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31/10/2019 | CJUE | N°C-715/17,

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mme E. Sharpston, présentées le 31 octobre 2019., Commission européenne contre République de Pologne e.a., 31/10/2019, C-715/17,


 CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 31 octobre 2019 ( 1 )

Affaire C‑715/17

Commission européenne

contre

République de Pologne

Affaire C‑718/17

Commission européenne

contre

Hongrie

Affaire C‑719/17

Commission européenne

contre

République tchèque

« Manquement d’État – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Décisions (UE) 2015/1523 et (UE) 2015/1601 – Mesures proviso

ires en matière de protection internationale au profit de la République hellénique et de la République italienne – Situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de resso...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 31 octobre 2019 ( 1 )

Affaire C‑715/17

Commission européenne

contre

République de Pologne

Affaire C‑718/17

Commission européenne

contre

Hongrie

Affaire C‑719/17

Commission européenne

contre

République tchèque

« Manquement d’État – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Décisions (UE) 2015/1523 et (UE) 2015/1601 – Mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de la République hellénique et de la République italienne – Situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers sur le territoire de certains États membres – Relocalisation de tels ressortissants sur le territoire d’autres États membres – Procédure de relocalisation – Obligation pour
les États membres d’indiquer à intervalles réguliers, et au moins tous les trois mois, le nombre de demandeurs pouvant faire rapidement l’objet d’une relocalisation sur leur territoire – Obligation qui en découle de procéder effectivement à la relocalisation – Article 72 TFUE et sécurité intérieure »

Introduction

1. En temps normal, la répartition entre les États membres des demandeurs de protection internationale dans l’Union européenne est régie par le règlement (UE) no 604/2013 (ci‑après le « règlement Dublin III ») ( 2 ). Cependant, la persistance du conflit en Syrie a conduit à une explosion du nombre de demandeurs d’une telle protection ( 3 ). Pour ces personnes (ainsi que pour d’autres réfugiés potentiels), la traversée périlleuse de la mer Méditerranée était et demeure la principale voie d’accès pour
entrer sur le territoire de l’Union ( 4 ). Cette voie fait peser des pressions énormes sur deux États membres, à savoir la République hellénique et la République italienne (ci‑après les « États membres situés en première ligne »), tous deux ayant un littoral étendu avec la mer Méditerranée qui, en pratique, est impossible à contrôler. En temps normal et conformément à l’article 13 du règlement Dublin III ( 5 ), ces États membres devraient être responsables de l’examen des demandes de protection
internationale formées par ces personnes entrant dans l’Union par leurs territoires ( 6 ). Ils ont tous les deux été submergés par le nombre considérable de demandeurs potentiels ( 7 ).

2. Les 14 et 22 septembre 2015 respectivement, le Conseil de l’Union européenne a adopté deux décisions instituant des mesures provisoires au profit des États membres situés en première ligne : la décision (UE) 2015/1523 ( 8 ) et la décision (UE) 2015/1601 ( 9 ). Ces deux décisions ont l’article 78, paragraphe 3, TFUE pour base légale. Elles fixent des modalités précises pour la relocalisation de 40000 et de 120000 demandeurs de protection internationale respectivement. Je désignerai ci‑après ces
deux décisions par l’expression « décisions de relocalisation » et ne les mentionnerai individuellement qu’en tant que de besoin.

3. Des recours contestant la légalité de la décision 2015/1601 ont été rejetés ( 10 ).

4. La Commission européenne a intenté des procédures en manquement contre trois États membres : la République de Pologne (affaire C‑715/17), la Hongrie (affaire C‑718/17) et la République tchèque (affaire C‑719/17). En tant que de besoin, je désignerai ces trois États membres ensemble par l’expression les « trois États membres défendeurs ».

5. Dans ces procédures parallèles, la Commission affirme que les trois États membres défendeurs ont manqué aux obligations qui leur incombent en vertu de l’article 5, paragraphe 2 (« l’obligation d’information »), des deux décisions 2015/1523 et 2015/1601 (la République de Pologne et la République tchèque), et de l’article 5, paragraphe 2, de la seule décision 2015/1601 (la Hongrie), ainsi que, par voie de conséquence, aux obligations de relocalisation qui s’ensuivent et qui leur incombent, prévues
à l’article 5, paragraphes 4 à 11, des deux décisions précitées, manquant ainsi de prêter assistance aux États membres situés en première ligne pour relocaliser sur leurs territoires respectifs des demandeurs de protection internationale afin d’y procéder à un examen approfondi des demandes individuelles ( 11 ).

6. La République de Pologne, la Hongrie et la République tchèque contestent la recevabilité des recours. Subsidiairement, elles font valoir qu’elles peuvent se fonder sur l’article 72 TFUE pour justifier ne pas avoir appliqué ces décisions (dont elles ne contestent plus la validité), car des mesures de l’Union adoptées sur la base du titre V de la troisième partie du TFUE (où figure l’article 78 TFUE, qui est la base légale des décisions de relocalisation) « ne porte[nt] pas atteinte à l’exercice
des responsabilités qui incombent aux États membres pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure ».

7. Ces trois affaires ont été examinées ensemble et je présenterai des conclusions communes portant sur ces trois procédures en manquement.

Le cadre juridique

8. Les deux décisions de relocalisation ne peuvent être examinées isolément. Elles ont été adoptées dans le cadre d’un ensemble (très complexe) d’obligations et d’arrangements successifs en droit international et en droit de l’Union, ainsi que de l’arrêt République slovaque et Hongrie/Conseil, pondéré et précis. Je vais tenter d’exposer ce contexte de la manière la plus succincte possible.

La déclaration universelle des droits de l’homme

9. L’article 14, paragraphe 1, de la déclaration universelle des droits de l’homme ( 12 ) dispose en des termes généraux que « [d]evant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile dans d’autres pays ». Son article 14, paragraphe 2, énonce cependant que « [c]e droit ne peut être invoqué dans le cas de poursuites réellement fondées sur un crime de droit commun ou sur des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations [u]nies » ( 13 ).

La convention de Genève

10. L’article 1er, A, paragraphe 2, premier alinéa, de la convention relative au statut des réfugiés ( 14 ) dispose que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui, « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Il est
précisé en son deuxième membre de phrase que si cette personne n’a pas de nationalité, l’expression « ce pays » vise celui dans lequel elle avait sa résidence habituelle.

11. L’article 1er, F, de la convention de Genève énonce toutefois que les dispositions de celle‑ci « ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : a) qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes ; b) qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme
réfugiés ; c) qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations [u]nies ».

Le traité sur l’Union européenne

12. L’article 4, paragraphe 2, TUE dispose que « [l]’Union respecte l’égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l’autonomie locale et régionale. Elle respecte les fonctions essentielles de l’État, notamment celles qui ont pour objet d’assurer son intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. En particulier, la
sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre ».

Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

13. L’article 72 TFUE figure au chapitre 1er (ayant pour titre « Dispositions générales ») du titre V dudit traité (intitulé « L’espace de liberté, de sécurité et de justice »). Il énonce de manière succincte que « [l]e présent titre ne porte pas atteinte à l’exercice des responsabilités qui incombent aux États membres pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure ».

14. L’article 78, paragraphe 1, TFUE, qui figure au chapitre 2 (dont le titre est « Politiques relatives aux contrôles aux frontières, à l’asile et à l’immigration »), dispose que l’Union « développe une politique commune en matière d’asile, de protection subsidiaire et de protection temporaire visant à offrir un statut approprié à tout ressortissant d’un pays tiers nécessitant une protection internationale et à assurer le respect du principe de non‑refoulement. Cette politique doit être conforme à
la [convention de Genève] ainsi qu’aux autres traités pertinents ». L’article 78, paragraphe 2, TFUE constitue la base légale des mesures adoptées pour établir le régime d’asile européen commun (RAEC) ( 15 ).

15. Aux termes de l’article 78, paragraphe 3, TFUE, « [a]u cas où un ou plusieurs États membres se trouvent dans une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut adopter des mesures provisoires au profit du ou des États membres concernés. Il statue après consultation du Parlement européen ».

16. Suivant le libellé de l’article 80 TFUE, « [l]es politiques de l’Union visées au présent chapitre et leur mise en œuvre sont régies par le principe de solidarité et de partage équitable de responsabilités entre les États membres, y compris sur le plan financier. Chaque fois que cela est nécessaire, les actes de l’Union adoptés en vertu du présent chapitre contiennent des mesures appropriées pour l’application de ce principe ».

La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

17. L’article 18 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ( 16 ) dispose que « [l]e droit d’asile est garanti dans le respect des règles de la [convention de Genève] et conformément au [TUE] et au [TFUE] ».

Éléments pertinents de l’acquis en matière d’asile

18. Un droit dérivé abondant a établi le RAEC ainsi que les règles uniformes de fond et de forme que les États membres doivent appliquer lors de l’examen et du traitement de demandes de protection internationale.

La directive relative aux conditions

19. La directive 2011/95/UE ( 17 ) (ci‑après la « directive relative aux conditions ») renferme des règles uniformes applicables pour déterminer si des ressortissants de pays tiers ou des apatrides peuvent bénéficier du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire. Elle contient également des dispositions relatives à l’exclusion du bénéfice de ces statuts, permettant sous certaines conditions à un État membre de le révoquer, d’y mettre fin ou de ne pas le renouveler.

20. Son article 2, sous a), définit la « protection internationale » comme étant « le statut de réfugié et le statut conféré par la protection subsidiaire définis aux points e) et g) » ; son article 2, sous d), définit la notion de « réfugié » conformément à l’article 1er, A, paragraphe 2, premier alinéa, de la convention de Genève ; son article 2, sous e), énonce que le « statut de réfugié » signifie « la reconnaissance, par un État membre, de la qualité de réfugié pour tout ressortissant d’un pays
tiers ou apatride » ; et son article 2, sous f), définit la notion de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire ».

21. L’article 2, respectivement sous h) et sous i), définit la « demande de protection internationale » comme une « demande [...] par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, qui peut être comprise comme visant à obtenir le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire » et la notion de « demandeur » par « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride ayant présenté une demande de protection internationale sur laquelle il n’a pas encore été statué
définitivement ».

22. La directive relative aux conditions traite par la suite, dans un ordre séquentiel, de l’examen des demandes de protection internationale (chapitre II, articles 4 à 8) et des conditions pour pouvoir être considéré comme un réfugié (chapitre III, articles 9 à 12). Son article 12, intitulé « Exclusion », énumère en détail les motifs obligatoires d’exclusion d’un ressortissant d’un pays tiers ou d’un apatride du statut de réfugié. En ce qui concerne la présente affaire, il mérite d’être relevé que
l’article 12, paragraphe 2, énonce des motifs qui, en substance, correspondent à ceux figurant à l’article 1er, F, de la convention de Genève ( 18 ).

23. Le chapitre IV, qui a pour titre « Statut de réfugié », renferme une disposition assez longue (l’article 14) qui énumère les cas où, une fois le statut de réfugié accordé, il peut être mis fin à celui-ci ou bien ce statut peut ne pas être renouvelé. Ces cas comprennent ceux où l’intéressé aurait dû être exclu du statut de réfugié en vertu de l’article 12 [article 14, paragraphe 3, sous a)], où des altérations de faits ont joué un rôle déterminant dans la décision d’octroyer le statut de réfugié
[article 14, paragraphe 3, sous b)], où il existe des motifs raisonnables de le considérer comme « une menace pour la sécurité de l’État membre dans lequel il se trouve » [article 14, paragraphe 4, sous a)], ou encore lorsque, « ayant été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société de cet État membre » [article 14, paragraphe 4, sous b)] ( 19 ).

24. Au chapitre V, intitulé « Conditions pour la protection subsidiaire », l’article 17 renferme en substance les mêmes dispositions que celles de l’article 12 relatives au statut de réfugié pour exclure tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride des personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire. Les motifs obligatoires d’exclusion qui y sont énumérés, outre ceux énoncés à l’article 12 de cette directive qui reflète l’article 1er, F, de la convention de Genève, comprennent également
les cas où « [un demandeur] représente une menace pour la société ou la sécurité de l’État membre dans lequel il se trouve » [article 17, paragraphe 1, sous d)]. L’article 17, paragraphe 2, étend le champ des cas d’exclusion obligatoire aux « personnes qui sont les instigatrices des crimes ou des actes visés par [l’article 17, paragraphe 1], ou qui y participent de quelque autre manière ». En outre, l’article 17, paragraphe 3, permet aux États membres d’exclure tout ressortissant d’un pays tiers
ou apatride des personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire « si, avant son admission dans l’État membre concerné, il a commis un ou plusieurs crimes qui ne relèvent pas du champ d’application [de l’article 17, paragraphe 1,] et qui seraient passibles d’une peine de prison s’ils avaient été commis dans l’État membre concerné, et s’il n’a quitté son pays d’origine que dans le but d’échapper à des sanctions résultant de ces crimes ».

25. Le chapitre VI, dont le titre est « Statut conféré par la protection subsidiaire », renferme, en son article 19, des dispositions parallèles à celles de l’article 14 concernant le statut des réfugiés, énumérant les cas où, après avoir été accordé, le statut conféré par la protection subsidiaire peut être révoqué ou il peut y être mis fin. Une telle mesure peut notamment être adoptée si l’intéressé peut être exclu ( 20 ) des personnes pouvant bénéficier d’une telle protection accordée en vertu de
l’article 17, paragraphe 3 (article 19, paragraphe 2), ou bien est ou aurait dû être exclu en vertu de l’article 17, paragraphes 1 ou 2 [article 19, paragraphe 3, sous a)], et que des altérations de faits dont il a usé ont joué un rôle déterminant dans la décision de lui octroyer ce statut [article 19, paragraphe 3, sous b)].

26. Enfin, au chapitre VII, intitulé « Contenu de la protection internationale », l’article 21 traite de la protection contre le refoulement. S’il demande aux États membres de « [respecter] le principe de non‑refoulement en vertu de leurs obligations internationales » (paragraphe 1), son paragraphe 2 dispose explicitement que, « [l]orsque cela ne leur est pas interdit en vertu des obligations internationales visées au paragraphe 1 , [ils] peuvent refouler un réfugié, qu’il soit ou ne soit pas
formellement reconnu comme tel : a) lorsqu’il y a des raisons sérieuses de considérer qu’il est une menace pour la sécurité de l’État membre où il se trouve, ou b) lorsque, ayant été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société de cet État membre ».

La directive relative aux procédures

27. La directive 2013/32/UE ( 21 ) (ci‑après la « directive relative aux procédures ») institue des procédures uniformes de traitement des demandes de protection internationale. Son considérant 51 énonce expressément que, « [c]onformément à l’article 72 [TFUE], la présente directive ne porte pas atteinte à l’exercice des responsabilités qui incombent aux États membres en ce qui concerne le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure ».

28. La définition de la notion de « demandeur » de son article 2, sous c), est à l’image de celle de l’article 2, sous i), de la directive relative aux conditions.

29. Dès lors que des mineurs non accompagnés sont présents parmi les nombreux demandeurs devant faire l’objet d’une relocalisation en application des décisions éponymes, il convient de mentionner l’article 25, paragraphe 6, sous a), iii), et sous b), iii), de la directive relative aux procédures, ces deux dispositions permettant aux États membres de déroger aux règles de procédure normalement applicables « s’il existe de sérieuses raisons de considérer que le [mineur non accompagné concerné]
représente un danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public de l’État membre, ou [s’il] a fait l’objet d’une décision d’éloignement forcé pour des motifs graves de sécurité nationale ou d’ordre public en vertu du droit national » ( 22 ).

30. Plus généralement, l’article 31 de la directive relative aux procédures, intitulé « Procédure d’examen », permet expressément aux États membres d’accélérer une procédure d’examen et/ou de mener cette procédure à la frontière ou dans les zones de transit lorsque, notamment, « il existe de sérieuses raisons de considérer que le demandeur représente un danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public de l’État membre, ou le demandeur a fait l’objet d’une décision d’éloignement forcé pour des
motifs graves de sécurité nationale ou d’ordre public au regard du droit national » [article 31, paragraphe 8, sous j)] ( 23 ).

La directive « accueil »

31. La directive 2013/33/UE ( 24 ) (ci‑après la « directive “accueil” ») vient compléter la directive relative aux procédures en prévoyant des modalités détaillées sur le traitement accordé (ci‑après l’« accueil ») aux demandeurs de protection internationale pendant l’examen de leur demande. La définition de la notion de « demandeur » donnée à son article 2, sous b), est à l’image de celle donnée à l’article 2, sous i), de la directive relative aux conditions.

32. En son chapitre II, ayant pour titre « Dispositions générales relatives aux conditions d’accueil », l’article 7, paragraphe 1, de la directive « accueil » pose le principe selon lequel les demandeurs peuvent circuler librement sur le territoire de l’État membre d’accueil ou à l’intérieur d’une zone qui leur est attribuée par cet État membre. Toutefois, à titre de dérogation à ce principe, l’article 7, paragraphe 2, autorise expressément les États membres à « décider du lieu de résidence du
demandeur pour des raisons d’intérêt public ou d’ordre public ou, le cas échéant, aux fins du traitement rapide et du suivi efficace de sa demande de protection internationale ».

33. L’article 8 réglemente le placement d’un demandeur en rétention. Son paragraphe 2 dispose que, « [l]orsque cela s’avère nécessaire et sur la base d’une appréciation au cas par cas, les États membres peuvent placer un demandeur en rétention, si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées ». La liste exhaustive des motifs admissibles de placement en rétention inclut, à l’article 8, paragraphe 3, sous e), celui de « lorsque la protection de la sécurité nationale ou de
l’ordre public l’exige ».

La directive « retour »

34. Enfin, si un demandeur ne s’est pas vu accorder le bénéfice de la protection internationale et reste irrégulièrement sur le territoire d’un État membre, la directive 2008/115/CE ( 25 ) (ci‑après la « directive “retour” ») prévoit des règles uniformes concernant son éloignement et son rapatriement.

35. Son article 1er expose que cette directive « fixe les normes et procédures communes à appliquer dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, conformément aux droits fondamentaux en tant que principes généraux du droit [de l’Union] ainsi qu’au droit international, y compris aux obligations en matière de protection des réfugiés et de droits de l’homme ».

36. Son article 2 énonce que, sous réserve de quelques exceptions ( 26 ), ladite directive s’applique aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre.

37. L’article 6, paragraphe 1, impose aux États membres de prendre une décision de retour ( 27 ) à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire. Lorsque le départ immédiat du ressortissant d’un pays tiers est requis pour des motifs relevant de l’ordre public ou de la sécurité nationale, une telle décision peut être prise même si la personne concernée est titulaire d’un titre de séjour valable ou d’une autre autorisation conférant un droit de séjour
délivrés par un autre État membre (article 6, paragraphe 2). Normalement, un délai approprié allant de sept à trente jours est prévu pour le départ volontaire (article 7, paragraphe 1), mais « [s]’il existe un risque de fuite [...] ou si la personne concernée constitue un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale, les États membres peuvent s’abstenir d’accorder un délai de départ volontaire ou peuvent accorder un délai inférieur à sept jours » (article 7,
paragraphe 4). En dernier ressort, les États membres peuvent utiliser des mesures coercitives pour procéder à l’éloignement (article 8, paragraphe 4).

38. L’article 11 traite des interdictions d’entrée pouvant être assorties aux décisions de retour. Une telle interdiction est obligatoire si aucun délai n’a été accordé pour le départ volontaire [article 11, paragraphe 1, sous a)]. La durée de l’interdiction d’entrée « est fixée en tenant dûment compte de toutes les circonstances propres à chaque cas et ne dépasse pas cinq ans en principe. Elle peut cependant dépasser cinq ans si le ressortissant d’un pays tiers constitue une menace grave pour
l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale » (article 11, paragraphe 2). Dans des cas particuliers, lorsqu’un tel traitement coercitif est proportionné et dûment motivé, les États membres peuvent placer le ressortissant d’un pays tiers en détention en vue de son éloignement (voir les dispositions détaillées de l’article 15).

Les décisions de relocalisation

39. Avant l’adoption des décisions de relocalisation, l’Union avait pris des mesures pour faire face à ce qui a été reconnu comme étant une crise migratoire mondiale. À la suite de la recommandation de la Commission du 8 juin 2015 ( 28 ), 27 États membres (dont la Hongrie ne faisait pas partie), ainsi que la République d’Islande, la Principauté de Liechtenstein, le Royaume de Norvège et la Confédération suisse (ci‑après les « États associés au système de Dublin ») ont convenu, le 20 juillet 2015, de
procéder à la réinstallation, au moyen de mécanismes multilatéraux et nationaux, de 22504 personnes déplacées provenant de pays tiers et ayant manifestement besoin d’une protection internationale ( 29 ). Les places destinées à la réinstallation ont été réparties entre les États membres et les États associés au système de Dublin, conformément aux engagements énoncés à l’annexe de la résolution du 20 juillet 2015 ( 30 ).

40. Les 14 et 22 septembre 2015, respectivement, le Conseil a adopté la décision 2015/1523 et la décision 2015/1601, en retenant l’article 78, paragraphe 3, TFUE comme base légale, aux fins d’instituer des mesures provisoires pour faire face à la situation d’urgence dans laquelle se trouvaient les États membres situés en première ligne. Les deux décisions ont été adoptées sur proposition de la Commission, le Parlement ayant été consulté. La décision 2015/1523 a été adoptée par consensus ( 31 )
tandis que la décision 2015/1601 a été adoptée à la majorité qualifiée ( 32 ). Dans leur rédaction, les décisions de relocalisation présentent quelques différences. Suivant la décision 2015/1523, 40000 demandeurs de protection internationale devaient être relocalisés depuis l’Italie et la Grèce, conformément à l’accord auquel les États membres étaient parvenus avec la résolution du 20 juillet 2015. Suivant la décision 2015/1601, 120000 demandeurs de protection internationale devaient être
relocalisés depuis l’Italie et la Grèce. Les annexes à cette décision en précisaient les contingents par États membres.

41. Le 15 décembre 2015, la Commission a adopté une recommandation concernant un programme d’admission humanitaire volontaire en association avec la Turquie dans laquelle elle proposait que les États participants admettent des personnes déplacées en raison du conflit en Syrie, ayant besoin d’une protection internationale et ayant été enregistrées par les autorités turques avant le 29 novembre 2015. Ce programme devait constituer une mesure d’accompagnement des engagements mutuels contenus dans le
plan d’action commun conclu entre l’Union et la République de Turquie le 29 novembre 2015 ( 33 ).

La décision 2015/1523

42. Les énonciations suivantes figuraient dans les considérants de la décision 2015/1523 ( 34 ) :

« (1) Conformément à l’article 78, paragraphe 3, [TFUE], au cas où un ou plusieurs États membres se trouvent dans une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers, le Conseil, sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut adopter des mesures provisoires au profit du ou des États membres concernés.

(2) Conformément à l’article 80 [TFUE], les politiques de l’Union relatives aux contrôles aux frontières, à l’asile et à l’immigration et leur mise en œuvre doivent être régies par le principe de solidarité et de partage équitable de responsabilités entre les États membres et les actes de l’Union adoptés dans ce domaine doivent contenir des mesures appropriées pour l’application de ce principe.

(3) Devant la récente situation de crise en Méditerranée, les institutions de l’Union ont immédiatement reconnu le caractère exceptionnel des flux migratoires dans cette région et appelé à des mesures concrètes de solidarité à l’égard des États membres situés en première ligne. En particulier, à l’occasion d’une session conjointe des ministres des [A]ffaires étrangères et de l’[I]ntérieur, le 20 avril 2015, la Commission a présenté un plan d’action immédiate en dix points pour faire face à cette
crise, comprenant un engagement à examiner les possibilités d’instaurer un mécanisme de relocalisation d’urgence.

