CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. GIOVANNI PITRUZZELLA
présentées le 27 novembre 2019 ( 1 )
Affaire C‑640/18
Wagram Invest SA
contre
État belge
[demande de décision préjudicielle formée par la cour d’appel de Mons (Belgique)]
« Renvoi préjudiciel – Quatrième directive 78/660/CEE – Comptes annuels de certaines formes de sociétés – Principe de l’image fidèle – Article 2, paragraphes 3 à 5 – Achat d’une immobilisation financière par une société anonyme – Inscription aux charges du compte de résultat d’un escompte lié à une dette à plus d’un an, non productive d’intérêts, et inscription du prix d’acquisition de l’immobilisation à l’actif du bilan sous déduction de l’escompte – Obligation de fournir des informations
complémentaires – Dérogation à une disposition de la directive dans des “cas exceptionnels” »
1. La présente affaire a trait à une demande de décision préjudicielle introduite par la cour d’appel de Mons (Belgique) portant sur l’interprétation de la quatrième directive 78/660/CEE ( 2 ) (ci-après la « directive 78/660 ») concernant les comptes annuels de certaines formes de sociétés.
2. Cette demande de décision préjudicielle vise en substance à vérifier la conformité avec le principe de l’image fidèle, énoncé à l’article 2, paragraphes 3 à 5, de la directive 78/660 ( 3 ), lu à la lumière d’autres dispositions de la même directive, d’une méthode utilisée pour comptabiliser des acquisitions d’actions effectuées par la société Wagram Invest SA.
3. Un litige de nature fiscale opposant Wagram Invest aux autorités fiscales belges est à l’origine de cette affaire qui donnera à la Cour l’occasion de clarifier une fois de plus la portée du principe de l’image fidèle des comptes annuels qui constitue l’objectif primordial des dispositions de l’Union européenne concernant les comptes et les états financiers des entreprises ( 4 ). La Cour est également appelée à apporter des précisions sur la relation entre, d’une part, l’obligation de fournir des
informations complémentaires prévue à l’article 2, paragraphe 4, de la directive 78/660 et, d’autre part, la possibilité, dans des cas exceptionnels, de déroger à une disposition, conformément à l’article 2, paragraphe 5, de ladite directive.
I. Cadre juridique
A. Le droit de l’Union
4. Aux termes de l’article 2, paragraphes 3 à 5, de la directive 78/660 :
« 3. Les comptes annuels doivent donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ainsi que des résultats de la société.
4. Lorsque l’application de la présente directive ne suffit pas pour donner l’image fidèle visée au paragraphe 3, des informations complémentaires doivent être fournies.
5. Si, dans des cas exceptionnels, l’application d’une disposition de la présente directive se révèle contraire à l’obligation prévue au paragraphe 3, il y a lieu de déroger à la disposition en cause afin qu’une image fidèle au sens du paragraphe 3 soit donnée. Une telle dérogation doit être mentionnée dans l’annexe et dûment motivée, avec indication de son influence sur le patrimoine, la situation financière et les résultats. Les États membres peuvent préciser les cas exceptionnels et fixer le
régime dérogatoire correspondant. »
5. L’article 31, paragraphe 1, de la directive 78/660 dispose :
« Les États membres assurent que l’évaluation des postes figurant dans les comptes annuels se fait suivant les principes généraux suivants :
[...]
c) le principe de prudence doit en tout cas être observé [...] »
6. Aux termes de l’article 32 de la directive 78/660 :
« L’évaluation des postes figurant dans les comptes annuels se fait selon les dispositions des articles 34 à 42, fondées sur le principe du prix d’acquisition ou du coût de revient. »
7. L’article 35 de la directive 78/660 prévoit :
« 1. a) Les éléments de l’actif immobilisé doivent être évalués au prix d’acquisition ou au coût de revient sans préjudice des lettres b) et c).
[…]
2. Le prix d’acquisition s’obtient en ajoutant les frais accessoires au prix d’achat.
[…] »
B. Le droit belge
8. L’article 24 de l’arrêté royal du 30 janvier 2001 portant exécution du code des sociétés ( 5 ) (ci‑après l’« arrêté royal ») dispose, à son premier alinéa, que les comptes annuels doivent donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ainsi que du résultat de la société et, à son second alinéa, que si l’application des dispositions de cet arrêté ne suffit pas pour satisfaire à cette obligation, des informations complémentaires doivent être fournies dans l’annexe.
9. L’article 29, premier alinéa, de l’arrêté royal précise que, dans le cas exceptionnel où l’application des règles d’évaluation ne conduirait pas au respect de l’article 24, premier alinéa, il y a lieu d’y déroger par application dudit article.
10. Conformément à l’article 35 dudit arrêté royal, sans préjudice de l’application des articles 29, 67 et 77, les éléments d’actif sont évalués à leur valeur d’acquisition et sont portés au bilan pour cette même valeur, déduction faites des amortissements et réductions de valeurs y afférents. Par valeur d’acquisition, il faut entendre, soit le prix d’acquisition, soit le coût de revient, soit la valeur d’apport ( 6 ).
11. L’article 67 de l’arrêté royal concerne l’inscription au bilan des créances. Aux termes de son paragraphe 1, « [s]ans préjudice aux dispositions du § 2 du présent article […], les créances sont portées au bilan à leur valeur nominale ».
12. Toutefois, le paragraphe 2, sous c), du même article 67, prévoit un régime comptable particulier pour certains types de créances. Plus spécifiquement, aux termes de cette disposition, l’inscription au bilan des créances à leur valeur nominale s’accompagne de l’inscription en comptes de régularisation du passif et de la prise en résultats prorata temporis sur la base des intérêts composés de l’escompte de créances qui ne sont pas productives d’intérêt ou qui sont assorties d’un intérêt
anormalement faible, lorsque ces créances : 1) sont remboursables à une date éloignée de plus d’un an, à compter de leur entrée dans le patrimoine de la société, et 2) sont afférentes soit à des montants actés en tant que produits au compte de résultats, soit au prix de cession d’immobilisations ou de branches d’activités.
13. L’article 77 de l’arrêté royal étend aux dettes le régime concernant les créances, prévu à l’article 67 du même arrêté royal. Cet article 77 dispose, notamment, que ledit article 67 est d’application analogue aux dettes de nature et de durée correspondantes.
