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10/04/2019 | CJUE | N°C-709/17

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. G. Pitruzzella, présentées le 10 avril 2019., Commission européenne contre Kolachi Raj Industrial (Private) Ltd., 10/04/2019, C-709/17


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 10 avril 2019 ( 1 )

Affaire C‑709/17 P

Commission européenne

contre

Kolachi Raj Industrial (Private) Ltd

« Pourvoi – Dumping – Règlement d’exécution (UE) 2015/776 – Importation de bicyclettes expédiées du Cambodge, du Pakistan et des Philippines – Extension à ces importations du droit antidumping définitif institué sur les importations de bicyclettes originaires de Chine – Règlement (CE) no 1225/2009 – Article 1

3 – Contournement – Opérations d’assemblage – Provenance directe et indirecte des pièces concernées – Règles régissant la preuve du co...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 10 avril 2019 ( 1 )

Affaire C‑709/17 P

Commission européenne

contre

Kolachi Raj Industrial (Private) Ltd

« Pourvoi – Dumping – Règlement d’exécution (UE) 2015/776 – Importation de bicyclettes expédiées du Cambodge, du Pakistan et des Philippines – Extension à ces importations du droit antidumping définitif institué sur les importations de bicyclettes originaires de Chine – Règlement (CE) no 1225/2009 – Article 13 – Contournement – Opérations d’assemblage – Provenance directe et indirecte des pièces concernées – Règles régissant la preuve du contournement »

1. La réalité économique actuelle est caractérisée par une globalisation croissante du commerce international, offrant de plus en plus aux entreprises la possibilité de délocaliser dans différents pays la production des biens, particulièrement ceux à faible contenu technologique. Dans un tel contexte économique global, il devient de plus en plus important pour l’Union européenne de disposer d’instruments de défense commerciale aptes à répondre de manière effective aux défis que pose un tel
environnement commercial, en assurant une protection efficace de l’industrie de l’Union contre les importations de produits faisant l’objet de dumping. Parmi ces instruments, les règles anti-contournement jouent un rôle fondamental pour garantir l’efficacité des mesures antidumping adoptées par l’Union.

2. Dans la présente affaire, la Cour est confrontée pour la première fois à des pratiques de contournement complexes consistant en des opérations d’assemblage successives et multiples ayant lieu dans différents pays tiers. La question fondamentale que cette affaire pose est celle de savoir comment, lorsque les institutions de l’Union sont confrontées à de telles pratiques, peuvent-elles prouver l’existence d’un contournement.

3. Cette question se pose dans le cadre d’une procédure de pourvoi engagée par la Commission européenne contre l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 10 octobre 2017, Kolachi Raj Industrial/Commission (T‑435/15 ( 2 ), ci-après l’« arrêt attaqué »), par lequel celui-ci a annulé le règlement d’exécution (UE) 2015/776 ( 3 ) (ci-après le « règlement litigieux ») étendant le droit antidumping définitif imposé sur les importations de bicyclettes originaires de Chine aux importations de bicyclettes
expédiées, notamment, du Pakistan, en tant qu’il concerne la société Kolachi Raj Industrial (Private) Ltd (ci-après « Kolachi »).

4. La présente affaire revêt donc une importance considérable dans le cadre de la réglementation antidumping de l’Union, en ce qu’elle permettra à la Cour de déterminer pour la première fois les exigences relatives à la preuve auxquelles sont assujetties les institutions de l’Union en cas de pratiques de contournement complexes.

I. Le cadre juridique

5. À l’époque des faits à l’origine du litige, les dispositions régissant l’adoption de mesures antidumping par l’Union figuraient dans le règlement (CE) no 1225/2009 ( 4 ).

6. L’article 13 de ce règlement concerne les contournements, et était libellé comme suit :

« 1.   Les droits antidumping institués en vertu du présent règlement peuvent être étendus aux importations en provenance de pays tiers de produits similaires, légèrement modifiés ou non, ainsi qu’aux importations de produits similaires légèrement modifiés en provenance du pays soumis aux mesures ou de parties de ces produits, lorsque les mesures en vigueur sont contournées. [...] Le contournement se définit comme une modification de la configuration des échanges entre les pays tiers et [l’Union]
ou entre des sociétés du pays soumis aux mesures et [l’Union], découlant de pratiques, d’opérations ou d’ouvraisons pour lesquelles il n’existe pas de motivation suffisante ou de justification économique autre que l’imposition du droit, en présence d’éléments attestant qu’il y a préjudice ou que les effets correctifs du droit sont compromis en termes de prix et/ou de quantités de produits similaires et d’éléments de preuve, si nécessaire fondés sur les dispositions de l’article 2, de l’existence
d’un dumping en liaison avec les valeurs normales précédemment établies pour les produits similaires.

Les pratiques, opérations ou ouvraisons visées à l’alinéa qui précède englobent, entre autres, [...] dans les circonstances visées au paragraphe 2, les opérations d’assemblage dans [l’Union] ou dans un pays tiers.

2.   Une opération d’assemblage dans [l’Union] ou dans un pays tiers est considérée comme contournant les mesures en vigueur lorsque :

a) l’opération a commencé ou s’est sensiblement intensifiée depuis ou juste avant l’ouverture de l’enquête antidumping et que les pièces concernées proviennent du pays soumis aux mesures ; et

b) les pièces constituent 60 % ou plus de la valeur totale des pièces du produit assemblé ; cependant, il ne sera en aucun cas considéré qu’il y a contournement lorsque la valeur ajoutée aux pièces incorporées au cours de l’opération d’assemblage ou d’achèvement de la fabrication est supérieure à 25 % du coût de fabrication ; et

c) les effets correctifs du droit sont compromis en termes de prix et/ou de quantités de produit similaire assemblé et qu’il y a la preuve d’un dumping en liaison avec les valeurs normales précédemment établies pour les produits similaires.

3.   Une enquête est ouverte, en vertu du présent article, à l’initiative de la Commission ou à la demande d’un État membre ou de toute partie intéressée, sur la base d’éléments de preuve suffisants relatifs aux facteurs énumérés au paragraphe 1. [...]

Les enquêtes sont effectuées par la Commission. La Commission peut être assistée par les autorités douanières et l’enquête est conclue dans les neuf mois.

Lorsque les faits définitivement établis justifient l’extension des mesures, celle-ci est décidée par la Commission [...].

[...]

5.   Aucune disposition du présent article ne fait obstacle à l’application normale des dispositions en vigueur en matière de droits de douane. »

II. Les antécédents du litige et le règlement litigieux

7. Les antécédents du litige et le règlement litigieux sont exposés, respectivement, aux points 1 à 19 et 20 à 27 de l’arrêt attaqué, auxquels je renvoie pour plus de détails.

8. Pour les besoins de la présente procédure, je me limite à rappeler que, déjà en 1993, l’Union avait imposé un droit antidumping sur les importations de bicyclettes originaires de Chine, qui a fait, subséquemment, l’objet de réexamen à plusieurs reprises et a finalement été maintenu, en 2013, à hauteur de 48,5 % ( 5 ).

9. En 2013, à l’issue d’une première enquête anti-contournement, l’Union, par le règlement d’exécution (UE) no 501/2013 ( 6 ), a étendu ce droit antidumping aux importations de bicyclettes expédiées d’Indonésie, de Malaisie, du Sri Lanka et de Tunisie.

10. Saisie d’une nouvelle plainte en 2014, la Commission a ouvert une seconde enquête anti-contournement concernant, cette fois, l’éventuel contournement des mesures antidumping instituées en 2013 sur les importations de bicyclettes chinoises par des importations de bicyclettes expédiées du Cambodge, du Pakistan et des Philippines.

11. En ce qui concerne spécifiquement le Pakistan, Kolachi, le seul producteur de bicyclettes dans ce pays, a participé à cette seconde enquête. Il est ressorti de cette enquête que Kolachi ne fabriquait pas des pièces de bicyclette au Pakistan, mais qu’elle les achetait au Sri Lanka et en Chine afin d’assembler des bicyclettes au Pakistan ( 7 ). La majorité des fournisseurs de Kolachi étaient des sociétés sri lankaises qui faisaient partie du groupe auquel elle appartenait – dont le propriétaire
était une personne d’origine chinoise – et pour lesquelles il avait déjà été constaté qu’elles avaient participé à des activités de contournement du droit antidumping imposé par l’Union sur l’importation de bicyclettes chinoises ( 8 ). L’enquête a également montré, d’une part, que le fournisseur auquel Kolachi achetait la partie la plus importante (93 %) des pièces de bicyclette utilisées dans ses opérations d’assemblage au Pakistan, à savoir la société Flying Horse Pvt Ltd, était un
intermédiaire qui achetait un important volume de ces pièces auprès d’un fabricant de pièces de bicyclette établi au Sri Lanka et, d’autre part, que ce fabricant n’était autre que la société Great Cycles Pvt Ltd, une desdites sociétés liées à Kolachi. Il est résulté de l’enquête que la plupart des pièces importées du Sri Lanka achetées auprès de Flying Horse avaient été produites par Great Cycles en utilisant, pour une partie assez significative, des matériaux chinois. La Commission a aussi
constaté qu’il existait une série d’anomalies qui rendaient les relations entre Flying Horse et Kolachi douteuses ( 9 ).

