CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE
MME ELEANOR SHARPSTON
présentées le 21 mars 2019 ( 1 )
Affaire C‑526/17
Commission européenne
contre
République italienne
« Manquement d’État – Directive 2004/18/CE sur la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services – Concession de travaux publics – Prorogation d’une concession existante pour la construction et l’exploitation d’une autoroute sans publication d’un avis de marché »
1. En 1969, un contrat de concession de travaux publics a été attribué, en l’absence de procédure de passation de marché public, pour la construction d’une autoroute entre Livourne et Civitavecchia sur la côte ouest de l’Italie. Le contrat a ensuite été modifié par d’autres contrats en 1987, 1999 et 2009. Aucun de ces contrats ultérieurs n’a été précédé d’une procédure de passation de marché public.
2. La Commission européenne a engagé la présente procédure d’infraction au titre de l’article 258 TFUE à l’encontre de la République italienne. Elle considère que le contrat conclu en 2009 constituait une modification substantielle par rapport au contrat initial et qu’une procédure de passation de marché public aurait donc dû être engagée conformément à la directive 2004/18/CE ( 2 ). La République italienne conteste cette allégation.
Cadre juridique
Le droit de l’Union
3. L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2004/18 définit les « marchés publics de travaux » comme « des marchés publics ayant pour objet soit l’exécution, soit conjointement la conception et l’exécution de travaux relatifs à une des activités mentionnées à l’annexe I [ ( 3 )] ou d’un ouvrage, soit la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur ». Cette disposition prévoit également qu’« [u]n “ouvrage” est le résultat d’un
ensemble de travaux de bâtiment ou de génie civil destiné à remplir par lui-même une fonction économique ou technique ». L’article 1er, paragraphe 3, définit la « concession de travaux publics » comme « un contrat présentant les mêmes caractéristiques qu’un marché public de travaux, à l’exception du fait que la contrepartie des travaux consiste soit uniquement dans le droit d’exploiter l’ouvrage, soit dans ce droit assorti d’un prix ».
4. L’article 2 de la directive 2004/18 prévoit que « [l]es pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité, de manière non discriminatoire et agissent avec transparence ».
5. Aux termes de l’article 56 de la directive 2004/18, les règles applicables aux concessions de travaux publics « s’applique[nt] à tous les contrats de concession de travaux publics conclus par les pouvoirs adjudicateurs lorsque la valeur de ces contrats égale ou dépasse 5150000 EUR» ( 4 ).
6. L’article 58 de la directive 2004/18 dispose :
« 1. Les pouvoirs adjudicateurs désireux d’avoir recours à la concession de travaux publics font connaître leur intention au moyen d’un avis.
2. Les avis concernant les concessions de travaux publics comportent les informations visées à l’annexe VII C et, le cas échéant, tout autre renseignement jugé utile par le pouvoir adjudicateur, selon le format des formulaires standard adoptés par la Commission conformément à la procédure visée à l’article 77, paragraphe 2.
3. Ces avis sont publiés conformément à l’article 36, paragraphes 2 à 8.
4. L’article 37 concernant la publication des avis est également d’application pour les concessions de travaux publics. »
7. L’article 61 de la directive 2004/18 dispose :
« La présente directive ne s’applique pas aux travaux complémentaires qui ne figurent pas dans le projet initialement envisagé de la concession ni dans le contrat initial et qui sont devenus nécessaires, à la suite d’une circonstance imprévue, à l’exécution de l’ouvrage tel qu’il y est décrit, que le pouvoir adjudicateur confie au concessionnaire, à condition que l’attribution soit faite à l’opérateur économique qui exécute cet ouvrage :
– lorsque ces travaux complémentaires ne peuvent être techniquement ou économiquement séparés du marché initial sans inconvénient majeur pour les pouvoirs adjudicateurs, ou
– lorsque ces travaux, quoiqu’ils soient séparables de l’exécution du marché initial, sont strictement nécessaires à son perfectionnement.
Toutefois, le montant cumulé des marchés passés pour les travaux complémentaires ne doit pas dépasser 50 % du montant de l’ouvrage initial faisant l’objet de la concession. »
8. Aux termes de l’article 80, paragraphe 1, de la directive 2004/18, « [l]es États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 31 janvier 2006 ».
Cadre factuel et procédural
Le contrat de 1969
9. Le 23 octobre 1969, un contrat de concession de travaux publics a été conclu entre le pouvoir adjudicateur Azienda Nazionale Autonoma delle Strade (ANAS) et l’opérateur économique Società Autostrada Tirrenica (SAT) ( 5 ) (ci-après le « contrat de 1969 »).
10. L’article 1er, paragraphe 1, du contrat de 1969 indiquait que ce dernier avait pour objet la construction et l’exploitation de l’autoroute A 12 de Livourne (Cecina) à Civitavecchia (ci-après l’« autoroute ») ( 6 ). L’article 1er, paragraphe 2, précisait que la longueur totale de l’autoroute était de « 237 km environ ».
11. L’article 7 de ce contrat prévoyait que « la concession se terminera[it] à la fin de la trentième année suivant le début de l’exploitation de la totalité de l’autoroute ; en tout état de cause, sans préjudice des dispositions prévues au cinquième et au sixième paragraphes de l’article 5, le terme ne pourra[it] pas dépasser la trentième année à partir de la date d’achèvement des travaux prévue dans le plan général d’exécution des travaux dont il est question au premier et au deuxième paragraphes
de l’article 5 ».
Le contrat de 1987
12. Le 14 octobre 1987, un autre contrat a été conclu entre les mêmes parties (ci-après le « contrat de 1987 »). Selon le gouvernement italien, ce contrat a remplacé l’article 7 du contrat de 1969 par une disposition libellée comme suit :
« La durée de la présente concession est fixée à trente ans à partir de la date d’ouverture à la circulation de l’ensemble de l’autoroute. »
Le contrat de 1999
13. Le 7 octobre 1999, un autre contrat a été conclu entre les mêmes parties (ci-après le « contrat de 1999 »). L’article 2, paragraphe 1, dudit contrat était libellé comme suit :
« La présente convention régit entre le concédant et le concessionnaire l’exploitation du tronçon Livourne‑Cecina, de 36,6 km, ouvert à la circulation le 3 juillet 1993 et qui constitue une partie de l’autoroute A 12 Livourne‑Civitavecchia, donnée en concession de construction et d’exploitation à SAT. »
14. L’article 2, paragraphe 3, du contrat de 1999 prévoyait en outre :
« Dès que les conditions de droit et de fait pour la poursuite du programme de construction donné en concession seront réunies, un avenant sera conclu pour arrêter le cadre conventionnel de la construction et de l’exploitation des deux autres tronçons, Cecina-Grosseto et Grosseto‑Civitavecchia. »
15. L’article 23 intitulé « Durée de la concession » prévoyait que « la concession vien[drait] à son terme le 31 octobre 2028 ».
