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30/04/2019 | CJUE | N°C-620/17

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. M. Bobek, présentées le 30 avril 2019., Hochtief Solutions AG Magyarországi Fióktelepe contre Fővárosi Törvényszék., 30/04/2019, C-620/17


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 30 avril 2019 ( 1 )

Affaire C‑620/17

Hochtief Solutions AG Magyarországi Fióktelepe

contre

Fővárosi Törvényszék

[demande de décision préjudicielle formée par la Székesfehérvári Törvényszék (cour de Székesfehérvár, Hongrie)]

« Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Procédures de recours – Effet contraignant des décisions préjudicielles – Autonomie procédurale de l’État membre – Recours en révision 

– Équivalence et effectivité – Responsabilité de l’État membre pour violations du droit de l’Union découlant de décisions des juridictions nationales – A...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 30 avril 2019 ( 1 )

Affaire C‑620/17

Hochtief Solutions AG Magyarországi Fióktelepe

contre

Fővárosi Törvényszék

[demande de décision préjudicielle formée par la Székesfehérvári Törvényszék (cour de Székesfehérvár, Hongrie)]

« Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Procédures de recours – Effet contraignant des décisions préjudicielles – Autonomie procédurale de l’État membre – Recours en révision – Équivalence et effectivité – Responsabilité de l’État membre pour violations du droit de l’Union découlant de décisions des juridictions nationales – Absence de renvoi préjudiciel en vertu de l’article 267, troisième alinéa, TFUE »

I. Introduction

1. La présente affaire est un nouveau volet d’une saga procédurale relativement complexe, actuellement dans son troisième épisode. Exprimé en termes considérablement simplifiés, le premier épisode concernait les décisions nationales initiales sur le fond. Au cours de cet épisode (ou phase du contentieux), la juridiction nationale d’appel saisie de l’affaire, la Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale, Hongrie), a demandé à la Cour de lui fournir des orientations ( 2 ).
Motivée par le désaccord quant à la manière dont les juridictions nationales auraient (mal) appliqué ces orientations dans le litige au fond, la deuxième phase du contentieux au niveau national concernait un recours en révision introduit par Hochtief Solutions AG Magyarországi Fióktelepe (ci‑après « Hochtief Hongrie »).

2. La présente demande de décision préjudicielle a été formulée au cours de la troisième phase du contentieux national relative à une action en réparation introduite par Hochtief Hongrie sur le fondement de deux moyens. Premièrement, la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest‑Capitale, Hongrie), agissant en tant que juridiction d’appel sur la demande de révision dans la deuxième phase, aurait dû, selon Hochtief Hongrie, autoriser un recours en révision afin de tenir compte de la décision
préjudicielle de la Cour rendue précédemment dans la même affaire. Deuxièmement, elle aurait dû présenter une nouvelle demande de décision préjudicielle à la Cour pour que cette dernière puisse déterminer si, dans les circonstances de l’affaire, le droit de l’Union exigeait une révision.

3. C’est dans ce contexte que la Cour est appelée à se pencher en substance sur trois séries de questions : premièrement, les conséquences, en vertu du droit de l’Union, du défaut allégué des juridictions nationales saisies de l’affaire au fond de mettre correctement en œuvre la décision préjudicielle de la Cour du fait de l’application de différentes restrictions procédurales ; deuxièmement, le fait de savoir si le droit de l’Union exige que la voie de recours extraordinaire de la révision offerte
en vertu du droit national dans certaines circonstances soit également étendue aux violations alléguées du droit de l’Union dans une situation comme celle qui se présente dans l’affaire au principal ; et, troisièmement, un certain nombre d’éléments tenant aux conditions de responsabilité d’un État membre.

II. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

4. L’article 1er de la directive 89/665/CEE, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux ( 3 ), exige des États membres qu’ils assurent que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l’objet de recours efficaces et que les procédures de recours sont accessibles à toute personne ayant ou ayant
eu un intérêt à obtenir un marché public de fournitures ou de travaux déterminé, et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée.

5. L’article 2, paragraphe 1, de la directive 92/13/CEE du Conseil, du 25 février 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des règles communautaires sur les procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications ( 4 ) exige que les États membres prévoient les pouvoirs permettant soit d’adopter des mesures provisoires en ce qui concerne la
procédure de passation de marché ou la mise en œuvre de toute décision adoptée par le pouvoir adjudicateur et d’annuler les décisions prises illégalement en ce qui concerne la procédure de passation de marché en cause, soit de prendre d’autres types de mesures avec pour objectif de corriger toute violation identifiée et de prévenir tout préjudice aux intérêts concernés. Les États membres doivent également prévoir le pouvoir d’accorder des dommages-intérêts aux personnes lésées par la violation.

B.   Le droit hongrois

6. Les articles 6 :548(1) et 6 :549(1) du Polgári Törvénykönyvről szóló 2013. évi V. törvény (loi V de 2013 relative au code civil, ci‑après le « code civil ») prévoient sous l’intitulé « Responsabilité pour l’action de l’administration publique » :

« Article 6 :548 [Responsabilité pour l’action de l’administration publique] : (1) Une responsabilité en raison d’un dommage causé dans l’exercice d’une compétence administrative ne peut être établie que si le dommage a été causé dans l’exercice de la puissance publique, ou son défaut d’exercice, et que le dommage ne peut pas être évité par l’exercice de voies de droit ordinaires ou par le réexamen juridictionnel de la décision administrative.

[...]

Article 6 :549 [Responsabilité pour l’action des juridictions, des procureurs, des notaires et des greffiers] : (1) Les règles régissant la responsabilité en raison d’un dommage causé dans l’exercice d’une compétence administrative sont applicables par analogie à la responsabilité en raison d’un dommage causé dans l’exercice d’une compétence juridictionnelle [...] Une demande ne peut être présentée que si les voies de droit ordinaires ont été épuisées.

[...] »

7. L’article 260, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, du Polgári perrendtartásról szóló 1952. évi III. törvény (loi no III de 1952 sur le code de procédure civile, ci‑après le « code de procédure civile ») est libellé comme suit :

« (1) La révision est ouverte contre un jugement définitif lorsque :

a) une partie se prévaut d’un fait ou de preuves, ou d’une décision définitive d’une juridiction ou autre autorité que la juridiction n’a pas appréciés au cours de la procédure, à condition que ces éléments – s’ils avaient été appréciés – aient été de nature à conduire à une décision plus favorable à cette partie.

[...]

(2) En application du paragraphe 1, sous a), une partie ne peut exercer un recours en révision que lorsque, sans faute de sa part, elle n’a pas pu faire valoir au cours de la procédure antérieure le fait, les preuves ou la décision qu’elle invoque dans ce recours. »

8. En vertu de l’article 361, sous a), du code de procédure civile :

« La Kúria [Cour suprême, Hongrie] répond aux recours constitutionnels suivant les modalités suivantes :

a) si la décision de [l’Alkotmánybíróság (Cour constitutionnelle, Hongrie)] est d’annuler une norme ou disposition matérielle et [si] l’affaire a été traitée uniquement par voie d’action (ou de procédure extrajudiciaire), le demandeur est informé de son droit de soumettre une demande de nouvelle procédure dans les trente jours auprès de la juridiction de première instance compétente. »

III. Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

9. Le 25 juillet 2006, l’Észak-dunántúli Környezetvédelmi és Vízügyi Igazgatóság (direction de la protection de l’environnement et des questions hydrauliques de Transdanubie septentrionale, ci‑après le « pouvoir adjudicateur ») a publié au Journal officiel de l’Union européenne ( 5 ) un appel d’offres pour un marché public de travaux concernant le développement des infrastructures de transport du centre intermodal du port de commerce national de Györ-Gönyű (Hongrie). L’appel d’offres contenait un
certain nombre de conditions pour la participation à la procédure de passation de marché. En particulier, le point III.2.2 de l’appel d’offres posait un critère de capacité économique et financière (ci‑après la « condition économique »). En vertu de cette condition économique, le résultat selon bilan ne devait pas être négatif pendant plus d’un des trois derniers exercices clôturés.

10. Hochtief Hongrie est la succursale hongroise de Hochtief Solutions AG, une société allemande de construction, elle‑même une filiale de la société mère, Hochtief AG. Hochtief Hongrie n’a pas participé à la procédure d’appel d’offres. Par une décision du 14 août 2006, le pouvoir adjudicateur a déclaré qu’un seul candidat, le PORT 2006 Konzorcium hongrois satisfaisait à l’ensemble des critères de qualification et que par conséquent ce seul candidat pouvait être invité à présenter une offre.

11. Le 9 août 2006, Hochtief Hongrie a contesté la légalité de la condition économique posé dans l’appel d’offres auprès de la Közbeszerzési Döntőbizottság (commission arbitrale des marchés publics de Hongrie, ci‑après la « commission arbitrale ») en arguant que la condition économique était discriminatoire et n’était pas de nature à démontrer la capacité financière des candidats. Elle a également demandé l’annulation de l’appel d’offres ainsi que l’adoption d’une décision imposant la conduite d’une
nouvelle procédure d’appel d’offres.

12. Dans sa décision du 25 septembre 2006, la commission arbitrale a considéré que la condition économique n’était pas de nature à établir la capacité économique et financière des candidats. Par la même décision, la commission arbitrale a condamné le pouvoir adjudicateur à une amende de 8000000 forints hongrois (HUF) (environ 24742 euros) pour violation d’autres dispositions de la législation nationale relative aux marchés publics.

13. Le 2 octobre 2006, Hochtief Hongrie a introduit un recours contre la décision de la commission arbitrale devant le Fővárosi Bíróság (tribunal de Budapest, Hongrie) en ce qui concerne ses constatations tenant à la capacité financière. Hochtief Hongrie a soutenu que la condition économique n’était pas appropriée pour établir la capacité financière d’une entreprise.

14. Dans son arrêt du 17 mars 2010, le Fővárosi Bíróság (tribunal de Budapest) a rejeté le recours de Hochtief Hongrie. Bien qu’il ait noté que cette dernière avait soutenu dans sa plainte initiale devant la commission arbitrale que la valeur nette n’était pas de nature à établir la capacité financière, le Fővárosi Bíróság (tribunal de Budapest) a néanmoins retenu que la condition économique en cause était un critère approprié pour fournir des informations quant à la capacité financière des
candidats.

15. Hochtief Hongrie a formé appel de cette décision de première instance devant la Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale). Cette juridiction a sursis à statuer et soumis à la Cour une demande de décision préjudicielle.

16. Dans son arrêt du 18 octobre 2012, la Cour a jugé qu’« un pouvoir adjudicateur est autorisé à exiger un niveau minimal de capacité économique et financière par référence à un ou à plusieurs éléments particuliers du bilan, pour autant que ceux‑ci soient objectivement propres à renseigner sur cette capacité dans le chef d’un opérateur économique et que ce niveau soit adapté à l’importance du marché concerné en ce sens qu’il constitue objectivement un indice positif de l’existence d’une assise
économique et financière suffisante pour mener à bien l’exécution de ce marché, sans toutefois aller au-delà de ce qui est raisonnablement nécessaire à cette fin. L’exigence d’un niveau minimal de capacité économique et financière ne saurait, en principe, être écartée pour la seule raison que ce niveau porte sur un élément du bilan à propos duquel des divergences peuvent exister entre les législations des différents États membres» ( 6 ).

17. Dans son dernier arrêt dans cette affaire, rendu le 18 juin 2013, la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) a conclu, à la lumière de la décision préjudicielle rendue par la Cour, que la condition économique n’était pas incompatible avec le droit de l’Union. La Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) a par ailleurs noté que la nécessité et la proportionnalité de la condition économique avaient été dûment examinées par la commission arbitrale et avaient également été traitées
dans la décision de première instance.

18. Le 13 septembre 2013, Hochtief Hongrie a formé un pourvoi devant la Kúria (Cour suprême, Hongrie) contre la décision en appel. Elle a soutenu que la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) n’avait pas examiné le caractère objectivement adéquat de la condition économique. Dans ce contexte, Hochtief Hongrie a demandé à la Kúria (Cour suprême) de déférer l’affaire pour une décision préjudicielle sur le point de savoir si la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest‑Capitale) était en droit de
ne pas examiner le caractère objectivement adéquat des critères de qualification sans présenter de nouvelle demande de décision préjudicielle.

19. Par arrêt du 19 mars 2014, la Kúria (Cour suprême) a rejeté le pourvoi au motif que le grief à l’égard de la condition économique n’avait pas été soulevé dans les délais dans la mesure où Hochtief Hongrie avait soulevé cette question non pas dans sa plainte initiale devant la commission arbitrale, mais uniquement dans ses observations subséquentes. La seule question qui ait été soulevée en temps utile par Hochtief Hongrie en lien avec la condition litigieuse concernait sa nature discriminatoire
et seul cet aspect devait donc être apprécié.

20. Hochtief Hongrie a par la suite formé un recours constitutionnel devant l’Alkotmánybíróság (Cour constitutionnelle) ainsi qu’un recours en révision devant le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale, Hongrie).