12. Le 18 mai 2015, la Commission a adopté le règlement litigieux, par lequel elle a étendu le droit antidumping définitif de 48,5 % applicable aux importations de bicyclettes originaires de Chine aux importations de bicyclettes expédiées, notamment, du Pakistan, qu’elles aient ou non été déclarées originaires de ce pays ( 10 ).

III. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

13. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 juillet 2015, Kolachi a introduit un recours tendant à l’annulation du règlement litigieux en tant qu’il la concerne. Pendant la procédure devant le Tribunal, European Bicycle Manufacturers Association (EBMA) a été autorisée à intervenir au soutien des conclusions de la Commission ( 11 ).

14. À l’appui de son recours en annulation, Kolachi a invoqué un moyen unique tiré de la violation de l’article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement de base. Dans la première branche de son moyen unique, Kolachi a contesté l’analyse de la Commission concernant le caractère insuffisamment probant des certificats d’origine « formule A » que Kolachi avait fournis pendant l’enquête afin de prouver que les pièces réalisées par Great Cycles étaient effectivement originaires du Sri Lanka. Dans le
règlement litigieux, la Commission avait écarté ces formulaires en raison de plusieurs incohérences. Dans la seconde branche de son moyen unique, Kolachi a fait valoir que la Commission avait erronément appliqué l’article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement de base, en tant que règle d’origine, à des opérations de fabrication de pièces de bicyclette au Sri Lanka, alors que l’enquête portait sur un éventuel contournement au Pakistan.

15. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a développé un raisonnement en deux temps.

16. Dans un premier temps, aux points 77 à 93 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a déterminé les règles régissant la preuve des conditions fixées à l’article 13, paragraphe 2, du règlement de base afin de constater l’existence d’opérations d’assemblage constituant des pratiques de contournement.

17. Ainsi, en se fondant sur les principes dégagés dans son arrêt du 26 septembre 2000, Starway/Conseil (T‑80/97, EU:T:2000:216, ci-après l’« arrêt Starway »), le Tribunal a considéré, au point 83 de l’arrêt attaqué, que, si, en règle générale, il suffit de se référer à la simple « provenance » des pièces utilisées pour l’assemblage du produit final aux fins de l’application de l’article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement de base, il peut, toutefois, se révéler nécessaire, en cas de doute, de
vérifier si les pièces « en provenance » d’un pays tiers sont, en fait, originaires d’un autre pays.

18. Le Tribunal a ensuite, aux points 84 et 85 de l’arrêt attaqué, interprété les termes « proviennent de », employés à l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement de base, en ce sens qu’ils doivent être compris comme faisant référence aux « importations ».

19. Sur cette base, aux points 86 et 87 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, d’abord, constaté que, dans la mesure où au moins 47 % des pièces utilisées pour l’assemblage de bicyclettes au Pakistan étaient importées depuis le Sri Lanka après avoir été ouvrées dans ce pays, ces pièces pouvaient être considérées comme « provenant » du Sri Lanka et a considéré, ensuite, que cette constatation n’empêchait pas toutefois la Commission de vérifier, en cas de doute, si les pièces « en provenance » du Sri
Lanka étaient, en fait, originaires du pays soumis aux mesures, en l’occurrence la Chine.

20. C’est sur la base de cette lecture de l’article 13, paragraphe 2, du règlement de base que, dans un second temps, le Tribunal s’est proposé de vérifier, aux points 94 à 119 de l’arrêt attaqué, si la Commission avait pu, sans commettre d’erreur de droit, conclure que les pièces de bicyclette provenant du Sri Lanka étaient, en fait, d’origine chinoise.

21. Ainsi, aux points 94 à 106 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté la première branche du moyen unique de Kolachi concernant la valeur probante des certificats d’origine « formule A ». Cette partie de l’arrêt attaqué ne fait pas l’objet de pourvoi.

22. En revanche, aux points 107 à 119 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a accueilli la seconde branche du moyen unique de Kolachi et a constaté que la Commission avait commis une erreur de droit en appliquant « par analogie » l’article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement de base aux parties de bicyclette achetées au Sri Lanka aux fins de vérifier leur origine dans le cadre d’opérations d’assemblage au Pakistan. En effet, ainsi faisant, selon le Tribunal, d’une part, la Commission aurait en réalité
examiné si la fabrication de pièces de bicyclette au Sri Lanka contournait les mesures antidumping frappant les bicyclettes originaires de Chine, ce qui ne faisait cependant pas l’objet de l’enquête en cause. D’autre part, elle aurait appliqué « par analogie » une disposition – l’article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement de base – qui, ne constituant pas une règle d’origine, ne pouvait pas être appliquée afin de déterminer l’origine d’une marchandise.

23. Par conséquent, le Tribunal a annulé le règlement litigieux en ce qui concerne Kolachi.

IV. Les conclusions des parties

24. Le 8 décembre 2017, la Commission a introduit un pourvoi à l’encontre de l’arrêt attaqué. Par ce pourvoi, la Commission demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué, de rejeter le recours en première instance et de condamner Kolachi aux dépens, ou, à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour réexamen et de réserver les dépens des deux instances.

25. Dans son mémoire en réponse, Kolachi demande à la Cour de rejeter le pourvoi dans son intégralité ou, à titre subsidiaire, de corriger l’arrêt attaqué et de confirmer son dispositif. Elle demande également de condamner la Commission à supporter ses propres dépens exposés dans le cadre du pourvoi, ainsi que les dépens exposés par Kolachi, et de condamner EBMA à supporter ses propres dépens exposés dans le cadre du pourvoi.

26. EBMA demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué, de rejeter le recours en première instance et de condamner Kolachi aux dépens afférents aux deux instances, ou, à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour réexamen, de réserver les dépens afférents à la procédure en première instance et de condamner Kolachi aux dépens afférents à la procédure de pourvoi.

V. Analyse du pourvoi

A.   Bref résumé des arguments des parties

27. À l’appui de son pourvoi, la Commission, soutenue par EBMA, soulève un moyen unique, divisé en deux branches, tiré d’erreurs de droit dans l’interprétation de l’article 13 du règlement de base. Ce moyen se dirige contre les points 83 à 93 et 107 à 119 de l’arrêt attaqué.

28. La Commission vise en particulier l’interprétation retenue par le Tribunal ( 12 ) qui aurait, en substance, établi une présomption en vertu de laquelle une pièce serait réputée être « en provenance » d’un pays au sens de l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement de base, seulement lorsqu’elle est importée de ce pays, autrement dit lorsqu’elle a été expédiée de celui-ci, à moins que la Commission ne démontre que cette pièce « est originaire » du pays soumis à la mesure antidumping.

29. Dans la première branche de son moyen unique, la Commission fait valoir que cette interprétation est erronée, car elle implique que la « provenance » des pièces utilisées pour l’assemblage ne puisse être démontrée par un autre moyen que par les règles d’origine, ce qui ne trouverait aucun fondement dans le texte de l’article 13 du règlement de base et serait contraire à la volonté du législateur lorsqu’il a adopté le régime anti-contournement. Cette disposition instaurerait, en effet, un régime
juridique distinct et indépendant des règles d’origine. En outre, l’interprétation retenue par le Tribunal réduirait l’efficacité de l’instrument anti-contournement. En effet, les critères fixés par les règles d’origine devraient être vérifiés pour chaque pièce individuelle, ce qui serait impossible dans le cadre d’une enquête anti-contournement.

30. Dans la seconde branche, la Commission fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en ce que son interprétation de l’article 13, paragraphe 2, du règlement de base comporte une restriction du type de preuve qu’elle peut utiliser pour démontrer la « provenance » des pièces utilisées pour les opérations d’assemblage du pays soumis aux mesures antidumping, en lui interdisant d’apporter cette preuve par un moyen autre que les règles d’origine.

31. Kolachi conteste les arguments de la Commission. En ce qui concerne la première branche, elle met en exergue que ni le règlement de base ni les règlements antérieurs ne définissent les termes « en provenance ». Ainsi, cette notion ne serait une notion autonome, mais devrait être interprétée en fonction de concepts analogues de la législation de l’Union dont, notamment, la notion douanière d’« origine », ce qui découlerait, d’ailleurs, de l’article 13, paragraphe 5, du règlement de base.