(4) Lors de sa réunion du 23 avril 2015, le Conseil européen a notamment décidé de renforcer la solidarité et la responsabilité internes, en s’engageant en particulier à accroître l’aide d’urgence destinée aux États membres qui se trouvent en première ligne et à examiner les possibilités d’organiser une répartition d’urgence entre tous les États membres sur une base volontaire, ainsi qu’à déployer, dans les États membres qui se trouvent en première ligne, des équipes du Bureau européen d’appui
en matière d’asile (EASO) chargées d’assurer un traitement conjoint des demandes de protection internationale, y compris l’enregistrement et le relevé d’empreintes digitales.

(5) Dans sa résolution du 28 avril 2015, le Parlement européen a réaffirmé la nécessité pour l’Union de répondre aux récentes tragédies survenues en Méditerranée en se fondant sur le principe de solidarité et de partage équitable des responsabilités, et d’accentuer ses efforts dans ce domaine envers ces États membres qui accueillent le plus grand nombre de réfugiés et de demandeurs de protection internationale, aussi bien en valeur absolue que relative.

[...]

(9) Parmi les États membres qui font face à des pressions considérables et à la lumière des tragédies récentes en Méditerranée, [les États membres situés en première ligne] en particulier ont connu un afflux sans précédent de migrants, dont des demandeurs de protection internationale ayant manifestement besoin d’une protection internationale, arrivant sur leurs territoires, exerçant une forte pression sur leurs régimes d’asile et de migration.

(10) Selon les données de l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne (Frontex), les itinéraires de la Méditerranée centrale et de la Méditerranée orientale ont constitué la principale zone de franchissement irrégulier des frontières dans l’Union en 2014. En 2014, plus de 170000 migrants sont entrés de manière irrégulière sur le seul territoire de l’Italie, ce qui équivaut à une augmentation de 277 % par
rapport à 2013. Une augmentation constante a également été observée en Grèce où plus de 50000 migrants en situation irrégulière sont arrivés, ce qui constitue une hausse de 153 % par rapport à 2013. Le nombre total de migrants a continué d’augmenter au cours de 2015. Durant les premiers six mois de l’année 2015, l’Italie a constaté une augmentation de 5 % des franchissements irréguliers des frontières par rapport à la même période l’année [précédente]. La [République hellénique] a connu une
forte augmentation du nombre de franchissements irréguliers de ses frontières au cours de la même période, qui correspond à une multiplication par six par rapport aux premiers six mois de 2014 (plus de 76000 au cours de la période allant de janvier jusqu’à juin 2015 par rapport à 11336 durant la période allant de janvier jusqu’à juin 2014). Une partie importante du nombre total de migrants en situation irrégulière détectés dans ces deux régions était des personnes possédant une nationalité
qui, selon les données d’Eurostat, fait l’objet, à l’échelle de l’Union, d’un taux élevé de reconnaissance.

[...]

(13) L’instabilité et les conflits constants dans le voisinage immédiat des [États membres situés en première ligne] continueront vraisemblablement à [générer] une pression significative et croissante sur leurs régimes d’asile et de migration, une grande partie des migrants pouvant avoir besoin d’une protection internationale. Il est dès lors essentiel de faire preuve de solidarité à l’égard [des États membres situés en première ligne] et de compléter les mesures prises à ce jour par des mesures
provisoires dans le domaine de l’asile et de la migration.

[...]

(16) Si un État membre quel qu’il soit devait se trouver confronté à une situation d’urgence similaire caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers, le Conseil, sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut adopter des mesures provisoires au profit de l’État membre concerné, sur la base de l’article 78, paragraphe 3, [TFUE]. Ces mesures peuvent comprendre, s’il y a lieu, une suspension des obligations de cet État membre telles qu’elles
sont prévues dans la présente décision.

(17) Conformément à l’article 78, paragraphe 3, [TFUE], les mesures envisagées au profit [des États membres situés en première ligne] devraient être de nature provisoire. Une période de vingt‑quatre mois constitue un délai raisonnable pour s’assurer que les mesures prévues dans la présente décision produisent un effet réel aux fins de l’aide accordée [aux États membres situés en première ligne] pour gérer les importants flux migratoires sur leur territoire.

(18) Les mesures de relocalisation depuis l’Italie et la Grèce, énoncées dans la présente décision, impliquent une dérogation temporaire à la règle définie à l’article 13, paragraphe 1, du règlement [Dublin III], selon laquelle [les États membres situés en première ligne] auraient autrement été responsables de l’examen d’une demande de protection internationale sur la base des critères énoncés au chapitre III dudit règlement, ainsi qu’une dérogation temporaire aux étapes de la procédure, y
compris les délais, définis aux articles 21, 22 et 29 dudit règlement. Les autres dispositions du règlement [Dublin III], y compris les modalités d’application définies dans le règlement (CE) no 1560/2003 de la Commission [ ( 35 )] et dans le règlement d’exécution (UE) no 118/2014 de la Commission [ ( 36 )], restent applicables, y compris celles relatives à l’obligation pour les États membres procédant au transfert de faire face aux coûts nécessaires pour transférer un demandeur vers l’État
membre de relocalisation, à la coopération en matière de transferts entre les États membres ainsi qu’à la transmission d’informations par le réseau de communication électronique DubliNet.

La présente décision implique également une dérogation au consentement du demandeur d’une protection internationale, tel qu’il est visé à l’article 7, paragraphe 2, du règlement (UE) no 516/2014 du Parlement européen et du Conseil [ ( 37 )].

(19) Les mesures de relocalisation ne dispensent pas les États membres d’appliquer intégralement le règlement [Dublin III], y compris les dispositions liées au regroupement familial et à la protection spéciale des mineurs non accompagnés, et la clause discrétionnaire pour raisons humanitaires.

[...]

(21) Le but des mesures provisoires est d’alléger la pression considérable qui s’exerce sur les régimes d’asile italien et grec, notamment en relocalisant un nombre significatif de demandeurs ayant manifestement besoin d’une protection internationale et qui sont arrivés sur le territoire de l’Italie ou de la Grèce après la date à laquelle la présente décision devient applicable. Sur la base du nombre global de ressortissants de pays tiers qui sont entrés irrégulièrement en Italie ou en Grèce en
2014 et du nombre de ceux qui ont manifestement besoin d’une protection internationale, un total de 40000 demandeurs ayant manifestement besoin d’une protection internationale devraient être relocalisés depuis l’Italie et la Grèce. Ce nombre représente environ 40 % du nombre total de ressortissants de pays tiers ayant manifestement besoin d’une protection internationale qui sont entrés irrégulièrement en Italie ou en Grèce en 2014. Ainsi, la mesure de relocalisation proposée dans la
présente décision constitue un partage équitable de la charge entre [les États membres situés en première ligne], d’une part, et les autres États membres, d’autre part. Il ressort des mêmes chiffres globaux disponibles pour 2014 et les quatre premiers mois de 2015, et d’une comparaison de ceux‑ci pour [les États membres situés en première ligne], que 60 % de ces demandeurs devraient être relocalisés depuis l’Italie et 40 % depuis la Grèce.

[...]

(24) En vue de mettre en œuvre le principe de solidarité et de partage équitable des responsabilités, et compte tenu du fait que la présente décision constitue une nouvelle évolution des politiques dans ce domaine, il convient de veiller à ce que les États membres qui, en vertu de la présente décision, assurent la relocalisation des demandeurs ayant manifestement besoin d’une protection internationale, depuis l’Italie ou la Grèce, reçoivent, pour chaque personne relocalisée, une somme
forfaitaire qui soit identique à celle prévue à l’article 18 du [règlement] no 516/2014, à savoir 6000 [euros], et soit mise en œuvre au moyen des mêmes procédures. Cela implique une dérogation temporaire limitée à l’article 18 du [règlement] no 516/2014 parce que le versement de la somme forfaitaire devrait concerner les demandeurs relocalisés plutôt que les bénéficiaires d’une protection internationale. Cette extension temporaire du champ d’application en ce qui concerne les destinataires
potentiels de la somme forfaitaire fait en effet partie intégrante du dispositif d’urgence institué par la présente décision.

(25) Il est nécessaire de veiller à ce qu’une procédure de relocalisation rapide soit mise en place et d’assortir la mise en œuvre des mesures provisoires d’une étroite coopération administrative entre les États membres et d’un soutien opérationnel fourni par l’EASO.

(26) Il y a lieu de prendre en considération la sécurité nationale et l’ordre public tout au long de la procédure de relocalisation, jusqu’au transfert effectif du demandeur. Dans le plein respect des droits fondamentaux du demandeur, y compris des règles pertinentes sur la protection des données, lorsqu’un État membre a de bonnes raisons de considérer qu’un demandeur représente un danger pour sa sécurité nationale ou l’ordre public sur son territoire, il devrait en informer les autres États
membres.

[...]

(32) Il y a lieu de prendre des mesures pour éviter les mouvements secondaires, entre l’État membre de relocalisation et les autres États membres, des personnes relocalisées, ces mouvements pouvant nuire à la bonne application de la présente décision. Les demandeurs devraient notamment être informés des conséquences d’un déplacement ultérieur irrégulier dans les États membres et du fait qu’ils ne peuvent, en principe, bénéficier des droits attachés à la protection internationale qui leur a été
accordée par l’État membre de relocalisation que dans cet État membre.

[...]

(41) Eu égard à l’urgence de la situation, la présente décision entre en vigueur le jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne. »

43. L’article 1er de la décision 2015/1523 dispose que celle-ci « institue des mesures provisoires au profit [des États membres situés en première ligne] dans le domaine de la protection internationale, en vue de les aider à mieux faire face à une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers sur leur territoire ».

44. Les définitions suivantes sont précisées à l’article 2 de la décision 2015/1523 :

« a) “demande de protection internationale”, toute demande de protection internationale telle qu’elle est définie à l’article 2, point h), de la directive [relative aux conditions] ;

b) “demandeur”, tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride ayant présenté une demande de protection internationale sur laquelle il n’a pas encore été statué définitivement ;

c) “protection internationale”, le statut de réfugié et le statut conféré par la protection subsidiaire tels qu’ils sont définis à l’article 2, points e) et g), respectivement, de la directive [relative aux conditions] ;

d) “membres de la famille”, les membres de la famille tels qu’ils sont définis à l’article 2, point g), du règlement [Dublin III] ;

e) “relocalisation”, le transfert d’un demandeur du territoire de l’État membre que les critères énoncés au chapitre III du règlement [Dublin III] désignent comme responsable de l’examen de sa demande de protection internationale vers le territoire de l’État membre de relocalisation ;

f) “État membre de relocalisation”, l’État membre qui devient responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur en vertu du règlement [Dublin III] à la suite de la relocalisation de la personne en question sur le territoire de cet État membre. »

45. Conformément à l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2015/1523, une relocalisation en vertu de ladite décision ne peut concerner qu’un demandeur ayant introduit sa demande de protection internationale en Italie ou en Grèce et à l’égard duquel ces États membres auraient autrement été responsables en vertu des critères de détermination de l’État membre responsable énoncés au chapitre III du règlement [Dublin III].

46. L’article 4 dispose :

« [à] la suite de l’accord intervenu entre les États membres sous la forme de la résolution du 20 juillet 2015 des représentants des gouvernements des États membres, réunis au sein du Conseil, concernant la relocalisation depuis l’Italie et la Grèce de 40000 personnes ayant manifestement besoin d’une protection internationale :

a) 24000 demandeurs font l’objet d’une relocalisation depuis l’Italie vers le territoire des autres États membres ;

b) 16000 demandeurs font l’objet d’une relocalisation depuis la Grèce vers le territoire des autres États membres ».

47. La procédure de relocalisation est précisée à l’article 5. Sa rédaction est très proche de celle de l’article 5 de la décision 2015/1601, que je cite intégralement au point 57 des présentes conclusions. Je ne vais donc pas en dupliquer les termes ici.

48. L’article 10 de la décision 2015/1523 énonce que « [l]’État membre de relocalisation reçoit une somme forfaitaire de 6000 [euros] pour chaque personne relocalisée en vertu de [ladite] décision. Ce soutien financier est mis en œuvre par application des procédures prévues à l’article 18 du [règlement] no 516/2014 ».

49. Aux termes de l’article 12 de la décision 2015/1523, sur la base des informations fournies par les États membres et par les agences concernées, la Commission devait faire rapport au Conseil, tous les six mois, sur la mise en œuvre de la décision 2015/1523. Sur la base des informations fournies par [les États membres situés en première ligne], la Commission devait également faire rapport au Conseil, tous les six mois, sur la mise en œuvre des « feuilles de route » visées à l’article 8 de la
décision 2015/1523 ( 38 ).

50. L’article 13 de la décision 2015/1523 indique que celle-ci est entrée en vigueur le 15 septembre 2015 et qu’elle était applicable jusqu’au 17 septembre 2017.

La décision 2015/1601

51. Les énonciations supplémentaires suivantes figuraient dans les considérants de la décision 2015/1601 ( 39 ) :

« (11) Le 20 juillet 2015, compte tenu de la situation particulière de chaque État membre, une résolution des représentants des gouvernements des États membres, réunis au sein du Conseil, concernant la relocalisation depuis la Grèce et l’Italie de 40000 personnes ayant manifestement besoin d’une protection internationale[,] a été adoptée par consensus. Sur deux ans, 24000 personnes seront relocalisées depuis l’Italie et 16000 personnes depuis la Grèce. Le14 septembre 2015, le Conseil a adopté la
[décision] 2015/1523 instituant un mécanisme temporaire et exceptionnel de relocalisation, depuis l’Italie et la Grèce vers d’autres États membres, de personnes ayant manifestement besoin d’une protection internationale.

(12) Ces derniers mois, la pression migratoire aux frontières méridionales extérieures, tant terrestres que maritimes, s’est encore fortement accrue et le déplacement des flux migratoires s’est poursuivi, de la route de la Méditerranée centrale vers celle de la Méditerranée orientale et vers la route des Balkans occidentaux, en raison du nombre croissant de migrants arrivant en Grèce et provenant de ce pays. Compte tenu de la situation, il convient de garantir la mise en place de mesures
provisoires supplémentaires pour alléger la pression qui s’exerce en matière d’asile sur [les États membres situés en première ligne].

[...]

(18) Il convient de rappeler que la [décision] 2015/1523 fait obligation [aux États membres situés en première ligne] de fournir des solutions structurelles permettant de faire face aux pressions exceptionnelles exercées sur leurs régimes d’asile et de migration par la mise en place d’un cadre stratégique solide pour faire face à la situation de crise et intensifier le processus de réforme en cours dans ces domaines. Les feuilles de route que [les États membres situés en première ligne] ont
présentées à cette fin devraient être actualisées pour tenir compte de la présente décision.

[...]

(20) À compter du 26 septembre 2016, 54000 demandeurs devraient faire l’objet d’une relocalisation au prorata depuis l’Italie et la Grèce vers le territoire d’autres États membres. Il convient que le Conseil et la Commission assurent un suivi permanent de la situation relative aux afflux massifs de ressortissants de pays tiers sur le territoire d’États membres. La Commission devrait présenter, le cas échéant, des propositions visant à modifier la présente décision afin de faire face à
l’évolution de la situation sur le terrain et à son incidence sur le mécanisme de relocalisation, ainsi qu’à l’évolution de la pression qui s’exerce sur des États membres, en particulier ceux qui sont situés en première ligne. Ce faisant, elle devrait tenir compte du point de vue de l’État membre bénéficiaire potentiel.

[...]

(26) Le but des mesures provisoires est d’alléger la pression considérable qui s’exerce sur les régimes d’asile italien et grec, notamment en relocalisant un nombre important de demandeurs ayant manifestement besoin d’une protection internationale et qui seront arrivés sur le territoire de l’Italie ou de la Grèce après la date à laquelle la présente décision deviendra applicable. Sur la base du nombre global de ressortissants de pays tiers qui sont entrés irrégulièrement en Italie ou en Grèce en
2015, et du nombre de ceux qui ont manifestement besoin d’une protection internationale, un total de 120000 demandeurs ayant manifestement besoin d’une protection internationale devraient être relocalisés depuis l’Italie et la Grèce. Ce nombre représente environ 43 % du nombre total de ressortissants de pays tiers ayant manifestement besoin d’une protection internationale qui sont entrés irrégulièrement en Italie ou en Grèce en juillet et en août 2015. Cette mesure de relocalisation prévue
par la présente décision constitue un partage équitable de la charge entre [les États membres situés en première ligne], d’une part, et les autres États membres, d’autre part, compte tenu de l’ensemble des chiffres disponibles sur les franchissements irréguliers de frontières en 2015. Eu égard aux chiffres en jeu, 13 % de ces demandeurs devraient être relocalisés depuis l’Italie, 42 % depuis la Grèce, et 45 % devraient l’être selon les dispositions de la présente décision.

[...]

(44) Étant donné que les objectifs de la présente décision ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres mais peuvent, en raison des dimensions et des effets de l’action, l’être mieux au niveau de l’Union, celle‑ci peut prendre des mesures, conformément au principe de subsidiarité consacré à l’article 5 [TUE]. Conformément au principe de proportionnalité tel qu’énoncé audit article, la présente décision n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs.

[...]

(50) Eu égard à l’urgence de la situation, la présente décision entre en vigueur le jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne. » ( 40 )

52. L’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2015/1601 est rédigé en des termes identiques à l’unique phrase de l’article 1er de la décision 2015/1523 (institution de mesures provisoires). À l’article 1er, paragraphe 2, de la décision 2015/1601, il est demandé à la Commission d’assurer un suivi permanent de la situation relative aux afflux massifs de ressortissants de pays tiers et de présenter des propositions visant à modifier cette décision afin de tenir compte de l’évolution de la situation
sur le terrain et de son incidence sur le mécanisme de relocalisation ( 41 ).

53. Les définitions figurant à l’article 2 de la décision 2015/1601 correspondent à celles prévues à l’article 2 de la décision 2015/1523. Je ne les exposerai pas une nouvelle fois ici.

54. L’article 3 (« Champ d’application ») est également rédigé en des termes analogues à ceux de l’article 3 de la décision 2015/1523.

55. L’article 4 de la décision 2015/1601 est intitulé « Relocalisation de 120000 demandeurs dans les États membres ». Il dispose :

« 1.   Cent vingt mille demandeurs font l’objet d’une relocalisation vers les autres États membres comme suit :

a) 15600 demandeurs font l’objet d’une relocalisation depuis l’Italie vers le territoire des autres États membres, conformément au tableau figurant à l’annexe I ;

b) 50400 demandeurs font l’objet d’une relocalisation depuis la Grèce vers le territoire des autres États membres, conformément au tableau figurant à l’annexe II ;

c) 54000 demandeurs font l’objet d’une relocalisation vers le territoire d’autres États membres proportionnellement aux chiffres figurant aux annexes I et II, soit conformément au paragraphe 2 du présent article, soit au moyen d’une modification de la présente décision, ainsi qu’il est indiqué à l’article 1er, paragraphe 2, et au paragraphe 3 du présent article.

2.   À compter du 26 septembre 2016, les 54000 demandeurs visés au paragraphe 1, point c), font l’objet d’une relocalisation depuis l’Italie et la Grèce, dans une proportion résultant du paragraphe 1, points a) et b), vers le territoire d’autres États membres, et proportionnellement aux chiffres figurant aux annexes I et II. La Commission présente au Conseil une proposition portant sur les chiffres qui doivent être attribués en conséquence à chaque État membre.

3.   Si, au plus tard le 26 septembre 2016, la Commission estime qu’une adaptation du mécanisme de relocalisation est justifiée du fait de l’évolution de la situation sur le terrain ou qu’un État membre est confronté à une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers en raison d’une importante réorientation des flux migratoires, et en tenant compte du point de vue de l’État membre bénéficiaire potentiel, elle peut, le cas échéant, présenter des
propositions au Conseil, ainsi qu’il est indiqué à l’article 1er, paragraphe 2. [...]

3   bis. En ce qui concerne la relocalisation des demandeurs visés au paragraphe 1, point c), les États membres peuvent choisir de satisfaire à leurs obligations en admettant sur leur territoire des ressortissants syriens présents en Turquie en vertu de mécanismes nationaux ou multilatéraux d’admission légale de personnes ayant manifestement besoin d’une protection internationale, autres que le programme de réinstallation faisant l’objet des conclusions des représentants des gouvernements des
États membres, réunis au sein du Conseil le 20 juillet 2015. Le nombre de personnes ainsi admises par un État membre entraîne une réduction correspondante de l’obligation de l’État membre concerné.

L’article 10 s’applique, mutatis mutandis, à toute admission légale de ce type entraînant une réduction de l’obligation de relocalisation.

Les États membres qui choisissent de recourir à l’option prévue dans le présent paragraphe communiquent chaque mois à la Commission le nombre de personnes légalement admises aux fins du présent paragraphe, en indiquant le type de mécanisme en vertu duquel l’admission a eu lieu et la forme d’admission légale utilisée. » ( 42 )

56. L’annexe I de la décision 2015/1601 précise la répartition par État membre des demandeurs de protection internationale en provenance d’Italie. L’annexe II de la décision 2015/1601 précise la répartition par État membre des demandeurs de cette protection en provenance de Grèce.

57. L’article 5 de la décision 2015/1601 est libellé de la manière suivante :

« 1.   Aux fins de la coopération administrative nécessaire à la mise en œuvre de la présente décision, chaque État membre désigne un point de contact national, dont il communique l’adresse aux autres États membres et à l’EASO. Les États membres prennent, en liaison avec l’EASO et d’autres agences concernées, toutes les mesures appropriées pour instaurer une coopération directe et un échange d’informations entre les autorités compétentes, y compris quant aux motifs visés au paragraphe 7.

2.   À intervalles réguliers, et au moins tous les trois mois, les États membres indiquent le nombre de demandeurs pouvant faire rapidement l’objet d’une relocalisation sur leur territoire et toute autre information utile.

3.   Sur la base de ces informations, [les États membres situés en première ligne] identifient, avec l’aide de l’EASO et, le cas échéant, des officiers de liaison des États membres visés au paragraphe 8, les demandeurs individuels pouvant faire l’objet d’une relocalisation vers les autres États membres et, dans les meilleurs délais, communiquent toute information utile aux points de contact de ces États membres. La priorité est accordée à cet effet aux demandeurs vulnérables au sens des
articles 21 et 22 de la directive [« accueil »].

4.   À la suite de l’accord de l’État membre de relocalisation, [les États membres situés en première ligne] prennent, dès que possible, une décision visant à relocaliser chacun des demandeurs identifiés vers un État membre de relocalisation donné, en concertation avec l’EASO, et notifient cette décision au demandeur conformément à l’article 6, paragraphe 4. L’État membre de relocalisation ne peut décider de ne pas approuver la relocalisation d’un demandeur que s’il existe des motifs
raisonnables tels qu’ils sont visés au paragraphe 7 du présent article.

5.   Les demandeurs dont les empreintes digitales doivent être relevées conformément aux obligations énoncées à l’article 9 du règlement (UE) no 603/2013[ ( 43 )] ne peuvent faire l’objet d’une relocalisation que si leurs empreintes digitales ont été relevées et transmises au système central d’Eurodac conformément audit règlement.

6.   Le transfert du demandeur vers le territoire de l’État membre de relocalisation a lieu dès que possible après la date de notification, à la personne concernée, de la décision de relocalisation visée à l’article 6, paragraphe 4, de la présente décision. [Les États membres situés en première ligne] communiquent à l’État membre de relocalisation la date et l’heure du transfert ainsi que toute autre information utile.

7.   Les États membres ne conservent le droit de refuser de relocaliser un demandeur que lorsqu’il existe des motifs raisonnables de considérer que celui‑ci représente un danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public sur leur territoire ou lorsqu’il existe des motifs sérieux d’appliquer les dispositions relatives à l’exclusion figurant aux articles 12 et 17 de la [directive relative aux conditions].

8.   Pour la mise en œuvre de tous les aspects de la procédure de relocalisation décrite au présent article, les États membres peuvent, après avoir échangé toutes les informations utiles, décider de détacher des officiers de liaison en Italie et en Grèce.