21. Premièrement, dans le cadre du recours constitutionnel, Hochtief Hongrie a soutenu que ses droits à un procès équitable et à un recours effectif avaient été méconnus. La Kúria (Cour suprême) aurait dû déférer des questions préjudicielles supplémentaires à la Cour. Le 9 février 2015, l’Alkotmánybíróság (Cour constitutionnelle) a déclaré le recours constitutionnel irrecevable. Le droit à un recours effectif invoqué par Hochtief Hongrie ne garantirait pas un droit à obtenir une décision spécifique
et il appartiendrait à la Kúria (Cour suprême) de décider s’il était nécessaire de solliciter une décision préjudicielle.

22. Deuxièmement, en ce qui concerne le recours en révision, Hochtief Hongrie a critiqué l’absence d’examen du caractère adéquat de la condition économique et a demandé la révision de la procédure juridictionnelle dans son ensemble, l’annulation de toutes les décisions antérieures et l’adoption d’une nouvelle décision. Elle a également demandé à ce que le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale) sollicite une nouvelle décision
préjudicielle sur le point de savoir si une décision préjudicielle peut être ignorée sans nouveau renvoi préjudiciel.

23. Par ordonnance du 8 mai 2015, le Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale) a déclaré le recours en révision irrecevable tout en estimant qu’un renvoi préjudiciel à la Cour n’était pas nécessaire. Il a noté que les faits sur lesquels Hochtief Hongrie s’appuyait dans son recours en révision n’étaient pas nouveaux. Les juridictions dans la procédure au principal en avaient déjà connaissance et les avaient appréciés. Par son recours en
révision, Hochtief Hongrie demandait à faire contrôler la position juridique adoptée par la Kúria (Cour suprême), ce qui est une question de droit et non une question de fait. Une procédure de révision n’est pas destinée à remédier à des erreurs alléguées dans l’application du droit.

24. Hochtief Hongrie a alors formé un recours contre l’ordonnance d’irrecevabilité du Fővárosi Közigazgatási és Munkaügyi Bíróság (tribunal administratif et du travail de Budapest-Capitale) devant la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale), la partie défenderesse dans la présente instance. Ce dernier a confirmé la décision de première instance dans son ordonnance du 18 novembre 2015. Il a confirmé que la voie de recours extraordinaire de la révision visait à corriger des erreurs factuelles
par opposition aux erreurs d’application du droit. Les faits pertinents avaient été les mêmes au cours de toute la saga contentieuse et ils avaient été appréciés à chaque étape de la procédure.

25. En dernier lieu, Hochtief Hongrie a formé une action en réparation devant la juridiction de renvoi, la Székesfehérvári Törvényszék (cour de Székesfehérvár, Hongrie) pour le préjudice que la décision du Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) en sa capacité de juridiction d’appel dans le recours en révision aurait causé. Hochtief Hongrie allègue que le fait de déclarer irrecevable un recours en révision était contraire tant au droit national qu’au droit de l’Union et devrait donner droit
à une réparation sous la forme des dépens qui auraient été remboursés si un recours en révision avait été admis et Hochtief Hongrie avait finalement obtenu gain de cause.

26. C’est dans ce contexte que la Székesfehérvári Törvényszék (cour de Székesfehérvár, Hongrie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions suivantes :

« 1) Faut-il interpréter les principes fondamentaux et règles du droit de l’Union (notamment l’article 4, paragraphe 3, TUE et l’exigence d’une interprétation uniforme du droit), tels que la Cour les a interprétés notamment dans l’arrêt rendu dans l’affaire Köbler [arrêt du 30 septembre 2003, C‑224/01, EU:C:2003:513], en ce sens que la responsabilité de l’État en raison d’une décision contraire au droit de l’Union d’une juridiction statuant en dernier ressort peut être établie en se fondant
uniquement sur le droit national ou sur des critères développés par le droit national ? Dans la négative, faut-il interpréter les principes fondamentaux et règles du droit de l’Union, notamment les trois critères dégagés par la [Cour] dans [ladite] affaire Köbler à propos de la responsabilité de l’“État”, en ce sens que la réalisation des conditions de la responsabilité de l’État membre en raison d’une violation du droit de l’Union par les juridictions dudit État membre doit être appréciée
sur la base du droit national ?

2) Faut-il interpréter les règles et principes fondamentaux du droit de l’Union (notamment l’article 4, paragraphe 3, TUE et l’exigence d’un recours effectif), en particulier les arrêts de la [Cour] relatifs à la responsabilité des États membres rendus, entre autres, dans les affaires Francovich e.a. [arrêt du 19 novembre 1991, C‑6/90 et C‑9/90, EU:C:1991:428], Brasserie du pêcheur [arrêt du 5 mars 1996, C‑46/93 et C‑48/93, EU:C:1996:79] et Köbler [arrêt du 30 septembre 2003, C‑224/01,
EU:C:2003:513], en ce sens que l’autorité de la chose définitivement jugée de décisions contraires au droit de l’Union rendus par des juridictions statuant en dernier ressort exclut que la responsabilité de l’État membre puisse être établie ?

3) La procédure de recours en matière de marchés publics, applicable aux marchés publics dont la valeur atteint les seuils [de l’Union], et le contrôle juridictionnel de la décision administrative rendue au cours de cette procédure sont-ils pertinents du point de vue du droit de l’Union, à la lumière de la [directive 89/665] telle que modifiée par la directive 2007/66/CE ( 7 ), ou encore de la [directive 92/13] ? Dans l’affirmative, le droit de l’Union et la jurisprudence de la [Cour] (notamment
les arrêts rendus dans les affaires [du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz (C‑453/00, EU:C:2004:17) ; du 16 mars 2006, Kapferer (C‑234/04, EU:C:2006:178),] et en particulier dans l’affaire [du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti (C‑213/13, EU:C:2014:2067)] sont-ils pertinents au regard de la nécessité d’autoriser la révision, en tant que voie de recours extraordinaire susceptible d’être utilisée, en vertu du droit national, dans le cadre du contrôle juridictionnel de la décision administrative
rendue au cours d’une telle procédure de recours en matière de marchés publics ?

4) Faut-il interpréter les directives “recours” en matière de marchés publics (c’est‑à‑dire la [directive 89/665], entre-temps modifiée par la [directive 2007/66], ou encore la [directive 92/13]) en ce sens que celles‑ci ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui permet aux juridictions nationales saisies dans la procédure principale et même aux juridictions nationales saisies dans le cadre d’une procédure engagée à la suite d’une demande de révision présentée contre la décision rendue
dans la procédure principale de ne pas tenir compte d’un fait qu’il convient d’examiner en vertu d’un arrêt de la [Cour] rendu à l’issue d’une procédure préjudicielle introduite dans le cadre d’une procédure de recours en matière de marchés publics ?

5) Faut-il, notamment à la lumière des arrêts rendus dans les affaires [du 12 février 2008, Kempter (C‑2/06, EU:C:2008:78) ; du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing (C‑137/08, EU:C:2010:659) ; du 4 juin 2009, Pannon GSM (C‑243/08, EU:C:2009:350) ; du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz (C‑453/00, EU:C:2004:17) ; du 16 mars 2006, Kapferer (C‑234/04, EU:C:2006:178), et du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti (C‑213/13, EU:C:2014:2067)], interpréter la [directive 89/665], en particulier [son] article 1er,
paragraphes 1 et 3[, ] ainsi que la [directive 92/13], en particulier [ses] articles 1er et 2[, ], en ce sens qu’une réglementation nationale qui, en soi ou par l’application qui en est faite, permet d’arriver à une situation où l’on dispose d’une interprétation des règles pertinentes du droit de l’Union donnée par un arrêt de la [Cour] rendu dans le cadre d’une procédure préjudicielle introduite avant que la juridiction saisie en seconde instance rende son jugement, mais où cette
interprétation est écartée par la juridiction saisie au fond, en raison de son caractère tardif, et où, par la suite, la juridiction saisie en révision estime que ladite révision n’est pas susceptible d’être autorisée, est compatible avec les directives susmentionnées, ainsi qu’avec l’exigence d’une protection juridictionnelle effective et les principes d’équivalence et d’effectivité ?

6) Dès lors que le droit national commande d’autoriser la révision lorsque celle‑ci est nécessaire pour rétablir la constitutionnalité en raison d’une nouvelle décision de la juridiction constitutionnelle, ne devrait-il pas alors, en vertu de [l’arrêt du 26 janvier 2010, Transportes Urbanos y Servicios Generales (C‑118/08, EU:C:2010:39)], autoriser la révision dans le cas où un arrêt de la [Cour] n’a pas pu être pris en compte dans la procédure principale en raison des dispositions du droit
national relatives aux délais de procédure ?

7) Faut-il, à la lumière de l’arrêt [du 12 février 2008, Kempter (C‑2/06, EU:C:2008:78), en vertu duquel une partie n’a pas l’obligation d’invoquer explicitement les arrêts de la [Cour], interpréter la [directive 89/665], en particulier [son] article 1er, paragraphes 1 et 3[, ], ainsi que la [directive 92/13], en particulier [ses] articles 1er et 2[, ] en ce sens que les procédures de recours en matière de marchés publics régies par les directives susmentionnées ne peuvent être introduites que
par une requête qui contient une description explicite de l’infraction invoquée à la réglementation sur les marchés publics et, en outre, désigne chaque disposition violée de la réglementation sur les marchés publics, en précisant le numéro d’article et de paragraphe, et que, dans le cadre d’un recours en matière de marchés publics, seules sont susceptibles d’être examinées les infractions à la réglementation sur les marchés publics pour lesquelles le demandeur a précisé la disposition
méconnue du droit des marchés publics, en indiquant le numéro d’article et de paragraphe, cette requête étant [par la suite] appréciée par l’administration ou la juridiction saisie au vu de ce qu’elle contient, tandis que, dans toutes les autres procédures administratives et civiles, il suffit que la partie indique les faits et les preuves qui les étayent ?

8) Faut-il interpréter la condition d’une “violation suffisamment caractérisée”, dégagée dans les arrêts [du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513), et du 13 juin 2006, Traghetti del Mediterraneo (C‑173/03, EU:C:2006:391)], comme n’étant pas remplie lorsque la juridiction statuant en dernier ressort, en contradiction manifeste avec la jurisprudence bien établie et très précisément décrite de la [Cour] – qui a en plus été approuvée par différents avis juridiques – rejette la demande
de décision préjudicielle d’une partie relative à la nécessité d’autoriser la révision au motif absurde que le droit de l’Union – en particulier la [directive 89/665] et la [directive 92/13] – ne contient pas de règles concernant la révision, alors même que cette nécessité a elle aussi été démontrée dans le moindre détail dans la jurisprudence pertinente de la [Cour], y compris dans l’arrêt [du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti (C‑213/13, EU:C:2014:2067)], qui énonce justement la nécessité
d’une révision liée à la procédure de marché public ? Quel est le degré de précision, compte tenu de l’arrêt [du 6 octobre 1982,] Cilfit e.a. (283/81, EU:C:1982:335), que doit revêtir la motivation de la juridiction nationale lorsqu’elle n’autorise pas la révision, en s’écartant d’une interprétation de la Cour dotée d’un caractère contraignant ?

9) Faut-il interpréter les principes de recours effectif et d’équivalence, au sens [de l’article 19 et de l’article 4, paragraphe 3], TUE, ainsi que la liberté d’établissement et de prestation de services consacrée à l’article 49 TFUE, ou encore la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux [JO 1993, L 199, p. 54], ainsi que les [directives 89/665, 92/13 et 2007/66], en ce sens que ceux‑ci permettent que les
autorités et juridictions saisies rejettent systématiquement, en ignorant manifestement le droit de l’Union applicable, les recours exercés par le requérant pour avoir été empêché de participer à la procédure de marché public, étant précisé que ces recours exigent le cas échéant de rédiger de nombreux mémoires au prix d’un investissement important de temps et d’argent, sans oublier la participation à des audiences, et que, même s’il existe en théorie la possibilité d’établir la responsabilité
en raison d’un dommage causé dans l’exercice d’une compétence juridictionnelle, la réglementation en cause empêche le requérant de pouvoir exiger de la juridiction réparation du préjudice qu’il a subi en raison des mesures illégales ?

10) Faut-il interpréter les principes qui ont été dégagés dans les arrêts [du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513) ; du 13 juin 2006, Traghetti del Mediterraneo (C‑173/03, EU:C:2006:391), et du 9 novembre 1983, San Giorgio (199/82, EU:C:1983:318)] en ce sens que le dommage causé par le fait que la juridiction statuant en dernier ressort, en contradiction avec la jurisprudence constante de la Cour, n’a pas autorisé la révision demandée en temps utile par une partie et dans le cadre
de laquelle ladite partie aurait pu exiger le remboursement des frais qui lui ont été occasionnés, n’est pas un dommage susceptible d’être indemnisé ? »

27. Des observations écrites ont été déposées par Hochtief Hongrie, la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale), par les gouvernements grecs, hongrois et polonais ainsi que par la Commission européenne. À l’exception des gouvernements grecs et polonais, toutes les parties se sont exprimées lors de l’audience qui s’est tenue le 21 novembre 2018.