32. En outre, la Commission effectuerait une lecture erronée de l’arrêt attaqué. Le Tribunal ne se serait pas prononcé sur la démonstration de la provenance, mais sur la possibilité, pour la Commission, de « vérifier » l’origine des pièces. Le Tribunal n’aurait ainsi pas limité les moyens dont la Commission dispose et n’aurait pas non plus jugé que la notion de « provenance » repose sur les règles d’origine. En tout cas, les règles d’origine, telles que conçues par la réglementation douanière,
constitueraient le critère adéquat pour déterminer la « provenance » des pièces. Une telle interprétation serait corroborée par les obligations de l’Union dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). En revanche, les seuils fixés à l’article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement de base ne seraient pas pertinents pour déterminer l’origine d’une pièce. En outre, il ne serait aucunement prouvé que l’interprétation retenue par le Tribunal réduise l’efficacité des règles
anti-contournement.

33. En ce qui concerne la seconde branche, Kolachi soutient que, en l’absence de disposition expresse concernant l’utilisation des critères figurant à l’article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement de base pour déterminer l’origine des pièces, une telle utilisation ne serait pas autorisée. Cette disposition formant une exception au régime général en matière d’imposition de droits antidumping, elle devrait être d’interprétation stricte. En outre, aucun lien logique ne pourrait être établi entre
les critères figurant à l’article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement de base et la détermination de la provenance des pièces en cause.

34. À titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour devait conclure que l’arrêt attaqué est entaché d’une erreur de droit, Kolachi demande à la Cour de procéder à une substitution des motifs, en remplaçant, dans l’arrêt attaqué, les références à l’origine des pièces par une référence à leur provenance.

B.   Appréciation

1. Observations liminaires

35. Le pourvoi de la Commission, soutenue par EBMA, vise tant la constatation du Tribunal, aux points 107 à 119 de l’arrêt attaqué, selon laquelle la Commission a commis une erreur de droit en appliquant « par analogie » l’article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement de base aux pièces achetées au Sri Lanka, que la prémisse théorique/interprétative sur laquelle se fonde cette constatation, à savoir l’analyse effectuée par le Tribunal, aux points 83 et 93 dudit arrêt, des règles régissant la
preuve des conditions prévues à l’article 13, paragraphe 2, du règlement de base pour pouvoir constater l’existence d’opérations d’assemblage constituant des pratiques de contournement.

36. Avant d’analyser les arguments relatifs au moyen unique soulevé par la Commission à l’encontre de l’arrêt attaqué, j’estime opportun de rappeler certains principes concernant la réglementation de l’Union en matière de contournement, tels que dégagés dans la jurisprudence.

2. La réglementation de l’Union en matière de contournement à la lumière de la jurisprudence

37. Tout d’abord, il convient de relever que la réglementation anti-contournement de l’Union contenue dans le règlement de base ne trouve pas son fondement dans le code antidumping de 1994 ( 13 ), mais a été adoptée unilatéralement par l’Union ( 14 ). En effet, bien que la question du contournement ait été discutée dans le cadre des négociations OMC‑GATT, aucun accord n’a pu être trouvé dans ce cadre ( 15 ).

38. Il s’ensuit que la réglementation de l’Union en matière de contournement, contenue à l’article 13, du règlement de base, constitue un cadre réglementaire qui, tout étant encadré dans la réglementation antidumping de l’Union, dispose, toutefois, d’une spécificité propre.

39. En ce qui concerne les objectifs de cette réglementation, la Cour a déjà eu l’occasion de clarifier que, selon la finalité et l’économie du règlement de base, notamment son considérant 19 et son article 13, un règlement portant extension d’un droit antidumping a pour seul objet d’assurer l’efficacité de celui-ci et d’éviter qu’il soit contourné et que, en conséquence, une mesure portant extension d’un droit antidumping définitif n’a qu’un caractère accessoire par rapport à l’acte initial
instituant ce droit qui protège l’application efficace des mesures définitives ( 16 ).

40. C’est donc à la lumière de cet objectif, à savoir celui d’assurer l’efficacité des mesures antidumping adoptées par l’Union et d’éviter que celles-ci soient contournées, qu’il convient d’interpréter les dispositions anti-contournement de l’Union.

41. La Cour a, ensuite, fourni maintes indications dans sa jurisprudence au regard de la preuve des quatre conditions qui doivent être remplies afin que soit établie l’existence d’un contournement ( 17 ).

42. La Cour a, en effet, indiqué qu’il ressort du règlement de base, particulièrement de l’article 13, paragraphe 3, de celui-ci, que la charge de la preuve de l’existence d’un contournement incombe aux institutions. Ainsi, lorsque les institutions décident d’étendre à un autre pays les droits antidumping qu’elles ont institués sur les importations en provenance d’un certain pays, elles ont la charge d’établir que tous les éléments constitutifs d’un contournement de ces droits, tels qu’indiqués à
l’article 13, paragraphe 1, troisième phrase, du règlement de base, sont réunis ( 18 ).

43. S’il est indubitable que la charge de la preuve de l’existence de pratiques de contournement incombe aux institutions de l’Union, afin de déterminer les règles en matière de niveau de la preuve du contournement, il convient toutefois de garder à l’esprit deux considérations découlant de la jurisprudence.

44. Ainsi, d’une part, la Cour a relevé que la définition de contournement contenue à l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base est formulée en des termes très généraux qui laissent une large marge de manœuvre aux institutions ( 19 ). La reconnaissance de cette marge de manœuvre est d’ailleurs cohérente avec le large pouvoir d’appréciation dont, selon la jurisprudence constante, disposent en général les institutions dans le domaine de la politique commerciale commune, tout particulièrement en
matière de mesures de défense commerciale, en raison de la complexité des situations économiques, politiques et juridiques qu’elles doivent examiner ( 20 ).

45. Cette marge d’appréciation implique, de surcroît, que le contrôle juridictionnel soit limité à la vérification du respect des règles de procédure, de l’exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de ces faits ou de l’absence de détournement de pouvoir ( 21 ).

46. D’autre part, la Cour a également mis en exergue que, dans le cadre des enquêtes concernant l’éventuelle existence de pratiques de contournement, les pouvoirs dont disposent les institutions de l’Union sont plutôt limités. Contrairement à d’autres domaines de droit de l’Union, tels que, par exemple, en matière de violation au droit de la concurrence, ces institutions ne disposent pas du pouvoir de contraindre les producteurs-exportateurs visés à participer à l’enquête ou à produire des
renseignements. Elles sont donc tributaires de la coopération volontaire des parties intéressées pour leur fournir les informations nécessaires ( 22 ).

47. En outre, de telles enquêtes se déroulent normalement en grande partie dans des pays situés à l’extérieur de l’Union et sont assujetties à d’importantes contraintes de nature temporelle. En effet, aux termes de l’article 13, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement de base, les enquêtes anti-contournement doivent être conclues dans un délai de neuf mois.

48. La Cour n’a, en revanche, pas encore eu l’occasion d’analyser spécifiquement les règles régissant la preuve de l’existence d’opérations d’assemblage constituant des pratiques de contournement au titre de l’article 13, paragraphe 2, du règlement de base.

49. Le seul précédent jurisprudentiel pertinent à cet égard est l’arrêt Starway auquel le Tribunal, ainsi qu’il ressort du point 17 des présentes conclusions, s’est référé dans l’arrêt attaqué pour fonder son interprétation de l’article 13, paragraphe 2, du règlement de base.

50. Dans l’arrêt Starway, le Tribunal a, en substance, jugé que, en application de l’article 13, paragraphe 2, du règlement de base, afin qu’une opération d’assemblage puisse être considérée comme contournant les mesures antidumping en vigueur, il revient aux institutions de l’Union de démontrer que les pièces constituant 60 % ou plus de la valeur totale des pièces du produit assemblé proviennent du pays soumis aux mesures. Lesdites institutions ne sont en revanche pas tenues de prouver que ces
pièces sont également originaires de ce pays. Il revient, en revanche, à l’opérateur concerné, s’il veut que ses opérations d’assemblage ne soient pas considérées comme des pratiques de contournement, d’apporter la preuve que lesdites pièces sont originaires d’un autre pays ( 23 ).

3. Sur l’interprétation des termes « proviennent de » au titre de l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement de base

51. C’est à la lumière des principes dégagés dans la jurisprudence et exposés dans le chapitre précédent qu’il y a lieu d’analyser les arguments avancés par la Commission, soutenue par EBMA, à l’encontre de l’arrêt attaqué. Ces arguments visent, tout d’abord, l’interprétation retenue par le Tribunal dans l’arrêt attaqué des termes « proviennent de » utilisés à l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement de base.