II. Le litige au principal et les questions préjudicielles
14. Par deux conventions, l’une du 10 janvier 1997 et l’autre du 10 mars 1999, Wagram Invest a acquis à deux reprises de son gérant des actions d’une société. Par la première convention, Wagram Invest a acquis 2005 actions de cette société pour un prix équivalent à 594944,45 euros, payable en 16 semestrialités sans intérêts. Par la seconde convention, Wagram Invest a acquis 1993 actions de ladite société pour un prix équivalent à 787319,75 euros, payable en 12 semestrialités, sans intérêts ( 7 ).
15. Afin de comptabiliser lesdites opérations d’achat d’actions, Wagram Invest, en application de l’article 77 de l’arrêté royal, a passé les écritures comptables suivantes.
16. Premièrement, elle a inscrit au passif de son bilan les dettes à l’égard du gérant parmi les dettes à plus d’un an pour leur valeur nominale, à savoir une valeur équivalent à 594944,45 euros pour l’acquisition de 1997 et une valeur équivalent à 787319,75 euros pour l’acquisition de 1999 ( 8 ).
17. Deuxièmement, elle a inscrit à l’actif les 2005 actions acquises en 1997 à une valeur actualisée équivalent à 452004,76 euros et les 1993 actions acquises en 1999 à une valeur actualisée équivalent à 641332,82 euros ( 9 ).
18. Le taux d’escompte retenu pour l’actualisation était le taux du marché applicable à de telles dettes au moment de leur entrée dans le patrimoine, à savoir 8 %.
19. Troisièmement, elle a pris en compte la régularisation de l’escompte consistant en la différence entre la valeur nominale de la dette et la valeur actualisée de l’immobilisation, soit une valeur équivalant à 142939,69 euros pour l’acquisition de 1997 et une valeur équivalant à 145986,93 euros pour l’acquisition de 1999 ( 10 ).
20. Quatrièmement, elle a considéré comme charges financières, à la clôture de chaque exercice, un prorata de charges à reporter correspondant à l’escompte de la dette.
21. Ainsi, à la clôture de l’exercice fiscal de l’année 2000, Wagram Invest a comptabilisé un prorata de charges d’un montant équivalant à 48843,41 euros, à savoir un montant équivalant à 24801,9 euros pour les actions acquises en 1997 et à 24041,5 euros pour celles acquises en 1999 ( 11 ).
22. À la clôture de l’exercice fiscal de l’année 2001, Wagram Invest a comptabilisé un prorata de charges d’un montant équivalant à 66344,17 euros, soit à 20899,7 euros pour les actions acquises en 1997 et à 45444,5 euros pour celles acquises en 1999 ( 12 ).
23. À la suite d’un contrôle, l’administration fiscale belge a estimé devoir rejeter les charges d’escompte comptabilisées et déduites pour les exercices d’imposition 2000 et 2001 et, malgré le désaccord de Wagram Invest, lui a adressé une décision de taxation le 28 octobre 2002.
24. L’administration fiscale belge a, notamment, considéré que la prise en charge d’un escompte fictif par réduction du prix d’acquisition de l’immobilisation conduisait à exprimer une moins-value sur titres qui n’était pas justifiée économiquement et dont la prise en charge de manière étalée n’était pas admise fiscalement ( 13 ).
25. Sur cette base, l’administration fiscale belge a enrôlé à charge de Wagram Invest deux cotisations supplémentaires à l’impôt des sociétés pour les exercices d’imposition 2000 et 2001, respectivement les 20 novembre 2002 et 18 novembre 2002.
26. Après avoir présenté une réclamation n’ayant pas reçu de décision dans le délai applicable, Wagram Invest a introduit, le 10 mars 2005, un recours en annulation à l’encontre de la décision de l’administration fiscale belge devant le tribunal de première instance de Namur (Belgique). Par un jugement du 20 décembre 2007, ce tribunal a rejeté ce recours et a confirmé le paiement des cotisations litigieuses pour les exercices d’imposition 2000 et 2001.
27. Wagram Invest a alors interjeté appel de ce jugement devant la cour d’appel de Liège (Belgique), laquelle, dans un arrêt du 14 octobre 2011, a confirmé le jugement de première instance.
28. Wagram Invest s’est alors pourvue en cassation le 2 juillet 2014. La Cour de cassation (Belgique) a, par un arrêt du 11 mars 2016, cassé l’arrêt de la cour d’appel de Liège et a renvoyé l’affaire devant la juridiction de renvoi.
29. La juridiction de renvoi constate que la méthode de comptabilisation utilisée par Wagram Invest est conforme aux dispositions du droit comptable belge, et plus particulièrement à l’article 77 de l’arrêté royal. Néanmoins, elle se demande si une telle méthode est conforme aux dispositions de la directive 78/660.
30. Dans ces conditions, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) La notion d’image fidèle visée à l’article 2, [paragraphe 3, de la directive 78/660] autorise-t-elle, lors de l’achat d’une immobilisation financière par une société anonyme, l’inscription en charge au compte de résultat d’un escompte lié à une dette à plus d’un an, non productive d’intérêts, et l’inscription du prix d’acquisition de l’immobilisation à l’actif du bilan sous déduction dudit escompte, compte tenu des principes d’évaluation figurant à l’article 32 de la directive précitée ?
2) Faut-il interpréter la formule “dans des cas exceptionnels” qui conditionne l’application de l’article 2, [paragraphe 5, de la directive 78/660] et qui permet d’écarter l’application d’une (autre) disposition de ladite directive en un sens tel que cette disposition ne peut s’appliquer que pour autant qu’il soit constaté que le respect du principe d’image fidèle ne peut être atteint par le respect des dispositions de cette directive, le cas échéant, complété par une mention complémentaire dans
les annexes conformément à l’article 2, [paragraphe 4,] de ladite directive ?