Le contrat de 2009
16. Le 11 mars 2009, un autre contrat a été conclu entre les mêmes parties (ci‑après le « contrat de 2009 »). La partie introductive du contrat prévoyait entre autres :
« [L]e 7 octobre 1999, ANAS et SAT ont conclu une convention novatoire, approuvée par décret du 21 décembre 1999 et enregistrée auprès de la Cour des comptes le 11 avril 2000, qui a remplacé la convention précédente du 23 octobre 1969 et son avenant du 14 octobre 1987 et qui a notamment prévu que la concession arrivait à échéance le 31 octobre 2028. »
17. Aux termes de l’article 1.4 du contrat de 2009, « les parties conviennent qu’elles n’ont aucun droit, intérêt ou prétention, actuel ou futur, dont elles pourraient se prévaloir au titre de la convention du 7 octobre 1999 ou de tout acte ou mesure adopté avant la conclusion de la présente convention ».
18. L’article 2.1 dudit contrat stipulait :
« La présente convention unique régit intégralement et exclusivement la relation entre le concédant et le concessionnaire pour la conception, la construction et l’exploitation de tous les travaux précédemment attribués en concession par la convention conclue avec ANAS le 7 octobre 1999 :
a) A 12 Livourne – Cecina (Rosignano), 36,6 km (ouverte à la circulation le 3 juillet 1993) ;
b) Cecina (Rosignano) – Grosseto, 110,5 km ;
c) Grosseto – Civitavecchia, 95,5 km, soit 242,6 km. »
19. L’article 4.1, première partie, du contrat de 2009 prévoyait :
« [L]e terme de la concession pour l’achèvement de l’autoroute Cecina (Rosignano) – Civitavecchia est fixé au 31 décembre 2046, compte tenu des suspensions de la phase de réalisation des travaux indiquées dans l’introduction et de l’article 143 du décret-législatif no 163 de 2006. »
20. Aux termes de l’article 4.1, seconde partie, de ce contrat, « [à] défaut d’approbation par l’organisme concédant, pour le 31 décembre 2012, du projet définitif et du plan économique et financier (PEF) y afférent, pour la réalisation du tronçon Cecina – Civitavecchia, les parties conviendront des effets sur le plan économique et financier, y compris les coûts d’investissement supportés, en fonction de la cessation de la concession à la date prévue à l’origine, à savoir le 31 octobre 2028 ».
La poursuite des travaux de construction
21. La partie introductive du contrat 2009 indique que les travaux de construction de l’autoroute ont été suspendus en application de l’article 11 de la loi no 287 du 28 avril 1971 ( 7 ) et de l’article 18 bis du décret-loi no 376 du 13 août 1975 ( 8 ), converti en loi no 492 du 16 octobre 1975 ( 9 ). Cette suspension a ensuite été levée par les articles 9 et 14 de la loi no 531/1982, adoptée le 12 août 1982 ( 10 ).
22. Il est constant que le premier tronçon autoroutier Livourne – Cecina (Rosignano), d’une longueur de 36,6 kilomètres, a été ouvert à la circulation le 3 juillet 1993. Les deuxième et troisième tronçons, respectivement Cecina (Rosignano) – Grosseto et Grosseto – Civitavecchia, n’avaient pas été construits à l’époque. Seules des sections mineures ont été réalisées par la suite ( 11 ).
23. La partie introductive du contrat de 2009 indique en outre que les travaux de construction de l’autoroute ont de nouveau été suspendus par l’article 55, paragraphe 12, de la loi no 449 du 27 décembre 1997 ( 12 ) et que cette suspension a été levée par la loi no 443 du 21 décembre 2001 ( 13 ). Selon le gouvernement italien, les lois no 286 du 24 novembre 2006 et no 101 du 6 juin 2008 ont en outre exigé la consolidation des contrats de concession existants. Le contrat de 2009 a été conclu sur
cette base.
24. Ni la Commission ni le gouvernement italien n’ont fourni d’informations concernant d’éventuelles modifications ultérieures de la législation italienne susceptibles d’affecter la validité du contrat de concession ( 14 ).
La procédure précontentieuse
25. En 2009, la Commission a reçu une plainte concernant la prolongation (du 31 octobre 2028 au 31 décembre 2046) de la durée du contrat de concession de travaux attribué à SAT. La Commission a examiné cette plainte et l’a enregistrée sous le numéro 2009/4154. L’échange de communications entre la Commission et le gouvernement italien révèle que ce dernier s’est engagé à réduire la durée du contrat de trois ans en fixant le terme à 2043 et à soumettre l’attribution de tous les travaux de construction
de l’autoroute à une procédure de passation de marché public. Sur la base de cet engagement, la Commission a décidé de ne pas donner suite à la plainte no 2009/4154.
26. Il semble que, le 15 décembre 2009 et le 30 mars 2012, SAT ait attribué deux lots s’élevant respectivement à 34724661 euros et à 117323225 euros à des sociétés placées sous son contrôle, ce qui représente environ 30 % de la valeur des travaux.
27. Par lettre du 22 avril 2014, la Commission a communiqué au gouvernement italien sa position officielle selon laquelle, d’une part, la République italienne avait enfreint la directive 2004/18, et notamment ses articles 2 et 58, en ce qu’elle avait prolongé la durée du contrat de concession en vertu du contrat de 2009 sans ouvrir une procédure de passation de marché, et, d’autre part, l’article 61 de cette même directive n’était pas applicable au cas d’espèce.
28. Au mois de juin 2014, le gouvernement italien a proposé de soumettre 70 % des travaux à une procédure d’appel d’offres et a réitéré sa proposition de réduire de trois ans la durée de la concession.