52. À cet égard, je rappelle que, aux termes de cette disposition, afin que des opérations d’assemblage puissent être considérées comme des pratiques de contournement des mesures antidumping en vigueur, il est nécessaire, notamment, que les pièces concernées « proviennent du » pays soumis aux mesures.

a) Le raisonnement du Tribunal dans l’arrêt attaqué

53. Ainsi qu’il a été relevé au point 18 des présentes conclusions, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a, aux points 84 et 85, interprété les termes « proviennent de », utilisés à l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement de base, en les assimilant à la notion d’« importation ».

54. Ainsi, dans l’interprétation du Tribunal, des pièces ne peuvent être considérées comme « provenant » du pays soumis aux mesures antidumping, au titre de l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement de base que si elles ont été importées de ce pays. Au cas où les pièces concernées auraient été importées – dans le pays où ont lieu les opérations d’assemblage – d’un pays différent, alors, selon le Tribunal, la Commission pourrait en tenir compte dans l’analyse qu’elle effectue au sens de
l’article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement de base pour déterminer l’existence d’opérations d’assemblage contournant le mesure antidumping seulement selon deux cas : dans le cas d’un simple transit des pièces par ce pays différent (intermédiaire) ; ou si elle vérifie que, bien que ces pièces aient été importées d’un pays différent (intermédiaire), elles sont, en réalité, originaires du pays soumis aux mesures.

55. Le raisonnement du Tribunal prévoit, donc, une sorte d’analyse en deux phases que la Commission devrait effectuer aux fins de la détermination de la provenance des pièces concernées au titre de l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement de base. Dans un premier temps, il serait nécessaire qu’elle détermine si les pièces concernées sont importées du pays soumis aux mesures antidumping. Si cela n’est pas le cas, dans un second temps, il lui serait encore loisible de vérifier que, même si
ces pièces sont importées d’un autre pays, elles sont en fait originaires du pays soumis aux mesures.

56. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a fondé son interprétation des termes « proviennent de » au titre de l’article 13, paragraphe 2, du règlement de base, sur une double base. D’une part, il s’est référé au fait que plusieurs dispositions du règlement de base ( 24 ) associent systématiquement les termes « proviennent de » au terme « importation », ce qui serait confirmé par l’analyse de différentes versions linguistiques de ces dispositions. D’autre part, il s’est référé à l’objectif d’efficacité
des mesures visant à lutter contre le contournement, sous-tendant l’article 13 du règlement de base.

b) L’interprétation des termes « proviennent de »

57. La Commission et EBMA soutiennent que l’interprétation retenue par le Tribunal des termes « proviennent de » est erronée et contraire à l’esprit des dispositions anti-contournement.

58. Dans ces conditions, il convient d’apprécier si l’interprétation des termes « proviennent de » retenue par le Tribunal dans l’arrêt attaqué est correcte.

59. À titre liminaire, je relève, à l’instar du Tribunal, que le règlement de base ne contient pas de définition des termes en cause.

60. Or, conformément à une jurisprudence constante, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie ( 25 ).

61. En ce qui concerne, en premier lieu, l’interprétation littérale, je relève, tout d’abord, que le libellé de l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement de base ne contient aucune référence explicite à la notion d’« importation ». Par ailleurs, ainsi qu’il ressort du point 56 des présentes conclusions, pour fonder son interprétation des termes en cause, le Tribunal ne s’est, en fait, nullement référé au libellé de la disposition qui les contient, mais a, en revanche, privilégié une approche
de type contextuel et téléologique.

62. Dans ce contexte, toutefois, je ne suis pas sûr que la circonstance que dans la disposition en cause, contrairement à ce qui est le cas pour d’autres dispositions du règlement de base, le législateur ait décidé de ne pas associer les termes « proviennent de » au terme « importation », plaide en faveur d’une interprétation qui assimile ces deux notions.

63. Bien au contraire, lorsque dans les dispositions mentionnées par le Tribunal le règlement de base associe ces termes, les mots « en provenance » remplissent une fonction explicative du mot « importation », dans la mesure où ils servent à indiquer d’où les importations « proviennent ». En revanche, à l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement de base les termes « proviennent de » ne se rapportent aucunement au terme « importations », qui n’est pas contenu dans la disposition, mais se
réfèrent aux pièces concernées. Lesdits termes remplissent une fonction explicative du terme « pièces » et visent à indiquer que, afin de pouvoir être prises en compte dans l’analyse concernant les opérations d’assemblage, les pièces concernées doivent « provenir » spécifiquement du pays soumis aux mesures antidumping.

64. En réalité, procéder de manière artificielle à une association entre la notion de « provenance » et celle d’« importation », alors qu’une telle association n’est pas explicitement prévue, revient à limiter la portée de la première de ces notions. En effet, d’un point de vue littéral, en langue française, le terme « provenir » signifie tant « venir de » que « tirer son origine de» ( 26 ). Une interprétation qui restreint la signification de ce terme à la seule situation, correspondant à la
première signification, dans laquelle il y a une provenance physique directe des pièces – à savoir leur importation – du pays soumis aux mesures, limite de manière notable la portée de la notion de « provenance ». Une telle interprétation exclut, en effet, toutes les situations, correspondant à la seconde signification du terme « provenir », dans lesquelles il y a une provenance indirecte du pays soumis aux mesures, à savoir des situations où, bien que les pièces concernées ne proviennent pas
physiquement directement du pays soumis aux mesures, elles peuvent être quand même considérées comme issues de ce pays.

65. Par ailleurs, l’interprétation restrictive de la notion de « provenance » retenue par le Tribunal est contredite par l’analyse des différentes versions linguistiques de la disposition en cause, à savoir l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement de base, analyse que le Tribunal n’a pas effectuée dans l’arrêt attaqué ( 27 ).

66. En effet, alors que plusieurs versions linguistiques de cette disposition utilisent un terme équivalent aux termes français « provenir de» ( 28 ), d’autres versions linguistiques, telles que les versions en langues allemande et italienne se réfèrent expressément à l’origine des pièces « du pays soumis aux mesures» ( 29 ) et d’autres versions linguistiques encore utilisent des termes qui apparaissent plus ambigus, dans la mesure où ils peuvent se référer tant à la provenance qu’à l’origine ( 30
).

67. Il s’ensuit des considérations qui précèdent que l’analyse littérale de la disposition en cause plaide plutôt à l’encontre d’une interprétation qui limite la portée des termes « proviennent de » aux simples « importations » du dernier pays d’exportation des pièces concernées.

68. En revanche, une approche qui tient compte tant des différentes significations du verbe « provenir » que des différentes versions linguistiques de la disposition en cause plaide plutôt pour une interprétation plus large de cette notion qui va au-delà de la simple notion d’« importation » et qui inclut tant la provenance directe que la provenance indirecte des pièces concernées du pays soumis aux mesures antidumping.

69. En ce qui concerne, en deuxième lieu, le contexte dans lequel s’inscrit la disposition en cause, il convient de relever que, ainsi qu’il résulte des points 37 et 38 des présentes conclusions, dans la mesure où la réglementation de l’Union en matière de contournement, contenue à l’article 13 du règlement de base, ne trouve pas son fondement dans le code antidumping de 1994, elle doit être considérée comme un cadre réglementaire spécifique dans le droit de l’Union en matière d’antidumping.

70. Dans ces conditions, j’estime que si le Tribunal veut fonder l’interprétation de l’article 13, paragraphe 2, du règlement de base en référence à d’autres dispositions du même règlement, dont certaines notamment pourraient constituer une transposition en droit de l’Union des obligations particulières contenues dans le code antidumping de 1994 ( 31 ), il est nécessaire qu’il explique les raisons pour lesquelles cette référence serait justifiée, ce que le Tribunal n’a pas fait en l’espèce.

71. Cette considération plaide donc également à l’encontre du raisonnement retenu par le Tribunal pour justifier l’assimilation de la notion de « provenance » à celle d’« importation ».

72. En troisième lieu, l’interprétation restrictive des termes « proviennent de » retenue par le Tribunal dans l’arrêt attaqué n’est pas, à mon avis, plus conforme à l’objectif de la réglementation anti-contournement de l’Union, qui, ainsi qu’il ressort des points 39 et 40 des présentes conclusions, est d’assurer l’efficacité des mesures antidumping adoptées par l’Union et d’éviter que celles-ci soient contournées.

73. À cet égard, il convient de relever que, ainsi que je l’ai exposé au point 1 des présentes conclusions, dans la réalité économique actuelle, caractérisée par la globalisation du commerce international et par une possibilité accrue de délocaliser la production des biens, particulièrement ceux à faible contenu technologique, il est devenu relativement simple de mettre en œuvre des formes de contournement de plus en plus complexes. Dans un tel contexte, il est fondamental que l’Union dispose
d’instruments de défense commerciale aptes à répondre de manière effective à de tels défis en assurant une protection efficace de l’industrie de l’Union contre les importations de produits faisant objet de dumping. C’est dans cette optique qu’il convient d’interpréter les dispositions anti-contournement prévues à l’article 13 du règlement de base.