IV. Appréciation

28. Les présentes conclusions seront structurées comme suit. Je commencerai avec un certain nombre de clarifications qui s’imposent (section A). J’examinerai ensuite à tour de rôle les trois séries de questions qui sous-tendent les dix questions préjudicielles présentées par la juridiction de renvoi : premièrement, l’étendue de l’obligation des juridictions nationales de mettre en œuvre les décisions préjudicielles, notamment dans le contexte des diverses dispositions procédurales dont l’application
pourrait gêner la mise en œuvre pleine et entière de ces décisions préjudicielles aux différents stades des procédures juridictionnelles nationales (section B) ; deuxièmement, l’existence (ou non), dans les circonstances d’une affaire comme la présente, d’un droit à un recours en révision en tant que question de droit de l’Union lorsqu’il est allégué qu’un arrêt rendu auparavant par la Cour à la suite d’une demande de décision préjudicielle dans la même procédure n’a pas été correctement
respecté par les juridictions nationales saisies de l’affaire au fond (section C) ; troisièmement, plusieurs éléments de la responsabilité de l’État membre pour un défaut allégué des juridictions nationales d’appliquer correctement le droit de l’Union (section D).

A.   Remarques liminaires

1. Recevabilité des questions soumises par la juridiction de renvoi

29. Selon la partie défenderesse, les questions posées par la juridiction de renvoi sont irrecevables. L’ordonnance de renvoi n’indique pas les motifs pour lesquels l’interprétation du droit de l’Union serait nécessaire dans la présente affaire. Elle ne mentionne pas non plus le lien entre les dispositions pertinentes du droit de l’Union et la législation nationale en cause.

30. Il est de jurisprudence constante que les questions d’interprétation du droit de l’Union déférées par un juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude bénéficient d’une présomption de pertinence. Par conséquent, lorsque les questions soumises concernent l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, la Cour est en principe tenue de statuer ( 8 ). Ce faisant, la Cour doit fournir à
la juridiction nationale une réponse utile qui lui permettra de trancher le litige dont elle est saisie ( 9 ).

31. La présente affaire met ces principes sérieusement à l’épreuve à un certain nombre d’égards. Contrairement à la partie défenderesse, cependant, je considère qu’après reformulation ces questions de la juridiction de renvoi sont recevables à l’exception des septième et neuvième questions.

32. Premièrement, il est certes vrai que les questions posées par la juridiction de renvoi sont rédigées dans un style complexe et quelque peu singulier. Toutefois, une fois reformulée, ces questions semblent concerner les trois séries de questions suivantes.

33. Les quatrième et cinquième questions concernent en substance la compatibilité au droit de l’Union de diverses limites nationales tenant à la conduite des différentes étapes de la procédure juridictionnelle nationale. Il semblerait que l’application de ces règles procédurales pourrait limiter la mise en œuvre pleine et entière des décisions préjudicielles rendues auparavant, au cours de la procédure au principal.

34. Les troisième et sixième questions cherchent en substance à ce que soit précisé si le fait de ne pas tenir compte d’une décision préjudicielle de la Cour rendue dans la procédure au principal et dont il est allégué qu’elle n’a pas été mise en œuvre dans cette procédure en tant que motif possible d’un recours en révision est compatible avec les exigences d’équivalence et d’effectivité.

35. Les première, deuxième, huitième et dixième questions visent divers éléments de la responsabilité des États membres pour le manquement allégué des juridictions nationales et en particulier du Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale).

36. Deuxièmement, il y a lieu de souligner, en regroupant et en reformulant les questions posées, que présentées ainsi, celles‑ci concernent exclusivement l’interprétation du droit de l’Union. Les questions, telles que formulées par la juridiction de renvoi, contiennent un certain nombre d’appréciations et de conclusions matérielles ou circonstancielles préconçues. En répondant à des questions posées de la sorte, la Cour serait ainsi de fait invitée à évaluer une certaine lecture des faits ou du
droit national, voire à souscrire aux suggestions faites quant à certaines pratiques au niveau national. Il ne s’agit pas là cependant du rôle de la Cour dans la procédure de décision préjudicielle. Il appartient à la seule juridiction de renvoi d’apprécier les faits ( 10 ). Je souhaite donc souligner clairement que les réponses à apporter ici concernent uniquement les éléments de droit de l’Union soulevés par la juridiction de renvoi à travers les trois séries de questions identifiées
ci‑dessus. Elles n’approuvent en aucun cas les déclarations et appréciations quant aux faits contenues dans les questions telles que formulées initialement.

37. Troisièmement, une question supplémentaire potentielle de recevabilité concerne la pertinence de certaines questions pour la procédure au principal. Il est de jurisprudence constante que la Cour peut refuser de statuer sur une question préjudicielle déférée par une juridiction nationale lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou
encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées ( 11 ).

38. Dans la présente affaire, ainsi que cela a été confirmé lors de l’audience, l’objet dont est saisie la juridiction de renvoi est à proprement parler le préjudice qui aurait été causé par la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) agissant comme juridiction (de dernière instance) qui statue sur la réouverture du dossier, tant par son refus de rouvrir le dossier que par son défaut de présenter une nouvelle demande de décision préjudicielle avant de prendre cette décision. Il pourrait donc
être soutenu que les questions qui ne sont pas directement liées à l’action en réparation pendante devant la juridiction de renvoi devraient être considérées comme étant irrecevables puisqu’elles ne sont pas directement liées à l’objet spécifique du litige devant la juridiction de renvoi.

39. J’éprouve des difficultés à faire mienne une logique aussi stricte. Au niveau structurel, celle‑ci serait contraire à l’approche plutôt généreuse de la Cour au sujet de la pertinence des questions posées par les juridictions nationales ( 12 ). L’« esprit de coopération » et la « présomption de pertinence » seraient ainsi remplacés en pratique par l’interprétation par la Cour, pour la juridiction nationale, de son propre champ d’intervention en matière d’affaires et de procédures, celle‑ci
décidant, sur la base de cette interprétation (du droit national et des faits), quelles questions la juridiction nationale est autorisée à poser.

40. En outre, une telle approche ne tiendrait pas vraiment compte du contexte spécifique de l’affaire en cause ici. Les questions posées par la juridiction de renvoi font en effet partie de procédures juridictionnelles complexes et liées entre elles. Il n’est pas aisé, sur la seule base de l’ordonnance de renvoi, de saisir et d’identifier toutes les subtilités du contexte procédural national dans cette affaire, eu égard notamment au déroulement de la procédure elle‑même. Il pourrait a fortiori être
même plus difficile d’affirmer catégoriquement laquelle de ces étapes procédurales est pertinente ou non pour une potentielle action en responsabilité.

41. Ainsi que nous y avons déjà fait allusion dans l’introduction aux présentes conclusions, le litige a connu de fait trois « phases» ( 13 ). La première phase recouvre un certain nombre de décisions sur le fond. Il s’agit du contrôle (administratif) devant la commission arbitrale, suivi des arrêts en première instance et en appel et, par la suite, par le pourvoi devant la Kúria (Cour suprême) et le recours constitutionnel. La deuxième phase recouvrait le recours en révision avec la procédure en
appel à son égard. La troisième phase comprend le recours dans la procédure au principal visant la responsabilité de l’État membre pour les manquements allégués des juridictions nationales.

42. Un fil conducteur traverse les trois phases : le défaut allégué des juridictions nationales, à travers ces différentes phases de la procédure, de se conformer à la décision préjudicielle rendue par la Cour au cours de la première phase. Bien entendu, il n’y aurait pas de deuxième phase ou a fortiori de troisième phase s’il n’y avait pas eu le manquement allégué au cours de la première phase. Par conséquent, examiner la troisième phase – désormais pendante – et de manière plus générale les
conséquences découlant du défaut allégué de mettre en œuvre la décision préjudicielle dans la première phase requiert nécessairement d’examiner la procédure nationale dans son ensemble. Il serait en effet difficile de scinder artificiellement la procédure puisque les irrégularités potentielles commises au cours de la première phase débordent sur la deuxième phase et celles de la deuxième phase débordent sur la troisième ; ou, pour renverser les propositions, s’il n’y a aucune obligation de
procéder à une révision en vertu du droit de l’Union, l’objet de la troisième phase du contentieux disparaît de fait. Allant plus loin encore, s’il n’y a eu potentiellement aucun manquement au cours de la première phase, les deux autres phases deviennent futiles et la réponse quant aux obligations des juridictions nationales dans cette première phase élimine la nécessité de toute autre interprétation du droit de l’Union.

43. Il est en outre difficile d’examiner la juridiction de deuxième instance (après avoir reçu la décision préjudicielle) sans tenir compte également du contrôle administratif par la commission arbitrale puisque la raison principale de ne pas pleinement appliquer la décision préjudicielle de la Cour semble être la règle procédurale qui limite l’étendue de la procédure judiciaire aux griefs initialement soulevés devant la commission arbitrale ( 14 ). En vertu de cette règle, tous les griefs liés à
une incompatibilité alléguée de la procédure de passation de marché avec le droit de l’Union doivent avoir été déjà soulevés devant la commission arbitrale. Aucun grief ne peut être soulevé par la suite devant les juridictions qui examinent la décision de la commission arbitrale comme, dans la présente affaire, les juridictions de première et deuxième instances.

44. Dans de telles circonstances, j’aurais des difficultés à affirmer de manière catégorique que les questions relatives aux première et deuxième phases du contentieux national sont irrecevables parce qu’elles n’ont aucun lien quel qu’il soit avec la procédure pendante devant la juridiction de renvoi. Un tel lien existe clairement.

45. Cela étant dit, il convient de rappeler qu’il n’appartient certainement pas à la Cour de déterminer si les juridictions nationales ont correctement appliqué le droit de l’Union – et encore moins le droit national – au cours de chacune de ces phases. Il n’appartient pas non plus à la Cour d’apprécier si la voie procédurale empruntée par Hochtief Hongrie était correcte ou non, ou si celle‑ci aurait dû engager une action en responsabilité directement à l’encontre de la Kúria (Cour suprême) après la
première phase, comme l’a suggéré le gouvernement hongrois lors de l’audience.

46. Par conséquent, selon moi, appliquant la jurisprudence constante de la Cour ( 15 ) et conformément à la reformulation et à l’interprétation exposée ci‑dessus ( 16 ), les questions posées par la juridiction de renvoi sont recevables à l’exception des septième et neuvième questions.

47. La septième question concerne spécifiquement le degré de précision que doivent présenter les demandes de contrôle (administratif) devant la commission arbitrale. Par cette question, la juridiction de renvoi cherche à déterminer si de telles demandes doivent contenir une description explicite de la violation alléguée et indiquer précisément la disposition spécifique violée alors que, dans toute autre procédure administrative ou civile, il suffirait d’exposer les faits et les preuves les
sous-tendant.

48. En dépit des concessions qui ont été faites, je ne vois pas en quoi la septième question pourrait avoir la moindre pertinence pour trancher le présent litige. Aucune partie, pas même Hochtief Hongrie, n’a suggéré que la règle en cause était si stricte qu’elle rendrait impossible ou excessivement difficile d’appliquer le droit de l’Union, notamment sous la forme d’un arrêt rendu auparavant par la Cour, et d’assurer la protection juridictionnelle effective dans les affaires de marchés publics. Il
n’y a tout simplement pas d’informations supplémentaires sur la manière dont cette règle serait pertinente aux fins de la présente affaire.

49. La neuvième question concerne quant à elle le point de savoir si le droit de l’Union autorise les autorités et les juridictions nationales à rejeter de manière systématique les actions introduites par Hochtief Hongrie dans un contexte dans lequel ces actions sont coûteuses et chronophages, et où la législation nationale pertinente empêcherait les requérants de réclamer réparation du préjudice causé par les juridictions nationales dans l’exercice de leur fonction juridictionnelle.

50. La juridiction nationale ne pose pas là réellement une question, mais cherche plutôt à obtenir de la part de la Cour la confirmation d’un certain nombre de postulats factuels (relativement poussés et radicaux).

2. Une remarque sur la terminologie

51. Dans la version en langue anglaise (ainsi que dans certaines autres versions linguistiques) des questions telles que publiées au Journal officiel ( 17 ), le terme « review » a été utilisé pour faire référence aux différents types de voies de recours examinés dans la présente affaire. Le problème qui réside dans l’utilisation systématique d’une notion aussi générique est que celle‑ci manque de précision quant au type de voie de recours juridictionnel auquel elle fait référence (et à quelle phase
du contentieux), en particulier pour la distinction entre la première phase du contentieux (contrôle juridictionnel au fond au sens propre) et la deuxième phase (réouverture de la procédure ou révision). La terminologie suivante sera donc utilisée dans les présentes conclusions.

52. Le « contrôle administratif » fait référence à la procédure devant la commission arbitrale qui était semble-t-il la première autorité à avoir apprécié la légalité de la condition économique.

53. Le « contrôle juridictionnel » fait référence au contrôle de la décision administrative adoptée par la commission arbitrale devant les juridictions nationales dans le cadre de la première « phase » en jugeant du fond de l’affaire. Cela inclut bien entendu les deux premières instances. Cela inclut également les pourvois en tant que voie de recours extraordinaire. En dépit de sa nature spécifique, le pourvoi concerne encore l’objet (premier) de l’affaire en cause, à savoir la légalité de la
décision prise par la commission arbitrale.