29. Le 17 octobre 2014, la Commission a adressé un avis motivé au gouvernement italien qui a refusé la proposition consistant à ne pas soumettre 30 % des travaux à une procédure de passation de marché. La Commission a considéré que la prolongation du contrat jusqu’en 2046 équivalait à l’attribution d’un nouveau contrat et que, « étant donné qu’ANAS a conclu avec SAT une convention reportant du 31 octobre 2028 au 31 décembre 2046 la date d’expiration de la concession de l’autoroute A 12
Civitavecchia – Livourne sans publication préalable d’un avis de marché, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 58 de la directive 2004/18 ».
30. À la suite de l’avis motivé, le gouvernement italien a proposé divers engagements afin de régler le différend l’opposant à la Commission. Ainsi :
– le 27 octobre 2014, le gouvernement italien a transmis à la Commission un projet de contrat prévoyant une réduction de durée de trois ans et un engagement consistant à attribuer 100 % des travaux à des tiers ;
– le 26 juin 2015, le gouvernement italien a transmis à la Commission un projet de contrat prévoyant une réduction de durée de six ans et un engagement de soumettre 100 % des travaux à une procédure d’appel d’offres ;
– le 22 juillet 2015, le gouvernement italien a transmis à la Commission un projet de contrat proposant d’avancer le terme de 2046 à 2040 et l’attribution de 100 % des travaux dans le cadre d’une procédure de passation de marché. En outre, ce projet indiquait que SAT serait privée de son contrat si elle n’attribuait pas ces travaux à des tiers et que le terme de la concession serait avancé à 2028 dans le cas où le projet de contrat ne serait pas approuvé pour le 28 février 2017 ;
– le 24 juillet 2015, le gouvernement italien a fourni des explications supplémentaires sur les raisons pour lesquelles il avait été nécessaire de prolonger la durée, indiquant que les retards dans les travaux avaient été causés notamment par le manque de fonds publics et par des préoccupations en matière de sécurité publique.
31. Le 8 mars 2016, la Commission a demandé au gouvernement italien de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin au contrat de concession de travaux publics avant le 31 octobre 2028, comme le prévoyait auparavant le contrat de 1999.
32. Dans sa réponse du 18 novembre 2016, le gouvernement italien a transmis à la Commission des éléments de preuve sous la forme d’un acte notarié attestant que SAT s’était engagée à soumettre tous les travaux à une procédure d’appel d’offres. Le gouvernement italien a également évoqué la possibilité d’avancer le terme de la concession de 2046 à 2038.
La procédure contentieuse
33. La Commission a estimé que les réponses du gouvernement italien étaient insuffisantes. Elle a donc engagé, le 4 septembre 2017, une procédure d’infraction au titre de l’article 258 TFUE visant à faire constater que, « en reportant au 31 décembre 2046 la date d’expiration de la concession de l’autoroute A 12 Civitavecchia-Livourne sans publier aucun avis de marché, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 58 de la directive 2004/18 […] telle
que modifiée ultérieurement ». La Commission a également conclu à ce que la République italienne soit condamnée aux dépens.
34. La Commission et le gouvernement italien ont présenté des mémoires et le gouvernement italien a déposé une réponse écrite à une question écrite de la Cour, sur laquelle la Commission a présenté ses observations.
35. Cette question portait sur les investissements déjà effectués par SAT en vue de la construction de l’autoroute et ceux envisagés jusqu’en 2028, ainsi que sur les sommes totales investies pour lesquelles SAT ne recevrait pas une rémunération adéquate en cas de cessation de la concession en 2028. Dans sa réponse à la Cour du 3 octobre 2018, le gouvernement italien a donné les explications suivantes :
i) pour la période 2009-2017, SAT a investi 253,136 millions d’euros pour deux tronçons autoroutiers Cecina (Rosignano) – San Pietro in Palazzi et Tarquina Sud – Civitavecchia, chacun d’entre eux ayant été ouvert à la circulation depuis lors ;
ii) selon les prévisions du plan économique et financier de 2011 basé sur le contrat de 2009, SAT investirait 3411,7 millions d’euros pour l’achèvement de l’autoroute d’ici à 2028, dont les 253,136 millions d’euros évoqués précédemment pour les travaux prévus pour la période 2009-2015. En cas de cessation du contrat en 2028, SAT n’obtiendrait pas la rémunération prévue de 1135,7 millions d’euros pour la période allant de 2028 à 2046 ;
iii) d’après le plan économique et financier de 2016 basé sur les engagements proposés par le gouvernement italien à la Commission dans le cadre de la procédure précontentieuse, les dépenses d’investissement globales à réaliser par SAT jusqu’en 2023 s’élèveraient à 1400 millions d’euros. Dès lors que 253,136 millions d’euros ont déjà été dépensés, il resterait encore 1146,86 millions d’euros à investir. En cas de cessation du contrat en 2028, SAT n’obtiendrait pas la rémunération prévue de
505,185 millions d’euros pour la période allant de 2028 à 2038 (qui est l’une des dates d’expiration de la concession proposées par le gouvernement italien au cours de la phase précontentieuse) ( 15 ).
36. Dans ses observations du 25 octobre 2018 sur cette réponse écrite, la Commission a fait remarquer que le calendrier des investissements auquel se réfère le gouvernement italien ne correspondait pas à celui visé par la Cour dans sa question. La Commission a également constaté que, selon le site web de SAT, le tronçon autoroutier reliant Cecina (Rosignano) à San Pietro in Palazzi avait été ouvert en 2012 et celui reliant Tarquina Sud à Civitavecchia en 2016. La Commission a noté que la longueur
totale du tronçon d’autoroute actuellement achevé était de 54,6 km. Cela représente 18 km de plus que les 36,6 km réalisés en 1993. Enfin, la Commission a observé que, selon des informations parues dans la presse, le gouvernement italien avait renoncé à poursuivre le projet de construction de l’autoroute en 2017, préférant procéder à la rénovation des routes existantes ( 16 ).
37. Lors de l’audience du 12 décembre 2018, le gouvernement italien et la Commission ont présenté des observations complémentaires et répondu aux questions de la Cour.
Observations liminaires
L’applicabilité de la directive 2004/18
38. Le gouvernement italien conteste que la directive 2004/18 soit applicable à un contrat conclu à l’origine en 1969, avant le développement de la jurisprudence et du droit dérivé applicable en matière de marchés publics.