74. Dans ce contexte, je relève que l’interprétation des termes « proviennent de » au titre de l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement de base retenue par le Tribunal permet à la Commission de se fonder sur le seul constat d’un mouvement physique (à savoir la simple importation) des pièces depuis le pays soumis aux mesures vers le pays d’assemblage afin de considérer que les pièces « proviennent » du premier pays.

75. Or, il est vrai, ainsi que l’a relevé le Tribunal au point 85 de l’arrêt attaqué, qu’une telle approche simplifie la preuve de la condition de la « provenance » dans des cas de contournement par l’assemblage de pièces que l’on pourrait définir de « classiques », à savoir dans des cas dans lesquels les pièces finalement assemblées dans le produit final sont directement importées du pays soumis aux mesures.

76. En effet, dans un tel cas, cette interprétation a pour conséquence que le simple constat par la Commission de l’importation des pièces du pays soumis aux mesures fait naître une sorte de présomption de « provenance » de ce pays, qui pourra éventuellement être renversée par les opérateurs concernés ( 32 ).

77. Toutefois, la situation est complètement différente dans le cas de pratiques de contournement « complexes », comportant des assemblages successifs ou multiples ayant lieu dans différents pays, pratiques qui doivent elles aussi être comprises dans le champ d’application de la réglementation anti-contournement prévue à l’article 13 du règlement de base.

78. En effet, contrairement à ce qui est le cas pour les opérations d’assemblage « classiques », dans le cas de pratiques de contournement « complexes », l’interprétation des termes « proviennent de » retenue par le Tribunal a pour conséquence la création d’une sorte de présomption de « provenance » – au titre de l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement de base – des pièces concernées du pays d’importation. Cela signifie que, selon l’approche en deux phases retenue par le Tribunal, dans de
tels cas, même en présence d’éléments indiciaires forts qui peuvent fonder des soupçons légitimes quant à l’existence de pratiques de contournement, la charge d’établir ( 33 ) l’origine desdites pièces incombe aux institutions de l’Union et non aux opérateurs concernés.

79. Or, une telle approche comporte un alourdissement significatif de la charge de la preuve incombant aux institutions de l’Union pour prouver l’existence de pratiques de contournement consistant en opérations d’assemblage complexes. Elle est, par ailleurs, contraire à l’approche retenue dans l’arrêt Starway auquel le Tribunal lui-même s’est référé ( 34 ).

80. À mon avis, une interprétation qui a pour conséquence un alourdissement considérable de la charge de la preuve de l’existence d’un contournement incombant aux institutions de l’Union ne peut pas être considérée comme conforme à l’objectif d’efficacité sous-jacent aux règles anti-contournement rappelées aux points 39, 40 et 72 des présentes conclusions. Une telle conclusion s’impose encore plus à la lumière des considérations relatives à la nature des enquêtes anti-contournement et des pouvoirs
dont disposent les institutions de l’Union dans ce cadre exposées aux points 46 et 47 des présentes conclusions.

81. Par ailleurs et, en quatrième lieu, ainsi que l’a relevé à juste titre la Commission, une interprétation de l’article 13, paragraphe 2, du règlement de base qui met à la charge des institutions de l’Union d’établir l’origine des pièces importées apparaît contraire à la volonté du législateur de renoncer à requérir la preuve par les institutions de l’origine – au sens technique de la réglementation douanière – des pièces concernées par les opérations d’assemblage. En effet, alors que,
initialement, les règles anti-contournement de l’Union prévoyaient la possibilité d’étendre des droits antidumping définitifs en cas d’assemblage de « pièces [...] originaires du pays d’exportation du produit soumis au droit antidumping» ( 35 ), depuis l’adoption du règlement (CE) no 3283/94 ( 36 ), le terme « origine » a été substitué, dans la disposition concernant les opérations d’assemblage, par les termes « proviennent de », ce qui amène à pouvoir raisonnablement considérer qu’une telle
modification reflète la volonté du législateur de renoncer à la notion d’« origine » au sens technique dans ce contexte ( 37 ) et de modifier, pour ce qui est de cet aspect, les conditions pour la détermination de l’existence d’opérations de contournement ( 38 ). Il s’ensuit que, après l’entrée en vigueur de ces nouvelles règles, confirmées dans la version du règlement de base applicable dans la présente affaire, les institutions de l’Union ne sont plus tenues d’établir l’« origine » des pièces,
au sens technique de la réglementation douanière, mais elles doivent, uniquement, démontrer leur provenance du pays soumis aux mesures, ce qui induit que la notion de « provenance » doit s’entendre dans un sens plus souple et plus large que celle d’« origine» ( 39 ).

82. En conclusion, il ressort de toutes les considérations qui précèdent que, à mon avis, l’interprétation restrictive des termes « proviennent de » au titre de l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement de base, retenue par le Tribunal aux points 84 et 85 de l’arrêt attaqué, assimilant ces termes à la notion d’« importation », est erronée.

83. En revanche, j’estime qu’il ressort d’une interprétation littérale, contextuelle, téléologique et historique de cette disposition que les termes « proviennent du pays soumis aux mesures » doivent être interprétés de manière large, en ce sens que la notion de « provenance » couvre tant la provenance directe des pièces concernées, que leur provenance indirecte de ce pays.

4. Sur les règles régissant la preuve de l’existence de pratiques de contournement consistant en opérations d’assemblage au titre de l’article 13, paragraphe 2, du règlement de base

84. Dans l’arrêt attaqué, c’est sur la base de l’interprétation des termes « proviennent de » et de la distinction qui en résulte entre, d’une part, la provenance des pièces concernées, résultant, selon le Tribunal, de l’importation et, d’autre part, l’origine de ces pièces, que la Commission devrait éventuellement vérifier que le Tribunal a fondé sa détermination des règles régissant la preuve que les institutions de l’Union doivent apporter afin d’établir l’existence de pratiques de contournement
consistant en des opérations d’assemblage au titre de l’article 13, paragraphe 2, du règlement de base.

85. Dans son pourvoi, la Commission, soutenue par EBMA, conteste également cet aspect de l’arrêt attaqué.

86. À cet égard, je rappelle tout d’abord que, ainsi qu’il ressort des points 41 et 42 des présentes conclusions, la Cour a déjà indiqué que la charge de la preuve de l’existence d’un contournement incombe aux institutions de l’Union. Cela dit, il y convient, toutefois, de vérifier comment cette charge de la preuve doit s’appliquer in concreto et quel niveau de la preuve est requis des institutions dans les différentes circonstances qui peuvent se présenter.

87. Dans ce contexte, j’estime nécessaire d’effectuer une distinction entre deux types de cas : d’une part, les cas que j’ai appelés de contournement « classiques », à savoir ceux dans lesquels les pièces concernées – finalement assemblées dans le produit final – proviennent directement du pays soumis aux mesures antidumping et, d’autre part, les cas des opérations de contournement « complexes », comportant des assemblages successifs ou multiples ayant lieu dans un ou plusieurs pays différents et
dans lesquels il y a une provenance indirecte des pièces concernées dans le pays d’assemblage.

88. Dans le premier type de cas, afin de prouver la provenance directe des pièces concernées du pays soumis aux mesures, il est, à mon avis, suffisant, tout comme l’a jugé le Tribunal dans l’arrêt attaqué et ainsi qu’il ressort des points 74 à 76 des présentes conclusions, que la Commission établisse que les pièces concernées ont été importées du pays soumis aux mesures antidumping. Dans un tel cas, une fois que la provenance directe de ces pièces a été établie, il restera possible pour les
opérateurs concernés de renverser la présomption de provenance directe découlant de l’importation des pièces du pays soumis aux mesures, en démontrant que, en réalité, les pièces en cause sont originaires d’un autre pays ( 40 ).

89. Une telle détermination des règles régissant la preuve dans ce type de cas est, à mon avis, tout à fait conforme à l’objectif d’efficacité des règles anti-contournement.

90. Dans le second type de cas, toutefois, à savoir le cas dans lesquels les institutions sont confrontées à une provenance indirecte des pièces concernées du pays soumis aux mesures, en dehors du cas d’un simple transit des pièces pour le pays intermédiaire, la preuve de l’existence de pratiques de contournement complexes consistant en opérations d’assemblage multiples ne peut pas être si immédiate.