54. J’utiliserai le terme de « révision » pour faire référence à la voie de recours extraordinaire qui est au cœur de la deuxième « phase ». Il s’agit normalement de la réouverture et du réexamen d’une affaire lorsqu’il apparaît par la suite que certains éléments n’ont pas été pris en considération en dépit du fait qu’une décision finale revêtue de l’autorité de la chose jugée a été rendue sur le fond dans le cadre de la première « phase ». Dans le contexte de la présente affaire, la révision fait
référence à la procédure prévue en vertu de l’article 260 du code de procédure civile hongrois.

B.   Sur la mise en œuvre d’une décision préjudicielle de la Cour dans une procédure juridictionnelle nationale en cours

55. Les quatrième et cinquième questions concernent en substance la compatibilité avec le droit de l’Union de diverses limites procédurales posées par le droit national qui pourraient faire obstacle à la mise en œuvre intégrale et correcte d’une décision préjudicielle de la Cour rendue dans l’affaire en cause. Avec un certain degré de reformulation, je pourrais comprendre la quatrième question en ce sens qu’elle interroge la Cour quant à la compatibilité avec le droit de l’Union de règles
procédurales nationales dont il est allégué qu’elles font obstacle à la prise en compte de faits nouveaux à un certain stade du contrôle. Ainsi, si des orientations sous forme d’un arrêt de la Cour sont offertes à la demande d’une juridiction nationale au stade de l’appel au cours duquel de nouveaux faits ne peuvent normalement pas être constatés, l’application de cette règle procédurale nationale rendra ce type d’appréciation impossible à l’avenir. La cinquième question se concentre par la
suite plus précisément sur de nouveaux points de droit qui pourraient être rejetés comme ayant été présentés tardivement, soit devant une juridiction supérieure, soit dans le cadre du contrôle juridictionnel lui‑même, si les mêmes arguments ou points de droit n’avaient pas déjà été soulevés au cours du contrôle administratif.

56. En d’autres termes, les deux éléments concernent d’une manière ou d’une autre la répartition des tâches au sein du système juridictionnel (et/ou administratif) et l’économie de la procédure. Il est naturel, dans les systèmes de protection juridique tant nationaux que de l’Union, que tout fait ou argument juridique ne peut pas être présenté à n’importe quel stade de la procédure. Il y a des règles générales relatives, par exemple, à l’étendue admissible du contrôle ou à la concentration des
plaidoiries, a fortiori au fur et à mesure que l’affaire progresse à travers le système juridictionnel

57. Il est cependant plutôt inhabituel d’invoquer de telles règles pour justifier le refus potentiel de mettre en œuvre les orientations fournies par la Cour dans une décision préjudicielle, et ce uniquement du fait que ces orientations ont été fournies à un certain stade du contrôle juridictionnel national dans l’affaire au principal. Dans la présente section, j’expliquerai les raisons pour lesquelles, en général ( 18 ), il est erroné de s’appuyer ainsi sur ces règles et montrerai que cette
position ne saurait être maintenue si l’on veut correctement mettre en œuvre les orientations offertes par la Cour.

58. Ce faisant, je rappellerai tout d’abord l’étendue de l’obligation pesant sur les juridictions nationales de mettre en œuvre une décision rendue par la Cour sur une demande de décision préjudicielle et d’appliquer les orientations qu’elle contient (section 1). Je me pencherai ensuite sur la règle procédurale nationale qui semble être la principale raison pour laquelle la décision préjudicielle de la Cour n’aurait pas été pleinement mise en œuvre durant la première phase du
contentieux (section 2). J’examinerai enfin si, dans des circonstances comme celles de la présente affaire, une telle règle procédurale doit être écartée au motif qu’elle fait obstacle à la mise en œuvre correcte de l’arrêt de la Cour (section 3).

1. Les obligations des juridictions nationales à la suite d’une décision préjudicielle

59. Il est de jurisprudence constante qu’une décision préjudicielle de la Cour lie la juridiction nationale en ce qui concerne l’interprétation ou la validité des actes des institutions de l’Union européenne en cause pour la solution du litige au principal ( 19 ). L’article 267 TFUE exige que la juridiction de renvoi donne plein effet à l’interprétation du droit de l’Union fournie par la Cour ( 20 ).

60. Au-delà de ce type d’effet contraignant d’une décision préjudicielle qui pourrait être catégorisé comme étant inter partes, la jurisprudence de la Cour a uniquement confirmé explicitement l’effet contraignant erga omnes des déclarations d’invalidité de dispositions du droit de l’Union ( 21 ).

61. Toutefois, la même logique inter partes s’étend pleinement à toutes les étapes juridictionnelles ultérieures au sein de la même procédure au principal. Par conséquent, si les orientations de la Cour étaient sollicitées, par exemple, par une juridiction de première instance, alors la juridiction d’appel ou la Cour suprême saisie par la suite dans la même affaire serait également liée par les orientations fournies par la Cour dans cette affaire. Il s’agit là selon moi d’une extension de l’effet
contraignant inter partes parce que l’objet traité est toujours la même affaire impliquant les mêmes faits et les mêmes questions juridiques posées. Il ne s’agit pas de l’effet erga omnes (de par sa nature plus « vague ») présent dans d’autres affaires qui concernent d’autres faits et d’autres parties mais qui interprètent les mêmes dispositions du droit de l’Union ( 22 ).

62. Cela signifie en pratique que, si la déclaration interprétative contenue dans une décision préjudicielle exige que la juridiction nationale effectue un certain type d’appréciation, cette appréciation doit être réalisée afin de garantir la mise en œuvre correcte de cet arrêt et, ce faisant, la bonne application du droit de l’Union ( 23 ). Il en est a fortiori ainsi lorsque la Cour confie explicitement à la juridiction de renvoi, dans le dispositif de l’arrêt, le soin de vérifier certains éléments
afin d’établir la compatibilité du droit national avec le droit de l’Union.

2. Autonomie procédurale nationale et effectivité

63. Dans ses observations, le gouvernement hongrois s’appuie largement sur le principe de l’autonomie procédurale nationale afin de souligner qu’il appartient à chaque État membre d’aménager les règles procédurales et les voies de droit. Il soutient en outre que, dans des affaires précédentes, notamment un arrêt concernant Hochtief AG ( 24 ), la Cour avait accepté différentes limites procédurales au contrôle juridictionnel quant au moment où une action pouvait être introduite et à quelles
conditions.

64. Il est en effet de jurisprudence constante qu’en l’absence de législation de l’Union dans ce domaine il appartient à chaque État membre, conformément au principe d’autonomie procédurale, de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union. Il est cependant également de jurisprudence constante que, en vertu du principe de coopération loyale consacré par l’article 4,
paragraphe 3, TUE, les règles procédurales précises régissant les recours visant à garantir les droits des justiciables en vertu du droit de l’Union ne doivent pas être moins favorables que celles régissant les recours nationaux similaires (exigence d’équivalence) et ne doivent pas rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits accordés par le droit de l’Union (exigence d’effectivité) ( 25 ).

65. En outre, toute disposition d’un système juridique national et toute pratique législative, administrative ou judiciaire qui pourrait constituer un obstacle à l’efficacité du droit de l’Union en refusant à la juridiction nationale compétente pour appliquer ce droit le pouvoir de faire tout ce qui est nécessaire au moment de cette application pour écarter les dispositions législatives nationales qui pourraient empêcher le droit de l’Union d’avoir plein effet sont incompatibles avec ces exigences
qui constituent l’essence même de l’Union ( 26 ). Les règles procédurales nationales ne peuvent en particulier pas affecter les pouvoirs et les obligations imposées à une juridiction nationale en vertu de l’article 267 TFUE ( 27 ).

66. Appliquée à la question de l’aménagement des systèmes nationaux de recours et de voies de droit, la jurisprudence de la Cour respecte tout à fait les différentes traditions juridiques nationales et la diversité des systèmes administratifs et judiciaires des États membres. Ainsi, un système judiciaire national peut être plus inquisitoire ou plus contradictoire et décider dans quelle mesure il applique la maxime iura novit curia. De même, l’étendue du contrôle juridictionnel peut normalement être
limitée aux moyens qui ont été soulevés par les parties au stade du contrôle administratif.

67. Comme la Cour l’a indiqué, le droit de l’Union n’exige pas des juridictions nationales qu’elles soulèvent d’office une question concernant une violation de dispositions du droit de l’Union lorsque l’examen de cette question les obligerait à abandonner le rôle passif qui leur incombe en allant au-delà des limites du litige tel que défini par les parties elles‑mêmes et en se fondant sur d’autres faits et circonstances que ceux sur lesquels la partie qui a intérêt à l’application desdites
dispositions a fondé sa demande ( 28 ). En particulier, « le principe d’effectivité n’impose pas [...], l’obligation aux juridictions nationales de soulever d’office un moyen tiré d’une disposition [de l’Union], indépendamment de l’importance de celle‑ci pour l’ordre juridique [de l’Union], dès lors que les parties ont une véritable possibilité de soulever un moyen fondé sur le droit [de l’Union] devant une juridiction nationale» ( 29 ).

68. Par conséquent, dans le contexte du contrôle juridictionnel en matière de marchés publics, la Cour a récemment confirmé que les États membres sont autorisés à poser des règles procédurales limitant le contrôle juridictionnel dans le temps et dans sa portée afin de garantir l’effectivité et la rapidité de ce contrôle tant que, ce faisant, ils ne rendent pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit d’engager une action ( 30 ). Ainsi, selon la Cour, le droit de l’Union
ne fait pas obstacle, dans le contexte d’une action en réparation, à une règle procédurale nationale qui restreint le contrôle juridictionnel de sentences arbitrales, rendues par la commission arbitrale responsable en première instance du contrôle des décisions prises par le pouvoir adjudicateur dans des procédures de marchés publics, au seul examen des moyens soulevés devant cette commission ( 31 ).

69. Il s’ensuit qu’une limite procédurale similaire devrait en général être également possible, mutatis mutandis, dans le contexte d’un recours en annulation, tel que celui introduit dans le cadre de la première phase de la présente affaire : en vertu du droit de l’Union, les juridictions nationales responsables du contrôle des décisions d’une commission arbitrale appelée à examiner les recours en annulation visant des décisions adoptées par le pouvoir adjudicateur dans des procédures de marchés
publics peuvent rejeter pour irrecevabilité tout nouveau moyen de droit qui n’avait pas été soulevé devant cette commission.

3. Mise en œuvre d’une décision préjudicielle

70. En général, et dans les cas n’impliquant pas une décision préjudicielle de la Cour, c’est‑à‑dire lorsqu’une affaire progresse normalement dans le système administratif et judiciaire national, les limites procédurales de ce type sont, dans les conditions exposées dans la section qui précède, en effet possibles. Cette situation change cependant nettement si, dans le cadre d’une telle procédure, des orientations sont fournies par la Cour sous la forme d’une décision préjudicielle.

71. Contrairement à ce qu’a suggéré le gouvernement hongrois, une telle affaire cesse alors d’être une affaire concernant principalement des limites procédurales dans la sphère de l’autonomie procédurale nationale à laquelle la jurisprudence examinée dans la section précédente pourrait être appliquée mécaniquement. Elle devient au contraire une affaire impliquant la mise en œuvre d’un arrêt de la Cour.

72. Que signifierait un tel contexte différent dans une affaire comme la présente ? Que signifierait-il en particulier pour les questions soulevées par la juridiction de renvoi, comme celles relatives aux règles nationales empêchant de tenir compte de faits nouveaux à un certain stade du contrôle (quatrième question) et/ou l’impossibilité de défendre de nouveaux points de droit à un stade ultérieur s’ils n’ont pas été soulevés auparavant devant l’autorité administrative (cinquième question) ?

73. Je souhaite noter d’emblée qu’en ce qui concerne la cinquième question, dans le contexte de la présente situation, les parties semblent avoir dûment soulevé devant la commission arbitrale l’argument tenant au caractère inadéquat de la condition économique qui est la pomme de discorde ( 32 ).

74. Toutefois, même si cela n’était pas matériellement établi, ce qu’il appartient bien entendu à la juridiction nationale d’examiner, la réponse de principe aux deux questions soulevées par la juridiction de renvoi est selon moi plutôt simple : de telles règles nationales de limitation peuvent naturellement être maintenues tant qu’il est garanti qu’une juridiction nationale mettra en œuvre et appliquera pleinement les orientations fournies par la Cour dans l’affaire dans le cadre de laquelle la
décision préjudicielle est demandée.