9.   Conformément à l’acquis de l’Union, les États membres satisfont pleinement à leurs obligations. Par conséquent, l’identification, l’enregistrement et le relevé d’empreintes digitales aux fins de la procédure de relocalisation sont assurés par [les États membres situés en première ligne]. Afin de garantir que le processus reste efficace et gérable, des installations et des mesures d’accueil sont dûment mises en place de manière à héberger des personnes à titre temporaire, conformément à
l’acquis de l’Union, jusqu’à ce qu’une décision soit prise rapidement quant à leur situation. Les demandeurs qui se dérobent à la procédure de relocalisation sont exclus de la relocalisation [ ( 44 )].

10.   La procédure de relocalisation prévue au présent article est menée à bien le plus rapidement possible et au plus tard dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle l’État membre de relocalisation a fourni les indications visées au paragraphe 2, sauf si l’accord de l’État membre de relocalisation visé au paragraphe 4 intervient moins de deux semaines avant l’expiration de ce délai de deux mois. Dans ce cas, le délai pour mener à bien la procédure de relocalisation peut être
prolongé pour une durée n’excédant pas deux semaines supplémentaires. Par ailleurs, ce délai peut aussi être prolongé, pour une période supplémentaire de quatre semaines, le cas échéant, lorsque [les États membres situés en première ligne] démontre[nt] l’existence d’obstacles pratiques objectifs empêchant le transfert.

Au cas où la procédure de relocalisation ne serait pas menée à bien dans les délais impartis, et à moins que [les États membres situés en première ligne] ne convienne[nt], avec l’État membre de relocalisation, d’une prolongation raisonnable du délai, [les États membres situés en première ligne] demeurent responsables de l’examen de la demande de protection internationale en vertu du règlement [Dublin III].

11.   À la suite de la relocalisation du demandeur, l’État membre de relocalisation procède au relevé des empreintes digitales du demandeur et les transmet au système central d’Eurodac conformément à l’article 9 du règlement no 603/2013 et il actualise l’ensemble de données conformément à l’article 10 et, le cas échéant, à l’article 18, dudit règlement. »

58. En vertu de l’article 10 de la décision 2015/1601, l’État membre de relocalisation recevait une somme forfaitaire de 6000 euros pour chaque personne faisant l’objet d’une relocalisation, tandis que les États membres situés en première ligne (le cas échéant) recevaient une somme forfaitaire d’au moins 500 euros.

59. En vertu de l’article 12 de la décision 2015/1601, sur la base des informations fournies par les États membres, la Commission devait faire un rapport au Conseil tous les six mois, sur la mise en œuvre de ladite décision.

60. Conformément à l’article 13 de la décision 2015/1601, celle-ci est entrée en vigueur le 25 septembre 2015 et était applicable jusqu’au 26 septembre 2017.

61. La Commission a, depuis lors, établi quinze rapports sur la relocalisation et la réinstallation, conformément à l’article 12 des décisions de relocalisation et au point 6 de sa communication du 4 mars 2016 [« Revenir à l’esprit de Schengen – Feuille de route », COM(2016) 120 final] ( 45 ).

L’arrêt République slovaque et Hongrie/Conseil

62. La République slovaque et la Hongrie ont introduit, respectivement les 2 et 3 décembre 2015, des recours contre le Conseil, tendant à l’annulation de la décision 2015/1601 ( 46 ). La République slovaque a invoqué six moyens et la Hongrie dix moyens.

63. La Cour a examiné les moyens invoqués en les regroupant par sous-titres. Elle a commencé par examiner l’allégation selon laquelle l’article 78, paragraphe 3, TFUE ne fournissait pas une base juridique appropriée pour adopter la décision 2015/1601. Cette appréciation portait sur les éléments suivants : premièrement, la nature législative de cette décision ; deuxièmement, le point de savoir si la décision présentait un caractère provisoire et si sa durée d’application était excessive ; et,
troisièmement, le point de savoir si cette décision satisfaisait aux conditions d’application de l’article 78, paragraphe 3, TFUE.

64. La Cour a par la suite apprécié la légalité de la procédure ayant conduit à l’adoption de la décision 2015/1601. Elle a ainsi déterminé : premièrement, si le législateur avait violé l’article 68 TFUE ; deuxièmement, s’il y avait eu violation des formes substantielles, telles que l’obligation de consulter le Parlement ; troisièmement, s’il était permis au Conseil de ne pas statuer à l’unanimité en vertu de l’article 293, paragraphe 1, TFUE ; quatrièmement, si les droits des parlements nationaux
de rendre un avis n’avaient pas été respectés ; et, cinquièmement, si le Conseil avait respecté les règles du droit de l’Union en matière d’emploi des langues lors de l’adoption de la décision 2015/1601.

65. Le dernier groupe de moyens examiné par la Cour concernait les moyens au fond soulevés par la République slovaque et la Hongrie. Ces moyens invoquaient : premièrement, une violation alléguée du principe de proportionnalité ; deuxièmement, une absence alléguée de prise en compte des effets de cette décision en Hongrie ; et, troisièmement, une violation alléguée du principe de sécurité juridique ainsi que de la convention de Genève.

66. Dans des conclusions approfondies et détaillées, comprenant 344 points, mon estimé et très regretté collègue et ami, l’avocat général Bot, a recommandé à la Cour de rejeter ces demandes ( 47 ).

67. Le 6 septembre 2017, dans un arrêt tout aussi approfondi et détaillé, comprenant 347 points, la grande chambre a écarté l’ensemble des moyens et a rejeté les recours.

68. La procédure précontentieuse dans les trois présentes procédures en manquement a débuté au cours de l’été 2017, à savoir, avant que l’arrêt République slovaque et Hongrie/Conseil n’ait été rendu ( 48 ). Toutefois, les demandes ont été présentées à la Cour respectivement le 21 décembre 2017 (Commission/Pologne) et le 22 décembre 2017 (Commission/Hongrie et Commission/République tchèque), c’est‑à‑dire, après que la Cour a confirmé la validité de la décision 2015/1601. Au moment où a débuté la
procédure écrite devant la Cour, il n’existait donc aucun doute sur le fait que cette décision était valable.

69. La question essentielle dans les trois présentes procédures en manquement peut donc être reformulée comme suit : étant donné que la décision 2015/1601 est valable et qu’elle a donc toujours été contraignante pour tous les États membres auxquels elle s’adressait, existe-t-il des arguments juridiques, susceptibles d’être avancés par les trois États membres défendeurs, les dispensant des obligations qui leur incombent au titre des décisions de relocalisation ? ( 49 )

Les faits

70. Le 16 décembre 2015, la République de Pologne s’est engagée auprès de la Commission à accepter la relocalisation de 100 demandeurs (65 demandeurs en provenance de Grèce et 35 demandeurs en provenance d’Italie). Les États membres situés en première ligne ont ainsi identifié respectivement 73 et 36 demandeurs à des fins de relocalisation vers la Pologne. Toutefois, la Commission a indiqué (sans être contredite par la République de Pologne) qu’aucun de ces demandeurs n’a été relocalisé vers la
Pologne et que la République de Pologne n’a pris aucun engagement supplémentaire d’accepter des demandeurs.

71. La Commission indique (sans être contredite par la Hongrie) que la Hongrie n’a pris aucun engagement auprès d’elle d’accepter des demandeurs au titre des décisions de relocalisation.

72. Le 8 juillet 2015 – c’est‑à‑dire avant les conclusions de la réunion du Conseil JAI du 20 juillet 2015 ( 50 ) –, la République tchèque a adopté la résolution no 556 relative à la relocalisation des demandeurs en provenance de Grèce et d’Italie ( 51 ). Le 5 février 2016, la République tchèque a pris l’engagement auprès de la Commission d’accepter la relocalisation de 30 demandeurs en vertu de la décision 2015/1523. Le 13 mai 2016, elle s’est engagée à titre supplémentaire à accepter 20 autres
demandeurs en application de la décision 2015/1601. Par conséquent, les États membres situés en première ligne ont identifié respectivement 30 et 10 demandeurs à des fins de relocalisation vers la République tchèque. La Commission indique (une nouvelle fois, sans être contredite par l’État membre concerné) que, parmi les demandeurs ainsi proposés à des fins de relocalisation, la République tchèque a été d’accord d’accepter 15 demandeurs en provenance de Grèce, dont 12 ont effectivement été
relocalisés, et qu’aucun demandeur en provenance d’Italie n’a été accepté ou relocalisé.

73. Par lettres envoyées parallèlement, le 10 février 2016, à la République de Pologne, à la Hongrie et à la République tchèque, la Commission a invité ces trois États membres à commencer dès que possible à relocaliser des migrants et à veiller à ce que le processus de relocalisation soit mis en œuvre rapidement.

74. Le 4 mars 2016, la Commission a publié une communication (fondée sur l’article 12 des décisions de relocalisation) intitulée « Revenir à l’esprit de Schengen – Feuille de route » ( 52 ). Les déclarations suivantes figurant dans les différents rapports de la Commission sur la relocalisation et la réinstallation, ainsi que les déclarations faites dans la correspondance avec les États membres, expliquent le cours ultérieur des événements.

75. Dans le premier rapport sur la relocalisation et la réinstallation du 16 mars 2016, la Commission a mentionné que « seules 937 personnes ont fait l’objet [...] d’une relocalisation depuis l’Italie et la Grèce » et que « le niveau peu satisfaisant de mise en œuvre des deux programmes s’explique par toute une série de facteurs, dont le manque de volonté politique des États membres de respecter intégralement et dans les délais leurs obligations juridiques en matière de relocalisation » ( 53 ).

76. Dans le quatrième rapport sur la relocalisation et la réinstallation, du 15 juin 2016, la Commission a mentionné que « cinq États membres [République de Croatie, Hongrie, République d’Autriche, République de Pologne et République slovaque] n’ont relocalisé absolument aucun demandeur » et que « sept [Royaume de Belgique, République de Bulgarie, République tchèque, République fédérale d’Allemagne, Royaume d’Espagne, République de Lituanie et Roumanie] ont relocalisé seulement 1 % du nombre de
demandeurs qui leur avait été alloué » ( 54 ).

77. Par lettres envoyées parallèlement, le 5 août 2016, à la République de Pologne et à la République tchèque, la Commission a invité ces États membres à « respecter les engagements [qu’ils ont] pris au titre [des décisions de relocalisation] et à apporter sans délais une réponse adéquate en s’engageant de manière plus active et plus constante dans le processus de relocalisation de demandeurs en provenance tant d’Italie que de Grèce ». Par lettre du 5 août 2016, la Commission a également rappelé à
la Hongrie, dans des termes similaires, ses obligations.

78. Au cours de la présidence maltaise du Conseil (de janvier à juin 2017), le ministre maltais de l’Intérieur et la Commission ont écrit conjointement, le 28 février 2017, aux ministres de l’Intérieur de tous les autres États membres ( 55 ). Cette lettre mentionnait ceci : « en particulier, nous invitons les États membres qui n’ont encore procédé à aucune relocalisation ou dont les relocalisations ne sont pas à proportion de leur contingent d’intensifier immédiatement leurs efforts, tandis que nous
encourageons les États membres qui s’acquittent de leurs obligations à poursuivre leurs efforts ».

79. Le 1er mars 2017, la République tchèque a répondu à la Commission qu’elle considérait son offre initiale de relocalisation comme suffisante. Le 5 juin 2017, la République tchèque a adopté la résolution no 439 concernant la détérioration significative de la situation en matière de sécurité dans l’Union européenne et le dysfonctionnement du système de relocalisation, qui a suspendu sa résolution précédente no 556 concernant la relocalisation de demandeurs en provenance de Grèce et d’Italie en
vertu de la décision 2015/1523. La résolution no 439 a, de ce fait, également suspendu les relocalisations au titre de la décision 2015/1601 et a ordonné au ministre de l’Intérieur de cesser ses activités dans les domaines concernés. La résolution no 439 faisait référence, à titre de justification des mesures prises, à un « dysfonctionnement du système [de relocalisation] ».

80. Dans le dixième rapport sur la relocalisation et la réinstallation, du 2 mars 2017, la Commission a mentionné que « la Hongrie, [la République d’Autriche et la République de Pologne] persist[ai]ent dans leur refus de participer au programme de relocalisation. La République tchèque n’a pris aucun engagement depuis [le mois de mai] 2016 et n’a procédé à aucune relocalisation depuis [le mois d’août] 2016 » ( 56 ).

81. Dans le quinzième rapport sur la relocalisation et la réinstallation, du 6 septembre 2017, la Commission a mentionné que « la Hongrie et la [République de Pologne] restent les seuls États membres à n’avoir relocalisé personne, la [République de] Pologne n’ayant quant à elle offert aucune place depuis le 16 décembre 2015. En outre, la République tchèque n’a fait aucune offre de places depuis [le mois de mai] 2016 et n’a effectué aucune relocalisation depuis [le mois d’août] 2016. Ces pays
devraient commencer à offrir des places et à relocaliser immédiatement » ( 57 ).

La procédure devant la Cour

82. Conformément à la procédure prévue à l’article 258 TFUE, la Commission a envoyé des lettres de mise en demeure aux trois États membres défendeurs ( 58 ). Au regard de leurs réponses, elle leur a par la suite adressé des avis motivés le 26 juillet 2017, fixant au 23 août 2017 la date à laquelle ils devaient se conformer à ces avis motivés, ce que ces États membres n’ont pas fait.

83. Par lettre du 19 septembre 2017, la Commission a rappelé à la République de Pologne, à la Hongrie et à la République tchèque que « la Cour de justice de l’Union européenne a récemment confirmé la légalité des mesures de relocalisation » dans l’arrêt République slovaque et Hongrie/Conseil. La Commission a invité les trois États membres défendeurs « à prendre rapidement les mesures nécessaires pour contribuer à la réinstallation des demandeurs éligibles restants en temps utile, en commençant par
indiquer les personnes [qu’ils avaient] l’intention de réinstaller sur [leur] territoire ».

84. Aucun des trois États membres défendeurs n’a répondu à la Commission.

85. La Commission a alors introduit les présents recours le 21 décembre 2017 (affaire C‑715/17, Commission/Pologne) et le 22 décembre 2017 (affaire C‑718/17, Commission/Hongrie, et affaire C‑719/17, Commission/République tchèque).

86. Dans l’affaire C‑715/17, Commission/Pologne, la Commission a conclu à ce que la Cour constate que, en n’ayant pas indiqué à intervalles réguliers, et au moins tous les trois mois, un nombre approprié de demandeurs pouvant faire rapidement l’objet d’une relocalisation sur son territoire et toute autre information utile, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent, en vertu de l’article 5, paragraphe 2, des décisions de relocalisation, et, par conséquent, elle a manqué à
ses autres obligations prévues à l’article 5, paragraphes 4 à 11, des décisions de relocalisation.

87. Dans l’affaire C‑718/17, Commission/Hongrie, la Commission a conclu à ce que la Cour constate que la Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 5, paragraphe 2, de la décision 2015/1601 et que, par conséquent, elle a manqué à ses autres obligations prévues à l’article 5, paragraphes 4 à 11, de cette décision.

88. Dans l’affaire C‑719/17, Commission/République tchèque, la Commission a formulé ses conclusions dans les mêmes termes que dans l’affaire C‑715/17, Commission/Pologne.

89. Une procédure écrite complète s’est déroulée pour les trois affaires.

90. Une audience conjointe s’est tenue le 15 mai 2019. La République de Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Commission ont assisté à cette audience et ont été entendues en leurs plaidoiries.

Sur la recevabilité

91. Les trois États membres défendeurs contestent la recevabilité de la procédure en manquement engagée à leur encontre. Ils soulèvent, en substance, quatre catégories d’arguments : premièrement, le défaut d’objet de la présente procédure, le défaut d’intérêt à agir et la violation du principe de bonne administration de la justice ; deuxièmement, la violation du principe d’égalité de traitement ; troisièmement, la violation des droits de la défense, pour autant qu’il n’a pas été accordé à ces États
membres des délais suffisants pour présenter leurs observations au cours de la procédure précontentieuse et que la requête de la Commission est formulée de manière insuffisamment précise ; et, quatrièmement (dans l’affaire C‑719/17, Commission/République tchèque), le manque de précision des conclusions (du petitum) de la requête présentée par la Commission.

92. J’examinerai donc ces quatre catégories d’arguments aux fins de déterminer si les recours introduits par la Commission dans ces procédures en manquement sont recevables.

Le défaut d’objet, le défaut d’intérêt à agir et la violation du principe de bonne administration de la justice

93. Les trois États membres défendeurs font valoir que la procédure engagée par la Commission à leur encontre est irrecevable pour défaut d’objet, car les obligations découlant de l’article 5, paragraphe 2, et de l’article 5, paragraphes 4 à 11, de la décision 2015/1523 et de la décision 2015/1601 ont définitivement expiré, respectivement, les 17 et 26 septembre 2016.

94. La République de Pologne (affaire C‑715/17) mentionne que le manquement allégué a cessé d’exister, respectivement, à compter des 18 et 27 septembre 2017, selon la décision de relocalisation applicable. Tout en reconnaissant que, dans le cadre d’un recours fondé sur l’article 258 TFUE, l’existence d’un manquement doit être appréciée à la lumière du droit de l’Union en vigueur à l’expiration du délai imparti par la Commission à l’État membre concerné pour se conformer à son avis motivé ( 59 ) (en
l’espèce, le 23 août 2017), la République de Pologne estime que l’objectif d’un tel recours doit être de mettre un terme au manquement. Selon la République de Pologne, étant donné que les décisions de relocalisation ont expiré et que les États membres concernés ne peuvent plus remédier à leur absence de conformité, le présent recours est sans objet. La République de Pologne fait valoir, en outre, que, dans la mesure où il n’est pas possible de remédier au manquement allégué, l’arrêt de la Cour
ne peut avoir qu’un effet déclaratoire.

95. La Hongrie et la République tchèque ont adopté une approche similaire dans leurs observations écrites et dans leurs plaidoiries à l’audience.

96. Selon la Hongrie (affaire C‑718/17), l’introduction d’une procédure en manquement est inappropriée, abusive et contraire au principe de bonne administration de la justice, car elle ne peut aboutir qu’à une conclusion de principe sans effet juridique réel. La République tchèque (affaire C‑719/17) ajoute que le but de la procédure en manquement n’est pas d’avoir un « débat théorique » sur la question de savoir si, dans le passé, un État membre a enfreint ou non le droit de l’Union.

97. Dans le même ordre d’idées, les trois États membres défendeurs font valoir que la Commission n’a pas établi l’existence d’un intérêt à agir suffisant et que son recours poursuit un simple objectif politique, à savoir « stigmatiser » les États membres qui ont ouvertement contesté le mécanisme de relocalisation établi par les décisions de relocalisation ( 60 ). Elles affirment que la Commission a ainsi méconnu l’esprit de l’article 258 TFUE.

98. Je rejette ces arguments.

99. Selon la jurisprudence constante de la Cour, la procédure prévue à l’article 258 TFUE repose sur la constatation objective du non‑respect par un État membre des obligations que lui impose le droit de l’Union ( 61 ).

100. Les arrêts rendus par la Cour en vertu de cette disposition sont, par essence même, de nature déclaratoire ( 62 ). L’objectif de la procédure devant la Cour n’est pas, en lui‑même, de supprimer le manquement allégué. La Cour déclare uniquement que l’État membre a manqué à ses obligations ou rejette le recours. Une fois que le manquement a été constaté, la Cour n’adresse pas d’injonction à l’État membre concerné. Il incombe à ce dernier, le cas échéant, d’adopter les mesures appropriées afin de
se mettre en conformité avec le droit de l’Union, conformément à l’article 260, paragraphe 1, TFUE.

101. Il est également de jurisprudence constante que l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé, de sorte que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour ( 63 ). Ainsi, la Commission peut introduire un recours devant la Cour même si le manquement allégué a virtuellement pris fin ( 64 ).

102. La jurisprudence invoquée en l’espèce par la République de Pologne dans ses mémoires n’est pas pertinente. L’affaire C‑365/97, Commission/Italie ( 65 ), concernait une situation dans laquelle le droit de l’Union applicable avait été modifié au cours de la procédure précontentieuse. En l’espèce, les décisions de relocalisation sont restées inchangées jusqu’à la fin du délai fixé dans l’avis motivé. Le fait que ces décisions aient expiré par la suite n’a aucune incidence sur le fait que les trois
États membres défendeurs n’ont pas respecté (comme ils l’admettent d’ailleurs) les exigences prévues par ces décisions. Dans l’affaire C‑177/03, Commission/France ( 66 ), la législation nationale en cause avait été modifiée entre l’expiration du délai fixé pour se conformer à l’avis motivé et l’introduction du recours en manquement, de sorte que l’arrêt à prononcer aurait pu être « privé d’une part importante de son utilité ». La Cour a considéré que, dans ces circonstances, il pourrait être
préférable que la Commission ne forme pas un recours, mais émette « un nouvel avis motivé précisant les griefs qu’elle entend retenir au vu des circonstances modifiées » ( 67 ). Il relève de l’évidence que cet arrêt est inapplicable aux circonstances de la présente affaire.

103. Étant donné qu’il est constant que le manquement aux décisions de relocalisation existait à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé (23 août 2017), la Commission est en droit d’introduire un recours en manquement aux obligations qui incombent en vertu de ces décisions et de conclure à ce que la Cour constate l’existence de ce manquement. Étant donné que les décisions de relocalisation ont expiré depuis lors, il ne sera pas nécessaire que les États membres défendeurs adoptent des mesures
spécifiques pour se conformer au droit de l’Union. Cela ne signifie pas que la procédure sera sans objet.

104. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, la Commission n’a pas à démontrer l’existence d’un intérêt à agir ni à indiquer les motifs qui l’ont amenée à introduire un recours en manquement ( 68 ). Il est exact que la Cour a jugé que, lorsqu’un manquement a eu lieu dans le passé, la Cour doit déterminer « si cette action comporte [pour la Commission] encore un intérêt suffisant » ( 69 ). En l’espèce – ainsi que la Commission l’a souligné à juste titre –, le litige entre la Commission
et les trois États membres défendeurs soulève des questions fondamentales, notamment celle de savoir si l’on peut invoquer l’article 72 TFUE pour dispenser les États membres de leurs obligations par ailleurs contraignantes en vertu du droit dérivé.

105. Plus généralement, ces procédures soulèvent des questions légitimes et importantes en ce qui concerne le respect de l’État de droit, le principe de solidarité, la politique commune d’asile et le rôle de la Commission en tant que gardienne des traités. Que la violation ait été ou non commise dans le passé, ces questions conservent toute leur pertinence. Il ne s’agit nullement – comme la République tchèque a cherché à le suggérer – d’un débat « théorique ». Malheureusement, la gestion future des
migrations massives pourrait bien donner lieu à des problèmes analogues à ceux qui ont conduit à l’adoption des décisions de relocalisation. Selon moi, il ne fait donc aucun doute que la Commission a un intérêt à faire constater les manquements et à ce que les obligations des États membres soient précisées ( 70 ).

106. Je considère donc que les recours introduits par la Commission dans ces affaires ne sont pas sans objet. La Commission a un intérêt suffisant à agir et sa démarche ne saurait être considérée comme contraire au principe de bonne administration de la justice.

La violation du principe d’égalité de traitement

107. La Hongrie (affaire C‑718/17) soutient que, en introduisant des procédures en manquement uniquement à l’encontre des trois États membres défendeurs, alors que la grande majorité des États membres n’ont pas pleinement respecté les obligations prévues par les décisions de relocalisation, la Commission a violé le principe d’égalité de traitement énoncé à l’article 4, paragraphe 2, TUE et a abusé du pouvoir d’appréciation que lui confère l’article 258 TFUE.