3) Faut-il appliquer en priorité l’article 2, [paragraphe 4, de la directive 78/660] de sorte que ce n’est que si une mention complémentaire ne permet pas d’assurer l’application effective du principe d’image fidèle consacré par l’article 2, [paragraphe 3,] de ladite directive qu’il peut être fait application de la faculté d’écarter l’application d’une disposition de cette directive instaurée par l’article 2, [paragraphe 5], de celle‑ci et ce, uniquement dans des cas exceptionnels ? »
III. Analyse
A. Observations liminaires
31. Avant d’analyser au fond les questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi, il convient d’aborder deux points ayant un caractère liminaire.
32. D’emblée, il importe de relever que la juridiction de renvoi interroge la Cour sur la conformité avec le principe de l’image fidèle, tel que prévu à l’article 2, paragraphes 3 à 5, de la directive 78/660, de la méthode utilisée par Wagram Invest pour comptabiliser les dettes liées aux deux acquisitions d’actions en cause. Ainsi, les questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi concernent l’interprétation de la directive 78/660, laquelle concerne les comptes annuels de certaines
formes de sociétés.
33. Bien que la décision de renvoi ne se concentre que sur l’aspect comptable de l’affaire, il ressort toutefois explicitement de cette décision que le litige au principal pendant devant la juridiction de renvoi est, en réalité, de nature fiscale.
34. Il ressort également de ladite décision que l’interprétation des dispositions pertinentes de la directive 78/660 est susceptible d’avoir une incidence fiscale, dans la mesure où la prise en compte d’un point de vue comptable de l’escompte consistant en la différence entre la valeur nominale de la dette pour les deux acquisitions d’actions en cause et la valeur actualisée de ces actions, ainsi que sa prise en charge de manière étalée ont une incidence sur l’imposition fiscale de Wagram Invest, au
titre de l’impôt sur les sociétés, pour les exercices d’imposition 2000 et 2001.
35. Dans ces conditions, en ce qui concerne, en premier lieu, l’interrelation entre les aspects comptable et fiscal de l’affaire, il convient de relever que la Cour a déjà eu l’occasion de préciser que la directive 78/660 n’a pas pour objet de fixer les conditions dans lesquelles les comptes annuels des sociétés peuvent ou doivent servir de base pour la détermination, par les autorités fiscales des États membres, de l’assiette et du montant de taxes, telles que l’impôt des sociétés en cause au
principal ( 14 ).
36. La Cour a cependant également reconnu que les comptes annuels peuvent être utilisés comme base de référence par les États membres à des fins fiscales et qu’aucune disposition de la directive 78/660 n’interdit aux États membres de corriger, sur le plan fiscal, les effets des règles comptables figurant dans cette directive, en vue de déterminer un bénéfice imposable plus proche de la réalité économique ( 15 ).
37. À l’instar de la Commission européenne, j’estime qu’il découle de cette jurisprudence que, si les règles comptables tirées de la directive 78/660 n’ont pas vocation à régir les régimes fiscaux des États membres, de sorte que l’interprétation des dispositions de cette directive ne doit pas nécessairement entrainer des conséquences dans le domaine fiscal, les États membres restent néanmoins libres de choisir, dans l’exercice de leur compétence pour définir notamment la méthode d’imposition des
créances à long terme non productives d’intérêt, de l’opportunité de se baser ou non sur lesdites règles comptables pour définir le régime fiscal applicable à ces créances.
38. En ce qui concerne, en second lieu, la recevabilité des questions préjudicielles, d’une part, Wagram Invest dans ses observations en conteste la pertinence, dans la mesure où la régularité de ses écritures comptables aurait été validée par l’arrêt de la cour d’appel de Liège, mentionné au point 27 des présentes conclusions, qui est passé en force de chose jugée. D’autre part, la recevabilité des questions préjudicielles a fait l’objet d’un débat lors de l’audience quant à leur éventuel caractère
hypothétique. Il a, en effet, été relevé que, la conformité des écritures comptables de Wagram Invest avec le droit belge n’étant pas contestée, le litige au principal concerne exclusivement l’application des dispositions fiscales belges, lesquelles n’auraient aucune connexion avec la directive 78/660, de sorte que l’interprétation de celle‑ci pourrait ne pas avoir d’impact sur le litige au principal.
39. À cet égard, je rappelle que, selon la jurisprudence constante, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation d’une règle
de droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer ( 16 ).
40. Il s’ensuit, selon la jurisprudence, que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des
éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées ( 17 ).
41. Or, à mon avis, aucune de ces trois situations ne se vérifie en l’occurrence. En effet, d’une part, ainsi qu’il ressort du point 34 des présentes conclusions, l’interprétation des dispositions pertinentes de la directive 78/660 est susceptible d’avoir une incidence fiscale, de sorte qu’il apparaît indéniable que l’interprétation sollicitée par la juridiction de renvoi desdites dispositions présente un rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal et que dès lors le problème que les
questions préjudicielles soulèvent n’est pas de nature hypothétique. D’autre part, en l’espèce, la Cour dispose des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile à la demande de décision préjudicielle qui lui est posée par la juridiction de renvoi.
42. Compte tenu de ce qui précède, je considère que la demande de décision préjudicielle est recevable.
B. Sur la première question préjudicielle
43. Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande si, compte tenu des principes d’évaluation figurant à l’article 32 de la directive 78/660, l’article 2, paragraphes 3, de cette directive, qui énonce le principe de l’image fidèle, doit être interprété en ce sens qu’il permet, lors de l’achat d’une immobilisation financière par une société, l’inscription en charge au compte de résultat d’un escompte lié à une dette à plus d’un an, non productive d’intérêts, et l’inscription
du prix d’acquisition de l’immobilisation à l’actif du bilan sous déduction dudit escompte.
44. À cet égard, il convient, d’emblée, de rappeler que la directive 78/660 vise à assurer la coordination des dispositions nationales concernant la structure et le contenu des comptes annuels ainsi que du rapport de gestion et les modes d’évaluation en vue de la protection des associés et des tiers. À cette fin, selon son troisième considérant, elle ne vise qu’à établir des conditions minimales quant à l’étendue des renseignements financiers à porter à la connaissance du public ( 18 ).
45. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, le respect du principe de l’« image fidèle », constitue l’objectif primordial de la directive 78/660. Selon ce principe, figurant à l’article 2, paragraphes 3 à 5, de cette directive, les comptes annuels doivent donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ainsi que des résultats de la société ( 19 ).