75. Cela peut se produire de différentes manières. Si la juridiction nationale qui a demandé la décision préjudicielle à la Cour a la compétence nécessaire pour ce type de contrôle en vertu du droit national (comme pour examiner le caractère adéquat de la condition économique), elle doit procéder à cet examen elle‑même et démontrer dans son raisonnement qu’elle l’a effectivement fait. Si cette juridiction devait ne pas avoir la compétence nécessaire à cet effet parce qu’il s’agit, par exemple, d’une
juridiction d’appel ou d’une cour suprême dont le contrôle est limité et/ou qui ne peut pas apprécier de nouvelles preuves, et qu’une telle appréciation est encore pertinente pour l’affaire en cause, la juridiction nationale a plusieurs options. Elle peut, premièrement, annuler la décision en question et renvoyer l’affaire à l’autorité administrative ou judiciaire appropriée qui est compétente en vertu du droit national pour examiner le caractère adéquat de la condition économique conformément à
la décision préjudicielle (il s’agit de la juridiction de première instance si elle est compétente pour apprécier des questions de fait ou la commission arbitrale). Deuxièmement, à titre alternatif, la juridiction nationale en question peut écarter les règles procédurales nationales limitant sa compétence et procéder à cette appréciation elle‑même. Le choix entre ces deux options est réservé à chaque État membre à condition qu’une autorité, administrative ou judiciaire, nationale assure en
définitive l’application correcte de la décision préjudicielle de la Cour ( 33 ).

76. Toutefois, il ne saurait certainement être admis que, par l’application mécanique des règles nationales de limitation, la mise en œuvre de l’arrêt de la Cour au niveau national conduise à un cercle vicieux où aucune autorité n’assume la responsabilité d’assurer l’application effective d’une décision préjudicielle de la Cour.

4. Conclusion intermédiaire

77. Il découle des considérations qui précèdent que l’article 4, paragraphe 3, TUE et l’article 267 TFUE exigent qu’une juridiction nationale, mettant en œuvre une décision préjudicielle demandée auparavant à la Cour, doit pleinement mettre en œuvre les orientations qu’elle contient. Si la mise en œuvre des orientations de la Cour requiert qu’il soit procédé à un certain type d’appréciation ou à une appréciation d’une certaine portée qui n’est normalement pas effectuée par la juridiction de renvoi
en question, cette juridiction est tenue soit d’écarter les règles procédurales nationales limitant sa compétence à cet égard, soit d’annuler et de renvoyer l’affaire au niveau juridictionnel, voire administratif, approprié où une telle appréciation peut être pleinement effectuée.

C.   Sur la (l’obligation de) révision

78. Passant désormais aux questions relatives à la deuxième phase du contentieux national, les troisième et sixième questions demandent s’il est conforme au principe de la protection juridictionnelle effective de ne pas examiner comme un possible moyen justifiant la révision l’allégation selon laquelle un arrêt de la Cour rendu dans le cadre de la première phase (sur une demande de décision préjudicielle de la juridiction d’appel) n’a pas été dûment pris en compte dans le cadre de cette phase. La
troisième question doit en particulier être comprise en ce sens qu’elle porte sur l’existence d’une éventuelle obligation des États membres, découlant du droit de l’Union, d’autoriser un recours en révision en tant que voie de recours extraordinaire prévue par le droit national dans un cas comme celui de la procédure au principal. Par sa sixième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’exigence d’équivalence requiert qu’une révision soit autorisée lorsqu’une décision
préjudicielle de la Cour n’a pas été correctement prise en compte dans la procédure au principal sur le fond et si, dans le même temps, le droit national semble autoriser un recours en révision dans le cas similaire d’un (nouvel) arrêt de l’Alkotmánybíróság (Cour constitutionnelle).

79. La question posée à la Cour est donc en fait celle de savoir si le droit de l’Union, et en particulier le principe de la protection juridictionnelle effective, exige de « revenir » sur une décision judiciaire définitive afin de tenir compte d’un arrêt antérieur de la Cour dont il est allégué qu’il n’a pas été pleinement pris en compte dans le contentieux au fond.

80. Je suis d’avis que la réponse à cette question est négative.

1. L’étendue de l’obligation de revenir sur les décisions juridictionnelles définitives

81. Comme je l’ai souligné dans la section B précédente de ces conclusions, les juridictions nationales ont une obligation de mettre en œuvre la réponse fournie à une demande de décision préjudicielle qu’elles ont elles‑mêmes présentée à la Cour (effet contraignant inter partes). Elles doivent par ailleurs également respecter la jurisprudence de la Cour en matière d’interprétation ou de validité du droit de l’Union dont elles sont saisies dans l’affaire en cause (effet contraignant erga omnes). Le
dénominateur commun dans ces deux cas est que les décisions de la Cour qui doivent être prises en compte existent au moment où la juridiction nationale statue.

82. À l’inverse, il n’y a en principe aucune obligation en vertu du droit de l’Union de revenir sur les décisions judiciaires définitives qui ont été rendues avant une décision de la Cour sur une question préjudicielle, même si la réouverture de l’affaire permettrait de remédier à une situation interne qui est incompatible avec le droit de l’Union.

83. Il est en effet de jurisprudence constante que le principe de sécurité juridique et le principe de l’autorité de la chose jugée ( 34 ) qui en émane sont essentiels tant dans l’ordre juridique de l’Union que dans les systèmes juridiques nationaux ( 35 ). Eu égard à ces principes, la Cour a jugé que le droit de l’Union n’exige donc pas que, pour tenir compte de l’interprétation d’une disposition pertinente de ce droit adoptée par la Cour postérieurement à la décision d’un organe juridictionnel
revêtue de l’autorité de la chose jugée, celui‑ci doive, par principe, revenir sur cette décision ( 36 ). Il n’y a en général aucune obligation de revenir sur les décisions juridictionnelles définitives incompatibles avec un arrêt ultérieur de la Cour.

84. Il est vrai que la Cour a reconnu deux exceptions au principe selon lequel il n’est pas nécessaire de revenir sur des décisions définitives afin de se conformer au droit de l’Union.

85. La première situation d’exception, qui découle de l’arrêt du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz (C‑453/00, EU:C:2004:17), est l’obligation imposée aux organes administratifs de contrôler les décisions administratives définitives afin de tenir compte de l’interprétation fournie par la suite par la Cour lorsque certaines conditions sont réunies ( 37 ). Toutefois, cette exception comporte une obligation de revenir sur les décisions administratives, mais pas celle de revenir sur les décisions
juridictionnelles ( 38 ).

86. La seconde situation d’exception a été posée par la Cour dans l’arrêt Lucchini où celle‑ci a jugé que le droit de l’Union faisait obstacle à l’application d’une disposition de droit national qui cherchait à poser le principe de l’autorité de la chose jugée dans la mesure où l’application de cette disposition empêchait de récupérer une aide d’État accordée en violation du droit de l’Union ( 39 ). Le raisonnement sous-tendant cette exception était que, dans la mesure où la décision nationale avait
été adoptée en violation de la division des pouvoirs entre les États membres et l’Union, elle ne pouvait pas acquérir la force de l’autorité de la chose jugée. La Cour a par la suite souligné le caractère exceptionnel de l’arrêt Lucchini, notant que ce dernier avait été rendu dans le contexte d’une situation très spécifique due à la division des pouvoirs susmentionnée ( 40 ).

87. Aucune de ces exceptions ne semble être directement pertinente pour la présente affaire. Ainsi, comme point de départ, la règle par défaut s’applique à cette affaire : il n’y a pas d’obligation de revenir sur les décisions juridictionnelles définitives afin de les rendre compatibles avec une décision ultérieure de la Cour ( 41 ).

88. Toutefois, bien que le droit de l’Union n’impose pas aux États membres d’obligations de créer de nouvelles voies de droit ( 42 ), si le droit national prévoit une telle possibilité, cette législation doit alors se conformer non seulement à l’exigence d’équivalence, mais également à l’exigence d’effectivité ( 43 ). Il est donc nécessaire de se pencher sur la voie de recours de la révision en vertu du droit national.

2. La révision en vertu du droit national

89. En vertu du droit hongrois, la révision semble régie par l’article 260, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, du code de procédure civile. D’après le gouvernement hongrois, les règles relatives à la révision ne sont pas applicables aux cas comme le présent dans la mesure où cette voie de recours vise uniquement à tenir compte de nouveaux éléments de fait, à l’exclusion des nouveaux éléments de droit. À l’inverse, Hochtief Hongrie soutient qu’un recours en révision pourrait servir à mettre en
œuvre une décision préjudicielle qui a été rendue par la Cour au cours de la procédure au principal, mais qui n’a pas été prise en compte pour des raisons de procédure. La Commission considère pour sa part qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si l’article 260, paragraphe 1, du code de procédure civile autorise un recours en révision lorsque les juridictions nationales n’ont pas dûment tenu compte d’une décision préjudicielle de la Cour.

90. Je partage en large partie le point de vue de la Commission. Il appartient à la juridiction de renvoi, en tant que seul organe ayant l’autorité pour interpréter le droit national, de déterminer si, en vertu de ces règles, il pourrait y avoir un recours en révision dans un cas où une décision préjudicielle, déjà rendue lorsque la décision définitive au fond avait été adoptée, n’aurait pas été correctement prise en compte.

91. Je me permettrai de faire ici deux remarques. Je crois comprendre que la voie de recours (extraordinaire) de la révision tend à être limitée aux affaires où, après qu’une décision nationale devient définitive, il apparaît que certains faits n’ont pas été pris en compte ou n’ont pas pu être pris en compte par la juridiction nationale lorsqu’elle a adopté cette décision.

92. Il serait quelque peu surprenant d’appliquer cette logique à un arrêt interprétatif de la Cour qui a été rendu et était connu au moment où la décision antérieure sur le fond a été adoptée. Premièrement, une telle décision pourrait difficilement être un fait nouveau. Deuxièmement, il est indéniable que cette décision existait et qu’elle était connue au moment de la décision initiale sur le fond, et elle pourrait dès lors difficilement être catégorisée comme un élément nouveau qui n’est apparu que
plus tard.

93. Ainsi, de prime abord et compte tenu de l’avis général quant à ce qui tend à être l’objet d’un recours en révision, il est difficile de voir comment cette voie de recours extraordinaire devrait être utilisée pour remédier à des lacunes alléguées dans l’application correcte d’orientations juridiques interprétatives qui existaient clairement et étaient connues lorsque la décision nationale initiale a été adoptée.

3. Équivalence avec des recours constitutionnels

94. Un argument supplémentaire doit cependant être examiné dans le présent contexte : l’équivalence suggérée avec les recours constitutionnels. Selon Hochtief Hongrie, un recours en révision aurait dû être autorisé dans les circonstances de la présente affaire au motif qu’une décision préjudicielle de la Cour n’avait pas été prise en compte parce que le droit national prévoit que l’Alkotmánybíróság (Cour constitutionnelle) déclare par la suite inconstitutionnelle une norme qui a été appliquée par
une juridiction ordinaire dans sa décision judiciaire définitive. C’est dans ce contexte que la juridiction nationale fait référence, dans la sixième question, à l’arrêt de la Cour dans l’affaire Transportes Urbanos y Servicios Generales (arrêt du 26 janvier 2010, C‑118/08, EU:C:2010:39).

95. Il convient d’admettre que l’affaire Transportes Urbanos y Servicios Generales présente quelques similitudes avec la présente affaire. Dans cet arrêt, la Cour a jugé que le droit de l’Union, et en particulier le principe d’équivalence, font obstacle à l’application d’une règle en vertu de laquelle les actions en réparation dirigées contre l’État, invoquant une violation du droit de l’Union établi par un arrêt de la Cour, sont soumises à la condition que les voies de recours contre une mesure
administrative préjudiciable aient été épuisées lorsque ces actions ne sont pas soumises à une telle condition si elles allèguent une violation de la constitution établie par la Cour constitutionnelle ( 44 ). Il y a néanmoins lieu de noter que la Cour est parvenue à cette conclusion après avoir observé que la seule différence entre ces deux actions était le fait que les violations du droit sur lesquelles elles étaient fondées avaient été établies respectivement par la Cour et par la Cour
constitutionnelle. La Cour a conclu que ce fait à lui seul, en l’absence de toute autre différence entre les deux actions, ne pouvait suffire à établir une distinction entre elles à la lumière du principe d’équivalence ( 45 ).

96. Récemment, dans l’affaire XC e.a., la Cour a insisté sur l’importance d’une similitude claire entre les actions en cause en ce qui concerne leur objet, leur cause et leurs éléments essentiels pour que le principe d’équivalence soit déclenché ( 46 ). La Cour a alors examiné, à la lumière de ces éléments, si une action permettant une révision d’une procédure pénale, clôturée par une décision ayant acquis l’autorité de la chose jugée, sur le fondement de la constatation ultérieure d’une violation
de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales ou de l’un de ses protocoles, d’une part, et une action visant à la protection des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, d’autre part, pourraient être considérées comme des actions similaires.

97. La Cour a conclu que les différences entre ces actions étaient telles qu’elles ne pouvaient pas être considérées comme étant similaires. Elle a en particulier noté que la première action avait été créée essentiellement afin de pouvoir revenir sur des décisions ayant l’autorité de la chose jugée. Par contraste, le cadre constitutionnel de l’Union garantit à chacun la possibilité d’obtenir une protection effective des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union avant qu’une décision nationale
ayant l’autorité de la chose jugée ne soit même adoptée ( 47 ).