39. Je ne partage pas les doutes du gouvernement italien. Bien que le contrat initial lui-même puisse ne pas relever du champ d’application des règles relatives aux marchés publics, cela ne signifie pas que toutes les modifications qui y sont apportées restent également en dehors du champ d’application desdites règles.
40. Dans l’arrêt Belgacom ( 17 ), la Cour a jugé que « le principe de sécurité juridique, qui est un principe général du droit de l’Union, est de nature à justifier que les effets juridiques d’une convention soient respectés y compris, dans la mesure que ce principe commande, dans le cas d’une convention conclue avant que la Cour ne se soit prononcée sur les implications du droit primaire à l’égard des conventions de ce type et qui, a posteriori, se révélerait contraire à certaines de ces
implications ».
41. Par conséquent, bien que la Cour ait également considéré que les principes fondamentaux des marchés publics s’appliquent dans certaines circonstances à des contrats formellement exclus du champ d’application de la législation de l’Union sur les marchés publics ( 18 ), ces principes fondamentaux (en l’occurrence, les principes d’égalité de traitement et de transparence notamment) ne sauraient s’appliquer à un contrat conclu avant que les principes en question ne soient établis par la Cour.
42. Le premier instrument juridique de l’Union ayant régi l’attribution des concessions de travaux publics a été la directive 89/440/CEE du Conseil, du 18 juillet 1989, modifiant la directive 71/305/CEE portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux ( 19 ). Cette directive devait être transposée au plus tard le 19 juillet 1990 ( 20 ). Il va de soi qu’elle ne pouvait donc pas s’appliquer au contrat de 1969.
43. Toutefois, la Cour a également jugé que lorsqu’un contrat a été conclu avant l’adoption de la législation de l’Union en matière de marchés publics et que ce contrat ne relève donc pas du champ d’application, ratione materiae ou ratione temporis, de cette législation, toute modification substantielle du contrat doit être examinée à la lumière de la législation de l’Union en vigueur au moment de la modification. En particulier, lorsque la volonté des parties est de renégocier les termes essentiels
du contrat, l’application des règles de l’Union en matière de marchés publics peut être justifiée. Dans les procédures d’infraction (comme en l’espèce), la charge de la preuve incombe à la Commission ( 21 ).
44. Il est constant que le contrat en cause correspond à la définition du contrat de concession de travaux publics figurant à l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2004/18. De toute évidence, le contrat dépasse également le seuil fixé à l’article 56 de cette même directive, telle que modifiée. Par conséquent, le contrat de 2009 relève du champ d’application de la directive 2004/18 tant ratione materiae que ratione temporis.
45. Il s’ensuit que toute modification imposée par le contrat de 2009 doit être appréciée conformément à la directive 2004/18. Comme l’a expliqué la Cour dans l’arrêt pressetext Nachrichtenagentur ( 22 ), la question déterminante est de savoir si la modification peut être considérée comme « substantielle ».
46. Je relève également que, bien que l’on puisse s’interroger sur la conformité des contrats de 1987 et 1999 à la législation de l’Union applicable en matière de marchés publics, aucun fondement ne permet à la Cour de se prononcer sur ce point dans la présente affaire. La Commission a contesté uniquement la conformité du contrat de 2009 au droit de l’Union. Dès lors, j’évoquerai et, le cas échéant, j’interpréterai les contrats antérieurs, dans les présentes conclusions, uniquement dans la mesure où
ils peuvent contribuer à résoudre la question de savoir si le contrat de 2009 a apporté des modifications substantielles à la relation contractuelle entre ANAS et SAT.
Appréciation juridique
La thèse de la Commission
47. Dans la présente procédure, il incombe à la Commission de prouver chacune de ses allégations ( 23 ). Il est donc important de clarifier la thèse que la Commission oppose au gouvernement italien.
48. La Commission soutient que la République italienne a violé les articles 2 et 58 de la directive 2004/18 en s’abstenant d’engager une procédure de passation de marché pour apporter une modification substantielle à un contrat ( 24 ). Les éléments factuels sur lesquels repose cette allégation sont relativement concis, à savoir que le contrat de 2009 a prolongé la durée de la concession de travaux publics de 2028, terme fixé dans le contrat de 1999, à 2046. Selon le gouvernement italien, la
situation n’est pas aussi simple. Il estime que le terme fixé à 2028 dans le contrat de 1999 ne concernait qu’un tronçon d’autoroute, tandis que le terme concernant les autres tronçons devait être précisé ultérieurement. Le gouvernement italien reconnaît néanmoins que le contrat de 2009 fixe désormais le terme à 2046 pour l’ensemble de la concession de l’autoroute.
49. Selon moi, cet argument du gouvernement italien ne remet pas en cause la recevabilité de la thèse de la Commission. Celle-ci a fait clairement connaître sa position, permettant ainsi au gouvernement italien d’élaborer sa défense en ce qui concerne la « législation communautaire en vigueur au terme du délai que la Commission a imparti à l’État membre en cause pour se conformer à son avis motivé» ( 25 ).
50. Pour procéder à l’analyse juridique des allégations d’infraction, la Cour doit avoir une vision claire des clauses contractuelles en vigueur. Il est donc nécessaire d’analyser le champ d’application du contrat initial de 1969 et, en particulier, le terme qu’il a fixé, puis d’examiner les modifications apportées par les contrats ultérieurs.
L’interprétation des contrats
51. L’article 7 du contrat de 1969 prévoyait pour la concession ce que l’on pourrait qualifier de terme mobile ne pouvant « dépasser la trentième année », à compter de l’« achèvement » de l’autoroute Livourne – Civitavecchia dans son intégralité. Ce terme a été modifié par le contrat de 1987, la durée ayant été fixée précisément à 30 ans, plutôt qu’à une durée ne pouvant « dépasser la trentième année ».
52. Le terme définitif (2028) fixé dans le contrat de 1999 s’appliquait-il à l’ensemble du contrat (ci-après l’« interprétation large ») ou seulement au premier tronçon autoroutier Livourne – Cecina (Rosignano), lequel, bien qu’ouvert à la circulation en 1993, ne couvrait que 36,6 kilomètres sur les 240 kilomètres représentant l’ensemble de l’autoroute (ci-après l’« interprétation stricte ») ? Bien que la date d’échéance d’un contrat ne devrait normalement susciter aucun doute, des doutes subsistent
en l’occurrence sur la question de savoir quels éléments du contrat de 1969 étaient concernés par la nouvelle échéance.