46. Le principe de l’image fidèle exige, d’une part, que les comptes annuels des sociétés reflètent les activités et les opérations qu’ils sont censés décrire et, d’autre part, que les informations comptables soient données dans la forme jugée la plus valable et la mieux adaptée pour satisfaire les besoins d’informations des tiers, sans porter préjudice aux intérêts de la société ( 20 ).
47. La Cour a déjà eu l’occasion de préciser que l’application du principe de l’image fidèle doit être guidée, dans la mesure du possible, par les principes généraux figurant à l’article 31 de la directive 78/660, au sein desquels le principe de prudence, énoncé à l’article 31, paragraphe 1, sous c), de cette directive, revêt une importance particulière ( 21 ).
48. En vertu des dispositions de l’article 31, paragraphe 1, sous c), de la directive 78/660, énonçant le principe de prudence, la prise en compte de l’ensemble des éléments – bénéfices réalisés, charges, produits, risques et pertes – qui sont réellement afférents à l’exercice en cause permet d’assurer le respect du principe de l’image fidèle ( 22 ).
49. Il ressort aussi de la jurisprudence que le principe de l’image fidèle doit également être compris à la lumière du principe énoncé à l’article 32 de la directive 78/660, en vertu duquel l’évaluation des postes figurant dans les comptes annuels se fonde sur le prix d’acquisition ou sur le coût de revient des actifs ( 23 ).
50. La Cour a précisé que, en vertu de cette disposition, l’image fidèle que doivent donner les comptes annuels d’une société se fonde non pas sur la base de leur valeur réelle, mais sur celle de leur coût historique ( 24 ).
51. Aux termes de l’article 2, paragraphe 5, de la directive 78/660, ce n’est que dans des cas exceptionnels, si l’application d’une disposition de cette directive se révèle contraire au principe de l’image fidèle prévu au paragraphe 3 dudit article, qu’il y a lieu de déroger à la disposition de l’article 32, afin qu’une image fidèle, au sens dudit paragraphe 3, soit donnée ( 25 ).
52. C’est à la lumière des principes jurisprudentiels exposés aux points précédents qu’il convient d’apprécier la conformité, avec le principe de l’image fidèle, d’une méthode de comptabilisation qui permet, lors de l’achat par une société d’une immobilisation financière, telle que des actions, l’inscription en charge au compte de résultat d’un escompte lié à la dette à plus d’un an, non productive d’intérêts, relative à cet achat, et l’inscription à l’actif du bilan du prix d’acquisition de
l’immobilisation sous déduction dudit escompte.
53. Parmi les parties ayant présenté des observations devant la Cour, Wagram Invest, les gouvernements belge et autrichien, et la Commission estiment, en substance, qu’une telle méthode est compatible avec le principe de l’image fidèle. Seul le gouvernement allemand défend une position contraire.
54. À cet égard, j’observe, qu’il ressort de l’article 32 de la directive 78/660, à la lumière duquel, ainsi que je l’ai relevé au point 49 des présentes conclusions, le principe de l’image fidèle doit être compris, que l’évaluation des postes figurant dans les comptes annuels se fait selon les dispositions des articles 34 à 42, fondées sur le principe du prix d’acquisition ou du coût de revient
55. L’article 35, paragraphe 1, sous a), de la directive 78/660 spécifie que les éléments de l’actif immobilisé doivent être évalués au prix d’acquisition ou au coût de revient ( 26 ).
56. La directive 78/660 ne contient toutefois pas de définition de la notion de prix d’acquisition ( 27 ). La Cour a cependant précisé, ainsi qu’il ressort du point 50 des présentes conclusions, que l’évaluation des actifs se fonde non pas sur la base de leur valeur réelle, mais sur celle de leur coût historique.
57. Or, il peut être considéré que, en règle générale, le coût historique d’une immobilisation financière correspond à la valeur nominale du prix d’acquisition, à savoir le prix que la société qui a acquis l’immobilisation a payé pour l’acquisition. L’inscription à l’actif de cette valeur nominale permet donc, normalement, de donner une image fidèle de l’impact de cet élément sur les comptes de la société.
58. Toutefois, lorsque le contrat d’acquisition de l’élément de l’actif prévoit le paiement du prix de manière échelonnée à long terme sans intérêts, il est possible que l’opération d’acquisition dudit élément, bien que formellement unique, doive être, en réalité, considérée comme une opération complexe constituée par deux éléments : d’une part, l’acquisition proprement dite de l’immobilisation financière et, d’autre part, une opération de prêt implicite ( 28 ).
59. Si tel est le cas, il peut être considéré que la valeur nominale du prix payé pour l’acquisition de l’immobilisation comprend, en réalité, deux éléments, à savoir, d’une part, le vrai prix d’acquisition de l’immobilisation, correspondant à la valeur actualisée de ce prix – c’est-à-dire le prix d’achat apuré des intérêts implicites du prêt –, et, d’autre part, un montant correspondant à ces intérêts implicites.
60. Dans une telle situation, je considère, à l’instar de Wagram Invest, des gouvernements belge et autrichien, et de la Commission, qu’une méthode de comptabilisation qui prévoit, d’une part, l’inscription à l’actif de la valeur actualisée du prix payé pour l’immobilisation financière (à savoir la valeur nominale apurée des intérêts implicites) et, d’autre part, la prise en charge d’un escompte représentant les intérêts implicites (d’un montant correspondant à la différence entre la valeur nominale
de la dette pour l’acquisition de l’immobilisation et la valeur actualisée de cette dette) permet de donner une juste représentation de la réalité économique de l’opération complexe en cause et est, ainsi, conforme aux exigences liées au respect du principe de le l’image fidèle prévu par la directive 78/660.
61. En effet, dans un tel cas, c’est la valeur actualisée du prix convenu pour l’acquisition de l’immobilisation et non sa valeur nominale qui correspond à la contrevaleur réelle de cette acquisition, alors que les intérêts, même si implicites, correspondant au montant de l’escompte, constituent une charge de crédit. Dans une telle situation, l’inscription à l’actif de la valeur nominale du prix convenu pour l’acquisition de l’immobilisation aurait pour effet de fausser le résultat de l’opération en
cause et, partant, le résultat global affirmé ( 29 ).