98. Comme pour l’affaire XC e.a. (arrêt du 24 octobre 2018, XC e.a., C‑234/17, EU:C:2018:853), la disposition nationale invoquée dans la présente affaire permettant de revenir sur une décision nationale définitive à la suite d’une nouvelle décision de l’Alkotmánybíróság (Cour constitutionnelle) est la conséquence du mécanisme de recours constitutionnel tel qu’affirmé à l’article 361, sous a), du code de procédure civile. En effet, cette disposition qui prévoit une voie de recours extraordinaire
permettant qu’une décision de l’Alkotmánybíróság (Cour constitutionnelle) soit prise en compte ne peut être utilisée qu’à l’égard de l’arrêt spécifique qui, après être devenu définitif, a fait naître le recours constitutionnel. En d’autres termes, dans les cas dans lesquels un tel recours constitutionnel (abstrait) n’est possible qu’à la suite d’une décision judiciaire définitive, la seule manière de donner effet à ce contrôle constitutionnel et d’éliminer potentiellement l’inconstitutionnalité
dans le cas individuel est de revenir sur ladite décision.

99. Le mécanisme et la logique de cette exigence de revenir sur une décision sont très différents du mécanisme de la décision préjudicielle qui s’applique, par définition, alors que la procédure nationale est encore pendante et avant qu’une décision nationale définitive ne puisse être adoptée. Il n’y a donc aucune nécessité de revenir sur une décision définitive afin de tenir compte des orientations de la Cour.

100. C’est la raison pour laquelle, ainsi que je l’ai récemment soutenu plus en détail dans l’affaire Călin, la mise en œuvre et l’effet contraignant inter partes d’une décision préjudicielle de la Cour, d’une part, et un arrêt d’une cour constitutionnelle nationale saisie sur recours constitutionnel, d’autre part (voire d’une décision de la Cour EDH dans l’affaire au niveau national donnant lieu au recours) sont des voies de droit structurellement différentes ( 48 ). Leur objet, leur cause et leurs
caractéristiques essentielles sont tout simplement différents.

101. Il pourrait être ajouté que la situation pourrait être différente si le droit national permettait un contrôle préalable de la constitutionnalité sur renvoi par une juridiction nationale à l’Alkotmánybíróság (Cour constitutionnelle). À cet égard, si je comprends correctement son argument, le gouvernement hongrois semble avoir suggéré lors de l’audience qu’un recours en révision était également autorisé si la décision de l’Alkotmánybíróság (Cour constitutionnelle) était rendue non pas après la
décision judiciaire définitive dans la procédure au principal, mais avant, dans le cadre de cette procédure sur le fond ( 49 ).

102. Je dois avouer que je suis quelque peu perdu sur ce point. Si tel était le cas [et en effet un certain nombre de systèmes constitutionnels reconnaissent (également) un contrôle préliminaire de constitutionnalité, typiquement déclenché par renvoi d’un juge national (ordinaire)], je vois difficilement comment les règles relatives au recours en révision seraient pertinentes dans de tels cas. On devrait au contraire s’attendre à ce que, après un tel renvoi sur une question de constitutionnalité, le
juge ordinaire attende la décision de la Cour constitutionnelle et statue par la suite sur le litige initial, après que la décision a été rendue, en mettant en œuvre l’arrêt de la Cour constitutionnelle nationale. Si tel est le cas, un tel contrôle préliminaire de constitutionnalité pourrait en effet être fonctionnellement équivalent à une demande de décision préjudicielle à la Cour. Cependant, il n’y aurait à ce moment-là pas de réel besoin pour des règles spécifiques relatives à la révision
pour ce type de procédure.

103. Quoi qu’il en soit, si la juridiction de renvoi devait constater que i) les règles nationales relatives à la révision incluent également les décisions de l’Alkotmánybíróság (Cour constitutionnelle) rendues durant la procédure au principal, c’est‑à‑dire avant que la décision définitive au fond ne soit adoptée par le juge ordinaire, et que ii) en application des critères concernant l’exigence d’équivalence exposés dans la présente section, un tel type de contrôle est en effet équivalent à la mise
en œuvre d’une décision antérieure de la Cour rendue sur une demande de décision préjudicielle, l’exigence d’équivalence imposerait qu’un recours en révision devrait être également autorisé dans ce dernier type de situation.

4. Une application directe ou indirecte de l’arrêt Kühne & Heitz

104. Un dernier point à examiner en lien avec le recours en révision concerne l’arrêt Kühne & Heitz ( 50 ). Cette décision a été abondamment citée par la juridiction de renvoi ainsi que par les parties au cours des procédures écrite et orale devant la Cour.

105. Cette affaire a établi une obligation au titre du droit de l’Union de réexaminer les décisions administratives définitives i) si, en vertu du droit national, l’organisme administratif a le pouvoir de revenir sur la décision ; ii) si la décision administrative en question est devenue définitive en conséquence d’un arrêt d’une juridiction nationale statuant en première instance ; iii) si cet arrêt est, eu égard à la décision rendue par la Cour par la suite, fondée sur une interprétation erronée
du droit de l’Union qui a été adoptée sans qu’une question préjudicielle soit déférée à la Cour ; et iv) si la personne concernée s’est plainte auprès de l’organisme administratif dès qu’elle a pris connaissance de cette décision de la Cour ( 51 ).

106. Alors que Hochtief Hongrie a soutenu que cette ligne jurisprudentielle devait également s’appliquer par analogie aux décisions judiciaires définitives, la Commission a suggéré lors de l’audience qu’une application directe de cette logique pourrait éventuellement être envisagée en ce qui concerne la décision (administrative) de la commission arbitrale. J’examinerai ces deux scénarios dans les points qui suivent.

107. Premièrement, en ce qui concerne l’éventuelle application par analogie (ou extension) de l’arrêt du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz (C‑453/00, EU:C:2004:17), à la présente affaire, les conditions posées par la Cour dans cette décision visent clairement un scénario différent et plutôt spécifique, à savoir le fait de revenir sur une décision administrative, et non judiciaire, définitive, à la suite d’une décision préjudicielle postérieure de la Cour.

108. Même si on admettait que la même logique puisse s’appliquer aux décisions judiciaires définitives ( 52 ), la première et la troisième conditions posées par la Cour dans cet arrêt ne seraient toujours pas remplies : en vertu du droit national, le recours en révision est certainement une voie de recours disponible, mais elle n’est visiblement pas destinée à couvrir le type de situation en cause dans la présente affaire ; la décision de la Cour a par ailleurs été rendue non pas après la décision
judiciaire définitive, mais avant celle‑ci.

109. De plus, bien qu’elle ne soit pas expressément présentée comme l’une des conditions, l’obligation de revenir sur les décisions administratives nationales, exposée dans l’arrêt du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz (C‑453/00, EU:C:2004:17), a toujours eu les apparences d’une sanction indirecte pour le défaut de la juridiction nationale ayant contrôlé cette décision de se conformer à l’obligation de présenter une demande de décision préjudicielle. Par contraste, dans la présente affaire, la Fővárosi
Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale) n’a pas présenté une telle demande.

110. Enfin, à titre subsidiaire, si l’arrêt du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz (C‑453/00, EU:C:2004:17), devait être lu à la lumière de l’approche plus récente de la Cour dans l’arrêt du 24 octobre 2018, XC e.a.(C‑234/17, EU:C:2018:853), en ce qui concerne le fait de revenir sur des décisions judiciaires, alors cette première affaire devrait demeurer l’exception applicable aux seules autorités administratives. En effet, la direction prise par la Cour dans ledit arrêt XC e.a. confirme que, dans le
cadre de l’interaction entre, d’une part, la mise en œuvre effective du droit de l’Union et, d’autre part, le respect des principes de sécurité juridique et du caractère définitif des décisions (judiciaires), la mise en balance des intérêts penche clairement en faveur des dernières considérations citées.

111. Je considère donc qu’une extension supplémentaire de l’arrêt du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz (C‑453/00, EU:C:2004:17) (ou son application par analogie aux décisions judiciaires définitives), n’est pas nécessaire.

112. Deuxièmement, je ne suis pas non plus convaincu par la suggestion de la Commission quant à une application directe de l’arrêt du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz (C‑453/00, EU:C:2004:17), dans le contexte de la présente affaire en revenant sur la décision administrative définitive, à savoir celle de la commission arbitrale ( 53 ). Outre le fait que cela n’est pas du tout en cause ici, et vu l’absence d’informations en ce qui concerne les éventuelles règles de droit national prévoyant de revenir
sur les décisions administratives, il semble que les faits de la présente affaire diffèrent de manière substantielle des faits dans ladite affaire Kühne & Heitz.

113. Dans l’affaire Kühne & Heitz (arrêt du 13 janvier 2004, C‑453/00, EU:C:2004:17), la question de l’existence d’une éventuelle obligation de tenir compte d’un arrêt de la Cour avait été soulevée à un moment où la procédure administrative et la procédure judiciaire postérieures étaient closes. Toutes les décisions adoptées au cours de ces procédures étaient donc définitives. À l’inverse, dans la présente affaire, la décision préjudicielle de la Cour a été rendue à un moment où seule la procédure
administrative était close et où par conséquent la procédure judiciaire était encore pendante. De ce fait, et eu égard aux circonstances de fait de l’affaire, tel que confirmé par les conditions très détaillées posées par la Cour dans ledit arrêt Kühne & Heitz afin de justifier l’obligation de revenir sur la procédure administrative, il semble que ces conditions ne soient pas remplies.

5. Conclusion intermédiaire

114. Eu égard aux considérations qui précèdent, je conclus que le principe de la protection juridictionnelle effective n’exige pas d’autoriser le recours en révision en tant que voie de recours extraordinaire dans les circonstances de la présente affaire, afin de mettre en œuvre la décision préjudicielle de la Cour rendue dans la procédure au principal et qui n’aurait pas été pleinement prise en compte dans cette procédure sur le fond. Toutefois, si un système national devait prévoir une voie de
recours permettant, voire imposant, de revenir sur les décisions définitives rendues dans des cas similaires au niveau national, l’exigence d’équivalence exigerait qu’une telle possibilité soit également ouverte pour les manquements liés aux décisions préjudicielles de la Cour rendues auparavant dans la même affaire.

D.   Sur la responsabilité de l’État membre

115. Enfin, par ses première, deuxième, huitième et dixième questions, la juridiction de renvoi cherche à obtenir des orientations sur un certain nombre de points tenant à la troisième phase du contentieux national relatif à une éventuelle responsabilité de l’État membre.

116. Dans sa première question, la juridiction de renvoi interroge la Cour quant à des aspects généraux de la responsabilité des États membres pour des arrêts des juridictions nationales : la responsabilité de l’État membre doit-elle être déterminée sur la seule base du droit de l’Union ou bien également sur la base du droit national, en particulier en ce qui concerne l’appréciation des conditions d’engagement de la responsabilité ? Dans sa deuxième question, la juridiction de renvoi cherche à
déterminer si, dans l’hypothèse où l’arrêt d’une juridiction nationale est incompatible avec le droit de l’Union, la responsabilité de l’État membre peut être engagée en dépit de l’autorité de la chose jugée attachée à cette décision.

117. La réponse à ces deux questions peut être aisément déduite de la jurisprudence.

118. Il est de jurisprudence constante que les particuliers se prévalant du droit de l’Union doivent avoir la possibilité d’obtenir devant une juridiction nationale réparation du préjudice causé par la violation de ces droits du fait d’une décision d’une juridiction statuant en dernier ressort ( 54 ).

119. La Cour a jugé que les conditions à remplir étaient au nombre de trois : la règle de droit violée doit avoir pour objet de conférer des droits aux particuliers ; elle doit être suffisamment caractérisée ; et il doit y avoir un lien de causalité direct entre la violation et l’obligation qui incombe à l’État et le préjudice subi par les parties lésées ( 55 ).

120. Ces trois conditions sont nécessaires et suffisantes pour établir, au titre du droit de l’Union, un droit en faveur des particuliers à obtenir réparation. Les États membres peuvent néanmoins prévoir des conditions moins strictes pour que la responsabilité de l’État soit engagée. Sous réserve de l’existence d’un droit à obtenir réparation qui est fondé directement sur le droit de l’Union lorsque les conditions susmentionnées sont réunies, c’est sur la base des règles de droit national relatives
à la responsabilité que l’État doit procéder à la réparation des conséquences du préjudice causé, étant entendu que les conditions de la réparation du préjudice fixées par la législation nationale ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne et ne sauraient être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’obtention de la réparation ( 56 ).

121. Il ressort en outre de manière tout aussi claire de la jurisprudence que le principe de l’autorité de la chose jugée ne fait pas obstacle à la reconnaissance du principe de la responsabilité de l’État du fait de la décision d’une juridiction statuant en dernier ressort ( 57 ).

122. Ainsi, pour répondre à la première question, la responsabilité de l’État membre peut uniquement être déterminée sur le fondement des conditions posées par le droit de l’Union bien que le droit national puisse poser des conditions moins strictes. En ce qui concerne la deuxième question, le principe de l’autorité de la chose jugée ne fait pas obstacle à la reconnaissance du principe de responsabilité de l’État du fait d’une décision d’une juridiction statuant en dernier ressort.

