit conventionnel diverge globalement de celui du produit désigné par ladite dénomination.

57. Il faudra pareillement tenir compte des modalités de présentation au public du produit en question, afin d’apprécier, d’une part, si le consommateur est concrètement en présence de la caractéristique litigieuse lors de la décision d’achat ( 55 ), et, d’autre part, si d’autres éléments liés à ces modalités sont susceptibles d’augmenter le risque d’erreur de la part du consommateur ( 56 ).

58. Plus généralement, il importe de souligner que, contrairement à l’article 13, paragraphe 1, sous c), des règlements no os510/2006 et 1151/2012, dont l’application fait abstraction du contexte dans lequel l’« indication fausse ou fallacieuse » s’insère ( 57 ), le point d) de cet article requiert une appréciation de ce contexte afin d’établir, concrètement, l’existence d’un risque que le consommateur soit induit en erreur.

59. Il incombe au seul juge national de conduire cette appréciation, se référant à la perception d’un consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé ( 58 ).

60. Sur la base de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde partie de la question préjudicielle que la reproduction de la forme ou de l’apparence caractérisant un produit couvert par une dénomination enregistrée est susceptible de constituer une pratique interdite, au sens de l’article 13, paragraphe 1, sous d), des règlements no os510/2006 et 1151/2012, lorsqu’elle est en mesure d’induire le consommateur en erreur sur l’origine du produit.

V. Conclusion

61. À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre comme suit à la question préjudicielle posée par la Cour de cassation (France) :

L’article 13, paragraphe 1, du règlement (CE) no 510/2006 du Conseil, du 20 mars 2006, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires et du règlement (UE) no 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 21 novembre 2012, relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires doit être interprété en ce sens qu’il n’interdit pas la seule utilisation par un tiers
d’une dénomination enregistrée.

La reproduction de la forme ou de l’apparence caractérisant un produit couvert par une dénomination enregistrée est susceptible de constituer une pratique interdite au sens de l’article 13, paragraphe 1, sous d), des règlements no os510/2006 et 1151/2012 lorsqu’elle est susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit. Il appartient au juge national d’apprécier, dans chaque cas d’espèce, le caractère illicite d’une telle pratique, à la lumière de l’ensemble
des éléments pertinents et en se référant à la perception d’un consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Règlement du Conseil du 20 mars 2006 relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (JO 2006, L 93, p. 12).

( 3 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires (JO 2012, L 343, p. 1).

( 4 ) Règlement relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (JO 1992, L 208, p. 1).

( 5 ) Voir, pour les secteurs viticole et vinicole, article 103 du règlement (UE) no 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) no 922/72, (CEE) no 234/79, (CE) no 1037/2001 et (CE) no 1234/2007 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 671) ; pour le secteur des boissons aromatisées, article 20 du règlement (UE) no 251/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014,
concernant la définition, la description, la présentation, l’étiquetage et la protection des indications géographiques des produits vinicoles aromatisés et abrogeant le règlement (CEE) no 1601/91 du Conseil (JO 2014, L 84, p. 14), et, pour le secteur des boissons spiritueuses, article 16 du règlement (CE) no 110/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 15 janvier 2008, concernant la définition, la désignation, la présentation, l’étiquetage et la protection des indications géographiques des
boissons spiritueuses et abrogeant le règlement (CEE) no 1576/89 du Conseil (JO 2008, L 39, p. 16).

( 6 ) Règlement complétant l’annexe du règlement (CE) no 2400/96 relatif à l’inscription de certaines dénominations dans le registre des appellations d’origine protégées et des indications géographiques protégées prévu au règlement (CEE) no 2081/92 du Conseil relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (Gailtaler Speck, Morbier, Queso Palmero ou Queso de la Palma, huile d’olive extra vierge Thrapsano, Turrón
de Agramunt ou Torró d’Agramunt) (JO 2002, L 181, p. 4).

( 7 ) JO 2013, L 302, p. 7.

( 8 ) Règlement de la Commission du 11 novembre 2011 modifiant l’annexe II du règlement (CE) no 1333/2008 du Parlement européen et du Conseil en vue d’y inclure une liste de l’Union des additifs alimentaires (JO 2011, L 295, p. 1).

( 9 ) Voir annexe du règlement no 1129/2011, partie E, point 01.7.2.

( 10 ) JORF du 30 octobre 2007, texte n 2.

( 11 ) Dans ses observations écrites, SFL affirme qu’un recours contre le décret du 22 décembre 2000 a été rejeté par un arrêt du Conseil d’État (France) du 5 novembre 2003. Dans le cadre de la procédure ayant conduit à cet arrêt, l’INAO et le ministre français des Finances auraient soutenu que « [l]e décret [du 22 décembre 2000] ne fait nullement obstacle non plus à ce que les professionnels situés en dehors de la zone d’appellation continuent à fabriquer et à commercialiser leurs produits. Il
s’oppose simplement à ce qu’ils continuent de le faire en utilisant la dénomination “Morbier”, dès lors qu’ils ne respectent pas justement les critères géographiques et techniques retenus pour avoir droit à l’utilisation de cette dénomination. » Dans son arrêt, le Conseil d’État aurait précisé « que les règles tant nationales que communautaires qui régissent la protection des appellations d’origine ont pour objectif de valoriser la qualité des produits bénéficiant d’une dénomination enregistrée,
notamment en imposant que la production, la transformation et l’élaboration de ces produits soient réalisées dans l’aire délimitée », et « que ces règles ne font pas obstacle à la libre circulation d’autres produits ne bénéficiant pas de cette protection ».