53. Le gouvernement italien préfère l’interprétation stricte et la Commission l’interprétation large.
54. L’interprétation stricte est confortée par l’article 2, paragraphe 1, du contrat de 1999 qui stipule expressément que le contrat ne s’applique qu’au premier tronçon autoroutier Livourne – Cecina, tandis qu’il ressort de l’article 2, paragraphe 3, que les conditions requises pour la construction des deux autres tronçons d’autoroute feront l’objet d’un accord une fois que la législation autorisant la poursuite des travaux sur ces tronçons aura été adoptée. Cette interprétation conduit donc à
conclure que le contrat de 1999 ne s’applique qu’au premier tronçon autoroutier et non à l’ensemble du tracé.
55. L’interprétation large est confortée par l’article 23 du contrat de 1999 lequel, tout en prévoyant que la concession vient à son terme en 2028, ne fait manifestement aucune distinction entre les différents tronçons autoroutiers. Cette thèse semble étayée par la partie introductive du contrat de 2009 indiquant que les contrats de 1969 et 1987, qui s’appliquaient indistinctement à l’ensemble de l’autoroute, devaient être modifiés par le contrat de 1999 afin de mettre fin à la concession en 2028 (
26 ).
56. L’article 4.1, seconde partie, du contrat de 2009 stipule explicitement que la date de cessation « prévue à l’origine » en 2028 s’applique aux autres tronçons Cecina (Rosignano) – Civitavecchia ( 27 ). De même, l’article 4.1, première partie, du contrat de 2009 fixe un nouveau terme à 2046, sans faire de distinction entre les différents tronçons autoroutiers ( 28 ).
57. Enfin, la réponse du gouvernement italien à la question de la Cour et les observations de la Commission à ce sujet indiquent clairement que des travaux avaient été entrepris sur les autres tronçons autoroutiers avant l’adoption du contrat 2009. Cette circonstance milite contre l’interprétation stricte.
58. Par conséquent, je préfère l’interprétation plus large du contrat de 1999 proposée par la Commission et je considère que l’article 23 du contrat de 2009 a modifié le terme de la concession pour l’ensemble de l’autoroute en la reportant de 2028, année prévue par le contrat de 1999, à 2046.
59. Toutefois, même si l’interprétation plus stricte devait être privilégiée, je note que le contrat de 2009 modifie également le terme concernant les deuxième et troisième tronçons d’autoroute. On pourrait considérer que cette modification s’appuie sur l’article 2, paragraphe 3, du contrat de 1999, qui prévoyait que les conditions pour les deuxième et troisième tronçons devaient être fixées ultérieurement.
60. Dans ces conditions, les dates d’échéance prévues dans les contrats de 1969 et 1987 ont ensuite cessé de s’appliquer à l’ensemble de l’autoroute. Dès lors, la fixation d’une date de fin dans le contrat de 2009 a également constitué une modification pour les deuxième et troisième tronçons d’autoroute.
61. Je rappelle dans ce contexte que l’affirmation selon laquelle un contrat ne peut être contesté au titre d’une législation qui lui est postérieure ou en vertu de principes de droit établis ultérieurement doit être considérée comme une exception qui, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, doit recevoir une interprétation stricte ( 29 ). Ainsi, une fois que le contrat de 1969 a été modifié par le contrat de 1999, il ne pouvait plus être modifié pour revenir à des conditions plus
généreuses correspondant à celles du contrat initial.
62. J’estime donc que le gouvernement italien ne saurait soutenir que les conditions qui, d’après les clauses du contrat de 1999 modifiant les contrats de 1969 et 1987, devaient être convenues à un stade ultérieur et qui ont finalement été définies dans le contrat de 2009, correspondent plus ou moins aux conditions initiales figurant dans les contrats de 1969 et 1987 et que, pour cette raison, elles devraient échapper aux obligations applicables en matière de marchés publics.
63. Toutefois, même en adoptant une approche que l’on pourrait qualifier de « très stricte », consistant à comparer les stipulations du contrat de 2009 relatives aux deuxième et troisième tronçons autoroutiers aux seules conditions fixées dans les contrats de 1969 et 1987, il n’en demeure pas moins que le terme est passé d’une période mobile de 30 ans à une période définitive de 37 ans. Ainsi, même en retenant cette interprétation très stricte, l’allégation de la Commission reste en substance
inchangée. Les conditions du contrat ont bel et bien été modifiées.
64. J’ajoute simplement à cela que, s’agissant des difficultés et incertitudes quant à la formulation correcte et à la portée des différents contrats, ANAS et, par son intermédiaire, le gouvernement italien doivent assumer la responsabilité des clauses contractuelles qui ont été convenues. En cas de doute, une clause ambiguë ne devrait pas être automatiquement interprétée en leur faveur.
65. J’en viens à présent à la question de savoir si les modifications apportées par le contrat de 2009 peuvent être qualifiées de substantielles.
Modifications substantielles
66. La Cour a établi une liste non exhaustive de circonstances et de conditions dans lesquelles une modification doit être considérée comme substantielle. Ainsi, dans l’arrêt pressetext Nachrichtenagentur, la Cour a jugé qu’une modification pouvait être considérée comme substantielle lorsque :
– elle présente des caractéristiques substantiellement différentes de celles du marché initial et est, en conséquence, de nature à démontrer la volonté des parties de renégocier les termes essentiels de ce marché ; ou
– si elle avait été introduite au cours de la procédure de passation initiale, elle aurait permis l’admission d’autres soumissionnaires ou aurait permis de retenir une autre offre ; ou que
– elle étend le marché, dans une mesure importante, à des services non initialement prévus ; ou que
– elle change l’équilibre économique du contrat en faveur de l’adjudicataire du marché d’une manière qui n’était pas prévue dans les termes du marché initial ( 30 ).
67. J’estime que deux des critères retenus par la Cour dans l’arrêt pressetext Nachrichtenagentur pour définir la notion de « modification substantielle » sont remplis dans le cas d’espèce. La volonté des parties était clairement de renégocier les termes essentiels du contrat. Elles l’ont fait d’une manière qui a changé l’équilibre économique en faveur de l’adjudicataire du marché.