123. Par sa dixième question, la juridiction de renvoi demande si, en vertu des principes de responsabilité de l’État en droit de l’Union, une réparation (sous forme de remboursement des dépens exposés) peut être réclamée pour le préjudice causé du fait que la juridiction de dernière instance a refusé de revenir sur l’affaire. Elle demande en d’autres termes s’il existe une limite quant au type de réparation qui peut être réclamé pour la violation alléguée du droit de l’Union par une juridiction de
dernière instance.

124. L’incertitude quant à la source exacte des limites évoquées dans la dixième question a été levée durant l’audience, Hochtief Hongrie et le gouvernement hongrois confirmant que ces limites découlaient de la jurisprudence nationale.

125. Ayant précisé la source des limites quant au type de réparation qui peut être obtenue, il me semble plutôt clair que de telles limites seraient incompatibles avec le droit de l’Union. Il est en effet impossible de limiter les dommages-intérêts qui peuvent être réclamés. Selon la Cour, les règles relatives à l’appréciation du préjudice causé par une violation du droit de l’Union sont déterminées par le droit national de chaque État membre, étant entendu que les règles nationales fixant ces
règles doivent respecter les exigences d’équivalence et d’effectivité ( 58 ). Ainsi, tant que les trois conditions de la responsabilité d’un État membre, telles que posées par le droit de l’Union, sont réunies, tout préjudice, dont les dépens, doit être réparé.

126. Cela étant dit, tandis que le type de dommages-intérêts réclamés ne peut pas être utilisé pour établir une « exclusion en bloc » d’un certain type de dommages-intérêts en tant que tel, le type exact de dommages-intérêts réclamés par un requérant sera bien entendu pertinent à un autre niveau, notamment pour déterminer un lien de causalité direct entre le préjudice et la « violation suffisamment caractérisée » du droit de l’Union reprochée.

127. Par sa huitième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si, dans les circonstances de la présente affaire, le refus d’une juridiction de dernière instance (la partie défenderesse) de demander une décision préjudicielle sur demande d’une partie sur le point de savoir si un recours en révision aurait dû être accordé constitue une « violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union » qui pourrait engager la responsabilité de l’État membre. Dans la seconde partie de la question,
la juridiction de renvoi demande en outre dans quelle mesure une juridiction nationale doit motiver sa décision de ne pas procéder à un renvoi préjudiciel eu égard à l’arrêt dans l’affaire Cilfit e.a. ( 59 ).

128. La réponse à cette question est un peu plus complexe.

129. Il convient de rappeler d’emblée qu’il n’appartient pas à la Cour de décider de l’éventuelle responsabilité d’un État membre dans une affaire donnée. La Cour peut néanmoins offrir des orientations en ce qui concerne l’application des critères de responsabilité, et notamment celui de la « violation suffisamment caractérisée » du droit de l’Union.

130. Par ailleurs, il pourrait être utile de rappeler qu’il relève du privilège et de la responsabilité exclusive du juge national de décider de procéder ou non à un renvoi préjudiciel à la Cour. Les parties à la procédure au principal peuvent bien entendu faire une suggestion à cet égard, mais elles n’ont pas de droit à demander une décision préjudicielle de la Cour ( 60 ).

131. Ces points ayant été précisés, et indépendamment du nombre d’affirmations factuelles que la juridiction de renvoi a insérées dans sa question et qu’il n’appartient pas à la Cour de commenter, la question de la juridiction de renvoi mentionne deux variables supplémentaires : le « critère Köbler » de la « violation suffisamment caractérisée » et le « critère Cilfit » pour que les juridictions de dernière instance soient autorisées à ne pas présenter une demande de décision préjudicielle au titre
de l’article 267, troisième alinéa, TFUE.

132. Le « critère Köbler » adapte la condition de la « violation suffisamment caractérisée » à l’éventuelle mauvaise application par les juridictions du droit de l’Union. Selon la Cour, afin de déterminer s’il y a une violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union, il convient de tenir compte de tous les éléments qui caractérisent la situation soumise au juge national. Font en particulier partie des facteurs qui peuvent être pris en considération le degré de clarté et de précision de la
règle violée, l’étendue de la marge d’appréciation que la règle violée accorde aux autorités nationales, le caractère intentionnel ou involontaire du manquement commis, le caractère excusable ou inexcusable d’une éventuelle erreur de droit et la circonstance que les attitudes prises par une institution de l’Union ont pu contribuer à l’omission, à l’adoption ou au maintien de mesures ou de pratiques nationales contraires au droit de l’Union, et le non‑respect par la juridiction en question de
son obligation de procéder à un renvoi préjudiciel en application de l’article 267, troisième alinéa, TFUE. En tout état de cause, une violation du droit de l’Union est considérée comme étant suffisamment caractérisée lorsqu’elle intervient en violation manifeste de la jurisprudence de la Cour en la matière ( 61 ).

133. Le « critère Cilfit » se concentre spécifiquement sur les juridictions de dernière instance et leur violation éventuelle de l’obligation de procéder à un renvoi préjudiciel. Selon la Cour, en vertu de l’article 267, troisième alinéa, TFUE, une juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne est tenue, lorsqu’une question de droit de l’Union se pose devant elle, de déférer à son obligation de saisine, à moins qu’elle n’ait constaté que la
question soulevée n’est pas pertinente ou que la disposition du droit de l’Union en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour ou que l’application correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable. L’existence d’une telle éventualité doit être appréciée à la lumière des caractéristiques spécifiques du droit de l’Union, des difficultés particulières que présente son interprétation et du risque de divergences
de jurisprudence à l’intérieur de l’Union ( 62 ). Par conséquent, toute disposition du droit de l’Union, y compris la jurisprudence de la Cour dans le domaine considéré, doit être replacée dans son contexte et interprétée à la lumière des dispositions de droit de l’Union dans leur ensemble, eu égard à ses finalités et à l’état de son évolution à la date à laquelle l’application de la disposition en cause doit être faite ( 63 ).

134. Il y a bien des choses qui pourraient être dites quant à la nécessité i) de réinterpréter l’arrêt du 6 octobre, Cilfit e.a. (283/81, EU:C:1982:335) afin de le rendre de nouveau pertinent [à supposer qu’il l’ait jamais été ( 64 )] ; ii) d’être clair quant à la relation exacte entre les conditions « des critères Köbler » et celles des « critères Cilfit », et de les intégrer idéalement dans un ensemble cohérent ( 65 ) ; iii) tout en intégrant et en tenant compte du critère à appliquer aux
omissions éventuelles des juridictions de dernière instance si elles sont poursuivies au moyen de procédures en manquement au titre de l’article 258 TFUE ( 66 ).

135. Ce n’est cependant pas vraiment la bonne affaire pour une telle entreprise. Pour les fins de la juridiction de renvoi dans la présente affaire, il suffit de rappeler que le standard au regard duquel toute question potentielle de responsabilité de l’État doit être appréciée est celui du « critère Köbler » souligné ci‑dessus au point 132 des présentes conclusions. À cette fin, c’est non pas le « critère Cilfit » mais simplement la « méconnaissance manifeste de la jurisprudence de la Cour en la
matière» ( 67 ) qui équivaudra à une violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union. Il appartiendra une fois de plus à la juridiction de renvoi d’apprécier si le manquement de la juridiction nationale en question était ou non si manifeste qu’il équivaut à une méconnaissance flagrante de la jurisprudence de la Cour, soit en n’examinant pas du tout le droit de l’Union, soit en l’interprétant d’une manière manifestement indéfendable.

V. Conclusion

136. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre comme suit aux questions posées par la Székesfehérvári Törvényszék (cour de Székesfehérvár, Hongrie) :

– L’article 4, paragraphe 3, TUE et l’article 267 TFUE exigent qu’une juridiction nationale, mettant en œuvre une décision préjudicielle demandée auparavant à la Cour, doit pleinement mettre en œuvre les orientations qu’elle contient. Si la mise en œuvre des orientations de la Cour requiert qu’il soit procédé à un certain type d’appréciation ou à une appréciation d’une certaine portée qui n’est normalement pas effectuée par la juridiction de renvoi en question, cette juridiction est tenue soit
d’écarter les règles procédurales nationales limitant sa compétence à cet égard, soit d’annuler et de renvoyer l’affaire au niveau juridictionnel, voire administratif, approprié où une telle appréciation peut être pleinement effectuée.

– Le principe de la protection juridictionnelle effective n’exige pas d’autoriser un recours en révision en tant que voie de recours extraordinaire afin de mettre en œuvre une décision préjudicielle de la Cour qui n’aurait pas été pleinement prise en compte dans la procédure précédente au fond au cours de laquelle la décision préjudicielle a été rendue. Toutefois, si le droit national devait prévoir une voie de recours reconnaissant la possibilité ou l’obligation de revenir sur des décisions
définitives rendues dans des cas similaires au niveau national, l’exigence d’équivalence imposerait qu’une telle possibilité ou obligation soit également étendue aux décisions de la Cour rendues auparavant dans la même affaire.

– Les règles et principes du droit de l’Union quant à la responsabilité de l’État membre doivent être interprétés en ce sens que :

– une déclaration de responsabilité pour violation du droit de l’Union par une juridiction nationale (de dernière instance) doit être fondée sur les critères posés par le droit de l’Union ;

– le principe de l’autorité de la chose jugée attachée à une décision d’une juridiction statuant en dernier ressort qui a violé le droit de l’Union ne fait pas obstacle à la reconnaissance de la responsabilité de l’État pour cette violation ;

– le droit national ne peut pas exclure la possibilité que certains types de dommages-intérêts soient réclamés s’il était établi que de tels dommages-intérêts sont la conséquence directe d’une violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union ;

– une violation du droit de l’Union par une juridiction de dernière instance refusant de procéder à un renvoi préjudiciel en violation de l’article 267, troisième alinéa, TFUE sera suffisamment sérieuse si elle a été commise en méconnaissance manifeste de la jurisprudence de la Cour dans le domaine examiné par cette juridiction.

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( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Arrêt du 18 octobre 2012, Édukövízig et Hochtief Construction (C‑218/11, EU:C:2012:643).

( 3 ) Directive du Conseil du 21 décembre 1989 (JO 1989, L 395, p. 33).

( 4 ) JO 1992, L 76, p. 14.

( 5 ) Série S, no 139-149325.

( 6 ) Arrêt du 18 octobre 2012, Édukövízig et Hochtief Construction (C‑218/11, EU:C:2012:643, point 32).

( 7 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007 modifiant les directives 89/665 et 92/13 du Conseil en ce qui concerne l’amélioration de l’efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics (JO 2007, L 335, p. 31).

( 8 ) Voir, par exemple, arrêts du 31 janvier 2017, Lounani (C‑573/14, EU:C:2017:71, point 56) ; du 8 mars 2018, Saey Home & Garden (C‑64/17, EU:C:2018:173, point 18), et du 13 juin 2018, Deutscher Naturschutzring (C‑683/16, EU:C:2018:433, point 29).

( 9 ) Voir, par exemple, arrêts du 11 septembre 2014, B. (C‑394/13, EU:C:2014:2199, point 21 et jurisprudence citée), et du 26 avril 2017, Farkas (C‑564/15, EU:C:2017:302, point 38).

( 10 ) Voir, par exemple, arrêts du 18 juillet 2007, Lucchini (C‑119/05, EU:C:2007:434, point 43) ; du 26 mai 2011, Stichting Natuur en Milieu e.a. (C‑165/09 à C‑167/09, EU:C:2011:348, point 47), et du 26 avril 2017, Farkas (C‑564/15, EU:C:2017:302, point 37).

( 11 ) Voir, par exemple, arrêts du 31 janvier 2017, Lounani (C‑573/14, EU:C:2017:71, point 56) ; du 8 mars 2018, Saey Home & Garden (C‑64/17, EU:C:2018:173, point 18), et du 13 juin 2018, Deutscher Naturschutzring (C‑683/16, EU:C:2018:433, point 29).

( 12 ) Citée dans les notes 8 et 9 des présentes conclusions.

( 13 ) Je tiens à souligner que le terme de « phase » est uniquement la convention que j’ai choisie pour les trois phases distinctes du litige dans le contexte de la présente affaire.

( 14 ) Il convient de noter que cette étape pourrait être également pertinente pour une autre raison dans le présent contexte puisque la Commission a suggéré, lors de l’audience, qu’il pourrait y avoir une obligation, sur la base de la jurisprudence Kühne & Heitz (arrêt du 13 janvier 2004, C‑453/00, EU:C:2004:17), de rouvrir la procédure de contrôle administratif devant la commission arbitrale (voir ci‑dessous, section C des présentes conclusions).

( 15 ) Exposée aux points 30 et 37 des présentes conclusions.

( 16 ) Points 31 à 36 des présentes conclusions.

( 17 ) JO 2018, C 22, p. 26.

( 18 ) Ainsi que cela a déjà été souligné de manière générale ci‑dessus, au point 36 des présentes conclusions, j’apprécierai la compatibilité générale des règles sans approuver ou confirmer l’existence de la moindre erreur dans le cas individuel. Cette appréciation doit être faite par la juridiction de renvoi.