( 12 ) C‑44/17, EU:C:2018:415.

( 13 ) C‑614/17, EU:C:2019:344.

( 14 ) SFL précise dans ses observations écrites que le morbier, dont la production s’étendait au-delà de l’aire actuelle de l’AOP, était traditionnellement fabriqué avec le lait récolté dans une même journée : le lait de la traite du matin était recouvert d’une fine couche de charbon, pour le protéger en attendant d’être recouvert par le lait de la traite du soir. Une fois affinée, la meule présentait, en son milieu, un trait noir, correspondant à la couche intercalée de charbon. Il ressort du
dossier que la raie que présente en son milieu le fromage commercialisé par SFL a une nuance rougeâtre et est constituée par du moût de raisin et non par du charbon végétal.

( 15 ) SFL fait référence, notamment, aux arrêts du 25 octobre 2005, Allemagne et Danemark/Commission (C‑465/02 et C‑466/02, EU:C:2005:636), et du 26 février 2008, Commission/Allemagne (C‑132/05, EU:C:2008:117).

( 16 ) Voir, cependant, en ce qui concerne les vins, article 103, paragraphe 2, du règlement no 1308/2013 et, s’agissant des boissons aromatisées, l’article 20, paragraphe 2, du règlement no 251/2014, qui disposent que les produits respectifs qui font usage d’une dénomination protégée en respectant les cahiers des charges correspondants sont eux‑mêmes protégés contre les agissements interdits prévus par lesdites dispositions.

( 17 ) Voir considérant 2 du règlement no 510/2006 ; voir, dans le même sens, considérant 4, du règlement no 1151/2012.

( 18 ) Voir considérant 1 du règlement no 1151/2012.

( 19 ) Voir arrêt du 21 janvier 2016, Viiniverla (C‑75/15, EU:C:2016:35, point 23 et jurisprudence citée), ainsi que arrêt Scotch Whisky, point 37.

( 20 ) Une définition pratiquement identique figurait à l’article 2, paragraphe 1, sous a), du règlement no 510/2006.

( 21 ) Voir article 7, paragraphe 1, sous b), c) et f), du règlement no 1151/2012.

( 22 ) Voir article 8, paragraphe 1, sous c), ii), du règlement no 1151/2012.

( 23 ) Voir article 10, paragraphe 1, du règlement no 1151/2012, en ce qui concerne les motifs d’opposition, et article 51 de ce règlement, en ce qui concerne la procédure.

( 24 ) Voir considérants 3 et 5 du règlement no 1151/2012 ; voir, également, arrêts du 14 juillet 2011, Bureau national interprofessionnel du Cognac (C‑4/10 et C‑27/10, EU:C:2011:484, point 47) ; du 21 janvier 2016, Viiniverla (C‑75/15, EU:C:2016:35, point 24), ainsi que arrêts Scotch Whisky, point 36, et Queso Manchego, point 29.

( 25 ) Voir article 36, paragraphe 3, sous a), du règlement no 1151/2012.

( 26 ) Si parmi les fonctions de la marque figure également celle d’indicateur de qualité, celle‑ci dépend exclusivement des choix du titulaire de la marque, qui, du moins en théorie, n’est pas tenu de maintenir le même niveau qualitatif de ses produits ou de ses services.

( 27 ) L’intérêt des consommateurs à ne pas se confondre sur l’origine commerciale des produits ou des services qu’ils achètent reste en filigrane également dans le droit des marques. Celui-ci est cependant axé sur les intérêts privés des titulaires.

( 28 ) La marque confère, en revanche, un droit privatif le plus souvent individuel, qui permet à son titulaire d’exclure tout tiers de l’utilisation du même signe distinctif ou d’un signe similaire. La directive (UE) 2015/2436 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 2015, L 336, p. 1, notamment, articles 29 à 36) prévoit également des marques collectives. Cependant, la réglementation qui s’applique à celles‑ci est,
comme celle qui s’applique aux marques individuelles, de droit éminemment privé et ne présente pas les aspects de droit public qui caractérisent la réglementation en matière de dénominations géographiques protégées.

( 29 ) L’article 16, sous a) à d), du règlement no 110/2008 a pratiquement le même contenu que l’article 13, paragraphe 1, sous a) à d), du règlement no 510/2006.

( 30 ) Voir arrêt Scotch Whisky, point 38.

( 31 ) Voir arrêt Scotch Whisky, point 31.

( 32 ) Voir arrêt Scotch Whisky, point 33, c’est moi qui souligne.

( 33 ) Voir arrêt Scotch Whisky, points 46 et 49.

( 34 ) Voir arrêt Scotch Whisky, point 50.