108. La Hongrie fait valoir notamment que la Commission a choisi arbitrairement et de manière discriminatoire le groupe d’États membres faisant l’objet des procédures en manquement. Si la Commission avait retenu une approche objective, elle aurait engagé une telle procédure contre tous les États membres qui ne se sont pas pleinement conformés aux obligations qui leur incombent en vertu des décisions de relocalisation, étant donné que tous ces États membres se trouvaient dans une situation
comparable. En avançant cet argument, la Hongrie adopte donc une approche binaire. Seules deux catégories devraient être prises en considération : les États qui ont pleinement satisfait à leurs obligations et ceux qui ne s’y sont pas conformés, quelle que soit la gravité du manquement ( 71 ). En ciblant la République de Pologne, la Hongrie et la République tchèque, la Commission tente de faire de ces États membres (je cite) des « boucs émissaires », destinés à expier le « fiasco » du système de
relocalisation instauré par les décisions de relocalisation.

109. La République de Pologne (affaire C‑715/17) adopte une position analogue à celle de la Hongrie sur ces questions.

110. Je rejette ce raisonnement.

111. Selon une jurisprudence constante, la Commission dispose d’une large marge d’appréciation pour introduire une procédure en manquement au titre de l’article 258 TFUE : « il appartient à la Commission d’apprécier l’opportunité d’agir contre un État membre, de déterminer les dispositions qu’il aurait violées et de choisir le moment où elle initiera la procédure en manquement à son encontre, les considérations qui déterminent ce choix ne pouvant affecter la recevabilité de l’action » ( 72 ).

112. Ainsi, l’absence de recours en manquement à l’encontre d’un État membre n’est pas pertinente pour apprécier la recevabilité d’un recours en manquement introduit à l’encontre d’un autre État membre ( 73 ).

113. La Cour a également clairement indiqué qu’« un État membre ne saurait justifier l’inexécution des obligations qui lui incombent en vertu du traité par la circonstance que d’autres États membres manqueraient également à leurs obligations [découlant du TFUE] ». Dans l’ordre juridique de l’Union, la mise en œuvre du droit de l’Union par les États membres ne saurait être soumise à une condition de réciprocité. Les articles 258 et 259 TFUE prévoient les voies de recours appropriées pour faire face
aux manquements des États membres aux obligations qui découlent du traité FUE ( 74 ).

114. Tant la Hongrie que la République de Pologne ont déclaré que, en invoquant ces arguments, elles ne cherchaient pas à faire valoir le non‑respect par d’autres États membres de leurs obligations au titre du droit de l’Union pour justifier leurs propres manquements à ces mêmes obligations. Je suis loin d’être convaincue par ces simples déclarations. Les mémoires des deux États membres montrent qu’ils cherchaient explicitement à invoquer des défaillances généralisées dans l’application du système
de relocalisation aux fins de contester la recevabilité des procédures engagées à leur encontre et de justifier leur refus de mettre en œuvre les décisions de relocalisation. De telles défaillances généralisées, si elles étaient établies, affecteraient (par hypothèse) la capacité de tous les États membres à se conformer aux décisions de relocalisation. En outre, la Hongrie et la République de Pologne font toutes deux valoir (au titre de leur argument tiré d’une discrimination) le fait que de
nombreux autres États membres ne se sont pas pleinement conformés aux obligations découlant de ces décisions.

115. La Commission a-t-elle abusé de sa marge d’appréciation en exerçant ses compétences ? Plus précisément, peut-on raisonnablement affirmer que les trois États membres défendeurs se trouvaient dans une situation comparable à celle des autres États membres et que la Commission a manifestement abusé de sa marge d’appréciation, faisant naître ainsi une différence de traitement injustifiée aux dépens des trois États membres en question ?

116. J’estime que cette question appelle une réponse négative.

117. Comme la Commission l’a souligné dans ses observations écrites et orales, les trois États membres défendeurs étaient les seuls à n’avoir pris aucun engagement formel de relocalisation (la Hongrie) ou à n’avoir pris aucun engagement de relocalisation depuis au moins un an (la République de Pologne et la République tchèque) au titre de l’article 5, paragraphe 2, des décisions de relocalisation, malgré des demandes répétées de la Commission. Les douzième et treizième rapports sur la relocalisation
et la réinstallation fournissent de nombreuses preuves à cet égard.

118. Il s’ensuit que les trois États membres défendeurs se trouvent dans une situation que l’on peut distinguer, par la gravité et la persistance de leur non‑respect des obligations, de la situation des autres États membres qui se sont au moins engagés à relocaliser un nombre donné de demandeurs de protection internationale, même si (malheureusement) ces engagements ne se sont pas systématiquement traduits dans les faits par des relocalisations effectives ( 75 ).

119. Je considère donc que la Commission n’a dépassé les limites de la marge d’appréciation conférée par l’article 258 TFUE ni en introduisant des recours en manquement à l’encontre de la République de Pologne, de la Hongrie et de la République tchèque ni en n’introduisant pas de tels recours à l’encontre d’autres États membres qui ne se sont pas pleinement acquittés des obligations prévues par les décisions de relocalisation.

120. Enfin, je voudrais mentionner ici un argument supplémentaire avancé par la Hongrie dans ses mémoires. Cet État membre se demande s’il est réellement possible d’exiger le respect des obligations découlant de la décision 2015/1601 en l’absence de respect de l’ensemble des obligations prévues par la décision 2015/1523. De la part de la Hongrie, cet argument me semble tout à fait dénué de pertinence. La Hongrie n’était concernée que par la décision 2015/1601 et la procédure en manquement engagée à
son encontre ne porte que sur le non‑respect des obligations qui lui incombaient au titre de cette décision.

121. Je conclus donc que les arguments relatifs à la recevabilité, fondés sur la violation du principe d’égalité de traitement, doivent être rejetés.

La violation des droits de la défense

122. La Hongrie (affaire C‑718/17) soutient que la Commission a violé ses droits de la défense pendant la phase précontentieuse : premièrement, en ne lui accordant que quatre semaines pour répondre tant à la lettre de mise en demeure qu’à l’avis motivé, et, secondement, en ne définissant pas clairement le manquement allégué, en ce que la Commission n’a pas suffisamment expliqué le lien entre la violation alléguée de l’article 5, paragraphe 2, de la décision 2015/1601 et les violations alléguées de
l’article 5, paragraphes 4 à 11, de cette décision.

Les délais de réponse à la correspondance précontentieuse de la Commission

123. La Hongrie reconnaît que, dans le cadre d’une procédure en manquement, la Commission dispose assurément d’un large pouvoir d’appréciation pour fixer les délais des différentes étapes de la procédure. Elle considère néanmoins que la Commission a abusé de son pouvoir d’appréciation en l’espèce. La Hongrie fait valoir que la Commission a imposé des délais « extrêmement courts » au milieu de l’été, sans tenir compte du fait que la Hongrie faisait l’objet d’autres procédures en manquement pendant la
même période. La Hongrie laisse entendre qu’une telle manière d’agir visait à « rendre impossible » l’exercice par la Hongrie de ses droits de la défense.

124. La Hongrie fait valoir, en outre, que la Commission ne saurait invoquer une situation d’urgence qu’elle a elle‑même créée en ne prenant pas de mesures plus tôt et que la Commission a raccourci les délais uniquement pour s’assurer que la procédure en manquement qu’elle était, quoi qu’il en soit, déterminée à introduire devant la Cour avant la fin de l’année serait recevable ( 76 ).

125. Enfin, la Hongrie affirme que la brièveté des délais ne saurait être justifiée par le fait qu’elle avait pleinement connaissance de la violation alléguée.

126. Je suis d’accord avec la Commission pour dire que les droits de la défense de la Hongrie n’ont pas été violés par la brièveté des délais fixés lors de la procédure précontentieuse.

127. La Cour a expliqué que la procédure précontentieuse prévue à l’article 258 TFUE a un double objectif. Son but est de donner à l’État membre concerné l’occasion, d’une part, de se conformer à ses obligations découlant du droit de l’Union et, d’autre part, de faire utilement valoir ses moyens de défense à l’encontre des griefs formulés par la Commission ( 77 ). La régularité de cette procédure constitue une garantie essentielle voulue par le traité FUE, non seulement pour la protection des droits
de l’État membre en cause, mais également pour assurer que la procédure contentieuse éventuelle aura pour objet un litige clairement défini ( 78 ). La procédure précontentieuse (lettre de mise en demeure suivie d’un avis motivé) a donc pour but de circonscrire l’objet du litige et de permettre à l’État membre de préparer sa défense ainsi que (notamment) de se conformer à ses obligations avant que la Cour ne soit saisie.

128. La Commission doit donc laisser un délai raisonnable aux États membres pour répondre aux lettres de mise en demeure et pour se conformer aux avis motivés ou, le cas échéant, pour préparer leur défense. Pour apprécier le caractère raisonnable du délai fixé, il y a lieu de tenir compte de l’ensemble des circonstances de l’affaire. Des délais très courts peuvent ainsi se justifier dans des situations particulières, notamment lorsqu’il y a urgence à remédier à un manquement ou lorsque l’État membre
concerné a pleine connaissance du point de vue de la Commission bien avant le début de la procédure ( 79 ).

129. Je rappelle également que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, c’est à la Commission qu’il appartient de « choisir le moment où elle initiera la procédure en manquement [à l’encontre d’un État membre], les considérations qui déterminent ce choix ne pouvant affecter la recevabilité de l’action » ( 80 ).

130. En ce qui concerne l’urgence, je mentionne que les décisions de relocalisation ont été adoptées en réponse à une situation particulièrement grave et urgente de migration massive, justifiant l’adoption des mesures provisoires prévues par ces décisions.

131. La Commission a expliqué qu’elle avait adopté une approche coopérative visant à encourager les États membres à mettre en œuvre volontairement les mesures prévues par les décisions de relocalisation. La Commission souhaitait également tenir compte du temps nécessaire à chaque État membre pour se préparer au processus de relocalisation qui impliquait – comme elle l’a souligné à juste titre – des procédures administratives complexes nécessitant une coopération étroite entre les États membres.

132. Les rapports de la Commission sur la relocalisation et la réinstallation attiraient l’attention des États membres sur leurs obligations à intervalles réguliers.

133. En toute logique, c’est donc précisément parce que la Commission a choisi d’encourager les États membres à se conformer volontairement aux décisions de relocalisation qu’elle n’a pas engagé de procédure en manquement plus tôt au cours de la période de 24 mois prévue pour la mise en œuvre de ces décisions. En mai 2017, il était en effet devenu urgent d’envisager l’introduction d’une procédure en manquement. Ce fait était imputable non à la Commission, mais au refus persistant des trois États
membres défendeurs de se conformer à leurs obligations. Par conséquent, il ne saurait être fait grief à la Commission « d’invoquer une urgence qu’elle avait elle‑même créée » en n’ayant pas engagé la procédure précontentieuse plus tôt. Pour cette raison, la référence de la Hongrie à l’affaire 293/85, Commission/Belgique ( 81 ), est sans pertinence.

134. Je rappelle également que, dans l’affaire C‑20/09, Commission/Portugal, la Cour a jugé que la Commission avait pour mission de veiller, d’office et dans l’intérêt général, à l’application par les États membres du droit de l’Union et de faire constater, en vue de leur cessation, l’existence de manquements éventuels aux obligations qui en dérivent ( 82 ). Il s’ensuit que la Commission pouvait valablement s’assurer – en l’espèce, en fixant des délais appropriés (de courte durée) pour la procédure
précontentieuse – que les trois États membres défendeurs concernés avaient à répondre devant la Cour de leur choix délibéré de ne pas mettre en œuvre les décisions de relocalisation ( 83 ).

135. Les courts délais fixés par la Commission semblent également justifiés dans la mesure où les trois États membres défendeurs concernés connaissaient parfaitement le point de vue de la Commission bien avant l’ouverture formelle de la procédure en manquement ( 84 ). La Commission avait invité la Hongrie à se conformer aux obligations qui lui incombaient en vertu de la décision 2015/1601 dans plusieurs lettres distinctes et dans sa série de rapports mensuels, avant d’envoyer la lettre de mise en
demeure. Le douzième rapport sur la relocalisation et la réinstallation (publié le 16 mai 2017) a clairement indiqué à tous les États membres que la Commission avait l’intention d’introduire des procédures en manquement en cas de non‑respect persistant ( 85 ).

136. Enfin, l’argument selon lequel il conviendrait de tenir compte du fait que la procédure précontentieuse s’est déroulée au cours de l’été, alors que la Hongrie était également partie défenderesse dans d’autres procédures en manquement, me semble sans fondement. Un État membre doit avoir mis en place les dispositions administratives nécessaires pour se défendre dans les procédures précontentieuses, le cas échéant, à tout moment de l’année. Cela vaut a fortiori dans le présent cas de figure, dans
lequel l’intention de la Commission d’introduire une procédure en manquement était connue depuis des semaines.

137. Je conclus que les délais fixés par la Commission au stade précontentieux de cette procédure en manquement n’étaient pas excessivement courts et n’étaient pas de nature à porter atteinte à l’exercice par la Hongrie de ses droits de la défense.

La définition du manquement allégué

138. La Hongrie fait grief à la Commission de ne pas avoir défini le manquement allégué en temps utile et, notamment, de ne pas avoir expliqué pourquoi elle invoque, outre une violation de l’article 5, paragraphe 2, de la décision 2015/1601, également une violation de l’article 5, paragraphes 4 à 11, de cette décision.

139. Plus précisément, la Hongrie fait valoir ici qu’elle n’était pas en mesure de comprendre le lien entre le non‑respect de l’article 5, paragraphe 2, de la décision 2015/1601 (les engagements relatifs au nombre de demandeurs qui pourraient être relocalisés) et le non‑respect de l’article 5, paragraphes 4 à 11, de cette décision (la mise en œuvre subséquente de la relocalisation). La Hongrie fait grief à la Commission de ne pas avoir fourni d’explication détaillée dans son avis motivé sur la
manière dont les deux étaient liés et, par conséquent, de ne pas avoir défini clairement le manquement invoqué à l’encontre de la Hongrie. Ce manque de clarté aurait été aggravé par le fait que l’avis motivé adressé à la Hongrie contenait des références erronées à la décision 2015/1523, que la Hongrie considère sans pertinence. (Cela a eu lieu probablement parce que les avis motivés concernant la République de Pologne et la République tchèque ont été rédigés parallèlement, et que des
violations, à la fois, de la décision 2015/1523 et de la décision 2015/1601, ont été invoquées à l’encontre de ces deux États membres.)

140. Je fais observer que la dernière partie tant de la lettre de mise en demeure que de l’avis motivé adressés à la Hongrie faisaient référence à l’article 5, paragraphes 4 à 11, de la décision 2015/1601 ainsi qu’à l’article 5, paragraphe 2, de cette décision. Je rappelle, quitte à énoncer une évidence, que l’objectif des décisions de relocalisation était de permettre que la relocalisation de demandeurs arrivant sur le territoire de l’Italie et de la Grèce ait lieu de manière effective. S’engager à
accepter un nombre donné de demandeurs était, certes, obligatoire, mais ce n’était qu’une première étape dans le processus de relocalisation ; cela n’était pas suffisant en soi. Cela ressort également très clairement de la série de rapports sur la relocalisation et la réinstallation. Ainsi, l’argument selon lequel la violation de l’article 5, paragraphe 2, de la décision 2015/1601 impliquait également de facto la violation de l’article 5, paragraphes 4 à 11, de cette décision aurait dû aller de
soi pour quiconque procédait à une lecture en toute bonne foi ( 86 ).

141. Les trois États membres défendeurs ont explicitement fait valoir – notamment, lors de l’audience – que leur statut était celui de « rebelles » qui voulaient résister et s’opposer à la mise en œuvre du mécanisme de relocalisation. La Commission ne conteste pas cette présentation des événements à l’origine de la présente procédure. Toutefois, il découle également de la position que ces États membres ont choisi d’adopter qu’il est difficile de donner foi à l’allégation de la Hongrie selon laquelle
elle n’avait, en quelque sorte, pas conscience de l’ampleur de la violation de la décision 2015/1601 qui pourrait être invoquée à son encontre.

142. Enfin, il est bien entendu regrettable que des références, sans pertinence, à la décision 2015/1523 se soient glissées dans l’avis motivé adressé à la Hongrie. Il semble probable que les erreurs proviennent de l’utilisation du « copier‑coller » lors de la préparation simultanée des trois avis motivés à envoyer à la République de Pologne, à la Hongrie et à la République tchèque. Je ne considère pas que ces erreurs soient de nature à rendre incompréhensibles les allégations formulées à l’encontre
de la Hongrie dans l’avis motivé. Ainsi, je ne considère pas qu’il ait été porté atteinte à l’exercice par la Hongrie de ses droits de la défense.

143. Je conclus donc que l’argument de la Hongrie doit être rejeté dans son intégralité pour autant qu’il concerne la violation des droits de la défense.

Dans l’affaire C‑719/17, le manque de précision des conclusions (du petitum) de la requête

144. Tant dans la lettre de mise en demeure que dans l’avis motivé adressés à la République tchèque, la Commission a indiqué que la date à laquelle le manquement a commencé était le 13 août 2016. Dans sa demande, la Commission a souligné que, depuis sa notification du 13 mai 2016, la République tchèque n’avait fourni aucune indication supplémentaire quant au nombre de demandeurs pouvant être relocalisés, même si elle était tenue de le faire au moins une fois par trimestre. La Commission a conclu que
la République tchèque avait donc manqué à ses obligations à compter du 13 août 2016 ( 87 ). Toutefois, le petitum de la requête ne précise pas la date à laquelle le manquement a commencé ( 88 ). Dans un document ultérieur de procédure, la Commission a également indiqué que le 13 août 2016 était la date à laquelle le manquement a commencé.

145. La République tchèque fait valoir que la formulation du petitum ne permet pas de déterminer l’étendue du manquement invoqué à son encontre ( 89 ). Elle soutient également que les mémoires de la Commission ne sont pas explicites sur le point de savoir si le manquement a commencé le 13 mai 2016 ou le 13 août 2016.

146. Je considère que les objections soulevées par la République tchèque ne sont pas fondées.

147. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, « toute requête introductive d’instance doit indiquer l’objet du litige, les moyens et les arguments invoqués ainsi qu’un exposé sommaire desdits moyens. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et à la Cour d’exercer son contrôle. Il en découle que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels un recours est fondé doivent ressortir d’une façon
cohérente et compréhensible du texte de la requête elle‑même et que les conclusions de cette dernière doivent être formulées de manière non équivoque afin d’éviter que la Cour ne statue ultra petita ou n’omette de statuer sur un grief » ( 90 ).

148. Je considère qu’il ressort clairement du texte de la requête que la dernière notification faite par la République tchèque au titre de l’article 5, paragraphe 2, des décisions de relocalisation a eu lieu le 13 mai 2016. Étant donné que cette disposition imposait aux États membres de procéder à de telles notifications au moins tous les trois mois, on peut logiquement en déduire que le manquement a commencé trois mois après cette date, à savoir le 13 août 2016. La Commission avait d’ailleurs
identifié cette date précise tant dans la lettre de mise en demeure que dans l’avis motivé et elle l’avait confirmée dans ses mémoires ultérieurs devant la Cour. Le lien logique entre le 13 mai 2016 et le 13 août 2016 ressort explicitement de la requête présentée par la Commission ( 91 ).

149. Il est évidemment regrettable que le petitum lui‑même ne fasse pas explicitement référence au 13 août 2016. Cela dit, le texte de la requête contient néanmoins les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels le recours est fondé. Ces éléments sont exposés de façon cohérente et compréhensible, et ne sont pas contredits par la correspondance échangée au cours de la procédure précontentieuse ( 92 ). Dans ces circonstances, nonobstant l’omission dans le petitum, il n’existe, selon moi,
aucun risque réel que la Cour statue ultra petita ou omette de statuer sur un grief.

150. Je ne partage pas non plus le point de vue de la République tchèque selon lequel les allégations de la Commission concernant la date à laquelle le manquement a commencé sont formulées de manière ambiguë ou contradictoire. Les dates données par la Commission dans ses mémoires sont cohérentes et ne peuvent prêter à confusion dans l’esprit de quiconque procède à une lecture attentive et en toute bonne foi.

151. Je conclus que l’argument de la République tchèque (affaire C‑719/17) tiré du manque de précision du petitum doit être rejeté comme étant non fondé.

Conclusion sur la recevabilité

152. Au regard des considérations qui précèdent, je conclus que la procédure en manquement engagée à l’encontre des trois États membres défendeurs est recevable.

Sur le fond

Observations liminaires

153. L’analyse approfondie de la décision 2015/1601, effectuée par la Cour dans l’arrêt République slovaque et Hongrie/Conseil, a conduit au rejet du recours en annulation de cet acte. Aucun recours n’a été formé dans les délais contre la décision 2015/1523. Il résulte nécessairement de l’examen de la décision 2015/1601 par la grande chambre que, si un recours invoquant des arguments analogues avait été introduit contre la décision 2015/1523, l’issue de ce recours aurait été la même.

154. Les décisions de relocalisation doivent donc être considérées comme relevant incontestablement des compétences de la Commission et comme étant valables. Les trois États membres défendeurs admettent cet aspect dans la présente procédure ( 93 ).

155. Les deux décisions de relocalisation constituaient des mesures provisoires adoptées en vertu de l’article 78, paragraphe 3, TFUE. Ainsi que l’a expliqué la Cour dans l’arrêt République slovaque et Hongrie/Conseil, « [...] des mesures susceptibles d’être adoptées sur le fondement de l’article 78, paragraphe 3, TFUE doivent être qualifiées d’“actes non législatifs”, parce qu’elles ne sont pas adoptées à l’issue d’une procédure législative » ( 94 ).

156. L’article 288 TFUE énonce que « [l]a décision est obligatoire dans tous ses éléments. Lorsqu’elle désigne des destinataires, elle n’est obligatoire que pour ceux‑ci ». Les décisions de relocalisation ne désignent pas de destinataires. Elles sont obligatoires dans tous leurs éléments et elles créent de toute évidence des obligations légales pour les trois États membres défendeurs.

157. Une omission (ou, a fortiori, un refus) d’un État membre de se conformer à ses obligations légales découlant des décisions de relocalisation entraîne inévitablement des conséquences négatives sur l’efficacité globale de l’opération de relocalisation prévue par ces décisions aux fins de répondre à l’afflux soudain de migrants. Elle laisse les États membres bénéficiaires (les États membres situés en première ligne) aux prises avec le nombre considérable de demandeurs de protection internationale
qui arrivent jour et nuit sur leurs territoires. Elle entrave et/ou empêche le respect par ces États membres et les institutions de l’Union de leurs propres obligations au titre des décisions de relocalisation.

Sur le recours de la Commission

158. La Cour a jugé de manière constante que, dans le cadre d’une procédure en manquement engagée à l’encontre d’un État membre au titre de l’article 258 TFUE, la Commission doit « présenter les griefs de façon cohérente et précise, afin de permettre à l’État membre et à la Cour d’appréhender exactement la portée de la violation du droit de l’Union reprochée, condition nécessaire pour que ledit État puisse faire valoir utilement ses moyens de défense et pour que la Cour puisse vérifier l’existence
du manquement allégué » ( 95 ).

159. La Commission a identifié le manquement allégué comme étant, en substance, une omission de prendre des engagements visés à l’article 5, paragraphe 2, des décisions de relocalisation et, par conséquent, une omission de procéder à des relocalisations au titre de l’article 5, paragraphes 4 à 11, de ces décisions de relocalisation ( 96 ).

160. Sur les trois États membres défendeurs, la République de Pologne et la République tchèque ont tenté de contester (ou, plus précisément, de nuancer) les affirmations factuelles de la Commission. La Hongrie ne conteste pas, en substance, l’exposé des faits présenté par la Commission.