68. Pour commencer, j’examinerai si la date de cessation d’un contrat peut être considérée comme un « terme essentiel du contrat » et comme un terme qui « change l’équilibre économique ». Les contrats en cause portent sur une concession de travaux publics. La prolongation de la durée d’une concession permet au concessionnaire de réaliser davantage de bénéfices une fois qu’il a achevé les travaux et récupéré les coûts de construction par le biais des péages afférents à l’utilisation de l’autoroute.
69. La durée négociée entre les parties constitue à l’évidence, selon moi, un élément essentiel de tout contrat de concession. La période d’exploitation de 29 ans prévue dans le contrat de 1999 (jusqu’en 2028) a été prolongée d’une durée supplémentaire de 18 ans dans le contrat de 2009 (jusqu’en 2046). Cet élément doit être considéré comme une modification des termes essentiels et, en même temps, comme un changement de l’équilibre économique du contrat en faveur du concessionnaire.
70. Il est vrai que, en adoptant l’approche très stricte et donc en comparant la période d’exploitation fixe de 37 ans prévue par le contrat de 2009 à la période d’exploitation mobile de 30 ans stipulée dans le contrat de 1969, il devient plus difficile de déterminer celle des deux périodes qui est la plus avantageuse sur le plan économique pour le concessionnaire.
71. Toutefois, j’ai exposé précédemment les raisons pour lesquelles j’estime que l’interprétation très stricte trouve difficilement appui dans les textes ( 31 ). Je considère en outre que, lorsque, comme en l’espèce, il y a un changement qui, de quelque point de vue que ce soit, modifie fondamentalement le contrat, il appartient au gouvernement italien de démontrer qu’un tel changement ne doit néanmoins pas être considéré comme une « modification substantielle » au sens de l’arrêt pressetext
Nachrichtenagentur ( 32 ). Selon moi, le gouvernement italien ne l’a pas fait dans la présente affaire.
72. Par ailleurs, si la Cour venait à conclure que seul le premier tronçon d’autoroute (environ 36 kilomètres) a fait l’objet d’une modification substantielle, l’allégation de la Commission n’en resterait pas moins fondée à cet égard.
73. Je considère qu’il est sans importance que le premier tronçon d’autoroute ne représentait que 15 % d’un engagement contractuel plus large consistant à construire 240 kilomètres d’autoroute. Cette circonstance ne saurait remettre en cause la conclusion selon laquelle les obligations en matière de marchés publics n’ont pas été respectées.
74. Par conséquent, je conclus que le contrat de 2009 constituait une modification substantielle par rapport aux clauses contractuelles antérieures et qu’il aurait donc dû être soumis à une procédure de passation de marché public.
75. J’en viens à présent à la question de savoir si le gouvernement italien peut invoquer un motif permettant de l’exonérer de cette obligation.
Causes d’exonération
76. Le gouvernement italien a fait référence à des éléments de fait et de droit survenus depuis 1969, en particulier des événements extérieurs indépendants de la volonté de SAT qui ont, pour partie, provoqué un retard dans la construction de l’autoroute et qui ont donc rendu impossible l’exploitation de la concession. Le gouvernement italien fait valoir qu’une prolongation de la période d’exploitation était nécessaire pour « garantir l’équilibre du contrat ». Il prétend que, si la période
d’exploitation n’avait pas été prolongée, cet équilibre aurait été compromis.
77. Je réfute cet argument pour deux raisons.
78. Premièrement, la Cour a déjà précisé que « ni le fait qu’une modification substantielle des termes d’un marché public soit motivée non pas par la volonté délibérée du pouvoir adjudicateur et de l’adjudicataire de renégocier les termes de ce marché, mais par leur volonté de trouver un règlement transactionnel à des difficultés objectives rencontrées dans le cadre de l’exécution dudit marché, ni le caractère objectivement aléatoire de certaines réalisations ne sauraient justifier que cette
modification soit décidée sans respecter le principe d’égalité de traitement qui doit bénéficier à tous les opérateurs potentiellement intéressés par un marché public» ( 33 ).
79. Deuxièmement, il ressort clairement des faits que j’ai résumés précédemment ( 34 ) que les retards dans la construction de l’autoroute étaient principalement imputables à certaines initiatives législatives prises par le gouvernement italien lui-même. Quelles que soient les raisons qui ont motivé l’adoption de la législation en question, il n’en demeure pas moins que le gouvernement italien a fait un choix explicite en adoptant une législation qui a directement affecté la capacité de SAT à
construire et à exploiter l’autoroute conformément au calendrier initialement prévu.
80. Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour qu’« un État membre ne saurait exciper de difficultés pratiques ou administratives pour justifier l’inobservation des obligations et des délais prescrits par une directive. Il en va de même pour les difficultés financières qu’il appartient aux États membres de surmonter en prenant les mesures appropriées» ( 35 ). Par conséquent, bien que le gouvernement italien ait pu avoir des raisons parfaitement valables de prendre des mesures de nature à
modifier la concession de travaux publics précédemment attribuée et qu’il ait pu souhaiter atténuer les effets en découlant pour SAT en prolongeant la période d’exploitation, il ne pouvait le faire sans tenir compte du droit de l’Union applicable en matière de marchés publics.
81. Le gouvernement italien soutient en outre que l’absence de procédure de passation de marché public en 2009 (qui déroge ainsi au principe d’égalité de traitement) peut trouver sa justification dans le droit de SAT de se prévaloir des principes de sécurité juridique et de confiance légitime.
82. Le gouvernement italien semble appuyer sa thèse sur un argument a contrario tiré de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Promoimpresa e.a., dans lequel la Cour a jugé que « les concessions en cause au principal ont été attribuées alors qu’il avait déjà été établi que les contrats qui présentaient un intérêt transfrontalier certain devaient être soumis à une obligation de transparence, si bien que le principe de sécurité juridique ne peut être invoqué afin de justifier une différence de
traitement interdite au titre de l’article 49 TFUE» ( 36 ).
83. Tel que je le comprends, le gouvernement italien invoque à cet égard le fait (incontesté) que le contrat de 1969 a été conclu avant l’entrée en vigueur des règles et des principes de l’Union applicables en matière de marchés publics, pour affirmer que ledit contrat devrait ensuite échapper à tout contrôle au regard du droit de l’Union. Toutefois, la question n’est pas celle de la conformité du contrat de 1969 aux règles de l’Union pertinentes. Elle concerne la conformité du contrat de 2009 ( 37
).