( 35 ) Voir arrêt Scotch Whisky, point 51. Dans la procédure au principal ayant donné lieu à cet arrêt, la dénomination litigieuse était le mot « Glen ». La Cour a donc affirmé qu’il appartenait à la juridiction de renvoi de vérifier si un consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, avait directement à l’esprit l’indication géographique protégée, à savoir « Scotch Whisky », lorsqu’il se trouvait en présence d’un produit comparable portant cette
dénomination, en tenant compte, faute d’une parenté phonétique ou visuelle de cette dénomination avec l’indication géographique protégée et d’une incorporation partielle de cette indication dans ladite dénomination, de la proximité conceptuelle entre ladite indication et cette même dénomination (arrêt Scotch Whisky, point 52).

( 36 ) Voir arrêt Queso Manchego, point 18.

( 37 ) Voir arrêt Queso Manchego, point 22.

( 38 ) Voir arrêt Scotch Whisky, points 65 et 66.

( 39 ) Voir arrêt du 14 juillet 2011, Bureau national interprofessionnel du Cognac (C‑4/10 et C‑27/10, EU:C:2011:484, point 46).

( 40 ) Par cette expression, je désigne dorénavant les produits qui ne sont pas couverts par une appellation d’origine ou une indication géographique protégée.

( 41 ) Voir, par analogie, arrêts du 14 septembre 2017, EUIPO/Instituto dos Vinhos do Douro e do Porto (C‑56/16 P, EU:C:2017:693, point 82), ainsi que du 20 décembre 2017, Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne (C‑393/16, EU:C:2017:991, point 38).

( 42 ) La Commission a fait référence, à titre d’exemple, à l’AOP « Queso tetilla ». Par un arrêt du 31 octobre 2013 (no 419/13), la cour d’appel de commerce d’Alicante a estimé que cette AOP protégeait un nom traditionnel que les consommateurs associaient à la forme conique du produit en question et a considéré la commercialisation non autorisée de fromages avec une forme identique comme une violation de l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1151/2012.

( 43 ) Comme je l’ai affirmé dans mes conclusions dans l’affaire Queso Manchego (C‑614/17, EU:C:2019:11), l’existence d’une telle association doit être appréciée en termes à la fois d’immédiateté (le processus cognitif associatif ne doit pas exiger une réélaboration complexe de l’information) et d’intensité (l’association doit s’imposer de manière suffisamment forte) de la réponse du consommateur à l’exposition au produit conventionnel.

( 44 ) Voir arrêt Queso Manchego, point 40.

( 45 ) Voir, en ce sens également, arrêt Queso Manchego, point 42.

( 46 ) Voir point 29 de mes conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Queso Manchego (C‑614/17, EU:C:2019:11). Voir, également en ce sens, arrêt du 4 mars 1999, Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola (C‑87/97, EU:C:1999:115, point 28).

( 47 ) C‑87/97, EU:C:1999:115, point 27.

( 48 ) C‑132/05, EU:C:2008:117, point 48.

( 49 ) Voir arrêt Scotch Whisky, point 65.

( 50 ) Voir, s’agissant du règlement no 510/2006, arrêt Queso Manchego, point 25.

( 51 ) Il importe de relever que cette énumération graduée porte sur la nature des agissements interdits et non pas sur les éléments à prendre en considération pour déterminer l’existence de tels agissements (voir, en ce sens, arrêt Queso Manchego, point 27). Il n’est donc pas exclu que les mêmes éléments puissent entrer en ligne de compte aux fins de l’application tant du point b) que du point d) de cet article 13.

( 52 ) Voir, s’agissant du règlement no 510/2006, arrêt Queso Manchego, point 25.

( 53 ) Voir arrêt du 4 mars 1999, Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola (C‑87/97, EU:C:1999:115, point 26).

( 54 ) Voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2016, Viiniverla (C‑75/15, EU:C:2016:35, point 45).

( 55 ) À cet égard, le syndicat a précisé que le fromage Morbier est vendu au détail par tranches et que, dès lors, la ligne noire qui le caractérise est parfaitement visible des consommateurs.

( 56 ) Notamment, lorsque les produits conventionnels sont disposés à proximité de ceux couverts par la dénomination protégée.

( 57 ) Voir arrêt Scotch Whisky, points 70 et 71.

( 58 ) Voir, notamment, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2016, Viiniverla (C‑75/15, EU:C:2016:35, points 25 et 28), ainsi que arrêt Scotch Whisky, point 47.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-490/19
Date de la décision : 17/09/2020
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par la Cour de cassation (France).

Renvoi préjudiciel – Agriculture – Protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires – Règlement (CE) no 510/2006 – Règlement (UE) no 1151/2012 – Article 13, paragraphe 1, sous d) – Pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit – Reproduction de la forme ou de l’apparence caractérisant un produit dont la dénomination est protégée – Appellation d’origine protégée (AOP) “Morbier”.

Denrées alimentaires

Propriété intellectuelle, industrielle et commerciale

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : Syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier
Défendeurs : Société Fromagère du Livradois SAS.

Composition du Tribunal
Avocat général : Pitruzzella

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2020:730

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