161. Ainsi, la République de Pologne fait valoir qu’il n’était pas possible, dans le cadre des décisions de relocalisation, de vérifier si les personnes susceptibles d’être transférées avaient des liens avec des organisations extrémistes ou criminelles, de sorte que ces personnes pouvaient éventuellement constituer un risque pour la sécurité. La République de Pologne fait référence, en termes généraux, à des incidents survenus dans d’autres États membres, dans lesquels certains demandeurs ayant
obtenu le statut de réfugié avaient par la suite été impliqués dans des agressions et des infractions pénales. La République de Pologne soutient que l’absence de documents fiables, le fait que les personnes transférées se trouvaient à l’étranger et non en Pologne, le peu de temps dont disposait l’officier de liaison et (pour certaines personnes susceptibles d’être transférées) l’impossibilité de réaliser des entretiens en matière de sécurité, préalablement au transfert, ont concrètement empêché
la République de Pologne de se conformer aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 72 TFUE et d’appliquer jusqu’à présent les décisions de relocalisation.

162. La République tchèque invoque un grief tiré de ce que de nombreuses personnes susceptibles d’être transférées, sélectionnées par [les États membres situés en première ligne], ne disposaient pas de documents d’identité en bonne et due forme et que la coopération de ces deux États membres dans le cadre des décisions de relocalisation était insuffisante. Elle considère, par conséquent, que [les États membres situés en première ligne] sont responsables du fait que seul un très faible nombre de
demandeurs ont été transférés.

163. Aucun des éléments factuels avancés par la République de Pologne et la République tchèque, même s’ils étaient prouvés, ne répondrait à l’argument de la Commission selon lequel les trois États membres défendeurs n’avaient pas respecté leur obligation trimestrielle de prendre des engagements, prévue à l’article 5, paragraphe 2, des décisions de relocalisation. L’indication du nombre de demandeurs que l’on est potentiellement en mesure d’accepter au cours d’une période donnée est, sur le plan
conceptuel, totalement différente de la question de savoir s’il existe une bonne raison de ne pas accepter une personne spécifique, proposée par [les États membres situés en première ligne] à des fins de transfert.

164. De même, les problèmes spécifiques soulignés par la République de Pologne et par la République tchèque seraient susceptibles d’expliquer, dans un cas particulier, pourquoi un demandeur spécifique ne pourrait pas être accepté à des fins de transfert, nonobstant les dispositions détaillées concernant la liaison et la coopération prévues par les décisions de relocalisation. Ces problèmes ne suffisent cependant absolument pas à justifier le non‑respect quasi total (par les trois États membres
défendeurs) des obligations prévues à l’article 5, paragraphes 4 à 11, de ces décisions de relocalisation.

165. Je considère donc que la Commission a justifié les éléments de faits invoqués au soutien de ces allégations à l’encontre des trois États membres défendeurs.

166. Les deux décisions de relocalisation diffèrent quant à la manière dont les États membres devaient participer au processus de relocalisation. Ainsi, l’article 4 de la décision 2015/1523 précisait simplement le nombre global de relocalisations à atteindre (24000 en provenance d’Italie, 16000 en provenance de Grèce), sans indiquer le nombre de demandeurs que chaque État membre devait accepter dans le cadre de leur relocalisation. En revanche, l’article 4 de la décision 2015/1601, lu conjointement
avec les annexes I et II de cette décision, contenait un mécanisme plus précis et détaillé. L’article 4, paragraphe 1, spécifiait comment, sur les 120000 demandeurs à relocaliser, 66000 devaient faire l’objet d’une relocalisation vers d’autres États membres (étant précisé que l’annexe I concernait les 15600 relocalisations en provenance d’Italie et l’annexe II les 50400 relocalisations en provenance de Grèce). L’article 4, paragraphe 2, expliquait par la suite que les 54000 demandeurs devaient
être relocalisés « proportionnellement aux chiffres figurant aux annexes I et II » ( 97 ).

167. Cela dit, l’article 5, paragraphe 2, des décisions de relocalisation exige clairement que des engagements soient pris au moins tous les trois mois, tandis que l’article 5, paragraphes 4 à 11, des décisions de relocalisation impose une obligation (conformément aux procédures prévues par ces dispositions) d’accepter des relocalisations, sauf lorsque des exemptions spécifiques sont applicables, telles que celles prévues à l’article 5, paragraphe 7, des décisions de relocalisation en ce qui
concerne les personnes représentant une menace pour la sécurité intérieure.

168. Malgré la latitude (différente) ainsi accordée aux États membres dans les deux décisions de relocalisation que j’ai identifiée, je conclus sans hésiter que le fait de s’engager à accepter 100 demandeurs (la République de Pologne) ( 98 ), 50 demandeurs (la République tchèque) ( 99 ) ou, d’ailleurs, de ne pas prendre le moindre engagement (la Hongrie) ( 100 ) ne saurait être considéré comme conforme à la lettre ou à l’esprit des obligations prévues par les décisions de relocalisation.

169. Qu’en est-il de l’affirmation supplémentaire de la Commission selon laquelle les trois États membres défendeurs ont également manqué aux obligations qui leur incombaient en vertu de l’article 5, paragraphes 4 à 11, des décisions de relocalisation ?

170. Il me semble que la Commission affirme à bon droit très logiquement que, si un État membre ne s’engage pas à accepter un certain nombre de demandeurs, il en découle nécessairement qu’il n’acceptera pas non plus des relocalisations sur la base de ces engagements et qu’il manquera donc également aux obligations subséquentes, prévues à l’article 5, paragraphes 4 à 11, des décisions de relocalisation. Les trois États membres défendeurs n’affirment d’ailleurs pas non plus sérieusement le contraire ;
ce qui est confirmé par le fait que tous les trois n’ont accueilli soit pratiquement aucune (la République de Pologne et la République tchèque), soit absolument aucune (la Hongrie) personne transférée.

171. Je conclus que la Commission a présenté ses arguments de manière conforme à l’article 258 TFUE. La question est donc de savoir si les éléments invoqués par les trois États membres défendeurs constituent des arguments en défense fondés en droit contre la procédure en manquement. À cet égard, c’est aux États membres en question qu’il appartient nécessairement de produire les preuves étayant ces arguments en défense.

Les arguments des parties

172. La République de Pologne fait valoir que le respect des décisions de relocalisation l’aurait empêchée d’exercer ses responsabilités au titre de l’article 72 TFUE, lu conjointement avec l’article 4, paragraphe 2, TUE, en ce qui concerne le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure, domaines dans lesquels elle conserve une compétence exclusive ( 101 ). En tant que disposition de droit primaire, l’article 72 TFUE prévaut sur les décisions de relocalisation et garantit
aux États membres un contrôle total sur leur sécurité intérieure et leur ordre public. Il s’agit non pas d’un simple contrôle de légalité au cours du processus législatif, mais plutôt d’une règle de conflit de lois qui donne la priorité à la compétence des États membres. Il appartient à l’État membre d’apprécier si, dans des circonstances particulières, un tel conflit existe. Un État membre peut donc invoquer l’article 72 TFUE pour réfuter des arguments tirés de ce que les décisions de
relocalisation seraient privés de leur « effet utile » ou contester des appels à la solidarité – il n’existe aucune obligation de compromettre sa sécurité intérieure en faisant preuve de solidarité envers les autres États membres. L’arrêt République slovaque et Hongrie/Conseil ne supprime pas (et ne pourrait pas supprimer) le droit inaliénable d’un État membre d’invoquer l’article 72 TFUE pour déroger à toute autre obligation alléguée découlant d’actes de droit dérivé adoptés en vertu du
titre V de la troisième partie du traité FUE. Par conséquent, la République de Pologne n’a explicitement pas soulevé une exception d’illégalité au titre de l’article 277 TFUE.

173. La Hongrie invoque également l’article 72 TFUE comme lui donnant le droit de ne pas appliquer une décision fondée sur l’article 78, paragraphe 3, TFUE, si elle considère que cette décision ne fournit pas de garanties suffisantes pour sa sécurité intérieure. La Hongrie fait valoir que le fait que les personnes susceptibles d’être transférées en vertu de la décision 2015/1601 devraient être des personnes possédant des nationalités pour lesquelles 75 % ou plus des demandes de protection
internationale sont accordées (article 3, paragraphe 1, de la décision 2015/1601) limite sa capacité à invoquer des motifs d’exclusion du statut protégé (en tant que réfugié ou bénéficiaire de la protection subsidiaire), liés à la sécurité nationale et à l’ordre public. Le fait que l’arrêt République slovaque et Hongrie/Conseil a confirmé la validité de la décision 2015/1601 est sans pertinence. La question qui se pose ici est une question différente et distincte : un État membre peut-il
invoquer l’article 72 TFUE pour exclure ou limiter les relocalisations prévues par la décision 2015/1601 lorsqu’il a des réserves quant aux conséquences de ces relocalisations sur la sécurité nationale et l’ordre public sur son territoire ?

174. La République tchèque soutient essentiellement que le mécanisme de relocalisation instauré par les décisions de relocalisation est dysfonctionnel et qu’elle a pris d’autres mesures, plus efficaces, pour aider à lutter contre la crise migratoire. En particulier, elle a fourni une aide importante aux pays tiers en provenance desquels l’exode a été le plus important et détaché un nombre important de policiers pour travailler à la protection des frontières extérieures de l’Union.

175. La Commission invoque principalement l’arrêt République slovaque et Hongrie/Conseil, la nécessité de donner un « effet utile » aux décisions de relocalisation et le principe de solidarité entre les États membres. Elle insiste sur le fait que des mécanismes adéquats étaient prévus dans les décisions de relocalisation pour permettre aux États membres de relocalisation ( 102 ) de prendre les mesures nécessaires concernant tout demandeur individuel pour protéger la sécurité nationale et l’ordre
public sur leur territoire.

176. Aux fins de l’analyse qui suit, je regrouperai comme suit les arguments soulevés par les trois États membres défendeurs : premièrement, le fait que l’arrêt rendu dans l’affaire République slovaque et Hongrie/Conseil a confirmé la validité de la décision 2015/1601 est sans pertinence (la République de Pologne et la Hongrie) ; deuxièmement, les États membres peuvent justifier la non‑application des décisions de relocalisation (mêmes valables) sur la base de leurs compétences retenues en
application de l’article 72 TFUE, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 2, TUE (la République de Pologne et la Hongrie) ; et, troisièmement, les décisions de relocalisation ont engendré un dysfonctionnement du système (la République tchèque).

Le fait que l’arrêt rendu dans l’affaire République slovaque et Hongrie/Conseil a confirmé la validité de la décision 2015/1601 est sans pertinence

177. En réponse aux lettres de mise en demeure et aux avis motivés, la République de Pologne et la Hongrie ont fait valoir le fait que les décisions de relocalisation n’étaient pas valables. Ces arguments ont été présentés avant l’arrêt République slovaque et Hongrie/Conseil, dans lequel la Cour a confirmé la validité de la décision 2015/1601. Toute nouvelle contestation de la validité des décisions de relocalisation au titre de l’article 263 TFUE serait à présent tardive.

178. Sur la base des mémoires, la Cour a demandé aux parties de répondre, lors de l’audience, à la question de savoir si un État membre pouvait, dans le cadre d’une procédure en manquement au titre de l’article 258 TFUE, justifier de ne pas appliquer un acte de l’Union lorsqu’un recours contestant la validité de cet acte (en l’espèce, les recours formés par la Hongrie et la République slovaque ayant conduit à l’arrêt République slovaque et Hongrie/Conseil) n’a pas entraîné la suspension automatique
cet acte, conformément à l’article 278 TFUE, et que la Cour n’a ordonné aucun sursis à l’exécution. La Cour a également demandé si un État membre pouvait, dans le cadre d’une procédure en manquement au titre de l’article 258 TFUE, justifier de ne pas appliquer un acte de l’Union sans soulever une exception d’illégalité au titre de l’article 277 TFUE et si les décisions de relocalisation pouvaient être considérées comme des actes de portée générale visés à l’article 277 TFUE.

179. Lors de l’audience, les trois États membres défendeurs ont expressément indiqué qu’ils ne contestaient pas la validité des décisions de relocalisation ni ne tentaient de soulever une exception incidente d’illégalité au titre de l’article 277 TFUE. La Hongrie a laissé la possibilité à la Cour d’examiner ses arguments en défense sur le fondement de cet article, si la Cour souhaitait le faire.

180. Il me semble que, au vu de l’audience, les points soulevés en rapport avec l’article 277 TFUE ne sont, en fait, plus « d’actualité ». Bien qu’il soit intellectuellement intéressant d’explorer les limites de cet article, je m’abstiendrai de le faire. Le sujet devrait attendre un autre cas et un autre jour.

181. L’argument avancé par la République de Pologne et par la Hongrie dans le cadre de la présente procédure est que l’arrêt République slovaque et Hongrie/Conseil n’est pas pertinent en ce qui concerne les arguments en défense qu’elles invoquent en l’espèce.

182. Pour apprécier cette allégation, il est nécessaire d’examiner ce que mentionne cet arrêt concernant l’article 72 TFUE et la façon dont la décision 2015/1601 a tenu compte de la compétence des États membres au titre de l’exercice des responsabilités qui leur incombent en matière de sécurité et d’ordre public sur leur territoire. Cette appréciation peut être effectuée plus aisément dans le cadre de l’examen des arguments en défense invoqués par la République de Pologne et par la Hongrie sur le
fondement de l’article 72 TFUE, lu conjointement avec l’article 4, paragraphe 2, TUE. J’y viens donc à présent.

Les États membres peuvent justifier la non‑application des décisions de relocalisation (mêmes valables) sur la base de leurs compétences retenues en application de l’article 72 TFUE, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 2, TUE

183. Dans ses questions écrites adressées aux parties avant l’audience, la Cour a préparé le terrain pour débattre de cet argument en demandant à la Commission si les notions d’« ordre public » et de « sécurité intérieure » avaient une portée analogue aux mêmes notions telles que celles s’appliquant dans le contexte des libertés fondamentales et figurant dans des dispositions telles que l’article 346 TFUE.

184. La Commission soutient que l’article 346 TFUE concerne le contexte spécifique de la fourniture de renseignements et du commerce d’armes, et que la notion de « sécurité » qui y figure n’a aucune pertinence en l’espèce.

185. La Cour a également demandé à la Commission si un État membre pouvait invoquer l’article 72 TFUE en tant que base juridique pour justifier la non‑application d’un acte de l’Union adopté en vertu du titre V de la troisième partie du traité FUE lorsque cet acte ne prévoit pas de mesures suffisantes à la protection de l’« ordre public » et de la « sécurité intérieure », et si l’article 72 TFUE pouvait être invoqué dans un contexte plus large.

186. La Commission affirme que l’article 72 TFUE constitue un principe qui doit être pris en compte par le législateur de l’Union dans l’adoption d’actes. S’il devait le méconnaître, un État membre pourrait former un recours contre le législateur de l’Union en vertu des dispositions des traités sur les procédures devant la Cour.

187. La Commission affirme en outre que la portée de l’article 72 TFUE est limitée d’une manière analogue à celle de l’article 36, de l’article 45, paragraphe 3, et de l’article 52, paragraphe 1, TFUE sur la libre circulation dans le marché intérieur. S’ils permettent aux États membres de limiter la libre circulation, toute restriction instituée est soumise au contrôle des institutions de l’Union, notamment de la Cour.

188. Dans ce contexte, je vais maintenant examiner la jurisprudence de la Cour.

– La jurisprudence de la Cour sur l’article 72 TFUE

189. À ma connaissance, la Cour a eu l’occasion d’examiner l’article 72 TFUE à trois reprises.

190. Tout d’abord, dans l’arrêt Adil ( 103 ), la Cour s’est penchée sur la juste interprétation de l’article 21, sous a), du code frontières Schengen ( 104 ) dans le contexte de l’article 72 TFUE. Elle a rappelé que « l’article 21, sous a), du [code frontières Schengen] dispos[ait] que la suppression du contrôle aux frontières intérieures ne porte pas atteinte à l’exercice des compétences de police par les autorités compétentes de l’État membre en vertu du droit national, dans la mesure où
l’exercice de ces compétences n’a pas un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières, et que cela s’applique également dans les zones frontalières. Cette disposition du [code frontières Schengen] précise que l’exercice des compétences de police ne peut, en particulier, être considéré comme équivalent à l’exercice des vérifications aux frontières lorsque les mesures de police n’ont pas pour objectif le contrôle aux frontières, sont fondées sur des informations générales et
l’expérience des services de police relatives à d’éventuelles menaces pour la sécurité publique et visent, notamment, à lutter contre la criminalité transfrontalière, sont conçues et exécutées d’une manière clairement distincte des vérifications systématiques des personnes effectuées aux frontières extérieures et sont réalisées sur la base de vérifications réalisées à l’improviste » ( 105 ).

191. La Cour a conclu que les contrôles mobiles en matière de sécurité qui étaient en cause dans cette affaire constituaient non pas des « vérifications aux frontières », interdites par l’article 20 du code frontières Schengen, mais des vérifications à l’intérieur du territoire d’un État membre, visées à son article 21 ( 106 ). Plus loin, dans ce même arrêt, la Cour a réaffirmé que « les dispositions de l’article 21, sous a) à d), du [code frontières Schengen] ainsi que le libellé de
l’article 72 TFUE confirm[ai]ent que la suppression des contrôles aux frontières intérieures n’a pas porté atteinte aux responsabilités qui incombent aux États membres pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure » ( 107 ).

192. Ensuite, dans l’arrêt A ( 108 ), la Cour a, en substance, confirmé l’arrêt Adil (cette fois‑ci au sujet d’un système similaire de contrôles mobiles en matière de sécurité mis en œuvre en Allemagne).

193. Enfin, dans l’arrêt République slovaque et Hongrie/Conseil, la Cour a examiné l’argument soutenu en l’espèce par la République de Pologne selon lequel « la décision attaquée serait contraire au principe de proportionnalité, dès lors qu’elle ne permettrait pas aux États membres d’assurer l’exercice effectif des responsabilités qui leur incombent pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure au titre de l’article 72 TFUE » ( 109 ).

194. La Cour a souligné que le considérant 32 de la décision 2015/1601 énonce expressément « qu’il y a lieu de prendre en considération la sécurité nationale et l’ordre public tout au long de la procédure de relocalisation, jusqu’au transfert effectif du demandeur » et que son article 5, paragraphe 7, maintient expressément le droit pour les États membres de refuser la relocalisation d’un demandeur, bien que uniquement lorsqu’il existe des motifs raisonnables de considérer que celui‑ci représente un
danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public sur leur territoire. Si ce mécanisme « était inefficace dès lors qu’il obligerait les États membres à contrôler de nombreuses personnes en peu de temps, de telles difficultés d’ordre pratique n’apparaissent pas inhérentes audit mécanisme et doivent, le cas échéant, être résolues dans l’esprit de coopération et de confiance mutuelle entre les autorités des États membres bénéficiaires de la relocalisation et celles des États membres de
relocalisation qui doit prévaloir dans le cadre de la mise en œuvre de la procédure de relocalisation prévue à l’article 5 de [la décision 2015/1601] » ( 110 ).

195. Par conséquent, l’arrêt République slovaque et Hongrie/Conseil préfigure dans une certaine mesure les arguments soulevés en l’espèce par les trois États membres défendeurs. Cela étant dit, dès lors que l’invocation des compétences retenues en vertu de l’article 72 TFUE se situe au cœur de leur défense, il me faut explorer cet argument de manière plus approfondie.

– Les notions d’« ordre public » et de « sécurité »

196. La notion d’« ordre public » a été examinée dans l’arrêt N ( 111 ), où la Cour a jugé que « la notion d’“ordre public” suppos[ait], en tout état de cause, l’existence, en dehors du trouble pour l’ordre social que constitue toute infraction à la loi, d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société ».

197. Auparavant, dans l’arrêt Zh. et O. ( 112 ), la Cour avait dit pour droit que, s’agissant des droits fondamentaux de ressortissants de pays tiers, des notions telle que celle de « sécurité »« ne saurai[en]t être déterminée[s] unilatéralement par chacun des États membres sans contrôle des institutions de l’Union ».

198. Ces deux passages formeront le point de départ de l’analyse qui suit.

199. Sur un plan général, il me semble que la jurisprudence de la Cour sur les libertés fondamentales – notamment sur la libre circulation des personnes – offre une base solide pour l’approche des notions d’« ordre public » et de « sécurité » dans le cadre des présents litiges. Je rappelle que l’acquis en matière d’asile – plus particulièrement le règlement Dublin III ( 113 ) et la directive relative aux conditions ( 114 ) – examine ces questions du point de vue du demandeur individuel. Tout comme
la Cour l’a expliqué il y a bien longtemps dans l’arrêt Bouchereau, c’est le comportement personnel de l’individu concerné qui doit être apprécié afin de déterminer s’il constitue une menace pour la société de l’État membre en question ( 115 ).

200. Je partage l’avis de la Commission qui affirme que l’article 346 TFUE constitue une disposition particulière du traité relative à une situation particulière. Pour cette raison, je ne pense pas qu’il puisse utilement être étendu aux présents litiges.

201. Toutefois, je rappelle également que l’article 78, paragraphe 3, TFUE existe spécifiquement pour permettre au Conseil d’adopter des mesures provisoires afin d’assister un État membre qui se trouve « dans une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers ». Dans la mesure où un afflux massif de personnes entrant sur le territoire d’un État membre peut créer une situation d’urgence (et je comprends ce terme comme incluant une situation représentant une
menace pour l’ordre public ou la sécurité nationale), l’article 78, paragraphe 3, TFUE fournit la base légale nécessaire à l’adoption de mesures appropriées qui respectent à la fois les obligations internationales incombant aux États membres en vertu de la convention de Genève et tous les principes fondamentaux applicables du droit de l’Union. Ces derniers principes comprennent à la fois celui de la solidarité et du respect de l’État de droit, principes sur lesquels je reviendrai à la fin des
présentes conclusions.

– Le rôle de l’article 72 TFUE

202. L’article 72 TFUE fait partie du chapitre 1, intitulé « Dispositions générales », du titre V du TFUE (« L’espace de liberté, de sécurité et de justice »). En reconnaissant clairement les pouvoirs et les responsabilités qui incombent aux États membres en matière de maintien de l’ordre public et de sauvegarde de la sécurité intérieure, l’article 72 TFUE sert avant tout et de toute évidence à rappeler au législateur de l’Union la nécessité de prévoir dans toute mesure de droit dérivé, adoptée sur
la base du titre V, des dispositions permettant aux États membres d’assumer ces responsabilités. Si le législateur de l’Union devait méconnaître cette obligation lors de la rédaction, l’article 72 TFUE constitue une base claire pour un recours en annulation par un État membre (dans cette mesure, je partage les vues de la Commission). Cependant, il n’y a nulle omission de la sorte en l’espèce.

203. Une réponse immédiate à l’argument principal soulevé par la République de Pologne et par la Hongrie figure dans deux dispositions essentielles des décisions de relocalisation elles‑mêmes. La dernière phrase de leur article 5, paragraphe 4, énonce que « [l]’État membre de relocalisation ne peut décider de ne pas approuver la relocalisation d’un demandeur que s’il existe des motifs raisonnables tels que visés au paragraphe 7 du présent article ». L’article 5, paragraphe 7, dispose que « [l]es
États membres ne conservent le droit de refuser de relocaliser un demandeur que lorsqu’il existe des motifs raisonnables de considérer que celui‑ci représente un danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public sur leur territoire ou lorsqu’il existe des motifs sérieux d’appliquer les dispositions relatives à l’exclusion figurant aux articles 12 et 17 de la directive [relative aux conditions] ».

204. J’ajoute entre parenthèses que le considérant 26 de la décision 2015/1523 et le considérant 32 de la décision 2015/1601 indiquent tous les deux qu’« il y a lieu de prendre en considération la sécurité nationale et l’ordre public tout au long de la procédure de relocalisation, jusqu’au transfert effectif du demandeur » et que « lorsqu’un État membre a de bonnes raisons de considérer qu’un demandeur représente un danger pour sa sécurité nationale ou l’ordre public sur son territoire, il devrait
en informer les autres États membres ». En procédant ainsi, l’État membre potentiel de relocalisation démontre sa solidarité envers les autres États membres qui – comme lui – ont la responsabilité de garantir la sécurité nationale et l’ordre public sur leurs territoires respectifs.