( 19 ) Voir, par exemple, arrêts du 5 octobre 2010, Elchinov (C‑173/09, EU:C:2010:581, point 29), et du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. (C‑62/14, EU:C:2015:400, point 16).

( 20 ) Voir, par exemple, arrêt du 5 juillet 2016, Ognyanov (C‑614/14, EU:C:2016:514, point 28).

( 21 ) Voir, par exemple, en ce qui concerne les effets d’une décision préjudicielle déclarant la nullité d’un acte d’une institution, arrêts du 13 mai 1981, International Chemical Corporation (66/80, EU:C:1981:102, points 12 et 13), et du 27 février 1985, Société des produits de maïs (112/83, EU:C:1985:86, point 16).

( 22 ) Voir, par exemple, arrêts du 27 mars 1963, Da Costa e.a. (28/62 à 30/62, EU:C:1963:6), et du 4 novembre 1997, Parfums Christian Dior (C‑337/95, EU:C:1997:517, point 29).

( 23 ) Cela n’interdit naturellement pas à la juridiction de renvoi, ou à toute autre juridiction nationale statuant dans la même procédure, de demander une nouvelle décision de la Cour si la juridiction de renvoi devait estimer qu’une telle demande est nécessaire quelle qu’en soit la raison – voir, par exemple, arrêts du 24 juin 1969, Milch-, Fett- und Eierkontor (29/68, EU:C:1969:27, point 3), et du 11 juin 1987, X (14/86, EU:C:1987:275, point 12). Ainsi que cela est indiqué à l’article 104,
paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour : « Il appartient aux juridictions nationales d’apprécier si elles s’estiment suffisamment éclairées par une décision préjudicielle, ou s’il leur apparaît nécessaire de saisir à nouveau la Cour. » En termes plus directs, à la suite d’une décision de la Cour, les options demeurant à la disposition de la juridiction de renvoi sont soit d’appliquer les orientations fournies, soit de renvoyer l’affaire de nouveau en cas de désaccord. Ignorer les
orientations fournies n’est pas une option.

( 24 ) Arrêt du 7 août 2018, Hochtief (C‑300/17, EU:C:2018:635).

( 25 ) Voir, par exemple, arrêts du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti (C‑213/13, EU:C:2014:2067, point 54) ; du 6 octobre 2015, Târşia (C‑69/14, EU:C:2015:662, points 26 et 27), et du 24 octobre 2018, XC e.a. (C‑234/17, EU:C:2018:853, points 21 et 22).

( 26 ) Voir, par exemple, arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal (106/77, EU:C:1978:49, point 22) ; du 22 juin 2010, Melki et Abdeli (C‑188/10 et C‑189/10, EU:C:2010:363, point 44), et du 4 décembre 2018, Minister for Justice and Equality et Commissioner of An Garda Síochána (C‑378/17, EU:C:2018:979, point 36).

( 27 ) Voir, par exemple, arrêts du 5 octobre 2010, Elchinov (C‑173/09, EU:C:2010:581, point 25) ; du 15 janvier 2013, Križan e.a. (C‑416/10, EU:C:2013:8, point 67), et du 18 juillet 2013, Consiglio Nazionale dei Geologi (C‑136/12, EU:C:2013:489, point 32).

( 28 ) Voir, par exemple, arrêts du 14 décembre 1995, van Schijndel et van Veen (C‑430/93 et C‑431/93, EU:C:1995:441, point 22) ; du 7 juin 2007, van der Weerd e.a. (C‑222/05 à C‑225/05, EU:C:2007:318, point 36), et du 26 avril 2017, Farkas (C‑564/15, EU:C:2017:302, point 32).

( 29 ) Arrêt du 7 juin 2007, van der Weerd e.a. (C‑222/05 à C‑225/05, EU:C:2007:318, point 41).

( 30 ) Voir arrêt du 7 août 2018, Hochtief (C‑300/17, EU:C:2018:635, points 50 à 54 et jurisprudence citée).

( 31 ) Voir arrêt du 7 août 2018, Hochtief (C‑300/17, EU:C:2018:635, point 58).

( 32 ) Point 11 des présentes conclusions.

( 33 ) Il s’agit là clairement du cas où il n’y a pas de « conflit négatif de compétence », hypothèse dans laquelle aucun organisme ou juge n’assumera en définitive la responsabilité – voir, dans un sens similaire, mes conclusions dans l’affaire Link Logistik N&N (C‑384/17, EU:C:2018:494, points 111 et 112).

( 34 ) Arrêt du 1er juin 1999, Eco Swiss (C‑126/97, EU:C:1999:269, point 46).

( 35 ) Pour un exemple récent, voir arrêt du 24 octobre 2018, XC e.a. (C‑234/17, EU:C:2018:853, point 52). Voir, également, arrêts du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513, point 38) ; du 16 mars 2006, Kapferer (C‑234/04, EU:C:2006:178, point 20) ; du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti (C‑213/13, EU:C:2014:2067, point 58), ou du 6 octobre 2015, Târşia (C‑69/14, EU:C:2015:662, point 28).

( 36 ) Voir, par exemple, arrêt du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti (C‑213/13, EU:C:2014:2067, point 60), et du 6 octobre 2015, Târşia (C‑69/14, EU:C:2015:662, point 38).

( 37 ) Voir arrêt du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz (C‑453/00, EU:C:2004:17, point 28).

( 38 ) Voir arrêt du 16 mars 2006, Kapferer (C‑234/04, EU:C:2006:178, point 23).

( 39 ) Arrêt du 18 juillet 2007, Lucchini (C‑119/05, EU:C:2007:434, point 63).

( 40 ) Arrêt du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti (C‑213/13, EU:C:2014:2067, point 61).

( 41 ) Il s’agit là, pour autant que je sache, d’un principe général commun aux États membres puisque, dans les systèmes juridiques dont j’ai connaissance, une modification ultérieure (clarification ou renversement) de la jurisprudence d’une cour suprême n’est pas normalement considérée comme un motif suffisant pour revenir sur des décisions définitives dans lesquelles l’avis juridique antérieur avait été appliqué.

( 42 ) Arrêt du 24 octobre 2018, XC e.a. (C‑234/17, EU:C:2018:853, point 51).

( 43 ) Voir, par exemple, arrêts du 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti (C‑213/13, EU:C:2014:2067, point 62), et du 6 octobre 2015, Târşia (C‑69/14, EU:C:2015:662, point 30).

( 44 ) Arrêt du 26 janvier 2010, Transportes Urbanos y Servicios Generales (C‑118/08, EU:C:2010:39, points 46 et 48).

( 45 ) Arrêt du 26 janvier 2010, Transportes Urbanos y Servicios Generales (C‑118/08, EU:C:2010:39, points 43 et 44).

( 46 ) Arrêt du 24 octobre 2018, XC e.a. (C‑234/17, EU:C:2018:853, point 27).

( 47 ) Arrêt du 24 octobre 2018, XC e.a. (C‑234/17, EU:C:2018:853, points 33, 46 et 47).

( 48 ) Voir mes conclusions dans l’affaire Călin (C‑676/17, EU:C:2019:94, points 66 à 79).

( 49 ) Il convient de noter à cet égard que l’article 260, paragraphe 1, sous a), du code de procédure civile fait en effet non seulement référence à des faits nouveaux, mais également à « toute décision judiciaire ou administrative définitive » comme condition pour présenter un recours en révision. Il appartient de nouveau à la juridiction nationale de déterminer ce que cette tournure de phrase signifie exactement.

( 50 ) Arrêt du 13 janvier 2004 (C‑453/00, EU:C:2004:17).

( 51 ) Voir arrêt du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz (C‑453/00, EU:C:2004:17, point 28).

( 52 ) Ce qui serait déjà une conclusion audacieuse : ainsi que cela a été souligné plus haut (points 82 à 87 des présentes conclusions), à la différence de la (potentiellement mauvaise) application administrative du droit de l’Union, l’approche de la Cour a toujours été plus prudente en ce qui concerne l’équilibre entre la sécurité juridique (et l’autorité de la chose jugée) et l’exigence de mise en œuvre effective du droit de l’Union appliqué aux décisions judiciaires, la balance penchant beaucoup
plus en faveur de la première.

( 53 ) Il convient de noter que la commission arbitrale effectue le contrôle administratif et a donc des fonctions quasi judiciaires. Il n’est donc pas certain qu’elle puisse être qualifiée d’organe administratif au sens de l’arrêt du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz (C‑453/00, EU:C:2004:17). Si l’organe administratif était cependant le pouvoir adjudicateur qui a effectivement conduit la procédure de passation de marché, la même logique pourrait être considérée comme s’appliquant à un niveau
inférieur.

( 54 ) Voir, par exemple, arrêts du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513, point 36) ; du 13 juin 2006, Traghetti del Mediterraneo (C‑173/03, EU:C:2006:391, point 31), et du 28 juillet 2016, Tomášová (C‑168/15, EU:C:2016:602, point 20).

( 55 ) Voir, notamment, arrêts du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513, point 51) ; du 13 juin 2006, Traghetti del Mediterraneo (C‑173/03, EU:C:2006:391, points 42 et 45), et du 28 juillet 2016, Tomášová (C‑168/15, EU:C:2016:602, points 22 et 23).

( 56 ) Voir, par exemple, arrêts du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513, points 57 et 58) ; du 13 juin 2006, Traghetti del Mediterraneo (C‑173/03, EU:C:2006:391, points 44 et 45), et du 28 juillet 2016, Tomášová (C‑168/15, EU:C:2016:602, point 38).

( 57 ) Voir, par exemple, arrêt du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513, point 40) ; du 28 février 2018, ZPT (C‑518/16, EU:C:2018:126, point 22), et du 24 octobre 2018, XC e.a. (C‑234/17, EU:C:2018:853, point 58).

( 58 ) Voir, par exemple, arrêt du 28 juillet 2016, Tomášová (C‑168/15, EU:C:2016:602, points 38 et 39).

( 59 ) Arrêt du 6 octobre 1982 (283/81, EU:C:1982:335).

( 60 ) Voir, par exemple, arrêt du 22 juin 2010, Melki et Abdeli (C‑188/10 et C‑189/10, EU:C:2010:363, point 63), et ordonnance du 16 juillet 2015, Striani e.a. (C‑299/15, non publiée, EU:C:2015:519, point 33).

( 61 ) Voir, par exemple, arrêts du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513, points 54 à 56), et du 28 juillet 2016, Tomášová (C‑168/15, EU:C:2016:602, points 25 et 26).

( 62 ) Voir arrêts du 6 octobre 1982, Cilfit e.a. (283/81, EU:C:1982:335, point 21) ; du 18 octobre 2011, Boxus e.a. (C‑128/09 à C‑131/09, C‑134/09 et C‑135/09, EU:C:2011:667, point 31), et du 28 juillet 2016, Association France Nature Environnement (C‑379/15, EU:C:2016:603, point 50).

( 63 ) Voir, par exemple, arrêt du 28 juillet 2016, Association France Nature Environnement (C‑379/15, EU:C:2016:603, point 49).

( 64 ) Je ne peux que renvoyer aux sages propos de M. l’avocat général Jacobs prononcés déjà en 1997 dans ses conclusions dans l’affaire Wiener SI (C‑338/95, EU:C:1997:352). Voir, également, conclusions de M. l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans l’affaire Gaston Schul Douane-expediteur (C‑461/03, EU:C:2005:415, points 44 et suivants).

( 65 ) En particulier aussi eu égard à la jurisprudence plus récente qui semble adopter une approche plus « libérale » vis-à-vis de l’obligation de renvoi préjudiciel – voir, notamment, arrêt du 9 septembre 2015, Ferreira da Silva e Brito e.a. (C‑160/14, EU:C:2015:565, points 41 et 42).

( 66 ) Voir arrêt du 4 octobre 2018, Commission/France (Précompte mobilier) (C‑416/17, EU:C:2018:811, points 111 à 113).

( 67 ) Arrêts du 30 septembre 2003, Köbler (C‑224/01, EU:C:2003:513, point 56) ; du 12 décembre 2006, Test Claimants in the FII Group Litigation (C‑446/04, EU:C:2006:774, point 214) ; du 25 novembre 2010, Fuß (C‑429/09, EU:C:2010:717, point 52), et du 28 juillet 2016, Tomášová (C‑168/15, EU:C:2016:602, point 26).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-620/17
Date de la décision : 30/04/2019
Type de recours : Recours préjudiciel, Recours préjudiciel - irrecevable

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par la Székesfehérvári Törvényszék.

Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Procédures de recours – Directive 89/665/CEE – Directive 92/13/CEE – Droit à une protection juridictionnelle effective – Principes d’effectivité et d’équivalence – Recours en révision des décisions juridictionnelles méconnaissant le droit de l’Union – Responsabilité des États membres en cas de violation du droit de l’Union par les juridictions nationales – Évaluation du dommage indemnisable.

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : Hochtief Solutions AG Magyarországi Fióktelepe
Défendeurs : Fővárosi Törvényszék.

Composition du Tribunal
Avocat général : Bobek

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2019:340

Source

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