84. Par ailleurs, comme la Commission l’a souligné à juste titre, le principe de sécurité juridique ne saurait « être invoqué pour donner à une convention une extension contraire aux principes d’égalité de traitement et de non-discrimination ainsi qu’à l’obligation de transparence qui en découle. Il est indifférent, à cet égard, que cette extension puisse constituer une solution raisonnable propre à mettre fin à un litige survenu entre les parties concernées, pour des raisons totalement
indépendantes de leur volonté, quant à la portée de la convention qui les lie» ( 38 ). J’estime qu’il n’y a aucune raison de ne pas appliquer cette règle au contrat de 1969.
85. Il est dans la nature même d’une concession que la majeure partie du risque est transférée au concessionnaire ( 39 ). Ainsi, contrairement à d’autres types de contrats, le concessionnaire (en l’occurrence SAT) doit accepter l’existence d’un risque futur lors de la conclusion du contrat initial. Les règles ordinaires de la prudence commerciale permettront de répercuter le risque devant être ainsi assumé sur l’offre présentée et/ou sur les négociations approfondies portant sur le contrat lui‑même.
86. Il convient de noter que la Cour a en effet jugé que les dispositions des documents du marché initial résultant d’une procédure de passation peuvent prévoir la possibilité expresse d’effectuer ultérieurement des modifications substantielles ( 40 ).
87. Dans ce contexte, le gouvernement italien aurait pu chercher à faire valoir que l’article 2, paragraphe 3, du contrat de 1999, selon lequel les clauses contractuelles relatives aux deuxième et troisième tronçons d’autoroute devaient être conclues à un stade ultérieur « dès que les conditions de droit et de fait pour la poursuite du projet de construction donné en concession seront réunies », doit être considéré comme une clause de réserve comparable à celle qui est formulée dans les documents
d’un marché.
88. J’estime que tel ne saurait être le cas pour deux raisons.
89. En premier lieu, il n’existait pas de « documents du marché » initial issus d’une procédure de passation de marché public, aucun des contrats en cause n’ayant été soumis à une telle procédure.
90. En second lieu, le droit d’avoir recours à une telle clause de réserve pour justifier l’introduction ultérieure d’une modification substantielle doit être considéré comme une exception au principe général selon lequel tous les éléments nécessaires résultant d’une procédure de passation de marché doivent figurer dans les documents contractuels établis par le pouvoir adjudicateur. En vertu d’une jurisprudence constante, les exceptions doivent faire l’objet d’une interprétation restrictive. Il
serait inacceptable qu’un contrat, qui était à l’origine exempté d’obligations de marché public, puisse ensuite être « complété » par l’insertion d’une clause de réserve introduisant une modification substantielle à un moment où ce contrat serait normalement soumis aux obligations propres aux marchés publics prévues par le droit de l’Union
91. Ainsi, même si l’on interprète le contrat de 1999 comme contenant une clause de réserve servant de base à des modifications futures, cette clause ne saurait justifier de soustraire le contrat de 2009 à l’obligation de respecter la directive 2004/18.
92. Enfin, je considère que le gouvernement italien ne saurait invoquer l’article 61 de la directive 2004/18 qui autorise des modifications portant sur les « travaux complémentaires ». Les modifications substantielles ayant eu lieu entre 1999 et 2009 ne portaient pas sur l’objet des travaux initiaux à entreprendre par le concessionnaire, mais sur le délai imparti à SAT pour en tirer des bénéfices après leur achèvement. Une telle modification ne relève pas du champ d’application ratione materiae de
l’article 61.
93. À mon avis, la modification de la durée de la concession introduite par l’article 4.1 du contrat de 2009 constitue une modification substantielle au sens de l’arrêt pressetext Nachrichtenagentur ( 41 ), qu’elle soit ou non examinée à l’aune du contrat de 1999 (comme le fait valoir la Commission) ou à la lumière du contrat de 1969 (comme le suggère le gouvernement italien). La conclusion du contrat de 2009 en l’absence de procédure de passation de marché public constitue donc une violation de
l’obligation d’égalité de traitement prévue à l’article 2 de la directive 2004/18 et de l’obligation de publier un avis de marché prévue à l’article 58 de ladite directive.
Dépens
94. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Dans la mesure où la Cour devrait, à mon sens, faire droit aux conclusions de la Commission, la République italienne doit être condamnée aux dépens.
Conclusion
95. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose donc à la Cour de :
1) constater que la prorogation, de 2028 à 2046, de la concession de travaux publics pour la construction et l’exploitation de l’autoroute A 12, qui a été prévue en 2009, constitue une modification d’un élément substantiel du contrat de 1999 conclu entre le pouvoir adjudicateur (Azienda Natzionale Autonoma delle Strade) et le concessionnaire (Società Autostrada Tirrenica) et que, en s’abstenant de soumettre cette modification à une procédure de passation de marché, la République italienne a
manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 58 de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, telle que modifiée ;
2) condamner la République italienne aux dépens.
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( 1 ) Langue originale : l’anglais.
( 2 ) Directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114), abrogée par la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics (JO 2014, L 94, p. 65).
( 3 ) L’annexe I inclut la « construction d’autoroutes ».
( 4 ) Modifié par le règlement (CE) no 1422/2007 de la Commission, du 4 décembre 2007, modifiant les directives 2004/17/CE et 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne leurs seuils d’application pour les procédures de passation des marchés (JO 2007, L 317, p. 34).
( 5 ) Au sens strict, la mer Tyrrhénienne (il mar Tirreno), dont l’opérateur économique tire son nom, est la partie de la Méditerranée au large de la côte ouest de l’Italie qui est bordée au sud par la Sicile, à l’ouest par la Sardaigne et la Corse, et au nord par l’île d’Elbe, dont le golfe de Follonica. Les eaux qui s’étendent de cette partie jusqu’à Livourne font partie de la mer Ligure. Voir site de l’Istituto idrografico della Marina (Institut hydrographique de la Marine)
(http://www.marina.difesa.it).