205. Lus ensemble, ces deux paragraphes essentiels des décisions de relocalisation reconnaissent expressément que l’État membre de relocalisation garde le droit de refuser la relocalisation d’un demandeur particulier, premièrement, lorsqu’il y a de bonnes raisons de considérer qu’un demandeur représente un danger pour sa sécurité nationale ou l’ordre public sur son territoire ou, secondement, lorsqu’il existe des motifs sérieux de penser que l’intéressé peut légitimement être exclu de la protection
internationale demandée.

206. Dans la mesure où l’État membre de relocalisation éprouve des doutes sérieux sur le point de savoir s’il doit admettre la relocalisation d’un demandeur X, les décisions de relocalisation lui apportent ainsi une base légale claire et manifeste pour refuser la relocalisation de ce demandeur précis.

207. Suivant une vue restrictive des questions soulevées par les présentes procédures en manquement, cela peut être considéré comme suffisant pour l’examen du principal argument soutenu par les trois États membres défendeurs pour justifier leur attitude. Il leur était parfaitement possible de préserver la sécurité et le bien‑être de leurs citoyens en refusant (sur la base même des décisions de relocalisation) d’admettre un demandeur X, exerçant ainsi les « responsabilités qui incombent aux États
membres pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure » (article 72 TFUE).

208. Toutefois, pour être juste avec les trois États membres concernés, je ne peux pas m’arrêter ici. Le renvoi à la directive relative aux conditions, qui figure à l’article 5, paragraphe 7, des décisions de relocalisation, permet d’établir le lien adéquat avec la problématique plus fondamentale soulevée en l’espèce. Les compétences retenues des États membres en vertu de l’article 72 TFUE demandent à être appréciées dans le contexte du droit dérivé volumineux et uniforme réglementant la procédure
d’examen des demandes de protection internationale et les critères de fond pour se prononcer sur de telles demandes (l’acquis en matière d’asile). Dans ce contexte, un État membre peut‑il invoquer l’article 72 TFUE (lu, d’après la Hongrie, en combinaison avec l’article 4, paragraphe 2, TUE) pour tout simplement ne pas appliquer une mesure de l’Union valablement adoptée ( 116 ) en vertu de l’article 78, paragraphe 3, TFUE et avec laquelle il est en désaccord ?

209. Pour l’examen de cette question, j’écarte donc délibérément tous les éléments de procédure (par exemple sur les délais pour former un recours direct ou les limites d’une exception incidente d’irrecevabilité) pour me concentrer sur la question fondamentale en jeu.

210. Au niveau de l’Union, les obligations internationales qui incombent à chaque État membre en vertu de la convention de Genève reçoivent une expression uniforme par tout un ensemble de directives relatives au traitement et à l’examen au fond des demandes de protection internationale, tout particulièrement la directive relative aux conditions, la directive relative aux procédures et la directive « accueil ». La base légale de ces mesures est l’article 78, paragraphe 2, TFUE, qui figure au titre V,
chapitre 2, intitulé « Politiques relatives aux contrôles aux frontières, à l’asile et à l’immigration ». Nous sommes donc directement dans un domaine faisant l’objet d’une réglementation détaillée, tant par le TFUE que par le droit dérivé fondé sur le droit primaire.

211. Dans de telles circonstances, lorsque les traités reconnaissent que les États membres disposent d’une compétence retenue ou assument un devoir ou une obligation, ils doivent exercer leurs pouvoirs sans contrevenir aux principes du droit de l’Union en la matière.

212. Contrairement à ce que soutiennent la République de Pologne et la Hongrie, l’article 72 TFUE n’institue donc pas une règle de conflit de lois qui ferait prévaloir la compétence d’un État membre sur les mesures adoptées par le législateur ou le pouvoir décisionnel de l’Union ; au contraire, cet article institue une règle de coexistence. Le pouvoir d’agir dans un domaine donné demeure entre les mains de l’État membre (il n’a pas été transféré à l’Union). Il n’en demeure pas moins que les mesures
prises doivent respecter les principes supérieurs auxquels les États membres ont souscrit en adhérant à l’Union ainsi qu’à toute règle pertinente des traités et du droit dérivé.

213. Deux exemples suffisent pour illustrer cette affirmation.

214. Parmi les événements ayant conduit à l’« affaire Factortame » ( 117 ), le Royaume‑Uni avait adopté la Merchant Shipping Act 1988 (loi de 1988 sur la marine marchande). Cette loi a profondément modifié le registre maritime britannique, privant ainsi les navires de pêche appartenant à des intérêts espagnols de leur droit à y être inscrits, de battre le pavillon britannique ( 118 ) et donc de pratiquer la pêche sur les quotas de pêche du Royaume‑Uni ( 119 ). En agissant ainsi, le Royaume‑Uni
(soutenu par la suite devant la Cour par le Royaume de Belgique et par la République hellénique) s’était appuyé sur la compétence reconnue à chaque État en droit international de préciser les conditions auxquelles il accorde le droit à un navire de battre son pavillon ( 120 ).

215. La première question préjudicielle déférée par la High Court of Justice (England and Wales) (Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles, Royaume‑Uni) demandait simplement : « [l]e droit [de l’Union] a‑t‑il une incidence sur les conditions fixées par un État membre dans les dispositions qu’il arrête afin de déterminer quels sont ceux des bateaux qui peuvent légitimement être immatriculés dans cet État, battre son pavillon et en avoir la nationalité ? ».

216. Dans sa réponse, la Cour a expressément reconnu que, « en l’état actuel du droit [de l’Union,] la compétence de déterminer les conditions d’immatriculation des bateaux appartient aux États membres » ( 121 ), mais que « [n]éanmoins, il convient de rappeler que les États membres doivent exercer leurs compétences retenues dans le respect du droit [de l’Union] » ( 122 ). L’argument du Royaume‑Uni, tiré du droit international, « ne pourrait avoir de valeur que si les exigences du droit [de l’Union]
relatives à l’exercice, par les États membres, de leur compétence retenue en matière d’immatriculation des bateaux se trouvaient en conflit avec les règles du droit international » ( 123 ). Il est clair que la Cour a considéré qu’il n’y avait pas de tel conflit en l’espèce, car elle énonce au point suivant de son arrêt que « [p]ar conséquent, il convient de répondre à la première question qu’en l’état actuel du droit [de l’Union] il appartient aux États membres de déterminer, conformément aux
règles générales du droit international, les conditions nécessaires pour permettre l’immatriculation d’un bateau dans leurs registres et pour accorder à ce bateau le droit de battre leur pavillon, mais que, dans l’exercice de cette compétence, les États membres doivent respecter les règles du droit [de l’Union] » ( 124 ).

217. Poursuivant, la Cour a dit pour droit que les dispositions des traités sur le libre établissement et sur la libre circulation des capitaux ainsi que l’interdiction générale de toute discrimination en raison de la nationalité, faisaient obstacle à la condition de nationalité de la loi de 1988 sur la marine marchande.

218. Plus récemment, la Cour a eu à connaître d’affaires concernant l’exercice par des États membres de leur pouvoir (incontesté) de légiférer en matière de fiscalité directe – domaine non harmonisé au niveau de l’Union. Cependant, les règles nationales adoptées ont parfois pour effet de désavantager des contribuables établis dans d’autres États membres. Il n’est pas utile d’entrer dans les détails techniques de ces affaires. La Cour a toujours jugé avec constance que, si les États membres sont
compétents en matière de fiscalité directe, cette compétence doit être exercée dans le respect du droit de l’Union ( 125 ).

219. À mon avis, dans le contexte des présentes procédures en manquement, les États membres sont également tenus d’exercer la compétence qui leur est reconnue par l’article 72 TFUE pour « le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure »d’une manière qui respecte les autres dispositions pertinentes du droit de l’Union. Ces dispositions sont, d’une part, les décisions de relocalisation elles‑mêmes (qui, comme nous l’avons vu, constituaient une base légale adéquate pour toute
mesure nécessaire devant être prise par un État membre dans un cas individuel) et, d’autre part, l’ensemble du cadre existant en droit de l’Union régissant le traitement d’une demande individuelle de protection internationale et la décision formelle devant être adoptée par l’État membre pour statuer sur cette demande.

220. Par conséquent, les articles 12 et 17 de la directive relative aux conditions sont à l’image de la convention de Genève et énoncent dans le détail les motifs pour lesquels un demandeur peut être exclu du bénéfice de statut de réfugié ou de la protection subsidiaire. Ces dispositions sont renforcées par celles de ses articles 14 et 19 ( 126 ), qui permettent à un État membre de mettre fin au statut protégé si l’intéressé représente une menace pour la société ou la sécurité de l’État membre dans
lequel il se trouve. En vertu de la directive relative aux procédures, un demandeur peut faire l’objet d’un examen à la frontière ou dans les zones de transit s’il existe de sérieuses raisons de considérer qu’il représente un danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public de l’État membre [article 31, paragraphe 8, sous j)] ( 127 ) et, sur les mêmes bases, un mineur non accompagné peut faire l’objet d’un régime plus strict [article 25, paragraphe 6, sous a), iii), et sous b), iii)] ( 128
). La directive « accueil » permet aux États membres de décider du lieu de résidence du demandeur (dérogeant ainsi à sa liberté normale de circulation), notamment pour des raisons d’intérêt public ou d’ordre public (article 7, paragraphe 2) ( 129 ). Un demandeur peut faire l’objet d’un placement en rétention lorsque la protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public l’exige [article 8, paragraphe 3, sous e)] ( 130 ). Et la directive « retour » permet à un État membre de ne pas accorder
un délai de départ volontaire, de détenir une personne dont la demande de protection internationale a été rejetée et d’imposer une interdiction d’entrée d’une durée prolongée lorsque de telles mesures (plus coercitives) sont justifiées par des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public (voir l’article 7, paragraphe 4, l’article 8, paragraphe 4, l’article 11, paragraphe 2, et l’article 15).

221. En deux mots, le droit dérivé dans le domaine de l’acquis en matière d’asile offre donc un cadre législatif permettant de répondre aux préoccupations légitimes d’un État membre concernant la sécurité nationale, l’ordre public et la protection de la société par rapport à un demandeur individuel de protection internationale. Dès lors, je ne vois pas comment pourrait être accueilli un argument selon lequel l’article 72 TFUE accorderait une carte blanche aux États membres pour écarter l’application
d’une mesure de droit dérivé avec laquelle il se trouve qu’ils ne sont pas en plein accord.

222. À cet égard, l’invocation par la République de Pologne de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire N. c. Finlande (requête no 38885/02) ( 131 ) ne fait pas avancer sa cause. Dans cet arrêt, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé qu’« il est bien établi en droit international que, sous réserve des obligations qui leur incombent en vertu du traité, en ce compris celles qui leur incombent en vertu de la convention [de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales], les États contractants peuvent contrôler l’entrée, la résidence et l’expulsion des étrangers ». C’est incontestable. Néanmoins, la manière dont un État membre exerce ce droit est encadrée par les obligations auxquelles il a librement consenti, en droit international, lorsqu’il a accédé à l’Union, à savoir de se conformer aux obligations découlant du droit de l’Union.

223. Comme je l’ai montré, le droit de l’Union offre lui‑même d’importants moyens à tout État membre pour répondre à ses préoccupations légitimes en matière de sécurité nationale ou d’ordre public relativement à un demandeur individuel dans le cadre des obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union. Cependant, le droit de l’Union ne permet pas à un État membre d’ignorer ces obligations de manière péremptoire et, en quelque sorte, de poser un panneau revêtu de la mention « chasse
gardée » (ou « défense d’entrer »).

– L’article 4, paragraphe 2, TUE

224. La République de Pologne et la Hongrie rappellent toutes deux que l’article 4, paragraphe 2, TUE invoque l’« identité nationale » et qu’il dispose que « [l]’Union respecte [...] les fonctions essentielles de l’État [des États membres], notamment celles qui ont pour objet d’assurer son intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. En particulier, la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre ». À des degrés divers, la
République de Pologne et la Hongrie tentent de s’appuyer sur ces dispositions, lues en combinaison de celles de l’article 72 TFUE, pour soutenir qu’elles peuvent ne pas appliquer les décisions de relocalisation afin de préserver la cohésion sociale et culturelle, et de prévenir d’éventuels conflits ethniques et religieux.

225. Cette thèse peut être examinée brièvement.

226. Dans l’arrêt Commission/Luxembourg ( 132 ), un argument similaire avait été soutenu devant la Cour dans le cas de l’application aux notaires d’une condition relative à la nationalité. Le Luxembourg faisait notamment valoir que cette condition se justifiait par la nécessité de garantir l’emploi de la langue luxembourgeoise dans l’exercice des activités du notaire. Pour rejeter cet argument, la Cour a jugé que, « [s]i la sauvegarde de l’identité nationale des États membres constitue un but
légitime respecté par l’ordre juridique de l’Union, ainsi que le reconnaît d’ailleurs l’article 4, paragraphe 2, TUE, l’intérêt invoqué par le Grand‑Duché [de Luxembourg] peut toutefois être utilement préservé par d’autres moyens que l’exclusion, à titre général, des ressortissants des autres États membres ».

227. Pour les mêmes raisons, l’article 4, paragraphe 2, TUE ne saurait servir de fondement pour refuser tout simplement de relocaliser des demandeurs en application des décisions de relocalisation. Les intérêts légitimes des États membres à la préservation de la cohésion sociale et culturelle peuvent être assurés efficacement par d’autres moyens, moins restrictifs, qu’un refus total et unilatéral de s’acquitter des obligations qui leur incombent en vertu du droit de l’Union.

Les décisions de relocalisation ont engendré un dysfonctionnement du système

228. La République de Pologne et la Hongrie ont mis l’accent sur les risques de sécurité inhérents au traitement d’un grand nombre de demandes de protection internationale de la part de demandeurs dont certains peuvent, en fait, être liés au terrorisme international. Dans ce contexte, la République de Pologne s’appuie sur le rapport annuel de 2016 sur l’analyse des risques produit par l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de
l’Union européenne (Frontex), qui relève que, « assurer le sauvetage, la sécurité, l’enregistrement et l’identification de milliers de personnes vulnérables constitue une tâche particulièrement ardue qui implique un certain niveau de risque inhérent et de vulnérabilité aux frontières extérieures » ( 133 ).

229. La République tchèque fait valoir le même argument. Elle affirme que les États membres situés en première ligne désignaient des candidats à la relocalisation qui ne possédaient pas de documents d’identité. La République tchèque n’aurait pas été en mesure d’évaluer le risque que de telles personnes dépourvues de pièces d’identité pouvaient présenter pour la sécurité nationale. Il aurait donc été vain pour la République tchèque de faire savoir à la Commission le nombre de demandeurs qu’elle était
disposée à accueillir. Le système institué par les décisions de relocalisation était, selon ses termes, « dysfonctionnel ».

230. Je rejette l’argument selon lequel les risques inhérents au traitement d’un grand nombre de demandeurs permettraient d’absoudre les trois États membres défendeurs de leur obligation légale de participer au régime institué par les décisions de relocalisation.

231. Les préambules de ces décisions énoncent expressément que « lorsqu’un État membre a de bonnes raisons de considérer qu’un demandeur représente un danger pour sa sécurité nationale ou l’ordre public sur son territoire, il devrait en informer les autres États membres » ( 134 ). Leurs dispositions de fond viennent par la suite imposer des obligations spécifiques aux autorités grecques et italiennes en matière d’identification et de traitement de demandeurs potentiels de relocalisation ( 135 ).

232. En outre, l’article 5, paragraphe 7, des décisions de relocalisation préserve expressément le droit des États membres de refuser la relocalisation d’un demandeur individuel lorsqu’il « existe des motifs raisonnables de considérer que celui‑ci représente un danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public sur leur territoire ou lorsqu’il existe des motifs sérieux d’appliquer les dispositions relatives à l’exclusion figurant aux articles 12 et 17 de la directive [relative aux conditions] ».

233. Dans l’arrêt République slovaque et Hongrie/Conseil, la Cour a expressément jugé que les difficultés d’ordre pratique devaient « être résolues dans l’esprit de coopération et de confiance mutuelle entre les autorités des États membres bénéficiaires de la relocalisation et celles des États membres de relocalisation qui doit prévaloir dans le cadre de la mise en œuvre de la procédure de relocalisation prévue à l’article 5 de [la décision 2015/1601] » ( 136 ).

234. Cela me paraît apporter une réponse exhaustive à l’argument soutenu ici. La loi applicable (les décisions de relocalisation) a institué un mécanisme approprié pour répondre à la complexité des problèmes et des défis logistiques de la relocalisation d’un très grand nombre de demandeurs de protection internationale, à partir des États membres situés en première ligne vers d’autres États membres. En elles‑mêmes, ces décisions de relocalisation ne peuvent raisonnablement pas être qualifiées de
« dysfonctionnelles ». Face à une situation qui était manifestement marquée sous le signe de l’urgence, il était de la responsabilité, à la fois des États membres situés en première ligne et des potentiels États membres de relocalisation de faire en sorte que ce mécanisme fonctionne de manière adéquate afin que la relocalisation puisse concerner suffisamment de personnes pour alléger la pression insoutenable exercée sur les États membres situés en première ligne. C’est cela la solidarité.

235. Pour le bon ordre, j’ajoute qu’il ressort également clairement de certains rapports sur la mise en œuvre des décisions de relocalisation que d’autres États membres ayant fait face à des difficultés relativement à leurs obligations de relocalisation, tels que la République d’Autriche et le Royaume de Suède, ont demandé et obtenu une suspension temporaire des obligations qui leur incombaient en vertu de ces décisions de relocalisation, comme le prévoyait l’article 4, paragraphes 5 et 6, des
décisions de relocalisation ( 137 ). Si les trois États membres défendeurs avaient réellement été confrontés à des difficultés sérieuses, telle était manifestement la voie appropriée qu’il convenait de suivre pour respecter le principe de solidarité. Je reviendrai sur ce point à la fin des présentes conclusions – plutôt que de décider unilatéralement qu’il n’était pas nécessaire de se conformer aux décisions de relocalisation.

236. Je note également les différentes allégations des trois États membres défendeurs selon lesquelles ils auraient tenté de prêter assistance [aux États membres situés en première ligne] par d’autres mesures que la relocalisation. Cet argument est tout à fait dénué de pertinence. Les décisions de relocalisation ne renferment aucune base juridique permettant de substituer d’autres mesures aux engagements et aux obligations de relocalisation qui en découlent.

237. Je rejette donc l’affirmation selon laquelle, du fait que le système de relocalisation souffrait (prétendument) de dysfonctionnements, un État membre était en droit de suspendre unilatéralement l’exécution des engagements et des obligations imposés par les décisions de relocalisation.

Observations finales

238. Au‑delà des questions spécifiques que j’ai examinées jusqu’ici (plus particulièrement celles du champ d’application et de la portée de l’article 72 TFUE), ces procédures en manquement soulèvent des interrogations fondamentales sur les paramètres de l’ordre juridique de l’Union et des devoirs incombant aux États membres. Dans ces observations finales, je vais donc examiner trois éléments importants de cet ordre juridique : l’« État de droit », l’obligation de coopération loyale et le principe de
solidarité.

L’État de droit

239. Le préambule du TUE insiste sur le fait que l’État de droit constitue l’une des « valeurs universelles » faisant partie des « héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe » ( 138 ) – valeur à laquelle les États membres ont confirmé leur attachement ( 139 ). L’article 2 TUE confère un effet matériel à ces considérants, expliquant que « [l]’Union est fondée sur les valeurs [...] de l’État de droit [...]. Ces valeurs sont communes aux États membres [...] ».

240. Dans son arrêt de principe Les Verts/Parlement, la Cour a d’abord affirmé le principe que la CEE (telle était alors son nom) « est une communauté de droit en ce que ni ses États membres ni ses institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu’est le traité » ( 140 ).

241. L’État de droit comprend plusieurs éléments importants, tels que le respect d’un juste équilibre entre les pouvoirs ( 141 ) et la garantie de l’indépendance des juges en protégeant leur inamovibilité ( 142 ). À un niveau plus profond, le respect de l’État de droit implique de se conformer à ses obligations. Écarter ces obligations au motif qu’à telle ou telle occasion, elles ne sont pas les bienvenues ou sont impopulaires, constitue un premier pas dangereux vers l’anéantissement d’une société
ordonnée et structurée régie par l’État de droit dont, en tant que citoyens, nous bénéficions à la fois pour notre bien‑être et pour notre sécurité. Le mauvais exemple est particulièrement pernicieux s’il est montré par un État membre.

L’obligation de coopération loyale

242. L’article 4, paragraphe 3, TUE dispose :

« En vertu du principe de coopération loyale, l’Union et les États membres se respectent et s’assistent mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités.

Les États membres prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l’Union.

Les États membres facilitent l’accomplissement par l’Union de sa mission et s’abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union. »

243. L’arrêt Achmea (grande chambre) précise très clairement ce que cela implique : « [l]e droit de l’Union repose ainsi sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque État membre partage avec tous les autres États membres, et reconnaît que ceux‑ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, comme il est précisé à l’article 2 TUE. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les États membres dans la reconnaissance de ces
valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre. C’est précisément dans ce contexte qu’il incombe aux États membres, notamment, en vertu du principe de coopération loyale, énoncé à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, TUE, d’assurer, sur leurs territoires respectifs, l’application et le respect du droit de l’Union et de prendre, à ces fins, toute mesure générale ou particulière propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des
actes des institutions de l’Union » ( 143 ).

244. La Cour a également clairement affirmé que le fait qu’un État membre ait des doutes quant à la validité d’une mesure de l’Union ou pense avoir des raisons plausibles d’agir à l’encontre d’une telle mesure ne l’exonère pas de son devoir des respecter le principe de coopération loyale ( 144 ).

245. En outre, en vertu du principe de coopération loyale, chaque État membre est en droit de s’attendre à ce que les autres États membres se conforment avec diligence à leurs obligations ( 145 ). Manifestement, ce n’est pas ce qui s’est passé en l’espèce.

La solidarité

246. Les pères fondateurs du « projet européen » – Robert Schuman, Jean Monnet et Konrad Adenauer – étaient des hommes d’État originaires de pays qui venaient d’être entraînés (agresseurs comme victimes, vainqueurs comme vaincus) dans six années d’un conflit dévastateur et destructeur. Sans leur clairvoyance et leur ouverture d’esprit, la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), puis (six ans plus tard) la Communauté économique européenne et Euratom, n’auraient pas vu le jour.

247. La déclaration Schuman du 9 mai 1950 a notoirement admis que « [l]’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait » ( 146 ). Cette déclaration se retrouve dans le troisième considérant du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier – le traité CECA – (précurseur du traité CEE dont le TUE et le TFUE actuels sont les descendants directs), qui énonçait explicitement
être « conscients que l’Europe ne se construira[it] que par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait, et par l’établissement de bases communes de développement économique » ( 147 ).

248. L’article 2 TUE continue de nous rappeler que l’Union est fondée sur des valeurs communes et que « [c]es valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non‑discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes » (c’est moi qui souligne).

249. Au fil des ans, la Cour s’est fait l’écho de cet appel à la solidarité. C’est ainsi que, déjà en 1983, en matière de quotas d’acier, elle a expliqué que, « [e]n effet, il est à exclure que la notion d’état de nécessité puisse être retenue dans le domaine particulier du régime des quotas prévu [à] l’article 58 du traité CECA, qui est basé sur la solidarité de toutes les entreprises sidérurgiques de la Communauté devant la crise et vise à une répartition équitable des sacrifices découlant de
circonstances économiques inéluctables » ( 148 ). Mutatis mutandis, ces termes pourraient aisément être transposés au contexte actuel.