62. La méthode de comptabilisation indiquée au point 60 des présentes conclusions est, par ailleurs, conforme au principe de prudence énoncé à l’article 31, paragraphe 1, sous c), de la directive 78/660 et mentionné aux points 47 et 48 des présentes conclusions. En effet, en faisant prévaloir la substance sur la forme ( 30 ), elle donne lieu à une sous-estimation de l’élément de l’actif en cause ( 31 ), sur la base d’une évaluation qui tient compte, comme le requiert ledit principe ( 32 ), de
l’ensemble des facteurs pertinents, notamment, dans le cas de l’espèce, les charges financières, même si de telles charges, étant implicites, ne ressortent pas formellement de la valeur nominale du prix d’acquisition dudit élément. Cette méthode de comptabilisation permet ainsi de donner aux créanciers de la société une vision réelle et non pas trop optimiste de la situation patrimoniale de la société concernée.
63. La conclusion selon laquelle l’utilisation de ladite méthode de comptabilisation est conforme au principe de l’image fidèle n’est, à mon avis, aucunement contredite par l’arrêt GIMLE du 3 octobre 2013, GIMLE, C‑322/12, EU:C:2013:632. Dans cet arrêt, qui fournit des indications de principes importantes, la question concernait, en effet, la compatibilité avec le principe de l’image fidèle d’une éventuelle inscription à l’actif d’une immobilisation financière à une valeur supérieure à son prix
d’acquisition alors que, dans la présente affaire, la question concerne une inscription à l’actif à une valeur inférieure à la valeur nominale entière du prix convenu pour l’achat de l’immobilisation financière.
64. Les considérations qui précèdent et la conclusion selon laquelle l’utilisation de la méthode de comptabilisation indiquée au point 60 des présentes conclusions est conforme au principe de l’image fidèle sont, à mon avis, toutefois, exclusivement pertinentes, à condition que l’opération d’acquisition de l’immobilisation financière, pour laquelle est prévu le paiement du prix de manière échelonnée à long terme sans intérêts, doive être effectivement considérée, d’un point de vue économique, comme
une opération complexe constituée, d’une part, par l’acquisition proprement dite de l’immobilisation financière et, d’autre part, par une opération de prêt, éventuellement implicite.
65. Il revient à la juridiction nationale de vérifier si cela est effectivement le cas, en effectuant une appréciation au cas par cas, des circonstances, tant de fait que de droit ( 33 ), propres au cas d’espèce dont elle est saisie.
66. Dans le cadre de cette appréciation, ladite juridiction pourrait, entre autres, être appelée à évaluer si l’opération en question a eu lieu dans des conditions normales de marché. En effet, au cas où le prix convenu pour l’acquisition de l’immobilisation était manifestement inférieur ou supérieur au prix du marché, la configuration de l’opération d’acquisition comme une opération complexe, telle que celle envisagée au point 58 des présentes conclusions, pourrait être exclue. Ainsi que l’a relevé
la Commission, cette circonstance pourrait être pertinente dans le cas d’une opération ayant lieu entre parties liées, telle que celle en cause dans le litige au principal ( 34 ).
67. Dans le cadre de ladite appréciation, la juridiction de renvoi pourrait être également appelée à vérifier si l’opération implicite de prêt découlant de la prévision du paiement du prix de manière échelonnée à long terme sans intérêts ne constitue pas, en réalité, une opération à titre onéreux dont la rémunération convenue est un avantage en nature à percevoir au cours d’exercices ultérieurs ( 35 ).
68. Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la première question préjudicielle posée par la juridiction de renvoi que dans le cas d’une opération d’acquisition par une société anonyme d’une immobilisation financière, pour laquelle le paiement du prix est prévu de manière échelonnée à long terme sans intérêts, le principe de l’image fidèle énoncé à l’article 2, paragraphes 3 à 5, de la directive 78/660, compte tenu des principes figurant à l’article 31, paragraphe 1, sous c), et à
l’article 32 de cette directive, ne s’oppose pas à l’utilisation d’une méthode de comptabilisation qui prévoit l’inscription en charge au compte de résultat d’un escompte lié à la dette à plus d’un an, non productive d’intérêts relative à cette acquisition, et l’inscription du prix d’acquisition de l’immobilisation à l’actif du bilan sous déduction dudit escompte, lorsque ladite opération d’acquisition doit être considérée comme étant, en réalité, une opération complexe constituée, d’une part,
par l’acquisition proprement dite de l’immobilisation financière et, d’autre part, par une opération de prêt, même implicite. Il revient à la juridiction nationale de vérifier si cela est effectivement le cas, en effectuant une appréciation au cas par cas, sur la base d’une analyse des circonstances, tant de fait que de droit, propres au cas d’espèce dont elle est saisie.
C. Sur les deuxième et troisième questions préjudicielles
69. Par ses deuxième et troisième questions préjudicielles, qu’il convient, à mon avis, de traiter conjointement, la juridiction de renvoi cherche à obtenir des clarifications au regard de l’articulation entre les dispositions figurant à l’article 2, paragraphes 4 et 5, de la directive 78/660 ( 36 ).
70. Plus particulièrement, la juridiction de renvoi souhaite savoir en substance si l’application de la disposition de l’article 2, paragraphe 5, de la directive 78/660 présuppose qu’une éventuelle fourniture d’informations complémentaires, au titre de l’article 2, paragraphe 4, de la même directive, ne permet pas d’assurer le respect du principe de l’image fidèle.
71. Afin de répondre à cette question, il convient d’interpréter les deux dispositions en cause afin de vérifier s’il existe une relation de conditionnalité entre elles, dans le sens que la première devrait être appliquée en priorité par rapport à la seconde.
72. À cet égard, il importe de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle‑ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie ( 37 ).
73. Or l’article 2, paragraphe 4, de la directive 78/660 prévoit que, lorsque l’application de ladite directive ne suffit pas pour donner l’image fidèle visée au paragraphe 3, du même article, des informations complémentaires doivent être fournies.
74. Il ressort du texte de cette disposition, ainsi que de son positionnement immédiatement après le paragraphe 3 du même article 2, consacrant le principe de l’image fidèle, qu’elle remplit une fonction complémentaire par rapport à la disposition figurant au paragraphe 3 ( 38 ), en imposant une obligation pour la société intéressée de fournir des informations additionnelles pour autant que cela s’avère nécessaire afin de donner une image fidèle de ses comptes.