( 6 ) Le terme « autoroute », tel qu’employé dans les présentes conclusions, est défini à l’article 1er, paragraphe 2, du contrat de 1969 comme « une route à deux voies de 7,5 mètres [de large] chacune, séparées par un terre-plein central et flanquées de deux accotements latéraux ».
( 7 ) Legge n. 287, Modifiche ed integrazioni all’attuale legislazione autostradale (loi no 287 modifiant et complétant la législation en matière d’autoroutes) (GURI no 137, du 1er juin 1971).
( 8 ) Decreto-legge n. 376, Provvedimenti per il rilancio dell’economia riguardanti le esportazioni, l’edilizia e le opere pubbliche (décret-loi no 376 portant des mesures de relance de l’économie en matière d’exportations, de construction et de travaux publics) (GURI no 218 du 18 août 1975).
( 9 ) Legge n. 492, Conversione in legge, con modificazioni, del decreto-legge 13 agosto 1975, n. 376, concernente provvedimenti per il rilancio dell’economia riguardanti le esportazioni, l’edilizia e le opere pubbliche (loi no 492 portant conversion en loi, avec modifications, du décret-loi no 376, du 13 août 1975, portant des mesures de relance de l’économie en matière d’exportations, de construction et de travaux publics)( GURI no 276 du 17 octobre 1975).
( 10 ) Legge n. 531, Piano decennale per la viabilità di grande comunicazione e misure di riassetto del settore autostradale (loi no 531 portant plan décennal pour la viabilité des grandes voies de communication et mesures de restructuration du secteur autoroutier) (GURI no 223 du 14 août 1982).
( 11 ) Voir point 36 des présentes conclusions.
( 12 ) Legge n. 449 – Misure per la stabilizzazione della finanza pubblica (loi no 449 portant des mesures de stabilisation des finances publiques) (GURI no 302 du 30 décembre 1997).
( 13 ) Legge n. 443 – Delega al Governo in materia di infrastrutture ed insediamenti produttivi strategici ed altri interventi per il rilancio delle attività produttive (loi no 443 opérant délégation au gouvernement en matière d’infrastructures et d’installations de production stratégiques ainsi que d’autres interventions pour la relance des activités de production) (GURI no 299, du 27 décembre 2001).
( 14 ) Il semble que l’itinéraire proposé pour la construction de cette autoroute ait suscité des controverses et que des questions aient été soulevées concernant, entre autres, son impact environnemental (voir wikivisually.com). Je n’entre pas dans ce débat dans les présentes conclusions.
( 15 ) Voir point 30 des présentes conclusions.
( 16 ) La Commission s’est référée à un article paru le 15 avril 2017 dans Il Fato quotidiano, qui est joint en annexe à ses observations.
( 17 ) Arrêt du 14 novembre 2013, Belgacom (C‑221/12, EU:C:2013:736, point 40 et jurisprudence citée).
( 18 ) Voir arrêt du 7 décembre 2000, Telaustria et Telefonadress (C‑324/98, EU:C:2000:669, point 60), en ce qui concerne le principe de non-discrimination en raison de la nationalité.
( 19 ) JO 1989, L 210, p. 1. La directive 71/305 a ensuite été remplacée par la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO 1993, L 199, p. 54), elle-même remplacée par la directive 2004/18.
( 20 ) Voir article 3 de la directive 89/440.
( 21 ) Arrêt du 5 octobre 2000, Commission/France (C‑337/98, EU:C:2000:543, points 41 à 45).
( 22 ) Arrêt du 19 juin 2008, pressetext Nachrichtenagentur (C‑454/06, EU:C:2008:351) ; voir, par ailleurs, points 66 et suivants des présentes conclusions.
( 23 ) Voir, notamment, arrêts du 25 mai 1982, Commission/Pays-Bas (96/81, EU:C:1982:192, point 6), et du 11 juillet 2018, Commission/Belgique (C‑356/15, EU:C:2018:555, point 25).
( 24 ) Voir point 27 des présentes conclusions.
( 25 ) Arrêt du 9 novembre 1999, Commission/Italie (C‑365/97, EU:C:1999:544, point 32).
( 26 ) Voir point 16 des présentes conclusions.
( 27 ) Voir point 20 des présentes conclusions.
( 28 ) Voir point 19 des présentes conclusions.
( 29 ) Arrêt du 13 janvier 2005, Commission/Espagne (C‑84/03, EU:C:2005:14, point 58).
( 30 ) Arrêt du 19 juin 2008, pressetext Nachrichtenagentur (C‑454/06, EU:C:2008:351, points 34 à 37). Bien que cette affaire concernait l’application de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO 1992, L 209, p. 1), je ne vois aucune raison valable d’appliquer un critère différent pour ce qui est de la « modification substantielle » dans le contexte de la directive 2004/18. Voir, également, arrêts du
5 octobre 2000, Commission/France (C‑337/98, EU:C:2000:543, point 46), et du 11 juillet 2013, Commission/Pays-Bas (C‑576/10, EU:C:2013:510, point 46).
( 31 ) Voir points 63 et 64 des présentes conclusions.
( 32 ) Arrêt du 19 juin 2008, pressetext Nachrichtenagentur (C‑454/06, EU:C:2008:351, points 34 à 37).
( 33 ) Arrêt du 7 septembre 2016, Finn Frogne (C‑549/14, EU:C:2016:634, point 32).
( 34 ) Voir points 21 à 23 des présentes conclusions.
( 35 ) Arrêt du 18 octobre 2012, Commission/Royaume-Uni (C‑301/10, EU:C:2012:633, point 66 et jurisprudence citée).
( 36 ) Arrêt du 14 juillet 2016, Promoimpresa e.a. (C‑458/14 et C‑67/15, EU:C:2016:558, point 73).
( 37 ) Voir point 46 des présentes conclusions.
( 38 ) Arrêt du 14 novembre 2013, Belgacom (C‑221/12, EU:C:2013:736, point 40).
( 39 ) Arrêt du 10 mars 2011, Privater Rettungsdienst und Krankentransport Stadler (C‑274/09, EU:C:2011:130, points 24 à 26).
( 40 ) Arrêt du 7 septembre 2016, Finn Frogne (C‑549/14, EU:C:2016:634, points 36 et 37).
( 41 ) Arrêt du 19 juin 2008, pressetext Nachrichtenagentur (C‑454/06, EU:C:2008:351, points 34 à 37).