250. Un peu plus tard, dans le contexte de régimes plutôt élaborés pour écouler les surplus de sucre ( 149 ), la Cour a été amenée, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Eridania zuccherifici nazionali e.a. ( 150 ), à se prononcer sur le point de savoir si un régime de quotas, dont il était allégué que, financièrement, il pesait plus sur les producteurs italiens que sur ceux des autres États membres, était licite. Défendant ce régime, la Commission faisait valoir que la fixation des quotas sur
la base de la production effective des entreprises répondait aux principes de la solidarité entre les producteurs. La Cour a dit pour droit que « le Conseil était fondé à repartir les quotas fixés entre les entreprises individuelles sur la base de leur production effective. Une telle répartition des charges [...] est [...] conforme au principe de solidarité des producteurs, étant donné que la production constitue un critère légitime pour apprécier à la fois la puissance économique des
producteurs et les bénéfices qu’ils tirent du système » ( 151 ).

251. En se prononçant ainsi, la Cour a clairement affirmé que le principe de solidarité impliquait nécessairement de devoir accepter parfois un partage des charges.

252. Plus récemment, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Grzelczyk ( 152 ), la Cour a invoqué la citoyenneté de l’Union en combinaison avec la solidarité comme bases pour l’obligation incombant au Royaume de Belgique d’accorder à M. Grzelczyk le bénéfice de la même prestation (le minimex) que ses camarades étudiants pour la dernière année de ses études. Dans l’arrêt Bidar ( 153 ), la Cour s’est appuyée sur l’arrêt Grzelczsyk pour dire que, si un État membre pouvait légitimement exiger « un
certain degré d’intégration » dans la société de l’État membre d’accueil avant de faire preuve de solidarité financière, il ne pouvait pas imposer des conditions supplémentaires rendant impossible pour des citoyens de l’Union provenant d’autres États membres l’accès au bénéfice de prêts étudiants alors qu’ils satisfont à la condition de résidence.

253. La solidarité constitue l’épine dorsale du projet européen. De par leur participation à ce projet et leur citoyenneté de l’Union, les États membres et leurs ressortissants ont des obligations et des avantages, des devoirs tout comme des droits. Au sein du « dèmos » européen, le partage ne consiste pas à piocher dans les traités et dans le droit dérivé pour voir ce qui peut être réclamé. Cela demande aussi d’assumer des responsabilités et (en effet) des charges collectives pour la promotion du
bien commun.

254. Respecter les « règles du jeu » et remplir son rôle dans la solidarité avec les autres Européens ne saurait se fonder sur une analyse coûts‑avantages digne de comptes d’apothicaire dans le sens (hélas familier dans le discours des partisans du Brexit) de « combien me coûte précisément l’Union chaque semaine et qu’est‑ce j’en retire personnellement ? ». Un tel égocentrisme vient trahir la vision des pères fondateurs d’un continent pacifique et prospère. C’est l’antithèse du fait d’être un État
membre loyal et de mériter, en tant qu’individu, une citoyenneté de l’Union commune. Si le projet européen doit prospérer et aller de l’avant, nous devons tous faire mieux que cela.

255. Je conclurai en rappelant une vieille histoire de la tradition juive qui mérite d’être mieux connue. Un groupe d’hommes voyagent ensemble sur un bateau. Soudain, l’un d’entre eux s’empare d’une vrille et commence à forer un trou dans la coque en dessous de lui. Ses compagnons le tancent. « Pourquoi fais‑tu cela ? », s’exclament‑ils. « De quoi vous plaignez-vous ? », dit l’homme. « N’est‑ce pas sous mon siège que je fore ce trou ? »« Si », répondent‑ils, « mais l’eau va s’engouffrer et remplir
notre bateau à tous » ( 154 ).

Sur les dépens

256. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission a conclu à la condamnation aux dépens dans chacun des recours en manquement dirigés contre les trois États membres défendeurs et chacun d’entre eux a succombé. La République de Pologne, la Hongrie et la République tchèque doivent donc être condamnées à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la
Commission.

257. Conformément à l’article 140, paragraphe 1, dudit règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

Conclusion

258. Au vu des considérations qui précèdent, je suis d’avis que la Cour :

Dans l’affaire C‑715/17, Commission/Pologne

1°) constate que, en n’ayant pas indiqué à intervalles réguliers, et au moins tous les trois mois, un nombre approprié de demandeurs pouvant faire rapidement l’objet d’une relocalisation sur son territoire et toute autre information utile, conformément à l’article 5, paragraphe 2, de la décision (UE) 2015/1523 du Conseil, du 14 septembre 2015, instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l’Italie et de la Grèce, et à l’article 5, paragraphe 2, de la
décision (UE) 2015/1601 du Conseil, du 22 septembre 2015, instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l’Italie et de la Grèce, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 5 de ces décisions.

En conséquence, la relocalisation de demandeurs prévue à l’article 4 de la décision 2015/1523 et par l’article 4 de la décision 2015/1601 n’est pas intervenue conformément à la procédure prévue à l’article 5 desdites décisions. La violation de l’article 5 desdites décisions a notamment empêché la République hellénique et la République italienne de procéder à l’identification des demandeurs individuels qui auraient pu être relocalisés en Pologne en vertu de l’article 5, paragraphe 3, des mêmes
décisions et d’adopter des décisions de relocalisation en application de l’article 5, paragraphe 4, de ces décisions en méconnaissance du principe de coopération loyale de l’article 4, paragraphe 3, TUE.

Il s’ensuit que la République de Pologne a également manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 5, paragraphes 5 à 11, de la décision 2015/1523 et de la décision 2015/1601, notamment celle de mener à bien le plus rapidement possible la procédure de relocalisation, comme le prévoit l’article 5, paragraphe 10, de ces décisions ;

2°) condamne la République de Pologne aux dépens ;

3°) dise que la République tchèque et la Hongrie supporteront leurs propres dépens.

Dans l’affaire C‑718/17, Commission/Hongrie

1°) constate que, en n’ayant pas indiqué à intervalles réguliers, et au moins tous les trois mois, un nombre approprié de demandeurs pouvant faire rapidement l’objet d’une relocalisation sur son territoire et toute autre information utile, conformément à l’article 5, paragraphe 2, de la décision 2015/1601, la Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 5 de cette décision.

En conséquence, la relocalisation de demandeurs prévue à l’article 4 de la décision 2015/1601 n’est pas intervenue conformément à la procédure prévue à l’article 5 de cette décision. La violation de cet article 5 a notamment empêché la République hellénique et la République italienne de procéder à l’identification des demandeurs individuels qui auraient pu être relocalisés en Hongrie en vertu de l’article 5, paragraphe 3, de ladite décision et d’adopter des décisions de relocalisation en
application de l’article 5, paragraphe 4, de la même décision, en méconnaissance du principe de coopération loyale de l’article 4, paragraphe 3, TUE.

Il s’ensuit que la Hongrie a également manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 5, paragraphes 5 à 11, de la décision 2015/1601, notamment celle de mener à bien le plus rapidement possible la procédure de relocalisation, comme le prévoit l’article 5, paragraphe 10, de ladite décision ;

2°) condamne la Hongrie aux dépens ;

3°) dise que la République tchèque et la République de Pologne supporteront leurs propres dépens.

Dans l’affaire C‑719/17, Commission/République tchèque

1°) constate que, en n’ayant pas indiqué à intervalles réguliers, et au moins tous les trois mois, un nombre approprié de demandeurs pouvant faire rapidement l’objet d’une relocalisation sur son territoire et toute autre information utile, conformément à l’article 5, paragraphe 2, de la décision 2015/1523 et de l’article 5, paragraphe 2, de la décision 2015/1601, la République tchèque a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 5 de ces décisions.

En conséquence, la relocalisation de demandeurs prévue à l’article 4 de la décision 2015/1523 et à l’article 4 de la décision 2015/1601 n’est pas intervenue conformément à la procédure prévue à l’article 5 desdites décisions. La violation de l’article 5 desdites décisions a notamment empêché la République hellénique et la République italienne de procéder à l’identification des demandeurs individuels qui auraient pu être relocalisés en République tchèque en vertu de l’article 5, paragraphe 3,
desdites décisions et d’adopter des décisions de relocalisation en application de l’article 5, paragraphe 4, des mêmes décisions en méconnaissance du principe de coopération loyale de l’article 4, paragraphe 3, TUE.

Il s’ensuit que la République tchèque a également manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 5, paragraphes 5 à 11, de la décision 2015/1523, notamment celle de mener à bien le plus rapidement possible la procédure de relocalisation, comme le prévoit l’article 5, paragraphe 10, de ladite décision ;

2°) condamne la République tchèque aux dépens ;

3°) dise que la Hongrie et la République de Pologne supporteront leurs propres dépens.

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( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31). Le règlement Dublin III est la troisième mesure de la sorte pour déterminer l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale, adopté à la suite de la
convention relative à la détermination de l’État responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres des Communautés européennes (convention de Dublin, JO 1997, C 254, p. 1), qui a été remplacée par le règlement (CE) no 343/2003 du Conseil, du 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers (JO 2003, L 50,
p. 1, le règlement dit « Dublin II »).

( 3 ) Pour une présentation plus détaillée de ces événements, voir mes conclusions dans les affaires A.S. et Jafari (C‑490/16 et C‑646/16, EU:C:2017:443, points 1 à 18).

( 4 ) Un grand nombre d’entrées ont également eu lieu par la voie des « Balkans occidentaux », comme je l’ai décrit dans mes conclusions dans les affaires A.S. et Jafari (C‑490/16 et C‑646/16, EU:C:2017:443, points 7 à 18).

( 5 ) L’article 13 du règlement Dublin III dispose que « [lorsque] le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale ». D’une manière générale, la plupart des demandeurs de protection internationale entrés en Italie et en Grèce ont relevé de cette disposition.

( 6 ) Dans mes conclusions dans l’affaire Mengesteab (C‑670/16, EU:C:2017:480, points 69 à 73), j’ai attiré l’attention sur certains problèmes sous‑jacents posés à l’article 13 du règlement Dublin III attribuant automatiquement la responsabilité à un État membre « côtier » qui accueille des personnes débarquant après une opération de recherche et de sauvetage en mer. Ces questions (délicates) n’ont toujours pas été résolues.

( 7 ) Déjà en 2011, la Cour a reconnu dans l’arrêt du 21 décembre 2011, N. S. e.a. (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865, points 81 à 94), que des circonstances pouvaient faire qu’un État membre (en l’espèce, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord) ne pouvait pas renvoyer un demandeur d’asile en Grèce, car le système de cet État membre pour le traitement des demandes de protection internationale était proche de la saturation.

( 8 ) Décision du Conseil du 14 septembre 2015 instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l’Italie et de la Grèce (JO 2015, L 239, p. 146).

( 9 ) Décision du Conseil du 22 septembre 2015 instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l’Italie et de la Grèce (JO 2015, L 248, p. 80).

( 10 ) Arrêt du 6 septembre 2017, Slovaquie et Hongrie/Conseil (C‑643/15 et C‑647/15, EU:C:2017:631, ci‑après l’« arrêt République slovaque et Hongrie/Conseil »). Voir, également, points 62 à 69 des présentes conclusions.

( 11 ) Voir points 86 à 88 des présentes conclusions sur le petitum de chacun de ces recours.

( 12 ) Proclamée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948 à Paris, résolution 217 A (III) de l’Assemblée générale des Nations unies.

( 13 ) Bien que la déclaration universelle des droits de l’homme ne soit pas un texte juridiquement contraignant, elle constitue une référence, tant en droit international qu’en droit de l’Union. Voir The Universal Declaration of Human Rights and its relevance for the European Union, Parlement européen, 2018, EPRS‑ATA (2018)628295_EN.

( 14 ) Signée à Genève le 28 juillet 1951 et entrée en vigueur le 22 avril 1954 [Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, p. 150, no 2545 (1954)], complétée par le protocole relatif au statut des réfugiés, signé à New York le 31 janvier 1967 [Recueil des traités des Nations unies, vol. 606, p. 268, no 8791 (1967)] et entré en vigueur le 4 octobre 1967 (ci‑après, ensemble, la « convention de Genève »).

( 15 ) Le considérant 2 du règlement Dublin III indique qu’une politique commune dans le domaine de l’asile, incluant un RAEC, « est un élément constitutif de l’objectif de l’Union européenne visant à mettre en place progressivement un espace de liberté, de sécurité et de justice ouvert à ceux qui, poussés par les circonstances, recherchent légitimement une protection dans l’Union ».

( 16 ) JO 2012, C 326, p. 391.

( 17 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9). Elle abroge l’ancienne directive 2004/83/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les
normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts (JO 2004, L 304, p. 12). Cette directive 2004/83 renfermait également des dispositions relatives à l’exclusion du statut de réfugié (article 12) et de celui conféré par la protection subsidiaire (article 17) ainsi qu’à
la révocation ou la fin de ce statut (l’article 14 en ce qui concerne les réfugiés et l’article 19 en ce qui concerne les bénéficiaires de la protection subsidiaire) lorsqu’il existe des motifs raisonnables de considérer la personne concernée comme une menace pour la sécurité de l’État membre dans lequel elle se trouve.

( 18 ) Les principales différences sont que, d’une part, l’article 12, paragraphe 2, sous b), retient un « crime grave de droit commun » et dispose que « les actions particulièrement cruelles, même si elles sont commises avec un objectif prétendument politique, pourront recevoir la qualification de crimes graves de droit commun » et, d’autre part, que l’article 12, paragraphe 2, sous c), vise explicitement le fait de s’être rendu coupable « d’agissements contraires aux buts et aux principes des
Nations unies tels qu’ils figurent dans le préambule et aux articles 1er et 2 de la charte des Nations unies » comme motif d’exclusion.

( 19 ) Voir, également, considérant 37 qui énonce que « [l]a notion de sécurité nationale et d’ordre public couvre également les cas dans lesquels un ressortissant d’un pays tiers appartient à une association qui soutient le terrorisme international ou soutient une telle association ».

( 20 ) Le libellé de l’article 19, paragraphe 2, indique « [...] aurait dû être exclu [...] en vertu de l’article 17, paragraphe 3 » (mise en italique par mes soins). Dès lors que ce dernier confère aux États membres une faculté d’exclure un demandeur et non une obligation de le faire, j’ai usé dans les présentes conclusions du verbe « pouvoir », qui me paraît plus logique.

( 21 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60).

( 22 ) Pour m’exprimer en termes feutrés, la rédaction de l’article 25 est passablement alambiquée et j’invite le lecteur intéressé par une étude plus approfondie de cette question à lire dans son intégralité le texte de la directive relative aux procédures.

( 23 ) Dans ce contexte, voir, également, considérant 20 de ladite directive : « [d]ans des circonstances bien définies, [...] s’il existe des préoccupations graves liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public, les États membres devraient pouvoir accélérer la procédure d’examen, notamment en instaurant des délais plus courts, mais raisonnables, pour certaines étapes de la procédure, sans préjudice de la réalisation d’un examen approprié et exhaustif et de l’accès effectif du demandeur aux
garanties et principes fondamentaux prévus par la présente directive ».

( 24 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 96, rectificatif JO 2015, L 100, p. 81).

( 25 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98).

( 26 ) Les États membres peuvent ne pas appliquer cette directive aux ressortissants de pays tiers dans les deux cas d’exception énumérés en son article 2, paragraphe 2, à savoir aux personnes « a) faisant l’objet d’une décision de refus d’entrée conformément à l’article 13 du code frontières Schengen, ou arrêtés ou interceptés par les autorités compétentes à l’occasion du franchissement irrégulier par voie terrestre, maritime ou aérienne de la frontière extérieure d’un État membre et qui n’ont pas
obtenu par la suite l’autorisation ou le droit de séjourner dans ledit État membre » ou « b) faisant l’objet d’une sanction pénale prévoyant ou ayant pour conséquence leur retour, conformément au droit national, ou faisant l’objet de procédures d’extradition ». En outre, cette directive ne s’applique pas « aux personnes jouissant du droit [de l’Union] à la libre circulation, telles que définies à l’article 2, point 5), du code frontières Schengen » (exception qui ne devrait guère avoir de pertinence
en l’espèce).

( 27 ) Décision que l’article 3, point 4, définit comme étant « une décision ou un acte de nature administrative ou judiciaire déclarant illégal le séjour d’un ressortissant d’un pays tiers et imposant ou énonçant une obligation de retour » (ce dernier terme étant plus précisément défini à l’article 3, point 3).

( 28 ) Recommandation concernant un programme européen de réinstallation [C(2015) 3560 final].

( 29 ) Voir l’exposé des motifs de la proposition de la Commission de décision du Conseil modifiant la décision 2015/1601 [COM(2016) 171 final], p. 2. Les États associés au système de Dublin ont participé, avec les États membres à l’initiative qui s’en est suivie.

( 30 ) Document du Conseil 11130/15 : « Conclusions des représentants des gouvernements des États membres, réunis au sein du Conseil, concernant la réinstallation, au moyen de mécanismes multilatéraux et nationaux, de 20000 personnes ayant manifestement besoin d’une protection internationale » (ci-après la « résolution du 20 juillet 2015 »).

( 31 ) Voir document du Conseil 11969/15 PRESSE 53 PR CO 45 sur la 3 498e session du Conseil. Conformément aux protocoles nos 21 et 22 annexés aux traités de l’Union, le Royaume de Danemark, l’Irlande et le Royaume‑Uni n’ont pas pris part à l’adoption de la décision 2015/1523.

( 32 ) Voir arrêt République slovaque et Hongrie/Conseil, point 11. À la demande de la Hongrie, le Conseil a amendé la proposition initiale de la Commission pour supprimer toute référence à la Hongrie en tant qu’État membre bénéficiaire. Lors du vote qui a suivi, la République tchèque, la Hongrie, la Roumanie et la République slovaque se sont prononcées contre la proposition amendée, et la République de Finlande s’est abstenue. Tout comme pour la décision 2015/1523, conformément aux protocoles
nos 21 et 22 annexés aux traités de l’Union, le Royaume de Danemark, l’Irlande et le Royaume‑Uni n’ont pas pris part à l’adoption de la décision 2015/1601.

( 33 ) COM(2016) 171 final, point 1.2, p. 3.

( 34 ) Les considérants 1 à 5 de la décision 2015/1601 sont à l’image des considérants 1 à 5 de la décision 2015/1523. Je ne vais donc pas les reproduire au point 51 des présentes conclusions. Les numérotations divergent après les énonciations des cinq premiers considérants, mais, en substance, les contenus sont généralement identiques.

( 35 ) Règlement du 2 septembre 2003 portant modalités d’application du règlement no 343/2003 (JO 2003, L 222, p. 3).

( 36 ) Règlement du 30 janvier 2014 modifiant le règlement no 1560/2003 (JO 2014, L 39, p. 1).

( 37 ) Règlement du 16 avril 2014 portant création du Fonds « Asile, migration et intégration », modifiant la décision 2008/381/CE du Conseil et abrogeant les décisions no 573/2007/CE et no 575/2007/CE du Parlement européen et du Conseil et la décision 2007/435/CE du Conseil (JO 2014, L 150, p. 168).

( 38 ) L’article 8 de la décision 2015/1523 précise les mesures complémentaires qui devaient être prises par les États membres situés en première ligne, et chacun de ces États membres devait présenter à la Commission une « feuille de route » le 16 septembre 2015.

( 39 ) Les considérants 1 à 5 de la décision 2015/1601 reproduisent les considérants 1 à 5 de la décision 2015/1523, exposés au point 42 des présentes conclusions.

( 40 ) Les considérants de la décision 2015/1601 correspondant à ceux de la décision 2015/1523 déjà cités au point 42 des présentes conclusions sont les considérants 10, 16, 21, 22, 23, 24, 30, 31, 32 et 38. Pour éviter toute répétition, je ne les ai pas exposés une seconde fois.

( 41 ) La décision 2015/1601 a ainsi été modifiée par la décision (UE) 2016/1754 du Conseil, du 29 septembre 2016, modifiant la décision 2015/1601 instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l’Italie et de la Grèce (JO 2016, L 268, p. 82) : voir point 55 et note 42 des présentes conclusions.

( 42 ) L’article 4, paragraphe 3 bis, de la décision 2015/1601 a été inséré par la décision2016/1754. L’objectif de cette modification consistait à tenir compte des efforts consentis par les États membres en admettant des Syriens présents en Turquie, dans le cadre d’une réinstallation, d’une admission humanitaire ou d’autres formes d’admission légale, au regard du nombre total de demandeurs de protection internationale devant être relocalisés vers leur territoire en vertu de la décision 2015/1601.
S’agissant des 54000 demandeurs visés à l’article 4, paragraphe 1, sous c), de la décision 2015/1601, cette modification permettait aux États membres de soustraire de leur contingent de demandeurs à relocaliser le nombre de Syriens présents en Turquie admis sur leur territoire dans le cadre d’une réinstallation, d’une admission humanitaire ou d’autres formes d’admission légale au titre de mécanismes nationaux ou multilatéraux autres que le programme de réinstallation institué en vertu des
conclusions des représentants des gouvernements des États membres, réunis au sein du Conseil, du 20 juillet 2015. L’article 10 de la décision 2015/1601 était applicable, ce qui signifiait que les États membres qui avaient recours à ce dispositif recevaient la somme de 6500 euros par demandeur relocalisé. Voir COM(2016) 171 final, point 2.1.

( 43 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d’Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application efficace du règlement (UE) no 604/2013 et relatif aux demandes de comparaison avec les données d’Eurodac présentées par les autorités répressives des États membres et Europol à des fins répressives, et modifiant le règlement (UE) no 1077/2011 portant création d’une agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes
d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (JO 2013, L 180, p. 1). L’article 9, paragraphe 1, du règlement no 603/2013 prévoit que « chaque État membre relève sans tarder l’empreinte digitale de tous les doigts de chaque demandeur d’une protection internationale âgé de 14 ans au moins ».

( 44 ) L’article 5, paragraphe 9, de la décision 2015/1601 était, en substance, une version plus développée de l’article 5, paragraphe 9, de la décision 2015/1523.

( 45 ) Voir, en outre, point 74 des présentes conclusions. À titre de référence, ces rapports sont les suivants : premier rapport du 16 mars 2016 [COM(2016) 165 final] ; deuxième rapport du 12 avril 2016 [COM(2016) 222 final] ; troisième rapport du 18 mai 2016 [COM(2016) 360 final] ; quatrième rapport du 15 juin 2016 [COM(2016) 416 final] ; cinquième rapport du 13 juillet 2016 [COM(2016) 480 final] ; sixième rapport du 28 septembre 2016 [COM(2016) 636 final] ; septième rapport du 9 novembre 2016
[COM(2016) 720 final] ; huitième rapport du 8 décembre 2016 [COM(2016) 791 final] ; neuvième rapport du 8 février 2017 [COM(2017) 74 final] ; dixième rapport du 2 mars 2017 [COM(2017) 202 final] ; onzième rapport du 12 avril 2017 [COM(2017) 212 final] ; douzième rapport du 16 mai 2017 [COM(2017) 260 final] ; treizième rapport du 13 juin 2017 [COM(2017) 330 final] ; quatorzième rapport du 26 juillet 2017 [COM(2017) 405 final], et quinzième rapport du 6 septembre 2017 [COM(2017) 465 final]. Par la
suite, sur la base de sa communication du 13 mai 2015 sur l’agenda européen en matière de migration [COM(2015) 240 final], la Commission a publié un premier rapport d’avancement le 15 novembre 2017 [COM(2017) 669 final] ; un deuxième rapport d’avancement le 14 mars 2018 [COM(2018) 250 final] ; un troisième rapport d’avancement le 16 mai 2018 [COM(2018) 301 final], et un quatrième rapport d’avancement le 6 mars 2019 [COM(2019) 126 final].

( 46 ) La République de Pologne est intervenue au soutien de la République slovaque et de la Hongrie. Le Royaume de Belgique, la République française, la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique, la République italienne, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume de Suède et la Commission ont soutenu la position du Conseil en faveur de la décision 2015/1601.

( 47 ) Conclusions de l’avocat général Bot dans les affaires République slovaque/Conseil et Hongrie/Conseil, C‑643/15 et C‑647/15, EU:C:2017:618.