75. Ainsi, selon la Cour, par exemple, une société ayant la certitude de réaliser un bénéfice important en raison d’engagements pris quant à la revente future d’un actif est tenue, en application de l’article 2, paragraphe 4, de la directive 78/660, de fournir des informations complémentaires à ce sujet ( 39 ).
76. En ce qui concerne, en revanche, l’article 2, paragraphe 5, de la directive 78/660, il prévoit que, si, dans des cas exceptionnels, l’application d’une disposition de ladite directive se révèle contraire à l’obligation de donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ainsi que des résultats de la société figurant au paragraphe 3 du même article, il y a lieu de déroger à cette disposition afin que l’image fidèle soit donnée. Une telle dérogation doit, toutefois, être
mentionnée dans l’annexe et dûment motivée, avec indication de son influence sur le patrimoine, la situation financière et les résultats.
77. L’article 2, paragraphe 5, troisième phrase, de la directive 78/660 dispose qu’il revient aux États membres – et donc non aux sociétés – de préciser les cas exceptionnels et de fixer le régime dérogatoire correspondant. Cette disposition vise à réduire la marge d’appréciation des sociétés pour déterminer elles‑mêmes l’existence de tels cas exceptionnels.
78. Il ressort ainsi de la teneur dudit paragraphe 5 que celui‑ci vise des « cas exceptionnels» dans lesquels l’application d’une disposition de la directive 78/660 par la société en cause comporterait un résultat « contraire» au principe de l’image fidèle de sorte qu’il s’avère nécessaire de déroger à une telle disposition et qu’il revient aux États membres de déterminer ces cas exceptionnels et leur régime.
79. La Cour a déjà eu l’occasion d’observer que, la directive 78/660 ne précisant pas ce qu’il convient d’entendre par « cas exceptionnels », il y a lieu d’interpréter cette expression à la lumière de l’objectif visé par cette directive, selon lequel les comptes annuels des sociétés visées doivent donner une image fidèle de leur patrimoine, de leur situation financière ainsi que de leurs résultats ( 40 ).
80. Ainsi, la Cour a précisé que ces « cas exceptionnels » sont ceux dans lesquels l’application des dispositions de la directive 78/660 ne donnerait pas une image aussi fidèle que possible de la situation financière réelle de la société concernée ( 41 ).
81. Ces cas exceptionnels doivent, toutefois, s’entendre comme concernant uniquement des transactions très inhabituelles et des situations inhabituelles, et ils ne devraient pas, par exemple, concerner des secteurs particuliers dans leur globalité ( 42 ).
82. À cet égard, la Cour a précisé que la sous-estimation d’actifs dans les comptes des sociétés ne saurait, par elle‑même, constituer un « cas exceptionnel », au sens de l’article 2, paragraphe 5, de la directive 78/660 ( 43 ).
83. Il ressort, à mon avis, de l’analyse des deux dispositions en cause effectuée ci‑dessus que rien n’indique que la mise en de l’article 2, paragraphe 5, de la directive 78/660 serait subordonnée à l’application préalable de la disposition prévue au paragraphe 4 du même article.
84. Si les dispositions visent, toutes les deux, à garantir que les comptes annuels donnent effectivement une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ainsi que des résultats de la société, elles couvrent des situations différentes et non interdépendantes. Elles ne se trouvent donc pas dans une relation de subordination.
85. L’article 2, paragraphe 4, de la directive 78/660 complète et précise le contenu du paragraphe 3 du même article en donnant à la société en cause la possibilité de fournir des informations complémentaires au cas où cela s’avère nécessaire pour respecter le principe de l’image fidèle.
86. L’article 2, paragraphe 5, de la directive 78/660 prévoit, en revanche, la possibilité de déroger à l’application des règles de la directive 78/660. Cette disposition ne se réfère, d’ailleurs, aucunement à la disposition du paragraphe 4 dudit article.
87. La constatation du caractère autonome des deux dispositions en cause est renforcée, à mon avis, par la circonstance, mise justement en exergue par la Commission, qu’il n’est aucunement exclu que, dans certaines situations, les deux dispositions puissent s’appliquer simultanément. En effet, il est bien possible que, alors qu’une société est tenue de fournir des informations complémentaires, aux termes de l’article 2, paragraphe 4, de la directive 78/660, afin de donner une image fidèle de ses
comptes pour atteindre le même objectif, il soit nécessaire de déroger à une disposition de ladite directive en application de l’article 2, paragraphe 5, et cela indépendamment des informations complémentaires fournies.
88. À cet égard, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que, en tant que dérogation au principe de l’application de toutes les dispositions de la directive 78/660, la disposition de l’article 2, paragraphe 5, de cette directive doit être appliquée au cas par cas et de manière stricte et limitative. Cela implique donc que la dérogation doit être dûment motivée, comme la deuxième phrase du paragraphe le précise, en indiquant en quoi une telle dérogation s’impose pour assurer le respect
de l’image fidèle des comptes de la société.
89. Dans ce contexte, si dans certains cas la fourniture d’informations complémentaires aux termes de l’article 2, paragraphe 4, de la directive 78/660, permet de donner une image fidèle sans qu’il soit nécessaire de recourir à la dérogation d’une règle de la même directive, aux termes de son article 2, paragraphe 5, une telle circonstance n’implique aucunement que dans tous les cas l’application de la seconde disposition soit subordonnée à l’application de la première.
90. Enfin, il convient encore de relever qu’il n’y a aucune indication que, en l’espèce, le Royaume de Belgique aurait fait usage de la possibilité qui lui est fournie par la troisième phrase dudit paragraphe 5 de préciser quels sont les cas exceptionnels et de fixer le régime dérogatoire correspondant ( 44 ).