91. Cependant, au cas où il serait avéré au cours de l’enquête que, bien que les pièces assemblées dans le produit final aient été importées d’un pays différent de celui soumis aux mesures, elles sont en fait constituées pour une partie significative par des pièces qui originairement ont été produites dans le pays soumis aux mesures ou qui ont été produites en utilisant pour une partie significative des éléments ou matériaux originaires de ce dernier pays, le niveau de la preuve requis par la
Commission pour la constatation d’opérations de contournement peut, à mon avis, être allégé.

92. Dans de telles circonstances, il est, en effet, à mon avis, raisonnable de permettre à la Commission de se fonder sur un « faisceau d’indices concordants» ( 41 ) pour établir la provenance indirecte de ces pièces du pays soumis aux mesures au titre de l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement de base, afin de les prendre en compte dans l’analyse qu’elle effectue au titre de l’article 13, paragraphe 2, sous b), dudit règlement. L’existence de liens entre les sociétés impliquées dans les
différentes phases de la chaîne productive, la participation de certaines de ces sociétés à des pratiques de contournement antérieures, des indications d’une faible valeur ajoutée lors des assemblages intermédiaires constituent des exemples d’éléments indiciaires qui, dans une situation de ce genre, peuvent être pris en compte par la Commission dans son analyse concernant la détermination de la provenance indirecte des pièces concernées.

93. Dans un tel cas d’espèce, une fois que la Commission, sur la base d’un « faisceau d’indices concordants »,a déterminé que les pièces concernées proviennent indirectement du pays soumis aux mesures au titre de l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement de base, l’opérateur concerné aura toujours la possibilité de prouver que, bien que ces pièces, importées d’un pays intermédiaire, soient constituées pour une partie significative par des pièces originaires du pays soumis aux mesures ou
aient été produites en utilisant pour une partie significative des éléments ou matériaux originaires de ce pays, et nonobstant la présence d’éléments indiciaires importants supportant de manière claire le soupçon de l’existence d’un contournement, ces pièces sont en réalité originaires dudit pays intermédiaire ou, le cas échéant, d’un autre pays. À cette fin, ledit opérateur pourra, par exemple, fournir des certificats fiables attestant de l’origine des pièces en cause du pays intermédiaire. Il
pourra également prouver que dans le pays intermédiaire ces pièces ont subi de réelles ouvraisons si substantielles qu’elles ont changé la nature de ces pièces, de même que l’effectuation de ces ouvraisons intermédiaires est fondée sur des raisons économiques objectives qui justifient l’existence d’une chaîne productive se situant dans plusieurs pays.

94. Une telle caractérisation des règles régissant la preuve en cas d’opérations d’assemblage multiples permet, à mon avis, de respecter le principe selon lequel il revient aux institutions de l’Union de prouver les pratiques de contournement, tout en étant, également, conforme à l’objectif d’effectivité des règles anti-contournement. Elle tient également compte de la nature particulière des pouvoirs dont disposent les institutions de l’Union dans le cadre des enquêtes anti-contournement et des
contraintes de temps auxquelles celles-ci sont assujetties dans ce type d’enquête, ainsi qu’il a été relevé aux points 46 et 47 des présentes conclusions.

95. En revanche, l’approche en deux phases préconisée par le Tribunal et décrite aux points 54 et 55 des présentes conclusions se fonde sur une interprétation erronée de l’article 13, paragraphe 2, du règlement de base.

5. Conclusion

96. La détermination des règles régissant la preuve du contournement découlant de l’interprétation, à mon avis, erronée de la notion de « provenance » retenue dans l’arrêt attaqué est à la base de tout le raisonnement qui a amené le Tribunal à conclure que la Commission avait commis une erreur de droit et que, par conséquent, le règlement litigieux devait être annulé. En effet, selon le Tribunal, les pièces concernées ayant été importées – et, donc, dans son optique, « provenant » – du Sri Lanka, la
Commission était tenue d’en vérifier l’origine chinoise, si elle voulait les prendre en compte dans l’analyse des opérations d’assemblage au titre de l’article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement de base. Ce serait ainsi en vérifiant l’origine chinoise de ces pièces qu’elle aurait commis la prétendue erreur de droit en ce qu’elle aurait utilisé, à cette fin, « par analogie » les critères prévus à l’article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement de base.

97. Il s’ensuit que l’erreur du Tribunal dans l’interprétation des termes « proviennent de » a eu pour conséquence une détermination erronée par le Tribunal des règles régissant la preuve de la détermination de l’existence de pratiques de contournement complexes par assemblage au titre de l’article 13, paragraphe 2, du règlement de base, détermination qui est à la base du constat, effectué par le Tribunal, de l’erreur de droit de la Commission.

98. Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que l’arrêt attaqué est entaché de plusieurs erreurs de droit dans l’interprétation de l’article 13, paragraphe 2, du règlement de base, qui minent le fondement de la conclusion retenue par le Tribunal dans l’arrêt attaqué. Il s’ensuit que, à mon avis, le pourvoi introduit par la Commission, soutenue par EBMA, doit être accueilli et que, par conséquent, l’arrêt attaqué doit être annulé ( 42 ).

VI. Sur le recours en première instance

99. Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, cette dernière, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé. J’estime que tel est le cas en l’espèce.

100. À l’appui de son recours en première instance, Kolachi a présenté un moyen unique tiré de la violation de l’article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement de base. En substance Kolachi a reproché à la Commission, premièrement, d’avoir appliqué cette disposition à des opérations de fabrication au Sri Lanka, alors que l’enquête visait le prétendu contournement au moyen d’un assemblage au Pakistan, deuxièmement, d’avoir commis une erreur de droit en traitant ladite disposition en tant que règle
d’origine et, troisièmement, de n’avoir pris aucune mesure pour appliquer les règles d’origine prévues par la législation douanière de l’Union.

101. À cet égard, il convient, tout d’abord, de relever que, selon les informations fournies par Kolachi elle-même pendant l’enquête, 93 % des pièces utilisées dans l’assemblage de bicyclettes au Pakistan avaient été fournies par l’intermédiaire de Flying Horse. Ces pièces étaient importées en partie – représentant 46 % du total des pièces assemblées – de Chine et en partie – représentant 47 % du total des pièces assemblées – du Sri Lanka. L’enquête a montré que la plupart des pièces importées du
Sri Lanka achetées auprès de Flying Horse, à savoir les cadres, les fourches, les jantes en alliage et les roues en plastique, avaient été en réalité produites par Great Cycles en utilisant, pour une partie assez significative, des matériaux chinois. En outre, il est ressorti de l’enquête que Great Cycles était une société liée à Kolachi, qui avait précédemment été impliquée dans des opérations de contournement. Ainsi qu’il ressort du considérant 99 du règlement litigieux, la Commission a
également constaté que les relations entre Flying Horse et Kolachi étaient douteuses. Toutes ces circonstances sont avérées et incontestées par Kolachi. Lors de l’audience devant la Cour à la suite des questions précises qui lui ont été posées, Kolachi a même explicitement confirmé que les pièces ouvrées au Sri Lanka avaient été « converties » de pièces d’origine chinoise.

102. C’est en tenant compte des constatations résultant de l’enquête qu’il convient d’apprécier les considérants 98 à 101 du règlement litigieux dans lesquels la Commission a conclu que Kolachi intervenait dans des opérations d’assemblage constituant des pratiques de contournement aux termes de l’article 13, paragraphe 2, du règlement de base.

103. Or, il ressort des considérants 98 et 99 du règlement litigieux que la Commission a conclu que les parties achetées par Kolachi de Flying Horse, bien qu’elles aient été importées du Sri Lanka, provenaient en réalité (indirectement) de Chine, au sens de l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement de base sur le fondement des éléments suivants : d’une part, sur la constatation que Kolachi n’avait pas réussi à démontrer l’origine sri lankaise de ces pièces ( 43 ) et, d’autre part, sur
plusieurs éléments indiciaires qui mettaient en doute les relations entre Flying Horse, agissant comme intermédiaire d’une société liée à Kolachi – à savoir Great Cycles –, et Kolachi elle-même. C’est sur la base de ces éléments que la Commission a conclu, à la dernière phrase du considérant 99 du règlement litigieux, que les critères de l’article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement de base étaient remplis en l’espèce.

104. Ce n’est qu’en réponse à un argument avancé par Kolachi, tel que résumé à la dernière phrase du considérant 100 du règlement litigieux, qui reprochait à la Commission d’utiliser l’article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement de base en tant que règle d’origine, que celle-ci, à la dernière phrase du considérant 101 du règlement litigieux, après avoir noté « que l’article 13, paragraphe 2, [sous] b), du règlement de base n’est pas, en soi, une règle d’origine », a estimé être fondée
« à considérer que, étant donné que lesdites parties avaient été fabriquées, pour plus de 60 %, avec des matières premières provenant de Chine et que la valeur ajoutée était inférieure à 25 % des coûts de production, elle pouvait conclure que ces parties provenaient elles-mêmes de Chine ».