( 48 ) Voir points 82 à 90 des présentes conclusions concernant la procédure précontentieuse.

( 49 ) Par souci de précision, je rappelle que l’arrêt République slovaque et Hongrie/Conseil concernait uniquement la décision 2015/1601. Le délai pour contester la décision précédente, à savoir la décision 2015/1523, avait expiré depuis longtemps. En outre, au regard de leur mécanisme essentiel, ces deux décisions sont similaires. La République de Pologne et la République tchèque sont les deux seuls États membres dont le non‑respect de la décision 2015/1523 est actuellement en cause devant la
Cour. Au risque d’être pragmatique plutôt que puriste, je ne vois pas en quoi il est réaliste de supposer – au vu de l’arrêt approfondi et détaillé rendu dans l’affaire République slovaque et Hongrie/Conseil – que l’un ou l’autre de ces États membres puisse avancer un quelconque nouvel argument susceptible de remettre en cause avec succès la validité de la décision 2015/1523 (et, d’ailleurs, aucun de ces États membres n’a présenté de conclusions en ce sens).

( 50 ) Voir point 39 et note 29 des présentes conclusions.

( 51 ) Aucun élément n’a été produit devant la Cour en ce qui concerne le contenu de cette résolution. Voir, en outre, point 79 des présentes conclusions.

( 52 ) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen et au Conseil, COM(2016) 120 final. Cette communication constituait le fondement des rapports auxquels il est fait référence à la note 45 des présentes conclusions et cités aux points 75, 76, 80 et 81 des présentes conclusions.

( 53 ) Voir note 45 des présentes conclusions (paragraphe 1, p. 2 de ce premier rapport).

( 54 ) Voir note 45 des présentes conclusions (paragraphe 2, p. 3 de ce quatrième rapport).

( 55 ) Ref. Ares(2017)2738421-31/05/2017.

( 56 ) Voir note 45 des présentes conclusions (paragraphe 2, p. 4 de ce dixième rapport).

( 57 ) Voir note 45 des présentes conclusions (paragraphe 2, p. 3 de ce quinzième rapport).

( 58 ) Les dates des lettres étaient respectivement le 15 juin 2017 (affaire C‑718/17, Commission/Hongrie, et affaire C‑719/17, Commission/République tchèque) et le 16 juin 2017 (affaire C‑715/17, Commission/Pologne).

( 59 ) Voir arrêt du 24 mai 2011, Commission/Grèce (C‑61/08, EU:C:2011:340, point 122 et jurisprudence citée).

( 60 ) Voir, également, points 107 à 110 des présentes conclusions, en ce qui concerne la violation alléguée du principe d’égalité de traitement.

( 61 ) Arrêt du 24 avril 2007, Commission/Pays‑Bas (C‑523/04, EU:C:2007:244, point 28).

( 62 ) Voir von Bardeleben, E., Donnat, F., et Siritzky, D., La Cour de justice de l’Union européenne et le droit du contentieux européen, La Documentation française, Paris, 2012, p. 196.

( 63 ) Voir arrêt du 19 septembre 2017, Commission/Irlande (Taxe d’immatriculation) (C‑552/15, EU:C:2017:698, point 35 et jurisprudence citée).

( 64 ) Arrêt du 9 juillet 1970, Commission/France (26/69, EU:C:1970:67, points 9 et 10).

( 65 ) Arrêt du 9 novembre 1999, Commission/Italie (C‑365/97, EU:C:1999:544).

( 66 ) Arrêt du 9 décembre 2004, Commission/France (C‑177/03, EU:C:2004:784).

( 67 ) Arrêt du 9 décembre 2004, Commission/France (C‑177/03, EU:C:2004:784, point 21).

( 68 ) Arrêts du 3 mars 2016, Commission/Malte (C‑12/14, EU:C:2016:135, point 26), et du 6 octobre 2009, Commission/Espagne (C‑562/07, EU:C:2009:614, point 25 et jurisprudence citée).

( 69 ) Arrêt du 9 juillet 1970, Commission/France (26/69, EU:C:1970:67, point 10). Mise en italique par mes soins.

( 70 ) Comme l’indique la Cour dans son arrêt du 15 novembre 2012, Commission/Portugal (C‑34/11, EU:C:2012:712, point 36), cité par la République de Pologne dans ses mémoires, la Commission a un avantage à tirer d’une telle clarification, même si celle‑ci concerne une situation passée.

( 71 ) La Hongrie soulève un autre argument technique, propre à son cas, que j’aborderai brièvement au point 120 des présentes conclusions.

( 72 ) Voir arrêt du 19 septembre 2017, Commission/Irlande (Taxe d’immatriculation) (C‑552/15, EU:C:2017:698, point 34 et jurisprudence citée).

( 73 ) Arrêt du 3 mars 2016, Commission/Malte (C‑12/14, EU:C:2016:135, point 25).

( 74 ) Voir arrêt du 11 juillet 2018, Commission/Belgique (C‑356/15, EU:C:2018:555, point 106 et jurisprudence citée).

( 75 ) Ainsi, par exemple, le treizième rapport sur la relocalisation et la réinstallation indique que la République d’Autriche a pris son premier et dernier engagement formel de relocalisation en mai 2017. Cet engagement concernait apparemment 50 personnes en provenance d’Italie, dont 15 ont effectivement été relocalisées vers le territoire autrichien (voir annexe 2 du treizième rapport).

( 76 ) Dans ses mémoires, la République de Pologne a invoqué de manière similaire le grief tiré de la brièveté des délais qui lui ont été accordés pour répondre à la correspondance précontentieuse, sans toutefois soutenir que ses droits de la défense ont été violés. Dans cette partie de ses mémoires, la République de Pologne tente, selon moi, de démontrer que la Commission cherchait à établir les manquements commis par les trois États membres défendeurs afin de les stigmatiser pour leur résistance
au mécanisme de relocalisation imposé par les décisions de relocalisation.

( 77 ) Voir arrêt du 19 septembre 2017, Commission/Irlande (Taxe d’immatriculation) (C‑552/15, EU:C:2017:698, point 28 et jurisprudence citée).

( 78 ) Voir arrêt du 19 septembre 2017, Commission/Irlande (Taxe d’immatriculation) (C‑552/15, EU:C:2017:698, point 29 et jurisprudence citée).

( 79 ) Arrêt du 13 décembre 2001, Commission/France (C‑1/00, EU:C:2001:687, point 65 et jurisprudence citée). Mise en italique par mes soins.

( 80 ) Voir arrêt du 19 septembre 2017, Commission/Irlande (Taxe d’immatriculation) (C‑552/15, EU:C:2017:698, point 34 et jurisprudence citée).

( 81 ) Arrêt du 2 février 1988, Commission/Belgique (293/85, EU:C:1988:40).

( 82 ) Arrêt du 7 avril 2011, Commission/Portugal (C‑20/09, EU:C:2011:214, point 41).

( 83 ) Je rappelle que, dans le cas de la Hongrie, seule la décision 2015/1601 est en cause.

( 84 ) Voir, également, points 138 à 143 des présentes conclusions en ce qui concerne la définition du manquement allégué.

( 85 ) Par souci d’exhaustivité, je mentionne que les arguments avancés devant la Cour par les trois États membres défendeurs (dans leurs mémoires en défense, répliques et mémoires en intervention) sont analogues à ceux soulevés dans leurs réponses aux lettres de mise en demeure et aux avis motivés. Cela confirme ma conclusion selon laquelle, malgré les délais relativement courts fixés pour répondre à la correspondance de la Commission pendant la période précontentieuse, il n’a pas été porté
atteinte aux droits de la défense des États membres.

( 86 ) Voir, en outre, points 169 à 171 des présentes conclusions.

( 87 ) Le point 21 de la requête de la Commission explique le lien entre les deux dates concernées (13 mai et 13 août 2016).

( 88 ) Avis publié au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2018, C 112, p. 19).

( 89 ) La République tchèque a fait remarquer que le petitum de la requête présentée à l’encontre de la Hongrie (affaire C‑718/17) ne mentionnait pas non plus la date à laquelle le manquement a commencé. La Hongrie n’a pas soulevé cet aspect dans son mémoire en défense. Je constate que, alors que la République de Pologne et la République tchèque ont toutes deux procédé à des notifications limitées au titre de l’article 5, paragraphe 2, des décisions de relocalisation, la Hongrie n’a jamais rempli,
même partiellement, ses obligations au titre de la décision 2015/1601. Il n’était donc pas nécessaire (si ce n’est, uniquement pour la forme) de préciser une date de début du manquement en ce qui concerne la Hongrie.

( 90 ) Voir arrêt du 19 septembre 2017, Commission/Irlande (Taxe d’immatriculation) (C‑552/15, EU:C:2017:698, point 38 et jurisprudence citée).

( 91 ) Aux points 21 et 33 de la requête présentée par la Commission.

( 92 ) Je rappelle que « l’objet d’un recours en manquement [...] est circonscrit par la procédure précontentieuse [...] de sorte que le recours doit être fondé sur les mêmes motifs et moyens que l’avis motivé » (voir arrêt du 8 décembre 2005, Commission/Luxembourg, C‑33/04, EU:C:2005:750, point 36).

( 93 ) Voir points 172 à 176 des présentes conclusions.

( 94 ) Au point 66. Par la suite, aux points 70 à 74, la Cour a examiné plus en détails la nature des « mesures provisoires » adoptées en vertu de l’article 78, paragraphe 3, TFUE et elle a expliqué que l’article 78, paragraphes 2 et 3, sont deux dispositions de droit primaire distinctes poursuivant des objectifs différents. Les mesures adoptées en vertu de l’article 78, paragraphe 3, TFUE sont des mesures « provisoires à caractère non législatif visant à répondre à brève échéance à une situation
d’urgence donnée à laquelle des États membres seraient confrontés » (point 73). Voir, également, points 64 à 68 des conclusions de l’avocat général Bot dans ces affaires (C-643/15 et C-647/15, EU:C:2017:618).

( 95 ) Voir arrêts du 22 octobre 2014, Commission/Pays‑Bas (C‑252/13, EU:C:2014:2312, point 34) ; du 16 janvier 2014, Commission/Espagne (C‑67/12, EU:C:2014:5, point 42), et du 16 juillet 2009, Commission/Pologne (C‑165/08, EU:C:2009:473, point 43).

( 96 ) En ce qui concerne la formulation exacte et le petitum dans chacune de ces trois procédures en manquement, voir points 86 à 88 des présentes conclusions.

( 97 ) En ce qui concerne l’incidence de l’article 4, paragraphe 3 bis, de la décision 2015/1601, inséré par la décision 2015/1754, voir note 42.

( 98 ) Voir point 70 des présentes conclusions.

( 99 ) Voir point 72 des présentes conclusions.

( 100 ) Voir point 71 des présentes conclusions.

( 101 ) La République de Pologne cite, à cet égard, l’arrêt du 9 décembre 1997, Commission/France (C‑265/95, EU:C:1997:595, point 33).

( 102 ) L’expression « État membre de relocalisation » est le terme utilisé dans l’arrêt République slovaque et Hongrie/Conseil pour désigner l’État membre dans lequel la relocalisation doit avoir lieu depuis un État membre situé en première ligne. Voir, par exemple, point 290, de l’arrêt République slovaque et Hongrie/Conseil.

( 103 ) Arrêt du 19 juillet 2012 (C‑278/12 PPU, EU:C:2012:508).

( 104 ) Règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2006, L 105, p. 1).

( 105 ) Arrêt du 19 juillet 2012, Adil (C‑278/12 PPU, EU:C:2012:508, points 53 et 54).

( 106 ) Arrêt du 19 juillet 2012, Adil (C‑278/12 PPU, EU:C:2012:508, point 56).

( 107 ) Arrêt du 19 juillet 2012, Adil (C‑278/12 PPU, EU:C:2012:508, point 66).

( 108 ) Arrêt du 21 juin 2017 (C‑9/16, EU:C:2017:483).

( 109 ) Argument de la République de Pologne, tel qu’exposé au point 306 de l’arrêt.

( 110 ) Au point 309 de l’arrêt.

( 111 ) Arrêt du 15 février 2016 (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 65).

( 112 ) Arrêt du 11 juin 2015 (C‑554/13, EU:C:2015:377, point 48).

( 113 ) Voir mes conclusions dans les affaires A.S. et Jafari (C‑490/16 et C‑646/16, EU:C:2017:443, point 4).

( 114 ) Voir point 19 des présentes conclusions.

( 115 ) Voir (passim) arrêt du 27 octobre 1977, Bouchereau, 30/77, EU:C:1977:172 [affaire ayant eu à connaître de l’interprétation des articles 2 et 3 de la directive 64/221/CEE du Conseil, du 25 février 1964, pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique (JO 1964, P 56, p. 850)]. Aujourd’hui, dans le même contexte de la libre circulation des personnes, voir
article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77, rectificatifs JO 2004, L 229, p. 35, et JO 2005,
L 197, p. 34).

( 116 ) La validité de la décision 2015/1601 a évidemment été confirmée par l’arrêt (grande chambre) République slovaque et Hongrie/Conseil.

( 117 ) Les renvois préjudiciels opérés dans le cadre de cette affaire ont donné lieu aux arrêts du 19 juin 1990, Factortame e.a., C‑213/89, EU:C:1990:257 (sur des mesures provisoires) ; du 25 juillet 1991, Factortame e.a., C‑221/89, EU:C:1991:320 (sur le fond), et du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C‑46/93 et C‑48/93, EU:C:1996:79 (sur les dommages‑intérêts). Les conclusions prudentes de l’avocat général Mischo dans l’affaire Factortame e.a. (C‑221/89, non publiées, EU:C:1991:113)
méritent notamment d’être étudiées. La Commission avait également formé un recours en manquement contre le Royaume‑Uni (arrêt du 4 octobre 1991, Commission/Royaume‑Uni, C‑246/89, EU:C:1991:375), et, parallèlement (avec succès), une demande de mesures provisoires (ordonnance du 10 octobre 1989, Commission/Royaume‑Uni, 246/89 R, EU:C:1989:368).

( 118 ) En tant que navigatrice (de la vielle école), techniquement, en langue anglaise, un navire « porte » un pavillon (wears a flag) et ne le fait pas « voler »(fly a flag). Les versions en langue anglaise de ces documents de la Cour ont cependant consacré le verbe to fly (voler) ; aussi je garderai ce verbe dans les passages cités.

( 119 ) Cette affaire concernait 95 navires qui, jusqu’alors, étaient immatriculés au registre des navires britanniques au titre de la Merchant Shipping Act 1894 (loi de 1894 sur la marine marchande). 53 de ces navires étaient, à l’origine, immatriculés en Espagne et battaient pavillon espagnol, mais ils ont été immatriculés dans le registre britannique à des dates diverses à compter de 1980. Les 42 navires restants ont toujours été immatriculés au Royaume‑Uni, mais ils ont été achetés par des
sociétés espagnoles à des dates diverses. L’une des sociétés, la société Rawlings Trawling – admirablement qualifiée de « prise accessoire » par Nicholas Forwood (alors un barrister de haut rang) lors de l’audience sur les mesures provisoires [arrêt du 19 juin 1990, Factortame e.a., (C‑213/89, EU:C:1990:216)] –, n’était pas espagnole, mais s’est trouvée emberlificotée dans la bataille judiciaire qui s’en est suivie. Voir arrêt du 25 juillet 1991, Factortame e.a. (C‑221/89, EU:C:1991:320, points 3
à 10).

( 120 ) Les États membres invoquaient l’article 5, paragraphe 1, de la convention sur la haute mer, signée à Genève le 29 avril 1958 (Nations unies, Recueil des traités, vol. 450, p. 11) : « [c]haque État fixe les conditions auxquelles il accorde sa nationalité aux navires ainsi que les conditions d’immatriculation et du droit de battre son pavillon. Les navires possèdent la nationalité de l’État dont ils sont autorisés à battre pavillon. Il doit exister un lien substantiel entre l’État et le
navire ; l’État doit notamment exercer effectivement sa juridiction et son contrôle, dans les domaines technique, administratif et social, sur les navires battant son pavillon ».

( 121 ) Arrêt du 25 juillet 1991, Factortame e.a. (C‑221/89, EU:C:1991:320, point 13). Dans l’arrêt du 19 janvier 1988, Pesca Valentia (223/86, EU:C:1988:14, point 13), la Cour avait déjà jugé que les dispositions du règlement du Conseil portant établissement d’une politique commune des structures dans le secteur de la pêche se référaient à des navires de pêche « battant pavillon » d’un des États membres ou y étaient « immatriculés », tout en laissant la définition de ces notions aux législations
des États membres.

( 122 ) Arrêt du 25 juillet 1991, Factortame e.a. (C‑221/89, EU:C:1991:320, point 14 et jurisprudence citée).

( 123 ) Arrêt du 25 juillet 1991, Factortame e.a. (C‑221/89, EU:C:1991:320, point 16).

( 124 ) Arrêt du 25 juillet 1991, Factortame e.a. (C‑221/89, EU:C:1991:320, point 17 et premier point du dispositif). Mise en italique par mes soins.

( 125 ) Voir arrêts du 26 mai 2016, NN (L) International (C‑48/15, EU:C:2016:356, point 43), et du 23 février 2016, Commission/Hongrie (C‑179/14, EU:C:2016:108, point 171 et jurisprudence citée).

( 126 ) Je relève notamment celles de l’article 14, paragraphe 4, sous a) et b) (voir point 23 des présentes conclusions), et de l’article 19, paragraphe 3, sous a) (voir point 25 des présentes conclusions).

( 127 ) Voir point 30 des présentes conclusions.

( 128 ) Voir point 29 des présentes conclusions.

( 129 ) Voir point 32 des présentes conclusions.

( 130 ) Voir point 33 des présentes conclusions.

( 131 ) Cour EDH, 26 juillet 2005, N. c. Finlande, CE:ECHR:2005:0726JUD003888502, § 158.

( 132 ) Arrêt du 24 mai 2011, Commission/Luxembourg (C‑51/08, EU:C:2011:336, point 124).

( 133 ) Frontex, Risk Analysis for 2016, Varsovie, Frontex, 2016, p. 5.

( 134 ) Voir considérant 26 de la décision 2015/1523 et considérant 32 de la décision 2015/1601.

( 135 ) Voir, plus particulièrement, article 5, paragraphes 4, 5, et 9. En outre, l’article 5, paragraphe 8, permet le détachement d’officiers de liaison pour faciliter la procédure de relocalisation.

( 136 ) Point 309. Le principe de la confiance mutuelle constitue aujourd’hui l’un des piliers du droit de l’Union sur lequel repose une large part de la coopération entre les États membres dans le cadre de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Voir avis 2/13, du 18 décembre 2014 (Adhésion de l’Union à la CEDH, EU:C:2014:2454, point 191). La Cour a également fait savoir que la confiance mutuelle n’était pas synonyme de confiance aveugle : voir arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru
(C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, points 78 à 82).

( 137 ) Voir décision d’exécution (UE) 2016/408 du Conseil, du 10 mars 2016, concernant la suspension temporaire de la relocalisation de 30 % du contingent de demandeurs attribué à l’Autriche en application de la décision (UE) 2015/1601 (JO 2016, L 74, p. 36), et décision (UE) 2016/946 du Conseil, du 9 juin 2016, instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de la Suède, conformément à l’article 9 de la décision (UE) 2015/1523 et à l’article 9 de la décision
(UE) 2015/1601 (JO 2016, L 157, p. 23).

( 138 ) Deuxième considérant.

( 139 ) Quatrième considérant.

( 140 ) Arrêt du 23 avril 1986 (294/83, EU:C:1986:166, point 23).

( 141 ) Un exemple frappant, s’agissant de l’État membre dont je suis originaire, est fourni par la Supreme Court of the United Kingdom (Cour suprême du Royaume‑Uni) avec l’arrêt R (Miller) v The Prime Minister et Cherry v Advocate General for Scotland [2019] UKSC 41.

( 142 ) Voir arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême) (C‑619/18, EU:C:2019:531).

( 143 ) Arrêt du 6 mars 2018 (C‑284/16, EU:C:2018:158, point 34 et jurisprudence citée) (mise en italique par mes soins). Voir, en des termes similaires, arrêt du 14 septembre 2017, The Trustees of the BT Pension Scheme (C‑628/15, EU:C:2017:687, point 47).

( 144 ) Voir arrêt du 27 mars 2019, Commission/Allemagne (C‑620/16, EU:C:2019:256), long et détaillé, notamment les conclusions exposées aux points 98 à 100.

( 145 ) Voir, par exemple, arrêts du 6 février 2018, Altun e.a. (C‑359/16, EU:C:2018:63, point 42), et du 3 mars 2016, Commission/Malte (C‑12/14, EU:C:2016:135, point 37).

( 146 ) Le texte intégral de la déclaration peut être consulté à l’adresse électronique https://europa.eu/european-union/about-eu/symbols/europe-day/schuman-declaration_fr.

( 147 ) CELEX:11951K.

( 148 ) Arrêt du 14 décembre 1983, Klöckner‑Werke/Commission (263/82, EU:C:1983:373, point 17) (mise en italique par mes soins). Les points 18 à 20 méritent également d’être étudiés.

( 149 ) Depuis mon arrivée à la Cour en 2006, j’ai eu le délicat privilège de devoir examiner certains aspects de ces régimes dans plusieurs conclusions et le lecteur curieux d’en apprendre plus sur le fonctionnement du marché du sucre est invité à les lire. Voir, par exemple, mes conclusions dans les affaires Zuckerfabrik Jülich e.a. (C‑5/06 et C‑23/06 à C‑36/06, EU:C:2007:346) et dans les affaires jointes Zuckerfabrik Jülich e.a. (C‑113/10, C‑147/10 et C‑234/10, EU:C:2011:701).

( 150 ) Arrêt du 22 janvier 1986 (250/84, EU:C:1986:22).

( 151 ) Arrêt du 22 janvier 1986, Eridania zuccherifici nazionali e.a. (250/84, EU:C:1986:22, point 20).

( 152 ) Arrêt du 20 septembre 2001 (C‑184/99, EU:C:2001:458). Voir l’analyse approfondie et minutieuse aux points 31 à 46 ainsi que la référence, en son point 44, à « une certaine solidarité financière des ressortissants de cet État [membre d’accueil] avec ceux des autres États membres ».

( 153 ) Arrêt du 15 mars 2005 (C‑209/03, EU:C:2005:169). Voir, plus particulièrement, points 56 à 63.

( 154 ) Extrait des enseignements du rabbin Shimon bar Yochai (« Rashbi », IIe siècle ap. J.‑C.), cité dans Midrash, Vayikra Rabbah 4:6. Voir https://www.sefaria.org/Vayikra_Rabbah.1.1 ?lang=bi&with=all&lang2=en. J’ai arrangé la traduction pour en faciliter la lecture.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-715/17,
Date de la décision : 31/10/2019
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Manquement d’État – Décisions (UE) 2015/1523 et (UE) 2015/1601 – Article 5, paragraphes 2 et 4 à 11, de chacune de ces décisions – Mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de la République hellénique et de la République italienne – Situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers sur le territoire de certains États membres – Relocalisation de ces ressortissants sur le territoire des autres États membres – Procédure de relocalisation – Obligation pour les États membres d’indiquer à intervalles réguliers, et au moins tous les trois mois, le nombre de demandeurs de protection internationale pouvant faire rapidement l’objet d’une relocalisation sur leur territoire – Obligations consécutives conduisant à la relocalisation effective – Intérêts des États membres liés à la sécurité nationale et à l’ordre public – Possibilité pour un État membre d’invoquer l’article 72 TFUE pour ne pas appliquer des actes du droit de l’Union ayant un caractère obligatoire.

Espace de liberté, de sécurité et de justice


Parties
Demandeurs : Commission européenne
Défendeurs : République de Pologne e.a.

Composition du Tribunal
Avocat général : Sharpston

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2019:917

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