91. À la lumière de ce qui précède il convient, à mon avis, de répondre aux deuxième et troisième questions préjudicielles que l’article 2, paragraphes 4 et 5, de la directive 78/660 doit être interprété en ce sens qu’il n’existe pas de relation de conditionnalité entre ces paragraphes 4 et 5, dans le sens que la disposition prévue audit paragraphe 4 devrait nécessairement être appliquée préalablement à celle prévue audit paragraphe 5. Il revient, en tout état de cause, aux États membres, et non pas
aux sociétés, de préciser les « cas exceptionnels » dans lesquels, aux termes du même paragraphe 5, une dérogation à une disposition de la directive 78/660 est possible, ainsi que de fixer le régime dérogatoire correspondant.
IV. Conclusion
92. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions posées par la cour d’appel de Mons (Belgique) de la manière suivante :
1) Dans le cas d’une opération d’acquisition par une société anonyme d’une immobilisation financière, pour laquelle le paiement du prix est prévu de manière échelonnée à long terme sans intérêts, le principe de l’image fidèle énoncé à l’article 2, paragraphes 3 à 5, de la quatrième directive 78/660/CEE du Conseil, du 25 juillet 1978, fondée sur [l’article 50 paragraphe 2, sous g), TFUE] et concernant les comptes annuels de certaines formes de sociétés, compte tenu des principes figurant à
l’article 31, paragraphe 1, sous c) et à l’article 32, ne s’oppose pas à l’utilisation d’une méthode de comptabilisation qui prévoit l’inscription en charge au compte de résultat d’un escompte lié à la dette à plus d’un an, non productive d’intérêts relative à cette acquisition, et l’inscription du prix d’acquisition de l’immobilisation à l’actif du bilan sous déduction dudit escompte, lorsque ladite opération d’acquisition doit être considérée comme étant, en réalité, une opération complexe
constituée, d’une part, par l’acquisition proprement dite de l’immobilisation financière et, d’autre part, par une opération de prêt, même implicite. Il revient à la juridiction nationale de vérifier si cela est effectivement le cas, en effectuant une appréciation au cas par cas, sur la base d’une analyse des circonstances, tant de fait que de droit, propres au cas d’espèce dont elle est saisie.
2) L’article 2, paragraphes 4 et 5, de la quatrième directive 78/660 doit être interprété en ce sens qu’il n’existe pas de relation de conditionnalité entre ces paragraphes 4 et 5, dans le sens que la disposition prévue audit paragraphe 4 devrait être nécessairement appliquée préalablement à celle prévue audit paragraphe 5. Il revient, en tout état de cause, aux États membres, et donc non pas aux sociétés, de préciser les « cas exceptionnels » dans lesquels, aux termes du même paragraphe 5, une
dérogation à une disposition de la directive 78/660 est possible, ainsi que de fixer le régime dérogatoire correspondant.
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( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) Quatrième directive 78/660/CEE du Conseil du 25 juillet 1978 fondée sur [l’article 50 paragraphe 2, sous g), TFUE] et concernant les comptes annuels de certaines formes de sociétés (JO 1978, L 222, p. 11). La directive 78/660, applicable au moment des faits pertinents dans l’affaire pendante devant la juridiction de renvoi, a été abrogée par la directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et
aux rapports y afférents de certaines formes d’entreprises, modifiant la directive 2006/43/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant les directives 78/660/CEE et 83/349/CEE du Conseil (JO 2013, L 182, p. 19).
( 3 ) Ces dispositions ont été reprises à l’article 4, paragraphes 3 et 4, de la directive 2013/34.
( 4 ) Voir point 45 des présentes conclusions.
( 5 ) Moniteur belge du 6 février 2001, p. 3008.
( 6 ) Tels que définis, respectivement, aux article 36, 37 et 39 du même arrêté royal.
( 7 ) Le prix de la première acquisition était, plus précisément, de 24000000 francs belges (BEF), et le prix de la seconde acquisition était de 31760400 BEF. Il ressort du dossier que le prix ayant servi de base aux deux conventions de cession des actions correspond au prix payé par les actionnaires de cette société lorsqu’ils avaient souscrit à l’augmentation de capital peu de temps auparavant.
( 8 ) Plus spécifiquement, une valeur nominale, respectivement de 24000000 BEF pour la première acquisition et de 31760400 BEF pour la seconde acquisition.
( 9 ) Plus spécifiquement, une valeur actualisée, respectivement, de 18233,827 BEF et de 25871302 BEF.
( 10 ) Plus spécifiquement, un escompte, respectivement, de 5766173 BEF et de 5889098 BEF.
( 11 ) Plus précisément, un prorata de 1970339 BEF correspondant, respectivement, à 1000506 BEF pour la première acquisition et 969833 BEF pour la seconde acquisition.
( 12 ) Plus précisément, un prorata de 2676318 BEF correspondant respectivement à 843090 BEF pour la première acquisition et 1833228 BEF pour la seconde acquisition.
( 13 ) Il ressort de la décision de renvoi que la disposition fiscale pertinente en l’espèce, sur laquelle se fonde le litige de nature fiscale entre Wagram Invest et l’administration fiscale belge, est l’article 198, 7°, du code des impôts sur les revenus de 1992.
( 14 ) Arrêt du 15 juin 2017, Immo Chiaradia et Docteur De Bruyne (C‑444/16 et C‑445/16, EU:C:2017:465, point 31 et jurisprudence citée).
( 15 ) Arrêts du 3 octobre 2013, GIMLE (C‑322/12, EU:C:2013:632, point 28), et du 15 juin 2017, Immo Chiaradia et Docteur De Bruyne (C‑444/16 et C‑445/16, EU:C:2017:465, point 33).
( 16 ) Arrêts du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. (C‑62/14, EU:C:2015:400, point 24), et du 10 décembre 2018, Wightman e.a. (C‑621/18, EU:C:2018:999, point 26 et jurisprudence citée).
( 17 ) Arrêts du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. (C‑62/14, EU:C:2015:400, point 25), et du 10 décembre 2018, Wightman e.a. (C‑621/18, EU:C:2018:999, point 26 et jurisprudence citée).
( 18 ) Arrêts du 3 octobre 2013, GIMLE (C‑322/12, EU:C:2013:632, point 29 et jurisprudence citée), et du 15 juin 2017, Immo Chiaradia et Docteur De Bruyne (C‑444/16 et C‑445/16, EU:C:2017:465, point 39).