105. À la lumière de tous les éléments résultant de l’enquête et de la lecture du règlement litigieux, j’estime, premièrement, que, en application des règles régissant la preuve des opérations d’assemblage « complexes » que j’ai proposées aux points 91 à 93 des présentes conclusions, la Commission pouvait bien conclure, en l’espèce, que les pièces achetées à Flying Horse et importées du Sri Lanka, mais produites par Great Cycles provenaient indirectement de Chine. En effet, d’une part, il était
avéré que lesdites pièces avaient été produites au Sri Lanka en utilisant, pour une partie assez significative, des éléments et des matériaux chinois. D’autre part, la Commission disposait d’un faisceau d’indices concordants, qui supportait de manière claire le soupçon de l’intervention de Kolachi dans des opérations de contournement complexes. Dans un tel contexte, en application desdites règles régissant la preuve, il revenait à Kolachi de prouver l’origine sri lankaise des pièces concernées,
ce qu’il est certain que cette société n’a pas réussi à faire.

106. Il s’ensuit, deuxièmement, que, dans de telles conditions, afin de déterminer la provenance indirecte desdites pièces de Chine, la Commission n’était aucunement tenue d’en vérifier l’origine en appliquant une quelconque règle d’origine au titre du droit douanier ou en appliquant « par analogie » les critères de l’article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement de base en tant que règle d’origine.

107. Troisièmement, il ressort, à mon avis, de la lecture des considérants pertinents du règlement litigieux que la Commission n’a, en tout état de cause, pas utilisé « par analogie » les critères de l’article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement de base en tant que règle d’origine afin de déterminer la provenance indirecte des pièces concernées de Chine. La constatation de la provenance indirecte de Chine de ces pièces résulte, en effet, des conclusions explicites que la Commission a tirées du
considérant 98, dernière phrase, et du considérant 99, avant-dernière phrase, du règlement litigieux sur la base des éléments indiciaires importants dont elle disposait. La circonstance que la Commission, en réponse à un argument précis soulevé par Kolachi, a également constaté que les critères de l’article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement de base étaient remplis aussi en ce qui concerne les pièces en cause ouvrées au Sri Lanka ne constitue qu’un élément indiciaire supplémentaire
susceptible d’étayer davantage la conclusion à laquelle la Commission était déjà arrivée et qu’il revenait, le cas échéant, à Kolachi de renverser en produisant des preuves fiables de l’origine sri lankaise desdites pièces.

108. Il ressort de toutes les considérations qui précèdent que, à mon avis, les trois griefs du moyen unique soulevé par Kolachi doivent être rejetés et que, par conséquent, le recours en annulation introduit par Kolachi doit être rejeté dans son intégralité.

VII. Sur les dépens

109. Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

110. Si la Cour fait siennes mes appréciations concernant le pourvoi de la Commission, Kolachi sera la partie qui succombe. Dans ces conditions, la Commission et EBMA ayant conclu à sa condamnation aux dépens, je propose à la Cour de condamner Kolachi aux dépens exposés tant en première instance que dans le présent pourvoi par la Commission et EBMA.

VIII. Conclusion

111. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de statuer de la manière suivante :

1) L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 10 octobre 2017, Kolachi Raj Industrial/Commission (T‑435/15, EU:T:2017:712), est annulé.

2) Le recours en annulation introduit par Kolachi Raj Industrial (Private) Ltd devant le Tribunal dans l’affaire T-435/15 est rejeté.

3) Kolachi Raj Industrial (Private) Ltd est condamnée aux dépens exposés en première instance ainsi que dans la procédure de pourvoi par la Commission européenne et European Bicycle Manufacturers Association (EBMA).

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) EU:T:2017:712.

( 3 ) Règlement d’exécution de la Commission du 18 mai 2015 portant extension du droit antidumping définitif institué par le règlement (UE) no 502/2013 du Conseil sur les importations de bicyclettes originaires de la République populaire de Chine aux importations de bicyclettes expédiées du Cambodge, du Pakistan et des Philippines, qu’elles aient ou non été déclarées originaires de ces pays (JO 2015, L 122, p. 4).

( 4 ) Règlement du Conseil du 30 novembre 2009 relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 2009, L 343, p. 51, et rectificatif JO 2010, L 7, p. 22), tel que modifié par le règlement (UE) no 37/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 janvier 2014 (JO 2014, L 18, p. 1) (ci‑après le « règlement de base »).

( 5 ) Voir règlement (UE) no 502/2013, du 29 mai 2013, modifiant le règlement d’exécution (UE) no 990/2011 instituant un droit antidumping définitif sur les importations de bicyclettes originaires de la République populaire de Chine à l’issue d’un réexamen intermédiaire au titre de l’article 11, paragraphe 3, du règlement no 1225/2009 (JO 2013, L 153, p. 17). Voir points 1 à 5 de l’arrêt attaqué pour les références aux règlements antérieurs.

( 6 ) Règlement d’exécution du Conseil du 29 mai 2013 portant extension du droit antidumping définitif institué par le règlement d’exécution no 990/2011 sur les importations de bicyclettes originaires de la République populaire de Chine aux importations de bicyclettes expédiées d’Indonésie, de Malaisie, du Sri Lanka et de Tunisie, qu’elles aient ou non été déclarées originaires de ces pays (JO 2013, L 153, p. 1).

( 7 ) Voir point 8 de l’arrêt attaqué.

( 8 ) Voir points 9 et 11 de l’arrêt attaqué.

( 9 ) Points 12 et 13 de l’arrêt attaqué.

( 10 ) Voir article 1er, paragraphe 1, du règlement litigieux.

( 11 ) Ordonnance du président de la septième chambre du Tribunal du 9 mars 2016.

( 12 ) La Commission vise, en particulier, les points 83, 87, 92 et 108 de l’arrêt attaqué.

( 13 ) Accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (JO 1994, L 336, p. 103) figurant à l’annexe 1A de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce, approuvé par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO
1994, L 336, p. 1).

( 14 ) Voir considérant 19 du règlement de base. À cet égard, voir conclusions de l’avocat général Mengozzi dans les affaires jointes Maxcom e.a./Chin Haur Indonesia (C‑247/15 P, C‑253/15 P et C‑259/15 P, EU:C:2016:712, point 5), ainsi que conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire Simon, Evers & Co. (C‑21/13, EU:C:2014:261, points 10 et 11).

( 15 ) Voir à cet égard le considérant 19 du règlement de base.

( 16 ) Voir arrêts du 6 juin 2013, Paltrade (C‑667/11, EU:C:2013:368, point 28), et du 17 décembre 2015, APEX (C‑371/14, EU:C:2015:828, points 50 et 53). À cet égard, voir également considérant 19 du règlement de base, ainsi que point 85 de l’arrêt Starway

( 17 ) Il ressort de la définition contenue à l’article 13, paragraphe 1, troisième phrase, du règlement de base, que, afin que soit établie l’existence d’un contournement, quatre conditions doivent être remplies : premièrement, il doit y avoir une modification de la configuration des échanges entre le pays tiers en cause et l’Union ; deuxièmement, cette modification doit découler de pratiques, d’opérations ou d’ouvraisons pour lesquelles il n’existe pas de motivation suffisante ou de justification
économique autre que l’imposition du droit ; troisièmement, il doit y avoir la preuve de l’existence d’un préjudice, et, quatrièmement, il doit y avoir la preuve de l’existence d’un dumping.

( 18 ) Voir conclusions de l’avocat général Mengozzi dans les affaires jointes Maxcom e.a./Chin Haur Indonesia (C‑247/15 P, C‑253/15 P et C‑259/15 P, EU:C:2016:712, point 45 et jurisprudence citée), ainsi que, en ce sens, arrêt du 26 janvier 2017, Maxcom/Chin Haur Indonesia (C‑247/15 P, C‑253/15 P et C‑259/15 P, EU:C:2017:61, points 56 à 58).

( 19 ) Voir arrêt du 4 septembre 2014, Simon, Evers & Co. (C‑21/13, EU:C:2014:2154, point 48).

( 20 ) Voir conclusions de l’avocat général Mengozzi dans les affaires jointes Maxcom e.a./Chin Haur Indonesia (C‑247/15 P, C‑253/15 P et C‑259/15 P, EU:C:2016:712, point 44), ainsi que arrêts du 4 septembre 2014, Simon, Evers & Co. (C‑21/13, EU:C:2014:2154, point 29), et du 26 janvier 2017, Maxcom./Chin Haur Indonesia (C‑247/15 P, C‑253/15 P et C‑259/15 P, EU:C:2017:61, point 54 et jurisprudence citée).

( 21 ) Ibidem.

( 22 ) Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Mengozzi dans les affaires jointes Maxcom e.a./Chin Haur Indonesia (C‑247/15 P, C‑253/15 P et C‑259/15 P, EU:C:2016:712, point 49 et jurisprudence citée).

( 23 ) Voir points 84, 85 et 88 de l’arrêt Starway, ainsi que points 79 à 81 de l’arrêt attaqué.

( 24 ) Au point 84 de l’arrêt attaqué, le Tribunal mentionne spécifiquement le considérant 8, ainsi que l’article 2, paragraphe 7, sous a), l’article 3, paragraphe 4, l’article 9, paragraphes 5 et 6, et l’article 13, paragraphe 1, du règlement de base.

( 25 ) Voir arrêt du 12 octobre 2017, Tigers (C‑156/16, EU:C:2017:754, point 21 et jurisprudence citée).

( 26 ) Voir la définition du terme « provenir » donnée par Le Petit Larousse illustré, édition 2011, Larousse, Paris. Dans ce contexte, le terme « origine » ne saurait, toutefois, être compris au sens technique de la réglementation douanière comme « origine ». À cet égard, voir les considérations relatives à l’interprétation historique de la disposition en cause au point 81 des présentes conclusions.

( 27 ) À cet égard je relève que le Tribunal n’a pas procédé à une analyse des différentes versions linguistiques de la disposition en cause, mais a effectué une analyse des versions linguistiques des articles du règlement de base, mentionnés au point 84 de l’arrêt attaqué et à la note 24 des présentes conclusions, qui associent les termes « proviennent de » au terme « importation ».

( 28 ) À savoir la version en langue espagnole (« procedan del »), celle en langue grecque (« προέρχονται από »), celle en langue anglaise (« are from »), celle en langue croate (« iz »), celle en langue lettonne (« nāk no »), celle en langue lituanienne (« ira iš »), celle en langue portugaise (« provenientes do ») et celle en langue roumaine (« provin din »).

( 29 ) La version en langue allemande utilise le terme « Ursprung », celle en langue italienne le terme « originari ».

( 30 ) Voir, notamment, la version en langue tchèque (« pochazeji »), celle en langue polonaise (« pochodzą z ») et celle en langue slovaque (« pochádzajú z »). Cela semblerait être le cas également pour les termes utilisés dans la version en langue estonienne « pärinevad riigist ».

( 31 ) Il n’est pas nécessaire dans ce contexte de prendre position sur la question de savoir si l’article 3, paragraphe 4, et l’article 9 paragraphes 5 et 6, du règlement de base ont pour objet de transposer de telles obligations. En ce qui concerne l’article 9, paragraphe 5, du règlement de base, voir conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Conseil/Growth Energy et Renewable Fuels Association (C‑465/16 P, EU:C:2018:794, points 184 et suivants).

( 32 ) En effet, il ressort de la jurisprudence que, lorsque les institutions de l’Union établissent l’existence d’un contournement à l’échelle d’un pays tiers, les producteurs-exportateurs concernés peuvent démontrer que leur situation spécifique justifie l’octroi d’une exemption au titre de l’article 13, paragraphe 4, du règlement de base (voir, à cet égard, arrêt du 26 janvier 2017, Maxcom/Chin Haur Indonesia, C‑247/15 P, C‑253/15 P et C‑259/15 P, EU:C:2017:61, point 59). Ces producteurs doivent
donc disposer de la possibilité de démontrer que les pièces « provenant » du pays soumis aux mesures sont, en réalité, « originaires » d’un autre pays tiers, de sorte que leur assemblage ne saurait être considéré comme étant constitutif d’un contournement. Cette approche est, par ailleurs celle retenue par le Tribunal dans l’arrêt Starway (points 85, 86 et 88), amplement cité par le Tribunal dans l’arrêt attaqué (voir, spécifiquement, les points 80 et 81 de l’arrêt attaqué).

( 33 ) Le Tribunal, dans l’arrêt attaqué, utilise le terme « vérifier » plutôt qu’« établir » ou « prouver » l’origine (voir, notamment, points 87, 92, 107 et 114). Toutefois, il ressort d’une lecture d’ensemble de l’arrêt attaqué (et notamment des points 107 à 114) que, finalement, l’approche en deux phases préconisée par le Tribunal et exposée aux points 54 et 55 des présentes conclusions revient, en cas d’opérations d’assemblage « complexes », à charger les institutions de l’Union de prouver
l’origine, au sens douanier, des pièces concernées.

( 34 ) Voir point 50 et note en bas de page 32 des présentes conclusions.

( 35 ) Voir article 1er du règlement (CEE) no 1761/87 du Conseil, du 22 juin 1987, modifiant le règlement (CEE) no 2176/84 relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne (JO 1987, L 167, p. 9), qui a introduit les règles anti-contournement dans le droit de l’Union. À cet égard, voir également, conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire Simon, Evers & Co. (C‑21/13,
EU:C:2014:261, points 9 et suiv.).

( 36 ) Règlement du Conseil du 22 décembre 1994 relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 1994, L 349, p. 1).

( 37 ) Une telle lecture de la volonté du législateur est corroborée par le document de travail de la Commission [COM(94) 414 final, du 5 octobre 1994, p. 164 et 165], selon lequel « les règles d’origine se sont avérées de plus en plus inappropriées pour appréhender les cas de contournement flagrants ».

( 38 ) Voir, dans le même sens, point 83 de l’arrêt Starway.

( 39 ) Cette conclusion ne saurait, à mon avis, être remise en question par la circonstance que, ainsi qu’il ressort du point 67 des présentes conclusions, certaines versions linguistiques de l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement de base ont gardé des références au terme « origine ». En effet, premièrement, ces versions sont clairement minoritaires parmi toutes les versions linguistiques du règlement de base et, secondement, une interprétation de la disposition en cause qui obligerait la
Commission afin de déterminer la provenance aux termes de cette disposition à prouver l’origine des pièces au sens douanier serait contraire à l’objectif de la réglementation anti-contournement d’assurer l’efficacité des mesures antidumping, mentionné aux points 39, 40 et 72 des présentes conclusions. Par ailleurs, contrairement à ce qu’a soutenu Kolachi, une telle obligation ne saurait aucunement être fondée sur l’article 13, paragraphe 5, du règlement de base.

( 40 ) Voir note en base de page 32 des présentes conclusions.

( 41 ) Ce critère de détermination du niveau de la preuve requis par les institutions de l’Union pour établir l’existence d’un contournement est le même que celui qui a été reconnu par la jurisprudence lorsque les institutions de l’Union statuent, en cas de défaut de coopération de toutes les parties intéressées ou, à tout le moins, d’une partie significative de ces dernières, sur la base des données disponibles. Voir, en ce sens, arrêts du 4 septembre 2014, Simon, Evers & Co. (C‑21/13,
EU:C:2014:2154, points 35 à 37) ; du 26 janvier 2017, Maxcom/Chin Haur Indonesia (C‑247/15 P, C‑253/15 P et C‑259/15 P, EU:C:2017:61, points 63 à 66), et Maxcom/City Cycle Industries (C‑248/15 P, C‑254/15 P et C‑260/15 P, EU:C:2017:62, points 65 à 68).

( 42 ) Dans la mesure où les erreurs de droit commises par le Tribunal concernant l’interprétation des termes « proviennent de » et la conséquente détermination erronée des règles régissant la preuve des pratiques de contournement par assemblage minent l’intégralité du raisonnement retenu par le Tribunal, la demande de substitution des motifs présentée par Kolachi et mentionnée au point 34 des présentes conclusions ne saurait en aucun cas prospérer.

( 43 ) Voir considérant 98 du règlement litigieux. Cette analyse a été confirmée par le Tribunal et n’a pas fait objet de pourvoi (voir point 21 des présentes conclusions).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-709/17
Date de la décision : 10/04/2019
Type d'affaire : Pourvoi - fondé
Type de recours : Recours en annulation - non fondé

Analyses

Pourvoi – Dumping – Règlement d’exécution (UE) 2015/776 – Importation de bicyclettes expédiées du Cambodge, du Pakistan et des Philippines – Extension à ces importations du droit antidumping définitif institué sur les importations de bicyclettes originaires de Chine – Règlement (CE) no 1225/2009 – Article 13 – Contournement – Opérations d’assemblage – Provenance et origine des pièces de bicyclettes – Pièces expédiées de Chine au Sri Lanka, ouvrées au Sri Lanka, puis expédiées au Pakistan pour assemblage.

Dumping

Politique commerciale

Relations extérieures


Parties
Demandeurs : Commission européenne
Défendeurs : Kolachi Raj Industrial (Private) Ltd.

Composition du Tribunal
Avocat général : Pitruzzella

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2019:303

Source

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