( 19 ) Arrêts du 3 octobre 2013, GIMLE (C‑322/12, EU:C:2013:632, point 30 et jurisprudence citée), et du 15 juin 2017, Immo Chiaradia et Docteur De Bruyne (C‑444/16 et C‑445/16, EU:C:2017:465, point 40).
( 20 ) Arrêts du 7 janvier 2003, BIAO (C‑306/99, EU:C:2003:3, point 72 et jurisprudence citée), et du 15 juin 2017, Immo Chiaradia et Docteur De Bruyne (C‑444/16 et C‑445/16, EU:C:2017:465, point 41).
( 21 ) Arrêts du 3 octobre 2013, GIMLE (C‑322/12, EU:C:2013:632, point 32 et jurisprudence citée), et du 15 juin 2017, Immo Chiaradia et Docteur De Bruyne (C‑444/16 et C‑445/16, EU:C:2017:465, point 42).
( 22 ) Arrêts du 3 octobre 2013, GIMLE (C‑322/12, EU:C:2013:632, point 33 et jurisprudence citée), et du 15 juin 2017, Immo Chiaradia et Docteur De Bruyne (C‑444/16 et C‑445/16, EU:C:2017:465, point 43).
( 23 ) Arrêt du 3 octobre 2013, GIMLE (C‑322/12, EU:C:2013:632, point 34).
( 24 ) Arrêt du 3 octobre 2013, GIMLE (C‑322/12, EU:C:2013:632, point 35).
( 25 ) Voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2013, GIMLE (C‑322/12, EU:C:2013:632, point 36). Sur la portée de l’article 2, paragraphe 5, de la directive 78/660, voir points 76 et suivants des présentes conclusions.
( 26 ) L’article 35 paragraphe 1, de la directive 78/660 s’applique sans préjudice des lettres b) et c) du même paragraphe, lesquelles prévoient, conformément au principe de prudence, les conditions dans lesquelles des corrections de valeur d’immobilisation financières peuvent ou doivent intervenir.
( 27 ) La directive 78/660 contient l’indication, à l’article 35, paragraphe 2, selon laquelle le prix d’acquisition s’obtient en ajoutant les frais accessoires au prix d’achat.
( 28 ) Le gouvernement autrichien utilise l’expression de « prêt occulte ».
( 29 ) Voir, en ce sens, également, rapport au roi de l’arrêté royal du 6 novembre 1987 modifiant l’arrêté royal du 8 octobre aux comptes annuels des entreprises (Moniteur belge du 24 novembre 1987, p. 17309) concernant l’article 27bis de l’arrêté royal du 8 octobre 1976, disposition qui correspond à l’article 67 de l’arrêt royal (du 30 janvier 2001). Tant le gouvernement belge, que Wagram Invest ont fait référence à ce rapport dans leurs observations.
( 30 ) Dans ses observations la Commission s’est référée au principe de substance qui a été introduit dans la directive 78/660 par la directive 2003/51/CE du Parlement européen et du Conseil, du 18 juin 2003 modifiant les directives 78/660/CEE, 83/349/CEE, 86/635/CEE et 91/674/CEE du Conseil sur les comptes annuels et les comptes consolidés de certaines catégories de sociétés, des banques et autres établissements financiers et des entreprises d’assurance (JO L 178, p. 16) laquelle n’est pas
applicable ratione temporis ayant été adoptée après les faits du litige au principal. Ce principe est néanmoins pertinent dans l’analyse.
( 31 ) Voir, par analogie, arrêt du 3 octobre 2013, GIMLE (C‑322/12, EU:C:2013:632, point 40 première phrase).
( 32 ) Voir point 48 des présentes conclusions et jurisprudence citée.
( 33 ) Dans cette analyse, il peut être nécessaire de considérer la portée de dispositions de droit national pertinentes ou la jurisprudence de juridictions nationales.
( 34 ) Ainsi qu’il ressort du point 14 des présentes conclusions Wagram Invest a acquis les actions en cause de son gérant.
( 35 ) Dans ses observations présentées devant la Cour, le gouvernement belge a proposé différents exemples de situations de ce genre, notamment le prêt à un client en contrepartie d’un engagement d’achat de biens qui sont produits par le prêteur.
( 36 ) Dans le cadre du litige au principal, la réponse à ces questions semblerait n’être pertinente que si la juridiction de renvoi devait constater, à la suite de l’analyse au cas par cas mentionnée dans la réponse à la première question préjudicielle, que la méthode de comptabilisation utilisée n’était pas conforme au principe de l’image fidèle. Ce n’est que dans de telles conditions qu’une éventuelle dérogation aux dispositions de la directive 78/660 entrerait en jeu. La décision de renvoi ne
spécifie, toutefois, pas quelle disposition pourrait faire l’objet d’une dérogation.
( 37 ) Voir, entre autres, arrêt du 7 novembre 2019, Kanyeba e.a. (C‑349/18 à C‑351/18, EU:C:2019:936, point 35).
( 38 ) Cette interprétation est confirmée par le constat que dans la nouvelle directive 2013/34, les dispositions correspondant à l’article 2, paragraphes 3 et 4, de la directive 78/660 sont maintenant regroupées dans le même paragraphe, à savoir l’article 4, paragraphe 3.
( 39 ) Arrêt du 3 octobre 2013, GIMLE (C‑322/12, EU:C:2013:632, point 41).
( 40 ) Voir arrêt du 14 septembre 1999, DE + ES Bauunternehmung (C‑275/97, EU:C:1999:406, point 31).
( 41 ) Voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 14 septembre 1999, DE + ES Bauunternehmung (C‑275/97, EU:C:1999:406, point 32), au regard de la notion de « cas exceptionnels » visée à l’article 31, paragraphe 2, de la directive 78/660.
( 42 ) Voir considérant 9 de la directive 2013/34, laquelle comme je l’ai déjà observé n’est pas applicable ratione temporis aux faits du litige au principal, mais peut néanmoins fournir des éléments pour l’interprétation des dispositions de la directive 78/660 correspondant à celles de la directive 2013/34.
( 43 ) Arrêt du 3 octobre 2013, GIMLE (C‑322/12, EU:C:2013:632, point 38).
( 44 ) À cet égard, voir également arrêt du 3 octobre 2013, GIMLE (C‑322/12, EU:C:2013:632, point 41).